RELIQUES
Le soleil n’avait pas bougé de toute la matinée.
Il se cachait derrière un tapis de nuages qui s’étalait sur la totalité du ciel. Des vagues d’un vent humide et glacial balayaient les trottoirs tandis que le petit groupe marchait en ordre dispersé.
Son regard parcourait sans répit les rangs de ses ouailles.
Elle tombait de fatigue, et ils n’avaient même pas entamé la visite du musée. Elle leva les yeux pour observer la masse grise dont ils s’approchaient.
« Restez groupés ! » ordonna-t-elle pour la énième fois.
Elle aurait voulu étrangler les petits garçons qui trouvaient drôle de courir dans la rue et de se cacher derrière les arbres avant d’en surgir pour effrayer les petites filles. Et les petites filles qui trouvaient drôle de hurler de plaisir à chaque fois. Deviens professeur… Merci du conseil, maman, se dit-elle, à bout de nerfs.
Ses élèves serrèrent les rangs pour traverser la vaste place. Lorsqu’ils atteignirent le bâtiment, ils se jetèrent à l’assaut de l’entrée principale en escaladant les degrés de marbre.
« Restez groupés ! » leur cria-t-elle encore.
Elle grimpa les marches quatre à quatre et franchit la porte dans un froufrou d’étoffe. Les enfants se dispersaient dans le vestibule imposant en regardant partout. Elle courut en tous sens pour les rassembler tel un berger son troupeau.
« Vous allez arrêter ces bêtises ou on retourne à l’école », menaça-t-elle, essoufflée, tandis qu’elle comptait les têtes. Ils la regardaient d’un air innocent qui la rendait folle de rage.
Tout le monde était présent.
« Vous restez là, ordonna-t-elle. Je m’oriente. »
Elle s’éloigna, se retourna. « Ne bougez pas ! »
Haletante, elle se planta devant le répertoire.
« Fichus mômes », marmonna-t-elle en consultant la liste des départements. Reptiles, lut-elle. À la perspective du long trajet de retour jusqu’à l’école avec ces enfants, elle gémit intérieurement. Sous ses yeux, la liste se brouillait.
Un bruit de chute à plat ventre retentit dans son dos. Elle fit volte-face, le regard dur comme la pierre, pour voir quels nouveaux outrages ils commettaient.
L’armée se débandait.
Trois garçons jouaient à touche-touche sans la moindre retenue autour d’une vitrine d’antiques garnitures en perles.
Deux filles avaient traversé le vestibule pour discuter avec l’employé de la boutique de souvenirs.
Deux autres garçons s’efforçaient de soulever un carreau du sol à l’aide de leurs canifs.
Le reste dérivait comme des navires aux amarres rompues dans des courants contraires.
Elle gémit pour de bon et courut sur le marbre noir. Folle de rage, elle releva d’une secousse les deux vandales et les secoua comme des pruniers. Ses remontrances à voix basse parvinrent aux oreilles des trois sportifs qui patinaient autour de la vitrine ; courbant l’échiné sous son regard froid, ceux-là rejoignirent à pas traînants la petite troupe qui se reformait.
« Restez groupés », dit-elle avant de se diriger vers la boutique.
Les deux petites filles se retournèrent à son approche.
« On demandait juste, dit l’une d’elles d’une voix timide.
— Je veux que vous restiez avec les… mais qu’est-ce que tu montres du doigt ? » Elle suivit du regard la direction indiquée et resta bouche bée. « Tu viens d’y aller !
— J’ai encore envie. »
Elle se tassa sur elle-même, lasse, écœurée. Un pour tous, tous pour un, songea-t-elle. « Oh, non », dit-elle d’une voix morne.
Elle acheta un guide avant de raccompagner les deux filles auprès des autres gamins qui s’agitaient déjà.
« Combien y en a-t-il qui doivent, et je dis bien qui doivent aller au petit coin ? »
Tous, bien sûr. Pourquoi se donner la peine de poser la question ? Tirer la chasse les amusera sans doute davantage qu’admirer les splendeurs des siècles passés.
Joueuse de flûte désabusée, elle prit la tête de la procession et lâcha les garçons devant le local idoine en indiquant d’une mimique qu’ils devaient avoir regagné le vestibule dans les cinq minutes, ou gare. Ils chargèrent les portes battantes telle une horde d’étalons. À l’intérieur, cris de triomphe et autres rires s’élevèrent sans retenue.
