17

 

 

Une interminable chape grise avait glissé au-dessus de Paris au fil de la soirée, buvant les lumières du crépuscule pour finalement brumiser une fine pluie sur la capitale dès le soleil couché.

Les gouttes tapotaient aux lucarnes des combles où Guy était installé, un long espace qu’il avait saturé de lampes à pétrole comme s’il craignait les ténèbres en cette soirée particulière.

Car cette nuit, il l’avait décidé, il allait entrer dans l’intimité d’un meurtrier.

Il ressentait cette même excitation que le premier jour d’écriture d’un roman, lorsqu’il s’apprêtait à pénétrer dans la peau de nouveaux personnages, de nouvelles intimités à densifier, de nouveaux compagnons à fréquenter pour de longues heures.

Le thème principal de chacun de ses romans lui dictait la nature des êtres qu’il devait inventer, la raison d’être de son histoire lui suggérait les vies et personnalités de ces rôles à développer. Il allait en être de même cette nuit, mais il devait remplacer le thème et les faits romanesques par des faits criminels. Ce n’était plus une structure narrative commandée par une ou des idées porteuses qu’il devait décortiquer, mais les détails de crimes sanglants. Sauf que la finalité demeurait identique : se servir de ces éléments pour aboutir à un personnage.

Car Guy en était intimement convaincu : tout autant qu’un bon roman se construit sur la crédibilité des liens entre la personnalité du « héros » et son impact sur l’histoire relatée, des crimes répétés ne pouvaient être détachés de leur auteur. Il y avait dans cette répétition le martèlement d’une obsession, le besoin irrépressible d’expression d’une personnalité forte. Restait à la discerner en disséquant ses actes.

La clarté ondoyante des flammes sous les combles conférait au lieu une ambiance presque gothique avec le tapotement de l’eau contre les fenêtres. Pour un peu, Guy se serait cru dans un récit de Mary Shelley, de Poe ou de Charles Maturin.

On toqua à la porte et Faustine entra.

Elle s’était emmitouflée dans une robe de chambre en soie rose, et dans l’entrebâillement de ses pans se remarquait une longue chemise de nuit en satin couverte d’une tunique transparente de mousseline blanche. Faustine s’était mise à son aise, comme si elle pressentait la nécessité de se protéger pour entrer dans la tête du monstre.

Elle tenait un plateau avec une théière fumante et trois tasses en porcelaine qu’elle déposa sur le bureau de l’écrivain avant de déambuler dans la pièce, les mains jointes devant elle.

Guy ne savait quoi dire, après l’épisode de la fin d’après-midi, il craignait de vexer la jolie brune au caractère affirmé.

Il se contenta de l’admirer du coin de l’œil, feignant de relire ses notes. Elle avait détaché ses longs cheveux noirs, les torsades de ses mèches recouvraient ses épaules, et il la vit s’humecter les lèvres plusieurs fois comme si elle s’apprêtait à prendre la parole sans y parvenir.

Guy essaya de lui faciliter la tâche :

— C’est samedi soir, vous ne travaillez pas ?

Elle secoua la tête.

— Julie doit être contente, insista Guy, j’ai entendu qu’il y avait du monde…

Cette fois, Faustine se lança :

— Je vous présente mes excuses pour tout à l’heure, j’ai été un peu rude avec vous, je n’aurais pas dû.

— Vous n’avez pas à vous en faire, c’est tout pardonné.

Elle se tourna pour lui faire face, ses grands yeux bleus buvant les lumières de la pièce.

— J’avais dix-sept ans, dit-elle sur un ton grave qui fit comprendre à Guy qu’elle allait révéler une part importante d’elle-même, lorsque ma mère a voulu me marier. Je suis née dans une très bonne famille, de celles où les mariages se font plus souvent par intérêt que par amour. Dix-sept ans et le caractère que vous me connaissez. Avec le rêve en plus. Lorsqu’on m’a présenté mon futur mari, un jeune homme laid et grossier, j’ai pris peur. Il s’appelait Nathan et était à peine plus âgé que moi. J’ai voulu m’opposer à cette union, j’ai tenté de refuser, mais c’est quelque chose d’impossible chez moi, on ne dit pas non à ma mère. Alors j’ai paniqué. La semaine précédant le mariage, je me suis enfuie. Sans le sou, j’ai erré dans la rue jusqu’à ce qu’une femme prenne pitié de moi et m’héberge. Lorsque j’ai appris le suicide de mon futur mari, qui n’avait pas supporté d’être ainsi rejeté et humilié, ma vie s’est effondrée. Ma bienfaitrice m’a non seulement accueillie mais elle a également réussi à me tenir en vie après ce drame. Pendant plusieurs semaines, elle s’est occupée de moi, sans rien réclamer en retour. Le temps que je refasse surface. Que je retrouve le moyen de me regarder en face. C’est grâce à elle que j’ai pu avoir une deuxième chance, que j’ai pu refaire ma vie. Pendant neuf mois, elle m’a prise à sa charge, elle était gouvernante dans une grande maison close de Paris. Cette femme, c’est Julie.

Guy ne dissimula pas sa surprise et croisa les bras sur sa poitrine en attendant la suite.

