CHAPITRE VII
A Canberra, les locaux du quartier général de la milice occupaient tout un vaste bâtiment de surface, comprenant une trentaine d’étages. Une zone de verdure, d’arbres, de pelouses, de massifs les séparait des quartiers habités.
Le périmètre était sévèrement gardé. Toute personne étrangère au service était refoulée, sauf ordre de mission spécial. Des soldats patrouillaient en permanence dans les parcs. Sur le toit-terrasse, des batteries de missiles protégeaient l’espace aérien.
C’était donc un véritable blockhaus où travaillaient des milliers de fonctionnaires. En outre, le Q.G. abritait aussi les services de sécurité dépendant du ministère de l’intérieur.
Le général Sam O’Coll se trouvait à la tête de cette immense ruche bourdonnante. C’était un homme d’une cinquantaine d’années, gras, rondelet, au visage sévère, hermétique, au crâne chauve, aux yeux noirs et fureteurs.
Son bureau, au dernier étage du building, était son domaine. Il y passait la plupart de son temps. De là-haut, il dominait la capitale administrative de l’Austral et, dans un délai très court, il pouvait contacter n’importe quelle partie du territoire par télévision.
Il n’avait mis les pieds qu’une fois dans la pyramide, à titre exceptionnel. Il gardait donc une certaine rancune envers les étrangers mais il savait que la moindre désobéissance, la moindre faille dans sa ligne de conduite, serait impitoyablement sanctionnée.
Il n’était pas le Maître de l’Austral, loin de là. Il n’était qu’un pion sur l’échiquier gouvernemental et à tout moment il pouvait être révoqué, déféré devant un tribunal, jugé et condamné.
Il tenait à ses fonctions comme à la prunelle de ses yeux. Il commandait l’armée et la police. Toute la sécurité du pays pesait sur ses épaules. Il assumait donc une lourde responsabilité mais il aimait les honneurs et son poste le plaçait dans une position hiérarchique favorable pour l’accès à des échelons encore supérieurs.
Il accomplissait donc son travail avec honnêteté, conscience, voire avec un excès de zèle, de façon à rester dans les bonnes grâces des étrangers et du gouvernement.
Il collecta des informations en provenance des quatre coins du continent. Des ordinateurs les déchiffrèrent. Puis il convoqua ses adjoints.
Une demi-douzaine de collaborateurs se retrouvèrent dans le bureau panoramique. Au garde-à-vous, ils attendirent les ordres.
— Messieurs, dit sèchement le grand patron, le Mouvement pour la Réunification de la Planète doit être mis absolument hors-la-loi. Sa période de tolérance est terminée car il compromet gravement l’ordre public par des exactions inadmissibles, intolérables. Tous ses membres doivent être arrêtés. En outre, un immense effort de redressement doit être simultanément entrepris à l’échelon national.
— Rééducation ? lança quelqu’un.
— C’est ça, grommela O’Coll. Rééducation psychologique de tous les individus, hommes ou femmes, par hypnose collective, de façon à modifier le comportement et les réactions. Nous devons absolument éviter un glissement des idées qui reviendrait à reconnaître implicitement l’existence officielle du mouvement clandestin. Les chambres de « relaxation » doivent devenir des centres rééducatifs. Ce moment ne peut plus être différé sous peine de voir la passivité actuelle se transformer en agitation générale.
— Est-ce si grave ? demanda un fonctionnaire.
— Nous sommes à une croisée des chemins, expliqua le général. Il faut empêcher la contamination des esprits. Savez-vous où cela nous conduirait si nous n’intervenions pas ?
Les six collaborateurs restèrent silencieux. Ils n’avaient pas à répondre à la place de leur chef car celui-ci ne le tolérerait pas. Aussi O’Coll ajouta :
— Nous serions évincés du pouvoir avec toutes les conséquences qu’une telle solution comporte. Les étrangers seraient peut-être même obligés de rentrer chez eux…
— Ils n’ont pas de patrie, osa observer un jeune adjoint.
— Exact ! grommela l’officier supérieur. Ils sont apatrides. Du moins, ils l’étaient avant qu’ils ne trouvent ici une terre d’accueil. Nous ne pouvons nier tout ce que les étrangers ont fait pour l’Austral. En échange, nous leur devons le respect.
