Nunc est bibendum, nunc pede libero

Pulsanda tellus............

Et quant aux mains ils les tiennent fermées, & les bras en l'air en forme d'un homme qui menace, avec mouvement d'iceux. Au regard de la voix il n'y en a qu'un qui chante, soit homme ou femme; Tout le reste fait & dit, Het, het, comme quelqu'un qui aspire avec vehemence: & au bout de chacune chanson ilz font tous une haute & longue exclamation, disans Hé!!! Pour étre mieux dispos ilz se mettent ordinairement tout nuds, par ce que leurs robbes de peaux les empechent: Et s'ils ont quelques tétes ou bras de leurs ennemis, ilz les portent pendus au con, dansans avec ce beau joyau, dans lequel ilz mordent quelquefois, tant est grande leur haine méme dessus les morts. Et pour finir ce chapitre par son commencement, ilz ne font jamais de Tabagie que la danse ne s'ensuive: & aprés s'ils prent envie au Sagamos, selon l'état de leurs affaires, il haranguera une, deux, ou trois heures, & chaque remontrance demandant l'avis de la compagnie, si elle approuve ce qu'il propose, chacun criera en Hé!!! en signe d'avoeu & ratification. En quoy il est fort ententivement écouté, comme nous avons veu mainte fois: & méme lors que le sieur de Poutrincourt faisoit la Tabagie à nos Sauvages, Membertou aprés la danse haranguoit avec une telle vehemence, qu'il étonnoit le monde, remontrant les courtoisies & témoignages d'amitié qu'ilz recevoient des François, ce qu'ils en pouvoient esperer à l'avenir: combien la presence d'iceux leur étoit utile, voire necessaire, pour ce qu'ilz dormoient seurement; & n'avoient crainte de leurs ennemis, &c.




CHAP. XV

De la disposition corporele: & de la Medecine
& Chirurgie.

ous avons dit au prochain chapitre que la danse est utile à la conservation de la santé. C'est aussi l'un des sujets pourquoy noz Sauvages s'y plaisent. Mais ils ont encore d'autres preservatifs, dont ils usent souvent, c'est à sçavoir les sueurs, par léquelles ilz previennent les maladies. Car ilz sont quelquefois touchez de cette Phthisie de laquelles furent endommagez les gens du Capitaine Jacques Quartier, & du sieur de Monts, ce qui toutefois est rare: & quand cela vient ils ont eu ci-devant en Canada l'arbre Annedda, (que j'appelle l'arbre de vie, pour son excellence) duquel ilz se guerissoient & au païs des Armouchiquois ils ont encore le Salsafras, & l'Esquine en la Floride. Les Souriquois qui n'ont point ces sortes de bois usent de sueurs que nous avons dit, & pour Medecins ils ont leurs Aoutmoins, léquels à cet effect creusent dans terre, & font uns fosse qu'ilz couvrent de bois, & de groz grez pardessus: puis y mettent le feu par un conduit, & le boie étant brulé ilz font un berceau de perche, lequel ilz couvrent de tout ce qu'ils ont de peaux & autres couvertures, si bien que l'air n'y entre point jettent de l'eau sur lédits grez, & les couvrent puis se mettent dans ledit berceau, & avec des battemens l'Autmoins chantant, & les autres disans (comme en leurs danses) Het, hét, het, ilz se font suer. S'il arrive qu'ilz tombent en maladie (car il faut en fin mourir) l'Autmoin souffle avec des exorcismes, la partie dolente, la leche & succe: & si cela n'est assez il donne la seignée au patient en lui dechiquetant la chair avec le bout d'un couteau, ou autre chose. Que s'ilz ne guerissent toujours il faut considerer que les nôtres ne le font pas.

En la Floride ils ont leurs Jarvars, qui portent continuellement un sac plein d'herbes & drogueries, qui sont la plus-part de verole: & sufflent les parties dolentes jusques à en tirer le sang.

Les medecins des Bresiliens sont nommez Pagés entre eux (ce ne sont point leurs Caraïbes, ou devins) qui en sucçant, comme dessus, s'efforcent de guerir les maladies. Mais ils en ont une incurable qu'ilz nomment Pians, provenant de paillardise, laquelle neantmoins les petits enfans ont quelquefois, ainsi que pardeça ceux qui sont pocquerez de verole, ce qui leur vient (à mon avis) de la corruption des peres & meres. Cette contagion se convertit en pustules plus larges que le poulce, léquelles s'épandent par tout le corps, & jusques au visage, & en étans touchés ils en portent les marques toute leur vie, plus laids que des ladres, tant Bresiliens, que d'autre nation. Pour le traitement du malade ilz ne lui donnent rien s'il ne demande, & sans s'en soucier autrement ne laissent point de faire leurs bruits & tintamarres en sa presence, beuvans, sautans, & chantans selon leur coutume.

Quant aux playes, les Autmoins de nos Souriquois & leurs voisins les lechent & succent, se servans du roignon de Castor, duquel ilz mettent une rouelle sur la playe, & se consolide ainsi. Les vieux Allemans (dit Tacite) n'ayant encor l'art de Chirurgie, en faisoient de méme: Ilz rapportent (ce fait-il) leurs playes à leurs meres & à leurs femmes, léquelles n'ont point d'effroy de les conter, ni de les succer: voire leur portent à vivre au camp, & les exhortent à bien combattre: si bien que quelquefois les armées branlantes ont eté remises par les prieres des femmes, ouvrans leurs poitrines à leurs maris. Et depuis se sont volontiers servi de leurs avis & conseils, auquels ils estiment qu'il y a quelque chose de saint.

Et comme entre les Chrétiens plusieurs ne se soucians de Dieu que par benefice d'inventaire, cherchent la guerison de leurs playes par charmes & l'aide des devins: ainsi entre noz Sauvages l'Autmoin ayant quelque blessé à penser interroge souvent son dæmon, pour sçavoir s'il guerira ou non: & jamais n'a de reponse que par si (si tant est que le dæmon parle à eux). Il y en a quelquefois qui font des cures incroyables comme de guerir un qui auroit le bras coupé. Ce que toutefois je ne sçay si je doy trouver étrange quand je considere ce qu'écrit le sieur de Busbeque au discours se son ambassade en Turquie, Epitre quatriéme.

Approchans du Bude, le Bassa nous envoye au-devant quelques uns de ses domestiques, avec plusieurs heraux & officiers: Mais entre autre une belle troupe de jeunes hommes à cheval remarquables à-cause de la nouveauté de leur equipage. Ils avoient la téte découverte & rase, sur laquelle ils avoient fait une longue taillade sanglante, & fourré diverses plumes d'oiseaux dedans la playe, dont ruisseloit le pur sang: mais au lieu d'en faire semblant ils marchoient à face riante, & la téte levée. Devant moy cheminoient quelques pietons, l'un déquels avoit les bras nuds, & sur les côtez: chacun déquelz bras au dessus du coulde étoit percé d'outre en outre d'un couteau qui y étoit. Un autre étoit decouvert depuis la téte jusques au nombril, ayant la peau des reins tellement découpée haut & bas en deux endroits qu'à-travers il avoit fait passer une masse d'armes, qu'il portoit comme nous ferions un coutelas en écharpe. J'en vis un autre lequel avoit fiché sur le sommet de sa téte un fer de cheval avec plusieurs clous, & des si long temps, que les clous s'étoient tellement prins & attachés à la chair, qu'ilz ne bougeoient plus. Nous entrames en cette pompe dans Bude, & fumes menés au logis du Bassa avec lequel je traitay de mes affaires. Toute cette jeunesse peu soucieuse de blessures étoit dans la basse cour du logis: & comme je m'amusois à les regarder, le Bassa m'enquit & demanda ce qu'il me sembloit: Tout bien, fis-je, excepté que ces gens là font de la peau de leurs corps ce que je ne voudroy pas faire de ma robbe: car j'essayeroy de la garder entiere. Le Bassa se print à rire, & nous donna congé.

Noz Sauvages font bien quelquefois des épreuves de leur constance, mais il faut confesser que ce n'est rien au pris de ceci. Car tout ce qu'ilz font est de mettre des charbons ardans sur les bras, & laisser bruler le cuir, de sorte que les marques y demeurent toujours: ce qu'ilz font aussi en autres endroits du corps, & montrent ces marques pour dire qu'ils ont grand courage. Mais l'ancien Mutius Scevola en avoit bien fait davantage, rotissant courageusement son bras au feu aprés avoir failli à tuer le Roy Porsenna. Si ceci étoit mon sujet je representeroy les coutumes des Lacedæmoniens qui faisoient tous les ans une féte à l'honneur de Diane, où les jeunes garçons s'éprouvoient à se fouetter: Item la coutume des anciens Perses, léquels adorans le Soleil, qu'ils appelloient Mithra, nul ne pouvoit étre receu à la confrairie qu'il n'eût donné à conoitre sa constance par quatre-vintz sortes de tourmens, du feu, de l'eau, du jeune, de la solitude, & autres.

Mais revenons à noz Medecins & Chirurgiens Sauvages. Jaçoit que le nombre en soit petit, si est-ce que l'esperance de leur vie ne git point du tout en ce metier. Car pour les maladies ordinaires elles sont si rares pardela que le vers d'Ovide leur eut bien étre approprié:

Si valeant homines ars tua Phoebe jacet:

en disant Si, pro Quia. Aussi ces peuples vivent-ils un long âge, qui est ordinairement de sept ou huit-vints ans. Et s'ils avoient noz commoditez de vivre par prevoyance, & l'industrie de recuillir l'Eté pour l'Hiver, je croy qu'ilz vivroient plus de trois cens ans. Ce qui se peut conjecturer par le rapport que nous avoit fait ci-dessus d'un vieillart en la Floride lequel avoit vécu ce grand âge. De sorte que ce n'est miracle particulier ce que dit Pline que les Pandoriens vivent deux cens ans, ou que ceux de la Taprobane sont encores alaigres à cent ans. Car Membertou a plus de cent ans, & n'a point un cheveu de la téte blanc, ains seulement la barbe melée, & tels ordinairement sont les autres. Qui plus est, en tout âge ils ont toutes leurs dents, & vont à téte nue, sans se soucier de faire au moins des chapeaux de leurs cuirs, comme firent les premiers qui en userent au monde de deça. Car ceux du Peloponnese, & les Lacedemoniens appelloient un chapeau [Grec: kugê], que Julius Pollux dit signifier une peau de chien. Et de ces chapeaux usent encore aujourd'hui les peuples septentrionaux, mais ilz sont bien fourrez.

Ce qui ayde encore à la santé de noz Sauvages, est la concorde qu'ils ont entre eux, & le peu de soin qu'ilz prennent pour avoir les commoditez de cette vie, pour léquelles nous nous tourmentons. Ilz n'ont cette ambition qui pardeça ronge les esprits, & les remplit de soucis, forçant les hommes aveuglés de marcher en la fleur de leur âge au tombeau, & quelquefois à servir de spectacle honteux à un supplice public.

J'ose bien attribuer aussi la cause de cette disposition & longue santé de noz Sauvages à leur façon de vivre qui est à l'antique, sans appareil. Car chacun est d'accord que la sobrieté est le mere de santé. Et bien qu'ilz facent quelquefois des excés en leurs Tabagies, ilz font assez de diete aprés, vivans quelquefois six jours, plus ou moins, de fumée de Petun, & ne retournans point à la chasse qu'ilz ne commencent à avoir faim. Et d'ailleurs qu'étans alaigres ilz ne manquent point d'exercice soit d'une part, soit d'une autre. Bref il ne parle point entre eux de ces âges tronquez qui ne passent point quarante ans, qui est la vie de certains peuples d'Æthiopie (ce dit Pline) qui vivent de locustes (ou sauterelles) salées & sechées à la fumée. Aussi la corruption n'est-elle point entre eux, qui est la mere nourrice des Medecins & des Magistrats, & de la multiplicité des Officiers, & des Concionateurs publics, creés & institués pour y donner ordre, & retrencher le mal. Et neantmoins c'est signe d'une cité bien malade où ces sortes de gens abondent. Ilz n'ont point de procés bourreaux de noz vies, à la poursuitte déquels il faut consommer nos âges & noz moyens, & bien souvent on n'a point ce qui est juste, soit par l'ignorance du Juge, à qui on aura deguis; le fait, soit par la malice, ou par la mechanceté d'un Procureur qui vendra sa partie. Et de telles afflictions viennent les pleurs, chagrins, & desolations, qui nous meinent au tombeau avant le terme. Car tristesse (dit le sage) en a tué beaucoup, & n'y a point de profit en elle. Envie & dépit abbrege la vie, & souci amene vieillesse devant le temps. Mais la liesse du coeur est la vie de l'homme, & la rejouissance de l'homme lui allonge la vie.




CHAP. XVI

Exercices des hommes.

PRES la santé, parlons des exercices qui en sont suppors & protecteurs. Noz Sauvages n'ont aucun exercice sordide, tout leur déduit étant ou la Guerre ou la Chasse (déquelz nous parlerons à-part) ou faire les outilz propres à cela (ainsi que Cesar témoigne des anciens Allemans) ou dance (& de ce nous avons desja parlé) ou passer le temps au jeu. Ilz font donc des arcs & fleches, arcs qui sont forts, & sans mignardise. Quant aux fleches c'est chose digne d'etonnement comme ilz les peuvent faire si longues, & si droites avec un couteau, voire avec une pierre tant seulement là où ilz n'ont point de couteaux. Ilz les empennent de plumes de queue d'Aigle, parce qu'elles sont fermes, & les font bien porter en l'air: & lors qu'ils en ont faute ilz bailleront une peau de Castor, voire deux, pour recouvrer une de ces queues. Pour la pointe, les Sauvages qui ont le traffic avec les François, y mettent au bout des fers qu'on leur porte. Mais les Armouchiquois, & autres plus éloignez n'ont que des os faits en langue de serpent, ou des queues d'un certain poisson appellé Sicnau, lequel poisson se trouve aussi en Virginia souz le méme nom (du moins l'historien Anglois l'a écrit Seekanauk) Ce poisson et comme une écrevisse logé dans une coquille fort dure, grande comme une écuelle, au bout de laquelle est une pointe longue & fort dure. Il a les yeux sur le dos, & est bons à manger.

Ilz font aussi des Masses de bois en forme de crosse, pour la guerre, & des Pavois qui couvrent tout le corps, ainsi qu'avoient nos anciens Gaullois. Quant aux carquois, c'est du métier des femmes.

Pour l'usage de la Pecherie, les Armouchiquois (qui ont le la chanve) font des lignes à pecher, mais les nôtres qui n'ont aucune culture de terre, en troquent avec les François, comme aussi des haims à appâter les poissons: seulement ilz font avec des boyaux, des cordes d'arcs, & des Raquettes qu'ilz s'attachent aux piez pour aller sur la nege à la chasse.

Et d'autant que la necessité de la vie les contraint de changer souvent de place, soit pour la pecherie (car chacun endroit ha ses poissons particuliers, qui y viennent en certaine saison) ils ont besoin de chevaux au changement pour porter leur bagage. Ces chevaux sont des Canots & petites nasselles d'écorces, qui vont legerement au possible sans voile. Là dedans changeans de lieu ilz mettent tout ce qu'ils ont, femmes, enfans, chiens, chauderons, haches, matachiaz, arcs, fleches, carquois, peaux, & couvertures de maisons. Ilz sont faits en telle sorte qu'il ne faut point vaciller, ni se tenir droit, quand on est dedans, ains étre accroupi, ou assis au fond, autrement la marchandise renverseroit. Ilz sont larges de quatre piés ou environ, par le milieu, & vont en appointissant par les extremitez, & la pointe relevée pour commodement passer sur les vagues. J'ay dit qu'ilz les font d'ecorces d'arbres, pour léquelles tenir en mesure, ilz les garnissent par-dedans de demi cercles de bois de Cedre, bous fort soupple & obeïssant, dequoy fut faite l'Arche de Noé. Et afin que l'eau n'entre point dedans, ils enduisent les coutures (qui joignent lesdites écorces ensemble, lesquelles ilz font de racines) avec de la gomme de sapins. Ils en font aussi d'oziers fort proprement, léquels ils enduisent de la méme matiere gluante de sapins: chose qui témoigne qu'ilz ne manquent point d'esprit là où la necessité les presse.

Plusieurs nations de deça en ont eu de méme au temps passé. Si nous recherchons l'Ecriture sainte nus trouverons que la mere de Moyse voyant qu'elle ne pouvoit plus celer son enfant, elle le mit dans un coffret (c'est à dire un petit Canot: car l'Arche de Noé & ce Coffret est un méme mot, Teva, en Hebrieu) fait de joncs, & l'enduisit de bitume & de poix: puis mit l'enfant en icelui, & le posa en un rosier sur la rive du fleuve. Et le Prophete Esaie menaçant les Æthiopiens & Assyriens: Malheur (dit-il) sur le païs qui envoye par mer des Ambassadeurs en des vaisseaux de papier (ou joncs) sur les eaux, disant: Allez Messagers vitement, &c. Les Ægyptiens voisins des Æthiopiens avoient au temps de Jules Cæsar des vaisseaux de méme, c'est à sçavoir de papier, qui est une écorce d'arbre, témoin Lucain en ce vers:

Consuitur bibula Memphitis cymba papyro.

Mais venons de l'Orient & Midi au Septentrion. Pline dit qu'anciennement les Anglois & Ecossois alloient querir de l'étain en l'ile de Mictis avec des canots d'oziers cousus en cuir. Solin en dit autant, & Isidore, lequel appelle cette façon de canots Carabue fait d'oziers & environné de cuir de boeuf tout crud, duquel (ce dit-il) usent les pyrates Saxons, qui avec ces instrumens sont legers à la fuite. Sidoine de Polignac parlant des mémes Saxons dit:

......cut pelle salum sulcare Brittannum

Ludus, & assute glaucum mare findere lembo.

