CHAPITRE VI
— Alors, docteur ?
— Un peu de patience, commodore… Dans quelques minutes, nous recevrons les fiches.
Frank Maresco soupira et fit quelques pas dans la vaste pièce. Devant lui, par l’immense baie qui encerclait le bow-window, il découvrait la cité. Les buildings se dressaient, blancs et gracieux, parmi les espaces verts. Çà et là, de part et d’autre des rives de la Seine, les monuments historiques mettaient leurs notes désuètes. En dépit des immenses tours du sidéro-système reliant la Terre aux autres planètes du Martervénux, la petite tour Eiffel, soigneusement entretenue, gardait sa silhouette charmante, attestant qu’elle avait donné l’essor à cette forêt de flèches de métal.
La clinique du docteur Hartem était construite sur l’ancienne colline de Montrouge. L’antique Parc Montsouris s’étendait devant Maresco, qui laissait errer ses regards sur les petits mamelons où chantaient les parterres, où de nombreux enfants couraient, rieurs et turbulents, indifférents au monde volant qui passait sans cesse sur leurs têtes : avions-fusées, stratobus, hélicos privés, héliscooters biplaces, sans compter les plates-formes aériennes, lentes et majestueuses, de la Préfecture de Police, qui avait fort à faire pour discipliner la circulation aérienne.
À un certain moment, cependant, tous les gosses du parc se mirent à hurler en regardant le ciel. Mais c’était le départ du Terralune, l’astronef de six heures. Et tous, bien sûr, rêvaient de le prendre un jour. Certains d’entre eux, d’ailleurs, feraient le voyage pour les prochaines vacances, s’ils avaient des parents assez fortunés. Les autres, en colonies, se contenteraient des plages de Tahiti ou des plateaux brésiliens.
Hartem regardait Maresco. Celui-ci, le front à la vitre, offrait toujours l’aspect d’un homme impatient et préoccupé. L’éminent praticien jugea bon de reprendre le dialogue :
— Où en sont les expériences sur le moteur à gravitons ?
Maresco, arraché à sa songerie, revint vers le bureau du médecin :
— Les technocrates admettent que nous avons pu réussir là une capture du plus haut intérêt… Depuis un siècle, le Martervénux cherche à utiliser la pesanteur pour mouvoir les cosmonefs. Il est convenable de croire que les Hlls – si ce sont bien des Hlls qui ont construit cet appareil – ont trouvé le joint… Le moteur en question, fort simple d’aspect, utilise la force électrostatique des masses d’une manière qui demeure difficile à saisir. Mais nos technocrates ne désespèrent pas de comprendre…
— Je pense, mon cher Commodore, que vous avez eu droit à des félicitations, en haut lieu ?
Frank eut un petit rire amer :
— Oui. Cela compense un peu le blâme que je me suis vu infliger, pour avoir agi comme je l’ai fait, aux parages saturniens… On a fort mal pris mon expédition. On m’a accusé de partialité, presque d’abandon de poste… J’ai eu beau leur dire que j’aurais agi de même pour n’importe lequel de mes hommes… Mais c’était mon fils, vous comprenez !
Hartem eut un geste d’apaisement :
— Du moins avez-vous pris seul le risque d’attaquer cet engin, sans compromettre votre navire… On pouvait en tenir compte !
— Savez-vous, dit le commodore, que j’ai frisé la destitution ? N’est-on pas allé jusqu’à parler d’incapacité, voire de trahison ?… Moi ? Manquer à mon devoir !…
— Mais vous n’êtes pas revenu sans avoir demandé l’avis des autorités ?
— Certes ! On m’a accordé le retour… Je devais faire soigner mon fils, docteur… On a paru le comprendre ! Mais sans doute aurait-on préféré que je demeure sur Titan. Le commandant Gerbo me remplace… définitivement, soyez-en certain…
Il eut un geste sec, et conclut :
— Je ne regrette rien. J’ai bien travaillé pour la conquête de l’espace. J’ai réussi à ramener ici un engin comme on n’en a jamais soupçonné l’existence, et dont l’étude rendra de grands services à la science. Qu’on me flanque à la retraite, cela m’est égal… Ce qui compte…
— C’est la santé de votre fils et de… de cette jeune personne ! Vous permettez ?
Le docteur Hartem pressait un bouton, sur son vidéo.
— Mademoiselle Christiane ? Est-ce fait ?
— Les examens sont terminés, docteur. Le résultat dans une minute.