Il reprit, avec une flamme d’excitation dans le regard :
— La réunification, c’est le retour à la pollution sous toutes ses formes. Vous le savez. C’est aussi les maladies de dégénérescence. Les générations précédentes sont responsables. Elles ont mal géré le patrimoine naturel de la Terre. Elles nous ont laissé un héritage pourri. Nous n’en voulons pas ! C’est pourquoi, si les étrangers partaient, l’Austral deviendrait, comme la Grande Fédération, un immense dépotoir.
Il donna ses derniers ordres.
— Renforcez la surveillance aux frontières, dans les zones-tampons où s’infiltrent les clandestins avec la complicité des « passeurs ». La Fédération ferme les yeux et nous envoie ses dégénérés comme espions. Si nous n’y prenons garde, un jour nous serons noyautés de l’intérieur par des immigrés en fraude.
Sam O’Coll attendit le départ de ses collaborateurs. Puis il convoqua un homme et une femme. Quand le couple pénétra dans le bureau par un accès secret, le chef de la milice s’inclina profondément devant lui.
Ce n’était pas un couple ordinaire. L’homme s’appelait Ghür, la femme Zaade. Ils étaient habillés à l’australienne et apparemment rien ne les différenciait des humains.
D’ailleurs, ils s’exprimaient très facilement en anglais, cette vieille langue encore en usage seulement dans l’Austral, comme si c’était la leur depuis toujours et comme s’ils n’en connaissaient pas d’autre.
O’Coll les fit asseoir devant lui. Il les regarda profondément et manipula un clavier. Aussitôt, un écran mural s’éclaira. Des images défilèrent.
— Comme vous le voyez, commenta-t-il, la situation est grave. C’est pourquoi je vous ai convoqués.
Ghür était jeune. La trentaine, grand, fort, carré d’épaules, avec des cheveux noirs, bouclés, une peau hâlée par le soleil. Il respirait la santé et sous sa tunique roulaient des muscles puissants. Ce n’était pas du tout un dégénéré. Sa mâle beauté en faisait un sujet d’admiration, de convoitise.
Il montra l’écran, fronça ses sourcils.
— Qui sont ces hommes ?
— Des clandestins, expliqua le haut fonctionnaire. Ils sont cinq. Nous connaissons leurs noms. Trois d’entre eux appartiennent au Mouvement pour la Réunification. Les deux autres viennent de la Grande Fédération.
— Comment ont-ils pénétré dans le bloc Z ? s’étonna Ghür.
O’Coll bafouilla, mal à l’aise. Ses services étaient responsables. Il le savait. Et, face aux étrangers, il se faisait tout petit dans son coin, craignant les foudres des Maîtres.
— Ils ont trompé la vigilance du groupe spécial et ont forcé l’entrée du bloc. Ils avaient des lanceurs hypnotiques.
— Où se les sont-ils procurés ?
— Je l’ignore. L’enquête à ce sujet n’a toujours pas abouti. Il faudrait les soumettre aux tests de vérité. Mais d’abord, il convient de les capturer. Ce n’est pas une mince affaire car ils sont maintenant dans la pyramide.
Zaade parla à son tour. Elle était aussi d’une grande beauté et du même âge que son compagnon. Elancée, svelte, son habit moulait ses formes harmonieuses. Des traits purs, délicats, une bouche pulpeuse, de grands yeux clairs donnaient à son visage un air de déesse. Sa peau dorée avait un grain très fin. Une longue chevelure blonde lui tombait sur les épaules. Cette morphologie parfaite trahissait une origine sélectionnée avec soin.
Elle avait une voix douce, aux accents mélodieux.
— Je croyais, général, que le groupe spécial était une section d’élite en laquelle vous aviez entière confiance. Vous nous aviez assuré que la pyramide était inviolable.
Ennuyé, l’officier tritura ses doigts, baissa le regard et se confondit en excuses. Il voyait sa carrière compromise et il tenta de rétablir la situation.
— Je vous promets que nous mettrons tout en œuvre pour anéantir ce commando, grimaça-t-il. J’ai déjà donné des ordres pour que le calme règne parmi la population. Il n’y aura pas de soulèvement général.
— C’est heureux ! grommela Ghür, ironique. Cependant ;, vous présumez de vos moyens et votre bel optimisme ne correspond pas à la réalité. Voulez-vous m’expliquer comment vous comptez anéantir ce commando rebelle ?
Forcé dans ses retranchements, le chef de la milice poussa un énorme soupir. Le bluff ne réussissait pas avec les étrangers. Il lui fallait trouver autre chose. Or, il n’existait qu’une solution.