Les Sauvages du Nort vers Labrador ont de certains petits canots long de treze ou quatorze piez, & larges de deux, faits de cette façon tout couvert de cuir, méme par-dessus, & n'y a qu'un trou au milieu où l'homme se met à genoux, ayant la moitié du corps dehors, si bien qu'il ne sçauroit perir, garnissant son vaisseau de vivre avant qu'y entrer. J'ose croire que la fable des Syrenes vient de là, les lourdaus estimans que ce fussent poissons à moitié hommes ou femmes, ainsi qu'on a feint des Centaures pour avoir veu des hommes à cheval.

Les Armouchiquois, Virginiens, Floridiens, & Bresiliens font d'une autre façon leurs canots (ou canoas). Car n'ayans ni haches, ni couteaux (sinon quelques uns de cuivre) ilz brulent un grand arbre bien droit, par le pié, & le font tomber, puis prennent la longueur qu'ilz desirent, & se servent de feu au lieu de scie, grattans le bois brulé avec des pierres: & pour le creusement du vaisseau ilz font encore de méme. Là dedans ils se mettront demie douzaine d'hommes avec quelque bagage, & feront de grans voyages. Mais de cette sorte ilz sont plus pesans que les autres.

Or font-ils aussi des voyages par terre aussi bien que par mer, & entreprendront (chose incroyable) d'aller vint, trente, & quarante lieuës par les bois, sans rencontrer ni sentier, ni hôtellerie, & sans porter aucuns vivres, fors du Petun, & un fusil, avec l'arc au poin, le carquois sur le dos. Et nous en France sommes bien empechez quand nous sommes tant soit peu égarez dans quelque grande forét. S'ilz sont pressez de soif ils ont l'industrie de succer certains arbres, d'où distille une douce & fort agreable liqueur, comme je l'ay experimenté quelquefois.

Au païs de labeur, comme des Armouchiquois, & plus outre continuellement, les hommes font de la poterie de terre en façon de bonnet de nuit, dans quoy ils font cuire leurs viandes chair, poisson, féves, blé, courges, &c. Noz Souriquois en faisoient aussi anciennement à labouroient la terre, mais depuis que les François leur portent des chauderons, des féves, pois biscuit, & autres mangeailles, ilz sont devenus paresseux, & n'ont plus tenu conte de ces exercices. Mais quant aux Armouchiquois qui n'ont encore aucun commerce avec nous, & ceux qui sont plus éloignés, ilz cultivent la terre, l'engraissent avec des coquillages, ils ont leurs familles distinctes, & leurs parterres alentour, au contraire des anciens Allemans qui (ce dit Cæsar) n'avoient aucun champ propre, & ne demeuroient plus d'un an en un lieu, ne vivans préque que de laictage, chair, & fromage, leur étant chose trop ennuieuse d'attendre un an de pié quoy pour recuillir une moisson. Ce qui est aussi de l'humeur de noz Souriquois & Canadiens, léquels il faut confesser n'étre point laborieux qu'à la chasse. Et quant aux Armouchiquois, ilz doivent le fruit qu'ilz reçoivent de la terre à leurs femmes, qui ont la peine de la cultiver, & ce avec un croc de bois, comme j'ay dit ailleurs, étans employées à toutes oeuvres serviles. Et par ainsi n'ont aucune commandement, ne font filer la quenouille à leurs maris, & ne les envoyent au marché, comme en plusieurs provinces de deça, & particulierement au païs de la jalousie.

Au regard du labourage des Floridiens, voici ce que Laudonniere en dit:

Ilz sement leur mil deux fois l'année, c'est à dire en Mars, & en Juin, & tout en une méme terre. Ledit mil, depuis qu'il est semé jusques à ce qu'il soit prét à cuillir, n'est que trois mois. Les six autres mois ilz laissent reposer la terre. Ilz recuillent aussi des belles citrouilles & de fort bonne féves. Ilz ne fument point leur terre: seulement quand ilz veulent semer, ilz mettent le feu dedans les les herbes qui sont creues durant les six mois, & les font toutes bruler. Ilz labourent leur terre d'un instrument de bois qui est fait comme une mare ou houe large, dequoy l'on laboure les vignes en France: ilz mettent deux grans de mil ensemble. Quant il faut ensemencer les terres, le Roy commande à un des siens de faire tous les jours assembler ses sujets pour se trouver au labeur, durant lequel le Roy leur fait faire force breuvage duquel nous avons parlé. En la saison que l'on recueille le mil, il est tout porté en la maison publique, là où il est distribué à chacun selon sa qualité. Ilz ne sement que ce qu'ilz pensent qui leur est necessaire pour six mois, encore bien petitement: car durant l'Hiver, ilz se retirent trois ou quatre mois de l'année dedans les bois: là où ilz font de petites maisons de palmites pour se tenir à couvert, & vivent là de gland, de poisson qu'ilz pechent, d'huitres, de cerfs, poules d'Inde, & autres animaux qu'ilz prennent.

Et puis qu'ils ont des villes & maisons, ou cabannes, je puis bien encore mettre ceci entre leurs exercices. Quant aux villes ce sont multitude de cabannes faites les unes en pyramides, les autres en forme de toict, les autres comme des berceaux de jardin, environnées comme de haute pallissades d'arbres joints l'un auprés de l'autre, ainsi que j'ay representé la ville de Hochelaga en ma Charte de la grande riviere de Canada. Au surplus ne se faut étonner de cette face de ville qui pourroit sembler chetive; veu que les plus belles de Moscovie ne sont pas mieux fermées.

Les anciens Lacedemoniens ne vouloient point d'autres murailles que leur courage & valeur. Avant le Deluge Cain edifia une ville qu'il nomma Henot, mais il sentoit l'ire de Dieu qui le poursuivoit, & avoit perdu toute asseurance. Les hommes n'avoient que des cabannes & pavillons, comme il est écrit de Jabal fils de Hada, qu'il fut pere des habitans és tabernacles, & des pasteurs. Aprés le Deluge on edifia la tour de Babel, mais ce fut folie. Tacite décrivant les moeurs des Allemans, dit que de son temps ilz n'avoient aucun usage ni de chaux, ni de tuilles. Les Bretons Anglois encore moins. Noz Gaulois étoient alors dés plusieurs siecles civilisez. Mais si furent-ilz long temps au commencement sans autres habitations que de cabannes: & le premier Roy Gaullois qui batit villes & maisons fut Magnus lequel succeda à son pere le sage Samothes trois cens ans aprés le deluge, huit ans aprés la nativité d'Abraham, & le cinquante-unieme du regne de Ninus, ce dit Berose Chaldeen. Et nonobstant qu'ils eussent des edifices ilz couchoient neantmoins à terre sur des peaux Comme noz Sauvages. Et comme on imposoit anciennement des noms qui contenoient les qualités & gestes des personnes, Magnus fut ainsi appellé, pource qu'il fut le premier edificateur. Car en langue Scythique & Rameniaque (d'où sont venus les Gaullois peu aprés le Deluge) & en langue antique Gaulloise Magnus signifie Edificateur, dit le méme autheur, & l'a fort bien remarqué Jehan Annius de Viterbe: d'où viennent noz noms de villes Rothomagnus Neomagnus, Noviomagnus. Philosophes Gaullois furent (avant les les Druides) appelez Samocheens, comme rapporte Diogenes Laertius, lequel confesse que la Philosophie a commencé par ceux que la vanité Gregoise a appellé Barbares.

J'adjouteray ici pour exercice de noz Sauvages le jeu de hazard, à quoy ilz s'affectionnent de telle façon, que quelquefois ilz jouent tout ce qu'ilz ont, jusques à leurs femmes: & Jacques Quartier écrit le méme de ceux de Canada au temps qu'il y fut. Vray est que quant aux femme jouées la delivrance n'en est pas aisée, & se moquent volontiers du gaigneur en le montrant au doigt. Or quant à leur maniere de jeu je n'en puis distinctement parler. Car étant pardela ne pensant point à écrire ceci, je n'y ay pas pris garde. Ilz mettent quelque nombre de féves colorées & peintes d'un coté, dans un plat: & ayans étendu une peau contre terre, jouent là dessus, frappans du plat sur cette peau, & par ce moyen les féves sautent en l'air, & ne tombent pas toutes de la part qu'elles sont colorées, & en cela git le hazard: & selon la rencontre ils ont certain nombre de tuyaux de joncs qu'ilz distribuent au gaigneur pour faire le compte.




CHAP XVII

Des Exercices des femmes.

A femme dés le commencement a eté baillée à l'homme non seulement pour l'aider & assister, mais aussi pour étre le receptacle de la generation. Le premier exercice donc que je lui veux donner aprés qu'elle est mariée, c'est de faire des beaux enfans, & assister son mary en cet oeuvre: car ceci est la fin du mariage. Et pour-ce fort bien & à propos est elle appellée Nekeve en Hebrieux, c'est à dire percée, pour-ce qu'il faut qu'elle soit percée si elle veut imiter la Terre nôtre commune mere, laquelle au renouveau desireuse de produire des fruits, ouvre son sein pour recevoir les pluies & rousées que le ciel verse dessus elle. Or, je trouve que cet exercice sera fort requis à ceux qui voudront habiter la Nouvelle-France, pour y produire force creatures qui chantent les louanges de Dieu. Il y a de la terra assez pour les nourrir, moyennant qu'ilz veuillent travailler: & ne sera leur condition si miserable qu'elle est à plusieurs pardeça, qui cherchent à s'occuper, & ne trouvent point: & aprés qu'ilz trouvent, bien souvent leur travail est ingrat. Mais là, celui qui voudra prendre plaisir, & comme se jouer à un doux travail, il sera asseuré de vivre sans servitude & que ses enfans feront mieux que lui. Voila donc le premier exercice de la femme que de travailler à la generation, qui est un oeuvre si beau & si meritoire, que le grand Apôtre saint Paul, pour consoler ce sexe de sa peine & de ses douleurs, a dit, que la femme sera sauvée par la generation des enfans, s'ilz demeurent en foy, & dilection, & sanctification, avec sobrieté, c'est à dire, si elle les instruit en telle sorte qu'on reconoisse la pieté de la mere par la bonne nourriture des enfans.

Ce premier & principal article deduit, venons aux autres. Noz femmes Sauvages aprés avoir produit les fruits de cet exercice, par je ne sçay quelle pratique font (sans loy) ce qui toit commandé en la loy de Moyse touchant la purification. Car elles se cabannent à part & n'ont connoissance de leurs maris de trente, voire quarante jours: pendant léquels neantmoins elles ne laissent d'aller deça & delà où elles ont affaire, portant leurs enfans avec elles, & en ayans le soin.

J'ay dit au chapitre de la Tabagie qu'entre les Sauvages les femmes ne sont point en si bonne condition qu'anciennement entre les Gaullois & Allemans. Car (au rapport méme de Jacques Quartier) elles travaillent plus que les hommes, dit-il soit en la pecherie, soit au labour, ou autre chose. Et neantmoins elles ne sont point forcées, ni tourmentées, mais elles ne font ni en leurs Tabagies, ni en leurs conseils, & font les oeuvres serviles, à faute de serviteurs. S'il y a quelque chasse morte, elles la vont dépouiller & querir, y eust-il trois lieuës, & faut qu'elles la trouvent à la seule circonstance du lieu qui leur sera representé de paroles. Ceux qui ont des prisonniers les employent aussi à cela, & autres labeurs, comme à aller querir du bois avec leurs femmes: qui est une folie à eux d'aller querir du bois sec & pourri bien loin pour eux chauffer, encores qu'ilz soient en pleine forét. Vray est qu'ilz se fachent de la fumée ce qui peut étre cause de cela.

Pour ce qui est de leurs menus exercices, quant l'Hiver vient elles preparent ce qui est necessaire pour s'opposer à ce rigoureux adversaire, & font des nattes de jonc dont elles garnissent leurs cabannes, & d'autres pour s'asseoir dessus, le tout fort proprement, mémes baillans des couleurs à leurs joncs elles y font des compartimens d'ouvrages semblables à ceux de noz jardiniers, avec telle mesure, qu'il n'y a que redire. Et d'autant qu'il faut aussi vétir le corps elles conroyent & addoucissent des peaux de Castors, d'Ellans, & autres, aussi bien qu'on sçauroit faire ici. Si elles sont petites, elles en coudent plusieurs ensemble, & font des manteaux, manches, bas de chausses, & souliers, sur toutes léquelles choses elles font des ouvrages qui ont fort bonne grace. Item elles font des Paniers de joncs, & de racines, pour mettre leurs necessitez, du blé, des féves, des pois, de la chair, du poisson, & autres. Des bourses aussi de cuir, sur léquelles elles font des ouvrages dignes d'admiration avec du poie de Porc-epic coloré de rouge, noir, blanc, & bleu, qui sont les couleurs qu'elles font, si vives, que les nôtres ne semblent point en approcher. Elles s'exercent aussi à faire des écuelles d'ecorces pour boire, & mettre leurs viandes, qui sont fort belles selon la matiere. Item les écharpes, carquans, & brasselets qu'elles & les hommes portent (lesquels ils appellent Matachia) sont de leurs ouvrages. Quand il faut depouiller des arbres sur le Printemps, ou l'Eté, pour de l'écorce couvrir leurs maisons, ce sont elles qui font cela: comme aussi elles travaillent à l'oeuvre des Canots & petits bateaux quant il en faut faire: & au labourage de la terre és païs où ilz s'y addonnent: en quoy elles prennent plus de peine que les hommes, léquels trenchent du Gentil-homme, & ne pensent qu'à la chasse ou à la guerre. Et nonobstant leurs travaux encore ayment elles communement leurs maris plus que deça. Car on e'en voit point entre-elles qui se remarient sur le tombeau d'iceux, c'est à dire incontinent aprés leur decez, ains attendent un long temps. Et s'il a eté tué elles ne mangeront point de chair, ny ne convoleront à secondes nopces qu'elles n'en ayent veu la vengeance faite: témoignage de vray amitié (qui se trouve rarement entre nous) & de pudicité tout ensemble. Aussi avient-il peu souvent qu'ils ayent des divorces que volontaires. Et s'ils étoient Chrétiens ce seroient des familles entre léquelles Dieu se paliroit & demeureroit, comme il est bien-seant qu'il soit pour avoir un parfait repos: or autrement ce n'est que tourment & tribulation que le Mariage. Ce que les Hebrieux étans speculateurs & perquisiteurs és choses saintes, par une subtile animadversion ont fort bien remarqué, disant Aben Hezra qu'au nom de l'homme [Hébreu: Isch], & de la femme [Hébreu: Ischa], le nom de Dieu [Hébreu: AH], Seigneur, est contenu: Et si on ôte les deux lettres qui font ce nom de Dieu, il y demeurera ces deux mots [Hébreux: Esch ve Esch] qui signifient feu & feu, c'est à dire que Dieu ôté, ce n'est qu'angoisse, tribulation, amertume & douleur.




CHAP. XVIII

De la Civilité.

L ne faut attendre de nos Sauvages cette civilité que les Scribes & Pharisiens requeroient és Disciples de nôtre Seigneur. Aussi leur curiosité trop grande leur fit faire une réponse digne d'eux. Car ils avoient introduit des ceremonies & coutumes en la Religion, qui repugnoient au commandement de Dieu, léquelles ilz vouloient étroitement étre observées, enseignans l'impieté souz le nom de pieté. Car si un mauvais enfant bailloit au tronc que qui appartenoit à son pere, ou à sa mere, ilz le justifoient (pour tirer ce profit) contre le commandement de Dieu, qui a sur toutes choses recommandé aux enfans l'obeissance & reverence envers ceux qui les ont mis au monde, qui sont l'image de Dieu, lequel n'a que faire de nos biens, & n'a point agreable l'oblation qui lui est faite du bien d'autrui. Or cette civilité dont parle l'Evangile, regardoit le lavement des mains, lequel nôtre Seigneur ne blame point sinon entant qu'à faute de l'avoir gardé ils en faisoient un gros peché.

En ces manieres de civilitez je n'ay dequoy louer noz Sauvages, car ilz ne se lavent point és repas s'ilz ne sont exorbitamment sales: & n'ayans aucun usage de linge, quant ils ont les mains grasses ilz sont contraints de les torcher à leurs cheveux, ou aux poils de leurs chiens. De pousser dehors les mauvais vents de l'estomach, ilz n'en font difficultez parmi les repas: comme ne font par deça plusieurs Allemans & autres.

N'ayans les artifices de menuiserie, ilz dinent sur la grande table du monde, étendans une peau là où ilz veulent manger, & sont assis en terre. Les Turcs en font de méme. Noz vieux Gaullois n'étoient pas mieux, léquelz Diodore dit avoir fait pareille chose, étendans à terre des peaux de chiens, ou de loups, sur léquelles ilz dinoient à soupoient, se faisans servir par des jeunes garsons. Les Allemans encore plus rustiquement. Car ilz n'avoient pas tant de delicatesse que nôtre nation, laquelle Cesar dit avoir en l'usage de mille choses par le moyen des navigations de mer, dont ils accommodoient les peuples de civilité, & plus d'humanité que les autres de leur nation, par la communication des nôtres.