— Après neuf mois d’existence dans le noir de sa chambre, j’ai pris ma décision. Julie m’a fait entrer au service de l’établissement, comme bonne. Je me payais sur les commissions quotidiennes. Depuis les coulisses, j’ai tout appris du métier de courtisane, mais j’ai également appris à me défendre, à m’affirmer devant ces messieurs qui me croisaient parfois et réclamaient une nuit avec moi. J’ai découvert quel pouvoir d’attraction je pouvais dégager, et Julie m’a enseigné à en user avec subtilité. Je suis devenue la maîtresse de certains, je crois pouvoir dire que c’était à la fois un pied-de-nez magistral à ma famille, et peut-être aussi un moyen de me faire pardonner ma faute, en donnant à cent hommes le plaisir que j’avais refusé à un seul.

— Mais vous n’étiez pas respon…

— Jusqu’au jour ou Julie a mis son pécule en jeu pour ouvrir sa propre maison, enchaîna-t-elle sans entendre Guy. Six années ont passé depuis, et, si j’ai accepté cette nouvelle vie, j’ai en revanche, parfois, beaucoup de mal à supporter ce qui me rappelle la précédente. Avec le… la mort de Milaine, j’ai les nerfs à fleur de peau. Voilà pourquoi cet incident, ce midi, a déclenché mes foudres contre vous, vous n’y étiez pour rien, je vous présente mes excuses.

Guy s’était approché, il se tenait juste face à elle, il lui prit les mains, qu’elle avait glaciales, pour lui chuchoter :

— J’ignorais tout de votre histoire, Faustine, je suis…

— Il y a autre chose : Faustine n’est pas mon vrai nom. C’est celui que j’ai choisi lorsque j’ai passé un pacte avec Julie pour une seconde vie.

— Quel est le vrai ?

— Je me suis promis de ne le dire à aucun homme. J’aime Faustine.

Guy approuva doucement :

— Moi aussi.

— Maintenant vous savez pourquoi j’ai gardé mes distances avec vous pendant si longtemps. Vous ne faisiez pas secret de votre parcours… singulier. Je dois vous avouer que nos ressemblances m’ont effrayée.

— Qu’est-ce qui a changé ?

— Ces derniers jours, j’ai… en vous découvrant réellement. Je… Vous me faites me sentir moins seule en vérité.

Et elle se blottit contre lui, enfonçant sa tête dans le creux de son épaule. Elle respirait fort, Guy ne tarda pas à percevoir une humidité tiède contre la peau de son cou, au milieu des cheveux en bataille de la jeune femme. Alors il passa sa main dans son dos, comme l’aurait fait un père pour consoler sa fille.

Ou comme un mari aimant.

Les marches grincèrent, annonçant l’arrivée de Martial Perotti, et les deux silhouettes s’éloignèrent aussitôt, comme deux fantômes chassés par l’aurore.

Faustine tourna le dos à la porte le temps de sécher ses larmes et Guy vint accueillir le jeune inspecteur.

— Martial, nous n’attendions plus que vous, venez, installez-vous sur cette banquette. Je vous sers un thé ? Comment s’est passée cette journée de votre côté ?

— D’un profond ennui ! De la paperasse, encore et toujours ! Aussi fou que cela paraisse, j’en viens à trouver dans notre relation de détectives amateurs davantage de satisfactions que dans mon métier de policier ! Damnées soient les premières années d’inspecteur ! Les doyens en profitent pour me donner à faire tout ce qui n’a pas d’intérêt pendant qu’ils accourent sur les lieux où les choses passionnantes se produisent !

Faustine apparut pour lui tendre une tasse de thé.

— Ah, bonsoir Faustine ! Merci.

Guy en profita pour montrer la planche de bois posée contre la poutre, face à eux. Longue, elle grimpait presque jusqu’au plafond.

— Bien, ne tardons pas plus. Je vous présente la tête d’Hubris.

— Pardon ? fit Perotti. La tête de qui ?

— Hubris est cette notion de démesure que les Grecs de l’Antiquité utilisaient pour caractériser les comportements excessifs, violents, qui transgressaient largement la tolérance et les codes. Avant l’existence des péchés capitaux de notre Bible, Hubris faisait figure de garde-fou spirituel, si vous préférez. C’est ainsi que j’ai baptisé notre tueur. Hubris.

— Et en quoi cette… planche, est-elle sa tête ?

— Pour l’heure, nous ne voyons qu’un crâne lisse et, justement, notre mission consiste à l’ouvrir pour voir tout ce qu’il contient. Les faits vont nous y aider. Car toutes nos actions sont un langage, tout acte est expression, j’en suis convaincu. A fortiori ceux que nous répétons souvent, volontairement ou pas. Tuer avec ce besoin de mise en scène, et le faire plusieurs fois, c’est évidemment une forme de langage. Je m’interroge cependant sur la nature du destinataire : se parle-t-il à lui-même ou s’adresse-t-il à la société ? Que disent ses crimes ? Voilà ce que nous allons décrypter ensemble !

— Et comment comptez-vous vous y prendre ?

— En analysant les faits. Commençons par le principal : les victimes.

Guy prit son stylo à encre et la liasse de feuilles qu’il avait préparée et entreprit de marquer le nom de chacune des victimes identifiées sur une page distincte qu’il alla ensuite clouer sur la planche. Le bois était si vermoulu qu’il put enfoncer les petits clous à main nue.