— J’enverrai des gardes par le canal du dévibrateur. Leur nombre aura raison des révolutionnaires.
L’homme aux yeux noirs haussa les épaules avec mépris.
— Vos soldats se feront tuer les uns après les autres, à mesure qu’ils sortiront du revibrateur. Vous n’ignorez pas comment on pénètre dans la pyramide !
— Alors, nous creuserons un souterrain sous le monument et nous bénéficierons de la surprise, suggéra O’Coll qui ne manquait pas d’idées.
— S’ils sont enfermés dans l’astronef, cela ne servira à rien, démontra Zaade. Et puis, ils détecteront votre approche. A mon avis, les clandestins sont maîtres du jeu. Ils peuvent s’hiberner et rester dans le vaisseau aussi longtemps qu’ils le désireront. Des mois, des années ou même des siècles. Ils détiennent la clé d’entrée.
L’officier n’eut pas une vision aussi pessimiste. Il réfléchit et minimisa l’événement.
— Les rebelles n’ont pas intérêt à hiberner. Ils dicteront probablement certaines conditions mais ils ne détiennent en fait qu’un astronef dont vous n’avez actuellement aucune utilité. D’autre part, les six gardes du bloc Z, enfermés avec les clandestins, restent toujours fidèles à notre cause. Ils peuvent provoquer des surprises.
Ghür planta son regard dans celui de Sam. Ses mâchoires se crispèrent et il observa :
— Vous ignorez certaines choses, général. Vous n’avez pas accès à tous les secrets. Aussi vous ne comprenez pas tout l’intérêt que nous attachons à ce vaisseau qui nous a amenés ici. Il est vital pour nous, pour notre avenir, et pour l’avenir de l’Austral. S’il est détruit, alors la pollution franchira de nouveau vos frontières, comme avant notre arrivée. Vous deviendrez des dégénérés et il n’y aura plus qu’une planète entourée de nuages opaques, pestilentiels. Le soleil vous sera caché à jamais.
Epouvanté par cette prophétie, O’Coll se jeta à genoux, tendit les mains vers le couple impassible.
— Je vous en supplie ! Ne nous abandonnez pas ! Nous ne voulons plus revoir la pollution. Ne pouvez-vous intervenir ?
— Impossible, dit Ghür. L’astronef est imperméable aux ondes, hermétique. C’est une forteresse.
Un autre écran s’alluma. Il montrait le bloc Z envahi par des miliciens venus de la base par le couloir 6. Les soldats pénétraient dans le labo et s’approchaient du dévibrateur avec précaution. Ils n’avaient jamais vu un tel appareil.
Zaade ne parut pas enthousiasmée par cette intervention. Au contraire, elle manifesta une mauvaise humeur évidente. Un pli amer tira ses lèvres.
— Trop de monde est au courant. Nous avions convenu de limiter le nombre de ceux qui connaissent la vérité.
O’Coll ricana, hideux :
— Me vous tourmentez pas. Ces miliciens sont chargés de ramener l’ordre. De toute façon, ils ne ressortiront jamais vivants du bloc Z.
— Je préfère ça, acquiesça Ghür.
Le couple quitta discrètement le bureau, évitant la rencontre avec le personnel administratif. Il gagna un refuge secret dans la grande banlieue de Canberra.
Puis le général appela immédiatement le chef du gouvernement. Les deux hommes se rencontrèrent et établirent un plan d’action. Toutes les forces de l’Austral étaient mobilisées et la chasse aux clandestins s’organisa sur tout le territoire.
*
* *
La pyramide n’était qu’un immense hangar abritant l’astronef des regards indiscrets. Elle camouflait la présence d’un véhicule étranger sur le sol australien.
D’où venait ce vaisseau ? De quelle galaxie ? Pourquoi était-il là et où se trouvaient actuellement ses vrais occupants ?
Déjà, certains aspects de la vérité éclataient au grand jour. Mais d’autres restaient encore dans l’ombre. Toutes les questions ne recevaient pas de réponse et l’avenir apparaissait préoccupant.
Fill avait envie de tousser. Il se retint, absorba un comprimé et poussa un soupir.
— Vous croyez qu’ils vont avaler pendant longtemps la supercherie ?
Il parlait des gardes, évidemment. Fazer hocha la tête.
— Il faudra prendre des mesures préventives, en effet.
Il appela Théo Swan. Celui-ci s’inclina avec toujours le même respect.