Quant aux caresses qu'ilz se font les uns aux autres arrivans de loin, le recit est fort sommaire. Car plusieurs fois nous avons veu arriver des Sauvages forains au Port-Royal, léquels descendus à terre, sans discours s'en alloient droit à la cabane de Membertou, lè où ilz s'asseoient, & se mettoient à pétuner, & aprés avoir bien petuné, bailloient le petunoir au plus apparent, & delà consecutivement aux autres: puis au bot de demie heure commençoient à parler. Quand ils arrivoient chez nous, la salutation estoit Ho, ho, ho, & ainsi font ordinairement: Mais de faire des reverences & baise-main, ilz ne se conoissent point à cela, sinon quelques particuliers qui s'efforcent de se conformer à nous, & ne nous venoient gueres voir sans chapeau, afin de nous saluer par une action plus solennelle.

Les Floridiens ne font aucune entreprise, qu'ilz n'assemblent par plusieurs fois leur Conseil: & en ces assemblées ilz se saluent quant ils arrivent. Le Paraousti (que Laudonniere appelle Roy) se met seul sur un siege qui est plus haut que les autres: là où les uns aprés les autres le viennent saluer, & commencent les plus anciens leur salut, haussans les deux mains par deux fois à la hauteur de leur visage, disans Ha, he, ya, ha, ha, & les autres répondent Ha, ha. Et s'asseoient chacun sur des sieges qui sont tout à lentour de la maison du Conseil.

Or soit que la salutation Ho, ho, signifie quelque chose, ou non (car je n'y sçay aucune signification particuliere) c'est toutefois une salutation de joye, & la seule voix Ho, ho, ne se peut faire que ce ne soit quasi en riant, témoignans par là qu'ilz sont joyeux de voir leurs amis. Les Grecs n'ont jamais eu autre chose en leurs salutations qu'un témoignage de joye avec leur [Grec: chyre], qui signifie Soyez joyeux: ce que Platon ne trouvant bon étoit d'avis qu'il vaudroit mieux dire [Grec: sophrones], soyez sage. Les Latins ont eu leur Ave, qui est un souhait de bon-heur: quelquefois aussi Salve, qui est un desir de santé à celui qu'on salue: & ne sçay à quel propos on nous a fourré ce mot parmi noz prieres. Les Hebrieux avoient le Verbe [Hebreu: Shchlam], que est un mot de paix & de salût. Suivant quoy nôtre Sauveur commanda à ses Apôtres de saluer les maisons où ils entreroient, c'est à dire (selon l'interpretation de la version ordinaire) de leur annoncer la pais: laquelle salutation de paix étoit dés les premier siecles parmi le peuple de Dieu. Car il est écrit que Jetro beau-pere de Moyse venant se conjouir avec lui des graces que Dieu lui avoit fait & à son peuple par la delivrance du païs d'Ægypte, Moyse sortit au-devant de son Beau-pere, & s'étant prosterné, le baisa: & se saluerent l'un l'autre en paroles de paix. Nous autres disons Dieu vous garde, Dieu vous doint le bon-jour. Item Le bon soir. Toutefois il y en a plusieurs qui ignoramment disent, Je vous donne le bon jour, le bon soir: Façon de parler que seroit mieux seante par desir & priere à Dieu que cela soit. Les Anges ont quelquefois salué les hommes, comme celui qui dit à Gedeon: Tres-fort & vaillant homme, le Seigneur est avec toy, & celui qui dit à la Vierge mere de nôtre Sauveur: Bien te soit pleine de grace, le Seigneur est avec toy. Mais Dieu ne salue personne, car c'est à lui à donner le salut, non point à le souhaiter par priere.

Les Payens avoient encore une civilité de saluer ceux qui éternuoient, laquelle nous avons retenue d'eux. Et l'Empereur Tibere homme le plus triste du monde (ce dit Pline) vouloit qu'on le saluât en éternuant, encores qu'il fût en coche, & c. Toutes ces ceremonies & institutions (dit le méme) sont venues de l'opinion de ceux qui estiment les Dieux assister à nos affaires. De ces paroles se peut aisément conjecturer que les salutations des Payens étoient prieres & voeux de santé, ou autre bon-heur, qu'ilz faisoient aux Dieux.

Et comme ilz faisoient telles choses aux rencontres, aussi avoient-ilz le mot Vale (portez-vous bien: soyez sain) à la departie: mémes aux lettres missives, léquelles aussi ilz commençoient par ces mots: Si vous vous portez bien, cela va bien: je me porte bien. Mais Seneque dit que cette bonne coutume faillit de son temps: comme entre nous, c'est aujourd'hui écrire en villageois de mettre au bout d'une lettre missive, Je prie Dieu qu'il vous tienne en santé: qui étoit une façon sainte & Chrétienne par le passé. Au lieu de ce Vale, qui se trouve souvent en l'Ecriture sainte, nos disons en nôtre langage, A Dieu, desirans non seulement santé à nôtre ami, mais aussi que Dieu soit sa garde.

Les Chinois (qui sur tous les peuples du monde sont ceremonieux) n'ont aucun mot significatif en leurs salutations, disans seulement Zin, Zin, à la rencontre, qui ne signifie rien: ains est un mot de civilité. Et comme la robbe longue à larges manches, est leur vétement ordinaire; ayans les bras croisés dans icelles, ilz les haussent & baissent seulement, en disant leur Zin, zin, sans accollade ny baiser, ou inclination des piés.

Or noz Sauvages n'ont aucune salutation pour la departie, sinon l'Adieu qu'ils ont apris de nous. Moins encore ont-ils l'usage du baiser soit en l'action de l'amour, soit à l'arrivée, ou au partir de quelque lieu, soit à rendre honneur par l'inferieur au superieur, comme c'étoit la coutume és siecles plus vieux, ainsi que nous le voyons en l'histoire de la Genese, où le Roy Pharaon dit à Joseph: Tu seras sur ma maison, & tout mon peuple te baisera la bouche. Et au Psalme deuxiéme: Baisez le Fils de peur qu'il ne se courrouce, &c. qui est une façon d'homage gardée méme envers noz Rois, comme a observé le sieur du Tillet en son Recueil des maisons de France. Le mesme se remarque en l'histoire de la passion où le traitre Judas baisa son maistre nôtre Sauveur en signe d'honneur. Ce qui a esté suivi envers plusieurs Empereurs Romains, comme on peut voir és Memoires de Capitolin, Ammian Marcelin, & au Panegyrie de Trajan, où est remarqué que Maximin le jeune étoit superbe és salutations, donnant les mains à baiser, & permettant qu'on lui baisat les genoux, voire les piés. Ce que Maximin l'ainé n'avoit oncques voulu souffrir, disant: Ja les Dieux ne permettent qu'aucun homme de franche condition ne baise les piés. Car il n'y avoit que les esclaves qui fissent cette submission. Et à ce propos Sallian Evéque de Marseille écrivant à Hypatius: Si tu ne peux (dit il) à-cause de ton absence baiser des lévres les piés de tes pere & mere, baise-les au moins par desir & prieres comme esclave: baise-leur les mains comme nourrissonne: baise-leur la bouche comme fille.

Tertullian grand censeur des abus met entre les actes d'idolatrie beaucoup de choses moindres que tels baise-piés, disant que c'est idolatrie tout ce qui s'éleve outre la mesure de l'honneur humain à la ressemblance de la hautesse divine. Car certes (adjoute-il) l'inclination de la teste n'est point deue à la chair, ni au sang, mais à Dieu seul. Plusieurs Princes d'aujourd'hui se font servir à genoux. Mais le grand Seigneur Empereur des Turcs ne souffre point d'agenouillemens devant soy, disant qu'il faut laisser ce devoir à Dieu, auquel on ne peut rendre davantage: ains se contente d'une humble submission de téte, la main la poitrine. Ce qui étoit l'adoration de laquelle est parlé en la version vulgaire de la bible, quant on faisoit la reverence au Roy, ou le Roy la faisoit è autrui: ainsi qu'il est escrit de Salomon qu'il adora sa mere Bersabée.

Mais je laisse ceci pour revenir à noz baisers salutatoires, déquels les Payens anciens usoient aussi bien à la departie, comme à l'arrivée, ainsi que nous pouvons recuillir de Suetone en la vie de Neron, là où il dit que ni arrivant, ni s'en allant, il ne daigna oncq donner un baiser à aucun. C'a eté aussi une coutume fort ancienne & authorisée par la Nature de se baiser entre les amourettes, dequoy méme font mention les loix Imperiales. Mais noz Sauvages étoient, je pense brutaux avant la venue des François en leur contrées: car ilz n'avoient l'usage de ce doux mile que succent les amans sur les levres de leurs maistresses, quant ilz se mettent à colombiner & preparer la Nature à rendre les offrandes de l'amour sur l'autel de Cyris. Neantmoins s'il faut conclurre ce discours par son commencement, ilz sont louables en l'obeissance qu'ilz rendent aux peres & aux meres, aux commandemens déquels ils obeissent, les nourrissent en leur vieillesse, & les defendent contre leurs ennemis. Et ici (chose malheureuse) on voit souvent des procés des enfans contre les peres: on voit des livres publiez. De la puissance paternelle, sur ce que les enfans se derobent de leur obeissance. Acte indigne d'enfans Chrétiens, auquels on peut approprier le propos de Turnus Herdonius recité en Tite Live, disant que nulle plus brieve conoissance de cause & expedition ne peut étre que celle d'entre le pere & le fils, dont les differens se peuvent vuider à peu de paroles. S'il n'obeit à son pere, sans aucune doute malheur lui aviendra. Et la parole de Dieu qui foudroye, dit: Maudit celui qui n'honore son pere & sa mere, & tout le peuple dira, Amen.




CHAP. XIX

Des Vertus & Vices des Sauvages.

A Vertu, comme la Sagesse, ne laisse pas de loger sous un vil habit. Les nations Septentrionales ont eté les dernieres civilisées. & neantmoins avant cette civilité elles ont fait de grandes choses. Noz Sauvages, quoy que nuds, ne laissent d'avoir les Vertus qui se trouvent és hommes civilisés. Car Un chacun (dit Aristote) dés sa naissance ha en soy les principes & semences des vertus. Prenant donc les quatre Vertus per leurs chefs, nous trouverons qu'ils en participent beaucoup. Car premierement pour ce qui est de la Force & du Courage, ils en ont autant que pas une nation des Sauvages (je parle de noz Souriquois, & leurs alliez) de maniere que dix d'entre eux se hazarderont toujours contre vint Armouchiquois: non qu'ilz soient du tout sans crainte (chose que le sus-allegué Aristote en ses Ethiques reproche aux anciens Celtes-Gaullois, qui ne craignoient rien, ny les mouvemens de la terre, ni les tempétes de la mer, disant que cela est le propre d'un étourdi) mais avec le courage qu'ils ont, ils estiment que la prudence leur donne beaucoup d'avantage. Ilz craignent donc: mais c'est ce que tous les hommes sages craignent, qui est la mort, laquelle est terrible & redoutable, comme celle qui raffle tout où elle passe. Ilz craignent le deshonneur, & le reproche, mais cette crainte est cousine germaine de la Vertu. Ilz sont excités à bien faire par l'honneur, d'autant que celui entre eux est toujours honoré, & s'acquert du renom, qui a fait quelque bel exploit. Ayans ces choses à eux propres, ilz sont en la Mediocrité, qui est le siege de la Vertu. Un point rend en eux cette Vertu de Force & Courage, imparfaite; qu'ils sont trop vindicatifs, & en cela mettent leur souverain contentement, ce qui degenere à la brutalité. Mais ilz ne sont seuls: car toutes ces nations tant qu'elles se peuvent étendre d'un pole à l'autre, sont frappées de ce coin. La seule religion Chrétienne les peut faire venir à la raison, comme elle fait aucunement entre nous (je dy aucunement, pour ce que nous avons des hommes fort imparfaits aussi bien que les Sauvages) & en la Chrétienté est ce bien que deux Roys se guerroyans, il y a un Pere commun, qui (quasi semblable en ce regard aux anciens Fecialiens de Rome) met la paix entre eux, & compose le different, s'il y a moyen, ne permettant qu'on en vienne aux mains, sinon quand tout est desesperé: Celui que je veux dire est le grand Evéque de Rome dispensateur des secrets de Dieu, lequel en noz jours nous a procuré le benefice de la paix de laquelle heureusement nous jouissons, traitée à Vervin lieu de ma naissance, où je fis (aprés icelle conclue & arretée) deux actions de graces en forme de Panegyrique à Monseigneur le Legat Alexandre de Mecicis Cardinal de Florence, depuis Pape Leon XI, imprimées à Paris.

La temperence est une autre vertue consistant en la Mediocrité és choses qui concernent la volupté du corps: car pour ce qui regarde l'esprit celuy n'est point appellé temperant ou intemperent, qui est poussé d'ambition, ou de desir d'apprendre, ou qui passe les journées à baguenauder. Et pour ce qui est du corporel la temperance, ou intemperance, ne vient point è toutes choses qui pourroient étre sujettes à noz sens, si ce n'est par accident: comme à une couleur, à un pourtrait, item à des fleurs & bonnes odeurs: item à des chansons & auditions de harangues, ou comedies: mais bien à ce qui est sujet à l'attouchement, & à ce que l'odorat recherche par des artifices, comme au boire & manger, aux parfums, à l'acte Venerien, au jeu de paume, à la lucte, à la course, & semblables. Or toutes ces choses dependent de la volonté. Ce qu'étant, c'est à faire à l'homme à sçavoir commander à son appetit.

Noz Sauvages n'ont point toutes les qualitez requises à la perfection de cette Vertu. Car pour les viandes il faut confesser leur intemperance quand ils ont dequoy, & mangent perpetuellement jusques à se lever la nuit pour faire Tabagie. Mais attendu que pardeça plusieurs sont autant vicieux qu'eux, je ne leur veux point étre rigoureux censeur. Quant aux autres actions il n'y a rien plus à reprendre en eux qu'en nous: voire je diray que moins, en ce qui est de l'acte Venerien, auquel ilz sont peu addonnez: sans toutefois comprendre ceux de la Floride & païs chauds, déquels nous avons parlé ci-dessus.

La liberalité est une vertu autant louable comme l'Avarice & la Prodigalité ses collateraux sont blamables. Elle consiste à donner & recevoir, mais plutot à donner en temps & lieu, & par occasion, sans excés. Cette vertu est propre & bien-seante aux grans, qui sont comme dispensateurs des biens de la terre, que Dieu a mis entre leurs mains pour en user liberalement, c'est à dire en élargir à celui qui n'en a point: ne point étre excessif en dépense non necessaire, ny trop retenu là où il faut montrer de la magnificence.

Nos sauvages sont louables en l'exercice de cette Vertu, selon leur pauvreté. Car comme nous avons quelquefois dit, quand ilz se visitent les uns les autres ilz se font des presens mutuels. Et quand il arrive vers eux quelque Sagamos François ilz luy font de méme, jettans à ses piez quelque pacquet de Castors, ou autre pelleterie, qui sont toutes leurs richesses. Et firent ainsi au sieur de Poutrincourt mais il ne les print point à son usage, ains les mit en magazin du sieur de Monts, pour ne contrevenir au privilege à luy donné. Cette façon de faire dédits Sauvages ne provient que d'une ame liberale, & qui a quelque chose de bon. Et quoy qu'ilz soyent bien aises quand on leur rend la pareille, si est-ce qu'ilz commencent la chance, & se mettent en hazard de perdre leur marchandise. Et puis, qui est-ce d'entre nous qui fait plus qu'eux, c'est à dire, qui donne si ce n'est en intention de recevoir: Le Poëte dit:

Nemo suas gratis perdere vellet opes.

Il n'y a personne qui donne à perte. Si un grand donne à un petit, c'est pour en tirer du service. Méme ce qui se donne aux pauvres, c'est pour recevoir le centuple, selon la promesse de l'Evangile. Et pour montrer la galantise de nosdits Sauvages, ilz ne marchandent point volontiers, & se contentent de ce qu'on leur baille honnetement, meprisans & blamans les façons de faire de noz mercadens qui barguignent une heure pour marchander une peau de Castor: comme je vi étant à la riviere Saint-Jehan, dont j'ay parlé ci-dessus, qu'ils appelloient Chevalier jeune Marchant de Saint-Malo, Mercateria, qui est mot d'injure entre eux emprunté des Basques, signifiant comme un racque-de-naze. Bref ilz n'ont rien que d'honnéte & liberal en matiere de permutation. Et voyans les façons de faire sordides de quelques uns des nôtres, ilz demandoient quelque fois qu'est-ce qu'ilz venoient chercher en leur païs, disans qu'ils ne vont point au nôtre: & que puis que nous sommes plus riches qu'eux nous leur devrions bailler liberalement ce que nous avons.

De cette vertu nait en eux une Magnificence, laquelle ne peut paroitre, & demeure cachée, mais ilz ne laissent d'en étre éguillonnez, faisant tout ce qu'ilz peuvent pour recevoir leurs amis quand ilz les viennent voir. Et vouloit bien Membertou qu'on luy fit l'honneur de tirer nôtre canon quand il arrivoit, pource qu'il voyoit qu'on faisoit cela aux Capitaines François en tel cas, disant que cela luy étoit deu puis qu'il étoit Sagamos. Et quand ses confreres le venoient voir il n'étoit pas honteux de venir demander du vin pour leur faire bonne chere, & montrer qu'il avoit du credit.

Ici se peut rapporter l'Hospitalité, de laquelle toutefois ayant parlé ci-dessus, je renvoyeray le Lecteur au chapitre de la Tabagie, où je leur donne la louange Gaulloise &Françoise en ce regard. Vray est qu'en quelques endroits y en a qui sont amis du temps, prennent leur avantage en la necessité, comme a eté remarqué au voyage de Laudonniere. Mais en cela nous ne les sçaurions accuser que nous ne nous accusions aussi, qui faisons de méme. Une chose diray-je qui regarde la pieté paternelle, que les enfans ne sont point si maudits que de mepriser leurs pere & mere en la vieillesse, ains leur pourvoient de chasse, comme les cigognes font envers ceux qui les ont engendré. Chose qui est à la honte de beaucoup de Chrétiens, qui se fachans de la trop longue vie de leurs peres & meres, bien souvent les font depouiller devant qu'aller coucher, & les laissent nuds.