Il se tourna pour expliquer son travail :

— Pour chacune, j’ai pris soin de noter ses nom, lieu et date de disparition et l’endroit où a été retrouvé son corps. J’y ajoute la méthode de… mise à mort.

Il s’écarta pour laisser voir l’assemblage :

 

5 disparitions entre septembre et février rue Monjol. Toutes des femmes, prostituées. Identités inconnues de nous (voir le roi des Pouilleux pour plus d’informations). Manquantes.

 

Louise Longjumeau — mi-février. Rue Monjol. Manquante.

 

Viviane Longjumeau — 7 avril. Rue Monjol. Quai du Port Saint-Bernard, près du Jardin des Plantes — Poignardée à mort. Violée par un objet, une figurine. Yeux noirs.

 

Anna Zebowitz — 12 avril. Place de la Concorde. Sommet du palais du Trocadéro — Éventrée. Mutilée/vol d’organes. Égorgée post mortem.

 

Milaine Rigobet — 18 avril. Rue Notre-Dame-de-Lorette — Sudation sanguine. Crispation musculaire générale. Yeux noirs. Liquide blanc dans la bouche.

 

— Neuf disparues ou mortes en tout, résuma-t-il.

Faustine désigna la dernière page.

— Liquide blanc ? Dans la bouche de Milaine. Comment le savez-vous ?

— Je l’ai remarqué sur place.

— Est-ce que ça pourrait être du sperme ?

Les deux hommes, mal à l’aise, détournèrent le regard.

— Ne faites pas ces têtes-là ! s’indigna Faustine. Je vous rappelle que j’ai fait de l’orgasme mon commerce, alors arrêtez cette pudeur déplacée ! Nous parlons de meurtre, de corps éventrés, le sexe ne devrait pas vous choquer au milieu de cela !

— Non, ce n’en était pas, répondit Guy sur la défensive. Enfin, je ne suis pas sûr. Mais je ne crois pas.

— Votre hésitation nous avance bien ! railla la jeune femme. La prochaine fois, appelez-moi ! Je vous renseignerai de suite. N’y avait-il pas d’odeur ? Messieurs, si vous vous connaissiez mieux, vous sauriez que le sperme dégage de profonds arômes de châtaigne.

— Je n’ai pas le souvenir d’une odeur particulière, avoua Guy.

— C’est dommage. Je vais vous donner mon point de vue de femme : je trouve étrange qu’il y ait eu viol sur Viviane et pas sur les autres. Tout d’abord que cet homme, Hubris comme vous l’appelez, ne viole pas directement Viviane, mais le fasse par le biais d’un objet, vous savez à quoi il me fait penser ? À un enfant. Qui n’ose pas, alors il procède par étapes. D’abord, il substitue à son propre corps un objet, puis il ose enfin accomplir l’acte lui-même, cependant il ne va pas directement à l’intimité de Milaine, il s’attaque à sa bouche, comme une ultime étape avant le viol réel. Son problème est d’ordre sexuel.

Guy et Perotti se regardèrent, circonspects.

— Je suis un peu dubitatif, intervint Martial Perotti. Tout nous porte à croire que la motivation d’Hubris est plutôt dans le pouvoir, un désir divin. Il chasse pour tuer, il s’octroie le droit de vie et de mort, il se prend pour Dieu.

— Et qu’est-ce qui est sous-jacent à la domination ? demanda Faustine en connaissant manifestement la réponse. La sexualité !

Guy coupa court au débat en levant le bras :

— Avant de bâtir des hypothèses sur l’origine de ses actes, recentrons-nous sur ce que nous savons, sur les faits. Tout d’abord, il ne s’en prend qu’à des femmes. Toutes prostituées. Il s’attaque à des filles pas farouches, il ne choisit pas les plus méfiantes, au contraire même, nous savons qu’elles sont plutôt imprudentes ! Anna et Milaine n’hésitaient pas à suivre le premier venu dans une allée sombre du moment que l’argent était au rendez-vous. Viviane en faisait probablement autant, pour peu que cela puisse la rapprocher de sa fille disparue.

— C’est donc un chasseur qui n’aime pas prendre de risque, conclut Perotti en faisant allusion aux propos de Maximilien Hencks.

Guy leva un index :

— Justement, c’est ce que nous pourrions croire s’il n’y avait les scènes de crime ! Or celles-ci sont, au contraire, des lieux à risque ! Le quai du port Saint-Bernard, même en pleine nuit, est à découvert, visible des berges opposées en plus. La rue Notre-Dame-de-Lorette est fréquentée, même tard, il peut y avoir du passage ; si j’étais prudent et méfiant, je m’attarderais davantage sur des terrains vagues, dans des cimetières ou des parcs, certainement pas si près des habitations !

— Alors pourquoi une telle différence entre le choix d’une victime facile et celui d’une scène de crime dangereuse pour lui ? s’étonna Perotti.

— Il veut s’assurer d’avoir sa proie, proposa Faustine. Comme un homme désireux de plaisir acceptera n’importe quelle fille pour peu qu’il ait l’assurance d’en jouir, plutôt que de risquer d’être bredouille en se montrant trop difficile. Ensuite, son fantasme prend le pas, lui ordonne d’exposer, son excitation est fonction du danger.

