Project Gutenberg's Histoire de la Nouvelle-France, by Marc Lescarbot
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Title: Histoire de la Nouvelle-France
(Version 1617)
Author: Marc Lescarbot
Release Date: August 8, 2007 [EBook #22268]
Language: French
*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK HISTOIRE DE LA NOUVELLE-FRANCE ***
Produced by Rénald Lévesque
MARC LESCARBOT
HISTOIRE DE
LA NOUVELLE-FRANCE
Contenant les navigations, découvertes, & habitations faites par les François és Indes Occidentales & Nouvelle-France, par commission de noz Roys Tres-Chrétiens, & les diverses fortunes d'iceux en l'execution de ces choses depuis cent ans jusques à hui.
En quoy est comprise l'histoire Morale, Naturele, & Geographique des provinces cy décrites: avec les Tables & Figures necessaires.
Par MARC LESCARBOT, Advocat en Parlement Témoin oculaire d'une partie des choses ici récitées.
Troisiesme Edition enrichie de plusieurs choses singulieres, outre la suite de l'Histoire.
A PARIS
Chez ADRIAN PERIER, ruë saint
Jacques, au Compas d'or
M. DC. XVII
AU ROY
TRES-CHRÉTIEN
DE FRANCE ET DE
NAVARRE LOUYS
XIII
Duc de Milan,
Comte d'Ast, Seigneur de
Genes.
IRE, Il y a deux choses principales, qui coutumierement excitent les Roys à faire des conquétes, le zele de la gloire de Dieu, & l'accroissement de la leur propre. En ce double sujet noz Roys vos preddecesseurs ont eté dés y a long temps invités à étendre leur domination outre l'Ocean, & y former à peu de frais des Empires nouveaux par des voyes justes & legitimes. Ils y ont fait quelques depenses en divers lieux & saisons. Mais aprés avoir découvert le païs on s'est contenté de cela, & le nom François est tombé à mépris, non par faute d'hommes vertueux, qui pouvoient le porter sur les ailes, des vents les plus hautains: mais par les menées, artifices, & pratiques des ennemis de vôtre Coronne, qui ont sceu gouverner les esprits de ceux qu'ils ont reconu pouvoir quelque chose à l'avancement d'un tel affaire. Cependant l'Espagnol auparavant foible, par nôtre nonchalance s'est rendu puissant en l'Orient & en l'Occident, sans que nous ayons eu cette honorable ambition non de le devancer, mais de le seconder; non de le seconder, mais de venger les injures par eux faites à noz François, qui souz l'avoeu de noz Roys ont voulu avoir part en l'heritage de ces terres nouvelles & immenses que Dieu a presenté aux hommes de deça depuis environ six-vints ans. C'étoit chose digne du feu Roy de glorieuse memoire vôtre pere, SIRE, de reparer ces choses: mais ayant de hauts desseins pour le bien de la republique Chrétienne, il avoit laissé à vos jeunes ans ces exercices, & l'établissement d'un Royaume nouveau au nouveau monde, tandis que par-deça il travailleroit à réunir les diverses religions, & mettre en bonne intelligence les Princes Chrétiens entre eux fort partialisés. Or la jalousie de ses ennemis lui ayant envié cette gloire, & à nous un tel bien, on pourroit dire Que le fardeau que vous avez pris de l'administration des Royaumes qui vous sont écheuz vous pese assez, sans rechercher des occupations à plaisir & non necessaire. Mais, SIRE, je trouve au contraire, que comme le grand Alexandre commença préque à vôtre âge la conquéte du premier Empire du monde; Ainsi, que les entreprises extraordinaires sont bien-seantes à vôtre Majesté, laquelle depuis six mois a donné tant de preuves de sa prudence & de son courage, que les cieux, en ont eté ravis, & la terre tellement étonnée, qu'il n'y a celui d'entre les hommes qui ne vous admire, ayme & redoute aujourd'hui, & ne vous juge capable de regir non ce que vous possedés, mais tout l'univers. Cela étant, SIRE, & Dieu vous ayant departi si abondamment ses graces, il les faut reconoitre par quelque action digne d'un Roy tres-Chrétien, qui est de faire des Chrétiens, & amener à la bergerie de Jesus-Christ les peuples d'outre mer qui ne sont encore à aucun Prince assujétis, ou effacer de noz livres & de la memoire des hommes ce nom de NOUVELLE-FRANCE, duquel en vain nous nous glorifions. Vous ne manquerez, SIRE, de bons Capitaines sur les lieux s'il vous plait les ayder & soutenir, & bailler les charges à ceux-là seuls qui veulent habiter le païs. Mais, SIRE, il faut vouloir & commander, & ne permettre qu'on revoque ce qui aura eté une fois accordé, comme on a fait ci-devant à la ruine d'une si belle entreprise, que promettoit bien tot l'établissement d'un nouveau Royaume aux terres de dela, & seroit l'oeuvre aujourd'hui bien avancé, si l'envie & l'avarice de certaines gens qui ne donneront point un coup d'epée pour vôtre service, ne l'eût empeché. Le feu sieur de Poutrincourt Gentilhomme d'immortelle memoire bruloit d'un immuable desir de Christianiser (ce qu'il avoit bien commencé) les terres échuës à son lot: Et à cela il a toujours eté traversé, comme aussi son fils ainé, qui habite le païs il y a dix ans, n'ayans jamais trouvé que bien peu de support en chose si haute, si Chrétienne, & qui n'appartient qu'à des Hercules Chrétiens. Les sieurs de Monts & de Razilli font méme plainte à leur égard. Je laisse les entreprises plus reculées de nôtre memoire és voyages de Jacques Quartier, Villegagnon, & Laudonniere, en Canada, au Bresil, & en la Floride. Quoy donc, SIRE, l'Espagnol se vantera-il que par-tout où le soleil luit depuis son reveil jusques à son sommeil il a commandement; Et vous premier Roy de la terre, fils ainé de l'Eglise, ne pourrez pas dire le méme? Quoy? les anciens Grecs & Romains en leur paganisme auront-ils eu cette loüange d'avoir civilisé beaucoup de nations, & chés elles envoyé des grandes colonies à cet effect; Et nous nais en la conoissance du vray Dieu, & sous une loy toute de charité, n'aurons pas le zele, non de civiliser seulement, mais d'amener au chemin de salut tant de peuples errans capables de toutes choses bonnes, qui sont au-dela de l'Ocean sans Dieu, sans loy, sans religion, vivans en une pitoyable ignorance? Quoy, SIRE, noz Roys voz grans ayeuls auront-ils epuisé la France d'hommes & de tresors, & exposé leurs vies à la mort pour conserver la religion aux peuples d'Orientaux; Et nous n'aurons pas le méme zele à rendre Chrétiens ceux de l'Occident, qui nous donnent volontairement leurs terres, & nous tendent les bras il y a cent ans passez? Pourrons-nous trouver aucune excuse valable devant le throne de Dieu quand ilz nous accuseront du peu de pitié que nous aurons eu d'eux, & nous attribueront le defaut de leur conversion? Si nous ne sçavions l'état auquel ilz sont, nous serions hors de reproche. Mais nous le voyons, nous le trouvons, nous le sentons, & n'en avons aucun souci. Si quelques gens nouveaux nous viennent d'Italie ou d'Espagne avec un habit, ou un chant nouveau, nous allons au-devant, nous les embrassons, nous les admirons, nous les faisons en un moment regorger de richesses. Je ne blame point cela, SIRE, puis que les largesses des Roys n'ont autres bornes que leur bon plaisir, & puis qu'en vôtre Royaume chacun est maitre de son bien. Mais à la mienne volonté que l'on fit autant d'état de l'oeuvre dont je parle, oeuvre sans pareil, qui devance de bien loin tut ce qui se peut imaginer de pieté entre les exercice des hommes. Une seule confiscation, un seul bon benefice, une seule somme de cent mille écus comptée & nombrée (en plusieurs) depuis la mort du sieur Roy vôtre pere, SIRE, à une Compagnie qui n'en avoit que faire, pouvoit fournir à cela, & vous faire commander puissamment dedans la Zone torride, & dehors, à l'Occident. Mais chacun veut tirer à soi, & tant s'en faut qu'on vous remontre cela, qu'au contraire les effects nous font croire que l'on tache partout tous moyens d'enerver & faire perdre courage à ceux qui s'employent à des actions si genereuses, sans se prendre garde qu'aujourd'hui il y va de vôtre Etat en ces affaires ici: Et si nous attendons encore un siecle la France ne sera plus France, mais le proye de l'étranger, qui nous sappe tous les jours, nous debauche vos alliés, & se rend puissant à nôtre ruine en un monde nouveau qui sera tout à lui. Et pour nous eblouïr on demande des tresors tout appareillés en ces terres là, comme si la voye n'étoit point ouverte à votre Majesté pour y entrer d'un Tropique à l'autre quand il lui plaira: Comme si la gloire & force des Roys consistoit en autre chose qu'en la multitude des hommes: Et comme si vôtre antique France n'avoit pas de beaux tresors en ses blez, vins, bestiaux, toiles, laines, pastel, & autres denrées qui lui sont propres: Qui sont aussi les tresors à esperer de vôtre NOUVELLE-FRANCE plus voisine de nus, laquelle dés si long temps telle qu'elle est, sustente de ses poissons toute l'Europe tant par mer que par terre, & lui communique ses pelleteries, d'où noz Terre-neuviers & Marchans tirent de bons profits.
SIRE, s'il y a Roy au monde qui puisse & doive dominer sur la mer, & sur la terre, c'est vous qui avés des peuples innumerables dont une partie languissent faute d'occupation; Et n'étoit deux ou trois manieres de gens qui abondent dans vôtre Royaume, en auriez beaucoup d'avantage, qui ne seroient moins puissans à vous faire redouter aux extremitez de la terre, que les vieux Gaullois, qui conquirent l'Asie & l'Italie, & y occuperent des provinces appellées de leur nom: Et plus recentement encor noz peres les premiers François, qui possedoient autant delà que deçà le Rhin. Mais qui (outre ce) avés les ports pour l'Orient & l'Occident à vôtre commandement: Plus les bois pour les vaisseaux; les vivres, toiles, & cordages pour les fretter, en telle abondance, que vous en fournissés les nations voisines de vôtre Royaume. Il y a beaucoup d'autres choses à dire sur ce sujet, SIRE, dont je m'abstiens quant à cette heure pour les representer à vôtre Majesté quand elle aura consideré l'importance de ce que dessus, & donnera des témoignages qu'elle veut serieusement entendre à ce qui est du bien de son service & de la gloire de Dieu és terres de l'Occident. Ainsi Dieu vous vueille inspirer, SIRE: Ainsi Dieu vous ayde & fortifie vôtre bras pour r'entrer dans vôtre ancien heritage, & domter vos ennemis: Ainsi Dieu nous doint voir bien-tot vôtre grandeur servie & obéïe par toute la terre: A quoy je me reputeray glorieux de contribuer tout ce que doit un homme tel que je suis,
SIRE,
De vôtre Majesté
Tres-Humble, tres-obeissant,
& tres-fidele sujet.
MARC LESCARBOT
de Vervin.
A
MONSEIGNEUR MESSIRE
PIERRE JEANNIN Chevalier,
Baron de Montjeu, Chagni, et
Dracy, Conseiller du Roy en ses
Conseils d'Estat, & Conterolleur
general de ses Finances.
ONSEIGNEUR,
Comme l'âge de l'homme commence par l'ignorance, & peu à peu
l'esprit se formant, par une studieuse recherche, pratique &
experience, acquiert la cognoissance des choses belles &
relevées: Ainsi l'âge du monde, en son enfance croit rude, agreste,
& incivil, ayant peu de conoissance des choses celestes &
terrestes, & des sciences que les siecles suivans ont depuis
trouvées, & communiquées à la posterité: & y reste encore
beaucoup de choses à decouvrir, dont l'âge futur se glorifiera,
comme nous nous glorifions des choses trouvées de nôtre temps.
C'est ainsi que le siecle dernier a trouvé la Zone torride
habitable, & la curiosité des hommes a osé chercher &
franchir les antipodes que plusieurs anciens n'avoient sceu
comprendre. Tout de méme en noz jours, le desir de sçavoir a fait
découvrir à noz François des terres & orées maritimes qui
onques n'avoient eté vuës des peuples de deçà. Témoins de ceci
soient les Souriquois, Etechemins, Armouchiquois, Iroquois,
Montagnais du Saguenay, & ceux que habitent par-delà le Saut de
la grande riviere de Canada, decouverts depuis un an, au lieu
déquels les Hespagnols, & Flamens ont couché sur leurs Tables
geographiques des noms inventés à plaisir: & le premier menteur
en a tiré plusieurs autres aprés soi. Nemo enim (dit
Seneque) sibi tantum errat; sed alieni erroris causa &
author est, versatque nos & præcipitat traditus per manies
error, alienisque perimus exemplis. Mais rien ne sert de
chercher & decouvrir des païs nouveaux au peril de tant de
vies, si on ne tire fruit de cela. Rien ne sert de qualifier une
NOUVELLE-FRANCE, pour estre un nom en l'air & en peinture
seulement. Vous sçavés, Monseigneur, que noz Roys ont fait
plusieurs découvertes outre l'Ocean depuis cent ans en-çà, sans que
la Religion Chrétienne en ait esté avancée, ni qu'aucune utilité
leur en soit reüssie. La cause en est, que les uns se sont
contentez d'avoir veu, d'autres d'en ouir parler, & que jamais
on n'a embrassé serieusement ces affaires. Or maintenant nous
sommes en un siecle d'autre humeur. Car plusieurs pardeçà
s'occuperoient volontiers à l'innocente culture de la terre, s'ils
avoient dequoy l'employer: & d'autres exposeroient volontiers
leurs vies pour la conversion des peuples de delà. Mais il y faut
au prealable établir la Republique, d'autant que (comme disoit un
bon & ancien Eveque) Ecclesia est in Republica, non
Republica in Ecclesia. Il faut donc premierement fonder la
republique, si l'on veut faire quelque avancement par-delà (car
sans la Republique l'Eglise ne peut étre) & y envoyer des
colonies Françoises pour civiliser les peuples qui y sont, &
les rendre Chrétiens par leur doctrine & exemple. Et puis que
Dieu, Monseigneur vous a mis en lieu eminent sur le grand theatre
de la France pour voir & considerer ces choses, & y
apporter du secours: Vous qui aymez les belles entreprises des
voyages & navigations, aprés tant de services rendus à noz
Roys, faites encore valoir ce talent, & obligez ces peuples
errans, mais toute la Chrétienté, à prier Dieu pour vous, &
benir vostre Nom eternellement, voire à le graver en tous lieux
dans les rochers, les arbres, & les coeurs des hommes: Ce
qu'ilz feront, si vous daignés apporter ce qui est de vôtre credit
& pouvoir pour chasser l'ignorance arriere d'eux, leur ouvrir
le chemin de salut, & faire conoitre les choses belles, tant
naturelles que surnaturelles de la terre & des cieux. En quoy
je n'épargneray jamais mon travail, s'il vous plait en cela (comme
en toute autre chose) honorer de voz commandemens celuy qu'il vous
a pleu aymer sans l'avoir veu: C'est,
MONSEIGNEUR,
Vôtre tres-humble &
tres-obeissant serviteur
MARC LESCARBOT.
A LA FRANCE
EL oeil de l'Univers, Ancienne nourrice des lettres & des armes, Recours des affligez, Ferme appui de la Religion Chrétienne, Tres-chere Mere, ce seroit vous faire tort de publier ce mien travail (chose qui vous époinçonnera) souz vôtre nom, sans parler à vous, & vous en declarer le sujet. Vos enfans (tres-honorée Mere) noz peres & majeurs ont jadis par plusieurs siecles eté les maitres de la mer lors qu'ilz portaient le nom de Gaullois, & vos François n'étoient reputez legitimes si dés la naissance ilz ne sçavoient nager, & comme naturellement marcher sur les eaux. Ils ont avec grande puissance occupé l'Asie. Ils y ont planté leur nom, qui y est encore. Ils en ont fait de méme és païs des Lusitaniens & Iberiens en l'Europe. Et aux siecles plus recens, poussez d'un zele religieux & enflammé de pieté, ils ont encore porté leurs armes & le nom François en l'Orient & au Midi, si bien qu'en ces parties là qui dit François il dit Chrétien: & au rebours, qui dit Chrétien Occidental & Romain, il dit François. Le premier Cæsar Empereur & Dictateur vous donne cette louange d'avoir civilisé & rendu plus humaines & sociables les nations voz voisines, comme les Allemagnes, léquelles aujourd'huy sont remplies de villes, de peuples, & de richesses. Bref les grans Evéques & Papes de Rome s'étant mis souz vôtre aile en la persecution, y ont trouvé du repos: & les Empereurs mémes en affaires difficiles n'ont dedaigné se soubmettre à la justice de votre premier Parlement. Toutes ces choses sont marques de votre grandeur. Mais si és premiers siecles vous avez commandé sur les eaux, si vous avés imposé votre nom aux nations éloignées, si vous avés eté zelée pour la Religion Chrétienne, & bref si vous avés apprivoisé les moeurs farouches des peuples rustiques; il faut aujourd'hui reprendre les vieux erremens en ce qui a esté laissé, & dilater les bornes de vôtre pieté, justice, & civilité, en enseignant ces choses aux nations de la Nouvelle-France, puis que l'occasion se presente de ce faire, & que vos enfans reprennent le courage & la devotion de leurs peres. Que diray-je ici? (tres-chere Mere) Je crains vous offenser si je di pour la Verité que c'est chose honteuse aux Princes, Prelats, Seigneurs & peuples tres-Chrétiens de souffrir vivre en ignorance, & préque comme bétes, tant de creatures raisonnables formées à l'image de Dieu, léquelles chacun sçait étre és grandes terres Occidentales d'outre l'Ocean. L'Hespagnol s'est montré plus zelé que nous en cela, & nous a ravi la palme de la navigation qui nous étoit propre. Il y a eu du profit. Mais pourquoy lui enviera-on ce qu'il a bien acquis? Il a esté cruel. C'est ce qui souille sa gloire, laquelle autrement seroit digne d'immortalité. Depuis cinq ans le Sieur de Monts meu d'un beau desir & d'un grand courage, a essayé de commencer une habitation en la Nouvelle-France, & a continué jusques à present à ses dépens. En quoy faisant lui & ses lieutenans ont humainement traité les peuples de ladite province. Aussi aiment-ils les François universellement, & ne desirent rien plus que de se conformer à nous en civilité, bonnes moeurs, et religion. Quoy donc, n'aurons nous point de pitié d'eux, qui sont noz semblables? Les lairrons-nous toujours perir à nos yeux, c'est à dire, le sçachant, sans y apporter aucun remede? Il faut, il faut reprendre l'ancien exercice de la marine, &faire une alliance du Levant avec le Ponant, de la France Orientale avec l'Occidentale, & convertir tant de milliers d'hommes à Dieu avant que la consommation du monde vienne, laquelle s'avance fort, si les conjectures de quelques anciens Chrétiens sont veritables, léquels ont estimé que comme Dieu a fait ce grand Tout en six journées, aussi qu'au bout de six mille ans viendroit le temps de repos, auquel sera le diable enchainé, & ne seduira plus les hommes. Ce qui se rapporte à l'opinion des disciples & sectateurs d'Elie, léquels, (selon les Talmudiste) on tenu que le monde seroit
DEUX MILLE ANS VAGUE [1]
DEUX MILLE ANS LOY
DEUX MILLE ANS MESSIE,
[Note 1: C'est à dire ni Loy, ni Messie.]
& que pour nos iniquitez, qui sont grandes, seront diminuées dédites années autant qu'il en sera diminué.
Il vous faut, di-je (ô chere Mere) faire une alliance imitant le cours du Soleil, lequel comme il porte chasque jour sa lumiere d'ici en la Nouvelle-France: Ainsi, que continuellement votre civilité, vôtre justice, vôtre pieté, bref votre lumiere se transporte là-méme par vos enfans, léquels d'orenavant par la frequente navigation qu'ilz feront en ces parties Occidentales seront appellés Enfans de la mer, qui sont interpretés Enfans de l'Occident, selon la phraze Hebraïque, en la prophétie d'Osée. Que s'ilz n'y trouvent les thresors d'Atabalippa & d'autres, qui ont affriandé les Hespagnols & iceux attirés aux Indes Occidentales, on n'y sera pourtant pauvre, ainsi cette province sera digne d'étre dite vôtre fille, la transmigration des hommes de courage, l'Academie des arts, & la retraite de ceux de vos enfans qui ne se contenteront de leur fortune: déquels plusieurs faute d'estre employés, vont és païs étrangers, où desja ils-ont enseigné les metiers qui vous estoient anciennement particuliers. Mais au lieu de ce faire prenans la route de la Nouvelle-France, ilz ne se debaucheront plus de l'obeïssance de leur Prince naturel, & feront des negociations grandes sur les eaux, léquelles negociations sont si propres aux parties du Ponant, qu'és écrits des Prophetes, le mot de negociation [Hébreux] se prent aussi pour l'Occident: & l'Occident & la Mer sont volontiers conjoints avec les discours des richesses.
Plusieurs de lache coeur qui s'épouvantent la veuë des ondes, étonnent les simples gens, disans (comme le Poëte Horace) qu'il vaut mieux contempler de loin la fureur de Neptune:
Neptunum proculè terra spectare furentem,
& qu'en la Nouvelle France n'y a nul plaisir. Il n'y a point les violons, les masquarades, les danses, les palais, les villes, & les beaux batiments de France. Mais à telles gens j'ay parlé en plusieurs lieux de mon histoire. Et leur diray d'abondant que ce n'est à eux qu'appartient la gloire d'établir au nom de Dieu parmi des peuples errans qui n'en ont la conoissance: ni de fonder des Republiques Chrétiennes & Françoises en un monde nouveau: ni de faire aucune chose de vertu, qui puisse servir & donner courage à la posterité. Tels faineans mesurans chacun à leur aune, ne sçachans faire valoir la terre, & n'ayans aucun zele de Dieu, trouvent toutes choses grandes impossibles: & qui les en voudroit croire jamais on ne feroit rien.
Tacite parlant de l'Allemagne, disoit d'elle tout de méme que ceux-là de la Nouvelle-France: Qui est (dit-il) Celui, qui outre le danger d'une mer effroyable & inconnuë, voudroit laisser l'Italie, l'Asie, ou l'Afrique, pour l'Allemagne, où est un sol rigoureux, une terre informe & triste soit en son aspect, soit en sa culture, si ce n'est à celui qui y est nay? Cestui-là parloit en Payen, & comme un homme de qui l'esperance étoit en la jouïssance des choses d'ici bas. Mais le Chrétien marche d'un autre pié & a son but à ce qui regarde l'honneur de Dieu, pour lequel tout exil lui est doux, tout travail lui sont delices tous perils ne lui sont que jouëts. Pour n'y avoir des violons & autres recreations en la Nouvelle-France, il n'y a encore lieu de se plaindre: car il est fait aisé d'y en mener.
Mais ceux qui ont accoutumé de voir de beaux chateaux, villes & palais, & se contenter de l'esprit de cette veuë, estiment la vie peu agreable parmi les foréts, & un peuple nud: Pour auquels repondre je diray pour certain, que s'il y avoit des villes ja fondées de grande antiquité il m'y auroit point un poulce de terre au commandement des François, & d'ailleurs les entrepreneurs de l'affaire n'y voudroient point aller pour batir sur l'edifice d'autrui. D'abondant, qui est celui (s'il n'est bien sot) qui n'aime mieux voir une forét qui est à lui, qu'un palais où il n'a rien?
Les timides mettent encore une difficulté digne d'eux, qui est la crainte des Pyrates: A quoy j'ay répondu au Traité de la Guerre: & diray encore qu'à ceux qui marchent souz l'aile du Tout-puissant, & pour un tel sujet que celui ci, voici que dit notre Dieu: Ne craint point, ô vermisseau de Jacob, petit troupeau d'Israël: Je t'aideray, dit le Seigneur, & ton defenseur c'est le sainct d'Israël.