— Je suis à vos ordres.
— Réunis tes compagnons. Tous tes compagnons, décida Jen.
Swan ne demanda pas pourquoi. Il revint deux minutes plus tard en compagnie de ses cinq camarades du groupe spécial.
— Donnez-moi vos armes, dit Fazer, autoritaire. Il se passe quelque chose de grave, de très grave, et nous ne pouvons plus vous accorder confiance.
Il avait un réel talent de comédien et jouait son rôle à la perfection, avec sincérité. Son assurance abusa facilement les gardiens qui, après quelques secondes d’hésitation, jetèrent leurs pistolets à rayons sur le sol. Stone les ramassa en hâte.
L’ingénieur observa Swan d’un regard pénétrant,
— Vos lanceurs hypnotiques aussi, insista-t-il.
Six petits sphéroïdes roulèrent sur le plancher et s’arrêtèrent aux pieds de Lug. L’officier eut un air navré.
— Qu’avons-nous fait pour mériter votre mépris ?
— Nous avons réussi à pénétrer dans le bloc Z, expliqua l’électronicien. C’était un test. Or, il s’avère que le bloc Z n’est pas d’une sécurité absolue. Vous avez fui vers la pyramide. C’est une erreur. Vous auriez dû repousser notre invasion.
— Nous n’avions plus de moyens, s’excusa le lieutenant. Et puis, quand nous avons su que vous disposiez de lanceurs hypnotiques, nous avons conclu que vous étiez les Maîtres.
Fazer ferma à demi les yeux et un éclat ironique filtra entre ses paupières. Il joua au chat et à la souris, s’amusant de ses interlocuteurs.
— Ignorez-vous qu’un des lanceurs H avait été volé ?
— Non, avoua Swan, confus. Nous avons tout fait pour le retrouver, à travers la base.
— Il n’était plus à la base mais entre les mains de l’organisation clandestine. C’est une autre faute impardonnable. Faudra-t-il donc assurer nous-mêmes notre protection puisque vous en êtes incapables ?
Les gardiens baissèrent la tête. Ils s’attendaient à une punition exemplaire et ils étaient prêts à mourir. Or, Fazer leur laissa une illusion.
— Je vous donne une chance de rachat. Désormais, vous ne poserez aucune question même si nous agissons bizarrement. Des tas d’imbéciles vont se ruer dans le bloc Z sous prétexte de vous prêter main-forte. Or, ils risquent de s’introduire dans la pyramide et de découvrir le secret. Cette éventualité doit être exclue.
Il entra dans le laboratoire et s’approcha du revibrateur. Il pointa un pistolet-laser sur l’appareil.
— Je vais bloquer la seule issue possible…
Swan se jeta à genoux, roula des yeux effarés, et tendit des mains suppliantes.
— Non ! Ne faites pas cela !
— Pourquoi donc ?
— Vous le savez bien ! C’est notre seule façon, à nous, de quitter la pyramide pour rejoindre notre pays. La dématérialisation se fait dans les deux sens.
Jen ricana :
— Vous pensez donc que le vaisseau est incapable de décoller ?
— Oh ! Si, si, hoqueta l’officier, conscient des conséquences de cet acte. Mais, si vous faites cela, jamais nous ne reviendrons sur la Terre…
Fazer abaissa son laser, la gorge sèche. Naturellement, les choses se compliquaient. Il demanda aux gardes de contacter le bloc Z. Swan manipula des boutons sur un clavier et une image jaillit sur un écran.
Le labo du bloc Z était envahi par des soldats en armes. Ils regardaient le dévribateur avec stupeur car c’était la première fois qu’ils découvraient ce type d’appareil. Nul doute qu’ils sauraient le faire fonctionner.
Lug poussa un cri de rage, de désespoir.
— Nous sommes fichus ! Ils vont nous poursuivre jusqu’ici.
Jen n’hésita plus. Il n’avait pas le choix. Il tira trois giclées de son arme sur le revibrateur et celui-ci fut inutilisable. Il annonça, face à l’écran :
— Si jamais ils tentent quand même le passage, leurs électrons purs ne seront réceptionnés nulle part et se perdront dans l’atmosphère.
Swan avait enfin compris qu’il s’était trompé, les derniers événements prouvant que les faux étrangers craignaient l’invasion de la pyramide pour leur propre sécurité.
— Vous êtes des clandestins ! proféra-t-il d’une voix éteinte.