— Encore le sexe ! s’exclama Perotti. Pourquoi rapportez-vous tout à la sexualité ?

— La civilisation de toute l’humanité s’est bâtie sur la sexualité ! Nous lui devons notre survie ! C’est en nous, profondément enfoui dans nos comportements, elle est au cœur même de nos trajectoires personnelles, c’est le moteur de la vie !

— Mais enfin, nous ne sommes pas des animaux ! Nous savons contrôler nos… pulsions !

— Darwin l’a prouvé : nous sommes des animaux ! À un stade avancé de leur évolution, mais des animaux tout de même ! Et vous soulevez justement le problème d’Hubris : il est envahi de pulsions qu’il ne maîtrise pas. Un être humain, civilisé en apparence, qui abrite toutefois la bestialité la plus primaire, incapable de la contenir trop longtemps, il faut qu’il la laisse exploser.

— Vous me semblez bien sûre de vous, ma chère, qu’est-ce qui vous donne cette assurance de si bien connaître l’humanité ? demanda Perotti avec un brin de sarcasme dans la voix.

— C’est que j’ai une expérience que vous n’aurez jamais dans l’observation de l’homme dans ce qu’il a de plus instinctif et primaire : sa sexualité et même sa jouissance. Elle vous obsède parfois, je le sais bien ! Dans ces moments-là, l’homme a quelque chose de particulièrement sauvage en lui, plus un animal qu’un être au comportement supérieur ! Je sais comme vous êtes dans l’intimité !

Guy intervint à nouveau pour clore le sujet :

— Hubris est un homme prudent, son choix des victimes le prouve, s’il prend davantage de risques pour choisir la scène de crime, c’est que celle-ci est primordiale ! Notez comme il élit toujours des lieux de passage, où il est certain que sa victime sera rapidement trouvée. Il veut que les gens soient choqués, il veut qu’on connaisse son existence, ses actes. Il a donc un message à faire passer à la société !

— Il veut qu’on parle de lui ? répéta Faustine. Dans les journaux ?

— C’est un moyen d’exister, d’avoir de l’importance, peut-être de prendre une revanche.

— Mais jusqu’à présent aucune de ces affaires n’a été ébruitée, rappela Perotti, mes supérieurs y veillent farouchement !

— Cela doit être terriblement frustrant pour Hubris. Et s’il accélérait le rythme de ses crimes pour cela, pour attirer la presse ?

Perotti se lissa machinalement la moustache et reprit la parole :

— Le procureur de la République ne vient pas sur les scènes de crime, les inspecteurs ne l’appellent pas, ce qui prouve qu’ils ont des consignes et qu’elles viennent de très haut ! L’État ne désire pas que cette affaire transpire jusqu’à la presse. Quoi que fasse Hubris, ce sera vain. Sa colère risque d’être de plus en plus forte !

— L’État veut taire ces meurtres à cause de l’Exposition universelle, proposa Faustine. Une des filles a été retrouvée là-bas, ce serait une très mauvaise publicité pour Paris ! Tout le monde sait que les enjeux économiques et politiques sont majeurs, elle a coûté si cher qu’il faut absolument éviter de faire peur aux visiteurs. Et je peux vous garantir que les diplomates de tous les pays accourent dans l’ombre pour multiplier les tractations et les alliances, mon déjeuner d’aujourd’hui m’aura au moins confirmé ce point !

Guy tendit le doigt vers la jeune femme :

— C’est fort probable ! L’annonce d’un crime abominable deux jours avant l’inauguration, cela n’aurait pas été apprécié du tout ! Et l’idée d’un monstre errant dans Paris en quête de victimes n’est guère mieux. Comme il ne tue que des prostituées, c’est moins grave à leurs yeux, cela ne dérange pas grand monde, les autorités enterrent l’affaire pour que personne n’en parle.

— Le fiasco de l’enquête sur l’Éventreur de Whitechapel en Angleterre est encore présent dans toutes les têtes des policiers, précisa Perotti, je peux vous l’assurer !

Guy enchaîna :

— Revenons à notre homme : nous savons qu’il connaît Paris, il n’a pas peur des quartiers difficiles puisqu’il a longtemps chassé sur la Monjol, il est organisé et prévoyant. S’il est un bon chasseur, il aime connaître sa proie avant de l’attaquer, il fréquente peut-être des prostituées, il les surveille.

— Il a certainement un moyen de transport ! intervint Faustine. Pour pouvoir enlever les filles sans se faire voir.

— Une automobile serait trop bruyante, compléta Guy. C’est certainement une berline, il faut un véhicule couvert et fermé sur les côtés. Je doute qu’il puisse avoir un complice assez pervers pour accepter de l’accompagner dans sa sinistre besogne, cela implique qu’il conduit lui-même. Donc qu’il doit bâillonner sa victime et l’attacher, ou l’étourdir fortement, le temps d’arriver jusqu’à la scène de crime.

— Et toutes les filles manquantes ? demanda Faustine.

Guy s’approcha de sa petite cave à cigares pour se servir un partagas.