Et comme les hommes scrupuleux font des difficultez par tout: J'en ay quelquefois veu qui ont mis en doute si on pouvoit justement occuper les terres de la Nouvelle-France, & en dépoüiller les habitans: auquels ma reponse a esté en peu de mots, que ces peuples sont semblables à celui duquel est parlé en l'Evangile, lequel avoit serré le talent qui lui avoit esté donné, dans un linge, au lieu de le faire profiter, & partant lui fut oté. Et comme ainsi soit que Dieu le Createur ait donné la terre à l'homme pour la posseder, il est bien certain que le premier tiltre de possession doit appartenir aux enfans qui obeïssent à leur pere & le reconnoissent, & qui sont comme les ainez de la maison de Dieu, tels que sont les Chrétiens, auquels apparient le partage de la terre premier qu'aux enfans desobeïssans, qui ont eté chassez de la maison, comme indignes de l'heritage, & de ce qui en depend.
Je ne voudroy pourtant exterminer ces peuples ici, comme a fait l'Hespagnol ceux des Indes Occidentales prenant le pretexte des commandemens faits jadis à Josué, Gedeon, Saul, & autres combattans pour le peuple de Dieu. Car nous sommes en la loy de grace, loy de douceur, de pieté, & de misericorde, en laquelle nôtre Sauveur a dit, Apprenez de moy que je suis doux, & humble de coeur: Item, Venés à moy vous tous qui estes travaillés & chargés, et je vous soulageray: Et ne dit point: Je vous extermineray. Et puis, ces pauvres peuples Indiens estoient sans defense au pris de ceux qui les ont ruiné: & n'ont pas resisté comme ces peuples déquels la Sainte Ecriture fait mention. Et d'ailleurs, que s'il falloit ruiner les peuples de conquéte, ce seroit en vain que le méme Sauveur auroit dit à ses Apôtres: Allez vous-en par tout le monde, & prêchez l'Evangile à toute creature.
La terre donc appartenant de droit divin aux enfans de Dieu, il n'est ici question de recevoir le droit des Gents, & politique, par lequel ne seroit loisible d'usurper la terre d'autrui. Ce qu'étant ainsi, il la faut posseder en conservant ses naturels habitans, & y planter serieusement le nom de Jesus-Christ & le vôtre, puis qu'aujourd'hui plusieurs de vos enfans ont cette resolution immuable de l'habiter, & y conduire leurs propres familles. Les sujets y sont assez grans pour y attraire les hommes de courage & de vertu qui sont aiguillonnez de quelque belle & honorable ambition d'étre des premiers courans à l'immortalité par cette action l'une des plus grandes que les hommes se puissent proposer. Et comme les poissons de la mer salée passent tous les ans par le détroit de Constantinople à la mer du Pont Euxin (qui est la mer Major) pour y frayer, & faire leurs petits, d'autant que là ilz trouvent l'eau plus douce, ç cause de plusieurs fleuves qui se déchargent en icelle: Ainsi: (tres-chere Mere) ceux d'entre vos enfans qui voudront quitter cette mer salée pour aller boire les douces eaux du Port Royal en la Nouvelle-France, trouveront là bien-tot (Dieu aydant) une retraite tant agreable, qu'il leur prendra envie d'y aller peupler la province & la remplir de generation.
M. LESCARBOT
SOMMAIRES
DES CHAPITRES
pour servir de Table des matieres
contenües en cette Histoire.
LIVRE PREMIER
Auquel sont décrits les voyages & navigations faites par Commission, & aux dépens de noz Rois tres-Chrétiens FRANÇOIS I & CHARLES IX, en la Terre neuve de la Floride, & Virginie par les Capitaines Verazzan, Ribaut, Laudonniere, & Gourgues.
CHAPITRE I
RIGINE de la navigation. Motifs des decouvertes, qui se sont faites depuis six vints ans. Voyages de nos François sur l'Ocean. Cause du peu de fruit qu'on y a fait. Fausseté des Tables geographiques. Que le sujet de cette histoire n'est à mépriser. Qualités louables des peuples qu'on appelle sauvages.
CHAP. II
Du nom de GAULLE, Réfutation des Autheurs Grecs sur ce sujet. Noé premier Gaullois. Les anciens Gaullois peres des Umbres en Italie. Bodin refuté. Conquétes & navigations des vieux Gaullois. Loix marines, justice, & victoires des Marseillois. Portugal. Navire de Paris. Navigations des anciens François. Refroidissement en la navigation d'où est venu. Lacheté de nôtre siecle. Richesses des Terres neuves.
CHAP. III
Conjectures sur le peuplement des Indes Occidentales, & consequemment de la Nouvelle-France comprise sous icelles.
CHAP. IV
Limites de la Nouvelle-France: & sommaire du voyage de Jean Verazzan Capitaine Florentin, en la Terre-neuve aujourd'hui dite la Floride, & en toute cette côte jusques au quarantième degré: avec une briéve description des peuples qui habitent ces contrées.
CHAP. V
Voyage du Capitaine Jean Ribaut en la Floride: Les découvertes qu'il y a faites, & la premiere demeure des Chrétiens et François en cette Province.
CHAP. VI
Retour du Capitaine Ribaut en France: Confederations des François avec les chefs des Indiens: Feste d'iceux Indiens: Necessité de vivres: Courtoisie des Indiens: Division des François: Mort du Capitaine Albert.
CHAP. VII
Election d'un Capitaine au lieu du Capitaine Albert. Difficulté de retourner en France faute de navire: Secours des Indiens la dessus: Retour: Etrange et cruele famine: Abord en Angleterre.
CHAP. VIII
Voyage du Capitaine Laudonniere en la Floride dite Nouvelle-France: Son arrivée à l'ile Sainct Dominique: puis en ladite province de la Floride: Grand âge des Floridiens: Honeteté d'iceux: Batiment de la forteresse des François.
CHAP. IX
Navigation dans la riviere de May: Recit des Capitaines & Paraoustis qui sont dans les terres: Amour de vengeance: Ceremonies étranges des Indiens pour reduire en memoire la mort de leurs peres.
CHAP. X
Guerre entre les Indiens: Ceremonies avant que d'y aller: Humanité envers les femmes & petits enfans: Leurs triomphes: Laudonniere demandant quelques prisonniers est refusé: Etrange accident de tonnerre: Simplicité des Indiens.
CHAP. XI
Renvoy des prisonniers Indiens à leur Capitaine: Guerre entre deux Capitaine Indiens: Victoire à l'aide des François: Conspiration contre le Capitaine Laudonniere: Retour du Capitaine Bourdet en France.
CHAP. XII
Autre diverses conspirations contre le Capitaine Laudonniere: & ce qui en avint.
CHAP. XIII
Ce que fit Laudonniere estant delivré de ses seditieux: Deux Hespagnols reduits à la vie des Sauvages: Les discours qu'ils tindrent tant d'eux mémes, que des peuples Indiens: Habitans de Serropé ravisseurs de filles: Indiens dissimulateurs.
CHAP. XIV
Comme Laudonniere fait provision de vivre: Découverte d'un Lac que l'on pense aboutir à la mer du Su: Montagne de la Mine: Avarice des Sauvages: Guerre: Victoire à l'aide des François.
CHAP. XV
Grandes necessité de vivres entre les François accruë jusques à une extreme famine: Guerre pour avoir la vie: Prise d'Outina: Combat des François contre les Sauvages: Façon de combattre d'iceux Sauvages.
CHAP. XVI
Provision de mil: Arrivée de quatre navires Angloises: Reception du Capitaine & general Anglois: Humanité & courtoisie d'icelui envers les François.
CHAP. XVII
Preparation du Capitaine Laudonniere pour retourner en France: Arrivée du Capitaine Jean Ribaut: Calomnies contre Laudonniere: Navires Hespagnoles ennemies: Deliberation sur leur venuë.
CHAP. XVIII
Opiniatreté du Capitaine Ribaut: Prise du Fort des François: Retour en France: Mort dudit Ribaut & des siens: Bref recit de quelques cruautés Hespagnoles. Impossible de reduire les hommes à méme opinion.
CHAP. XIX
Entreprise haute & genereuse du Capitaine Gourgues pour relever l'honneur des François en la Floride: Renouvellement d'alliance avec les Sauvages: Prise des deux plus petits Forts des Hespagnols.
CHAP. XX
Hespagnol déguisé en Sauvage: Grande resolution d'un Indien: Approches & prise du grand Fort: Demolition d'icelui, & des deux autres: Execution des Hespagnols prisonniers: Regrets des Sauvages au partir des François: Retour de Gourgues France: Et ce qui avint depuis.
LIVRE DEUXIÈME
Contenant les Voyages faits souz le
Capitaine Villegagnon en la France
Antarctique du Bresil.
CHAP. I
E
Ntreprise du Sieur de Villegagnon pour aller au Bresil: Discours
de tout son voyage jusques à son arrivée en ce païs là: Fièvre
pestilente à-cause des eaux puantes: Maladies des François, &
mort de quelques uns: Zone Torride temperée: Multitude de Poissons:
Ile de l'Ascension: Arrivée au Bresil: Riviere de Ganabara: Fort
des François.
CHAP. II
Renvoy de l'un des navires en France: Expedition des Genevois pour envoyer au Bresil: Conjuration contre Villegagnon: Découverte d'icelle: Punition de quelques uns: Description du lieu & retraite des François: Partement de l'escouade Genevoise.
CHAP. III
Seconde navigation faite au Bresil aux dépens du Roy: Accident d'une vague de mer: Discours des iles Canaries: Barbarie, païs fort bas: Poissons volans, & autres, pris en mer: Tortuës merveilleuses.
CHAP. IV
Passage de le Zone Torride: où navigation difficile: & pourquoy: Et sur ce; Refutation des raisons de quelques autheurs: Route des Hespagnols au Perou: De l'origine du flot de la mer: Vent oriental perpetuel sous la ligne æquinoctiale: Origine & causes d'icelui, & des vents d'abas, & de midi: Pluies puantes souz la Zone Torride: Effects d'icelles: Ligne æquinoctiale pourquoy ainsi dite: Pourquoy sous icelle ne se voit ne l'un ne l'autre Pole.
CHAP. V
Découverte de la terre du Bresil: Margajas quels peuples: Façon de troquer avec les Ou-etacas peuple le plus barbare de tous les autres: Haute roche appellée l'Emeraude de Max-hé: Cap de Frie: Arrivée des François à la riviere de Ganabara, où étoit Villegagnon.
CHAP. VI
Comment le sieur du Pont exposa au sieur de Villegagnon la cause de sa venuë & de ses compagnons: Reponse dudit Villegagnon: Et ce qui fut fait au Fort de Colligni aprés l'arrivée des François.
CHAP. VII
Ordre pour le fait de la Religion: Pourquoy Villegagnon a dissimulé sa Religion: Sauvages amenez en France: Mariages celebrés en la France Antarctique: Debats pour la Religion: Conspirations contre Villegagnon: Rigueur d'icelui: Les Genevois se retirent d'avec lui: Question touchant la celebration de la Cene à faute de pain & de vin.
CHAP. VIII
Description de la riviere, ou Fort de Ganabara: Ensemble de l'ile où est le Fort de Colligni Ville-Henri de Thevet. Baleine dans le Port de Ganabara: Baleine échouée.
CHAP. IX
Famine extreme, & les effects d'icelle: Pourquoy on dit Rage de faim: Découverte de la terre de Bretagne: Recepte pour s'affermir le ventre: Procez contre les Genevois envoyé en France: Retour de Villegagnon.
LIVRE TROISIÈME
Auquel sont décrits les voyages,
navigations, &
découvertes, des François dans les Golfes
& grande riviere de Canada.
CHAP. I
S
Ommaire de deux voyages faits par le Capitaine Jacques Quartier
en la Terre-Neuve: Golfe, & grand fleuve de Canada:
Esclaircissement des noms de Terre-neuve Bacalos, Canada
& Labrador: Erreur de Belle-forest.
CHAP. II
Relation du premier voyage fait par le Capitaine Jacques Quartier en la Terre-Neuve du Nort jusques à l'embouchure du grand fleuve de Canada. Et premierement l'état de son equipage, avec les découvertes du mois de May.
CHAP. III
Les navigations & découvertes du mois de Juin.
CHAP. IIII
Les navigations & découvertes du mois de Juillet.
CHAP. V
Les navigations & découvertes du mois d'Aoust, & le retour en France.
CHAP. VI
Que la conoissance des voyages du Capitaine Jacques Quartier est necessaire principalement aux Terre-neuviers qui vont à la pecherie: Quelle route il a prise en cette seconde navigation: Voyage de Champlein jusques à l'entrée du grand fleuve de Canada: Epitre presentée au Roy par ledit Capitaine Jacques Quartier sur la relation de son deuxiéme voyage.
CHAP. VII
Preparation du Capitaine Jacques Quartier & des siens au voyage de la Terre neuve: Embarquement: Ile aux oiseaux: Découvertes d'icelui jusques au saut du grand fleuve de Canada, par lui dit Hochelaga: Largeur et profondeur nompareille d'iceluy: Son commencement inconnu.
CHAP. VIII
Retour du Capitaine Jacques Quartier vers Labaye sainct Laurent: Hippopotames: Continuation du voyage dans la grande riviere de Canada, jusques à la riviere de Saguenay qui sont cent lieues.
CHAP. IX
Voyage de Champlein depuis Anticosti jusques à Tadoussac: Description de Cachepé; Riviere de Mantanne: Port de Tadoussac; Baye des Morues, Ile percée, Baye de chaleur: Remarques des lieux, iles, ports, bayes, sables, rocher, & rivieres qui sont à la bende du Nort en allant à la riviere de Saguenay Description du port de Tadoussac, & de ladite riviere de Saguenay. Contradiction de Champlein.
CHAP. X
Bonne reception faite aux François par le grand Sagamos des Sauvages de Canada: Leurs festins & danses: La guerre qu'ils ont avec les Iroquois.
CHAP. XI
La rejouïssance que font les Sauvages aprés qu'ils ont eu victoire sur leur ennemis: Leurs humeurs: Sont malicieux: Leur croyance & faulses opinions. Que leurs devins parlent visiblement aux diables.
CHAP. XII
Comme le Capitaine Jacques Quartier par de la riviere de Saguenay pour chercher un port, & s'arrête à Saincte Crois: Poissons inconus: Grandes Tortues: Ile aux Coudres: Ile d'Orleans: Rapport de la terre du païs: Accueil des François par les Sauvages: Harangues des Capitaines Sauvages.
CHAP. XIII
Retour du Capitaine Jacques Quartier à l'ile d'Orleans, par lui nommée l'Ile de Bachus, & ce qu'il y trouva: Balizes fichées au port sainct Croix: Forme d'alliance: Navire mis à sec pour hiverner: Sauvages ne trouvent bon que le Capitaine aille en Hochelaga: Etonnement d'iceux au bourdonnement des Canons.
CHAP. XIV
Ruse inepte des Sauvages pour detourner le Capitaine Jacques Quartier du voyage en Hochelaga: Comme ilz figurent le diable: Depart de Champlein de Tadoussac pour aller à Saincte Croix: Qualités & rapport du païs: Ile d'Orleans: Kebec, Diamants audit Kebec: Riviere de Batiscan.
CHAP. XV
Voyage du Capitaine Jacques Quartier à Hochelaga: Qualités & fruits du païs: Reception des François par les Sauvages: Abondance de vignes & raisins. Grand lac: Rats musquets. Arrivée en Hochelaga. Merveilleuse rejouyssance desdits Sauvages.
CHAP. XVI
Comme le Capitaine & les Gentils-hommes de sa compagnie, avec ses mariniers allerent à la ville de Hochelaga: Situation du lieu: Fruits du païs; Batimens: & maniere de vivre des Sauvages.
CHAP. XVII
Arrivée du Capitaine Quartier à Hochelaga Accueil & caresses à lui faites: Malades lui sont apportez pour les toucher: Mont-Royal: Saut de la grande riviere de Canada: Etat de la dite riviere et ledit Saut: Mines: Armures de bois, dont usent certains peuples: Regrets pour son depart.
CHAP. XVIII
Retour de Jacques Quartier au Port de Saincte Croix aprés avoir esté à Hochelaga: Sauvage gardent les tétes de leurs ennemis: Les Toudamans ennemis des Canadiens.
CHAP. XIX
Voyage de Champlein depuis le port de Saincte Croix jusques au Saut de la grande riviere, où sont remarqués les rivieres, iles, & autres choses qu'il a découvertes audit voyage: & particulierement la riviere, le peuple, & le païs des Iroquois.
CHAP. XX
Arrivée au Saut: Sa description, & ce qui s'y void de remarquable. Avec le rapport des Sauvages touchant la fin, ou plustot l'origine de la grande riviere.
CHAP. XXI
Retour du Saut à Tadoussac, avec la confrontation du rapport de plusieurs Sauvages, touchant la longueur, & commencement de la grande riviere de Canada: Du nombre de sauts & lacs qu'elle traverse.
CHAP. XXII
Description de la grande riviere de Canada, & autres qui s'y dechargent: Des peuples qui habitent le long d'icelle: Des fruits de la terre: Des bétes & oiseaux: & particulierement d'une béte à deux piez: Des poissons abondans en ladite grande riviere.
CHAP. XXIII
De la riviere du Saguenay: Des peuples qui habitent vers son origine: Autre riviere venant dudit Saguenay au dessus du Saut de la grande riviere: De la riviere des Iroquois venant de vers la Floride, païs sans neges, ni glaces: Singularités d'icelui païs: Soupçon sur les Sauvages de Canada: Guet nocturne: Reddition d'une fille échappée: Reconciliation des Sauvages avec les François.
CHAP. XXIV
Mortalité entre les Sauvages: Maladie étrange & inconnuë entre les François: Devotions & voeux: Ouverture d'un corps mort: Dissimulation envers les Sauvages sur lesdites maladies & mortalité: Guerison merveilleuse d'icelle maladie.
CHAP. XXV
Soupçon sur la longue absence du Capitaine des Sauvages: Retour d'icelui avec multitude de gans: Debilité des François: Navire delaissé pour n'avoir la force de le remener: Recit des singularités du Saguenay, & autres recherches merveilleuses.
CHAP. XXVI
Croix plantée par les François: Capture des principaux Sauvages, pour les amener en France, & faire recit au Roy des singularités du Saguenay: Lamentations des Sauvages: Presens reciproques du Capitaine Quartier, & d'iceux Sauvages.
CHAP. XXVII
Retour du Capitaine Jacques Quartier en France: Rencontre de certains Sauvages qui avoient des couteaux de cuivre: Presens reciproques entre lesdits Sauvage & ledit Capitaine: Descriptions des lieux où la route s'est adressée.
CHAP. XXVIII
Rencontre des Montaignais (sauvages de Tadoussac) & Iroquois: Privilege de celui qui est blessé à la guerre: Ceremonies des Sauvages devant qu'aller à la guerre: Conte fabuleux de la monstruosité des Armouchiquois: De la Mine reluisante au Soleil: & du Gougou: Arrivée au Havre de Grace.
CHAP. XXIX
Discours sur le Chapitre precedent: Crédulité legere: Armouchiquois quels: Sauvages toujours en crainte: Causes des terreurs Paniques: Fausses visions, & imaginations: Gougou proprement que c'est: Autheur d'icelui: Mine de cuivre: Hano Carthageois: Censures sur certains Autheurs qui ont écrit de la Nouvelle-France. Conseil pour l'instruction des Sauvages.
CHAP. XXX
Entreprise du sieur de Roberval, pour la terre de Canada Commission du Capitaine Jacques Quartier. Fin de ladite entreprise.
CHAP. XXXI
Plainte sur nôtre inconstante & lacheté. Nouvelle entreprise & Commission pour Canada. Envie des Marchans Maloins. Revocation de ladite commission.
CHAP. XXXII
Voyage du Marquis de la Roche aux Terres-neuves. Ile de Sable. Son retour en France d'une incroyable façon. Ses gens cinq ans en ladite ile. Leur retour. Commission dudit Marquis.
LIVRE QUATRIÈME
Auquel sont compris les voyages des Sieurs
de
Monts, & de Poutrincourt.
CHAP. I
I
Ntention de l'Autheur. Commission du Sieur de Monts. Defenses
pour le traffic des pelleteries.
CHAP. II
Voyage du sieur de Monts en la Nouvelle-France: Des accidens survenus audit voyage: Causes des bancs de glaces en la Terre-neuve: Imposition de noms à certains ports: Perplexité pour le retardement de l'autre navire.
CHAP. III
Debarquement du Port au Mouton: Accident d'un homme perdu seze jours dans les bois: Baye Françoise: Port Royal: Riviere de l'Equille: Mine de cuivre: Malheur des mines d'or: Diamans: Turquoises.
CHAP. IIII
Description de la riviere sainct Jean: & de l'ile saincte Croix: Homme perdu dans les bois trouvé le seziéme jour: Exemples de quelques abstinences étranges: Differens des Sauvages remis au jugement du sieur de Monts: Authorité paternele entre lesdits sauvages: Quels marits choisissent à leur filles.
CHAP. V
Description de l'ile Saincte Croix: Entreprise du sieur de Monts difficile, & genereuse: et persecutée d'envie: Retour du Sieur de Poutrincourt en France: Perils du voyage.
CHAP. VI
Batimens de l'ile Saincte Croix: Incommoditez des François audit lieu: Maladies inconnuës: Ample discours sur icelles: De leur causes: Des peuples qui y sont sujets: Des Viandes, mauvaises eaux, airs, vents, lacs, pourriture des bois, saisons, disposition de corps des jeunes, des vieux: Avis de l'Autheur sur le gouvernement de la santé & guerison desdites maladies.
CHAP. VII
Découverte de nouvelles terres par le sieur de Monts: Conte fabuleux de la riviere & ville seinte de Norembega: Refutation des Autheurs qui en ont écrit: Bancs des Moruës en la Terre-neuve: Kinibeki: Choüakoet: Malebarre: Armouchiquois: Mort d'un François tué: Mortalité des Anglois en la Virginie.
CHAP. VIII
Arrivée du Sieur de Pont à l'ile Saincte Croix: Habitation transferée au Port Royal: Retour du Sieur de Monts en France: Difficulté des moulins à bras: Equipage dudit sieur du Pont pour aller decouvrir les Terres-neuves outre Malebarre: Naufrage: Prevoyance pour le retour en France: Comparaison de ces voyages avec ceux de la Floride: Blame de ceux qui méprisent la culture de la terre.
CHAP. IX
Motif, & acceptation du voyage du sieur de Poutrincourt, ensemble de l'autheur en la Nouvelle-France: Partement de la ville de Paris pour aller à la Rochelle: Adieu à la France.
CHAP. X
Jonas nom de nôtre navire: Mer basse à la rochelle cause de difficile sortie: La Rochelle ville reformée: Menu peuple insolent: Croquans: Accident de naufrage du Jonas: Nouvel equipage: Foibles soldats ne doivent estre mis aux frontieres: Ministres prient pour la conversion des Sauvages: Peu de zele des nôtres: Eucharistie portés par les anciens Chrétiens en voyage: Diligence du sieur de Poutrincourt sur le point de l'embarquement.
CHAP. XI
Partement de la Rochelle: Rencontres divers de navires, & Forbans: Mer tempetueuse à l'endroit des Essores, & pourquoy: Vents d'Ouest pourquoy frequens en la mer du Ponant: D'où viennent les vents: Marsoins prognostiques de tempétes: Façon de les prendre: Tempétes: Effects d'icelles: Calmes: Gain de vent que c'est: comme il se forme: Ses effects: Asseurance de Matelots: Reverence comme se rend au navire Royal: Supputation de voyage: Mer chaude, puis froide: Raison de ce: & des Bancs de glace en la Terre-neuve.
CHAP. XII
Du grand Banc des Moruës: Arrivée audit Banc: Description d'icelui: Pecherie de moruës & d'oiseaux; Gourmandise des Happe-foyes: Perils divers: Causes des frequentes & longues brumes en la mer Occidentale: Avertissemens de la terre: Veuë d'icelle: Odeurs merveilleuses: Abord de deux chaloupes: Descente au Port du Mouton: Arrivée au port Royal.