Hartem coupa la communication et regarda Maresco :
— Vous allez être satisfait, commodore. Nous saurons si, comme je le crois, votre fils est sorti indemne de l’aventure, et qui est cette jeune fille…
Dans la clinique où Frank avait conduit Alain et Lyra, un immense travail s’accomplissait. Les appareils ultrasensibles sondaient intimement les organismes, et des fiches s’établissaient automatiquement. Une légère sonnerie indiqua aux deux hommes que tout était au point. Devant Hartem, le vidéo commença à murmurer, d’une voix douce et nette, en jargon médical le contenu de la fiche de Lyra. En même temps, les papiers portant le texte du rapport tombaient, un par un, sur le bureau du médecin.
Frank écoutait, mais il comprenait assez mal. Crispé, il guettait les réactions de Hartem. Le praticien, dont le visage demeurait impassible, ne pouvait interdire l’éclat de ses yeux, indiquant un très vif intérêt. Ses doigts bien soignés caressaient les fiches qui tombaient, sans qu’il les lût, le vidéo se chargeant de lui en exposer la teneur.
— Voici pour la jeune fille, commodore…
— Alors… Humaine ?
— Parfaitement humaine. Constitution humanoïde intégrale. Vous ne pourrez reprocher à votre fils de vouloir épouser un monstre. (Il eut un petit rire.) Vos petits-enfants seront des humains… Admettez au moins que M. Alain Maresco ne manque pas de goût… Elle est très jolie, cette demoiselle Lyra !
— Si nous savions seulement qui elle est et d’où elle vient !
— N’ayez pas le complexe du beau-père ! C’est démodé ! Je conçois que vous ayez préféré que votre fils s’amourachât d’une Terrienne, ou tout au moins d’une fille des planètes sœurs…
— Mariable, alors ?
— Mais parfaitement. Nos examens attestent, ainsi que nous le pensions sans avoir besoin d’être grands clercs, que Lyra est née sur une planète éloignée de tout soleil. Sa pigmentation particulière est formelle. Elle serait donc née hors du système solaire ?
Frank leva les bras au ciel :
— Et mon fils…
— Votre fils est un homme, commodore. L’instinct demeure sûr, croyez-le, et il n’a pu être attiré que par une femme vraie, bien normale. D’un monde à l’autre, des sentiments toujours semblables unissent les représentants de notre race… Oui, je dis bien, notre race… Lyra, puisque Lyra il y a, est humaine. Cœur, poumons, foie, tous organes en bon état. Âge certain : dix-huit années terrestres. Signes particuliers…
Le médecin s’interrompit. Frank, qui avait très mal entendu le murmure du vidéo et ne s’était pas approché par discrétion, tiqua sur cette hésitation :
— Nous y voilà ! Il y a des signes particuliers…
Le docteur Hartem eut un sourire :
— Vous ne vous attendiez tout de même pas à ce que cette fille que vous avez ramenée de quatorze ou quinze cents millions de kilomètres fût exactement semblable à une petite Parisienne ?… Voyons, commodore… et ses yeux !
Frank crispa les mâchoires :
— Ils sont beaux, très beaux, les yeux de Lyra… Et ils fascinent mon gamin de fils, qui n’a pas vingt ans et qui, au lieu de songer à sa carrière, s’éprend brusquement d’une inconnue… à tous les sens du terme ! Des yeux qui m’inquiètent un peu, docteur… Mais que donne l’analyse ?
Hartem examinait une fiche. Maresco voyait qu’il s’agissait d’une radiographie, à une échelle réduite, comme les appareils en réalisaient afin de faciliter le classement des dossiers. Ce qui n’interdisait pas la plus grande précision.
— Je vous dirai simplement ceci, commodore. Les organes visuels de cette jeune personne font tache, absolument, dans le reste de son organisme…
— À quel point de vue… Pardon… je ne l’ai pas fait exprès !
Le médecin rit de la plaisanterie involontaire. Mais Frank, en effet, ne songeait nullement à rire.
— Voyons… petit détail : leur densité. Savez-vous que les yeux de Mlle Lyra se présentent, à l’intérieur de son corps, comme des « objets » indépendants du reste de l’organisme ? Oh ! ils vivent, ils sont réellement organiques. Mais leur densité, par exemple, est de 3,5.
— Trois virgule cinq… Je n’ai pas cela en tête. Cela correspond…
— Au poids spécifique du diamant !
Maresco regarda le savant d’un air interrogateur.