Ils ont aussi la Mansuetude & Clemence en la victoire envers les femmes & petits enfans de leurs ennemis, auquel ilz sauvent la vie, mais Ilz demeurent leurs prisonniers pour les servir, selon le droit ancien de servitude introduit par toutes les nations du monde de deça, contre la liberté naturelle. Mais quant aux hommes de defense ilz ne pardonnent point, ains en tuent tant qu'ils peuvent attraper.

Pour ce qui est de la justice ilz n'ont aucune loy divine, ni humaine, sinon celle que la Nature leur enseigne, qu'il ne faut point offenser autrui. Aussi n'ont-ilz gueres de quereles. Et si telle chose arrive, le Sagamos fait le Hola, & fait raison à celui qui est offensé, baillant quelques coups de baton au seditieux, ou le condamnant à faire des presens à l'autre pour l'appaiser: qui est une petite forme de seigneurie: en ces jouissans de felicité du premier âge lors que la belle Astrée vivoit parmi les hommes. Il n'y a ny procés, ni auditoires entre eux, ainsi que Pline dit des insulaires de la Taprobane, en quoy il les repute particulierement heureux de n'étre tourmentez de cette gratelle qui mange aujourd'hui nôtre France, & consomme les meilleures familles. Je dis aujourd'hui: car souz les deux premieres familles de noz Roys, & long temps souz la troisiéme, nous ne sçavions que c'étoit des formalitez de procés, mais depuis que la Cour de Rome est venue en Avignon nous les avons si bien apprises, que nous y sommes passez maitres. Noz Sauvages donc n'ont un petit avantage d'étre exempts de cette vermine. Que si c'est un de leurs prisonniers qui a delinqué, il est en danger de passer le pas. Car quand il sera tué personne ne vengera sa mort. C'est la méme consideration du monde de deça. On fait peu d'état de la vie & de l'honneur d'un homme qui n'a point de support. Et quant à ceux qui sont de condition tant soit peu relevée, il est impossible en France qu'ilz puissent éviter les procés: car (dit le Proverbe) qui terre a guerre a. Et me souvient en ce lieu d'un propos fort notable & veritable que me disoit autrefois Maitre Claude Picquaut Procureur au Parlement de Paris, qu'en France il faut étre ou marteau, ou enclume: il faut ou tourmenter autrui ou étre tourmenté.

Retournons à noz Sauvages. Un jour il y eut une prisonniere Armouchiquoise, qui avoit fait evader un prisonnier de son païs, & afin de passer chemin elle avoit derobé en la cabanne de Membertou un fuzil (car sans cela ilz ne font rien) & une hache. Ce que venu è la cognoissance des Sauvages, ilz n'en voulurent point faire la justice prés de nous, mais s'en allerent cabanner à quatre ou cinq lieuës loin du Port-Royal, où elle fut tuée. Et pour-ce que c'étoit une femme, les femmes & filles de noz Sauvages en firent l'execution. Kinibech'-coech' jeune fille de dix huit ans bien potelée, & belle, lui bailla le premier coup à la gorge, qui fut d'un couteau: Une autre fille de méme âge d'assez bonne grace, dite Metembroech, continue. Et la fille de Membertou, que nous appellions Membertou-ech'-coech', acheva. Nous leur fimes une âpre reprimende de cette cruauté, dont elles étoient tout honteuses, & n'osoient plus se montrer. Voila leur forme de Justice.

Une autre fois un prisonnier & une prisonniere s'en allerent tout-à-fait sans fuzil, ni aucune provision de viandes. Ce qui étoit de difficile execution, pour la longueur du chemin, qui étoit de plus de cent lieuës par terre, pour ce qu'il leur convenoit aller en cachette & se garder de la rencontre de quelques Sauvages. Neantmoins ces pauvres creatures depouillerent quelques arbres & firent un petit batteau d'écorce, dans lequel ilz traverserent la Baye Françoise, qui est large de dix ou douze lieuës, & gaignerent l'autre terre opposite au Port-Royal, d'où ilz se sauverent en leur païs des Armouchiquois.

J'ai dit en quelque endroit qu'ilz ne sont laborieux qu'au fait de la Chasse, & de la Pecherie, aymans aussi le travail de la Mer: paresseux à tout autre exercice de peine, comme au labourage, & à noz metiers mechaniques: méme à moudre du blé pour leur usage. Car quelquefois ilz le feront plustot bouillir en grains, que de le moudre à force de bras. Neantmoins si ne feront-ilz pas inutils: car il y aura moyen de les occuper à ce à quoy leur nature se porte, sans la forcer: comme faisoient jadis les Lacedemoniens à la jeunesse de leur Republique. Quant aux enfans n'ayans point encore pris de pli, il sera plus aisé de les arréter à la maison & les occuper à ce qu'on voudra. Quoy que ce soit la Chasse n'est pas mauvaise, ni la Pecherie. Voyons donc de quelle façon ilz s'y comportent.




CHAP. XX

La Chasse.

IEU avant le peché avoit donné pour nourriture à l'homme toute herbe de la terre portant semence, & tout arbre ayant en soy fruit d'arbre portant semence: sans qu'il soit parlé de repandre le sang des bétes: &neantmoins aprés le bannissement du jardin de plaisir, le travail ordonné pour la peine dudit peché requit une plus forte nourriture & plus substanciele que la precedente. Ainsi l'homme plein de charnalité s'accoutuma à la nourriture de la chair, & apprivoisa des bestiaux en quantité pour lui servir à cet effect: quoy que quelques uns ayent voulu dire qu'avant le Deluge ne s'estoit point mangé de chair: car en vain Abel eût-il eté pasteur, & Jabal pere des pasteurs. Mais aprés le Deluge l'alliance de Dieu se renouant avec l'homme: La crainte & frayeur de vous (dit le Seigneur) soit sur toute béte de la terre & sur tous oyseaux des cieux, avec tout ce qui se meut sur la terre, & tous les poissons de la mer: ilz vous sont baillés entre voz mains. Tout ce qui se meut ayant vie vous sera pour viande, sur ce privilege voici le droit de la Chasse formé: droit le plus noble de tous les droits qui soyent en l'usage de l'homme, puis que Dieu en est l'autheur. Et pour cette cause ne se faut émerveiller si les Roys & leur Noblesse se le sont reservé par une raison bien concluante, que s'ils commandent aux hommes, à trop meilleure raison peuvent-ilz commander aux bétes. Et s'ils ont l'administration de la justice pour juger les mal-faiteurs, domter les rebelles, & amener à la societé humaine les hommes farouches & sauvages: A beaucoup meilleure raison l'auront-ils pour faire le méme envers les animaux de l'air, des champs, & des campagnes. Quant à ceux de la mer nous en parlerons en autre lieu. Et puis que les Rois ont eté du commencement eleuz par les peuples pour les garder & defendre de leurs ennemis tandis qu'ilz sont aux manoeuvres, & faire la guerre entant que besoin est pour la reparation de l'injure & repetition de ce qui a eté usurpé, ou ravi: il est bien-seant & raisonnable que tant eux que la Noblesse qui les assiste & sert en ces choses, ayent l'exercice de la Chasse, qui est une image de la guerre, afin de se degourdir l'esprit, & étre toujours à l'erte prét à monter à cheval, aller au-devant de l'ennemi, lui faire des embuches, l'assaillir, lui donner la chasse, lui marcher sur le ventre. Il y a un autre premier but de la Chasse, d'est la nourriture de l'homme, à quoy elle est destinée, comme se reconoit par le passage de l'Ecriture allegué ci-dessus: voire di-je tellement destinée qu'en la langue sainte ce n'est qu'un méme mot [Hébreu: Tsajid], pour signifier Chasse (ou Venaison) & viande: comme entre cent passages cetui-ci du Psalme CXXXII, là où nôtre Dieu ayant eleu Sion pour son habitation & repos perpetuel, il lui promet qu'il benira abondamment ses vivres, & rassasiera de pain les souffreteux. Auquel passage saint Hierome dit Venaison que les autres translateurs appellent Vivres, mieux à propos que Vesve en la version commune, Viduam eius benedicens benedicam, & qui est un erreur des écrivains, léquels ont mis [Grec: tên chêran autês], au lieu de [Grec: Gêran].

La Chasse ayant eté octroyée à l'homme par un privilege celeste, les Sauvages par toutes les Indes Occidentales s'y exercent sans distinction de personne, n'ayans aussi ce bel ordre établi pardeça, par lequel les uns sont nais pour le gouvernement du peuple & la defense du païs, les autres pour l'exercice des arts & la culture de la terre, de maniere que par cette belle oeconomie chacun vit en asseurance.

Cette Chasse se fait entr'eux principalement l'Hiver. Car tout le Printemps & l'Eté & partie de l'Automne ayans du poisson abondamment pour eux & leurs amis, sans se donner de la peine, ilz ne cherchent gueres autre nourriture. Mais sur l'hiver lors que le poisson se retire sentant le froid, ilz quittent les rives de mer, & se cabannent dans les bois là où ilz sçavent qu'il y a de la proye: ce qui se fait jusques aux lieux qui avoisinent le Tropique de Cancer. Es païs où il y a des Castors, comme par toute la grande riviere de Canada, & sur les côtes de l'Ocean jusques au païs des Armouchiquois, ils hivernent sur les rives des lacs, pour la capture dédits castors, dont nous parlerons à son tour: mais premierement parlons de l'Ellan lequel ils appellent Aptaptou, & noz Basques Orignac.

C'est un animal le plus haut qui soit aprés le Dromadaire & le Chameau, car il est plus haut que le cheval. Il a le poil ordinairement grison, & quelquefois fauve, long quasi comme les doigts de la main. Sa téte est fort longue & a un fort long ordre de dents qui paroissent doubles pour recompenser le defaut de la machoire superieure, qui n'en a point. Il porte son bois double comme le Cerf, mais large comme une planche, & long de trois piedz, garni de cornichons d'un côté, & au dessus. Le pied en est fourchu comme du Cerf, mais beaucoup plus plantureux. La chair en est courte & fort delicate. Il pait aux prairies, & vit aussi des tendres pointes des arbres. C'est la plus abondante chasse qu'ayent noz Sauvages aprés le poisson.

Disons donc que le meilleur temps & plus commode pour lédits Sauvages à toute chasse terrestre est la plus vieille saison, lors que les foréts sont chenues, & les neges hautes, & principalement si sur ces neges vient une forte gelée qui les endurcisse. Lors bien revétus d'un manteau fourré de Castors, & de manches aux bras attachés ensemble avec une courroye: item de bas de chausses de cuir d'ellan semblable au buffle (qu'ils attachent à la ceinture) & de souliers aux piés du méme cuir, faits bien proprement, ilz s'en vont l'arc au poin, & le carquois sur le dos la part que leur Autmoin leur aura indiqué (car nous avons dit ci-dessus qu'ilz consultent l'Oracle lors qu'ils ont faim) ou ailleurs oz ilz penseront ne devoir perdre temps. Ils ont des Chiens préque semblables à des renars en forme & grandeur, & de tous poils, qui les suivent, & nonobstant qu'ilz ne jappent point, toutefois ilz sçavent fort bien découvrir le gite de la béte qu'ilz cherchent, laquelle trouvée, ilz la poursuivent courageusement, & ne l'abandonnent jamais qu'ilz ne l'ayent terrassée. Et pour plus commodement la poursuivre, ils attachent au dessouz des piez des Raquettes trois fois aussi grandes que les nôtres, moyennant quoy ilz courent legerement sur cette nege dure sans enfoncer. Que si elle n'est assez ferme ilz ne laissent de chasser, & poursuivre trois jours durant si besoin est. En fin l'ayans navrée è mort ilz la font tant harceler par leurs chiens, qu'il faut qu'elle tombe. Lors ilz luy ouvrent le ventre, baillent la curée ausdits chiens, & en prennent leur part. Ne faut penser qu'ilz mangent la chair crue: comme quelques-uns s'imaginent, méme Jacques Quartier l'a écrit: car ilz portent toujours allans par les bois un fuzil au-devant d'eux pour faire du feu quand la Chasse est faite, où la nuit les contraint de s'arréter.

Nous allames une fois à la depouille d'un Ellan demeuré mort sur le bord d'un grand ruisseau environ deux lieuës & demie dans les terres: là où nous passames la nuit, ayans oté les neges pour nous cabanner. Nous y fimes la Tabagie fort voluptueuse avec cette venaison si tendre que'il ne se peut rien dire de plus: & aprés le roti nous eumes du bouilli & du potage abondamment appreté en un instant par un Sauvage qui façonna avec sa hache un bac, ou auge, d'un tronc d'arbres, dans quoy il fit bouillir sa chair. Chose que j'ay admirée, & l'ayant proposée à plusieurs qui pensent avoir bon esprit, n'en ont sceu trouver l'invention, laquelle toutefois est sommaire, qui est de mettre des pierres rougies au feu dans ledit bac, & les renouveler jusques à ce que la viande soit cuite. Ce que Joseph Acosta recite que les Sauvages du Perou font aussi. On trouve cela aisé apres que l'invention en est donnée, ainsi que de faire tenir un oeuf debout en luy cassant le cul. Mais de premiere entrée on s'y trouve empeché. Les Sauvages d'Ecosse font chose non moins étrange en leur Tabagies. Car quand ils ont tué un boeuf, ou un mouton, la peau toute freche leur sert de marmite, la remplissans d'eau, & y faisans cuire leur chair.

Or pour revenir à noz gens, le chasseur étant retourné aux cabannes il dit aux femmes ce qu'il a exploité, & qu'en tel endroit qu'il leur nomme elles trouveront la venaison. C'est leur devoir d'aller depouiller l'Ellan, Caribou, Cerf, Ours, ou autre chasse, & de l'apporter à la maison. Lors ilz font Tabagie tant que la provision dure: & celui qui a chassé est cil qui en a le moins. Car c'est leur coutume qu'il faut qu'il serve les autres, & ne mange point de sa chasse. Tant que l'hiver dure ilz n'en manquent point: & y a tel Sauvage qui par une forte saison en a tué cinquante à sa part, à ce que j'ay quelquefois entendu.

Quant à la chasse du Castor c'est aussi en Hiver qu'ilz la font principalement, pour double raison, dont nous en avons dit l'une ci-dessus, l'autre pource qu'aprés l'hiver le poil tombe à cet animal, & n'y a point de fourrure en Eté. Joint que quand en telle saison ilz voudroient chercher des Castors, la rencontre leur en seroit difficile, pour-ce qu'il est amphibie, c'est à dire terrestre & aquatique, & plus cetui-ci que cetui-là: & n'ayans point l'invention de le prendre dans l'eau, ilz seroient en danger de perdre leur peine. Toutefois si par hazard ils en rencontrent en temps d'eté, printemps, ou automne, ilz ne laissent d'en faire Tabagie.

Voici donc comme ilz les pechent en temps d'hiver, & avec plus d'utilité. Le Castor est un animal à peu prés de la grosseur d'un mouton tondu, les jeunes sont moindres, la couleur de son poil est chataignées. Il a les pieds courts, ceux de devant faits à ongles, & ceux de derriere à nageoires comme les oyes; la queuë est comme écaillée, de la forme préque d'une Sole: toutefois l'ecaille ne se leve point. C'est le meilleur & le plus delicat de la béte. Quant à la téte elle est courte & préque ronde, ayant deux rangs de machoires aux côtez, & au devant quatre grandes dents trenchantes l'une auprés de l'autre, deux en haut & deux en bas. De ces dents il coupe de petits arbres, & des perches en plusieurs pieces dont il batit sa maison. Chose admirable &incroyable que je vay dire. Cest animal se loge sur les bords des lacs, & là il fait premierement son lit avec de la paille, ou autre chose propre à coucher, tant pour lui que pour sa femelle: dresse une voute avec son bois coupé & preparé, laquelle il couvre de gazon de terre en telle sorte qu'il n'y entre nul vent, d'autant que tout est couvert & fermé, sinon un trou qui conduit dessous l'eau, & par là se va pourmener où il veut. Et d'autant que les eaux des lacs se haussent quelquefois, il fait une chambre au dessus du bas manoir pour s'y retirer le cas d'inondation avenant: de sorte qu'il y a telle cabanne de Castor qui a plus de huit piez de hauteur toute faite de bois dressé en pyramide, & maconné avec de la terre. Au surplus on tient qu'étant amphibie, comme dit est, il faut qu'il ressente toujours l'eau, & que sa queuë y trempe: occasion qu'ils se loge si prés du lac. Mais avisé qu'il est, il ne se contente point de ce que nous avons dit, ains ha d'abondant une sortie en une autre part hors le lac, sans cabane, par où il va à terre, & trompe le chasseur. Mais noz Sauvages bien avertis de cela, y donnent ordre, & occupent ce passage.

Voulans donc prendre le Castor, ilz percent la glace du lac gelé à l'endroit de sa cabanne, puis l'un d'eux Sauvages met le bras dans le trou attendant la venue dudit castor, tandis qu'un autre va par-dessus cette glace frappant avec un baton sur icelle pour l'étonner, faire retourner à son gite. Lors il faut étre habile à le prendre au colet, car si on le happe en part où il puisse mordre ils fera une mauvaise blessure. La chair en est tres bonne quasi comme du mouton.

Et comme toute nation ordinairement ha je ne sçay quoy de particulier qu'elle produit, lequel n'est point si commun aux autres. Ainsi anciennement le Royaume de Pont avoit la vogue pour le rapport des Castors, comme je l'apprens de Virgile, où il dit.