CHAP. XIII
Heureuse rencontre du Sieur du Pont. Son retour au Port Royal: Rejouïssance: Description des environs dudit port: Conjecture sur l'origine de la grande riviere de Canada Semailles de blez. Retour du sieur du Pont en France. Voyage du sieur de Poutrincourt au païs des Armouchiquois. Beau segle provenu sans culture. Exercices & façon de vivre au Port Royal: Cause des prairies de la riviere de l'Equille.
CHAP. XIV
Partement de l'ile Saincte Croix. Baye de Marchim. Choüakoet. Vignes & raisins, & largesse de Sauvages. Terre & peuples Armouchiquois: Cure d'un Armouchiquois blessé: Simplicité & ignorance de peuples. Vices des Armouchiquois. Soupçon. Peuple ne se souciant de vétement. Blé semé & vignes plantées en la terre des Armouchiquois. Quantité de raisins: Abondance de peuple. Mer perilleuse.
CHAP. XV
Perils. Langage inconnu Structure d'une forge, & d'un four. Croix plantée. Abondance. Conspiration. Desobeïssance. Assassinat. Fuite de trois cens contre dix. Agilité des Armouchiquois. Mauvaise compagnie dangereuse. Propheties de ce temps. Accident d'un mousquet crevé. Insolence, timidité, impieté, & fuite de Sauvages. Port Fortuné. Mer mauvaise. Vengeance. Conseil & resolution sur le retour. Nouveaux perils. Faveur de Dieu. Arrivée du Sieur de Poutrincourt au Port Royal, & la reception à lui faite.
CHAP. XVI
Etat des semailles. Nôtre façon de vivre en la Nouvelle-France. Comportement des Sauvages parmi nous. Etat de l'hiver: Pourquoy en ce temps pluies & brumes rares: Pourquoy pluies frequentes entre les Tropiques: Neges utiles à la terre: Conformité de temps en l'antique & Nouvelle-France: Pourquoy printemps tardif: Culture de jardins: Rapport d'iceux: Moulin à eau: Manne de harens: Preparation pour le retour: Invention du sieur de Poutrincourt: Admiration des sauvages. Nouvelles de France.
CHAP. XVII
Arrivée de François: Societé du sieur de Monts rompuë: et pourquoy: Avarice de ceux qui volent les Morts: Feuz de joye pour la naissance de Monseigneur d'Orleans: Partement des Sauvages pour aller ç la guerre: Sagamos Membertou: Voyages sur la côte de la Baye Françoise: Traffic sordide: Ville d'Ouïgoudi: Sauvages comme font de grans voyages: Mauvaises intentions d'iceux: Mine d'acier: Voix de Loups-Marins: Etat de l'ile Saincte Crois. Erreur de Champlein. Amour des Sauvages envers leurs enfans: Retour au Port Royal.
CHAP. XVIII
Port de Campseau: Partement du Port Royal: Brumes de huit jours: Arc-en-ciel paroissant dans l'eau: Port Savalet: Culture de la terre exercice honorable: Regrets des Sauvages au partir du sieur de Poutrincourt: Retour en France: Voyage au Mont sainct Michel: Fruits de la Nouvelle-France presentez au Roy: Voyage en la Nouvelle-France depuis le retour dudit sieur de Poutrincourt: Lettre missive dudit sieur au Sainct Pere le Pape de Rome.
LIVRE CINQUIÈME
Contenant sommairement les navigations
faites
en la Nouvelle France depuis nôtre retour
en l'an mil six cens sept
jusques à hui.
CHAP. I
M
Ention de nôtre grand Roy Henri sur le sujet des grandes
entreprises: Ensemble des Sieurs de Monts et de Poutrincourt.
Revocation du Privilege de la traite des Castors. Reponse aux
envieux pour le Sieur de Monts. Dignité du charactere Chrétien.
Perils dudit Sieur de Monts.
CHAP. II
Equipage du Sieur de Monts. Kebec. Commission de Champlein. Conspiration chatiée. Consideration sur le discours dudit Champlein. Fruits naturels de la terre. Scorbut. Anneda. Defense pour Jacques Quartier.
CHAP. III
Voyage de Champlein contre les Iroquois. Riviere des Iroquois, & saut d'icelle. Comme vivent les Sauvages allans à la guerre. Disposition de leur gendarmerie. Ilz croyent aux songes. Lac des Iroquois. Alpes des Iroquois.
CHAP. IV
Rencontre des Iroquois. Barricades. Message à l'ennemi. Effect d'arquebuse. Victoire. Butin. Retour des victorieux. Cruauté envers les prisonniers. Ceremonies à l'arrivée des victorieux en leur païs.
CHAP. V
Retour de Champlein en France, et de France en Canada. Riviere de Canada quand ouverte. Triste accident. Etat de Kebec. Guerre contre les Iroquois. Siege de leur Fort. Prise d'icelui à l'ayde de Champlein. Avarice de Marchans. Cruauté de Sauvages sur leurs prisonniers de guerre. Baleine touchée dormante en mer au retour en France.
CHAP. VI
Retour de Champlein en Canada. Bancs de glace longs de cent lieuës. Arrivée à la terre-neuve. Comment les Sauvages passent le Saut de la grande riviere de Canada. Saut du Rhin. Mensonges d'un qui a écrit un sien voyage en Mexique.
CHAP. VII
Commission de Champlein portant reglement pour le traffic avec les Sauvages. Etat de Kebec. Credulité de Champlein à un imposteur. Ses travaux en suite de ce. Sauvages haïssent les menteurs. Imposteur conveincu. Observations sur le voyage de Champlein aux Algumquins. Ceremonies des Sauvages passans le saut du bassin. Quels peuples voisinent les Algumquins. Variations de Champlein.
CHAP. VIII
Qu'il ne se faut fier qu'à soy-méme. Embarquement du Sieur de Poutrincourt. Longue navigation. Conspiration. Arrivée au Port Royal. Baptemes des Sauvages, s'il faut contraindre en Religion. Maniere d'attirer ces peuples. Mission pour l'Eglise de la Nouvelle-France.
CHAP. IX
Peril du Sieur de Poutrincourt. Zele des Sauvages à la religion Chrétienne. Remarques des faveurs de Dieu depuis l'entreprise de la Nouv. Fr.
CHAP. X
Sur la nouvelle des baptemes des Sauvages les Jesuites se presente pour la Nou. Fr. Empechement. Retardement à la ruine de Poutrincourt. Association des Jesuites pour le traffic. L'Eglise est en la Republique. Bancs de glace d'eau douce en mer. Justice de Poutrincourt. Mauvaise intelligence des Jesuites avec Poutrincourt, Polygamie.
CHAP. XI
Retour de Poutrincourt en France. Deffiance sur les Jesuites. Biencourt Vice-Admiral. Rebellion contre lui. Mort du grand Membertou. Un Jesuites en vain essaye de vivre à la Sauvage. Plaisante precaution d'un Sauvage. Association de la Dame de Guercheville avec Poutrincourt. A la suasion des Jesuite elle se fait donner la terre, & les prend pour administrateurs.
CHAP. XII
Contentions entre les Jesuites & ceux de Poutrincourt. Jésuites s'embarquent furtivement pour retourner en France. Sont empechés. Excommunication. Exercices de la religion delaissez. Reconciliation simulée. Saisie du navire de Poutrincourt. Lettre de lui-méme plaintive contre les Jesuites.
CHAP. XIII
Embarquement des Jesuites pour aller posseder la Nouvelle-France. Leur arrivée. Contestations entre eux. Sont attaqués, pris, & emmenés par les Anglois. Un Jesuite tué, avec deux autres. Lacheté du Capitaine. Charité des Sauvages. Retour des Anglois en Virginia, avec leur butin, & retour d'eux-mémes avec les Jesuites en la côte de la Nouvelle-France.
CHAP. XIV
Brigandage des Anglois. Lettre du Sieur de Poutrincourt narrative de ce qui s'est passé. Conjecture contre les Jesuites. Plainte de Poutrincourt. Extraict d'une requéte contre les Jesuites par les Chinois. Anglois retournans en Virginie écartez diversement. Le navire Jesuite porté par les vents contraires en Europe.
CHAP. XV
Pieté du sieur de Poutrincourt. Dernier exploit & mort d'icelui. Epitaphes en sa memoire.
LIVRE SIXIEME
Contenant les moeurs, coutumes, & façons de vivre des Indiens Occidentaux, de la Nouvelle-France, comparées à celles des anciens peuples de pardeça: & particulierement de ceux qui sont en méme parallele & degré.
CHAP. I
D
E LA NAISSANCE. Coutume des Hebrieux, Cimbres, François, &
Sauvages.
CHAP. II
DE L'IMPOSITION DES MONTS. Abus de ceux qui imposent les noms des Chrétiens aux infideles: Du changement de nom. Les noms n'ont point été imposez sans sujet. Des soubriquets. De l'origine des surnoms. Des noms des hommes imposés aux villes et provinces.
CHAP. III
DE LA NOURRITURE DES ENFANS, de l'amour des peres & meres envers eux. Femmes d'aujourd'hui: Anciennes Allemandes. Sauvages aiment leurs enfans plus que pardeça: & pourquoy. Nouvelle-France en quoy utile à l'antique France. Possession de la terre.
CHAP. IV
DE LA RELIGION. Origine de l'idolatrie. Celui qui n'adore rien est plus suceptible de la Religion Chrétienne qu'un idolatre. Religion des canadiens. Peuple facile à convertir. Astorgie & impitié des Chrétiens du jourd'hui. Donner du pain & enseigner les arts est le moyen de convertir les peuples Sauvages. Du nom de Dieu. De certains Sauvages ja Chrétiens de volonté. Religion de ceux de Virginia. Contes fabuleux de la Resurrection. Simulacres des dieux. Religion des Floridiens. Erreur de Belle-forest. Adoration du Soleil. Baise-main. Bresiliens tourmentez du diable: Ont quelque obscure nouvelle du Deluge: & de quelque Chrétien qui anciennement a esté vers eux.
CHAP. V
DES DEVINS, & Autmoins. De la Pretrise. Idoles des Mexicains. Pretres Indiens sont aussi Medecins. Pretexte de Religion. Ruse des Autmoins: Comme ils invoquent les diables. Le diable égratigne ses sacrificateurs negligens. Chansons à la loüange du diable. Sabat des Sauvages. Feuz de la sainct Jehan. Vrim & Tummin. Sacerdoce successif. Caraïbes, affronteurs semblables aux sacrificateurs de Bel.
CHAP. VI
DU LANGAGE. Les indiens tous divisés en langage. Le temps apporte changement aux langues. Conformité d'icelles. Du mot Sagamos. Sauvages parlent en tutoyant. Causes du changement des langues. Traffic de Castors depuis quand. Prononciation des Sauvages, anciens Hebrieux, Grecs, Latins: & des Parisiens. Sauvages ont des langues particuliers non entenduës des Terre-neuviers. Prier en langue entenduë. Maniere de conter des Sauvages.
CHAP. VII
DES LETTRES. Invention des lettres admirable. Anciens Allemans sans lettres. Les lettres & sciences és Gaulles avant les Grecs & Latins. Saronide des vieux Theologiens & Philosophes Gaullois. Poëte Bardes. Reverence qu'on leur portoit. Reverence de Mars aux Muses. Fille ainée du Roy. Basilic attaché au temple d'Apollon. Deploration de la mort du Roy HENRI LE GRAND.
CHAP. VIII
DES VETEMENS ET CHEVELURES. Vetemens à quelle fin. Nudité des anciens Pictes, des modernes Æthiopiens. Des Bresiliens. Sauvages de la Nouvelle-France plus honétes. Leurs manteaux de peluche. Vétement de l'ancien Hercules, des anciens Allemans, des Gots. Chaussure des Sauvages. Couverture de la téte. Chevelures des Hebrieux, Gaullois, Gots. Ordonnance aux prétres de porter chappeaux. Hommes tondus.
CHAP. IX
DE LA FORME ET DEXTERITE. Forme de l'homme la plus parfaite. Violence fait à la Nature. Bresiliens camus. Le reste des Sauvages beaux hommes. Demi nains. Patagons geans. Couleur des Sauvages. Description des Mouches Occidentales. Ameriquains pourquoy ne sont noirs. D'où vient l'ardeur de l'Afrique: & le rafraichissement de l'Armerique en méme degré. Couleur des cheveux, & de la barbe. Romains quand ont porté barbe, Sauvages ne sont velus. Femmes veluës. Anciens Gaullois & Allemans à poil blond comme or. Leurs Regard, Voix, Yeux: Beauté des Yeux quelle. Femmes à bonne tète. Yeux des hommes de la Taprobane, des Sauvage, & Scythes. Des Levres. Corps monstrueux. Agilité corporele. Comme font les Naires de Malabaris pour étre agiles. Quels peuples ont l'agilité. D'exterité à nager des Indiens. Veuë aigüe. Odorat des Sauvages. Leur haine contre les Hespagnols.
CHAP. X
DES ORNEMENS DU CORPS. Du fard, & peintures, des Hebrieux, Romains, Afriquains, &c. Anglois, Pictes, Gots, Scythes, &c. Indiens Occidentaux. Des Marques des anciens Hebrieux, Tyrons, & Chrétiens. Blame des fard & peintures corporeles.
CHAP. XI
DES ORNEMENS EXTERIEURS. Deux tyrans de nôtre vie. Superfluité de l'ancienne Rome. Exces des dames. Des Moules & Cages de téte. Peinture des cheveux. Pendans d'oreilles. Perles aux mains, jarretieres, bottines, & souliers. Perles que c'est. Matachiaz. Vignols. Esurgni. Carquans de fer, & d'or.
CHAP. XII
DU MARIAGE. Coutume des Juifs, Sauvages plus civils que maintes nations anciennes. Femmes veuves se noircissent le visage. Prostitution de filles. Continence des Souriquoises. Filles à l'épreuve avant le mariage. Maniere de rechercher une fille en mariage. Prostitution de filles au Bresil. Verole. Guerison. Continence des anciens Allemans. Raison de la continence des Sauvages. Floridiens aiment les femmes. Ithyphales. Degrez de consanguinité. Femmes Gaulloises secondes. Polygamie sans jalousie. Repudiation. Secondes nopces apres la separation. Homme ayant mauvaise femme que doit faire. Abstinences des veuves. Coutume de préter les femmes pour avoir lignée. Paillardise est abominable avec les infideles.
CHAP. XIII
LA TABAGIE. Vie des Sauvages des premieres terres. Comme les Armouchiquois usent de leur blé. Anciens Italiens de méme. Assemblée de Sauvages faisans la Tabagie. Femmes separées. Honneur rendu aux femmes entre les vieux Gaullois & Allemans. Mauvaise condition d'icelles entre les Romains. Quels ont établi l'empire Romain. Façon de vivre des vieux Romains, Tartares, Moscovites, Getuliens, Allemans, Æthiopiens, de sainct Jean Baptiste, Scipion, Æmilian, Trajan, Adrian: & des Sauvages. Sel non du tout necessaires. Sauvages patissent quelquefois. Superstition d'iceux. Gourmandise d'eux & de Hercules. Viandes des Bresiliens. Anthropophagie. Etrange prostitution de filles. Communauté de vie. Hospitalité des Sauvages, Gaullois. Allemans & Turc, à la honte des Chrétiens. DU BOIRE. Premiers Romains n'avoient vignes. Bierre des vieux Gaullois, & Ægyptiens. Anciens Allemans haïssoient le vin. Vin comment necessaire. Petun. Boire l'un à l'autre. Bruvage des Floridiens, & Bresiliens. Hydromel.
CHAP. XIV
DES DANCES ET CHANSONS. Origine des danses en l'honneur de Dieu. Danses & Chansons en l'honneur d'Apollon, Neptune, Mars, du Soleil. Des Saliens, Præsul. Danse et Socrate. Danses tournées en mauvais usage. Combien dangereuses. Tous Sauvages dansent. A quelle fin. Sotte chanson d'Orphée. Pourquoy nous chantons à Dieu. Chansons des Souriquois: Des peuples saincts, des Bardes Gaullois. Vaudevilles par le commandement de Charlemagne. Chansons des Lacedæmoniens. Danses & Chansons des Sauvages. Harangues de leurs Capitaines.
CHAP. XV
DE LA DISPOSITION DU CORPS. Phthisie. Sueurs des Sauvages. Medecins & Chirurgiens Floridiens, Bresiliens, Souriquois. Guerison par charmes. Merveilleux recit du mépris de douleur. Epreuve de constance. Souffrance de tourmens en l'honneur de Diane & du Soleil. Longue vie des Sauvages. Causes d'icelle, & de l'abbregement de noz jours.
CHAP. XVI
EXERCICES DES HOMMES. Fleches, arcs, masses, boucliers, lignes à pecher, raquettes, Canots des Sauvages, & la forme d'iceux. Canots d'oziers, de papier, de cuir, d'arbres creusez. Origine de la fable des Syrenes. Longs voyages à-travers les bois. Poterie de terre. Labeur de la terre. Allemans anciens n'ont eu champs propres. Sauvages non laborieux. Comme cultivent la terre. Double semaille & moisson. Vie de l'hiver. Villes des Sauvages. Origine des villes. Premier edificateur és Gaulles. Du mot Magus. Philosophie a commencé par les Barbares. Jeux des Sauvages.
CHAP. XVII
EXERCICES DES FEMMES. Femmes dite Percée. Femmes sauvées par la generation des enfans. Purification. Dure condition des femmes entre les Sauvages. Nattes, Conroyement de cuirs, Paniers, Bourses, Teinture, Ecuelles. Matachiaz, Canots. Amour des femmes envers leurs maris. Pudicité d'icelles. Belle observation sur les noms Hebrieux de l'homme & de la femme.
CHAP. XVIII
DE LA CIVILITÉ. Premiere civilité, obeïssance à Dieu, & aux peres et meres. Sauvages sont sales en leur Tabagie, faute de linge. Repas des vieux Gaullois & Allemans. Arrivés des Sauvages en quelque lieu. Leurs salutations: ensemble des Grecs, Romains, & Hebrieux. Salutations en éternuant: item és commencemens des Missives. De l'Adieu. Salutation des Chinois. Du baisepié, baise-main, & baise-bouche. De l'adoration humaine. Reverence des Sauvages à peres & meres, Malediction à qui n'honore son pere et sa mere.
CHAP. XIX
DES VERTUS ET VICES DES SAUVAGES. Les principes des Vertus sont en nous dés la naissance. De la force & grandeur du courage. Anciens Gaullois sans peur. Sauvages vindicatifs. Le Pape pere commun des Chrétiens pour mettre la paix entre ses enfans. Temperance en quoy consiste. Si les Sauvages en sont doüez. Liberalité en quoy consiste. Liberalité des Sauvages. Ilz méprisent les mercadens avares. Magnificence. Hospitalité. Pieté envers les peres & meres. Mansuetude. Clemence, Justice d'iceux. Gratelle de nôtre France. Execution de justice. Evasion incroyable de deux Sauvages prisonniers. Sauvages à quoy diligens & paresseux.
CHAP. XX
LA CAUSE Origine d'icelle. A qui elle appartient. A quelle fin les Rois cleuz. Chasse, image de la guerre. Premiere fin d'icelle. Interpretation d'un verset du Psal. 132, Tolus Sauvages chassent. Quand & Comment. Description & chasse de l'Ellan. Chiens de Sauvages. Raquettes aux piés. Constance des Sauvages à la chasse. Belle invention d'iceux pour la cuisine. Sauvages d'Ecosse cuisent la chair dans la peau. Devoir des femmes apres la chasse. La pechirie du Castor. Description d'icelui. Son batiment admirable. Comment se prent. Anciennement d'où venoient les Castors. Ours. Leopars. Description de l'animal. Nibachens, Loups. Lapins, etc. Bestial de France bien profitant en la Nouvelle-France. Merveilleuse multiplication d'animaux. Animaux de la Floride, & du Bresil. Vermine du Bresil. Sauvages sont vrayemens nobles.
CHAP. XXI
LA FAUCONNERIE. Les muses se plaisent à la chasse. Fauconnerie exercice noble. Sauvages comme prennent les oiseaux. Iles fourmillantes en oiseaux. Gibier du Port Royal. Niridau. Mouches luisantes. Poules d'inde. Oiseaux de la Floride, & du Bresil.
CHAP. XXII
LA PECHERIE. Comparaison entre la Venerie, la Fauconnerie, & la Pecherie. Empereur se delectant à la Pecherie. Absurdité de Platon. Pecherie permise aux Ecclesiastics. Nourriture de poisson est la meilleure & la plus saine. Tous poissons craignent l'hiver & se retirent. Reviennent au printemps. Manne d'Eplans, Harens, Sardines, Eturgeons, Saumons. Maniere de les prendre par les Sauvages. Abus & superstition de Pythagore. Sanctorum Terre-neuviers. Coquillages du Port Royal. Pecherie de la Moruë. Si la moruë dort. Poissons pourquoy ne dorment. Poissons ayans pierres à la téte, (comme la Moruë) craignent l'hiver. Huiles de poissons. Pecherie de la Baleine: en quoy est admirable la hardiesse des Sauvages. Hippopotames. Multitude infinie de Macquereaux. Faineantise du peuple d'aujourd'huy.
CHAP. XXIII
DE LA TERRE Quelle est la bonne terre. Terre sigillée en la Nouvelle-France. Rapport des semailles du sieur de Poutrincourt. Quel est le bon fumier. Blé de Turquie dit Mahis. Comme les Sauvages amendent leurs terres. Comme ilz sement. Temperament de l'air sert à la production. Greniers souz-terrains. Causes de la paresse des Sauvages des premieres terres. Chanve. Vignes. Quand premierement plantées és Gaulles. Arbres. Vertu de la gomme de sapin. Petun, & façon d'en user. Folle avidité apres le Petun. Vertu d'icelui. Erreur de Belle-forest. Racines. Culture de la terre exercice le plus innocent. Gloria adora. Gueux & faineans. Arbres fruitiers, & autres, du Port Royal, de la Floride, du Bresil, Vermine du Bresil. Mépris des Mines. Fruits à esperer en la Nouvelle-France. Prieres faites à Dieu par le Pape pour la prosperité des voyages en icelle.
CHAP. XXIV
DE LA GUERRE. A quelle fin les Sauvages font la guerre. Harangues des Capitaines sauvages. Surprises. Façon de presager l'evenement de la guerre. Poser les armes en parlementant. Succession des Capitaines. Armes des Sauvages. Excellens archers. D'où vient le mot Militia: Sujet de la crainte des Sauvages. Façon de marcher en guerre. Danse guerriere. Comme les Sauvages usent de la victoire. Victime. Hostie. Supplice. Les Sauvages ne veulent tomber és mains de leurs ennemis. Prisonniers tondus. Humanité des Sauvages envers les captifs: Trophées de tétes des veincus: Anciens Gaullois: Hongres modernes.
CHAP. XXV
DES FUNERAILLES. Pleurer les morts. Les enterrer oeuvre d'humanité. Coutumes des Sauvages en ce regard. De la conservation des morts. Du dueil des Perses, Ægyptiens, Romains, Gascons, Basques, Bresiliens, Floridiens, Souriquois, Hebrieux, Roynes de France, Thraces, Locrois, anciens Chrétiens. Brulement des meubles des Sauvages decedez Belle leçon aux avares. Coutumes des Phrygiens, Latins, Hebrieux, Gaullois, Allemans, Sauvages, en ce regard, Inhumation des morts. Quels peuples les enterrent, quels les brulent, & quels les gardent. Dons funeraux enclos és sepulcres des morts. Iceux reprouvés. Avarice des violateurs de sepulcres.
Aprés suivent LES MUSES DE LA NOUVELLE-FRANCE
AU LECTEUR
x
MI Lecteur, C'est chose humaine que de faiblir, & autre que
Dieu ne se peut dire parfait, lequel méme (ce dit le Proverbe) ne
peut aggreer à un chacun. Parent si tu trouves quelque chose ne ce
livre qui ne vienne bien à ton sens, ou quelque defaut d'elegance;
je te prie supporter le tout par ta prudence, ne m'estimant pas
meilleur que l'un des autheurs que l'on met parmi les livres
sacrez, lequel à la fin de son oeuvre dit: Que s'il ne s'il ne
s'est assez dignement acquitté de son histoire il luy faut
pardonner: Me soubmettant en toutes choses à la correction des
plus sages que moy.