— Oui, reprit Hartem. Je le pressentais un peu, je vous l’avoue. La jeune personne que votre fils prétend épouser offre cette particularité. Tout ce qui constitue l’habitat de la cavité orbitale, chez elle, est d’une teneur en tissus minéralisés tout à fait exceptionnelle. Vous le savez, nous autres, hommes, sommes fabriqués de toutes pièces avec du phosphore, du calcium, de l’eau, du souffre… Je n’en finirais pas. Imaginez que votre future belle-fille ait la faculté d’avoir des yeux… mettons : différents.
— Mais ils fonctionnent, ces yeux ! Lyra ne connaît qu’à peine la langue terrestre et nous avons bien du mal à échanger des propos, sinon par télépathie, ce qui est épuisant ! Jamais elle ne fait la moindre allusion à cela. Elle semble voir normalement !
— Et elle voit, croyez-moi ! Sa chambre noire est aussi simple que celle de n’importe quel être constitué et sa rétine… diamantifère communique l’image au cerveau par le truchement d’un nerf optique.
— Normal ?
— Oui. Du moins dans son trajet général. Au départ, il y a jonction, si je puis dire, et l’analyse a démontré que, là encore, la densité en carbone pur du tissu est exceptionnelle.
Frank passa une main agacée sur son front.
Hartem leva la fiche-radio.
— Voulez-vous voir, commodore ?… Oh ! certes, cette radio de la tête, une radio générale, n’est pas très nette. Voyez-vous ces rayonnements, ils semblent éclater à partir de certains points.
— À partir des yeux !
— Oui. Comme s’il y avait là une série de prismes, entassés dans un ordre quelque peu fantaisiste, et produisant des phénomènes de biréfringence. Les rayons X dévient, changent totalement de direction, forment une sorte de touffe, mieux, de gerbe dispersive. Certains se recoupent d’ailleurs, créant cette sorte de brouillard très perceptible sur le cliché. Remarquez que la nébulosité ne comporte aucune ligne de base en courbe, tout en droites, ce qui indique bien un prisme, ou plutôt une multitude de prismes miniatures qui décomposent la luminosité du rayon introspectif.
— Ce qui revient à dire ?
— Ce qui prouve, commodore, que votre fils, dans le langage poétique des amants, doit quelquefois dire à sa belle, tout en lui enseignant les rudiments de notre langage terrestre : « Vos yeux sont les diamants qui enrichissent ma vie ! » ou quelque fadaise d’un autre siècle. Mais, pour une fois, la métaphore n’est pas complètement idiote !
— Des yeux de diamant !
La sonnerie retentit pour la seconde fois. Et le vidéo recommença à murmurer. Hartem se pencha vers l’appareil qui lui parlait avec douceur tandis qu’une nouvelle série de fiches arrivait sur son bureau. Frank devina aisément que les laboratoires envoyaient au grand patron les résultats de l’examen d’Alain. Il s’éloigna vers le bow-window, et dans la lumière de fin d’après-midi qui dorait Paris, il éleva le cliché, le regarda en transparence.
— Commodore… Venez voir ! Ne vous inquiétez pas, tout va bien !
Il s’était levé, venait à la rencontre de Maresco. Il lui assura la santé parfaite de son fils. Ses aventures spatiales et son séjour dans le sarcophage où Frank l’avait retrouvé n’avaient nullement atteint son équilibre. D’ailleurs, les fameux sarcophages, à l’examen, n’avaient paru rien d’autre que des lits d’hibernation, susceptibles d’emmener les sujets sans ennui, sans fatigue, sans émotion, durant un voyage qui pouvait durer des mois terrestres, même à la vitesse prestigieuse atteinte grâce au moteur à gravitons.
— Rien ? Vraiment rien, docteur ? Je vous ai raconté ce qu’Alain lui-même m’a fait savoir, dès que j’ai pu le libérer. Ce Mercurien que j’ai dû abattre, ce Zaano qui convoyait dans l’espace Lyra et ce garçon nommé Arvuul, tué accidentellement lors de la relâche sur Titan, a voulu obliger mon fils à le remplacer dans le sarcophage, après avoir désintégré son corps. Par ruse, il a fait boire à Alain une liqueur de couleur pourpre que nous n’avons plus retrouvée à bord. C’est de ce moment que date l’émotion de Lyra, c’est là qu’elle a commencé à exprimer ses sentiments à l’égard de mon fils…
— Elle l’aimerait donc aussi ? Joli couple en perspective ! Mais…
Frank le scruta du regard.