Elle grommela, admettant sa défaite, et fit passer les filles par la porte voisine.
Dans l’antichambre, elle se laissa choir sur une chaise sans pouvoir retenir une plainte dépitée. À moitié assoupie, elle contempla le mur opposé. Le guide lui échappa et tomba par terre avec un bruit sourd.
Elle ne bougea pas, ne dit pas un mot et se garda même de hocher la tête quand les deux petites filles se mirent à pousser des cris aigus et qu’une autre jaillit des toilettes pour lui dire qu’une bataille en règle venait de commencer.
Elle parvint enfin à les réunir tous, comme les pièces d’une machine que ses vibrations ne cesseraient de démantibuler.
Elle les compta. Personne ne manquait à l’appel. Elle leur désigna la salle des animaux droit devant et suivit le flot.
Les enfants entreprirent de longer le vestibule en sautillant, glissant, gambadant.
« On se tient bien ! » siffla-t-elle, les dents serrées.
Ils poursuivirent leur chemin la tête basse, tels des moines en pénitence.
Au passage, elle leva les yeux vers le linteau de la porte.
Galerie George East, disait l’inscription.
George East. Elle parcourut les rayonnages de sa mémoire. George East était un explorateur célèbre de l’ancien temps. Elle se rappelait avoir lu un de ses livres dans son enfance. La chasse au gros gibier en Afrique. Oui, c’était bien le titre. Elle eut un sourire pensif en songeant à sa jeunesse enfuie.
Il lui fallut ciller plusieurs fois pour voir quoi que ce soit dans la salle. On se serait cru dans une mosquée, ou du moins dans un théâtre obscur. L’odeur évoquait une mosquée.
Les seules lumières se trouvaient dans les vitrines qui, de part et d’autre de la galerie, se perdaient dans le lointain.
Le silence soudain de ses ouailles la surprit. Ils parlaient à voix basse, solennels, et même ceux qui échouaient à retenir des rires les réprimaient vite. L’église, le musée, se dit-elle, quel que soit l’endroit où règnent l’obscurité et le remugle de l’antiquité, les enfants et les adultes réagissent ainsi, comme s’il fallait respecter l’obscurité à l’instar d’un sacrement.
Les enfants contemplaient la première vitrine d’exposition.
Elle essaya de déchiffrer son guide, mais comme il faisait trop sombre, elle s’avança jusqu’à la paroi de plexiglas et se pencha pour lire la plaque métallique apposée au mur.
« Les enfants, voici un buffle d’eau. » Et elle leur dévida sa description.
Elle les étudia. Ils avaient l’air apathiques. Ils n’écoutaient pas, songea-t-elle. Se sentant trahie, elle pinça les lèvres. Ma foi, pourquoi devrais-je les juger ? Pourquoi la pitié devrait-elle m’aveugler s’ils restent insensibles ? Tant pis, se dit-elle, et voilà tout.
Toute à ses réflexions acerbes, elle contempla les animaux naturalisés et, malgré son irritation, reconnut qu’ils étaient plutôt réussis.
Ils paraissaient presque vivants, figés dans le temps, prêts, d’un coup de baguette magique, à poursuivre leur combat.
Elle essaya de visualiser les sabots épais en train de projeter dans l’air chargé de senteurs des éclaboussures de terre noire et d’eau verte qui retombaient sur leurs flancs tandis qu’ils s’affrontaient de leurs cornes semblables à des sabres.
Impossible, conclut-elle. Comment pourrais-je imaginer ça avec la moindre chance de succès ? Les morts sont morts.
Elle perçut un murmure qui, semblait-il, se voulait discret, mais dont l’écho se répercuta dans la galerie. Qu’y a-t-il de plus bruyant qu’un enfant qui essaie de ne pas faire de bruit ? se demanda-t-elle en tournant la tête vers le bruit tandis que son irritation atteignait de nouveaux sommets.
Les élèves s’étaient encore dispersés, réduisant la classe à un puzzle dont les pièces se disséminaient autour des quatre vitrines d’exposition suivantes.
Son sifflement de vipère en colère déchira l’air. Obéissant à la sommation, ils revinrent la tête basse.