— Martial ? (L’inspecteur refusa poliment.) Les filles disparues, voilà ce qui est curieux. Pourquoi les premières n’ont-elles jamais été retrouvées ? Pourquoi ne retrouve-t-on les corps que des trois dernières ? Qu’a-t-il bien pu faire des six autres ? (Devant l’hésitation de ses camarades, Guy leva les mains pour les exhorter à parler.) Allez-y, proposez tout ce qui vous vient en tête, c’est ainsi que nous nous rapprocherons du plus plausible, du plus cohérent !

— Au départ, il avait honte, suggéra Perotti. Il les a cachées quelque part.

Guy approuva.

— Pourquoi pas. Faustine, une idée ?

La jeune femme adressa un regard méfiant à l’inspecteur avant de dire :

— Il s’est constitué un harem. Cet homme n’a aucun respect pour les femmes, compte tenu de ce qu’il est capable de leur faire, il ne les considère pas comme des êtres humains, elles ne sont qu’objets pour satisfaire ses pulsions. D’abord sexuelles, mais cela ne lui suffit pas, alors les suivantes, il les tue.

— Oui, c’est intéressant. Mais il y a un autre aspect que nous n’avons pas évoqué : si la substance blanche dans la bouche de Milaine n’était pas du… enfin vous savez. Dans ce cas, nous pourrions envisager le viol de Viviane autrement : pourquoi la pénétrer avec un objet plutôt qu’avec son sexe ?

Faustine comprit immédiatement où Guy voulait en venir :

— Parce qu’il n’en a pas ! Une femme !

Perotti s’indigna aussitôt :

— Vous n’y songez pas ? Tout de même ! Une femme ne pourrait faire cela ! Quand bien même vous en trouveriez une assez machiavélique pour perpétrer pareilles horreurs, elle n’aurait pas la force d’enlever ses victimes, encore moins de transporter Anna Zebowitz au sommet du palais du Trocadéro !

— Je suis d’accord sur la force. Cependant, les femmes disposent d’une ruse redoutable : les prostituées ne se méfieraient pas d’une femme, elles pourraient la suivre plus aisément.

— Je ne suis pas d’accord, s’opposa Faustine. Vous n’avez pas idée comme nous sommes suspicieuses entre nous, en tout cas les filles du pavé, certaines sont prêtes à tout pour éliminer la concurrence !

— Bon. Écartons l’hypothèse d’une femme, alors. Nous avons donc un homme, costaud, qui n’est pas sensible au sang…

— Qui a quelques notions, même élémentaires, de… d’anatomie. Car Anna était éventrée avec soin.

— Ce qui n’était pas le cas de Viviane, rappela Guy, au contraire, c’était un acharnement confus et bestial, ai-je envie de dire.

— Viviane a été tuée avant Anna. Cela lui a peut-être servi de… d’entraînement ?

— Donc un homme fort, habitué au sang, peut-être à découper des corps, qui dispose d’un véhicule, qui n’a pas peur des quartiers louches, qui possède certainement une habitation à l’écart, du moins dans l’hypothèse où il aurait séquestré ses premières victimes. Autre chose : la plupart des enlèvements ont eu lieu en fin d’après-midi et surtout en soirée, voire tard ! C’est donc quelqu’un qui a du temps libre, il peut se préparer et se reposer avant ou après son acte.

Faustine dardait ses prunelles de glace bleue sur l’écrivain.

— J’ai le sentiment que vous avez une idée précise, n’est-ce pas, Guy ? demanda-t-elle.

— Je procède par logique, par élimination, comme je le ferais pour trouver le bon personnage pour un de mes romans. Et je pense de suite à un médecin, à un chirurgien, voire à un boucher ! Mais les premiers travaillent énormément, je doute qu’ils puissent se libérer ainsi, de manière aussi rapprochée, et il faut bien l’avouer : leur profession exige une maîtrise de soi, de ses nerfs, et surtout une stabilité psychique qu’il est difficile d’associer à un criminel comme celui que nous traquons ! En revanche, les bouchers… Mais c’est une profession bien plus festive et joyeuse que l’on ne pourrait croire. J’ai été du côté des abattoirs de la Villette l’autre jour, et j’ai été surpris par la bonne humeur générale. Et ils découpent pendant la journée… Il y a, en revanche, une catégorie professionnelle qui pourrait correspondre : les bouchers des Halles. Ils ont la réputation d’être taciturnes, solitaires, travaillent tôt le matin, peuvent se reposer le midi pour être parés le soir. Je serais d’avis d’aller y jeter un œil, par curiosité, ne serait-ce que pour y glaner d’autres pistes, d’autres idées.

— Pourquoi pas ? admit Perotti. Faute de mieux.

— Notre homme est quelqu’un de très renfermé sur lui-même, de ceux qui parlent peu, dont on sent qu’ils gardent à l’intérieur tout ce qu’ils ressentent, un homme qui observe beaucoup, dont…

— Attendez un instant, d’où sortez-vous tout cela ? questionna Perotti.