La peur se lisait dans son regard. Il ne donnait pas cher de sa peau, ni de celle de ses compagnons. Il n’espérait aucune pitié des révolutionnaires.
— Exact ! avoua enfin Fazer. Mais cela n’enlève rien à mes critiques concernant la protection de la pyramide. En vous réfugiant ici, vous auriez dû couper tous les ponts.
Il désigna le revibrateur anéanti par le laser.
— C’est bien la seule issue, n’est-ce pas ?
— Oui, balbutia l’officier.
— Comment pourrons-nous sortir, d’après vous ?
— Je vous l’ai déjà dit. Nous sommes bloqués. Peut-être viendra-t-on nous délivrer quand l’un des Maîtres sera déshiberné. Dans un mois, un an, ou jamais !
Lug se rua sur Swan, l’empoigna par le col de son uniforme, et l’étrangla à moitié. Il hurla :
— Que racontes-tu ?
— La vérité ! hoqueta le lieutenant, suffoqué.
De grosses gouttes de sueur coulaient de son front. Sa langue était sèche comme un morceau de caoutchouc. Il avait sans doute trop parlé mais dans la situation où il se trouvait, il ne risquait plus grand-chose. Il voulait mettre les clandestins en face de leurs responsabilités.
— Le vaisseau est programmé par ordinateur. Son décollage est automatique. En principe, il devrait quitter le système solaire si l’ordre de départ était donné.
Stone rejeta le garde dans un coin, cracha avec dépit sur le sol. Il se tourna vers Jen.
— Nous nous sommes fourrés dans un cul-de-sac. La pyramide débouche sur l’espace !
L’ingénieur revint se planter devant Swan, pointa son doigt vers lui.
— Il y a des hibernés, ici ? menaça-t-il.
Le lieutenant acquiesça muettement et Fazer insista :
— Où sont-ils ?
L’officier sentit qu’un laser lui chatouillait le ventre. Bien sûr, il pourrait se taire. Mais cela ne servait à rien car les révolutionnaires finiraient bien par découvrir la chambre de cryobiologie.
Il se raidit.
— Je vais vous conduire.
Il emprunta un ascenseur antigravité, monta presque au sommet de l’astronef. Il s’arrêta devant une porte, dans un couloir circulaire.
— C’est ici, dit-il.
Il débloqua la porte dont le panneau métallique coulissa. Il découvrit ainsi une cloison de verre à travers laquelle nos amis aperçurent plusieurs corps étendus dans des sortes de cercueils également transparents.
Derrière le mur vitré, régnait une température effroyablement basse.
*
* *
Combien étaient-ils, alignés comme des cadavres ? Il y avait des hommes et des femmes, tous jeunes en général, de vingt à quarante ans. Empilés sur trois rangées, ils paraissaient dormir d’un sommeil paisible. Leurs traits étaient détendus, leurs visages blanchâtres.
Le lieu ressemblait à une morgue. Stone frissonna. Il se retourna vers Swan et lui tordit de nouveau le col de sa tunique. Il le tutoya avec mépris :
— Tu savais qu’« ils » étaient là ?
Le lieutenant acquiesça d’un signe de tête. Il avait une boule dans la gorge et il sentait bien que ses adversaires étaient prêts à tout.
— Combien sont-ils ? demanda Fazer.
— Quatre-vingts, répondit le garde. Ils ont été sélectionnés avec soin. Ils peuvent vivre des siècles en léthargie. Tous leurs organes fonctionnent au ralenti.
Il désigna un tableau de contrôle où étaient réunies diverses informations sur l’état physiologique des hibernés. Chacun de ceux-ci possédait sa fiche sur ordinateur. En permanence, il était donc possible de vérifier leur rythme cardiaque, pulmonaire, leur température rectale, leurs réactions biochimiques, l’activité de leur cerveau, leur métabolisme. Dès qu’une anomalie se produisait, l’ordinateur y palliait par des méthodes appropriées. Mais s’en produisait-il une seulement ?
Tout était trop bien agencé, organisé, surveillé électroniquement. Les auteurs de cette fantastique expérience collective avaient intérêt à réussir. Ils avaient donc mis tous les atouts dans leur jeu en faisant preuve d’une science avancée.
— Quand se réveilleront-ils ? gronda Lug.
— Je n’en sais rien, avoua l’officier avec sincérité.
— Comment ça ? Tu n’es pas au courant ?