« Par pitié, restez groupés, ordonna-t-elle un ton trop haut. Arrêtez de courir partout sans ma permission.
— Est-ce que je peux juste aller…
— Restez groupés ! » gémit-elle d’une voix brisée. Restez groupés. Les mots perdirent soudain toute cohésion. Elle dut se concentrer pendant un long moment pour se rappeler leur signification.
Arrivée devant la vitrine voisine, elle s’arrêta derrière eux, de façon qu’aucun ne puisse s’échapper.
« C’est un éléphant, annonça-t-elle avec une assurance non dénuée d’agressivité.
— Un rhinocéros, corrigea un petit garçon. C’est écrit là. »
Elle s’éclaircit la gorge en souhaitant plus ou moins que le rhinocéros fracasse la paroi de verre et piétine le petit garçon en question jusqu’à n’en laisser qu’une tache de graisse.
« Tout juste, enchaîna-t-elle. Je suis ravie de constater qu’il y en a au moins un qui réagit quand je mets vos facultés d’observation à l’épreuve. »
Elle fusilla du regard le monstre noir, figé dans sa charge, dont les oreilles se dresseraient et dont les narines resteraient dilatées jusqu’au jugement dernier.
L’espace d’un instant, elle refit un effort d’imagination : le tonnerre des sabots, le crépitement des herbes sèches…
Impossible. Tant pis. Pourquoi vouloir ressusciter ce qu’on ne connaissait même pas ?
« Allons voir le suivant », dit-elle d’une voix lasse à l’idée quelque peu saugrenue de devoir contempler des dizaines, voire des centaines de mètres de vitrines d’exposition. Seuls les enfants les plus proches entendirent, sans la juger étrange, la plainte qui monta en elle.
Ils suivirent la galerie, traversèrent la galerie, remontèrent la galerie, visitèrent les annexes de la galerie. Ils virent des lions, des éléphants, des gazelles, des zèbres, des girafes et autres bêtes sauvages, tout ce que ce George East avait pu contempler dans sa vie, y compris des lichens et sa première femme.
Toute cette vie immobile finit par l’écœurer. Que sont ces animaux empaillés, se demanda-t-elle, sinon les reliques d’un passé si mort qu’il convient seulement de le laisser à lui-même ?
Ces choses n’avaient plus aucun intérêt pour elle, ni pour les enfants. Revêtues de chair ou non, elles n’étaient que des tas d’os qui ne bougeraient plus jamais.
Laissant derrière eux les exploits naturalisés de George East, ils retrouvèrent le vestibule.
Elle avait mal partout. Elle avait envie de s’asseoir et de prendre un jour de congé qui durerait le reste de l’année.
Mais je ne peux pas, se dit-elle, puisque je dois continuer de guider ce safari diabolique et d’admirer ces vestiges qu’il vaudrait mieux oublier. C’était son travail. En fait, la visite ne plaisait à personne. Mais elle avait amené ses élèves ici, et il fallait jouer le jeu jusqu’au bout.
La classe se répandit dans l’aile voisine tel un flot avide de trouver son lit. Jamais de ma vie je n’ai vu un gosse épuisé, pensa-t-elle. Je mourrais heureuse si on m’apportait la preuve qu’il leur arrive de se fatiguer.
Poissons des profondeurs marines, annonçait la grande bannière peinte à la main fixée de travers au mur.
Rien à fiche, songea-t-elle. Elle posa un regard impassible sur la baleine au ventre strié de rayures qui occupait la moitié de la longueur de la galerie. Elle considéra avec apathie le requin à la gueule en croissant de lune qui gobait ses voisins. Elle leva des yeux las vers l’énorme tortue grotesque pendue au plafond.
Les enfants s’en fichaient aussi. Ils restaient aveugles à ce qu’on leur proposait d’admirer ; ils se contentaient de courir vers la vitrine, la salle, l’aile suivantes. L’important, pour eux, c’est de bouger sans cesse, se dit-elle.
Parfois, elle tâchait de les remettre en rangs. La plupart du temps, elle les laissait vagabonder.
Oblong, terni, l’objet métallique près duquel elle se tenait ressemblait à une énorme balle de fusil, vestige de quelque conflit d’antan.