— De ses actes, mon cher, de ses actes ! Il est très prudent, c’est un observateur, peu sûr de lui, du moins en apparence. S’il était sûr de lui, il y aurait une forme d’arrogance dans ses crimes, du moins dans le choix de ses victimes, mais non, il fait tout pour sélectionner celle qu’il pourra facilement entraîner à l’écart et maîtriser. S’il est désireux de heurter la société, il n’ose encore s’attaquer à des proies hautement symboliques. Tuer un policier ou un homme politique serait bien plus marquant, mais ce sont des cibles difficiles. C’est un homme qui parle peu qui préfère écouter les autres, à vrai dire, il n’aime pas les autres, c’est un solitaire misanthrope. Il dépose ses victimes en évidence pour exister aux yeux du monde, car autrement il n’a pas sa place. Il doit avoir un métier peu reconnu, ou ne pas être bien considéré dans sa profession. Et pour qu’il soit à ce point dérangé, c’est ainsi de longue date, inscrit dans son évolution personnelle. Il est issu d’une famille où il n’était pas bien traité, on devait le voir comme un moins que rien, peut-être le frapper. Il ne se sent d’attaches avec personne. Il a de la colère contre tous. Et il est célibataire.

— Pourquoi cela ? s’enquit Faustine.

— Un père de famille n’aurait pas déposé ses victimes dans des lieux de passage fréquentés par des familles, comme la rue Notre-Dame-de-Lorette.

— Sauf s’il a de la haine envers sa propre femme, et que ses enfants le considèrent eux aussi comme un moins que rien !

— Oui, c’est vrai. Toutefois la répétition des crimes me laisse penser qu’il est très libre de son emploi du temps personnel. Ce qu’une famille ne lui permettrait pas. J’ajouterais qu’il a au moins bien entamé la vingtaine, plus probablement la trentaine. Tout simplement parce qu’il a les moyens de s’offrir un transport personnel, donc qu’il a eu le temps de travailler un bon moment, ensuite parce qu’il doit être physiquement apte à contrôler des femmes vigoureuses, aucune n’avait de traces de liens, à ce que j’ai pu constater. Il n’est donc pas trop âgé. Et puis, il faut que sa haine de la société ait eu le temps de macérer en lui pour qu’elle devienne si obsédante qu’il passe à l’acte ! En même temps, il ne s’est pas écoulé tellement de temps, car s’il était parvenu à se contenir pendant plus de vingt ans, je ne vois pas de raison d’exploser sur le tard. Non, je crois que nous pouvons même réduire la fourchette à vingt-cinq-trente-cinq ans.

Guy coupa la pointe de son cigare et l’alluma enfin, s’entourant d’un épais brouillard bleuté.

Perotti se racla la gorge.

— La fumée vous dérange ? demanda Guy.

— Du tout. C’est juste que… je trouve que le portrait que vous en dressez me ressemble beaucoup ! Et… ça me met assez mal à l’aise.

— Martial, ce portrait correspond à beaucoup d’hommes célibataires ! Et les trentenaires seuls, comme vous, se ressemblent ! S’ils sont encore célibataires, c’est que beaucoup sont plutôt timides, davantage observateurs que beaux parleurs ! Et peu sûrs d’eux en public. Ce repli obligé sur soi a développé une forme de vie intérieure riche, un monde de fantasmes personnels qu’une longue solitude a contribué à faire proliférer. Un rêveur que le temps a renforcé dans cette voie. Voilà ce qu’est notre homme, et voilà ce que vous êtes ! Cela n’a rien de honteux ! Car il y a une différence majeure entre vous : la qualité des fantasmes nourris par cette vie de solitaire ! Les vôtres sont normaux, ceux d’un homme… Les siens sont orientés par tous les déséquilibres qui l’ont façonné comme individu, les déboires d’une enfance malheureuse, peut-être, ont faussé ses références, ses modèles, ses besoins. Et dans cette construction solitaire, il n’a fait que ressasser ce qui était perturbé en lui, encore et encore, jusqu’à l’obsession, jusqu’à en faire son modèle, ses besoins d’adulte. Tout est dans la qualité de notre nature, ce formidable terreau de nos fantasmes. Et cette nature, je le crois profondément, se structure pendant toutes les étapes essentielles d’apprentissage de notre vie : l’enfance et l’adolescence.

Perotti haussa les sourcils en buvant une longue rasade de thé tiède.

— Je vous remercie de me rassurer quant à la qualité de mes fantasmes ! gloussa-t-il.

Sur une feuille à part, Guy rédigea :

 

Hubris.

25-35 ans. Célibataire. Renfermé, timide, observateur, taciturne. Peu sûr de lui en public.

Dispose d’un véhicule. Un habitat isolé (à Ménilmontant — proche des meurtres) ?

Costaud.

Fréquente les quartiers durs. Les prostituées ?

N’a pas peur du sang. Habitué ?

Sait découper la viande ?

Enfance malheureuse.

Veut choquer la société.

 

Il recula pour se relire et fit à nouveau face à ses compagnons :

— Autre chose : la méthode pour tuer. Elle change. Il se cherche.

— Après neuf enlèvements cela commence à durer, précisa Perotti.

— C’est justement ce qui me pose problème. Il n’a toujours pas trouvé la bonne méthode. C’est pourquoi il me vient en tête deux choses : primo, il cherche encore car les six premières, celles qui n’ont jamais été retrouvées, n’ont pas été tuées. Et donc il n’a, en fait, assassiné « que » trois femmes. Il est seulement en train de se perfectionner. Secundo, il a une grande expérience, mais n’est toujours pas satisfait de la méthode. Cela indiquerait qu’il n’a pas fantasmé la mise à mort proprement dite, il est obsédé par autre chose. La mort n’est qu’une conséquence.