— Non. Je sais qu’on les appelle des Sains. Ils n’ont aucune maladie dégénérative, aucune tare. C’est une race pure.
— D’où viennent-ils ?
Swan haussa les épaules en signe d’impuissance. Il était plein de bonne volonté, prêt à collaborer avec les révolutionnaires pour sauver sa vie. Mais il ne pouvait dire ce qu’il ignorait !
Stone le secoua encore comme un prunier.
— Il y a quelque chose qui ne tourne pas rond. Le groupe spécial, auquel tu appartiens, était chargé de protéger la pyramide. Alors forcément, tu es dans la confidence. Qui te donne des ordres ?
Le malheureux étouffait, serré dans son col. Il ouvrait désespérément la bouche et, dans un hoquet, il donna un détail :
— C’est Sam O’Coll, le chef de la milice.
Fazer suggéra à Lug de lâcher le lieutenant.
Il confirma que O’Coll était effectivement à la tête des services de sécurité. Mais il ne venait pas de l’espace. C’était un Australien.
Le pilote repoussa Swan d’une violente bourrade.
— En somme, tu surveilles un secret dont tu ignores tout ! Est-ce que, par hasard, tu ne subirais pas périodiquement des lavages de cerveau ? Jadis, des eunuques gardaient les sérails. Vous, les gars du bloc Z, vous avez des mémoires trouées volontairement !
Il montra les containers alignés, braqua son laser.
— Et si jamais on foutait tout ce bazar en l’air ?
Le lieutenant avait les yeux hors de la tête. Il reprenait haleine et tenait son cou à deux mains. Il avait bien failli être étranglé ! Or, la vue de cet homme de la Grande Fédération pointant son arme sur la crypte aux hibernés le terrorisa. Il eut conscience qu’en une seconde, des siècles s’écrouleraient. Le geste aurait d’incalculables conséquences.
— Non ! Non ! supplia-t-il à genoux. Pas ça !
Fazer détourna le pistolet à rayons, lançant à Lug un regard sévère.
— Ne prenez pas seul des décisions incontrôlées ! reprocha-t-il. Votre excitation ne peut conduire qu’à des erreurs. D’autre part, je vous rappelle que vous venez de la Fédération et que vous n’avez pas à supplanter notre organisation par une action individuelle.
Le pilote rengaina son laser et se calma.
— Excusez-moi. J’ai voulu simplement impressionner Swan. Je suis d’un tempérament fougueux.
— Je vois ! sourit Jen, plus détendu. Nous avons besoin d’hommes comme vous. Cependant, nous prêchons la modération. Nous ne voulons pas de révolution sanglante.
Mool rejoignit ses compagnons. Il venait des étages inférieurs de l’astronef et annonça d’une voix grave :
— Avec Klow, on surveillait les prisonniers. Or, tout d’un coup, ils se sont écroulés par terre. On a compris qu’ils s’étaient suicidés. Ils avaient avalé une capsule de poison. Sans doute avaient-ils reçu des ordres stricts pour le cas où ils seraient capturés…
Fazer se tourna vers Swan.
— Vous avez entendu ?
— Oui, balbutia l’officier. O’Coll nous avait donné cet ordre. J’ai manqué de courage ; je n’ai pas osé.
Il fouilla dans une des poches de son uniforme, retira une minuscule capsule qu’il jeta sur le sol.
— Voilà ! Vous pouvez faire de moi ce que vous voulez.
Lug écrasa le comprimé avec son talon. Un liquide bleu en sortit et forma une minuscule tache. Il tordit la bouche.
— O’Coll considère son personnel comme des esclaves. C’est du fanatisme.
— Non, un principe de sécurité, rectifia Mel. Jadis aussi, les espions se suicidaient, s’ils étaient pris.
Mool ne semblait guère affecté par la mort collective des gardes du bloc Z. D’autant qu’il avait d’autres nouvelles.
— J’ai découvert une salle de projection au second niveau du cosmonef. Sans discontinuité, un système automatique passe des films. Vous devriez aller voir. C’est édifiant !
Puis il aperçut les hibernés rangés dans les containers. Il poussa une exclamation.
— Que font-ils là ?
— Ils attendent qu’on les décongèle ! ironisa Stone.
Il aida Swan à se remettre debout.
— Allons, viens avec nous. Il paraît qu’il y a une séance de cinéma à bord.
Les clandestins descendirent tous au deuxième niveau. Là, dans une salle obscure, ils découvrirent des choses surprenantes.