Il était ouvert, tranché dans le sens de la longueur comme d’un coup d’un seul.
À ses côtés, une grande vitrine exposait les divers articles qu’on en avait retirés, ainsi que le précisait l’écriteau.
Chacun s’accompagnait d’un panonceau, et elle se référait à son guide afin d’y trouver de plus amples informations.
Trousse de maquillage, disait un panonceau. Pour le visage, expliquait le guide.
Montre. (Calcul du temps.) Tabac. (Vice primordial.) Tee de golf. (Élément d’un autre vice primordial.) Serrure et clé. (Protection des biens.) Brosse à dents et tube de dentifrice. (Hygiène buccale.)
Elle secoua la tête et jeta un coup d’œil à la ronde pour voir si sa tribu avait pris le sentier de la guerre. Même si ses élèves se dispersaient, ils se tenaient à peu près correctement. Elle reporta son regard sur la vitrine.
Nécessaire de rasage. Règles du football. $1. 50¢. 25¢. 10¢. 5¢. 1¢.
Elle s’épargna la peine de lire les légendes. Elle se fichait de ce que signifiaient ces objets. Pour autant qu’ils signifient quoi que ce soit, ajouta-t-elle en son fort intérieur.
Elle baissa les yeux vers un magazine aux bords jaunis : Life. Sa couverture montrait le visage souriant d’un homme alors plein de vie, et désormais mort et enterré — et oublié — depuis des lustres.
« Errol Flynn », lut-elle à voix haute, pour tester le son des phonèmes. Elle haussa les épaules. Aucune importance.
Pour le visage, hygiène buccale, vice primordial, élément d’un vice primordial, règles du football…
Un soupir lui échappa. Les pauvres, songea-t-elle. Ils ne savaient guère que combiner médiocrité et prétention.
Elle se détourna de la vitrine et rassembla ses ouailles.
« Venez, les enfants, dit-elle. On continue la visite. »
Une nouvelle salle. Plus propre, à l’odeur. Et plus moderne si on tenait pour moderne ce qui n’avait pas deux mille ans.
Tout en se balançant d’un pied sur l’autre pour soulager ses jambes lourdes, elle consulta son guide.
« Voiture : véhicule usuel du vingtième au trente-sixième siècle », lut-elle tout bas avant de lever les yeux de son livre pour considérer la machine, qui lui parut misérable comparée aux productions de l’époque.
Jaune, fragile et abîmée, la voiture possédait en tout quatre roues et exhibait des sièges garnis (drôle d’idée) de peaux d’animaux morts — aussi morts que tout le reste ici.
Elle étudia les parties métalliques rouillées, toucha la vitre rayée sans doute prévue pour protéger du vent l’individu qui s’efforçait de diriger cet engin à l’aide de l’étrange roue que portait une tige s’élevant de guingois du plancher craquelé.
« Épouvantable », murmura-t-elle, incapable de trouver le moindre attrait à cette machine démodée.
Elle se détourna, avisa son armée dispersée et, ramenée au présent par la nécessité d’empêcher ses ouailles de démolir le bâtiment, se hâta de la regrouper.
Étage après étage, ils poursuivirent leur exploration. Dans ce labyrinthe de salles mal éclairées, de vastes assemblages d’ossements tenus par des fils de fer voulaient rappeler que, longtemps auparavant, des trucs appelés dinosaures régnaient en maîtres même s’ils ne valaient guère mieux que des rebuts désormais.
Pièces, salles, galeries, ces kilomètres d’exposition puaient l’antiquité. Les vitrines se succédaient : poteries, verreries, bijoux, machines, voitures. D’éternels gisants, se disait-elle. Faits d’os, de pierre et de métal rouillé.
Ils abordèrent un nouvel étage. Ayant perdu le compte, elle ignorait duquel il s’agissait. Il lui semblait avoir gravi des escaliers toute sa vie durant ; la volée de marches suivante ne pourrait que conduire au paradis.
Ils s’engagèrent dans une immense galerie plongée dans la pénombre. Les voix enfantines y papillonnaient comme des chauves-souris et se perdaient dans le silence massif. Ce sera bientôt fini, se dit-elle. Ils n’ont pas pu bâtir beaucoup plus haut.