— Vous hésitez ! Il y a quelque point particulier… Chez Alain ?
Le praticien opina de la tête.
— Grave ?
La voix du commodore s’était altérée. Hartem l’arrêta tout de suite :
— Je vous ai dit à l’instant : tout va bien. C’est qu’Alain Maresco n’a nullement souffert de tout cela et qu’il demeure un garçon de dix-neuf ans parfaitement en forme, comme disaient nos pères. Non. Ce sont ses yeux, à lui aussi.
— Mille bolides ! Que ne le disiez-vous plus tôt ? Alain a des yeux en diamant ? Je vais devenir fou ! Aussi fou que lui qui veut épouser une créature fabriquée comme une poupée-robot !
La main un peu boudinée du médecin se posa doucement sur l’épaule du bouillant conquérant interplanétaire :
— Je vous en prie, mon cher ami… Prenons ensemble cette radio. Ceci représente la tête de votre fils, prise en coupe et…
— Par tous les démons de Mars ! On voit encore des rayons farfelus !
— Oui. Mais c’est infinitésimal. On pourrait les prendre, au premier abord, pour quelque défaut du cliché. En réalité, ils sont de même nature que ceux qui abondent sur la radio de Mlle Lyra. À une échelle mille fois plus réduite.
— Mais ils sont là. Qu’indiquent-ils ?
Hartem, en dépit de son habitude de renseigner les patients sur un état sanitaire quelquefois tragique, parut légèrement embarrassé.
— Eh bien, ils indiquent… que votre fils présente des traces… je dis bien des traces… de carbone pur en teneur extrêmement réduite à l’intérieur des divers organes de la vue : cornée, pupille, iris, sclérotique, sont saturés de ce que j’appellerais une solution de carbone, d’ailleurs indiquée par l’analyse du rayonnement. Le spectre en est formel. Des cellules cubiques de l’épithélium aux milliards de fibrilles qui donnent à l’œil la vie et le mouvement, il y a du carbone. Infiniment moins que dans le regard de Lyra, qui en est imprégnée à tel point que le métabolisme basal de ses yeux approche de celui du diamant tout en restant composé de cellules vivantes, mais bien plus que chez l’homme normal, lequel, vous le savez, est tout de même tributaire d’un mode de vie dont ledit carbone est le tremplin.
Un instant, les deux hommes gardèrent le silence. Frank était plongé dans ses réflexions. Hartem l’observait.
— Docteur, dit enfin le commodore, croyez-vous… je vous supplie de ne pas me ménager, que ceci présente, pour mon fils, pour sa vue, par exemple, quelque danger, dans l’avenir ?
Hartem répliqua, posément :
— Je ne puis me prononcer. Je me trouve devant un cas absolument unique. Certes, sans la comparaison avec Mlle Lyra, je dirais que le caractère particulier de l’examen spectroscopique du crâne d’Alain Maresco émet un léger rayonnement consécutif à la présence de cellules minérales voisines de la poussière de diamant, et que ce fait est encore inconnu de la science. Particularité, dans ce domaine, équivaut quelquefois à alarme…
— Vous voyez bien !
— Mais il n’en est pas moins vrai que c’est bien peu de chose en comparaison avec les yeux de sa… fiancée. Or, elle voit parfaitement !
Frank, en homme positif, était dévoré de curiosité :
— L’origine de cela ?
— Chez elle ? Je l’ignore absolument. Chez votre fils…
— Vous n’allez pas me dire que c’est congénital ? Et que ma femme (qui était, je vous l’assure, la créature la plus adorable et la plus normale) et moi-même, avons engendré un garçon dont les yeux sont d’une contexture aussi extravagante ?
— Certes, non, commodore. Même si je vous soumettais à pareil examen, je suis sûr que je vous trouverais parfaitement normal. Toutefois…
Il eut un petit soupir de regret :
— Quel dommage que vous n’ayez pu ramener, avec l’engin-bolide que vous avez capturé, cette liqueur pourpre ingurgitée par votre fils.
Mais c’était un fait. L’astronef mercurien, fouillé de fond en comble, avait présenté bien des particularités et ne livrait que petit à petit tous ses secrets. L’élixir solaire décrit par Alain avait disparu. Comme le corps du jeune Arvuul, désintégré de façon inconnue par les soins du Mercurien.
Une pensée traversa l’esprit de Frank, qui demanda :
— Docteur, le corps humain est carbone, du moins partiellement. Est-il donc hérétique de supposer qu’en vertu d’une évolution qui nous échappe, ce carbone vulgaire ne puisse remonter à la pureté totale ?