.....Virosque Pontus Castorea.

Et aprés lui de Sidoine de Polignac Evéque d'auvergne en ces vers:

...Fert Indus ebur Chaldæus amomum,

Assyrius gemmas, Ser vellera, thura Sabæus,

Attu mel, Phoenix palmas, Lacedemon olivum,

Argos equos, Epirus equas, pecuaria Gallus,

Arma Calybs, frumenta Libes, Campanus Iacchum,

Auram lydus, Arabs guttam, Panchaia myrrham.

Castorea, blattam Tyrus, aera Corinthus, &c.

Mais aujourd'huy la terre de Canada emporte le pris pour ce regard, encores qu'il en vienne quelques uns de Moscovie, mais ilz ne sont pas si bons que les nôtres.

Noz Sauvages nous ont aussi plusieurs fois fait manger de la chasse d'Ours qui étoit fort bonne & tendre, & semblable à la chair de boeuf: Item des Leopars ressemblans assez le Chat-sauvage; & d'un animal qu'ils appellent Nibachés, lequel ha les pattes à peu prés comme le Singe, au moyen dequoy il grimpe aisément sur les arbres, méme y fait ses petits. Il est d'un poil grisatre, & la téte comme de Renart. Mais il est si grans que C'EST CHOSE INCROYABLE. Ayant dit la principale chasse, je ne veux m'arréter à parler des Loups (car ils en ont, & toutefois n'en mangent point) ni des Loups Cerviers, Loutres, Lapins, & autres que j'ay enfilé en mon Adieu à la Nouvelle-France, où je renvoye le Lecteur, & au recit du Capitaine Jacques Quartier ci-dessus.

Il est toutefois bon de dire ici que nôtre bestial de France profite fort bien par-dela. Nous avions des Pourceaux qui y ont fort multiplié. Et quoy qu'ils eussent une étable, toutefois ilz couchoient dehors, méme parme la nege & durant la gelée. Nous n'avions qu'un Mouton, lequel se portoit le mieux du monde, encores qu'il ne fût poins reclus durant la nuit, ains au milieu de nôtre cour en temps d'hiver. Le Sieur de Poutrincourt le fit tondre deux fois, & a eté estimée en France la laine de la seconde année deux fois davantage pour livre que celle de la premiere. Nous n'avions point d'autres animaux domestics, sinon des Poules, & Pigeons, qui ne manquoient à rendre le tribut accoutumé, & prolifier abondamment. Ledit Sieur de Poutrincourt print au sortir de la coquille des petites Outardes, qu'il eleva fort bien & les bailla au Roy à son retour. Quand le païs sera une fois peuplé de ces animaux & autres, il y en aura tant qu'on n'en sçaura que faire, tout de méme qu'au Perou, là où y a aujourd'hui & dés long temps telle quantité de boeufs, vaches pourceaux, chevaux, & chiens, qu'ilz n'ont plus de maitres, ains appartiennent au premier qui les tue. Etans tuez on enleve les cuirs pour trafiquer, & laisse-on là les charognes: ce que j'ay plusieurs fois ouï de ceux qui y ont eté, outre le témoignage de Joseph Acosta.

Je ne veux accomparager la chassee aux Rats à la chasse noble & courageuse: mais il n'y a point danger de dire que nous en avions bonne provision, auquels nous avons fait bonne guerre. Les Sauvages ne conoissoient point ces animaux auparavant nôtre venue. Mais ils en ont eté importunez de notre temps, par-ce que de notre Fort ils alloient jusques à leurs cabannes, à plus de quatre cens pas, manger ou succer leurs huiles de poisson.

Venant au païs des Armouchiquois & allant plus avant vers la Virginie & la Floride, ilz n'ont plus d'ellans, ni de Castors, ains seulement des Cerfs, Biches, Chevereuls, Daims, Ours, Leopars, Loup-cerviers, Onces, Loups, Chats sauvages, Liévres, & Connils, des peaux déquels ilz se couvrent le corps. Mais comme la chasse Mais comme la chaleur y est plus grande qu'és païs Septentrionaux, aussi ne se servent-ilz point de fourures, ains arrachent le poil de leurs peaux, & bien souvent pour tout vétement n'ont qu'un brayet, ou un petit quarreau de leurs nattes qu'ilz mettent sur eux du côté que vient le vent.

En la Floride ils ont encore des Crocodils qui les assaillent souvent en nageant. Ils en tuent quelquefois & les mangent. La chair en est belle & blanche, mais elle sent le musc. Ils ont aussi une certaine espece de Lions qui ne different guere de ceux d'Afrique, mais ne sont si dangereux.

Quant aux Bresiliens ilz sont tant eloignés de la Nouvelle-France qu'étans comme en un autre monde, leurs animaux sont tout divers de ceux que nous venons de nommer, comme le Tapitoussou, lequel si on desire voir, il faut imaginer un animal demi âne & demi vache, fors que sa queuë est fort courte. Il a le poil rougeatre, point de cornes, aureilles pendantes, & le pied d'âne. La chair en est comme de boeuf.

Ils ont une certaine sorte de petitz Cerfs & Biches qu'ils appellent Seou-assous, à poil long comme les chevres.

Mais ilz sont persecutes d'une male-bete, qu'ils appellent Ianou-aré préque aussi haute & legere qu'un levrier, ressemblante assés à l'Once. Elle est cruelle, & ne leur pardonne point si elle les peut attraper. Ils en prennent quelquefois en des chausse-trappes, & les font mourir à longs tourmens. Quant à leurs Crocodiles ilz ne sont point dangereux.

Leurs sangliers sont fort maigres & decharnez, & ont un groignement ou cri effroyable. Mais il y a en eux une difformité étrange, c'est qu'ils ont un trou au-dessus du dos par où ilz soufflent & respirent. Ces trois sont les plus grans animaux du Bresil. Quant aux petits ils en ont de sept ou huit sortes, de la chasse déquels ilz vivent, ensemble de chair humaine: & sont meilleurs menagers que les nôtres. Car on ne les sçauroit trouver au depourveu, ains ont toujours sur le Boucan (d'est une grille de bois assez haute, batie sur quatre fourches) quelque venaison, ou poisson, ou chair d'homme: & de cela vivent joyeusement & sans souci.

Mais comme nous recitons le bien, & les commoditez d'un païs, aussi en faut-il rapporter les incommoditez, afin que chacun se conseille avant qu'entreprendre le voyage. Il y a au Bresil certaine nature de vers qui s'engendrent dans la terre & s'attachent aux pieds des hommes, cherchans de là, les détrois des ongles & de la chair, & les jointures des piés & mains & autres parties, où ilz se logent volontiers, & causent une demangeaison violente. Les femmes prennent cet office de les denicher. Mais c'est un plaisir de les voir ôter cette vermine quand elle se place souz le prepuce, ou és parties secrettes d'entre elles. Ce qui est plus frequent aux nouveaux arrivés par-dela, qu'à ceux qui en on desja pris l'air, de la chair desquels ces insectes ne sont si frians.

Ces années dernieres, le sieur de Razilli Gentil-homme Norman a voulu entreprendre ce faire une habitation en la riviere de Maragnon, qui ne lui a pas bien reussi, pour ne luy avoir eté tenue les promesses qui lui avoient eté faites. Là ils ont eté persecutés de semblable vermine (aucuns disent que ce sont des pulcerons qui tombent avec la pluye, ainsi que pardeça des grenouilles) & ne faut manquer de la nettoyer chaque jour, car autrement penetrant dans la chair il y faudroit appliquer le fer chaud. Là mesme y a des moucherons qui percent les muids e vin, de sorte qu'il faut tenir la boisson en des vases de terre. Le blé y est incontinent mangé de vermine: & y est la terre si sablonneuse qu'on y entre un pié avant à chaque pas. Il se peut faire que plus loin il y a de meilleur païs, mais les incommoditez des mouches de nôtre Nouvelle-France ne sont rien au pris de celles-là: où d'ailleurs les hommes sont plus humains & traitables, nullement anthropophages, ne vivans que de ce que Dieu adonné à l'homme, sans devorer leurs semblables. Aussi faut-il dire d'eux qu'ilz sont vrayement Nobles, n'ayans aucune action qui ne soit genereuse, soit que l'on considere la chasse, soit qu'on les employe à la Guerre, soit qu'on vueille éplucher leurs actions domestiques, équelles les femmes s'exercent à ce qui leur est propre, & les hommes à ce qui est des armes, & autres choses à eux convenables et elles que nous avons dites, ou dirons en son lieu. Mais ici on considerera que la plus grande part du monde a vecu ainsi du commencement, & peu à peu les hommes se sont civilisez lors qu'ilz se sont assemblés, & ont formé des republiques pour vivre souz certaines loix, regle & police.




CHAP. XXI

La Fauconnerie.

UIS que nous chassons en terre, ne nous en éloignons point, de peur que si nous nous mettons en mer nous ne perdions nos oiseaux: car le Sage dit qu'en vain on tend les rets au-devant des animaux qui ont ailes. Or donc si la chasse est une exercice noble, auquel méme se plaisent les Muses, à cause du silence & de la solitude, qui r'amenent de belles choses en la pensée: de sorte que Diane (ce dit Pline) ne court pas plus aux montagnes que fait Minerve. Si, di-je, la Chasse est un exercice noble, la Fauconnerie l'est encore plus, d'autant qu'elle butte à un sujet plus relevé, qui participe du ciel, puis que les hôtes de l'air sont appellée en l'Ecriture sacrée Volucres coeli, les oiseaux du ciel. Aussi l'exercice d'icelle ne convient-il qu'aux Rois, & à la Noblesse, sur laquelle rayonne la splendeur d'iceux, comme la clarté du soleil sur les étoilles. Et noz Sauvages étans d'un coeur noble qui ne fait cas que de la Chasse et de la Guerre, peuvent bien certainement avoir droit de prise sur les oiseaux que leur terre leur fournit. Et quoy qu'avec beaucoup de difficultés ils en viennent à bout, pour n'avoir (comme nous) l'usage des arquebuses, si ont-ils assez souvent des oiseaux de proyes; Aigles, Faucons, Tiercelets, Eperviers, & autres que j'ay specifiez dans mon Adieu à la Nouvelle-France: mais ilz n'ont l'industrie de les dresser, comme fait la Noblesse Françoise: & par ainsi perdent beaucoup de bon gibier, n'ayans autre moyen de le pourchasser que l'arc & la fleche avec léquels instrumens ilz font comme ceux qui pardeça tirent le Geay à la mi-Quareme; ou bien se glissent au long des herbes, & vont attaquer les Outardes, ou Oyes sauvages qui paturent au Printemps & sur l'Eté par les prairies. Quelquefois aussi ilz se portent doucement & sans bruit dans leurs canots & vaisseaux legers faits d'écorces, jusques sur les rives où sont les Canars, ou autre gibier d'eau, & les enserrent. Mais la plus grande abondance qu'ils ont vient de certaines iles où il y en a telle quantité, sçavoir de Canars, Margaux, Roquettes, Outardes, Mauves, Cormorans, & autres, que c'est chose merveilleuse, voire à quelques-uns semblera du tout incroyable, ce qu'en recite le Capitaine Jacques Quartier ci-dessus. Lors que nous retournames en France, étans encore pardelà Campseau, nous passames par quelques unes, où en un quart d'heure nous en chargeames nôtre barque. Il ne falloit qu'assommer à cops de batons, sans s'arreter à recuillir jusques à tant qu'on fût las de frapper. Si quelqu'un demande pourquoy ilz ne s'envolent, il faut qu'il sache que ce sont oyseaux de deux, ou trois, & quatre mois seulement, qui ont eté là couvés au printemps, & n'ont pas encor les ailes assez grandes pour prendre la volée, quoy que bien corsus & en bon point. Quant à la demeure du Port Royal nous avions plusieurs de noz gens qui nous en pourvoyoient, & particulierement François Adarmin domestic du sieur de Monts, lequel je nomme ici, afin que de lui soit memoire, par ce qu'il nous en toujours fourni abondamment. Durant l'Hiver il ne nous faisoit vivre que de Canars, grues, herons, perdris, becasses, merles, allouettes, & quelques autres especes d'oiseaux du païs. Mais au Printemps c'étoit un plaisir de voir les Oyes grises & les grosses Outardes tenir leur empire dans noz prairies, & en L'Automne les Oyes blanches déquelles y en demeuroit toujours quelques unes pour les gages: puis les Allouette de mer volantes en grosses trouppes sur les rives des eaux, léquelles aussi bien-souvent étoient mal menées.

Pour les oyseaux de proye certains des nôtres avoient deniché un aigle de dessus un pin de la plus exorbitante hauteur que je vi jamais arbre, lequel Aigle le sieur de Poutrincourt avoit nourri pour le presenter au Roy: mais il rompit son attache voulant prendre la volée, & se perdit dans la mer en venant. Les Sauvages de Campseau en avoient six perchés auprés de leurs cabannes quand nous y arrivames, léquels ne voulumes troquer, par ce qu'ilz leur avoient arraché les queuës pour faire des ailerons à leurs fleches. Il y en a telle quantité pardela qu'ilz nous mangeoient souvent noz pigeons, & falloit de prés y avoir l'oeil.

Les oiseaux qui nous étoient conuz, je les ay enrollez (comme j'ay dit) en mon Adieu à la Nouvelle-France, mais il y en a plusieurs que j'ay omis pour n'en sçavoir les noms. Là se verra aussi la description d'un oiselet que les Sauvages appellent Niridau, lequel ne vit que de fleurs, & me venoit bruire aux aureilles, passant invisiblement (tant il est petit) lors qu'au matin j'alloy faire la promenade à mon jardin. Se verra aussi la description de certaines Mouches luisantes sur le soir au Printemps, qui volent parmi les bois haut & bas en telle multitude que c'est chose incroyable. Pour ce qui est des oiseaux de Canada, je renvoye aussi mon Lecteur à ce qu'en a rapporté ci-dessus le Capitaine Jacques Quartier.

Les Armouchiquois ont les mémes oiseaux, dont plusieurs y en a qui ne nous sont conuz par deça. Et particulierement y en une espece d'aquatiques qui ont le bec fait comme deux couteaux ayans les deux trenchans l'un dessus l'autre: & ce qui est digne d'étonnement, la partie superieure dudit bec est de la moitié plus courte que l'inferieure de maniere qu'il est difficile de penser comme cet oiseau prent sa viande. Mais au Printemps les Coqs & poules que nous appellons d'Inde y avoient comme oiseaux passagers, & y sejournent, sans passer plus en deça. Ilz viennent de la part de la Virginie, & de la Floride, là où avec ce y a encore des Perdris, Perroquets, Pigeons, Ramiers, Tourterelles, Merles, Corneilles, Tiercelets, Faucons, Laniers, Herons, Grues, Cigognes, Oyes sauvages, Canars, Cormorans, Aigrettes blanches, rouges, noires, & grises, & une infinité de sortes de gibier.

Au regard des Bresiliens ilz ont aussi force Poules & Coqs d'Inde, qu'ilz nomment Arignan-oussou, déquels ilz ne tiennent conte, ni des oeufs: de maniere que lédites poules elevent leurs petits comme elles l'entendent sans tant de façon, comme pardeça. Ils ont aussi des Cannes, mais pour ce qu'elles vont pesamment ilz n'en mangent point, disans que cela les empécheroit de courir vite. Item des especes de Faisans qu'ils appellent Jacous: d'autres oyseaux Qu'ils nomment Mouton, gros comme Paons: des especes de Perdris grosses comme des Oyes, dites Mocacoua: des Perroquets de plusieurs sortes, & maintes autres especes du tout dissemblables aux nôtres.




CHAP. XXII

La Pecherie.

PPIAN au livre qu'il a fait sur ce sujet, dit qu'en la Chasse aux bétes & aux oyseaux, outre la felicité, on a plus de contentements & delectation qu'en la Pecherie, parce qu'on a beaucoup de retraites, on se peut mettre à l'ombre, on rencontre des ruisseaux pour étancher la soif, on se couche sur l'herbe, on prend le repas souz quelque couverture. Quant aux oyseaux on les prent au nid, & è la glu, voire d'eux-mémes bien souvent tombent dans les filets. Mais les pauvres Pecheurs jettent leur amorce à l'incertain: voire doublement incertain, tant pour-ce qu'ilz ne sçavent quelle aventure leur arrivera, que pour-ce qu'ilz sont sur un element instable & indomté, dont le regard seulement est effroyable: ilz sont toujours vagabons, serfz des tempétes, & battus de pluies & de vents. Mais en fin si conclut-il qu'ilz ne sont point destituez de tout plaisir, ains en ont assez quand ilz sont dans un navire bien bati, bien joint, bien ferré, & leger à la voile. Lors fendans les flots ilz se mettent en mer, là où sont les grans troupeaux des poissons gourmans, & jettans une ligne bien torse dans l'eau, son poids n'est pas si-tost au fond, que voici l'amorce happée, & soudain on tire le poisson en haut avec grand plaisir. Et à cet exercice se delectoit fort Marc Antonin fils de l'Empereur Severe: nonobstant la raison de Platon, lequel formant sa Republique a interdit à ses citoyens l'exercice de la Pecherie, comme ignoble, illiberal, & nourrissier de faineantise. En quoy il s'est lourdement æquivoqué principalement quant à ce qu'il taxe de faineantise les pecheurs de poisson. Ce qui est si clair que je ne daigneroy le refuter. Mais je ne m'étonne pas de ce qu'il dit de la Pecherie, puis qu'avec elle il rejette aussi souz mémes conditions la Fauconnerie. Plutarque dit qu'il est plus louable de prendre un cerf, ou un chevreul, où un lievre, que de l'acheter; mais il ne va pas si avant que l'autre. Quoy que ce soit, l'Eglise qui est le premier ordre en la societé humaine, de qui le Sacerdoce est appellé Royal par le grand Apôtre saint Pierre, a permis aux Ecclesiastiques la Pecherie & defendu la Chasse & la Fauconnerie. Et de verité, s'il faut dire ce qui est vraysemblable, la nourriture du poisson est la meilleure 7 plus saine de toutes, d'autant que (comme dit Aristote) il n'est sujet à aucunes maladies: d'où vient le proverbe ordinaire: Plus sain qu'un poisson. Si bien qu'és anciens hieroglyfiques le poisson est le symbole de santé. Ce que toutefois je voudrois entendre du poisson mangé frais. Car autrement (ce dit Plaute) Piscis nisi recens nequam est, il ne vaut rien.