Elle s’approcha du mur et s’affala sur un siège. Son regard blasé balaya le centre de la salle et s’arrêta sur une immense fusée au fuselage argenté, entourée d’une barrière, et dont le nez courtaud pointait vers le ciel — que le plafond dissimulait. Il y avait d’ailleurs quelque chose de déprimant à voir ce beau vaisseau enfermé à jamais.
Elle ouvrit son guide et y trouva une petite illustration qui représentait la fusée. Luna 1. Premier vaisseau à avoir atteint la Lune, disait la légende.
« Merveilleux, marmonna-t-elle avant de se tourner vers une petite fille qui approchait.
— On mange bientôt ? demanda cette dernière.
— Dès qu’on a fini cet étage », décida-t-elle tout à trac.
Tandis que la petite fille repartait en sautillant, elle s’adossa au mur. Quelle chaleur, là-dedans ! se dit-elle en fermant les yeux. Il fait chaud, ça pue le renfermé, et on ne voit que des antiquités. Un musée, c’est un vieux placard rempli de trucs rassis. Elle se sentit dodeliner de la tête… et se redressa d’un coup. Les yeux grands ouverts, elle scruta le vaisseau spatial muet.
« Toutes les choses anciennes sont bizarres. »
À peine l’avait-elle formulée que l’idée lui parut des plus pertinentes. Vaisseaux spatiaux, avions à réaction, missiles guidés, bombes atomiques : anciens, bizarres et inutiles, oui.
L’espace d’un instant, elle se laissa aller à rêvasser pour la première fois de la journée. C’était agréable de tout oublier, les yeux fermés, le corps alangui.
Tout à coup, rongée par le souci, elle leva les paupières.
Deux garçons se battaient par terre.
Elle se rua vers eux avec un sifflement de rage. « Arrêtez ça ! cracha-t-elle en les relevant de force. Vous êtes fous ? »
Les deux combattants se fusillaient du regard.
« Je finirai bien par t’avoir, promit l’un à l’autre.
— Encore une plaisanterie dans ce genre-là et j’envoie un joli mot à vos parents, menaça-t-elle. Ça vous plairait ? » Ils levèrent aussitôt les yeux vers elle. « Ça vous plairait ?
— Non, dirent-ils de concert en secouant la tête.
— Alors tâchez de mieux vous tenir. Par pitié. Toujours à vous battre. Vous n’avez donc rien appris ? »
Ils entrèrent dans la dernière pièce, un réduit relégué dans un coin de l’étage.
Une autre petite fille signala qu’elle avait faim. Le reste de la classe murmura et s’agita pour marquer son accord.
« On mange dès qu’on en a terminé ici ! promit-elle.
— Ouais ! dirent les garçons.
— Du calme ! Bon, je vous laisse admirer. Pour une fois, tâchez d’apprécier tout le savoir merveilleux que l’on a mis à votre disposition. » Ses yeux cherchèrent un banc.
Comme il n’y en avait pas, elle fit le tour de la pièce. Les enfants tournoyaient telles des feuilles mortes poussées par le vent : ils jetaient un coup d’œil dans une vitrine et, aussitôt, couraient à la suivante. Certains avaient déjà regagné la porte en prévision de la descente vers la cafétéria.
« Prenez au moins le temps de regarder », murmura-t-elle, irritée.
Elle se campa devant une vitrine, déterminée à lire chacun des mots du panonceau avant de céder à la volonté collective de sa classe.
Elle jeta un regard agacé sur la pièce exposée et la trouva très laide. De quoi s’agissait-il ?
Homo Sapiens, homme, disait le panonceau. La plupart des individus ont été détruits après l’invasion de la Terre en l’an 4726.
Espèce désormais éteinte.
Elle se retourna vers ses élèves. Regroupés en rangs serrés par leur appétit, ils attendaient en bon ordre.
« Oh ! j’abandonne », gémit-elle en les rejoignant. Tandis qu’ils dévalaient l’escalier, elle reprit la parole, moitié pour elle-même, moitié à leur adresse : « Et on repart tout de suite après le déjeuner. De toute manière, dans le reste du musée, il n’y a plus rien à voir que d’autres animaux morts. »
Titre original : Relics.
Initialement paru dans
Cemetery Dance, n° 31, mai 1999.
© 1999, by Richard Matheson.