— Non. Mais cela est exclu durant la vie organique. Du moins aucune découverte ne nous a jamais fait croire le contraire. C’est après la décomposition, puis la fossilisation, que la lente, très lente remontée peut commencer. Encore n’est-ce probable qu’à partir du déchet végétal que des millénaires amènent au charbon, puis au cours de temps interminables, au cycle plombagine-graphite-diamant. De là à penser qu’un être humain puisse donner naissance au diamant, il y a une sacrée marge, convenons-en ! Encore ne serait-ce qu’une hypothèse ! Je sais bien qu’il est admis que ce même carbone, cellule minérale inerte, est susceptible de capter la Vie, dont le mécanisme nous échappe et nous échappera toujours…
— Ce serait donc le processus inverse ? Une sorte de balancement, d’oscillation entre le carbone-humanoïde et le carbone-diamant, état pur ?
— Vous m’avez parfaitement compris !
Un cosmobus passa en vrombissant. Il était encore très loin et se dirigeait vers l’aérodrome d’Orly. Mais son entrée dans l’atmosphère ébranlait rudement les couches successives. Le docteur Hartem allumait posément une cigarette, en offrait une à Maresco.
Ce dernier allait de long en large dans le vaste bureau et sa haute silhouette fonçait sur le fond de ciel que le crépuscule caressait doucement. Vainqueur des planètes, conquérant inlassable, il était décontenancé par le mystère devant lequel il se trouvait, et il pressentait l’invisible étau qui se refermait autour de son fils.
— D’autres questions, docteur. L’examen psychologique ?
— Ah ! là, c’est autre chose !
— Lui… ? Elle… ?
— Lui. Absolument normal. Je vous en donne ma parole. Elle… il faut avouer que sa pensée nous déroute un peu. Mais n’oubliez pas les difficultés engendrées lors des premiers contacts avec les Centauriens. Il n’aura fallu cependant qu’une génération ou deux pour que l’humanité assistât à des mariages interplanétaires. Qui ont donné souvent de très bons ménages, ne l’oubliez pas, commodore. Et produit des races nouvelles, physiologiquement et psychologiquement fort satisfaisantes…
— Mais… Lyra ?
— Nous ne savons même pas quelle est son origine. Elle commence à peine à s’exprimer dans notre langue. Nos contrôles la donnent comme intelligente, quoique peu instruite. Elle est du type mystique. Passionnée, sincère, et son esprit est peu entaché de pensées impures ou malsaines.
De nouveau, il eut le bon petit rire du praticien :
— Sur la Terre, on la dirait : une jeune fille bien élevée, sortant de quelque couvent !
— Il serait intéressant de savoir précisément quel dieu elle adore ! Mon fils vous l’a dit, dans ses conversations télépathiques avec Zaano, il était question d’un « Maître ».
— Quelque chef de secte ! Savons-nous ce qui se passe sur les corps célestes si éloignés du Soleil ?
— Mais justement ! s’écria Maresco. Le nommé Zaano a posé à mon fils des questions absurdes relatives à son amour du Soleil, à la vie au Soleil… Et ils ont parlé, l’un et l’autre, de sang du Soleil. Ce qui ne semble rien vouloir dire !
— Du moins pour nous !
Frank regarda le médecin en face :
— Vous le devinez, je désapprouve tout projet d’union entre mon fils et Lyra. Toutefois, si c’est son bonheur, je suis encore capable de m’incliner. Mais je voudrais, à minima, être sûr qu’il ne va pas unir sa destinée à une déséquilibrée !
Hartem fut formel :
— Cela, je vous le garantis. Lyra est normale. Nous pourrions la considérer comme une personne d’origine exotique. Cela se pratique depuis la création du monde. Banale histoire ! Un garçon rencontre une étrangère, de race, de religion, de couleur… Il veut l’épouser. La famille proteste. Un roman d’autrefois ! Nous sommes en 2289 !
— Les garçons sont toujours aussi stupides, soupira le commodore. Ils s’éprennent à tort et à travers de filles qui…
— Peut-être, intervint le médecin, les circonstances romanesques de leur rencontre ont-elles favorisé cette passion… qui peut s’éteindre à la longue !
Mais Frank n’était pas convaincu. Pas du tout. Alain le lui avait dit respectueusement, mais fermement. Il ne savait pas grand-chose de Lyra. Sinon qu’il l’aimait. Et c’était bien ce qui désolait le commodore des espaces.