Il y a une imperfection en nôtre langue, que l'on y couche trop de lettres superfluës. C'est pourquoy je les ay évitées tant que j'ay peu, par une ortographe non vulgaire.
J'adjouteray pour l'intelligence des Relieurs, que le lieu de la grande Charte geographique des Terres-neuves doit estre entre la page 224 & 225.
La figure de la terre de la Floride reconuë & habitée par les François, en la page 65.
La figure du port de Ganabara au Bresil, entre la page 190 et 191.
La figure du Port Royal, en la page 440.
En ladite grande Charte les lettres B. C. G. I. P. signifient Baye, Cap, Golfe, Ile, Port.
Pour les moins sçavans, je diray que les vents d'est, Ouest, Nort, & su sont les vents d'Orient, Occident, Septentrion, & Midi. Suest, Surouest, Nordest, Norouest, sont les vents moitoyens. Je laisse les quarts & demi-quarts de vents.
Finalement je t'avise qu'és Tables de Chapitres ci-dessus couchées, tu trouveras toute la moëlle & substance de cette presente Histoire.
PREMIER LIVRE DE
L'HISTOIRE DE LA
NOUVELLE-FRANCE CONTENANT LES
navigations & découvertes des François
és
terres neuves de l'Occident depuis le
trentiéme degré jusques au quarantiéme: &
leur habitation au païs aujourd'hui
LA FLORIDE.
ORIGINE DE LA NAVIGATION.
Motif des decouvertes qui se sont faites depuis six-vint ans. Voyages de noz François outre l'Ocean. Cause du peu de fruict qu'on y a fit. Fausseté des Tables geographiques. Que le sujet de cette Histoire n'es à mépriser. Qualités loüables des peules qu'on appelle Sauvages.
CHAPITRE PREMIER
'AUTHEUR du livre de la Sapience attribué à Salomon, dit que la convoitise du gain a meu l'esprit de l'homme à rechercher le moyen d'aller sur les eaux, & bâtir des navires, par léquels on peût traverser la mer, & y marcher comme par un chemin solide, nonobstant la profondeur des flots & des abymes. Cette sentence me fait croire vray-semblablement que le saint Patriarche Noé ne fut point le premier inventeur ou fabricateur de vaisseaux de mer, n'ayant bati le sien à cette fin: & qu'avant lui les hommes en avoient trouvé l'usage. Ce qui ne sera trouvé étrange à qui considerera que le monde peu aprés sa creation fut grandement peuplé, & y eut incontinent des filles fondées, & fournies des choses necessaires à la vie humaine, & en outre des métiers de beaucoup plus subtile invention que les navires, comme celle des metaux; la recherche, la fonte le maniment, & l'employ d'iceux, & autres choses que l'Ecriture ne nous dit point, s'étant contentée de nous indiquer cela pour nous faire presumer le reste: sans parler des inventions de musique & instrumens musicaux, comme orgues, harpes, & autres, qui demontrent des Republiques pleines de magnificence plusieurs siecles avant Noé: non moins qu'un peu aprés le deluge, & luy vivant encore, voila fut pied cette grande & superbe ville de Babylone miracle du monde, qui n'eut jamais sa semblable, au moins quant à ses murs et defenses. Dés ce temps on traffiquoit par mer, & y avoit des villes le long de ses rives comme nous en voyons des remarques & argument en l'Histoire sacrée, là où il est écrit que le saint Patriarche Jacob dit à son fils Zabulon que son partage seroit au long de la mer prés le port des navires.
La méme convoitise a eté l'aiguillon qui depuis six-vints ans a poussé les Portugais, Hespagnols, & autres peuples de l'Europe à se hazarder sur l'Ocean, chercher des nouveaux mondes deçà & delà l'Equateur, & en un mot environner la terre; laquelle aujourd'huy se trouve toute reconuë par l'obstinée & infatigable avidité de l'homme, excepté quelques cotes antarctiques, & quelques-unes à l'Occident outre d'Amerique, léquelles ont eté negligées, parce qu'il n'y avoit rien à butiner.
Parmy tant de decouvertes noz Roys se sont aussi mis aux champs, mais d'une autre façon, & à une autre fin que noz voisins meridionaux. Car je voy par leurs Commissions qu'ils ne respirent que l'avancement de la Religion Chrétienne, sans aucun profit present: & ne voy en aucun écrit qu'en l'execution de leurs entreprises ils ayent, comme eux, cruellement depeuplé les provinces qu'ils ont voulu faire habiter, ayans plus estimé la conversion des ames à Dieu, & la loüange d'humanité, que la possession de la terre.
A cette fin nôtre Roy François premier entre les difficultez de ses affaires fit la premiere expedition outre mer en l'an mille cinq cens vint, envoyant le Capitaine Jehan Verazzan Florentin découvrir des terres neuves qui ne fussent occupées d'aucun Prince Chrétien, en intention de les faire habiter, s'il en avoit bon rapport. Ce que fit ledit Verazzan, & cotoya toute la terre depuis appellée la Floride, & celle qui a pris le nom de Virginie, jusques au quarantiéme degré, dont il fit sa relation, ainsi que nous dirons ci-apres. És années cinq cens trente-trois & trente-quatre le Capitaine Jacques Quartier de Saint Malo fut envoyé par le méme Roy à la découverte de la terre neuve des Moruës, & du fleuve de Canada par luy dit Hochelaga. Et six ans apres Jean François de la Roque sieur de Roberval, Gentil-homme Picard prit commission avec ledit Quartier pour aller peupler ladite terre.
Au regne du Roy Henry second és années mille cinq cens cinquante-cinq & cinquante-six furent faits nouveaux embarquemens pour l'habitation de la terre du Bresil souz la conduite de Nicolas Durant, dit Chevalier de Villegagnon. Et souz le Roy Charles IX, és années soixante-deux & soixante-quatre furent fait les voyages pour l'habitation de la terre qu'avoit découverte Jean Verazzan, déquels voyages furent conducteurs le Capitaine Jehan Ribaut & le sieur de Laudonniere Gentil-homme Poitevin.
Que si le saint desir de ces bons Roys ne reüssi comme il seroit à desirer, il en faut attribuer le defaut partie à nous-mémes, qui sommes en trop bonne terre pour nous en éloigner, & nous donner de la peine pour la commoditez de la vie, apres que la longueur de plusieurs centaines d'années nous a (faute d'exercice) affaineantis: partie aux guerres externes & civiles qui ont continuellement surfaissé la France, & retenu noz François Dans leurs bornes, soit au siecle du Roy François premier; soit depuis, lors que l'étranger fomentoit noz divisions & nous liguoit les uns contre les autres, pour à nôtre ruine établir sa grandeur.
En ces derniers temps la France commençant à respirer par la valeur incomparable de nôtre grand Henri, quelques-uns se sont efforcés de Reprendre les erremens delaissez, sçavoir les sieurs Marquis de la Roche Gentil-homme Breton, de Monts Gentil-homme Xaintongeois, & de Poutrincourt Gentil-homme Picard. De tous léquels je parleray chacun en son ordre, selon ce que j'ay veu, ouï dire à eux-mémes, ou trouvé par les écrits de ceux qui ont fait les premiers voyages, l'histoire déquels m'a eté d'autant plus difficile, que la memoire en etoit ja perduë: De sorte que j'ay eté contraint de la chercher partie en la bibliotheque du Roy, partie dans les papiers moisis des Libraires, m'étant quelquefois servi, au regard des derniers temps, de ce que Samuel Champlein en a donné au public.
Et comme on dit de certains poissons consacrés à Venus, qui naissent de l'écume de la mer, que pour se garentir de l'injure & gourmandise des plus grans, ilz s'assemblent par milliers, & s'entrelacent en tant de pelotons, qu'ils se rendent assez forts pour se defendre: Ainsi m'a semblé bon mettre en un corps tant de relations & menus écrits qui étoient comme ensevelis, afin de les faire revivre, & par cet assemblage m'essayer de leur donner une meilleure trempe contre la lime sourde du temps qui tout consomme: Et ce tant pour contenter l'honnete desir de plusieurs qui dés long temps requierent cela de moy, que pour employer utilement les heures que je puis avoir de loisir durant cette saison des vacations en l'an mille six cens huit.
Or d'autant qu'en cette histoire est souvent fait mention de plusieurs lieux auquels noz François int imposé les noms, léquels toutefois ceux qui impriment les Tables geographiques ont jusques ici ingratement supprimé, mettans en écrit des noms autant imaginaires que la delineation qu'ils ont fait de nôtre Nouvelle France est fausse: J'ay voulu particulierement tirer à la plume, & representer au vray selon les Tables particulieres de noz mariniers, & mémes dudit Champlein (car je n'ay pas tout veu) le fit de la premiere terre, pour montrer que les Hespagnols, ny autres avant nous, ne l'ont jamais veuë, & qu'ils ont donné des bourdes au peuple lors principalement qu'ils ont feint une grande riviere au-deçà des Armouchiquois, & sur icelle une ville grande & puissante qu'ils ont nommée (je ne sçay, ny eux-mémes, à quel sujet) Norembegue, laquelle ils ont située par les quarante-cinq degrés: dequoy nous parlerons plus amplement en son lieu.
Et jaçoit que mon sujet semble bas, n'étant ici traité d'un Royaume rempli de belles villes & beaux palais, enrichi de longue main de beaucoup d'ornemens domestics & publics, formillant en peuples instruits et toutes sortes d'arts liberaux & mecaniques: & en un mot, n'ayant ici à discourir sur les sept merveilles du monde. Toutesfois tel qu'il est, j'espere que les Sages lui donneront sauf-conduit, si l'on considere que ce grand vaisseau de sapience Salomon n'avoit dédaigné de traiter en son Histoire naturele, des moindres choses d'ici bas depuis le Cedre qui est au Liban jusques à l'Hissope qui sort de la paroy: des bestes, des oyseaux, des reptiles, & des poissons. Et quand ce ne seroit qu'en consideration de l'humanité, & que ces peuples déquels nous avons à parler sont hommes comme nous, nous avons dequoy estre incités au desir d'entendre leurs façons de vivre & moeurs, veu mémement que nous recevons souvent avec beaucoup d'applaudissement les histoires et rapports des choses qui ne sont si étranges, ny tant éloignées de nous: afin que par la consideration de leur deplorable état & condition (car ilz vivent nuds, vagabons, sans police, loy, ny religion) nous venions à remercier Dieu de ce qu'il nous a gratifié par-dessus eux, & dire avec le Prophete Roy son bien-aymé:
A Jacob il donne pour guide
Son verbe & ses enseignemens,
Et à la race Israëlide
Ses statuts & ses jugemens.
Il n'a fait ainsi pour le reste
Des peuples de tout l'univers
Leur rendant sa loy manifeste,
Et ses jugemens découvers.
Car outre la vie civile à laquelle nous sommes nés, il nous a par sa grace illuminé de son saint Esprit, & fait voir les secrets de sa haute sagesse, afin que le reconoissions, & l'adorions, & obtenions salut par son fils Jesus-Christ nôtre mediateur & sauveur, qui est en un mot toute la vie de l'homme, & la fin à laquelle nous devons aspirer.
Ainsi nous ne sçaurions moins faire que ce Philosophe Payen, lequel remercioit ses Dieux entre autres choses, de ce qu'il étoit né à Athenes plutot qu'allieurs, d'autant que là étoit le domicile de toute bonne instruction, civilité, & police; le siege des sciences & des bonnes loix.
Et neantmoins je ne veux tellement deprimer la condition des peuples que nous avons à representer, que je n'avouë qu'il y a beaucoup de choses bonnes en eux. Car pour dire brievement, ils ont de la valeur, fidelité, liberalité, & humanité, & leur est l'hospitalité si naturele & recommandable, qu'ilz reçoivent avec eux tout homme qui ne leur est ennemi. Ilz ne sont point niais comme plusieurs de deça, ilz parlent avec beaucoup de jugement & de raison: s'ils ont à entreprendre quelque chose d'importance, le Capitaine sera attentivement écouté, haranguant une, deux, & trois heures, & lui répondra-on de point en point, selon que la matiere le requerra. De sorte que si nous les appellons communement sauvages, c'est par un mot abusif, & qu'ilz ne meritent pas, n'étant rien moins que cela, ainsi qu'il se verifiera par le discours de cette histoire.
Un chose leur a manqué jusques ici, qui a causé, & cause encor leur nudité, c'est de n'avoir eu l'usage du fer, sans lequel toutes nos oeuvres manuelles cessent: Et croy que ne serions beaucoup plus relevez qu'eux, si nous eussions eté dépourveus de cette admirable invention, laquelle nous devons à Tubal-Cain specialement celebré au commencement de l'histoire sacrée de la naissance du monde.
Du nom Gaullois. Refutation des Autheurs Grecs sur ce sujet. Noé premier Gaullois. Les Gaullois peres des Umbres en Italie. Bodin refuté. Conquetes & navigations des anciens Gaullois. Loix marines, justice, & victoires des Marseillois. Portugal. Navire de Paris. Navigations des anciens François. Refroidissement en la navigation d'où est venu. Lacheté de nôtre siecle. Richesses des Terres-neuves.
CHAP. II
LUSIEURS anciens ayans voulu discourir de l'origine du nom Gaullois, se sont escrimés en tenebres,& n'ont point touché au but, soit ou faute de sçavoir l'histoire de la creation du monde, ou d'entendre les langues des vieux siecles (auquelles il faut rapporter l'imposition des noms le plus anciens) ou d'avoir des vrais memoires des premiers Gaullois. Ce qu'aussi n'eussent-ilz peu, d'autant que toute la Theologie, & Philosophie d'iceux Gaullois consistait en traditive, & sans écriture, de laquelle ilz n'usoient qu'és choses privées, ce dit Cesar. Or ici nous n'avons affaire qu'aux Latins & Grecs, qui seuls ont traité de nôtre antiquité. Quant aux Latins, iceux ne voyans apparence de deriver nôtre nom d'un Coq, signifié par le mot Gallus en leur langue, ilz n'en ont voulu rien dire. Mais les Grecs plus hardis, léquels ont brouillé les origines de toutes choses, & icelles remplies de fables, ont écrit qu'un Roy des Gaullois nommé Celtes, & par honneur Jupiter, eut une fille dite Galathée, laquelle dedaignoit tous les Princes de son temps, jusques à ce qu'ayant ouï les vertus nompareilles, du grand Hercule de Lybie fils d'Osiris, qui guerroyoit les tyrans de la terre, comme il passoit par le païs des Celtes pour aller d'Hespagne en Italie, elle en devint amoureuse, & par la permission de ses parens eut de luy un enfant, qui fut nommé Galates, lequel surpassa tous les Princes de son âge en force de corps & grandeur de courage: & ayant conquis beaucoup de provinces par armes, changea le nom de Celtes que son pere avoit donné, & nomma ses sujets Galates. D'autres ont pensé qu'ils avoient esté ainsi appellez du mot Grec [gala] qui signifie Laict, pource que le peuple Gaullois est blanc & de couleur de laict. Or ces derivations sont absurdes: Car pour ce qui est de la couleur blanche, il y avoit plus de raison d'appeler ainsi ceux dela grande Bretagne, ou les bas Allemans. Et puis c'est folie d'estimer que nous ayons pris nôtre appellation des Grecs, déquels au contraire une partie est appellée de nôtre nom. Pour le regard du mot Galates, c'est une invention de la méme forge. Car je ne voy que contrarieté en tous ceux qui en ont parlé. Pausanias en ses Attiques dit, que le nom de Galates n'est venu que sur le tard, & que de grande antiquité les Gaullois auparavant s'appelloient Celtes. Et toutefois Galates, selon Berose, a esté Roy des Gaullois immediatement apres Celtes. Strabon au contraire, dit, que tous les Galates ont esté appelez Celtes par les Grecs, à cause du noble estoc de ceux de la province Narbonoise, où il donne à entendre qu'ils estoient Galates devant qu'étre Celtes. Appian tient que les Celtes viennent d'un Celtes, fils de Polyphemus, qui fut fils de Neptune: ce qui ne se peut accorder avec ce que dit Berose, que Jupiter Celtes fut le neufieme Roy des Gaullois, plusieurs siecles apres Neptune.
Mais je voudroy demander pourquoy les Grecs, pour suivre leurs fantasies, ont changé le nom de Gaullois en Galates, ce que n'ont fait les Romains plus retenus et plus sobres à brouiller l'antiquité. Je croy qu'ils ont eu crainte de se rendre ridicules en les apellant Gaullois par une (ll) double, d'autant que [Gallos] en leur langue signifie Chatré: & ils voyoient les Gaulles formiller en generation. Et de là ont pris sujet d'imposer le nom de Galates aux Gaullois, à cause du Roy Galates. Et neantmoins Strabon, non autrement scrupuleux, les appelle indifferemment Gaullois & Galates, & ceux de l'Asie Gallo-grecs.
N'y ayant donc point d'apparence à ce nom de Galates, il est meilleur de nous arreter à l'appellation de noz plus proches voisins les Romains, qui nous cognoissent mieux, déquels saint Gregoire disoit que Comme ilz n'ont les pointes & subtilitez des Grecs, aussi n'en ont-ilz les heresies: Ilz ne sont si grans brouillons & menteurs. Et pour le nom Gaullois, nous avons l'authorité de Xenophon, lequel en ses Æquivoques dict, que le premier Ogyges (qui fut Noé) fut surnommé Le Gaullois, pource qu'au deluge du monde s'étant garenti des eaux, il en garentis aussi la race des hommes, & repeupla la terre: De là vient (dit-il) que les Sages (qui sont peuples de la Scythie Asiatique, c'est à dire de l'Armenie, où l'Arche de Noé s'arreta) appellent un vaisseau de mer Gallerim, pource qu'il garentit du naufrage. Et de ce mot nous avons retenu les noms de Gallere & Galliote, qui ne viennent pas de Galerus, comme a voulu dire Erasme. Caton au poëme de ses Origines, & autres Autheurs, s'accordent à ce que dessus, disans que Janus (qui est Noé) vint de Scythie en Italie avec les Gaullois peres des Umbres (peuples aujourd'huy tenans le Duché de Spolette) ainsi appellez d'un autre nom que leurs peres, mais revenant à méme signification. Car en langue Hébraïque & Aramée Gallim signifie Flot, Eau, Inondation: & en langue antique Latine Umber, ou Imber signifie Eau & Pluie.
Je sçay que Bodin n'approuve point ceci, & se mocque de Rabbi Samuel, qui est de méme opinion que nous. Mais je trouve sa raison bien plus ridicule de dire que comme les anciens Gaullois étoient vagabons, ne sçachans où ils alloient, ilz commencerent à murmurer par ces mots, où allons-nous? & que de là est venu le mot de U uallon, ou Gallon par une transposition de lettre.
Arrétons-nous donc à nôtre premier avis, & disons avec le méme Xenophon, que Noé repeuplant le monde amena une trouppe de familles pardeça, léquelles aimans la navigation trouverent bon de s'appeller du nom attribué à ce grand Ogyges (c'est à dire Illustre, & Sacré) & semblablement à Comerus Gallus (lequel en l'histoire sainte est appellé Gomer) premier Roy des Gaullois, selon Jacques de Bergome en son Supplement des Chroniques: quoy que Berose le face Roy d'Italie, à quoy je ne puis accorder, puis qu'elle n'en a retenu le nom.
Ainsi ayans beaucoup multiplié (comme la nation Gaulloise est feconde) ilz se rendirent maitres de la mer dés les premiers siecles pares le Deluge: & devant les guerres de Troye le grand Capitaine Cambaules ravagea toute la Grece & l'Asie, comme le confesse Pausanias en ses Phociques & ailleurs. Long temps depuis les Gaullois affriandez de butin firent trois armées, dont Brennus (l'un des chefs) avoit cent cinquante-deux mille pietons, & vingt mille quatre cens maitres de cheval à sa part, chacun déquels avoit deux chevaux de relais, & nombre de Solduriers souz lui, cotoyant toute l'Asie par mer aussi bien que par terre. Strabon fait mention d'autres grandes conquétes des Tectofages, Toliftobogiens, & Trocmiens peuples Gaullois, léquels occuperent la Bythinie, Phrigie, Cappadoce & Paphlagonie, sous un nommé Leonorius, lequel y institua douze Tetrarches semblables à noz douze Pairs de France. Et de ces conquétes parle aussi Pline, lequel dit qu'il avoient cent nonante-cinq villes et principautés.
Au reste ils avoient leurs loix marines si bien ordonnées, que les nations étrangeres se conformoient volontiers à icelles comme faisoient les Rhodiens, au recit de Strabon, léquels avoient emprunté de noz Marseillois les loix marines dont ils usoient. Ce qu'ils avaient fait d'autant plus volontiers qu'ilz les voyoient se gouverner avec Justice, & ne souffrir aucuns pyrates sur la mer, ayans (dit le méme Strabon) des grans magazins bien fournis de toutes choses necessaires à la marine, & pour battre les villes, ensemble infinie dépouilles des victoires par eux obtenuës durant plusieurs siecles contre les pyrates susdits. Et Jules Cesar parlant de la civilité des Gaullois, & de leur façon de vivre, laquelle ils ont enseigné aux Allemans, dit que la cognoissance des choses d'outre mer leur apporte beaucoup d'abondance & de commoditez pour l'usage de la vie.
Et ne faut penser que cette ardeur de naviger ait esté enclose dans la mer du Levant. Car le païs de Portugal portant le nom de Port des Gaullois, témoigne assez qu'ils ont aussi couru sur l'Ocean. En memoire dequoy la principale ville du Royaume des Gaullois porte encore aujourd'huy la Navire pour sa marque. Voire, je pourray bien encore ici mentionner la pointe d'Angleterre, qui s'appelle Cornu Gallia, Cornuaille. Ce qui ne peut provenir que des navigations des Gaullois.
Mais comme par la vicissitude des choses tout se change icy bas, & les siecles ont je ne sçay quelle necessité (pour n'user du mot de fatalité) née avec eux de suivre le gouvernement des astres instrumens de la providence de Dieu: les Gaullois ont quelquefois par occasion laissé refroidir cette ardeur de voguer sur les eaux, comme lors que les Romains semerent la division entre-eux, & s'emparerent par ce moyen de leur Etat: & depuis quand les François, Gots, & autres nations dechirerent ce grand empire ja cassé de vieillesse, & tout remply d'humeurs vicieuses, & corrompuës de longue main. Mais par aprés aussi selon les occurences, ils ont repris leurs premiers & anciens erremens, comme lors qu'on a publié les Croisades pour le recouvrement de la terre sainte; environ lequel temps, sçavoir en l'an mille deux cens quatre-vingt, pour éviter la peine de creer tous les jours des Admiraux extraordinaires, & par commission, pour envoyer sur la mer, & conduire l'armée Francoise en l'Orient, fut l'Admirauté de France erigée en tiltre d'office par le Roy Philippe surnommé le Hardi, fils de saint Louis, & deferée au Sire Enguerran de Couci, troisieme du nom en cette famille, premier Admiral de France en la qualité que j'ay dit.
Or comme un malade pressé de la douleur qui le violente oublie aisément les exercices auquels il souloit s'occuper estant en pleine santé; Ainsi les François par-aprés occupez sur la defensive aux longues guerres qu'ils ont euës contre les Anglois dans leurs propres entrailles & au milieu de la France, ils ont laissé derechef alentir cette ancienne ardeur en la navigation, qui ne s'est pas aysément r'échauffée depuis, n'étant à peine la France relevée de maladie, que voicy naitre d'autres guerres par la gloutonne ambition d'un Prince sujet de nôtre Roy, lequel ne se promettoit rien moins que de luy enlever la corone de dessus la téte, comme nous témoignent assez amplement nos histoires. Quoy que ce soit il en a tiré de bonnes pieces, léquelles jaçoit qu'elles se puissent justement debattre, toutefois ce ne seroit sans beaucoup de difficultez. Et depuis ce temps les differens pour la Religion, & les troubles étans survenus, noz François parmy ces longues alarmes ont esté tellement occupez, qu'en une division universelle il a esté bien difficile de viser au dehors, faisant un chacun beaucoup de conserver ce qui luy étoit acquis; & vivre chez soy-méme.