— J’ai peur de ne pas vous suivre, que voulez-vous dire ? demanda Faustine.

— Cet homme n’est pas fou, nous le savons par la minutie et l’organisation dont ses crimes témoignent. Donc, pour qu’il passe à l’acte, qu’un jour il puisse tuer un être humain, alors qu’il est pleinement conscient de ce que cela implique, il faut que toutes ses barrières sociales aient cédé, l’une après l’autre. Il a fallu du temps. Et ce n’est pas une implosion personnelle passagère, puisqu’il a recommencé, encore et encore, avec toujours autant d’attention au moindre détail pour ne pas se faire prendre. Cela me pousse à dire qu’il a mûri ce fantasme de mort pendant longtemps, très longtemps. Jusqu’à ce que celui-ci devienne une telle présence, une telle obsession, qu’il fasse céder ses résistances, toutes, une par une. Un fantasme lancinant, en place chez lui depuis des années. Il tue, encore et encore, parce qu’il est envahi par ce qui est désormais un besoin pour trouver son équilibre. Dans sa construction corrompue, il a dû compenser, aussi simplement que les muscles de notre corps compensent, par exemple, une vertèbre déplacée en effectuant un travail qui n’est pas le leur, et qui, à terme, a des répercussions sur tout le reste. Et c’est ce déséquilibre qui devient notre nouvel équilibre. Même si celui-ci est mauvais et destructeur.

— Et donc les fantasmes qui l’habitent depuis si longtemps ne se centrent pas sur la mise à mort à proprement parler, c’est ce que vous voulez dire ?

— Exactement. Il y a autre chose. Dans la domination, ou dans le rôle qu’il leur fait jouer, ou je ne sais quoi encore, mais c’est une piste qu’il faut développer. Hélas, nous manquons d’informations à ce sujet.

Guy ajouta une ligne à son portrait :

 

Son fantasme ne porte pas sur la mort directement. Pourquoi tue-t-il ?

Les cinq premières filles sont-elles encore en vie ?

 

Puis il poursuivit :

— Au-delà de la provocation envers la société, qui est l’aspect secondaire de son crime, nous devons identifier quel est son plaisir. Pour quelle raison il tue. Quelle est l’intimité de son crime ?

La pluie sur les lucarnes s’était intensifiée depuis quelques minutes, elle martelait le verre avec l’insistance de celui qui veut à tout prix entrer, obligeant les trois protagonistes à hausser la voix pour s’entendre.

— Comment allons-nous récolter plus d’informations ? pesta Perotti. Nous avons déjà eu accès aux dossiers des enquêtes et il n’y avait pas grand-chose !

— Vous, précisa Faustine, vous avez eu accès aux dossiers, pas nous.

Perotti regarda Guy, comprenant qu’il n’avait pas relaté leur petite escapade nocturne dans les sous-sols du quai de l’Horloge.

— En explorant de nouvelles pistes, intervint Guy. L’avantage d’une enquête bâclée, c’est qu’elle nous laisse le loisir de la poursuivre sans craindre que tout ait déjà été collecté ou détruit !

— Instruisez-moi, car moi qui suis inspecteur, je ne vois pas ce que nous pouvons faire de plus !

— À ce sujet, du côté des méthodes traditionnelles, pouvons-nous compter sur une aide quelconque de vos services ? Peut-être l’assistance de quelques policiers en uniforme…

— Certainement pas ! s’exclama Perotti en s’avançant sur la banquette. Si mes supérieurs apprennent que je fricote avec un romancier et une… jeune femme, pour faire avancer des affaires classées par les plus hautes sphères de l’État, ma carrière sera ruinée à jamais ! Cela doit rester absolument entre nous ! Sans quoi vous poursuivrez sans moi !

— Je me devais de demander même si je me doutais de la réponse. Restent donc les méthodes atypiques. Celles du romancier. Analyser des faits pour remonter à la personnalité qui rend ces faits cohérents. Prenons le cas d’Anna Zebowitz. Ce midi, au sommet d’une des tours du palais du Trocadéro, une évidence m’a sauté aux yeux. Quand bien même Hubris voudrait choquer la population, pourquoi aller dans l’Exposition, avec tous les risques que cela comporte ? Avouez que c’est une entreprise compliquée et totalement inutile ! Il aurait tout aussi bien pu abandonner le corps devant l’entrée principale au beau milieu de la nuit ! L’effet aurait été maximal ! Au lieu de quoi, il va tout en haut d’une tour, ce qui, cela dit en passant, ne lui laissait pas de fuite possible en cas de problème, puis il mutile Anna Zebowitz, et s’acharne, alors qu’elle est déjà morte, en lui tranchant la gorge. Pour quelle raison ?

— L’ivresse du sang, proposa Perotti, il s’est laissé griser par la violence…

Guy acquiesça mollement, pas vraiment convaincu.

— Un égorgement est un acte d’une barbarie totale, fit remarquer Faustine. Il y a quelque chose de cruel là-dedans, de colérique.

— Oui, c’est aussi ce que je ressens, avoua Guy. Un coup de sang contre Anna Zebowitz, c’est presque… personnel. Une haine absolue à son égard. La connaissait-il ?

— Nous n’avons même pas envisagé qu’il puisse y avoir de lien entre les victimes ! s’exclama Perotti.