Or noz Sauvages le mangent assez frais tant que la pecherie dure: ce que je croy étre l'un des meilleurs instrumens de leur santé, & longue vie. Quand l'Hiver vient tous poissons se trouvent étonnés & fuient les orages, & tempétes chacun là où il peut: les uns se cachent dans le sable de la mer, les autres souz les rochers, les autres cherchent un païs plus doux où ilz puissent étre mieux à repoz. Mais si-tot que la serenité du Printemps revient, & que la mer se tranquilise, ainsi qu'aprés un long siege de ville, la tréve étant faite, le peuple au-paravent prisonnier sort par bendes pour aller prendre l'ais des champs & se rejouir: Ainsi ces bourgeois de la mer aprés les horrissons & furieuses tourmentes, viennent à s'élargir par les campagnes salées, ilz sautent, ilz trepignent, ilz font l'amour, ilz s'approchent de la terre & viennent chercher le rafraichissement de l'eau douce. Et lors noz Sauvages susdits qui sçavent les rendez-vous de chacun & le temps de leur retour, s'en vont les attendre en bonne devotion de leur faire la bien-venue. L'Eplan est tout le premier poisson qui se presente au renouveau. Et pour n'aller chercher des exemples plus loin que nôtre Port Royal, il y a certains ruisseaux où il y en vient une telle manne, que par l'espace de cinq ou six semaines on y en prendroit pour nourrir toute une ville: Tel qu'est le plus voisin de l'entrée dudit port à la main droite. Il y en a d'autre, où aprés l'Eplan vient le Haren avec la méme foulle, ainsi que nous avons des-ja remarqué ailleurs. Item les Sardines arrivent en leur saison en telle abondance, que quelquefois voulans avoir quelque chose d'avantage que l'ordinaire à souper, en moins d'une heure nous en avions pris pour trois jours. Les Eturgeons & Saumons gaignent le haut de la riviere du Dauphin audit Port Royal, où il y en a telle quantité, qu'ils emporterent les rets que nous leur avions tendus. En tous endroits le poisson y abonde de méme, telle est la fecondité de ce païs. Et pour les prendre, las Sauvages font une claye qui traverse le ruisseau, laquelle ilz tiennent quasi droite, appuyée contre des barres de bois en maniere d'arcz-boutans: & y laissent un espace pour passer le poisson, lequel se trouve arreté au retour de la marée en telle multitude qu'ilz se laissent perdre. Et quant aux Eturgeons, & Saumons, ilz les prennent de méme ou les harponnent, tellement qu'ilz sont heureux: Car au monde il n'y a rien de si bon que ces viandes freches. Et trouve par mon calcul que Pythagore étoit bien ignorant de defendre en ses belles sentences dorées l'usage des poissons, sans distinction. On l'excuse sur ce que le poisson étant muet ha quelque conformité avec la secte, en laquelle la muettise (ou silence) étoit fort recommandées. On dit encore qu'il le faisoit pource que le poisson se nourrit parmi un element ennemi de l'homme. Item que c'est grand peché de tuer & manger un animal qui ne nous nuit point. Item que c'est une viande de delices & de luxe, non de necessité (comme de fait és Hieroglyphiques d'Orus Appollo le poisson est mis pour marque de molesse & volupté) Ite que lui Pythagore ne mangeoit que de viandes que l'on puisse offrir aux Dieux, ce qui ne se fait pas des poissons: & autres semblables bagatelles Pythagoriques rapportées par Plutarque en ses Questions conviviales. Mais toutes ces superfluitions là sont folles: & voudroy bien demander à un telle homme si étant en Canada il aymeroit mieux mourir de faim que de manger du poisson. Ainsi plusieurs anciennement pour suivre leurs fantasies, & dire, Ce sommes nous, ont defendu à leurs sectateurs l'usage des viandes que Dieu a données à l'homme, & quelquefois imposé des jougs qu'eux-mémes n'ont voulu porter. Or quelle que soit la philosophie de Pythagore, je ne suis point des siens. Je trouve meilleure la regle de noz bons Religieux qui se plaisent à l'icthyophagie, laquelle m'a bien aggrée en la Nouvelle-France, & ne me deplait point encore quand je m'y rencontre. Que si ce Philosophe vit d'Ambroisie et de la viande des Dieux, & non de poissons, léquels on ne leur sacrifie point, nosditz bons Religieux, comme les Cordeliers de Saint-Malo & autres des villes maritimes, ensemble les Curez peuvent dire qu'en mangeant quelquefois du poisson ilz mangent de la viande consacrée à Dieu. Car quand les Terre-neuviers rencontrent quelque Morue exorbitamment belle ilz en font un Sanctorum (ainsi l'appellent-ils) & la vouent & consacrent au nom de Dieu à Monsieur saint François, saint Nicolas, saint Lienart, 8 autres, avec la téte, comme ainsi soit que pour leur pecherie ilz jettent les tétes dans la mer.

Il me faudroit faire un livre entier si je vouloy discourir sur tous les poissons qui sont communs aux Bresiliens, Floridiens, Armouchiquois Canadiens, & Souriquois. Mais je me restreindray à deux ou trois, aprés avoir dit qu'au Port Royal y a des grans parterre: de Moules dont nous remplissions noz chalouppes quant quelquefois nous allions en ces endroits. Il y a aussi des Palourdes deux fois grosses comme des Huitres en quantité; item des coques, quine nous ont jamais manqué: comme aussi il y a force Chataignes de mer, poisson le plus delicieux qu'il est possible; plus des Crappes, & Houmars. Ce sont là les coquillages. Mais il se faut donner le plaisir de les aller querir, & ne sont pas tous en un lieu. Or ledit Port étant de huict lieuës de tour (le limitant assavoir à l'ile de Biencour) il y a de la volupté à voguer là-dessus allant à une si belle chasse, & n'en déplaise aux Philosophes sus allegués.

Et puis que nous sommes en païs de Morues, encore ne quitteray-je point ici la besongne que je n'en dise un mot. Car tant de gens & en si grand nombre en vont querir de toute l'Europe tous les ans, que je ne sçay d'où peut venir cette formiliere. Les Morues qu'on apporte pardeça sont ou seches ou vertes. La pecherie des vertes se fait sur le Banc en pleine mer, quelques soixante lieuës au deça dee la Terre-neuve, ainsi que se peut remarquer par ma Carte geographique. Quinze ou vint (plus ou moins) matelots onc chacun une ligne (c'est un cordeau) de quarante ou cinquante brasses, au bout de laquelle est un grand hameçon amorcé, & un plomb de trois livres pour le faire aller au fond. Avec cet outil ilz pechent les morues, léquelles sont si goulues que si-tot devalé, si-tot happé, là où il y a bonne pecherie. La Morue tirée à bord, il y a des ais en forme de tables étroites le long du navire où le poisson se prepare. Il y en a un qui coupe les tétes, & les jette communement dans la mer: un autre les éventres & étrippe, & renvoye à son compagnon, qui leve la partie plus grosse de l'arrete. Cela fait on les met au saloir pour vint-quatres heures: puis on les serre: & en cette façon on travaille perpetuellement (sans avoir egard au Dimanche, qui est chose impie, car c'est le jour du Seigneur) l'espace d'environ trois mois, voiles bas, jusques à ce que la charge soit parfaite. Quelquefois ilz haussent les voiles pour aller plus loin chercher meilleure pecherie. Et pour-ce que les pauvres matelots souffrent là du froid parmi les brouillas, principalement les plus hatez, qui partent en Fevrier: delà vient qu'on dit qu'il fait froid en Canada.

Quant à la Morue seche il faut aller à terre pour la secher. Il y a des ports en grand nombre en la Terre-neuve, & de Bacaillos, où les navires se mettent à l'ancre pour trois mois. Dés le point du jour les mariniers vont en la campagne salée à une, deux ou trois lieuës prendre leur charge. Ils ont rempli chacun leur chaloupe à une ou deux heures aprés midi, & retournent au soir, où étans il y a un grand echaffaut bati sur le bord de la mer, sur lequel on jette le poisson à la façon des gerbes par le fenetre d'une grange. Il y a une grande table sur laquelle le poisson jetté est accomodé comme dessus. Aprés avoir eté au salloir on le porte secher sur les rochers exposés au vent, ou sur les galets, c'est à dire chaussées de pierres que la mer a amoncelées. Au bout de six heures on le tourne, & ainsi par plusieurs fois. Puis on recueille le tout, & le met-on en piles, & derechef au bout de huitaine à l'air. En fin étant sec on le serre. Mais pour se secher il ne faut point qu'il face de brumes, car il pourrira: ni trop de chaleur, car il roussoyera: ains un temps temperé & venteux.

La nuit ilz ne pechent point, parce que la Morue ne mord plus. J'oseroy croire qu'elle est des poissons qui se laissent prendre au sommeil, encores qu'Oppian tienne que les poissons, se guerroyans & devorans l'un l'autre comme les Bresiliens & les Canibales, ont toujours l'oeil au guet & ne dorment point: mettant toutefois hors de ce sang le seul Sargot, lequel il dit se retirer en certains cachots pour prendre son sommeil. Ce que je croiroy bien, & ne merite ce poisson d'étre guerroyé, puis qu'il ne guerroye point les autres, & vit d'herbes: à raison dequoy tous les Autheurs disent qu'il rumine comme la brebis. Bais comme le méme Oppian a dit que cetui-ci seul en ruminant rend une voix humide, & s'est en cela trompé, par ce que moy-méme ay plusieurs-fois ouï les Loups marins en pleine mer, ainsi que j'ay dit ailleurs: Aussi pourroit-il bien s'étre æquivoqué en ceci. Comme aussi en la baleine, laquelle nous avons montré ci-dessus avoir eté trouvée dormant en pleine mer, au retour du Capitaine du Pont, & de Champlein en France, l'an mille six cens dix, si bien que leur vaisseau passant dessus, la reveilla, par la playe qu'il luy fit sur le derriere, dont issit grande quantité de sang.

Cette méme Morue ne mord plus passé le mois de Septembre, ains se retire au fond de la grande mer, ou va en un païs plus chaud jusques au printemps. Sur quoy je dirai ici ce que Pline remarque, que les poissons qui ont des pierres à la téte craignent l'Hiver, & se retirent de bonne heure du nombre déquels est la Morue, laquelle ha dans la cervelle deux pierres blanches faites en gondole & crenelées à l'entour: Ce que n'ont celles qu'on prent vers l'Ecosse, à ce que quelque homme sçavant & curieux m'a dit. Ce poisson est merveilleusement gourmand, & en devore d'autres préques aussi grand que lui, méme des Houmars, qui sont comme grosses Langoustes, & m'étonne comme il peut digerer leurs grosse & dures écailles. Des foyes de Morues noz Terre-neuvier font de l'huile, jettans iceux foyes dans des barils exposés au soleil, où ilz se fondent d'eux mémes.

C'est un grand traffic que l'on fait en Europe des huiles des poissons de la Terre-neuve. Et pour ce sujet plusieurs vont à la pecherie de la Baleine, & des Hippopotames, qu'ilz appellent la béte à la grande dent: dequoy il nous faut dire quelque chose.

Le Tout-puissant voulant montrer à Job combien admirables sont ses oeuvres: Tireras-tu (dit-il) le Leviathan avec un hameçon, & sa langue avec un cordeau que tu auras plongé? Par ce Leviathan est entendue la Baleine, & tous les poissons cetacées, déquels (& mémement de la Baleine) l'enormité est si grande que c'est chose épouvantable, comme nous avons dit ci-dessus, parlans d'une qui fut échouée au Bresil: & Pline dit qu'és Indes il s'en trouve qui ont quatre arpens de terre de longueur. C'est pourquoy l'homme est à admirer, voire plustot Dieu, qui lui a baillé l'audace d'attaquer un monstre tant effroyable, qui n'a son pareil en terre. Je laisse la façon de le prendre décrite par Oppian, & saint Basile, pour venir à noz François & particulierement Basques, léquelz vont tous les ans en la grande riviere de Canada pour la Baleine. Ordinairement la pecherie s'en fait à la riviere dite Lesquemin vers Tadoussac. Et pour ce faire ilz vont par quartz faire la sentinelle sur des pointes de rochers, pour voir s'ils auront point l'évent de quelqu'une: & lors qu'ils en ont découvert incontinent ilz vont aprés avec trois, ou quatre chaloupes, & l'ayans industrieusement abordée, ilz la harponnent jusques au profond de son lard & à la chair vive. Lors cet animal se sentant rudement picqué, d'une impetuosité redoutable s'élance au fond de la mer. Les hommes cependant sont en chemise, qui filent & font couler la corde (qu'ils appellent haussiere) où est attaché le harpon, que la Baleine emporte. Mais au bord de la chaloupe qui a fait le coup il y a un homme prét avec une hache à la main pour couper ladite corde, si d'aventure quelque accident arrivoit qu'elle fût entortillée, ou que la force de la Baleine fût trop violente: laquelle neantmoins ayant trouvé le fond, ne pouvant aller plus outre, remonte tout à loisir au-dessus de l'eau: & lors derechef on l'attaque avec des langues de boeuf (ou larges pertusanes) bien émoulues si vivement, que l'eau salée lui penetrant dans la chair, elle perd sa force, & demeure sur l'onde sans plus y r'entrer. Alors on l'attache à un cable, au bout duquel est une ancre qu'on jette en mer, si le temps n'est propre pour l'amener, puis au bout de quelques jours on la va querir quant le temps & l'opportunité le permettent, la mettent en pieces, & dans des grandes chaudieres font bouillir la graisse qui se fond en huile, dont ils pourront remplir quatre cens barriques, plus ou moins, selon la grandeur de l'animal: & de sa langue ordinairement on tire cinq ou six barriques.

Que si ceci est admirable en nous qui avons de l'industrie, il l'est encore plus és peuples Indiens nuds & sans commodités: & neantmoins ilz font la méme chose, qui est recitée par Joseph Acosta, disant que pour prendre ces grands monstres ilz se mettent en un canoe, ou petit bateau, & abordans la Baleine ilz lui sautent legerement sur le col; & là se tiennent comme à cheval attendans la commodité de la prendre bien à point, & voyans le jeu beau, le plus hardi fiche un grand pal aigu dans l'un des évans de la Baleine (qui sont ses narines, ou les pertuis par où elle jette deux lances d'eau du haut en l'air) & le fait entrer le plus profondément qu'il peut. Cependant la Baleine bat furieusement la mer, & éleve des montagnes d'eau, s'enfonçant dedans d'une grande violence, puis ressort incontinent, ne sçachant que faire tant elle a de rage. L'Indien neantmoins demeure toujours ferme & assis, & pour lui faire payer l'amende du mal qu'elle lui donne, lui fiche un autre pal semblable au premier dans l'autre narine si avant qu'il la met au desespoir, & lui fait perdre toute respiration. Cela fait il se remet en sa canoe, qu'il tient attaché au coté de la Baleine avec une corde, puis se retire vers terre ayant premierement attaché sa corde à la Baleine, laquelle il va tirant & lachant, selon le mouvement d'icelle Baleine, qui cependant qu'elle trouve beaucoup d'eau, saute d'un côté & d'autre, comme troublée de douleur, & en fin s'approche de terre, où elle demeure incontinent à sec pour la grande enormité de son corps, sans qu'elle puisse plus se mouvoir ni se manier, & lors grand nombre d'Indiens viennent trouver le veinqueur pour cuillir ses depouilles, & pour ce faire ils achevent de la tuer, la decoupans, & faisans des morceaux de sa chair (qui est assez mauvaise) léquels ilz sechent & pilent pour en faire de la poudre, dont ils usent pour viande, qui leur dure long temps.

Pour le regard des Hippopotames, nous avons dit és voyages de Jacques Quartier qu'il y en a grand nombre au Golfe de Canada, & particulierement à l'ile de Brion, & aux sept iles, qui est la riviere de Chischedec. C'est un animal qui ressemble mieux à la vache qu'au cheval. Mais nous l'avons nommé Hippopotame, c'est à dire cheval de riviere, par ce que Pline appelle ainsi ceux qui sont en la riviere du Nil, léquelz toutefois ne ressemblent point du tout au cheval, ains participent aussi du boeuf, ou vache. Il est de poil tel que le Loup-marin, sçavoir gris-brun & un peu rougeatre, le cuir fort dur, la téte monstrueuse, à deux rangs de dents de chacun coté, entre léquels y en deux en chacune part pendantes de la machoire superieure en bas de la forme de ceux d'un jeune Elephant, & deux pareils, qui vont tout droit, & en pointe, déquels cet animal s'ayde pour grimper sur les roches. Il a les aureilles courtes, & la queuë aussi, & mugle comme le boeuf. Aux piés il a des ailerons, ou nageoires, & fait ses petits en terre. Et d'autant qu'il est des poissons cetacée, & portant beaucoup de lart, noz Basques & autres mariniers en font des huiles, comme de la Baleine, & le surprennent en terre.