Neantmoins parmy toutes ces choses, noz Roys n'ont laissé de faire des découvertes avec beaucoup de depense en diverses contrées, & en divers temps, comme a esté veu au chapitre precedent: Et eussent fait davantage s'ils eussent eu prés d'eux des hommes amateurs de la navigation, ou si nos Admiraux se fussent pleu à la marine, ou n'eussent esté empechés ailleurs & embrouillés en noz guerres civiles: Car encores que les Roys bien souvent ne soient que trop poussez d'ambition pour commander à toute la terre, & à des nouveaux mondes, s'il étoit possible, d'autant que (comme dit le Sage) La gloire & dignité des Rois git en la multitude du peuple: si ont-ils besoin de gens que les secondent, voire qui les enflamment à un beau sujet, où principalement il y a apparence de faire chose qui peut reüssir à la gloire de Dieu, & n'y va point du detriment d'autrui. Et en cela nôtre siecle est en pire condition que les precedens, d'autant que combien que par la grace de Dieu nous jouïssions d'une bonne paix, que le Roy soit redouté, & ait des moyens autant que pas un de ses predecesseurs, que l'établissement d'un Royaume Chrétien & François soit facile és regions Occidentales d'outre-mer, & qu'il y ait des hommes immuables en cette resolution d'habiter la Nouvelle France, d'où ils ont rapporté les fruicts de leur culture, comme sera dit en son lieu: neantmoins il ne se trouve quasi personne (j'enten de ceux qui ont credit en Cour) qui favorise ce dessein, soit en privé, soit envers sa Majesté. On est bien aise d'en ouïr parler, mais d'y aider, on ne s'entend point à cela. On voudroit trouver les thresors d'Atabalippa sans travail & sans peine, mais on y vient trop tard, & pour en trouver il faut chercher, il faut faire de la dépense, ce que les grans ne veulent pas. Les demandes ordinaires que l'on nous fait, sont: Y a-il des thresors, y a-il des mines d'or & d'argent? & personne ne demande: Ce peuple là est-il disposé à entendre la doctrine Chrétienne? Et quant aux mines il y en a vrayment, mais il les faut fouiller avec industrie, labeur, & patience. La plus belle mine que je sçache c'est du blé & du vin, avec la nourriture du bestial. Qui a de ceci il a de l'argent. Et de mines nous n'en vivons point, quant à leur substance. Et tel bien-souvent a belle mine qui n'a pas bon jeu.
Au surplus, les mariniers qui vont de toute Europe chercher du poisson aux Terres-neuves, & plus outre, à mille lieuës loin de leur païs, y trouvent de belles mines sans rompre les rochers, éventrer la terre, vivre en l'obscurité des enfers (car ainsi faut-il appeller les minieres, où l'on condamnoit anciennement ceux que meritoient la mort) ils s'y trouvent, di-je, de belles mines au profond des eaux, & au traffic des pelleteries & fourrures d'Ellans, de Castors, de Loutres, de Martres, & autres animaux dont ilz retirent de bon argent au retour de leurs voyages, auquels ils ne se plairoient tant s'ilz n'y sentoient un ample proffit. Ceci soit dit en passant pour ce qui regarde la Terre-neuve, laquelle jaçoit qu'elle soit peu habitée, & en un climat assez froid, neantmoins est recherchée d'un grand nombre de peuple qui lui va tous les ans rendre hommage de plus loin qu'on ne fait les plus grans Roys du monde, léquels on caresse & honore bien souvent plus pource qu'ilz sont riches & peuvent enrichir les autres, que pour devoir. Ainsi en fait-on à cette terre: de laquelle si on retire tant d'utilité, il faut estimer que celles qui sont en plus haute élevation du soleil sont beaucoup plus è priser & estimer, d'autant qu'avec l'abondance de la mer elles ont ce que l'on peut esperer de leur culture; sans qu'il soit besoin de se travailler pour des mines d'or & d'argent déquelles nôtre France Orientale se passe bien & ne laisse d'étre aussi florissante que les païs dont elle est environnée. Dequoy nous parlerons plus amplement cy-aprés selon que le sujet se presentera.
Conjectures sur le peuplement des indes Occidentales, & consequemment de la Nouvelle France comprise sous icelles.
CHAP. III
e sçay que plusieurs étonnez de la decouverte des terres de ce monde nouveau que l'on appelle Indes Occidentales, ont exercé leur esprit à rechercher le moyen, par lequel elles ont peu étre peuplées aprés le Deluge: ce qui est d'autant plus difficile, que d'un pole à l'autre, ce monde là est separé de cetui-cy d'une mer si large, que les hommes ne l'ont jamais (ce semble) ni peu, ni osé traverser jusques à ces derniers siecles, pour découvrir nouvelles terres: du moins n'en est il aucune mention en tous les livres & memoires qui nous ont esté laissez par l'Antiquité. Les uns se sont servi de quelques propheties & revelations de l'Ecriture sainte tirees par les cheveux, pour dire les uns que les Hespagnols, les autres que les Juifs devoient habiter ce nouveau monde. D'autres ont pensé que c'étoit une race de Cham portée là par munition de Dieu, lors que Josué commença d'entrer en la terre de Chanaan, & en prendre possession, l'Ecriture sainte témoignant que les peuples qui y habitoient furent tellement épouvantez, que le coeur leur faillit à tous: & ainsi pourroit estre avenu que les majeurs & ancestres des Ameriquains & autres de delà, chassez par les enfans d'Israël de quelques contrees de ces païs de Chanaan, s'estans mis dans des vaisseaux à la merci de la mer, auroient esté jettés & seroient abordés en cette terre de l'Amerique. Chose qui semble estre confirmee par ce qui est écrit en la Sapience dite de Salomon, à sçavoir que les Chananéens avant l'entree des enfans d'Israël en leur terre estoient anthropophages, c'est à dire mangeurs de chair humaine, comme sont plusieurs en cette grande étenduë de païs. Et pour les aider encore à dire, j'adjouteray que plusieurs des Ameriquains sautent par-dessus le feu en faisant leurs invocations à leurs Demons, ainsi que faisoient les Chananéens. Mais il y a des raisons encores plus probables que celle-ci: entre léquelles je diray que ceux-là ne se sont point éloignez de la verité, qui ont estimé que quelques mariniers, marchans, & passagers surpris de quelque fortunal de vent en mer, à la violence duquel ilz n'auroient peu resister, auroient esté portés en cette terre, & là paraventure auroient fait naufrage, si bien que se trouvans nuds, ils auroient esté contraints de vivre de chasse et de pecherie, & se couvrir de peaux des animaux qu'ils auroient tués, & ainsi auroient multiplié & rempli cette terre telement quelement (car il n'y a préque les rives de mer & des grandes rivieres habitees, du moins aux premieres terres qui regardent la France, & sont en méme parallele) si bien qu'ores qu'auparavant ils eussent quelque conoissance de Dieu, cela peu à peu s'est évanouï, faute d'instructeurs, comme nous voyons qu'il est arrivé en tout le monde de deçà peu apres le Deluge. Et plusieurs accidens echeuz de cette façon, tant de la partie de l'Orient, que du Midi, & du Nort, & des païs y interposés, peuvent avoir causé le peuplement de cette terre Occidentale en toutes parts.
Ce qui n'est sans exemple, méme qui nous est familier. Car en l'an mil cinq cens quatre-vints dix-huict le sieur Marquis de la Roche gentil-homme Breton pretendant habiter la Nouvelle France, & y asseoir des colonies Françoises, suivant la permission qu'il en avoit du Roy, il y mena quelque nombre de gans, léquels (pource qu'ils ne conoissoit encore le païs) il dechargea en l'ile de Sable, qui est à vint lieuës de terre ferme plus au Su que le Cap-Breton, c'est à sçavoir par les quarante quatre degrez. Cependant il s'en alla reconoistre & le peuple & le païs, & chercher quelque beau port pour se loger. Au retour il fut pris d'un vent contraire qui le porta si avant en mer, que se voyant plus prés de la France que de ses gens, il continua sa route pardeça, où il fut peu apres prisonnier és mains de Sieur Duc de Mercure, & demeurerent là ses hommes l'espace de cinq ans vivans de poissons, & du laictage de quelques vaches qui y furent portées il y a environ quatre-vints ans, au temps du Roy François I par le Sieur Baron de Leri, & de saint Just, Vicomte de Gueu, lequel ayant le courage porté à choses hautes, desiroit s'établir par-dela, & y donner commencement à une habitation de François; mais la longueur du voyage l'ayant trop long temps tenu sur mer, il fut contraint de décharger là son bestial, vaches, & pourceaux, faute d'eau douces & de paturages: & des chairs de ces animaux aujourd'hui grandement multipliés, ont vécu les gens dudict Marquis, tout le temps qu'ils ont eté en cette ile. En fin, le Roy étant à Rouën commanda à un pilote de les aller recuillir lors qu'il iroit à la pecherie des Terres-neuves. Ce qu'il fit, & d'un nombre de quarante ou cinquante, en ramena une douzaine, qui le presenterent à sa Majesté vétuz de peaux de loup-marins. Voila comme les peuples Sauvages peuvent avoir été multipliés. Et qui eût laissé là pertuellement ces hommes avec nombre de femmes, ilz fussent (ou leurs enfans) devenuz semblables aux peuples de la Nouvelle-France, & eussent peu à peu perdu la conoissance de Dieu. Et sir cette consideration je pourrois m'écrier avec l'Apôtre saint Paul: O profondeur des richesse, & de la sapience, & de la conoissance de Dieu, que ses jugemens sont incomprehensibles, & ses voyes impossibles à trouver! Car qui est-ce qui a coneu la pensee du Seigneur, ou qui a été son Conseiller?
Si qu'un allegue que ce que je viens de dire n'a peu étre fait pource que ce n'est la coutume de mener les femmes en mer. Je repliqueray que cela est bon à dire en ce temps ici, mais que les premiers siecles ont eté autres, auquels croient les femmes plus vigoureuses, & avoient un courage du tout mâle: au lieu qu'aujourd'hui, les delices ont appoltronni & l'un & l'autre sexe. Et neantmoins encore voyons-nous quelquefois des femmes suivre leurs maris en mer. Et n'en faut qu'une pour en peupler tout un païs: ainsi que le monde a multiplié par la fecondité de nôtre premiere mere.
Or pour revenir à mon propos, j'ay un autre argument, qui pourroit servir pour dire que ces peuples ont eté portez là de cette façon, c'est à dire, par fortune de mer, & qu'ilz sont venuz de quelque race de gens qui avoient eté instruits en la loy de Dieu. C'est qu'un jour comme le sieur de Poutrincourt discouroit par truchement à un Capitaine Sauvage nommé Chkoudun, de nôtre Foy & religion, il répondit sur le propos du Deluge, qu'il avoit bien ouï dire dés long temps, qu'anciennement il y avoit eu des hommes mechans léquels moururent tous, & y en vint de meilleurs en leur place. Et cette opinion du Deluge n'est pas seulement en la partie de la Nouvelle-France, où nous avons demeuré, mais elle est encore entre les peuples du Perou, léquels (à ce que raconte Joseph Acosta) parlent fort d'un déluge avenu en leur païs, auquel tous les hommes furent noyés, & que du grand lac Titicaca sortit un Viracocha (qui est le plus grand de tous leurs Dieux, lequel ils adorent en regardant au ciel, comme createur de toutes choses) & ce Viracocha, s'arreta en Tiaguanaco, où l'on voit aujourd'hui des reines & vestiges d'anciens edifices fort étranges: & de là à Cusco. Ainsi recommença le genre humain à se multiplier.
Je ne veux nier pourtant que ces grans païs n'aient peu étre peuplez par un autre voye, sçavoir que les homme se multiplians sur la terre, & s'étendans toujours, comme ils ont fait pardeça, en fin il y a de l'apparence que de proche en proche ils ont atteint ces grandes provinces, soit par l'Orient, ou par le Nort, ou par tous les deux. Car je tiens que toutes les parties de la terre ferme sont concatenées ensemble, ou du moins s'il y a quelque détroit, comme ceux d'Anian & de Magellan: c'est chose que les hommes peuvent aisément franchir. La consideration du passage des animaux est ce qui plus nous peut arreter l'esprit en ceci. Mais on peut dire qu'il a eté aisé d'y transporter les petits, & les grands sont d'eux-mémes capables de passer les detroits de mer, comme il est vray-semblable que les Ellans ont passé de l'Europe Septentrionale en Labrador, en Canada, en la terre des Souriquois par le Nort car nous sçavons de certaine science qu'ilz ne font pas difficulté de passer des bayes de mer, pour accourcir le chemin d'une terre à vue autre. Et nous lisons au premier voyage du Capitaine Jacques Quartier, que les ours passent aisément quatorze lieuës de mer: En ayant lui-méme rencontré un qui traversoit à nage la mer qui est entre la terre ferme & l'ile aux oiseaux.
Mais quand je considere que les Sauvages ont de main en main par tradition de leurs peres, une obscure conoissance du Deluge, il me vient au devant une autre conjecture du peuplement des Indes Occidentales, qui n'a point encore esté mise en avant. Car quel empéchement y a-il de croire que Noé ayant vécu trois cens cinquante ans aprés le Deluge, n'ait luy méme eut le soin & pris la peine de peupler, ou plustot repeupler ces païs là? Est-il à croire qu'il soit demeuré un si long espace de temps sans avoir fait & exploité beaucoup de grandes & hautes entreprises? Luy qui étoit grand ouvrier, & grand pilote, sçavoit-il point l'art de faire un autre vaisseau (car le sien croit demeuré arreté aux montagnes d'Ararat, c'est à dire de la grande Armenie) pour reparer la desolation de la terre? Luy qui avoit la conoissance de mille choses que nous ne sçavons point, par la traditive des sciences infuses en nôtre premier pere, duquel il peut avoir veu les enfans ignoroit-il ces terres Occidentales, où par-aventure il avoit pris naissance? Certes en tout cas il est à presumer qu'ayt l'esprit de Dieu, & à r'établir le monde par une speciale election du ciel, il avoit (du moins par la renommee) conoissance de ces terres là, auquelles il ne luy a point eté plus difficile de faire voile, ayant peuplé l'Italie, que de venir du bout de la mer Mediterranée sur le Tibre fonder son Ianiculum, si les histoires prophanes sont veritables, & par mille raisons y a apparence de le croire. Car en quelque part du monde qu'il se trouvat, il étoit parmi ses enfans. Il ne lui a, di-je, point esté plus difficile d'aller du détroit de Gibraltar en la Nouvelle-France, ou du Cap-Vert au Bresil, qu'à ses enfans d'aller en Java, ou en Japan, planter leur nom: ou au Roy Salomon de faire des navigations de trois ans: léquelles quelques uns des plus sçavans de nôtre siecle dernier passé, & entre autres François Vatable, disent avoir eté au Perou, d'où il faisoit apporter cette grande quantité d'or d'Ophir tres-fin & pur tant celebré en la sainte Ecriture.
Que si (la chose presupposée de cette sorte) ceux des Indes Occidentales n'ont conservé le sacré depos de la conoissance de Dieu, & les beaux enseignement qu'il leur pouvoit avoir laissés, il faut considerer que ceux du monde de deça n'ont pas mieux fait. Somme cette conjecture me semble fondee en aussi bonne & meilleure raison que les autres. Et de telle chose ayans eu Platon quelque sourde nouvelle, il en a parlé en son Timée comme un homme de son païs, là où il a discouru de cette grande ile Atlantique laquelle comme il ne voyoit point, ny personne qui y eût eté de son temps, il a feint que par un grand deluge elle avoit esté submergée dans la mer. Et aprés lui Ælian au troisieme de son histoire Des choses diverses, rapporte chose préque semblable, quoy qu'il croye que ce soit fable, et soit selon Theopompus, que jadis il y eut «fort grande familiarité entre Mydas Phrygien, & Silenus. Ce Silenus croit fils d'une Nymphe, de condition inferieure aux Dieux, mais plus noble que celle des mortels. Apres avoir tenu plusieurs propos ensemble, Silenus adjouta que l'Europe, l'Asie & la Lybye estoient iles environnées de l'Ocean, mais qu'il y avoit une terre ferme par-delà ce monde ici de grandeur infinie, nourrissant de grans animaux, & des hommes deux fois aussi grans, & vivans deux fois autant que nous: qu'il y avoit de grandes cités, diverses façons de vivres, & des loix contraires aux nôtres. Par aprés il dit encores que cette terre possede grande quantité d'or & d'argent, si bien qu'entre les peuples de delà, l'or est moins estimé que le fer entre nous, &c.»
Qui considerera ces paroles, il trouvera qu'elles ne sont du tout fabuleuses: & conclura qu'és premier siecles les hommes ont eu conoissance de l'Amerique, & autres terres y continentes, & que pour la longueur du voyage les hommes cessans d'y aller, cette conoissance est venuë à neant, & n'en est demeuré qu'une obscure renommée. Car Pline méme se plaint que de son temps les hommes étoient appoltronnis & la navigation tellement refroidie, qu'il ne se trouvoit plus de gens entendus à la marine, de sorte que «les côtes des terres se reconnoissent mieux par des écrits de ceux qui ne les avoient jamais veuës, que par le dire de ceux qui les habitoient. On ne se soucie plus (dit-il) de chercher de nouvelles terres, ni méme de conserver la conoissance de celles qui sont des-ja trouvées, quoy que nous soyons en bonne paix, & que la mer soit ouverte» & ouvre ses ports à un chacun pour les recevoir. Ainsi les iles Fortunées (qui sont les Canaries) ayans eté és plus prochains siecles apres le Deluge fort conuës, & frequentees, cette conoissance s'est perdue par la nonchalance des hommes, jusques à ce qu'un Gentil-homme de Picardie Guillaume de Betancourt les decouvrit és derniers siecles, comme nous dirons cy-apres.
Et pour une derniere preuve de ce que j'ay dit ci-dessus, par une conjecture vray-semblable que les siecles plus reculés ont eu conoissance de terres Occidentales d'outre l'Ocean, j'adjouteray ici ce que les Poetes anciens ont tant chanté des Hesperides, léquelles ayans mis au Soleil couchant, elle peuvent beaucoup mieux étre appropriées aux iles des Indes Occidentales, qu'aux Canaries, ni Gorgones. En quoy volontiers je m'arreteray à ce que le méme Pline, sur une chose pleine d'obscurité, recite qu'un Stratius Sebofus employa quarante jours à naviger depuis les Gorgones (qui sont les iles du Cap Verd) jusques aux Hesperides. Or ne faut-il point quarante jour, ains seulement sept ou huict, pour aller des gorgones aux iles Fortunées (où quelques uns mettent les Hesperides) n'y ayant que deux cens lieuës de distance. Surquoy je conclus que les Hesperides ne sont autres que les iles de Cuba, l'Hespagnole, la Jamaïque, & autres voisines au golfe de Mexique.
Quant au dragon qu'on disoit garder les pommes d'or des Hesperides, & aucun n'y entroit, les anciens vouloient signifier les détroits de mer qui vont serpentant parmi ces iles, au courant déquels plusieurs vaisseaux s'estoient perdus, & qu'on n'y alloit plus. Que si le grand Hercule y a esté, & en a ravi des fruits, ce n'est pas chose éloignée de sa vertu.
Limites de la Nouvelle-France, & sommaire du voyage de Jean Verazzan Capitaine Florentin en la Terre-neuve, aujourd'hui dite La Floride, & en toute cette côte jusque au quarantiéme degré. Avec une briéve description des peuples qui habitent ces contrees.
CHAP. IV
YANT parlé de l'origine du peuple de la Nouvelle-France, il est à propos de dire quelle est l'étenduë & situation de la province, quel est ce peuple, les moeurs, façons & coutumes d'icelui, & ce qu'il y a de particulier en cette terre, suivant les memoires que nous ont laissé ceux qui premiers y ont eté, & ce que nous y avons reconu & observé durant le temps que nous y avons sejourné. Ce que je feray, Dieu aydant, en six livres, au premier déquels seront décrits les voyages des Capitaines Verazzan, Ribaut, & Laudonniere en la Floride: Au second ceux qui ont eté faits souz le sieur de Villegagnon en la France antartique du Bresil: Au troisiéme ceux du Capitaine Jacques Quartier & de Samuel Champlein en la grande riviere de Canada: Au quatriéme ceux des sieurs de Monts & de Poutrincourt sur la côte de la Terre neuve qui est baignee du grand Ocean jusques au quarantiéme degré: Au cinquiéme ce qui s'est fait en ce sujet depuis nôtre retour en l'an mille six cens sept; & au sixiéme les moeurs, façons & coutumes des peuples déquels nous avons à parler.
Je comprens donc souz la Nouvelle-France tout ce qui est au-deça du Tropique du Cancer jusques au Nort, laissant la vendication de la France Antarctique à qui la voudra & pourra debattre, & à l'Hespagnol la jouïssance de ce qui est au-delà de notredit Tropique. En quoy je ne veux m'arréter au partage fait autrefois par le Pape Alexandre sixiéme entre les Rois de Portugal & de Castille, lequel ne doit prejudicier au droit que noz Rois se sont justement acquis sur les terres de conquéte, telle que sont celles dont nous avons à traiter, d'autant que ce qu'il en a fait a esté comme arbitre de chose debattuë entre ces Rois: qui ne leur appartenoit non plus qu'à un autre. Et quand en autre qualité ledit Pape en auroit ainsi ordonné; outre que son pouvoir (hors son domaine) est purement spirituel, il est à disputer s'il pouvoit, ou devoit partager les enfans puisnéz de l'Eglise, sans y appeller l'ainé.
Ainsi nôtre Nouvelle-France aura pour limites du coté d'Ouest la terre jusques à la mer dite Pacifique, au deça du Tropique du Cancer: Au midi les iles & la mer Atlantique du côté de Cuba & l'ile Hespagnole: Au levant la mer du Nort qui baigne la Nouvelle-France: & au Septentrion, celle terre qui est dite inconuë vers la mer glacée jusques au pole arctique. De ce côté quelques Portugais & Anglois ont fait des courses jusques aux soixantieme & septantieme degrez pour trouver passage d'une mer à l'autre par le Nort: mais apres beaucoup de travail ils ont perdu leurs peines, soit pour les trop grandes froidures, soit par defaut des choses necessaires à poursuivre leur route.
En l'an mille cinq cens vingt-quatre, Jean Verazzan Florentin fut envoyé à la decouverte des terres par nôtre Roy Tres-Chrétien François premier, & de son voyage il fit un rapport à sa Majesté, duquel je representeray les choses principales sans m'arreter à suivre le fil de son discours. Voici donc ce qu'il en écrit: Ayans outrepassé l'ile de Madere, nous fumes poussez d'une horrible tempéte, qui nous guidant vers le Nort, au Septentrion, apres que la mer fut accoisée nous ne laissames de courir la méme route l'espace de vingt-cinq jours, faisans plus de quatre cens lieuës de chemin par les ondes de l'Ocean: où nous découvrimes une Terre-neuve, non jamais (que l'on sçache) conuë, ni découverte par les anciens, ni par les modernes: & d'arrivée elle nous sembla fort basse: mais approchans à un quart de lieuë, nous conumes par les grans feuz que l'on faisoit le long des havres, & orées de la mer, qu'elle étoit habitée, & qu'elle regardoit vers le Midy: & nous mettans en peine de prendre port pour surgir & avoir conoissance du pays, nous navigames plus de cinquante lieuës en vain: si que voyans que toujours la côte tournoit au Midi, nous deliberames de rebrousser chemin vers le Nort, suivant nôtre course premiere. Et fin voyant qu'il n'y avoit ordre de prendre port, nous surgimes en la côte, & envoyames un esquif vers terre, où furent veuz grand nombre des habitans du païs qui approcherent du bord de la mer, mais dés qu'ilz virent les Chrétiens proches d'eux ilz s'enfuirent, non toutefois en telle sorte qu'ils ne regardassent souvent derriere eux, & ne prinssent plaisir avec admiration de voir ce qu'ils n'avoient accoutumé en leur terre: & s'ébahissoient & des habits des nôtres, & de leur blancheur & effigie, leur montrans où plus commodément ilz pourroient prendre terre, &c. Puis adjoute: Ilz vont tout nuds, sauf qu'ilz couvrent leurs parties honteuses, avec quelques peaux de certains animaux qui se rapportent aux martres, & ces peaux sont attachées à une ceinture d'herbe qu'ilz font propre à ceci, & fort étroite, & tissuë gentillement, & accoutree avec plusieurs queuës d'autres animaux qui leur environnent le corps, & les couvrent jusques aux genoux: & sur la téte aucuns d'eux portent comme des chapeaux, & guirlandes faites de beaux pennaches. Ce peuple est de couleur un peu bazannée, comme quelques Mores de la Barbarie qui avoisinent le plus de l'Europe: ont les cheveux noirs, touffus, & non gueres longs, & léquels ilz lient tout unis & droits sur la téte, tous ainsi faits que si c'étoit une queuë. Ils sont bien proportionnez de membres, de stature moyenne, un plu plus grans que nous ne sommes, larges de poitrine, les bras forts & dispos, comme aussi ils ont & pieds & jambes propres à la course, n'ayant rien que ne soit bien proportionné, sauf qu'ils ont la face large, quoyque non tous, les ïeux noirs & grans, le regard prompt & arreté. Ils sont assez foibles de force, mais subtils & aigus d'esprit, agiles & des plus grans & vites coureurs de la terre.
Or quant au plan & site de cette terre & de l'orée maritime, elle est toute couverte de menu sablon qui va quelques quinze piés en montant, & s'étend comme petites collines & côteaux ayans quelques cinquante pas de large: & navigant plus outre on trouve quelques ruisseaux & bras de mer qui entrent par aucunes fosses & canaux, déquels arrousent les deux bords. Apres ce on voit la terre large, laquelle surmonte ces havres areneux, ayant de tres-belles campagnes & plaines, qui sont couvertes de bocages & forets tres-touffuës, si plaisantes à voir que c'est merveille: et les arbres sont pour la pluspart lauriers, palmiers, & hauts cyprés, & d'autres qui sont inconnue à notre Europe, & léquels rendoient une odeur tres-suave, qui fit penser aux François que ce païs participant en circonference avec l'Orient, ne peut étre qu'il ne soit aussi abondant en drogues & liqueurs aromatiques, comme encore la terre donne assez d'indices qu'elle n'est sans avoir des mines d'or, & d'argent & autres metaux. Et est encore cette terre abondante en cerfs, daims, & lievres. Il y a des lacs & étangs en grand nombre, et des fleuves & ruisseaux d'eau vive, & des oyseaux de diverses especes, pour ne laisser chose qui puisse servir à l'usage des hommes.
Cette terre est en elevation de trente-quatre degrez, ayant l'air pur, serein, & fort sain, & temperé entre chaud & froid, & ne sent-on point que les vens violens, & impetueux soufflent & respirent en cette region, y regnant le vent d'Orient & d'Occident, & sur tout en Eté, y estant le ciel clair & sans pluie, si ce n'est que quelquefois le vent Austral souffle, lequel fait élever quelques nuages & brouillars, mais cela se passe tout soudainement, & revient sa premiere clarté. La mer y est quoye, & sans violence ni tourbillonnemens de flots, & quoy que la plage soit basse & sans aucun port, si n'est-elle point facheuse aux navigans, d'autant qu'il n'y a pas un écueil, & que jusques à rez de terre à cinq ou six pas d'icelle, on trouve sans flux ny reflux vingts piés d'eau: Quant à la haute mer on y peut facilement surgir, bien qu'une nef fust combattue de la fortune, mais pres de la rade il y fait dangereux. Par cette description peut-on recognoitre que ledit Verazzan est le premier qui a découvert cette côte qui n'avoit point encore de nom, laquelle il appelle Terre-neuve, & depuis a esté appellée la Floride par les Hespagnols, soit ou pource qu'ils en eurent la veuë le jour de Pasques flories, ou pource qu'elle est toute verte & florissante, & que méme les eaux y sont couvertes d'herbes verdoyantes, estant auparavant nommée Jaquaza par ceux du païs.
Quant à ce qui est de la nature du peuple de cette contrée, noz François en parlent tout autrement que les Hespagnols, aussi estans naturellement plus humains, doux & courtois, ils y ont receu meilleur traitement. Car Jean Poncey estant allé à la découverte, & ayant mis pied à terre: comme il vouloit jetter les fondemens de quelque citadelle ou fort, il y fut si furieusement attaqué par un soudain choc des habitans du païs, qu'outre la perte d'un grand nombre de ses soldats, il receut une playe mortelle, dont il mourut tôt apres, ce qui mit son entreprise à neant, & ne recognuerent pour lors les Hespagnols que cet endroit où ils pretendoient se percher.
Depuis encore Ferdinand Sotto riche des dépouilles du Peru, apres avoir enlevé les thresors d'Atabalippa, desireux d'entreprendre choses grandes, fut envoyé en ces parties-là par Charles V Empereur avec une armee en l'an mil cinq cens trente-quatre. Mais comme l'avarice insatiable le poussoit, recherchant les mines d'or premier que de se fortifier, cependant qu'il erroit & esperoit, il mourut de vergogne & de dueil, & ses soldats que deça, qui dela, qui furent assommés en grand nombre par les Barbares. De rechef en l'an mil cinq cens quarante-huit, furent envoyez d'autres gens par le mesme Charles V léquels furent traitez de méme, & quelques-uns écorchéz, & leur peaux attachées aux portes de leurs temples.
Notre Florentin Verazzan s'estant (comme il est à presumer) comporté plus humainement envers ces peuples, n'en receut que toute courtoisie, & pourtant dit qu'ils sont si gracieux & humains, qu'eux (c'est à dire les François) voulans sçavoir quelle estoit la gent qui habitoit le long de cette côte, envoyerent un jeune marinier, lequel sautant en l'eau & pource qu'ils ne pouvoient prendre terre, à cause des flots & courans; afin de donner quelques petite denrees à ce peuple, & les leur ayant jettées de loin (pource qu'il se meffioit d'eux) il fut poussé violemment par les vagues sur la rive. Les Indiens (ainsi les appelle-il tous) le voyans en cet état le prennent & le portent bien loin de la marine, au grand étonnement du pauvre matelot, lequel s'attendoit qu'on l'allat sacrifier, & pource crioit-il à l'ayde, & au secours, comme aussi les Barbares crioient de leur part pensans l'asseurer. L'ayans mis au pied d'un côtau à l'objet du Soleil ils le dépouillerent tout nud, s'ébahissans de la blancheur de la chair, & allumans un grand feu le firent revenir & reprendre sa force: & ce fut lors que tant ce pauvre jeune homme que ceux qui étoient au bateau, estimoient que ces Indiens le dussent massacrer & immoler, faisans rotir sa chair en ce grand brazier, & puis en prendre leur curée, ainsi que font les Canibales. Mais il en avint tout autrement. Car ayant repris ses esprits, & eté quelque temps avec eux, il leur fit signe qu'il s'en vouloit retourner au navire, où avec grande amitié ilz le reconduirent, l'accollans fort amoureusement. Et pour lui donner plus d'asseurance, ils luy firent largue entre eux, & s'arreterent jusques à tant qu'il fut à la mer.
Ayans traversé païs quelque centaine de lieuës en tirant vers la côte qui est aujourd'hui appellée Virginia, ilz vindrent à une autre contree plus belle & plaisante que l'autre, & où les habitans étoient plus blancs, & qui se vétoient de certaines herbes pendantes aux rameaux des arbres, & léquelles ilz tissent avec cordes de chanve sauvage, dont ils ont grande abondance.
Ilz vivent de legumes, léquels ressemblent aux nôtres; de poissons, & d'oiseaux qu'ilz prennent aux rets, & avec leurs arcs, les fléches déquels sont faites de roseaux, & de cannes, & le bout armé d'arréte de poisson, ou des os de quelque béte.
Ils usent des canoës & vaisseaux tout d'une piece, comme les Mexiquains, & y est le païsage & terroir fort plaisant, fertil, & plantureux, bocageux & chargé d'arbres, mais non si odoriferens, à cause que la côte tire plus vers le Septentrion: & par ainsi étant plus froide, les fleurs & fruits n'ont la vehemence en l'odeur que celles des contrées susdites.
La terre y porte des vignes & raisins sans culture, & ces vignes vont se haussant sur les arbres, ainsi qu'il les voit accoutrées en Lombardie, & en plusieurs endroits de la Gascogne: & est ce fruit bon, & de méme gout que les nôtres, & bien qu'ils n'en facent point de vin, si est-ce qu'ils en mangent, & s'ils ne cultivent cet arbrisseau, à tout le moins otent-ils les feuillages qui lui peuvent nuire & empecher que le fruit ne vienne à maturité.
On y voit aussi des roses sauvages, des lis, des violettes, & d'autres herbes odoriferentes & qui sont differentes des nôtres.
Et quant à leurs maisons, elles sont faites de bois & sur les arbres, & en d'aucuns endroits ilz n'ont autre gite que la terre, ni aucune couverture que le ciel, & par ainsi ilz sont tretous logés à l'enseigne du Croissant, comme aussi sont ceux qui se tiennent le long de ces terres & rives de la mer.
Somme notre Verazzan decrit fort amplement toute cette côte, laquelle il a universellement veue jusques aux Terres-neuves où se fait la pecherie des moruës.
Mais d'autant qu'en nôtre navigation derniere souz la charge du sieur de Poutrincourt, en l'an mil six cens six, nous n'avons decouvert que jusques au quarantiéme degré, afin que le lecteur ait la piece entiere de toute nôtre Nouvelle-France conuë je coucheray ici ce que le méme nous a laissé d'un pays qu'il decrit, & lequel il fait en méme elevation qu'est la ville de Rome à sçavoir à quarante degrez de la ligne, qui est vue partie du païs des Armouchiquois (car il ne donne pas de nom à pas un des lieux qu'il a veu). Il dit donc qu'il vit deux Rois (c'est à dire Capitaines) & leur train, tous allans nuds, sauf que les parties honteuses sont couvertes de peau, soit de cerf ou d'autre sauvagine: hommes & femmes beaux & courtois sur tous autres de cette côte, ne se soucians d'or, ni d'argent, comme aussi ils ne tenoient en admiration ni les miroirs, ni la lueur des armes des Chrétiens: seulement s'enqueroient comme on avoit mis ceci en oeuvre. Vit leur logis qui étoient faits comme les chassis d'un lit, soutenu de quatre piliers, & couvert de certaine paille, comme noz nates, pour les defendre de la pluye: Et s'ils avoient l'industrie de bâtir comme par-deça, il leur seroit fort aisé, à cause de l'abondance de pierres qu'ils ont de toutes sortes: les bords de la mer en estans tout couvers, & de marbre & de jaspe, & autres especes. Ils changent de place, & transportent leurs cabanes toutes les fois que bon leur semble, ayans en un rien dressé un logis semblable, & chacun pere de famille y demeurant avec les siens, si bien qu'on verra en une loge vingt & trente personnes. Estans malades ils se guerissent avec le feu, & meurent plus de grande vieillesse que d'autre chose. Ilz vivent de legumes, comme les autres que nous avons dit, & observent le cours de la Lune lors qu'il faut les semer. Ils sont aussi fort pitoyable envers leurs parens lors qu'ilz meurent, ou sont en adversité: car ilz les pleurent & plaignent: y estans morts ils chantent je ne sçay quelz vers ramentevans leur vie passée.
Voila en somme la substance de ce que notre Capitaine Florentin écrit des peuples qu'il a découverts. Quelqu'un dit qu'estant parvenu au Cap-Breton (qui est l'entrée pour cingler vers la grande riviere de Canada) il fut pris & devoré des Sauvages. Ce que difficilement puis-je croire, puis qu'il fit la relation susdite de son voyage au Roy, & attendu que les Sauvages de cette terre-là ne sont point anthropophages, & se contentent d'enlever la teste de leur ennemi. Bien est vray que plus avant vers le Nort il y quelque nation farouche qui guerroye perpetuellement noz marinier faisans leur pecherie. Mais j'entens que la querele n'est pas si vieille, ains est depuis vingt ans seulement, que les Maloins tuerent une femme d'un Capitaine, & n'en est point encor la vengeance assouvie. Car tous ces peuples barbares generalement appetent la vengeance, laquelle ilz n'oublient jamais, ains en laissent la memoire à leurs enfans. Et la religion Chrétienne a cette perfection entre autre choses, qu'elle modere ces passions effrenées, remettant bien souvent l'injure, la justice, & l'execution d'icelle au jugement de Dieu.
Voyage du Capitaine Jean Ribaut en la Floride: Les découvertes qu'il y a fait: & la premiere demeure des Chrétiens & François en cette province.
CHAP. V
NCORE que portez de la maree & du vent tout ensemble nous ayons passé les bornes de la Floride, & soyons parvenuz jusques au quarantiéme degré, toutefois il n'y aura point danger de tourner le Cap en arriere & rentrer sur noz brisées, d'autant que si nous voulons passer outre nous entrerons sur les battures de Malebarre, terre des Armouchiquois en danger de nous perdre, si ce n'est que nous voulions tenir la mer: mais ce faisans nous ne reconoitrons point les peuples sur le subjet déquels nous nous sommes mis sur le grand Ocean. Retournons donc en la Floride, car j'enten que depuis notre depart le Roy y a envoyé gens pour y dresser des habitations & colonies Françoises.
Jaçoit donc que selon l'ordre du temps il seroit convenable de rapporter ici les voyages du Capitaine Jacques Quartier, toutefois il me semble meilleur de continuer ici tout d'une suite le discours de la Floride, & montrer comme nos François y envoyez par le Roy l'ont premiers habitées, & ont traité alliance & amitié avec les Capitaines & Chefs d'icelle.
En l'an mille cinq cens soixante deux l'Admiral de Charillon Seigneur de louable memoire, mais qui s'enveloppa trop avant aux partialitez de la Religion, desireux de l'honneur de la France fit en sorte envers le jeune Roy Charles IX porté de lui-méme à choses hautes, qu'il trouva fort bon d'envoyer nombre de gans à la Floride pour lors encores inhabitée de Chrétiens, afin d'y établir le nom de Dieu souz son authorité. De cette expedition fut ordonné chef Jean Ribaut, homme grave & fort experimenté en l'art de la marine, lequel aprés avoir receu commandement du Roy se mit en mer le 18 de Février accompagné de deux Roberges qui lui avaient eté fournies, & d'un bon nombre de gentilshommes, ouvriers & soldats. Ayant donc navigé deux mois il prit port en la Nouvelle France terrissant pres un cap, ou promontoire, non relevé de terre, pource que la côte est toute plate (ainsi que nous avons veu ci dessus en la description du voyage je Jean Verazzan) & appella ce cap le Cap François en l'honneur de nôtre France. Ce cap distant de l'Equateur d'environ trente degrez.
De ce lieu laissant la côte de la Floride qui se recourbe directement au Midi vers l'ile de Cuba finissant comme en pointe triangulaire, il cotoya vers le Septentrion, & dans peu de temps découvrit une fort belle & grande riviere, laquelle il voulut reconoitre, & arrivé au bord d'icelle le peuple le receut avec bon accueil, lui faisant presens de peaux de chamois: & là non loin de l'embouchure de la dite riviere, il fit planter dans la riviere méme une colonne de pierre de taille sur un côtau de terre sablonneuse, en laquelle les armoiries de France étoient empreintes & gravées. Et entrant plus avant pour reconnoitre le païs il s'arreta en l'autre côté d'icelle riviere, où ayant mis pied à terre pour prier Dieu & lui rendre graces, ce peuple cuidoit que les François adorassent le Soleil, par-ce qu'en priant ilz dressoient la veuë vers le ciel. Le Capitaine des Indiens de ce côté de la riviere (que l'historien de ce voyage appelle Roy) fit present audit Ribaut d'un panache d'aigrette teint en rouge, d'un panier fait avec des palmites, tissu fort artificiellement, & d'une grande peau figurée par tout de divers animaux sauvages si vivement representés & pourtraits que rien n'y estoit que la vie. Le Capitaine François en reciproque lui bailla des petits braselets d'étain argentez, une serpe, un miroir, & des couteaux, dont il fut fort content. Et au contraire contristé du depart des François, lesquel à l'adieu ils chargerent de grande quantité de poissons. De-là traversans la riviere ces peuples se mettoient jusques aux aisselles pour recevoir les nôtres avec presens de mil & meures blanches & rouges, & pour les porter à terre. Là ils allerent voir le Roy (que j'aime mieux nommer Capitaine) des ces Indiens, lequel ilz trouverent assis sur une ramée de cedres & de lauriers, ayant pres de soy ses deux fils beaux & puissans au possible, & environné d'une troupe d'Indiens, qui tous avoient l'arc en main & la trousse pleine de fleches sur le dos merveilleusement bien en conche. En cette terre il y a grande quantité de vers à soye, à cause des meuriers. Et pour-ce que noz gans y arriverent le premier jour de May, la riviere fut nommée du nom de ce mois.
De là poursuivans leur route ilz trouverent une autre riviere laquelle ilz nommerent Seine pour la ressemblance qu'elle a avec notre Seine. Et passans outre vers le Nord-est trouverent encor une autre riviere qu'ilz nommerent Somme là où il y avoit un Capitaine non moins affable que les autres. Et plus outre encore une autre qu'ilz nommerent Loire. Et consequemment cinq autres ausquelles ils imposerent les noms de noz rivieres de Cherente, Garonne, & Gironde, & les deux autres ilz les appellerent Belle, & Grande, toutes ces neuf rivieres en l'espace de soixante lieuës, les noms déquelles les Hespagnols ont changés en leurs Tables geographiques: & si quelques-unes se trouvent où ces noms soient exprimés, nous devons cela aux Holandois.
Or d'autant que celui qui est en plein drap choisit où il veut, aussi noz François trouvans toute cette côte inhabitée de Chrétiens ilz desirerent se loger à plaisir, & passans outre toujours vers le Nord-est trouverent une plus belle & grande riviere, laquelle ilz pensoient estre celle de Jordan, dont ils estoient fort desireux & paraventure est cette-ci méme, car elle est une des belles qui soit en toute cette universelle côte. La profondité y est telle, nommément quand la mer commence à fluer dedans, que les plus grans vaisseaux de France, voire les caraques de Venise y pourroient entrer. Ainsi ilz mouillerent l'ancre à dix brasses d'eau, & appelerent ce lieu & la riviere mme LE PORT ROYAL. Pour la qualité de la terre il ne se peut rien voir de plus beau, car elle étoit toute couverte de hauts chenes & cedres en infinité, & au dessus d'iceux de lentisques de si suave odeur, que cela seul rendoit le lieu desirable. Et cheminans à travers les ramées ilz ne voyoient autre chose que poules d'Indes s'envoler par les forets, & perdris grises & rouges quelque peu differentes des nôtres, mais principalement en grandeur. Ils entendoient aussi des cerfs brosser parmi les bois, des ours, loup-cerviers, leopars, et autres especes d'animaux à nous inconus. Quant à la pecherie un coup de saine étoit suffisant pour nourrie un jour entier tout l'equipage.
Cette riviere est à son embouchement large de cap en cap de trois lieuës Françoises. Ilz y penetrerent fort avant dedans, & trouverent force Indiens, qui de commencement fuioient à leur venuë, mais par aprés furent bien-tot apprivoisez, se faisans des presens les uns aux autres, & vouloient ces peuples les retenir avec eux, leur promettans merveilles. En un des bras de cette riviere trouvans lieu propre ilz planterent en une petite ile une borne où étoient gravées les armes de France. Au reste ces peuples là sont si heureux en leur façon de vivre, qu'ilz ne la voudroient pas quitter pour la nôtre. Et en cela est la condition du menu peuple de deça bien miserable (je laisse à part le point de la religion) qu'ils n'ont rien qu'avec une incroyable peine & travail, & ceux-là ont abondance de tout ce qui leur est necessaire à vivre. Que s'ilz ne sont habillez de velours & de satin la felicité ne git point en cela, ains je diray que la cupidité de telles choses, & autres superfluitez que nous voulons avoir, sont les bourreaux de nôtre vie. Car pour parvenir à ces choses, celui qui n'a son diner pret, a besoin de merveilleux artifices, léquels bien souvent la conscience demeure intéressée. Mais encore chacun n'a-il point ces artifices: car tel a envie de travailler qui ne trouve pas à quoy s'occuper: & tel travaille, à qui son labeur est ingrat: & delà mille pauvretés entre nous. Et entre ces peuples tous sont riches s'ils avoient la grace de Dieu, car la vraye richesse du monde, c'est d'avoir contentement. La terre & la mer leur donnent abondamment ce qu'il leur faut, ils en usent sans rechercher les façons de deguiser les viandes, ni tant de saulses qui bien-souvent coutent plus que le poisson. Et pour les avoir se faut donner de la peine. Que s'ilz n'ont tant d'appareils que nous, ilz peuvent dire d'autre part que nous n'avons point libre la chasse du cerf & autres bétes des bois, comme eux: ni des eturgeons, saumons, & mille autres poissons à foison.
Noz François caresserent fort long temps deux jeunes Indiens pour les amener en France & les presenter à la Royne, suivant le commandement qu'ils en avoient eu, mais il n'y eut moyen de les retenir, ains se sauverent sans emporter les habits qui leur avoient eté donnés. Au temps de Charles V Empereur, les Hespagnols habitans de sainct Domingue en attirent cauteleusement quelques uns de cette côte, jusque au nombre de quarante pour travailler à leurs mines, mais ilz n'en eurent point le fruit qu'ils en attendoient, car ilz se laisserent mourir de faim excepté un que fut mené à l'Empereur, lequel il fit peu apres baptizer, & lui donna son nom. Et parce que cet Indien parloit toujours de son Seigneur (ou Roy) Chiquola, il fut nomme Charles de Chiquola. Ce Chiquola, estoit un des plus grans Capitaines de cette contrée, habitant avant dans les terres en une ville, ou grand enclos, où il y avoit de fort belles & hautes maisons.
Or le Capitaine Ribaut apres avoir bien reconnu cette riviere, desireux de l'habiter il assembla ses gens, auquels il fit une longue harangue Pour les encourager à se resoudre à cette demeure, leur remontrant combien ce leur seroit chose honorable & tout jamais d'avoir entrepris une chose si belle, quoy que difficile. Enquoy il n'oublia à leur proposer les exemples de ceux qui de bas lieu estoient parvenus à des choses grandes, comme de L'Empereur Ælie Pertinax, lequel estant fis d'un cordonnier ne dedaigna de publier la bassesse de son extraction, ains pour exciter les hommes de courage, quoy que pauvres, à bien esperer, fit recouvrir la boutique de son pere d'un marbre bien elaboré. Aussi du vaillant & redouté Agatocles, lequel estant fils d'un potier de terre, fut depuis Roy de Sicile, & parmi les vaisselles d'or et d'argent se faisoit aussi servir de poterie de terre en memoire de la condition de son pere. De Rusten Bascha, de qui le pere estoit vacher, & toutesfois par sa valeur & vertu parvint à tel degré qu'il épousa la fille du grand Seigneur son Prince. A peine eut-il achevé son propos, que la pluspart des soldats respondirent qu'un plus grand heur ne leur pourroit avenir, que de faire chose, qui deust reussir au contentement du Roy, & à l'accroissement de leur honneur. Supplians le Capitaine avant que partir de ce lieu leur bâtir un fort, ou y donner commencement, & leur laisser munitions necessaires pour leur defense. Et ja leur tardoit que cela ne fût fait.
Le Capitaine les voyant en si bonne volonté, en fut fort rejouï, & choisit un lieu au Septentrion de cette riviere le plus propre & commode, & au contentement de ceux qui y devoient habiter, qu'il fut possible de trouver. Ce fut une ile qui finit en pointe vers l'embouchure d'icelle riviere, dans laquelle il entre une autre petite riviere, neantmoins assez profonde pour y retirer galleres & galliotes en assez bon nombre: & poursuivant plus avant au long de cette ile, il trouva un lieu fort explané joignant le bord d'icelle, auquel il descendit, & y bâtit la forteresse, qu'il garnit de vivres & munitions de guerre pour la defense de la place. Puis les ayant accomodé de tout ce qui leur estoit besoin, resolut de prendre congé d'eux. Mais avant que partir, appelant le Capitaine Albert (lequel il laissoit chef en ce lieu) Capitaine Albert (dit-il) j'ai à vous prier en presence de tous que vous ayés à vous acquitter si sagement de votre devoir & si modestement gouverner la petite troupe que je vous laisse (ils n'étoient que quarante) laquelle de si grande gayeté demeure souz vôtre obeissance, que jamais je n'aye occasion de vous loüer, & ne taire (comme j'en ay bonne envie) devant le Roy le fidele service qu'en la presence de nous tous lui promettez faire en la Nouvelle France. Et vous compagnons (dit-il aux soldats) je vous supplie aussi reconoitre le Capitaine Albert comme si c'étoit moy-méme qui demeurast, luy rendans obeissance telle que le vray soldat doit faire à son chef & Capitaine, vivans en fraternité les uns avec les autres, sans aucune dissension, & ce faisant Dieu vous assistera & benira vos entreprises.
Retour du Capitaine Jean Ribaut en France: Confederation des François avec les chefs des Indiens: Fétes d'iceux Indiens: Nécessité de vivres. Courtoisie des Indiens: Division des François: Mort du Capitaine Albert.
CHAP. VI
E Capitaine Ribaut ayant fini son propos, il imposa au Fort des François le nom de CHARLE-FORT, en l'honneur du Roy Charles & à la petite riviere celui de Chenonceau. Et prenant congé de tous il se retira avec sa troupe dans ses vaisseaux. Le lendemain levant les voiles, il salua les François Floridiens de maintes canonades pour leur dire adieu, eux de leur part ne s'oublierent à rendre la pareille.
Les voila donc à la voile tirans vers le Nord-est pour découvrir davantage la côte; & à quinze lieuës du Port Royal trouverent une riviere, laquelle ayans reconu n'avoir que demie Brasse d'eau en son plus profond, ilz l'appellerent la Riviere basse. Delà gaignans la campagne salée, ilz se trouverent en peine, & ne sçavoient que faire étans reduits à six, cinq, quatre, & trois brasses d'eau, encores qu'ilz fussent six lieuës en mer. Mettans donc les voiles bas le Capitaine print conseil de ce qu'ils auroient à faire, ou de poursuivre la découverte, ou de se mettre en mer par le Levant, attendu qu'il avoit de certain reconnu, méme laissé des François qui ja possedoient la terre. Les uns lui dirent qu'il avoit occasion de se contenter veu qu'il ne pouvoit faire davantage, luy remettans devant les ïeux qu'il avoit découvert en six semaines plus que les Hespagnols n'avoient fait en deux ans de conquetes de leur Nouvelle Hespagne: & que ce seroit un grand service au Roy s'il lui portoit nouvelles en si peu de temps d'une si heureuse navigation. D'autres lui proposerent la perte & degats de ses vivres, & d'ailleurs l'inconvenient qui pourroit avenir pour le peu d'eau qui se trouvoit de jour en jour le long de la côte. Ce que bien debattu il se resolut de quitter cette route, & prendre la partie Orientale pour retourner droit en France, en laquelle il arriva le vintieme de Juillet, mil cinq cens soixante deux.
Cependant le Capitaine Albert s'étudia de faire des alliances & confederations avec les Paraoustis (ou Capitaines) du païs: entre autres avec un nommé Andusta, par lequel il eut la conoissance & amitié de quatre autres, sçavoir Mayon, Hoya, Touppa, & Stalame léquels il visita & s'honorerent les uns les autres par mutuels presens. La demeure dudit Stalame estoit distante de Charle-fort de quinze grandes lieuës à la partie Septentrionale de la riviere: & pour confirmation d'amitié, il bailla audit Capitaine Albert son arc et ses fleches & quelques peaux de chamois. Pour le regard d'Audusta l'amitié étoit si grande entre eux qu'il ne faisoit ny entreprenoit rien de grand sans le conseil de noz François. Mémes il les invitoit aux fétes qu'ilz celebrent par certaines saisons. Entre léquelles y en a une qu'ils appellent Toya, où ilz font des ceremonies étranges. Le peuple s'assemble en la maison (ou cabanne) du Paraousti, & apres qu'ilz se sont peints & emplumez de diverses couleurs ilz s'acheminent au lieu du Toya, qui est une grande place ronde, là où arrivés ilz se rangent en ordonnance, puis trois autres surviennent peints d'autre façon, chacun une tambourasse au poin, léquels entrent au milieu du rond dansans & chantans lamentablement, suivis des autres qui leur répondent. Aprés trois tournoyemens faits de cette façon ilz se prennent à courir comme chevaux debridez parmi l'epais des forets. Là dessus les femmes commencent à pleurer & continuent tout le long du jour si lamentablement que rien plus: & en telle furie empoignent les bras des jeunes filles, léquelles elles decoupent cruellement avec des écailles de moules bien aigües, si bien que le sang en decoule, lequel elles jettent en l'air, s'écrians: He Toya par trois fois. Les trois qui commencent la féte sont nommez Joanas: & sont comme les Prétres & sacrificateurs des Floridiens, auquels ils adjoutent foy & creance, en partie pour autant que de race ilz sont ordonnés aux sacrifices, & en parti aussi pour autant qu'ilz sont si subtils magiciens, que toute chose egarée est incontinent recouvrée par leur moyen. Or ne sont ilz reverez seulement pour ces choses, mais aussi pour autant que par je ne sçay quel science & conoissance qu'ils ont des herbes, ilz guerissent les maladies.
En toute nation du monde la Pretrise a toujours eté reverée, & ce d'autant plus que ceux de cette qualité sont comme les mediateurs d'entre Dieu (ou ce qu'on estime Dieu) & les hommes. Au moyen dequoy ils ont souvent possedé le peuple & assujettis les ames à leur devotion, & souz cette couleur se sont authorisé en beaucoup de lieux par dessus la raison. Ce qui a emeu plusieurs Roys & Empereurs d'envier cette dignité, reconoissans que cela pouvoit beaucoup servir à la manutention de leur état. Celui aussi qui peut reveler les choses absentes pour léquelles nous sommes en peine, non sans cause est honoré de nus, & principalement quant avec ceci il a la conoissance des choses propres à la guerison de noz maladies, choses merveilleusement puissante, pour acquerir du credit & authorité entre les hommes: ce que l'Ecriture saincte a remarqué quand elle a dit par la bouche du Sage fils de Sirach: Honore le Medecin de l'honneur qui lui appartient pour le besoin que tu en as: La science du Medecin lui fait lever la tête, & le rend admirable entre les Princes.
Ces Prétres donc, ou plutot Devins, qui s'en sont ainsi fuis par les bois, retournent deux jours aprés: puis étans arrivés, ilz commencent à danser d'une gayeté de courage tout au beau milieu de la place, & à rejouïr les bons peres Indiens qui pour leur vieillesse ou indisposition ne sont appellés à la feste: puis se mettent à banqueter, mais c'est d'une avidité si grande, qu'ilz semblent plutot devorer que manger. Or ces Joanas durant les deux jours qu'ilz font ainsi par les bois font des invocations à Toya (qui est le demon qu'ilz consultent) & par characteres magiques le font venir pour parler à lui, & lui demander plusieurs choses selon que leurs affaires le desirent. A cette féte furent noz François invitez, comme aussi au banquet.
Mais aprés s'en étans retournés à Charlefort, je ne trouve point à quoy ilz s'occupoient: & ose bien croire qu'ilz firent bonne chere tant que leurs vivres durerent sans se soucier du lendemain; ny de cultiver & ensemencer la terre, ce qu'ils ne devoient obmettre puis que c'étoit l'intention du Roy de faire habiter la province, & qu'ilz y étoient demeurez pour cet effect. Le sieur de Poutrincourt en fit tout autrement en nôtre voyage. Car dés le lendemain que nous fumes arrivés au Port Royal (Port qui ne cede à l'autre, duquel nous avons parlé, en tout ce qui peut estre du contentement des ïeux) il employa ses ouvriers à cela, comme nous dirons en son lieu, & print garde aux vivres de telle façon que le pain ni le vin n'a jamais manqué à personne, ains avions dix bariques de farines de reste, & du vin autant qu'il nous falloit, voire encore plus: mais ceux qui nous vindrent querir (dont on avoit fait chef un jeune fils de Saint-Malo nommé Chevalier) nous aiderent bien à le boire, au lieu de nous apporter du soulagement.
Noz François donc de Charle-fort soit faute de prevoyance, ou autrement, au bout de quelque temps se trouverent courts de vivres, & furent contraints d'importuner leurs voisins, léquels se depouillerent pour eux, se reservans seulement les grains necessaires pour ensemencer leurs champs, ce qu'ilz font environ le mois de Mars. En quoy je conjecture que dés le mois de Janvier ilz n'avoient plus rien. C'est pourquoy les Indiens leur donnerent avis de se retirer par les bois & de vivre de glans & de racines, en attendant la moisson. Ilz leur donnerent aussi avis d'aller vers les terres d'un puissant & redouté Capitaine nommé Covecxis, lequel demeuroit plus loin en la partie meridionale abondance en toutes saisons en mil, farines, & féves: disans que par le secours de cetui-ci & son frere Ouadé aussi grand Capitaine, ilz pourroient avoir des vivres pour un fort long temps, & seroient bien aises de les voir & prendre conoissance à eux. Noz François pressez ja de necessité accepterent l'avis, & avec un guide se mirent en mer, & trouverent Ouadé à vint-cinq lieuës de Charlefort en la riviere Belle, lequel en son langage lui témoigna le grand plaisir qu'il avoit de les voir là venuz, protestant leur estre si loyal amy à l'avenir, que contre tous ceux qui leur voudroient étre ennemis il leur seroit fidele defenseur. Sa maison étoit tapissée de plumasserie de diverses couleurs de la hauteur d'une picque, & son lict couvert de blanches couvertures tissuës en compartimens d'ingenieux artifice, & frangez tout à-lentour d'une frange teinte en couleur d'écarlate. Là ils exposerent leur necessité, à laquelle fut incontinent pourveu par le Capitaine Indien, lequel aussi leur fit present six pieces de ses tapisseries telles que nous avons dites. En recompense dequoy les François lui baillerent quelques serpes & autres marchandises: & s'en retournerent. Mais comme ils pensoient étre à leur aise, voici que de nuit le feu aidé du vent, se print à leurs maisons d'une telle apreté, que tout y fut consommé fors quelque peu de munitions. En cette extremité les Indiens ayans pitié d'eux les ayderent de courage à rebatir une autre maison, & pour les vivres ils eurent recours une autre fois au Capitaine Ouadé, & encores à son frere Covecxis, vers léquels ils allerent & leur raconterent le desastre qui les avoit ruiné, que pour cette cause ils les supplioient de leur subvenir à ce besoin. Ils ne furent trompez de leur attente. Car ces bonnes gens fort liberalement leur departirent de ce qu'ils avoient, avec promesse de plus si ceci ne suffisoit. Presens aussi ne manquerent d'une part & d'autre: mais Ouadé bailla à noz François nombre de perles belles au possible, de la mine d'argent & d'eux pierres de fin cristal que ces peuples fouissent au pied de certaines hautes montaignes qui sont à dix journées de là. A tant les François se departent & retirent en leur Fort. Mais le mal-heur voulut que ceux qui n'avoient peu étre domtez par les eaux, ni par le feu, le fussent par eux-mémes. Car la division se mit entreux à l'occasion de la rudesse ou cruauté de leur Capitaine, lequel pendit lui-méme un de ses soldats sur un assez maigre sujet. Et comme il menaçoit les autres de chatiment (qui paraventure ne luy obeïssoient, & il est bien à croire) & mettoit quelquefois ses menaces à execution, la mutinerie s'enflamma si avant entr-eux, qu'ilz le firent mourir. Et qui leur en donna la principale occasion, ce fut le degradement d'armes qu'il fit à un autre soldat qu'il avoit envoyé en exil, & lui avoit manqué de promesse. Car il lui devoit envoyer des vivres de huit en huit jours, ce qu'il ne faisoit pas, mais au contraire disoit qu'il seroit bien aise d'entendre sa mort. Il disoit davantage qu'il en vouloit chatier encore d'autres, & usoit de langage si malsonnant, que l'honneteté defent de le reciter. Les soldats qui voyoient les furies s'augmenter de jour en jour, & craignans de tomber aux dangers des premiers, se resolurent à ce que nous avons dit, qui est de le faire mourir.
Un Capitaine qui a la conduite d'un nombre d'hommes, & principalement volontaires, comme étoient ceux-ci, & en un païs tant eloigné, doit user de beaucoup de discretion, & ne prendre au pié levé tout ce qui se passe entre soldats, qui d'eux-mémes aiment la gloire & le point d'honneur. Et ne doit aussi tellement se dévetir d'amis, qu'en une troupe il n'en ait la meilleure partie à son commandement, & fut tout ceux qui sont de mise. Il doit aussi considerer que la conservation de ses gens c'est sa force, & le depeuplement sa ruine. Je puis dire du sieur de Poutrincourt (& ce sans flatterie) qu'en tout nôtre voyage il n'a jamais frappé un seul des siens, & si quelqu'un avoit failli il faisait tellement semblant de le frapper qu'il lui donnoit loisir d'évader. Et neantmoins la correction est quelquefois necessaire, mais nous ne voyons point que par la multitude des supplices le monde se soit jamais amendé. C'est pourquoy Seneque disoit que le plus beau & le plus digne ornement d'un Prince estoit cette couronne, POUR AVOIR CONSERVÉ LES CITOYENS.
Election d'un Capitaine au lieu du Capitaine Albert. Difficulté de retourner en France faute de navires: Secours des Indiens là dessus: Retour: Etrange & cruelle famine: Abord en Angleterre.
CHAP. VII
E dessein de noz mutins executé ilz retournerent querir le soldat exilé qui étoit en une petite ile distante de Charle-fort de trois lieuës, là où ilz le treuverent à demi mort de faim. Or étans de retour ilz s'assemblerent pour élire un Capitaine, enquoy l'election tomba sur Nicolas Barré homme digne de commandement & qui véquit en bonne concorde avec eux. Cependant ilz commencerent à batir un petit bergantin en esperance de repasser en France, s'il ne leur venoit secours, comme ils attendoient de jour en jour. Et encores qu'il n'y eut homme qui entendit l'art, toutefois la necessité qui apprent toutes choses, leu en montra les moyens. Mais c'est peu de chose d'avoir du bois assemblé en cas de vaisseau de mer. Car il y faut un si grand attirail, que la structure de bois ne semble qu'une petite partie. Ilz n'avoient ni cordages, ni voiles, ni dequoy calfeutrer leur vaisseau, ni moyen d'en recouvrer. Neantmoins en fin Dieu y proveut. Car comme ils estoient en cette perplexité, voici, voici venir Audusta & Macau Princes Indiens accompagnés de cent hommes, qui sur la plainte des François promirent de retourner dans deux jours, & apporter si bonne quantité de cordages, qu'il y en auroit suffisamment pour en fournir le bergantin. Cependant noz gens allerent par les bois recuillir tant qu'ils peurent de gommes de sapins dont ilz brayerent leur vaisseau. Ilz se servirent aussi de mousse d'arbre pour le calage ou calfeutrage. Quant aux voiles ils en firent de leurs chemises & draps de lit. Les indiens ne manquerent à leur promesse. Ce qui contenta tant nosdits François qu'il leur laisserent à l'abandon ce qui leur restoit de marchandises. Le bergantin achevé, ilz se mettent en mer assez mal pourveuz de vivres & partant inconsiderément, attendu la longueur du voyage & les grans accidens qui peuvent survenir en une si spacieuse mer. Car ayans tant seulement fait le tiers de leur route, ilz furent surpris de calmes si ennuieux qu'en trois semaines ilz n'avancerent pas de vingt-cinq lieuës. Pendant ce temps les vivres se diminuerent & vindrent à telle petitesse, qu'ilz furent contraints ne manger que chacun douze grains de mil par jour, qui sont environ de la valeur de douze pois: encore tel heur ne leur dura-il gueres: car tout à coup les vivres leur defaillirent, & n'eurent plus asseuré recours qu'aux souliers & colets de cuir qu'ilz mangerent. Quant au boire, les une se servoient de l'eau de la mer les autres de leur urine: & demeurerent en telle necessité un fort long temps, durant lequel une partie mourut de faim. D'ailleurs leur vaisseau faisoit eau, & étoient bien empechés à l'etancher, mémement la mer étant emeuë, comme elle fut beaucoup de fois, si bien que comme desesperés ilz laissoient là tout, & quelquefois reprenoient un peu de courage. En fin au dernier desespoir quelques-uns d'entr'eux proposerent qu'il étoit plus expedient qu'un seul mourut, que tant de gens perissent: suivant quoy ils arreterent que l'un mourroit pour sustenter les autres. Ce qui fut executé en la personne de Lachere, celui qui avoit eté envoyé en exil par le Capitaine Albert, la chair duquel fut departie également entr-eux tous, chose si horrible à reciter, que la plume m'en tombe des mains. Aprés tant de travaux en fin ilz decouvrirent la terre, dont ilz furent tellement réjouïs, que le plaisir les fit demeurer un longtemps comme insensez, laissans errer le bergantin ça & là sans conduite. Mais une petite Roberge Anglesque aborda le vaisseau, en laquelle y avoit un François qui étoit allé l'an précédent en la Nouvelle-France, avec le Capitaine Ribaut. Ce François les reconut & parla à eux, puis leur fit donner à manger & boire. Incontinent ilz reprindrent leurs naturels esprits, & lui discoururent au long leur navigation. Les Anglois consulterent long-temps de ce qu'ilz devoient faire. En fin ilz resolurent de mettre les plus debiles en terre, & mener le reste vers la Royne d'Angleterre.
Deux fautes sont à remarquer en ce que dessus, l'une de n'avoir cultivé la terre, pour qu'on la vouloit habiter, l'autre de n'avoir reservé ou fabriqué d'heure quelque vaisseau, pour en cas de necessité retourner d'où l'on étoit venu. Il fait bon avoir un cheval à l'étable pour se sauver quant on ne peut resister. Main je me doute que ceux que l'on avoit envoyé là étoient gens ramassez de la lie des faineans, & qui aymoient mieux besogne faite, que prendre plaisir à la faire.
Voyage du Capitaine Laudonniere en la Floride dite Nouvelle France: Son arrivée à l'ile de sainct Dominique: puis en ladite province de la Floride: Grand âge des Floridiens: honnesteté d'iceux: Bastiment de la forteresse des François.
CHAP. VIII.
UAND le Capitaine Ribaut arriva en France il y trouva les guerres civiles allumées, léquelles furent cause en partie que les François ne furent secourus ainsi qu'il leur avoit eté promis; que le Capitaine Albert fut tué, & le païs abandonné. La paix faite, l'Admiral de Chatillon, qui ne s'étoit souvenu de ses gens tandis qu'il faisoit la guerre à son Prince, en parla au Roy au bout de deux ans, lui remontrant qu'on n'en avoit aucune nouvelle, & que ce seroit dommage de les laisser perdre. A cause dequoy sa Majesté lui accorda de faire equipper trois vaisseaux, l'un des six vingts tonneaux, l'autre de cent, l'autre de soixante, pour les aller chercher & secourir, mais il en étoit bien tard.
Le Capitaine Laudonniere Gentilhomme Poitevin eut la charge de ces trois navires, & fit voiles du havre de Grace le vingt-deuxieme Avril mille cinq cens soixante quatre, droit vers les iles Fortunées, dites maintenant Canaries, en l'une déquelles appellée Teneriffé, autrement le Pic, y a une chose emerveillable digne d'estre couchée ici par escrit. C'est une montagne au milieu d'icelle si excessivement haute, que plusieurs afferment l'avoir veuë de cinquante à soixante lieuës loin. Elle est préque semblable à celle d'Ætna jetant des flammes comme mont Gibel en Sicile, & va droit comme un pic, & au haut d'icelle on ne peut aller sinon depuis la mi-May jusques à la mi-Aoust à cause de la trop vehemente froidure: chose d'autant plus émerveillable qu'elle n'est distante de l'Equateur que de vint-sept degrez & demi. Mesme il y a des neges encores au mois de May, à raison dequoy Solin l'a appelée Nivaria, comme qui diroit l'ile Negeuse. Quelques-uns pensent que cette montagne soit ce que les anciens ont appellé, le mont d'Atlas, d'où la mer Atlantique a pris son nom.
Delà par un vent favorable en quinze jours nos François vindrent aux Antilles, puis à sainct Dominique, qui est une des plus belles iles de l'Occident, fort montagneuse, & d'assez bonne odeur. Sur la côte de cette ile deux Indiens voulans aborder les François, l'un eut peur & s'enfuit, l'autre fut arreté, & en cette sorte ne sçavoit quel geste tenir tant il étoit epouvanté, cuidant étre entre les mains des Hespagnols, qui autrefois lui avoient coupé les genetoires, comme il montroit. En fin toutes fois il s'asseura, & lui bailla-on une chemise, & quelques petits joyaux. Ce peuple jaloux ne veut qu'on approche de leurs cabanes, & tuerent un François pour s'en estre trop avoisiné. La vengeance n'en fut faite, pour trop de considerations, léquelles les Hespagnols ne pouvans avoir, ont paraventure eté quelquefois induits aux cruautez qu'ils ont commises. Vray est qu'elles ont eté excessive, & d'autant plus abominables qu'elles ont parvenu jusques aux François, qui possedoient une terre de leur juste & loyal conquét, sans leur faire tore, comme nous dirons à la fin de ce livre. En cette ile de saint Dominique il y a des serpens enormement grans. Noz François cherchans par le bois certains fruits excellens appellés Ananas, tuerent un de ces serpens long de neuf grans piés, & gros comme la jambe.
L'arrivée en la Nouvelle-France fut le vint-deuxiéme Juin à trente degrez de l'Equateur, dix lieuës au dessus du Cap-François, & trente lieuës au dessuz de la riviere de May, où les nôtres mouillerent l'ancre en une petite riviere qu'ilz nommerent la riviere des Dauphins, où ilz furent receuz fort courtoisement & humainement des peuples du païs & de leur Paraousti (qui veut dire Roy ou Capitaine) au grand regret déquels ilz tirerent vers la riviere de May, à laquelle arrivez, le Paraousti appellé Satouriona avec deux siens fils beaux, grans & puissans, & grand nombre d'Indiens vindrent au-devant d'eux, ne sçachans quelle contenance tenir pour la joye qu'il avoient de leur venuë. Ilz leur montrerent la borne qu'y avoit plantée le Capitaine Ribaut deux ans auparavant, laquelle par honneur ils avoient environnée de lauriers, & au pied mis force petits panier de mil qu'ils appellent tapaga, tapola. Ils la baiserent plusieurs fois, & inviterent les François à en faire de méme. En quoy se reconoit combien la Nature est puissante d'avoir mis une telle sympathie entre ces peuples-ci & les François, & une totale antipathie entr'eux et les Hespagnols.
Je ne veux m'arréter à toutes les particularités de ce qui s'est passé en ce voyage, craignant d'ennuyer le lecteur en la trop grandes curiosité, mais seulement aux choses plus generales, & plus dignes d'estre sceuës. Noz gens donc desireux de reconnoitre le païs, allerent à-mont la riviere, en laquelle étans entré bien avant & recreuz du chemin, ilz trouverent quelques Indiens, léquels voyans étre entré en effroy, ilz les appelerent crians, Antipola, Bonnason, qui veut dire Frere, ami (comme là où nous avons demeuré Nigmach), &en autres endroits Hirmo. A cette parole ilz s'approcherent: & reconoissans noz François que le premier étoit suivi de quatre qui tenoit la queuë de son vetement de peau par derriere, ilz se douterent que c'étoit le Paraousti, & qu'il falloit aller au devant de lui. Ce Paraousti fit une longue harangue tendant à ce que les nôtres allassent à sa cabane, & en signe d'amitié bailla sa robbe, ou manteau de chamois, au conducteur de la trouppe Françoise nommé le sieur d'Ottigni. Et passant quelque marecage, les Indiens portoient les nôtres sur leurs épaules.
En fin arrivés ilz furent receus avec beaucoup d'amitié, & virent un vieillard pere de cinq generations, de l'aage duquel s'étans informés, ilz trouverent qu'il avoit environ trois cens ans. Au reste tout decharné, auquel ne paraissoient que les os: mais son fils ainé avoit mine de pouvoir vivre encore plus de trente ans. Pendant ces choses le Capitaine Laudonniere visita quelques montagnes où il trouva des Cedres, Palmiers, & Lauriers plus odorans que le baume: Item des vignes en telle quantité qu'elle suffiroient pour habiter le païs: & outre ce, grande quantité d'Esquine entortillee à l'entour des arbrisseaux: Item des prairies entrecouppées en iles & ilettes le long de la riviere: chose fort agreable. Cela fait il se partit delà pour aller à la riviere de Seine distante de la riviere de Somme là où il mit pied à terre, & fut fort humainement receu du Paraousti, homme haut, grave & bien formé comme aussi sa femme, & cinq filles qu'elle avoit d'une tres-agreable beauté. Cette femme lui fit present de cinq boulettes d'argent & le Paraousti lui bailla son arc & ses fleches, & qui est un signe entr'eux de confederation, & alliance perpetuelle. Il voulut voir l'effect de nos arquebuses; & comme il vit que cela faisoit un trop plus grand effort que ses arcs & fleches, il en devint tout pensif, mais ne voulut faire semblant que cela l'étonnat.
Apres avoir rodé la côte il fallut en fin penser de se loger. Conseil pris, on voyoit qu'au Cap de la Floride c'est un païs tout noyé; au Port Royal c'est un lieu fort agreable, mais non tant commode ni convenable qu'il leur étoit de besoin, voulans planter une colonie nouvelle. Partant trouverent meilleur de s'arreter en la riviere de May, où le païs est abondant non seulement en mil (que nous appelons autrement blé Sarazin, d'inde, ou de Turquie, ou du Mahis) mais aussi en or & argent. Ainsi le vint-neufiéme de Juin tournans la prouë s'en allerent vers ladite riviere, dans laquelle ilz choisirent un lieu le plus agreable qu'ilz peurent, où ilz rendirent graces à Dieu, & se mirent à qui mieux mieux à travailler pour dresser un Fort, & des habitations necessaires pour leurs logemens, aidez du Paraousti de cette riviere, dit Satouriona, lequel employa ses gens à recouvrer des palmites pour couvrir les granges & logis, chose qui fut faite en diligence. Mais est notable qu'en cette contrée on ne peut bâtir à hauts étages, à-cause des vens impetueux auquels elle est sujette. Je croy qu'elle participe aucunnement de la violence du Houragan, duquel nous parlerons en autre endroit. La Forteresse achevée, on lui donna le nom, LA CAROLINE, en l'honneur du Roy Charles, l'endroit de laquelle se pourra remarquer par la delineation que nous avons faite, & joindre ici du païs que les François ont découvert en la Floride.
Navigation dans la riviere de May: Recit des capitaines & Paraoustis qui sont dans les terres: Amour de vengeance: Ceremonie étrange des Indiens pour reduire en memoire la mort de leurs peres.
CHAP. IX
UAND le Capitaine Laudonniere partit de la riviere de May, pour tirer vers la riviere de Seine, il voulut sçavoir d'où procedoit un lingot d'argent que le Paraousti Satouriona lui avoit donné: & lui fut dit que cela se conquetoit à force d'armes, quant les Floridiens alloient à la guerre contre un certain Paraousti nommé Timogona, qui demeuroit bien avant dans les terres. Pourtant, la Caroline achevée, le Capitaine Laudonniere ne voulut demeurer oisif, ains se ressouvenant dudit Timogona il envoya son Lieutenant à-mont la riviere de May avec deux Indiens pour decouvrir le païs, & sçavoir sa demeure. Ayant cinglé environ vint lieuës, les Indiens qui regardoient çà & là decouvrirent trois Almadie (ou bateaux legers) & aussi-tôt s'avancerent à crier Timogona, Timogona, & ne parlerent que de s'avancer pour les aller combattre jusques à se vouloir jetter dans l'eau pour cet effet, car le Capitaine Laudonniere avoit promis à Satouriona de ruiner ce Timogona son ennemi. Le dessein des François n'étant de guerroyer ces peuples, ains plutôt de les reconcilier les uns avec les autres, le Lieutenant dudit Laudonniere (dit le sieur d'Ottigni) asseura les Indiens qui étoient dans lédites almadies, & s'approchans il leur demanda s'ils avoient or, ou argent. A quoy ilz répondirent que non, mais que s'il vouloit envoyer quelqu'un des siens avec eux ilz le meneroient en lieu où ils en pourroient recouvrer. Ce qui fut fait. Et cependant Ottigni s'en retourne. Quinze jours aprés un nommé le Capitaine Vasseur accompagné d'un soldat fut depeché pour aller sçavoir des nouvelles de celui que les Indiens avoient mené. Apres avoir monté la riviere deux jours, ils apperceurent deux Indiens joignant le rivage, qui étoient au guet pour surprendre quelqu'un de leurs ennemis. Ces Indiens se doutans de ce qui étoit, dirent à noz François que leur compagnon n'étoit point chés-eux, ains en la maison du Paraousti Molona, vassal d'un autre grand Paraousti, nommé Olata Ouaé Outina, où ilz leur donnerent addresse. Le Paraousti Molona traitta noz François honnetement à sa mode, & discourut de ses voisins & alliés & amis, entre léquels il en nomma neuf, Cadecha Chilili, Esclavou, Evacappe, Calanay, Onataquara, Omittaqua, Acquere, Moquosa, tous léquels & autres avec lui jusques au nombre de plus de quarante, il asseura estre vassaux du tres-redouté Olata Ouaé Outina. Cela fait, il se mit semblablement à discourir des ennemis d'Ouaé Outina, du nombre déquels il mit comme le premier le Paraousti Satouriona Capitaine des confins de la riviere de May, lequel a souz son obeissance trente Paraoustis, dont il y en avoit dix qui tous étoient ses freres. Puis il en nomma trois autres non moins puissans que Satouriona. Le premier Potavou, homme cruel en guerre, mais pitoyable en l'execution de sa furie. Car il prenoit les prisonniers à merci, content de les marquer sur le bras gauche d'un signe grand comme celuy d'un cachet, lequel il imprimoit comme si le fer chaud y avoit passé, puis les renvoyoit sans leur faire autre mal. Les deux autres étoient nommés Onathaqua & Houstaqua; abondans en richesses, & principalement Ousthaqua habitant prés les hautes montagnes fecondes en beaucoup de singularités. Qui plus est Molona recitait que ses alliés vassaux du grand Olata s'armoient l'estomach, bras, cuisses, jambes & front avec larges platines d'or & d'argent, & que par ce moyen les fleches ne les pouvoient endommager. Lors le Capitaine Vasseur lui dit que quelque jour les François iront en ce païs & se joindroient avec son seigneur Olata pour deffaire tous ces gens là. Il fut fort réjouï de ce propos, & repondit que le moindre des Paraoustis qu'il avoit nommez, bailleroit au chef de ce secours la hauteur de deux piez d'or & d'argent qu'ils avoient ja conquis sur Onathaqua & Housthaqua. J'ai mis ces discours pour montrer que generalement tous ces peuples n'ont autre but, autre pensée, autre souci que la guerre, & ne leur sçauroit-on faire plus grand plaisir que de leur promettre assistance contre leurs ennemis.
Et pour mieux entretenir le desir de la vengeance, ils ont des façons étranges & dures pour en faire garder la memoire à leurs enfans, ainsi que se peut voir par ce qui s'ensuit. Au retour du Capitaine Vasseur, icelui ne pouvant (contrarié du flot) arriver au gite à la Caroline; il se retira chés un Paraousti qui demeuroit à Trois lieuës de Satouriona, appellé Molona comme l'autre duquel nous avons parlé. Ce Molona fut merveilleusement réjouï de la venuë de noz François, cuidant qu'ils eussent leur barque pleine de tétes d'ennemis, & qu'ilz ne fussent allés vers le païs de Timogona que pour le guerroyer. Ce que le Capitaine Vasseur entendant, lui fit à croire que de verité il n'y étoit allé à autre intention, mais que son entreprise ayant esté découverte, Timogona avait gaigné les bois, & neantmoins que lui & ses compagnons en avaient attrappé quelque nombre à la poursuite qui n'en avoient point porté les nouvelles chés eux. La Paraousti tout ravi de joye pria le Vasseur de lui conter l'affaire tout au long. Et à l'instant un des compagnons dudit Vasseur tirant son espee, lui montra par signes ce qu'il ne pouvoit de paroles; c'est qu'ou trenchant d'icelle il en avoit fait passer deux qui fuyoient par les foréts, & que ses compagnons n'en avoient pas fait moins de leur côté. Que si leur entreprise n'eût esté découverte par Timogona ilz l'eussent enlevé lui-méme & saccagé tout le reste. A ceste rodomontade le Paraousti ne sçavoit quelle contenance tenir de joye qu'il avoit. Et sur ce propos un quidam print une javeline qui estoit fichée à la natte, & comme furieux marchant à grand pas alla frapper un Indien qui étoit assis en un lieu à l'écart, criant à haute voix Hyou, sans que le pauvre homme se remuat aucunement pour le coup que patiemment il montroit endurer. A peine avoir eté remise la javeline en son lieu, que le méme la reprenant il en dechargea roidement un autre coup sur celui qu'il avoit ja frappé, s'écriant de méme que devant Hyou, & peu de temps aprés le pauvre homme se laissa tomber à la renverse roidissant les bras & jambes, comme s'il eüt eté pret à rendre le dernier soupir. Et lors les plus jeunes des enfans du Paraousti se mit aux pieds du renversé, pleurant amerement. Peu apres deux autres de ses freres firent le semblable: La mere vint encore avec grans cris & lamentations pleurer avec ses enfans. Et finalement arriva une troupe de jeunes filles qui ne cesserent de pleurer un long espace de temps en la méme compagnie. Et prindrent l'homme renversé & le porterent avec un triste geste en une autre cabane, & pleurerent là deux heures: pendant quoy le Paraousti & ses camarades ne laisserent de boire de la casine, comme ils avoient commencé, mais en grand silence: Dequoy le Vasseur etonné n'entendant rien à ces ceremonies, il demanda au Paraousti que vouloient signifier ces choses, lequel lentement lui répondit, Thimogona, Thimogona, sans autres propos lui tenir. Faché d'une si maigre réponse, il s'adresse à un autre qui lui dit de méme, le suppliant de ne s'enquerir plus avant de ces choses, & qu'il eût patience pour l'heure. A tant noz François sortirent pour aller voir l'homme qu'on avoit transporté, lequel ilz trouverent accompagné du train que nous avons dit, & les jeunes filles chauffans force mousse au lieu de linge dont elles lui frottoient le côté. Sur cela le Paraousti fut derechef interrogé comme dessus. Il fit réponse que cela n'étoit qu'une ceremonie par laquelle ilz remettoient en memoire la port & persecution de leurs ancestre Paraoustis, faite par leur ennemi Thimogona: Alleguant au surplus que toutes & quantes fois que quelqu'un d'entre-eux retournoit de ce païs-là sans rapporter les tétes de leurs ennemis, ou sans amener quelque prisonnier, il faisoit en perpetuelle memoire de ses predecesseurs, toucher le mieux aimé de tous ses enfans par les mémes armes dont ils avoient été tués; afin que renouvellant la playe, la mort d'iceux fust derechef pleurée.
Guerre entre les Indiens: Ceremonies avant que d'y aller: Humanité envers les femmes & petits enfans: Leur triomphes: Laudonniere demandant quelques prisonniers est refusé: Etrange accident de tonnerre: Simplicité des Indiens.
CHAP. X
PRES ces choses le Paraousti Satouriona envoya vers le Capitaine Laudonniere sçavoir s'il vouloit continuer en la promesse qu'il lui avoit faite à son arrivée, d'étre ami de ses amis, & ennemi de ses ennemis, & l'aider d'un bon nombre d'arquebusiers à l'execution d'une entreprise qu'il faisoit contre Timogona. A quoy ledit Laudonniere fit réponse qu'il ne vouloit pour son amitié encourir l'inimitié de l'autre: et que quand bien il le voudroit, il n'avoit pour lors moyen de le faire, d'autant qu'il étoit aprés à se munir de vivres & choses necessaires pour la conservation de son Fort: joint que ses barques n'étoient pas prétes, & que s'il vouloit attendre deux lunes, il aviseroit de faire ce qu'il pourroit. Cette Réponse ne lui fut gueres agreable, d'autant qu'il avoit ja ses vivres appareillés, & dix Paraoustis qui l'étoient venuz trouver, si bien qu'il ne pouvoit differer. Ainsi il s'en alla. Mais avant que s'embarquer il commanda que promptement on lui apportast de l'eau. Ce fait, jettant le veuë au ciel, il se mit à discourir de plusieurs choses en gestes, ne montrant rien en lui qu'une ardante colere. Il jettoit souvent son regard au Soleil, lui requérant victoire de ses ennemis: puis versa avec la main sur tétes des Paraoustis partie de l'eau qu'il tenoit en un vaisseau, & le reste comme par furie & dépit dans un feu préparé tout exprés, & lors il s'écria par trois fois, Hé Timogona: voulant signifier par telles ceremonies qu'il prioit le Soleil lui faire la grace de répandre le sang de ses ennemis, & aux Paraoustis de retourner avec ces tétes d'iceux, qui est le seul & souverain triomphe de leurs victoires. Arrivé sur les terres ennemies, il ordonna avec son Conseil que cinq des Paraoustis iroient par la riviere avec la moitié des troupes, & se rendroient au point du jour à la porte de son ennemi: quant à lui il s'achemineroit avec le reste par les bois & forets le plus secretement qu'il pourroit: & qu'étans là arrivés au point du jour, on donneroit dedans le village, & tueroit-on tout, excepté les femmes & petits enfans. Ces choses furent executées comme elles avoient eté arrétées, & enleverent les tétes des morts. Quant aux prisonniers ils en prindrent vingt-quatre, léquels ils emmenerent en leurs almadies, chantant des loüanges au Soleil, auquel ilz rapportoient l'honneur de leur victoire. Puis mirent les peaux des tétes au bout de javelots, & distribuerent les prisonniers à chacun des Paraoustis, en sorte que Satouriona en eut treze. Devant qu'arriver il envoya annoncer cette bonne nouvelle à ceux qui étoient demeurés en la maison, léquels incontinent se prindrent à pleurer, mais la nuit venuë ilz se mirent à danser & faire la feste. Le lendemain Satouriona arrivant, fit planter devant sa porte toutes les tétes (c'est la peau enlevée avec les cheveux) de ses ennemis, & les fit environner de banchages de laurier. Incontinent pleurs & gemissemens, léquels avenant la nuit, furent changés en danses.
Le Capitaine Laudonniere averti de ceci pria le Paraousti Satouriona, de lui envoyer deux de ses prisonniers: ce qu'il refusa. Occasion que Laudonniere s'y en alla avec vingt soldats; & entre tint une mine renfrongnée sans parler à Satouriona. En fin au bout de demie heure il demanda où étoient les prisonniers que l'on avoit pris à Timogona, & commanda qu'ilz fussent amenés. Le Paraousti dépité & étonné tout ensemble fut long temps sans repondre. En fin il dit qu'étans épouvantez de la venuë des François ils avoient pris la fuite par les bois. Le Capitaine Laudonniere faisant semblant de ne le point entendre, demanda derechef les prisonniers. Lors Satouriona commanda à son fils de les chercher. Ce qu'il fit & les amena une heure aprés. Ces pauvres gens, voulans se prosterner devant Laudonniere, il ne le souffrit, & les emmena au Fort. Le Paraousti ne fut gueres content de cette bravade, & songeoit les moyens de s'en venger, mais dissimulant son mal-talent ne laissoit de lui envoyer des messages & presens. Laudonniere homme accort l'ayant remercié de ses courtoisies lui fit sçavoir qu'il desiroit l'appointer avec Timogona, moyennant quoy il auroit passage ouvert pour Aller contre Onathaqua son ancien ennemi: & que ses forces jointes avec celles d'Olata Ouaé Outina haut et puissant Paraousti, ilz pourroient ruiner tous leurs ennemis,& passer les confins des plus lointaines rivieres meridionales. Ce que Satouriona fit semblant de trouver bon, suppliant ledit Laudonniere y tenir la main, & que de sa part il garderoit tout ce qu'en son nom il passeroit avec Timogona.
Aprés ces choses il tomba à demie lieuë du fort des François un foudre du Ciel tel qu'il n'en a jamais eté veu de pareil, & partant sera bon d'en faire ici le recit pour clorre ce chapitre. Ce fut à la fin du mois d'Aoust, auquel temps jaçoit que les prairies fussent toutes vertes & arrousées d'eaux, si est-ce qu'en un instant ce foudre en consomma plus de cinq cens arpens, & brula par sa chaleur ardante tous les oiseaux des prairies chose qui dura trois jours en feu & éclairs continuels. Ce qui donnoit bien à penser à nos François, non moins qu'aux Indiens, léquels pensans que ces tonnerres fussent coups de canons tirez sur eux par les nôtres, envoyerent au Capitaine Laudonniere des harangueurs pour lui témoigner le desir que le Paraousti Allicamani avoit d'entretenir l'alliance qu'il avoit avec lui, & d'étre employé à son service: & pour-ce, qu'il trouvoit fort étrange la canonnade qu'il avoit fait tirer vers sa demeure, laquelle avoit fait bruler une infinité de verdes prairies, & icelles consommées jusques dedans l'eau, approché méme si prés de sa maison qu'il pensoit qu'elle deut bruler: pour ce, le supplioit de cesser, autrement qu'il seroit contraint d'abandonner sa terre. Laudonniere ayant entendu la folle opinion de cet homme, dissimula ce qu'il en pensoit, & repondit joyeusement qu'il avoit fait tirer ces canonnades pour la rebellion faite par Allicamani, quant il l'envoya sommer de lui renvoyer les prisonniers qu'il detenoit du grand Olea Ouaé Outina, non qu'il eût envie de lui mal faire, mais s'étoit contenté de tirer jusques à mi-chemin, pour lui faire paroitre sa puissance: l'asseurant au reste que tant, qu'il demeureroit en cette volonté de lui rendre obeïssance, il lui seroit loyal defenseur contre tous ses ennemis. Les Indiens contentez de cette reponse, retournerent vers leur Paraousti, lequel nonobstant l'asseurance s'absenta de sa demeure l'espace de deux mois, & s'en alla à vingt-cinq lieues de là.
Les trois jours expirés le tonnerre cessa & l'ardeur s'éteignit du tout. Mais és deux jours suivans il survint en l'air une chaleur si excessive, que la riviere préque ne bouilloit, & mourut une si grande quantité de poissons & de tant d'especes, qu'en l'emboucheure de la riviere il s'en trouva des morts pour charger plus de cinquante charriots; dont s'ensuivit une si grande putrefaction en l'air qu'elle causa force maladies contagieuses, & extremes maladies aux François, déquels toutefois par la grace de Dieu, aucun ne mourut.
Renvoy des prisonniers Indiens à leur Capitaine: Guerre entre deux Capitaines Indiens: Victoire à l'aide des Francçois: Conspiration contre Laudonniere: Retour du Capitaine Bourdet en France.
CHAP. XI
A fin pour laquelle le Capitaine Laudonniere avoir demandé les prisonniers à Satouriona étoit pour les renvoyer à Ouaé Outina, & par ce moyen pouvoir par son amitié, plus facilement penetrer dans les terres. Ainsi le dixiéme Septembre, s'étant embarqué le sieur d'Arlac, le Capitaine Vasseur, le Sergent, & dix soldats, ilz navigerent jusques à quatre vints lieuës, bien receuz par tout, & en fin rendirent les prisonniers à Outina, lequel aprés bonne chere pria le sieur d'Arlac de l'assister à faire la guerre à un de ses ennemis, nommé Potavou. Ce qu'il lui accorda, & renvoya le Vasseur avec cinq soldats. Or pource que c'est la coutume des Indiens de guerroyer par surprise, Outina delibera de prendre son ennemi à la Diane, & fit marcher ses gens toute la nuit en nombre de deux cens, léquels ne furent si mal avisez qu'ils ne priassent les arquebusiers François de se mettre en téte, afin (disoient-ilz) que le bruit de leurs arquebuses étonnat leurs ennemis. Toutefois ilz ne sceurent aller si subtilement que Potavou n'en fût averti, encores que distant de vint-cinq lieuës de la demeure d'Outina. Ilz se mirent donc en bon devoir & sortirent en grande compagnie; mais se voyans chargez d'arquebusades (qui leur étoit chose nouvelle) et leur Capitaine du premier coup par terre d'un coup d'arquebuse qu'il eut au front tiré par le sieur d'Arlac, ilz quitterent la place: & les Indiens d'Outina prindrent hommes, femmes, & enfans prisonniers par le moyen de noz François, ayans toutefois perdu un homme. Cela fait, le sieur d'Arlac s'en retourna, ayant receu d'Outina quelque argent & or, des peaux peintes & autres hardes, avec mille remercimens: & promit davantage fournir aux François trois cens hommes quand ils auraient affaire de lui.
Pendant que Laudonniere travailloit ainsi à acquerir des amis, voici des conspirations contre lui. Un perigourdin nommé la Roquette débaucha quelques soldats, disant que par sa magie il avoit decouvert une mine d'or ou d'argent à-mont la riviere, de laquelle ilz devoient tous s'enrichir. Avec la Roquette y en avoit encore un autre nommé le Genre, lequel pour mieux former la rebellion disoit que leur Capitaine les entretenoit au travail pour les frustrer de ce gain, & partant falloit élire un autre Capitaine, & se depecher de cetui-ci. Le Genre lui-méme porta la parole à Laudonniere du sujet de leur plainte. Laudonniere fit réponse qu'ilz ne pouvoient tous aller aux terres de la mine, & qu'avant partir il falloyt rendre la Forteresse en defense contre les Indiens. Au reste qu'il trouvoit fort étrange leur façon de proceder, & que s'il leur sembloit que le Roy n'eût fait la depense du voyage à autre fin, que pour les enrichir de pleine arrivée, ilz se trompoient. Sur cette réponse ilz se mirent à travailler portans leurs armes quant & eux en intention de tuer leur Capitaine s'il leur eût tenu quelques propos facheux, méme aussi son Lieutenant.
Le Genre (que Laudonniere tenoit pour son plus fidele) voyant que par voye de fait il ne pouvoit venir à bout de son mechant dessein, voulut tenter une autre voye, & pria l'Apothicaire de mettre quelque poison dans certaine medecine que Laudonniere devoit prendre, ou lui bailler de l'arsenic ou sublimé, & que lui-méme le mettroit dans son breuvage. Mais l'Apothicaire le renvoya éconduit de sa demande, comme aussi fit le maitre des artifices. Se voyant frustré de ses mauvais desseins, il resolut avec d'autres de cacher souz le lict dudit Laudonniere un barillet de poudre à canon, & par une trainée, y mettre le feu. Sur ces entreprises un Gentil-homme qu'iceluy Laudonniere avoit ja depeché pour retourner en France, voulant prendre congé de lui, l'avertit que le Genre l'avoit chargé d'un libelle farci de toutes sortes d'injures contre lui, son Lieutenant, & tous les principaux de la compagnie. Au moyen dequoy il fit assembler tous ses soldats, & le Gentil-homme nommé le Capitaine Bourdet, avec tous les siens (léquels dés le quatriéme de Septembre étoient arrivés à la rade de la riviere) & fit lire en leur presence à haute voix le contenu au libelle diffamatoire, afin de faire conoitre à tous la mechanceté du Genre, lequel s'étant evadé dans les bois demanda pardon au sieur Laudonniere, confessant par ses lettres qu'il avoit merité la mort, se soumettant à sa misericorde. Cependant le Capitaine Bourdet se met à la voile le deuxiéme Novembre pour retourner en France; s'étant chargé de ramener sept ou huit de ces seditieux, non compris le Genre, lequel il ne voulut, quoy qu'il lui offrit grande somme d'argent pour ce faire.
Autres diverses conspirations contre le Capitaine Laudonniere: & ce qui en avint.