— C’est vrai, admit Guy. Je crois que la ressemblance avec les crimes de l’Éventreur de Whitechapel nous a involontairement conduits vers ce schéma. Il va falloir nous renseigner. Je vais retourner à l’Exposition, j’aimerais comprendre pourquoi il a mis Anna Zebowitz à cet endroit. Il y a forcément une raison. Au moins symbolique ! Au-dessus de la salle des Fêtes pour en gâcher la magnificence ?

— Au sommet d’une tour, un objet phallique, à connotation sexuelle si on reste dans la symbolique…, insista Faustine. De mon côté, je peux aller place de la Concorde, essayer d’en savoir plus sur Anna Zebowitz.

— C’est la nuit que la plupart des filles sortent sur la Concorde, rappela Perotti. La nuit, c’est un lieu peu fréquentable…

— Je ne suis pas en sucre, ne vous en faites pas pour moi.

Les deux hommes se regardèrent à nouveau, partageant le même trouble. Savoir Faustine, une si jolie femme, arpenter le pavé de la Concorde très tard n’était pas pour les rassurer. Toutefois, Guy se garda de la sermonner, il la connaissait assez pour savoir que c’était peine perdue.

— Je vous écoute depuis tout à l’heure, continua la jeune femme, et je m’étonne que vous n’ayez pas donné davantage de place à Milaine dans votre analyse. Pourtant parmi les victimes, c’est la seule que nous fréquentions, j’étais sa voisine de chambre ! Nous la connaissions mieux que toute autre.

— C’est que…, rappela Guy, nous avons déjà exploré cette voie à la morgue. J’ai également lu ses lettres. Dans l’ensemble il y a bien quelques noms d’hommes qu’il sera peut-être utile de rencontrer à l’occasion, mais la piste Milaine ne nous a menés nulle part, jusqu’à présent.

— Milaine tenait un journal, nous en avons déjà parlé. S’il existe un lien entre les filles, Milaine l’aura certainement mentionné, peut-être même le nom de celui qui serait son bourreau !

— Très certainement, mais un journal que le tueur lui a pris ! Elle ne l’avait plus sur elle, le médecin de la morgue était formel à ce sujet.

Faustine secoua la tête.

— J’y ai repensé, et ça ne lui ressemble pas, je ne vois pas pourquoi elle l’aurait emporté. Un journal intime se garde précieusement. D’une certaine manière, c’était son cœur, celui auquel elle ne laissait pas accéder ses clients.

Faustine eut alors un regard gêné pour Perotti. Elle ne s’attarda pas et scruta à nouveau Guy.

— Nous avons fouillé sa chambre, insista l’écrivain, s’il n’y est pas, et qu’elle ne le portait pas sur elle, alors où aurait-elle pu le dissimuler ? Avait-elle une chambre dans une autre maison ?

— Non, elle me l’aurait dit.

— Dans la bibliothèque ?

— Non plus, jamais elle n’aurait pris le risque que quelqu’un tombe dessus.

Guy fronça les sourcils.

— Vous l’avez vue le remplir ?

— Non, mais elle écrivait souvent dans sa chambre. Je suppose que c’était sur ce journal.

— Elle ne s’en cachait pas en votre présence donc. Mais en votre présence seulement ?

— Je le crois.

Guy enfonça son menton dans sa main pour réfléchir en fixant le tapis élimé.

— A quoi songez-vous ? voulut savoir Faustine.

— Vous faites le ménage de vos chambres vous-même, c’est la règle de la maison. Et Milaine était du genre prudent. Si elle devait cacher un journal intime, elle ne l’aurait pas mis dans sa chambre, de peur qu’il soit un jour découvert par une rivale. Par contre, elle vous faisait confiance.

— Il n’est pas dans ma chambre, je peux vous l’assurer. Elle devait y accéder sans passer par mes appartements, j’en suis certaine.

— Mais il y a une pièce entre vos deux chambres ! Une pièce commune ! La salle de bains ! Et nous ne l’avons pas fouillée !

Guy se leva d’un bond, déposa son cigare sur un cendrier ébréché et se précipita vers l’escalier, aussitôt suivi par Faustine et Martial Perotti.

Guy alluma le gaz dans la petite salle de bains, et il ouvrit le placard sous le lavabo pendant que Faustine s’occupait de l’armoire. Perotti se tenait sur le seuil, comme s’il n’osait pénétrer dans cette pièce. Il toisait le bock à injections, au dessus du bidet, avec une expression horrifiée.

Guy s’écarta en soupirant, bredouille. Il demeura assis sur le parquet pour examiner la pièce. Faustine terminait son inspection sans plus de succès. Soudain, une irrégularité dans le décor attira l’attention de l’écrivain. Dans un souci d’originalité, la baignoire n’était pas totalement apparente comme cela se faisait habituellement, mais encastrée derrière un coffrage de lattes de bois. Les trois premières lattes n’étaient pas droites, Guy les saisit pour s’apercevoir qu’elles avaient du jeu. Il n’eut pas d’effort à fournir pour les désolidariser du mur, libérant un petit espace sombre sous la baignoire.

Faustine plongea sa main et en ressortit un carnet à la couverture de cuir, avec un lacet pour le fermer.

— C’est son journal, dit-elle presque religieusement.

Leviatemps
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