Ceux du Nil (ce dit Pline) ont le pié fourchu, le crin, le dos & le hannissement du cheval, les dents sortans dehors, comme au Sanglier. Et adjoute que quand cet animal a eté en un blé pour paturer, il s'en retourne à reculon, de peur qu'on le suive à la piste.

Je ne fay état de discourir icy de toutes les sortes de poissons qui sont pardela, cela étant un trop amble sujet pour mon histoire: & puis, j'en ay enfilé un bon nombre en mon Adieu à La Nouvelle France. Seulement je diray qu'en passant le temps és côtes de ladite Nouvelle France j'en prendray en un jour pour vivre plus de six semaines és endroits où est l'abondance des Morues (car ce poisson y est le plus frequent) & qui aura l'industrie de prendre les Macreaux en mer, il en aura tant qu'il n'en sçaura que faire. Car en plusieurs endroits j'en ay veu des troupes serrées, qui occupoient trois fois plus de place que les Halles de Paris. Et nonobstant ce, je voy beaucoup de peuple en nôtre France tant annonchali, & si truant aujourd'hui, qu'il ayme mieux mourir de faim, ou vivre serf, du moins langui sur son miserable fumier, que de s'evertuer à sortir du bourbier, & par quelque action genereuse changer sa fortune, ou mourir à la peine.




CHAP. XXIII

De la Terre.

OUS avons és trois derniers chapitres fait provision de venaison, de gibier, & de poissons: Ce qui est beaucoup. Mais ayans accoutumé la nourriture de pain & de vin en nôtre Antique-France, il nous seroit difficile de nous arréter ici si la terre n'étoit propre à cela. Considerons-la donc, mettons la main dans son sein, & voyons si les mammelles de cette mere rendront du laict pour sustenter ses enfans, & au surplus ce qui se peut esperer d'elle. Attilius Regulus, jadis deux fois Consul è Rom, disoit ordinairement qu'il ne falloit choisir les lieux par trop gras, pour ce qu'ilz sont mal sains: ni les lieux par trop maigres, encore qu'ilz soyent fort sains. Et d'un tel fond que cela Caton aussi se contentoit. La terre de la Nouvelle-France est telle pour sa part, de sablon gras, au dessouz duquel nous avons souvent tiré de la terre argilleuse, dont le Sieur de Poutrincourt fit faire quantité de bricques, & batir cheminées, & un fourneau à fondre la gomme de sapin. Je diray plus que de cette terre on peut faire les mémes operations que de la terre que nous appellons Sigillée, ou du Bolus Armenicus, ainsi qu'en plusieurs occasions nôtre Apothicaire Maitre Loys Hebert tres suffisant en son art, en a fait l'experience, par l'avis dudit Sieur de Poutrincourt: méme lors que le fils du Sieur de Pont eut trois emportez d'un coup de mousquet crevé au païs des Armouchiquois.

Cette province ayant les deux natures de terre que Dieu a baillée à l'homme pour posseder, qui peut douter que ce ne soit un païs de promission quand il sera cultivé? Nous en avons fait essay, & y avons pris plaisir, ce que n'avoient jamais fait tous ceux qui nous avoient devancé soit au Bresil, soit en la Floride, soit en Canada. Dieu a beni nôtre travail, & nous a baillé de beaux fromens, segles, orges, avoines, pois, féves, chanve, navettes, & herbes de jardin: & ce si plantureusement que le segle étoit aussi haut que le plus grand homme que se puisse voir, & craignions que cette hauteur ne l'empechât de grener: Mais il a si bien profité qu'un grain de France là semé à rendu des epics tels, que par le témoignage de Monsieur le Chancellier, la Sicile, ni la Beausse n'en produisent point de plus beau. J'avoy semé du froment sans avoir pris le loisir de laisser reposer ma terre, & sans luy avoir donné aucun amendement: & toutefois il est venu en aussi belle perfection que le plus beau de France, quoy que le blé, & tout ce que nous avions semé fust suranné. Mais le blé nouveau que ledit sieur de Poutrincourt sema avant partir est venu en telle beauté qu'il ne me reste que l'admiration aprés le recit de ceux qui y ont eté un an aprés nôtre depart. Surquoy je diray ce qui est de mon fait, qu'au mois d'Avril l'an mil six cens sept ayant semé trop prés les uns des autres des grains de segle qui avoit eté cuilli à Sainte-Croix premiere demeure du Sieur de Monts, à vint-cinq lieuës du port Royal, ces grains pullulerent si abondamment qu'ilz s'étoufferent, & ne vindrent point à bonne fin.

Mais quant à la terre ammeliorée où l'on avoit mis du fien de noz pourceaux, ou les ordures de la cuisine, ou des coquilles de poissons, je ne croiroy point, si je ne l'avoy veu, l'orgueil excessif des plantes qu'elle a produit, chacune en son espece. Méme le fils dudit Sieur de Poutrincourt jeune Gentil-homme de grande esperance, ayant semé des graines d'orenges & de Citrons en son jardin, elles rendirent des plantes d'un pié de haut au bout de trois mois. Nous n'en attendions pas tant, & toutefois nous y avons pris plaisir à l'envi l'un de l'autre. Je laisse à penser si on ira de bon courage au second essay. Et me faut icy dire en passant, que le Secretaire dudit Sieur de Monts étant venu par-dela avant nôtre depart, disoit qu'il ne voudroit pour grande chose n'avoir fait le voyage, & que s'il n'eût veu noz blez il n'eût pas creu ce que c'en étoit. Voila comme de tout temps on a decrié le païs de Canada (souz lequel nom on comprend toute cette terre) sans sçavoir que c'est, sur le rapport de quelques matelots qui vont seulement pecher aux morues vers le Nort, & sur le bruit de quelques maladies qui sont ordinaires à toutes nouvelles habitations, & dont on ne parle plus aujourd'hui. Mais à propos de cette ammelioration de terre de laquelle nous venons de parler, quelque ancien Autheur dit que les Censeurs de Rome affermoient les fumiers & autres immondices, qui se tiroient des cloaques, mille talens par chacun an (qui valent six cens mille écus) aux jardiniers de Rome, pour ce que c'étoit le plus excellent fien de tous autres: & y avoit à cette fin des Commissaires établis pour les nettoyer, avec le lict & canal du Tybre, comme font foy des inscriptions antiques que j'ay quelquefois leuës.

La terre des Armouchiquois porte annuellement du blé tel-que celui que nous appellons blé Sarazin, blé de Turquie, blé d'Inde, qui est l'Irio ou Erisimon fruges de Pline, & Columelle. Mais les Virginiens, Floridiens, & Bresiliens, tous meridionaux font deux moissons. Tous ces peuples cultivent la terre avec un croc de bois, nettoient les mauvaises herbes & les brulent, engraissent leurs champs de coquillages de poissons, n'ayans ni bestial privé, ni fien: puis assemblent leurs terres en petite mottes éloignées l'une de l'autre de deux piez, & le mois de May venu ilz plantent leur blé dans ces mottes de terre à la façon que nous faisons les féves, fichans un baton, & mettans quatre grains de blé separez l'un de l'autre (par certaine superstition) dans le trou, & entre les plantes dudit blé (qui croit comme un arbrisseau, & meurit au bout de trois mois) ilz plantent aussi des féves riolées de toutes couleurs, qui sont fort delicates, léquelles pour n'étre si hautes, crossent fort bien parmi ces plantes de blé. Nous avons semé dudit blé cette derniere année dans Paris en bonne terre, mais il a peu profité, n'ayant rendu chaque plante qu'un ou deux épics affamez: là où par dela un grain rendra quatre, cinq, & six epics, & chaque épic l'un portant l'autre plus de deux cens grains, qui est un merveilleux rapport. Ce qui démontre le proverbe tiré de Theophraste étre bien veritable que C'est l'an qui produit, & non le champ: c'est à dire, que la temperie de l'air & condition du temps est ce qui fait germer & fructifier les plantes plus que la nature de la terre. En quoy est émerveillable, que nôtre blé profite là mieux, que celui de dela ici. Tesmoignage certain que Dieu benit ce païs depuis que son Nom y a eté invoqué: mémes que pardeça depuis quelques années Dieu nous bat (comme j'ay dit ailleurs) en verge de fer, & par-dela il a étendu abondamment sa benediction sur nôtre labeur, & ce en méme parallele & élevation du soleil.

Ce blé croissant haut comme nous avons dit, le tuyau en est gros comme de roseaux, voire encore plus. Le roseau & le blé pris en leur verdure, ont le gout sucrin. C'est pourquoy les mulots, & ratz des champs en sont frians, & m'en gaterent un parquet en la Nouvelle-France. Les grans animaux aussi comme cerfs, & autre bétes sauvages, comme encor les oiseaux, en font degat. Et sont contraints les indiens de les grader comme on fait ici les vignes.

La moisson faite ce peuple serre son blé dans la terre en des fosses qu'ilz font en quelque pendant de colline ou terre, pour l'égout des eaux, garnissans de natte icelles fosses, ou mettans leurs grains dans des sacs d'herbes, qu'ils couvrent par aprés de sable: & cela font ils pource qu'ilz n'ont point de maisons à étages, ni de coffres pour les serrer autrement: puis le blé conservé de cette façon est hors la voye des rats & souris.

Plusieurs nations de deça ont eu cette invention de grader le blé dans des fosses. Car Suidas en fait mention sur le mot [Grec: Seiros]. Et Procope au second livre de la guerre Gothique dit que les Gots assiegeans Rome, tomboient souvent dans des fosses où les habitans avoient accoutumé de retirer leurs blez. Tacite rapporte aussi que les Allemans en avoient. Et sans particulariser davantage, en plusieurs lieux de France, és païs plus meridionaux, on garde aujourd'hui le blé de cette façon. Nous avons dit ci-dessus de quelle façon ilz pilent leurs grains & en font du pain, & comme par le tesmoignage de Pline les anciens Italiens n'avoient pas plus d'industrie qu'eux.

Ceux de Canada & Hochelaga au temps de Jacques Quartier labouroient tout de méme, & la terre leur rapportoit du blé, des féves, des pois, melons, courges, & concombres, mais depuis qu'on est allé rechercher leurs pelleteries, & que pour icelles ils ont eu de cela sans autre peine, ilz sont devenuz paresseux, comme aussi les Souriquois, léquels s'addonnoient au labourage au méme temps.

Les uns & les autres ont encores à present quantité de Chanve exellente que leur terre produit d'elle méme. Elle est plus haute, plus deliée, & plus blanche & plus forte que la nôtre de deça. Mais celle des Armouchiquois porte au bout de son tuyau une coquille pleine d'un coton semblable à de la soye, dans laquelle git la graine. De ce coton, ou quoy que se soit, on pourra faire de bons licts plus excellens mille fois que de plume, & plus doux que de cotton commun. Nous avons semé de ladite graine en plusieurs lieux de Paris, mais elle n'a point profité.

Nous avons veu par nôtre Histoire comme en la grande Riviere, passé Tadoussac, on trouve des vignes sans nombre, raisins en la saison. Je n'en ay point veu au Port Royal, mais la terre & les cotaux y sont fort propres. La France n'en portoit point anciennement, si ce n'étoit d'aventure la côte de la Mediterranée. Et ayans les Gaullois rendu quelque signalé service à l'Empereur Probus, ilz lui demanderent pour recompense permission de planter la vigne: ce qu'il leur accorda; ayans toutefois eté auparavant refusez par l'Empereur Neron. Mais veux-je mettre en jeu les Gaullois, attendu qu'au Bresil païs chaud il n'y en avoit point avant que les François & Portugais y en eussent planté? Ainsi ne faut faire doute que la vigne ne vienne plantureusement audit Port Royal, veu méme qu'à la riviere saint-Jean (qui est plus au Nort qu'icelui Port) il y en a beaucoup, non toutefois si belles qu'au païs des Armouchiquois, où il semble que la Nature ait eté en ses gayes humeurs quand elle y en a produit.

Et d'autant que nous avons touché ce sujet parlans du voyage qu'y a fait le sieur de Poutrincourt, nous passerons outre, pour dire que cette terre ha la pluspart de ses bois de Chenes & de Noyers portant petite noix à quatre ou cinq côtes si delicates & douces que rien plus: & semblablement des prunes tres-bonnes: comme aussi le Sassafras arbre ayant les fueilles comme de Chene, moins crenelées, dont le bois est de tres-bonne odeur & tres-excellent pour la guerison de beaucoup de maladies, telles que la verole, & la maladie de Canada que j'appelle Phthisie, de laquelle nous avons amplement discouru ci-dessus. Et sur le propos de guerison, il me souvient avoir ouï dudit Poutrincourt qu'il avoit fait essay de la vertue de la gomme des sapins du Port Royal, & de l'huile de navette sur un garson fort mangé de la mauvaise tigne, & qu'il en étoit gueri.

Noz Sauvages font aussi grand labourage de Petun, chose tres-precieuse entr'eux, & parmi tous ces peuples universelement. C'est un plante de la forme, mais plus grande que Confoliada major, dont ilz succent la fumée avec un tuyau en la façon que je vay dire pour le contentement de ceux qui n'en sçavent l'usage. Aprés qu'ils ont cuilli cette herbe ilz la mettent secher à l'ombre, & ont certains sachets de cuir pendus ç leur col ou ceinture, dans léquels ils en ont toujours, & quant & quant un calumet, ou petunoir, qui est un cornet troué par le côté, & dans le trou ilz fichent un long tuiau, duquel ilz tirent la fumée du petun qui est dans ledit cornet, aprés qu'ilz l'ont allumé avec du charbon qu'ils mettent dessus. Ilz soustientront quelquefois la faim cinq & six jours avec cette fumée. Et noz François qui les ont hanté sont pour la pluspart tellement affollez de cette yvrongnerie de Petun qu'ilz ne s'en sçauroient passer non plus que du boire & du manger, & à cela depensent de bon argent, car le bon Petun qui vient du Bresil coute quelquefois un écu la livre. Ce que je repute à folie, à leur égard, pour ce que d'ailleurs ilz ne laissent de boire & manger autant qu'un autre, & n'en perdent point un tour de dents, ny de verre. Mais pour les Sauvages il est plus excusable, d'autant qu'ilz n'ont autre plus grand delice en leurs Tabagies, & se peuvent faire féte à ceux qui les vont voir de plus grand' chose: comme pardeça, quand on presente de quelque vin excellent à un ami: de sorte que si on refuse à prendre le petunoir quand ilz le presentent, c'est signe qu'on n'est point adesquidés, c'est à dire ami. Et ceux qui ont entre eux quelque tenebreuse nouvelle de Dieu, disent qu'il petune comme eux, & croyent que ce soit le vray Nectar décrit par les Poëtes.

Cette fumée de Petun prise par la bouche en sucçant comme un enfant qui tette, ilz la font sortir par le nez, & en passant par les conduits de la respiration le cerveau en est rechauffé, & les humiditez d'iceluy chassées. Cela aussi étourdit & enivre aucunement, lache le ventre, refroidit les ardeurs de Venus, endort, & la fueille de cette herbe, ou la cendre qui reste au petunoir consolide les playes. Je diray encore que ce Nectar leur est si suave, que les enfans hument quelquefois la fumée que leurs peres jettent par les narines, afin de ne rien perdre. Et d'autant que cela ha un gout mordicant, Belleforet recitant ce que Jacques Quartier (qui ne sçavoit que c'étoit) en dit, il veut faire croire que c'est quelque espece de poivre. Or quelque suavité qu'on y trouve je ne m'y ay jamais sceu accoutumer, & ne m'en chaut pour ce qui regarde l'usage & coutume de le prendre en fumée.

Il y a encore en cette terre certaine sorte de Racines grosses comme naveaux, ou truffes, tres-excellente à manger, ayans un gout retirant aux cardes, voir plus agreable, léquelles plantées multiplient comme par dépit, & en telle façon que c'est merveille. Je croy que ce soient Afrodilles, suivant la description que Pline en fait. Ses racines (dit-il) sont faites à mode de petits naveaux, & n'y a plante qui ait tant de racines que car quelquefois on y trouve bien quatre-vints Afrodilles attachées ensemble. Elles sont bonne cuites souz la cendre, ou mangées crues avec poivre ou sel & huile.

Voila ce qu'en dit cet autheur. Nous avons apporté quelques unes de ces racines en France, léquelles ont tellement multiplié, que tous les jardins en sont maintenant garnis, & les mange-on à la façon que dit Pline, ou avec beurre & un peu de vinaigre cuites en eau. Mais je veux mal à ceux qui les font nommer Toupinambaux aux crieurs de Paris. Les Sauvages les appellent Chiquebi, & s'engendrent volontiers prés les chenes.

Sur la consideration de ceci il me vient en pensée que les hommes sont bien miserables qui pouvans demeurer aux champs en repos, & faire valoir la terre, laquelle paye son creancier avec telle usure, passent leur âge dans les villes è faire des bonnetades, à solliciter des procés, à tracasser deça, dela, à chercher les moyens de tromper quelqu'un, se donnans de la peine jusques tombeau pour payer des louanges de maisons, étre habillez de soye, avoir quelques meubles precieux, bref pour paroitre & se repaitre d'un peu de vanité où n'y a jamais contentement. Pauvres fols (ce dit Hesiode) qui ne sçavent combien une moitié de ces choses en repos vaut mieux que toutes ensemble avec chagrin: ni combien est friand le bien de la Maulve & de l'Afrodille. Les Dieux certes depuis le forfait de Promethée, ont cache aux hommes la maniere de vivre heureusement. Car autrement le travail d'une journée seroit suffisant pour nourrir l'homme tout un an, & le lendemain il mettroit sa charrue sur son fumier, & donneroit du repos à ses boeufs, à ses mules & à lui-méme.

C'est le contentement qui se prepare pour ceux qui habiteront la Nouvelle-France, quoy que les fols méprisent ce genre de vie, & la culture de la terre le plus innocent de tous les exercices corporels, & que je veux appeller le plus noble, comme celui qui soutient la vie de tous les hommes. Ilz meprisent di-je, la culture de la terre, & toutefois tous les tourmens qu'on se donne, les procés qu'on poursuit, les guerres que l'on fait, ne sont que pour en avoir. Pauvre mere qu'as tu fait qu'on te méprise ainsi? Les autres elemens nous sont bien-souvent contraires, le feu nous consomme, l'air nous empeste, l'eau nous engloutit, la seule Terre est celle qui venans au monde & mourans nous reçoit humainement, c'est elle seule qui nous nourrit, qui nous chauffe, qui nous loge, qui nous vest, qui ne nous est en rien contraire; & on la vilipende, & on se rit de ceux qui la cultivent, on les met aprés les faineans & sangsues du peuple. Cela se fait ici où la corruption tient un grand empire. Mais en la Nouvelle France il faut ramener le siecle d'or, il faut renouveller les antiques Corones d'epics de blé, & faire que la premiere gloire soit celle que les anciens Romains appelloient Gloria adorea, la gloire de froment, afin d'inviter chacun à bien cultiver son champ, puis que la terre se presente liberalement à ceux qui n'en ont point. Il n'y faut point donner d'entrée à ces rongeurs de peuple, rats de grenier, qui servent que de manger la substance des autres: ny souffrir cette vilaine gueuserie qui deshonore nôtre France antique, en laquelle on fait gloire de la mendicité.

Etans asseurez d'avoir du blé & du vin, il ne reste qu'à pourvoir le païs de bestial privé: car il y profite fort bien, ainsi que nous avons dit au chapitre de la Chasse.

D'arbres fruitiers, il n'y en a gueres outre les Noyers, Pruniers, petits Cerisiers, & Avellaniers. Vray est qu'on n'a point tout decouvert ce qui est dans les terres. Car au païs des Iroquois & au profond d'icelles terres il y a plusieurs especes de fruits qui ne sont point sur les rives de la mer. Et ne faut trouver ce defaut étrange si nous considerons que la pluspart de noz fruits sont venuz de dehors: & bien souvent ilz portent Le nom du païs d'où on les a apportés. La terre d'Allemagne est bien fructifiante: mais Tacite dit que de son temps il n'y avoit point d'arbres fruitiers.

Quant aux arbres des foréts les plus ordinaires au Port Royal ce sont Chenes, Hetres, Frenes, Bouleaux (fort bons en menuiserie) Erables, Sycomores, Pins, Sapins, Aubépins, Coudriers, Sauls, petits Lauriers, & quelques autres encores que je n'ay remarqué. Il y a force Fraises & Framboises & noisettes en certains lieux, item des petits fruits bleuz & rouges par les bois. Je croy que c'est ce que les Latins ont appellé Myrtillus. J'y ay veu des petites poires fort delicates: & dans les prairies tout le long de l'Hiver il y a certains petits fruits comme des pommelettes, colorez de rouge, déquels nous faisions du cotignac pour le dessert. Il y a force grozelles semblables aux nôtres, mais elles deviennent rouges: item de ces autres grozelles rondelettes que nous appellions Guedres. Et des Pois en quantité sur les rives de mer, déquels au renouveau nous prenions les fueilles, & les mettions parmis les nôtres, & par ce moyen nous étoit avis que nous mangions des pois verds.

Au-delà de la Baye Françoise, sçavoir à la riviere saint-Jean, & sainte Croix il y force Cedres, outre ceux que je vien de dire. Quant è ceux de la grande riviere de Canada ils ont eté specifiez au 3e liv. en la relation des voyages du Capitaine Jacques Quartier & de Champlein. Vray est que pour le regard de l'arbre Annedda par nous celebré sur le rapport dudit Quartier aujourd'hui il ne se trouve plus. Mais j'ayme mieux en attribuer la cause au changement des peuples par les guerres qu'ilz se font, que d'arguer de mensonge icelui Quartier, veu que cela ne lui pouvoit apporter aucune utilité.

Ceux de la Floride sont Pins (qui ne portent point de pepins dans les prunes qu'ilz produisent), Chenes, Noyers, Merisiers, Lentisques, Chataigniers (qui sont naturels comme en France) Cederes, Cypres, Palmiers, Houx, & Vignes sauvages, léquelles montent au long des arbres comme en Lombardie, & apportent de bons raisins. Yl y a une sorte de Melliers, dont le fruit est meilleur que celui de France & plus gros: Aussi y a il des Pruniers qui portent le fruit fort beau, mais non gueres bon, des Framboisiers: Une petite graine que nous appellons entre nous Blues qui sont fort bonnes à manger: Item des racines qu'ils appellent hassez, dequoy en la necessité ilz font du Pain. Sur tout est excellente cette province au rapport du bois de l'Esquine tres-singulier pour les diettes. Mais l'eau qui en procede est de telle vertu, que si un homme ou femme maigre en buvoit continuellement par quelque temps il deviendroit fort gras & replet.

La province du Bresil a pris son nom à nôtre egard, d'un certain arbre que nous appellons Bresil, & les Sauvages du païs Araboutan. Il est aussi haut & gros que nos chenes, & ha la feuille du Buis. Nos François & autres en vont charger leurs navires en ce païs là. Le feu en est préque sans fumée. Mais qui penseroit blanchir son linge à la cendre de ce bois se tromperoit bien. Car il le trouveroit teint en rouge. Ils ont aussi des palmiers de plusieurs sortes: & des arbres dont le bois des uns est jaune & des autres violet. Ils en ont encore de senteur comme de roses, & d'autres puants, dont les fruicts sont dangereux à manger. Item une espece de Guayac Qu'ilz nomment Hivouraé, duquel ilz se servent pour guerir une maladie entre eux appellée Pians aussi dangereuse que la Verole. L'arbre qui porte le fruit que nous disons Noix d'Inde, s'appelle entre eux Sabaucaië. Ils ont en outre de Cottonniers, du fruit déquels ilz font des litz qu'ilz pendent entre deux fourches, ou poteaux. Ce païs est heureux en beaucoup d'autres sortes d'arbres fruitiers, comme Orengers, Citronniers, Limonniers, & autres, toujours verdoyans, qui fait que la perte de ce païs où les François avoient commencé d'habiter, est d'autant plus regretable à ceux qui ayment le bien de la France. Car il est bien croyable que le sejour y est plus agreable & delicieux que la terre de Canada, à cause de la verdure qui y est perpetuelle. Mais les voyages y sont longs, comme de quatre & cinq mois, & à les faire on souffre quelquefois des famines: témoins ceux de Ville-gagnon: Mais à la Nouvelle-France où nous étions quand on part en saison, les voyages ne sont que de trois semaines, ou un mois, qui est peu de chose.

Que si les douceurs & delices n'y sont telles qu'en Mexique, ce n'est pas à dire que le païs ne vaille rien. C'est beaucoup qu'on y puisse vivre en repos & joyeusement, sans se soucier des choses superflues. L'avarice des hommes a fait qu'on ne trouve point un païs bon s'il n'y a des Mines d'or. Et sots que sont ceux-là, ilz ne considerent point que la France en est à present dépourveuë: & l'Allemagne aussi, de laquelle Tacite disoit, qu'il ne sçavoit si ç'avoit eté par cholere, ou par une volonté propice que les Dieux avoient dénié l'or & l'argent à cette province. Ilz ne voyent point que tous les Indiens n'ont aucun usage d'argen monnoyé, & vivent plus contens que nous. Que si nous les appellons sots, ils en disent autant de nous, & paraventure à meilleure raison. Ilz ne sçavent point que Dieu promettant à son peuple une terre heureuse, il dit que ce sera un païs de blé, d'orge, de vignes, de figuiers, d'oliviers, & de miel, où il mangera son pain sans disette, &c. & ne lui donne pour tous metaux que du fer & du cuivre, de peur que l'or & l'argent ne luy face elever son coeur, & qu'il n'oublie son Dieu: & ne veut point que quand il aura des Rois ils amassent beaucoup d'or, ni d'argent. Ilz ne jugent point que les Mines sont les cimetieres des hommes: que l'Hespagnol y a consommé plus de dix millions de pauvres Sauvages Indiens, au lieu de les instruire à la foy Chrétienne: Qu'en Italie il y a des Mines, mais que les anciens ne voulurent permettre d'y travailler, afin de conserver le peuple. Que dans les Mines est un air épais, grossier, & infernal, où jamais on ne sçait quant il est jour ou nuit: Que faire telles choses c'est vouloir deposseder le diable de son Royaume, pour étre en pire condition paraventure que luy: Que c'est chose indigne de l'homme de s'ensevelir au creux de la terre, de chercher les enfers, & de s'abaisser miserablement au dessouz de toutes les creatures immondes: lui à qui Dieu a donné une forme droite, & la face levée, pour contempler le ciel, & lui chanter louanges: Qu'en païs de Mines la terre est sterile: Que nous ne mangeons point l'or & l'argent, & que cela de soy ne nous tient point chaudement en Hiver: Que celui qui a du blé en son grenier, du vin en sa cave, du bestail en ses prairies, & au bout des Morues & des Castors, est plus asseuré d'avoir de l'or & de l'argent, que celui qui a des Mines d'en trouver à vivre. Et neantmoins il y a des mines en la Nouvelle-France, déquelles nous avons parlé en son lieu. Mais ce n'est pas la premiere chose qu'il faut chercher. On ne vit point d'opinion. Et ceci ne git qu'en opinion, ni les pierreries aussi (qui sont jouetz de fols) auquelles on est le plus souvent trompé, si bien l'artifice sçait contrefaire la Nature: témoin celui qui vendoit il y a cinq ou six ans des vases de verre pour fine Emeraude, & se fût fait riche de la folie d'autrui s'il eût sçeu bien jouer son rollet, tirer en la Nouvelle-France du profit des diverses pelleteries qui y sont, léquelles je trouve n'étre à mespriser, puisque nous voyons qu'il y a tant d'envies contre un privilege que le Roy avoit octroyé au sieur de Monts pour ayder à y établir & fonder quelque colonie Françoise, & maintenant par je ne sçay quelle fatalité est revoqué. Mais il se pourra tirer une commodité generale à la France, qu'en la necessité de vivres, une province secourra l'autre: ce qui se feroit maintenant si le païs étoit bien habité: veu que depuis noz voyages les saisons y ont toujours eté bonnes, & pardeça rudes au pauvre peuple, qui meurt de faim & ne vit qu'en disette & langueur: au lieu que là plusieurs pourroient étre à leur aise léquels il vaudroit mieux conserver, que de les laisser perir comme ilz font, tant il y a de sansues du peuple de toutes sortes. D'ailleurs la Pecherie se faisant en la Nouvelle-France, les Terre-neuviers n'auront à faire qu'à charger leurs vaisseaux arrivans là, ou lieu qu'ilz sont contraints d'y demeurer trois mois: & pourront faire trois voyages par an au lieu d'un.

De bois exquis je n'y sache que le Cedre, & le Sassafras: mais des Sapins, & Prus, se pourra tirer un bon profit, par ce qu'ilz rendent de la gomme fort abondamment, & meurent bien-souvent de trop de graisse. Cette gomme est belle comme la Terebentine de Venise, & fort souveraine à la Pharmacie. J'en ay baillé à quelques Eglises de Paris pour encenser, laquelle a eté trouvée fort bonne. On pourra davantage fournir de cendres à la ville de Paris & autres lieux de France, qui d'orenavant s'en vont tout découverts & sans bois. Ceux qui se trouveront ici affligés pourront avoir là une agreable retraite, plutot que de se rendre sujet à l'Hespagnol comme font plusieurs. Tant de familles qu'il y a en France surchargées d'enfans, pourront se diviser, & prendre là leur partage avec un peu de bien qu'elles auront. Puis, le temps découvrira quelque chose de nouveau: & faut aider à tout le monde, s'il est possible. Mais le bien principal à quoy il faut butter c'est l'établissement de la Religion Chrétienne en un païs où Dieu n'est point conu, & la conversion de ces pauvres peuples, dont la perdition crie vengeance contre ceux qui peuvent & doivent s'employer à cela & contribuer au moins de leurs moyens à cet effect, puis qu'ils ecument la graisse de la terre, & sont constitués économes des choses d'ici bas.

Une chose doit remplir de consolation ceux qui sont vrayement pieux, que nôtre Saint Pere ayant receu la missive que j'ay couchée à la fin du second livre, a eté fort joyeux qu'en son temps une telle chose se face pour le bien de l'Eglise, & a prié Dieu pour prosperité de l'entreprise du sieur de Poutrincourt sur les corps des saints Apôtres, ce qu'il propose de continuer, ainsi qu'on nous a dit: ayant donné pouvoir à Monsieur le Nonce de donner la benediction de sa part à tous ceux qui se presenteront pour aller habiter la Nouvelle-France.




CHAP. XXIV

De la Guerre.

E la Terre vient la guerre: & quand on sera établi en la Nouvelle-France, quelque gourmand paraventure voudra venir enlever le travail des gens de bien & de courage. C'est ce que plusieurs disent. Mais l'Etat de la France est maintenant trop bien affermi, grace à Dieu, pour craindre de ces coups. Nous ne sommes plus au temps des ligues & partialitez. Nul ne s'attaquera à nôtre Roy, & ne fera des entreprises hazardeuses pour un petit butin. Et quand quelqu'un le voudroit faire, je croy qu'on a desja pensé aux remedes. Et puis, ce fait est de Religion, & non pour ravir le bien d'autrui. Cela étant, la Foy fait marcher en cette entreprise la téte levée, & passer par-dessus toutes difficultez. Car voici que le Tout-puissant dit par son Prophete Esaie à ceux qu'il prent en sa garde, & aux François de la Nouvelle-France: Ecoutez moy vous qui suivez justice, & qui cherchez le Seigneur. Regardés au rocher duquel vous avés eté taillés, & au creux de la cisterne dont vous avés eté tires; c'est à dire, Considerez que vous étes François. Regardés à Abraham vôtre pere & à Sara qui vous a enfantés, comment je l'ay appelé lui étant tout seul, & ay beni & multiplié. Pour certain doncques le Seigneur consolera Sion, &c.

Noz Sauvages n'ont point leurs guerres fondées sur la possession de la terre. Nous ne voyons point qu'ils entreprennent les uns sur les autres pour ce regar. Ils ont de la terre assez pour vivre & pour se promener. Leur ambition se borne dans leurs limites. Ilz font la guerre à la maniere d'Alexandre le Grand, pour dire, Je vous ay battu: ou par vindicte en ressouvenance de quelque injure receuë; qui est le plus grand vice que je trouve en eux, par ce que jamais ilz n'oublient les injures: en quoy ilz sont d'autant plus excusables, qu'ilz ne font rien que nous ne facions bien. Ilz suivent la Nature: & si nous remettons quelque chose de cet instinct, c'est le commandement de Dieu qui nous le fait faire, auquel toutefois la plus-part fermons les ïeux.

Quand donc ilz veulent faire la guerre, le Sagamos qui a plus de credit entre eux leur en fait sçavoir la cause, & le rendez-vous, & le temps de l'assemblée. Etans arrivés il leur fait des longues harangues sur le sujet qui se presente, & pour les encourager. A chacune chose qu'il propose il demande leur avis, & s'ilz consentent, ilz font tous une exclamation, disans Hau d'une voix longuement trainée: sinon, quelque Sagamos prendra la parole, & dira ce qu'il lui en semble, étans & l'un & l'autre bien écoutés. Leurs guerres ne se font que par surprises, de nuict obscure, ou à la lune par embuche, ou subtilité. Ce qui est general par toutes ces Indes. Car nous avons veu au premier livre de quelle façon guerroient les Floridiens: & les Bresiliens ne font pas autrement. Et aprés les surprises ilz vient aux mans, & combattent bien souvent de jour.

Mais avant que partir, les nôtres (j'enten les Souriquois) ont cette coutume de faire un Fort, dans lequel se met toute la jeunesse de l'armée; où étans, les femmes le viennent environner & tenir comme assiegés. Se voyans ainsi envelopppés ilz font des sorties pour evader, & se liberer de prison. Les femmes qui sont au guet les repoussent, les arrétent, font leur effort de les prendre. Et s'ils sont pris elles chargent dessus, les battent, les depouillent & d'un tel succés prennent bon augure de la guerre qui se va mener. S'ils échappent, c'est mauvais presage.

Ils ont encore une autre coutume à l'égard d'un particulier, lequel apportant la téte d'un ennemi, ilz font de grandes Tabagies, danses, & chansons de plusieurs jours: & durant ces choses ilz despouillent le victorieux, & ne lui baillent qu'un méchant haillon pour se couvrir. Mais au bout de huitaine environ, aprés la féte, chacun lui fait present de quelque chose pour l'honorer de sa vaillance. Ilz ne s'eloignent jamais des cabanes qu'ilz n'ayent l'arc au point & le carquois sur le dos. Et quand quelque inconnu se presente à eux, ilz mettent les armes bas, s'il est question de parlementer, ce qu'il faut faire aussi reciproquement de l'autre part: ainsi qu'il arriva au sieur de Poutrincourt en la terre des Armouchiquois.

Les Capitaines entre eux viennent par succession, ainsi que la Royauté par-deça, ce qui s'entend si le fils d'un Sagamos ensuit la vertu du pere,& est d'âge competant. Car autrement ilz font comme aux vieux siecles lors que premierement les peuples eleurent des Rois: dequoy parlant Jehan de Meung autheur du Roman de la Rose dit: