I - Le Cadeau de Merlin

 

Une histoire des Fondateurs

 

Dédicacé aux amis du forum Grotto Keep

 

 

 

Le soir de Noël, quatre personnes – deux hommes et deux femmes – traversaient la Grande salle du Château de Poudlard, passant au milieu des nombreux élèves installés aux longues tables.

 

Un des sorciers – très grand, et qui possédait un bouc arrogant – remarqua :

 

   J’ai l’impression que cette célébration revient chaque année plus vite, pas vous ? Parfois, je me demande si les expériences sur le Temps d’une certaine personne de ma connaissance ne provoquent pas de désastreux résultats.

 

La remarque fit sourire une grande femme aux cheveux noirs, qui portait une robe bleue aux plis soyeux.

 

   Godric, j’ai vraiment l’impression que tu ne l’oublieras jamais, répondit-elle, moqueuse. Un jour, je réussirai à créer un instrument parfait. Et tu seras le premier à m’en remercier, j’en suis certaine.

 

L’autre sorcière – une imposante Junon avec des tresses de cheveux roux – demanda:

 

   Rowena, de quel nom comptes-tu baptiser cet appareil ? Je l’ai oublié.

 

   Je me souviens que « Retourneur de temps » avait été suggéré, intervint la voix sarcastique de l’autre sorcier, un chauve au visage dur. Je me souviens aussi avoir fermement refusé une telle absurdité – au sens le plus littéral. Rien ne « retourne » jamais le temps !

 

La sorcière brune – Rowena Serdaigle – répondit vertement :

 

   La question n’est pas de savoir comment mon instrument affectera le temps, Salazar. Il s’agit uniquement d’expliquer son fonctionnement. En vérité, je le pourvoirai d’un sortilège qui aura pour effet de retourner…

 

Godric Gryffondor interrompit la sorcière en lui posant la main sur l’épaule, tandis que les quatre fondateurs de l’école montaient ensemble sur l’estrade, où était installée leur table officielle.

 

   Si je ne me trompe pas, annonça-t-il calmement, nous avons ce soir une tradition à respecter

 

Helga Poufsouffle, la grande sorcière aux tresses rousses, attendit de s’asseoir avant d’acquiescer.

 

   C’est vrai, dit-elle. Artifex ?

 

Un mince jeune homme – dont les traits se distinguaient par des lèvres lippues et des yeux globuleux – était assis au bout de la table. En voyant arriver le quatuor, il bondit pour se relever, et dans sa hâte, bouscula la table de bois. Aussitôt, il plongea en avant pour récupérer son verre d’eau avant qu’il se renverse.

 

   Oui, Mrs Poufsouffle ! Je suis là.

 

   Veuillez, je vous prie, nous rappeler quelles largesses nous avons répandues sur le peuple aux précédentes célébrations.

 

Toujours debout, Artifex sortit de sa robe un long parchemin qu’il déroula sur la table. Il se pencha pour l’examiner, les yeux plissés.

 

   Je vais reprendre dix ans en arrière, annonça-t-il, puis il se mit à lire : Trois des fondateurs déposent d’abondantes victuailles dans la masure d’un pauvre paysan, provoquant ainsi une liesse générale et un chœur de remerciements, aussi bien du manant lui-même que de sa famille et ses voisins. Serpentard exprime dûment son opposition. L’année suivante, trois des fondateurs décident d’accorder un dixième des oboles pour aider à bâtir un entrepôt chez les Moldus. Serpentard exprime dûment son opposition…

 

Gryffondor, interrompit le barde en agitant la main

 

   Oui, oui, soupira-t-il. Mais qu’allons-nous faire cette année ? J’avoue que je préférerais quelque chose de… différent. Nous avons trop pris l’habitude de distribuer notre or plutôt qu’utiliser nos dons. Et ça me semble aller à l’encontre de ce que nous enseignons à nos élèves

 

   Effectivement, répliqua Serpentard d’un ton doucereux, ce n’est pas ce que vous leur recommandez.

 

Serdaigle reposa sur la table son gobelet de vin.

 

   Godric à raison, approuva-t-elle avec vigueur. Il y a trop longtemps que nous n’avons pas utilisé nos dons pour la bonne cause. N’avons-nous pas toujours affirmé que ceux qui possèdent des talents magiques doivent s’en servir, et que ceux qui n’en ont pas…

 

   Je t’en prie, ne le dit pas ! gémit Poufsouffle. Mais alors, qu’allons-nous faire ?

 

À ce moment précis, un claquement sonore renvoya des échos dans la Grande Salle, et un courant d’air glacé fit tourner toutes les têtes. Les gigantesques portes du château venaient de s’ouvrir avec fracas, et une silhouette énorme en émergeait, enveloppée d’un nuage de neige poudreuse.

 

Sur l’estrade, Serpentard leva les yeux au ciel avec une expression de mépris amusé.

 

   Certains d’entre nous ne peuvent jamais s’empêcher de faire une entrée dramatique, dit-il.

 

Tous les yeux de la Grande Salle étaient braqués sur le sorcier qui arrivait : un homme très grand, avec une lourde cape de fourrure au capuchon baissé sur la tête. Il avait une longue barbe dorée qui lui couvrait la poitrine. Après avoir traversé toute la longueur de la salle dans un silence total, il monta sur l’estrade.

 

Le visage figé, Godric Gryffondor s’était levé pour accueillir le nouvel arrivant.

 

   Merlinus, le salua-t-il d’un ton froid. Nous ignorions que vous vous trouviez dans les parages en cette fin d’année. Soyez le bienvenu.

 

Sans sourire, le grand enchanteur inclina la tête.

 

   Merci à vous, fondateur, mais je ne suis pas apparu cette nuit pour partager votre célébration. Je suis venu vous apporter une nouvelle d’importance émanant du roi lui-même.

 

   Le roi Truffebaume ? s’étonna Serdaigle avec une moue. Pourquoi devrions-nous accorder la moindre importance aux paroles de ce pantin ? Il n’est pas reconnu comme roi par le monde magique ! Il ne sait même pas que l’école de Poudlard existe sur ses terres.

 

   Ce n’est pas Trufflebaume qui m’a appris ce que je sais, dit Merlin de sa voix basse et rocailleuse. Je parlais de notre roi.

 

Tous les yeux de la table se fixèrent sur lui. Il y eut un silence tendu. Puis Poufsouffle demanda d’une voix tranquille :

 

   Kraigle ?

 

Serpentard, leva son hanap de vin.

 

   C’est ridicule, déclara-t-il sèchement. C’est un conte pour enfants. Le roi Kraigle, premier monarque du monde sorcier, est mort depuis longtemps, et tout le monde le sait.

 

   Non, pas tout le monde, corrigea doucement Poufsouffle. Beaucoup d’entre nous croient à ce conte, et pas seulement les enfants, comme vous savez parfaitement, Salazar.

 

Gryffondor examinait attentivement son hôte inattendu.

 

   Êtes-vous bien certain de ce que vous dites, Merlinus ? Vous ne serez pas surpris d’apprendre que vos loyauté et crédibilité ont, ces derniers temps, été soumises à de nombreuses spéculations. Cette histoire paraît plutôt incroyable.

 

Merlin ne cligna même pas des yeux.

 

   Je ne le vois pas souvent, mais je le reconnais quand c’est le cas. Vu son apparence, il est plutôt difficile de se tromper. Il connaît vos traditions en cette nuit de célébration, et vous charge d’une mission à accomplir. Il s’agit d’une tâche digne de vos pouvoirs qui ne pourra que vous vous agréer… du moins, à la plupart d’entre vous

 

Les yeux bleu glacier de l’enchanteur se tournèrent vers Serpentard, dont le regard s’étrécit.

 

Au bout de la table, Artifex s’éclaircit la voix avec prudence.

 

   Euh… j’essaie de tout noter, maîtres, mais je suis un peu troublé. J’ignore tout de ce conte au sujet du premier roi Kraigle. Je dois admettre que mes parents n’étaient ni très bavards ni très instruits et je n’ai jamais rien entendu de tel.

 

Gryffondor ne quittait pas Merlin des yeux.

 

   Il y a des décennies de cela, répondit-il, le roi Kraigle a négocié un célèbre traité de paix qui a mis fin à la guerre entre les Elfes et les Gobelins. En récompense, d’après la légende, les Elfes lui auraient accordé l’immortalité.

 

Artifex leva les yeux de son parchemin.

 

   Les elfes de maison ? s’étonna-t-il. Mais eux-mêmes ne sont pas immortels, à ce que j’en sais.

 

   Non, il ne s’agissait pas d’eux, répondit Serdaigle. Les elfes de maison sont les descendants d’anciennes unions entre les Elfes et les Gobelins. Mais leurs aïeux ont préféré rester…

 

Quand la sorcière ne poursuivit pas sa phrase, Artifex plissa le front, d’un air perplexe.

 

   Oui ? insista-t-il. Rester… où ?

 

   Nous verrons plus tard, coupa Serpentard avant de se tourner vers Merlinus. Vous êtes soit un manipulateur, soit un naïf. La tombe de Kraigle est incartable, et l’Histoire en a perdu la trace, mais elle existe pourtant, aussi certainement que la table qui se trouve devant nous. Vous pouvez nous parler de cette mystérieuse mission, cher ami enchanteur, mais je préférerais que vous évitiez de l’embellir avec de telles fictions. Si ça vous est possible, bien entendu.

 

Merlin étudia un moment Serpentard, puis il eut un sourire mystérieux, et acquiesça.

 

   Une jeune sorcière du nom de Gabriella sera, cette nuit même, victime d’un loup-garou plutôt futé. Il faut à tout prix éviter cette rencontre, parce que les héritiers de cette sorcière ont dans le futur un rôle important à jouer. Elle possède une chaumière ici même, dans le bois voisin, bien que je n’en connaisse pas exactement l’emplacement. Nous la reconnaîtrons à sa girouette cassée près de la cheminée.

 

   Et c’est là votre mission vitale ? ricana Serpentard. Une sortie sans intérêt par une nuit glaciale pour protéger la chaumière d’une paysanne ?

 

Il éclata de rire, comme si cette idée était ridiculement drôle.

 

   Ça ne ressemble pas à nos tâches habituelles, reconnut Poufsouffle, mais si les informations de Merlinus sont exactes…

 

Serpentard l’interrompit en agitant la main.

 

   Quelle importance peut avoir une paysanne de plus ou de moins ? Après tout, même les loups-garous méritent un petit cadeau de Noël, vous ne trouvez pas ?

 

   Vous pouvez douter de Merlinus, Salazar, dit froidement Serdaigle, mais je vous interdis de plaisanter sur la vie des autres, surtout à Noël. Votre cœur est aussi froid que cette nuit d’hiver que vous refusez d’affronter.

 

Gryffondor se pencha en avant sur la table, et affronta le grand sorcier qui lui faisait face.

 

   Dites-moi, Merlinus, si cette mission est tellement importante, pourquoi ne pas vous en charger pas personnellement ?

 

Merlin ne répondit pas pendant plusieurs secondes. Finalement, il détourna les yeux.

 

   J’ai dû jurer de ne pas intervenir dans cette affaire. Le roi a exigé mon serment.

 

Gryffondor leva les sourcils.

 

   Je me demande bien pourquoi, insista-t-il calmement.

 

   Peut-être devriez-vous le demander directement au roi, Godric, répondit Merlin, en lui renvoyant sa mimique.

 

Gryffondor hocha la tête, comme si la réponse le satisfaisait.

 

   J’accepte votre mission, Merlinus, dit-il, à condition que vous vous joigniez à moi, même si vous n’agissez pas. Peut-être, comme le prévoit Serpentard, tout ceci ne sera qu’une simple promenade dans la neige pour la nuit de Noël, mais après tout, quel mal y aurait-il ? Nous étions justement assis, tous les quatre, à discuter de la meilleure façon d’utiliser nos talents cette nuit. Qui vient avec moi ?

 

Avec un sourire, Serdaigle sortit sa baguette de sa robe bleue.

 

   Je viens, dit-elle, il y a bien trop longtemps que nous n’avons pas fait une sortie en force.

 

   Je viens aussi, dit Poufsouffle en se levant.

 

Au bout de la table, on entendait la plume d’Artifex qui grattait le parchemin ouvert devant lui.

 

   Serpentard… marmonnait-il entre ses dents, exprime dûment son opposition.

 

Il n’avait pas terminé le dernier mot quand la plume s’envola de ses doigts et traversa toute la table.

 

   Non ! Barre-le ! ordonna sèchement Serpentard.

 

Sa baguette était pointée vers la plume. D’un geste preste, il la renvoya vers le parchemin, et biffa lui-même la dernière ligne.

 

   Mais… commença le barde.

 

   Je vais accompagner mes compagnons dans cette mission. Connaissant Merlinus, je désire assister de mes propres yeux à ce qui va se passer.

 

Artifex essayait (en vain) de rattraper sa plume qui écrivait d’elle-même.

 

   Ah, très bien, dit-il. Je prendrai note de vos exploits à votre retour, maîtres fondateurs.

 

Serpentard se leva, la baguette toujours braquée sur la plume volante.

 

   Pas du tout, jeune barde ! Je veux que vous nous accompagniez. Votre compte-rendu sera bien plus précis si vous assistez à la scène en direct.

 

   Très bien, maître, dit Artifex, sans le moindre enthousiasme.

 

Quand le petit groupe redescendit les marches de l’estrade, Artifex suivait à l’arrière. Il cherchait toujours à récupérer sa plume qui refusait de lui obéir.

 

À la porte, Serdaigle s’arrêta, et se retourna. Elle approcha de l’une des tables des élèves et la scruta d’un œil attentif. Trouvant ce qu’elle cherchait, elle tendit les deux mains, et le récupéra.

 

Surpris, Gryffondor examina l’énorme citrouille que portait la sorcière quand elle les rejoignit.

 

   Mais pourquoi en aurais-tu besoin? demanda-t-il.

 

   J’ai l’intention d’essayer quelque chose, répondit-elle en passant devant lui, le menton levé.

 

Ensemble, le groupe traversa le château, arriva dans la rotonde, et se dirigea vers les grandes portes qui ouvraient dans la nuit glaciale et hivernale.

 

 

   Prenez note, Artifex, ordonna Serpentard de son siège. Je proteste vigoureusement contre ce moyen de transport.

 

Poufsouffle dut élever la voix pour se faire entendre dans les bourrasques de vent.

 

   Il suffit, Salazar. Comme l’a signalé Rowena, je trouve que ça correspond bien à la situation.

 

   Absolument, approuva Gryffondor. Vu que nous ne connaissons pas l’emplacement exact de la chaumière de cette fille, il nous est impossible de transplaner jusque-là. Y aller en balai serait trop ostentatoire dans le monde moldu. Ces derniers temps, nous essayons d’être plus discrets. Ce traineau nous permet d’explorer les bois incognito. C’est parfait.

 

   Nous sommes dans une citrouille, signala Serpentard écœuré.

 

   Non, c’est un traineau maintenant, rétorqua Serdaigle. Bien sûr, il a gardé un peu la forme de la citrouille…

 

   L’odeur surtout ! protesta Serpentard.

 

   Quelle importance ! Il correspond parfaitement à nos attentes. Et je trouve que les rennes ajoutent une touche intéressante, même si je dois le dire moi-même.

 

   Je continue à les voir comme des souris, se moqua Serpentard. Et je tiens à ce notre chroniqueur prenne des notes aussi précises que possible, puisqu’aussi bien ces… rongeurs que la citrouille reprendront leur forme originelle à… euh – à quelle heure au juste ?

 

Serdaigle soupira.

 

   À minuit. Je suis désolée, je n’ai pu obtenir davantage. Cette magie particulière est d’assez court terme. Il ne s’agit pas de métamorphose classique. Je n’ai jamais été capable de la maintenir toute la nuit. C’est un peu comme un conte de fées, non ? J’ai appris ce sortilège de ma marraine, et j’ai toujours voulu l’essayer.

 

   J’apprécie beaucoup que vous ayez tenu à nous faire partager cette expérience, déclara Serpentard d’un ton hautain.

 

Gryffondor était assis à l’avant du traineau, les mains serrées sur les rênes.

 

   Combien de temps avons-nous, Merlinus ? demanda-t-il.

 

   Le loup-garou attaquera la jeune Gabriella quand elle reviendra chez elle, quelques minutes après 23:00, répondit Merlin. Il a l’intention de lui tendre une embuscade, aussi vous devez être à vos postes avant le retour de la fille. Elle ne doit pas nous voir. Ceci… compliquerait les choses.

 

Poufsouffle se tourna vers l’enchanteur, avec curiosité, comme si elle se rappelait quelque chose.

 

   Au château, vous avez traité le loup-garou de « futé ». Que vouliez-vous dire par là ?

 

   Chère madame, vous ne me croiriez jamais si je vous le disais. Permettez-moi simplement de déclarer que ce loup-garou, sous sa forme humaine, est un petit seigneur moldu. Et il écrit des histoires… plutôt banales, à mon avis.

 

   Voilà qui s’annonce plus intéressant que prévu, reconnut Serpentard avec un rictus.

 

Le traineau avançait doucement, bringuebalant pour monter la colline, oscillant entre les arbres. Tout autour, le paysage était couvert de neige qui brillait d’une lumière bleutée sous la pleine lune. La glace scintillait sur les branches dénudées, et le sol craquait sous les patins du traineau.

 

   Il se fait tard, déclara Serdaigle au bout d’un moment. À cette allure, nous ne trouverons jamais la chaumière. Nous avons besoin de nous séparer pour mieux la chercher. Qu’en pensez-vous ?

 

   Il n’en est pas question, répondit Gryffondor, sauf si tu nous as apporté d’autres citrouilles.

 

Poufsouffle se redressa sur son siège.

 

   Je vais peut-être pouvoir vous aider, dit-elle. Artifex, est-ce qu’il te reste un de ces pains d’épices au gingembre que tu as emportés de la Grande Salle ?

 

   Je… euh… non, bafouilla le jeune homme. Pas du tout. Je crains de ne pas comprendre ce que vous voulez dire, madame.

 

   Oh, Artifex, réfléchis un peu ! s’écria Gryffondor. Nous sommes des sorciers. Il faut bien plus que des doigts agiles pour nous cacher des pains d’épices. Je les sens, dans ta poche droite. Je me demande pourquoi tu ne veux pas les partager.

 

D’un geste de surprise théâtrale, Artifex se toucha la poitrine, comme s’il avait complètement oublié ce que contenait sa poche.

 

   Oh ! Je… euh – effectivement. Il me reste un biscuit. Bien sûr, je vais vous le donner. Je l’avais oublié. Le voilà, Mrs Poufsouffle.

 

Poufsouffle récupéra de la main d’Artifex un biscuit rond, de la taille d’une assiette à thé. Elle le présenta aux autres avec un sourire.

 

   Moi, j’ai toujours voulu essayer ceci ! s’exclama-t-elle.

 

Avec soin, elle leva sa baguette et se toucha le front malgré les secousses du traineau. Au bout de quelques secondes, elle écarta la baguette, et fit émerger d’elle un long filament d’argent qui s’étira, en silence, dans l’air glacé. Serdaigle l’examina de près.

 

   C’est comme dans la Pensine, remarqua-t-elle. Que vas-tu en faire, Helga ?

 

Sans répondre, Poufsouffle prit le biscuit et le drapa dans le filament. Quand elle écarta sa baguette du pain d’épice, coupant le lien qui les reliait, une lueur d’argent resta un moment visible autour du biscuit, puis tout à coup disparut.

 

   Et à quoi ça sert au juste… ? commença Serpentard.

 

Il ne termina pas sa phrase parce que le pain d’épice venait de se redresser dans la main de la sorcière. Très rapidement, il changea de forme : il lui poussa deux jambes rudimentaires, deux bras épais, et une grosse tête plate. Le sucre qui l’avait décoré forma les traits caricaturaux d’un visage : deux yeux, et une petite bouche souriante.

 

   Très joli, commenta Merlin d’un ton appréciateur. Un bonhomme de pain d’épice, qui va nous aider à chercher. Il a le seul équipement essentiel : des yeux.

 

Poufsouffle eut un sourire amusé.

 

   Il lui faudra se hâter, surtout s’il rencontre en chemin un paysan affamé. (Elle se tourna vers le bonhomme en pain d’épice, et lui dit :) Tu dois chercher une chaumière, avec une girouette cassée près de la cheminée. Si tu la trouves, reviens auprès de nous aussi vite que possible, pour nous y conduire

 

Le bonhomme sautait d’excitation dans la main de la sorcière.

 

   Je vais courir de toutes mes forces, affirma-t-il d’une petite voix aiguë. Personne ne pourra m’attraper.

 

Quelques minutes plus tard, il bondit hors du traineau, et se mit à courir dans le bois éclairé de lune, et disparut très vite derrière un arbre.

 

   C’est ridicule, annonça Serpentard. Et je tiens à ce que ce soit noté.

 

Artifex leva les yeux de son parchemin.

 

   Euh… à ce sujet, répliqua-t-il, je pense que le moment est aussi bon qu’un autre pour reposer ma question au sujet du roi Kraigle. En tant que barde et chroniqueur officiel, il me semble que je devrais absolument être au courant de cette histoire.

 

Gryffondor examinait les arbres sur la pente de la colline que le traineau descendait.

 

   Pourquoi pas ? répondit-t-il. Helga, tu connais aussi bien la légende que n’importe qui.

 

Poufsouffle acquiesça.

 

   C’est très simple, en réalité. Quand le roi Kraigle est monté sur le trône, premier roi du monde sorcier, une guerre meurtrière durait depuis des siècles entre deux des autres peuples magiques. D’un côté, il y avait les Gobelins, que tu connais ; de l’autre, les Elfes, dont tu ignores tout, vu qu’ils ont depuis longtemps disparu de notre terre. Les deux ennemis avaient oublié la cause initiale de leur querelle, mais l’essence même de leur haine ne diminuait pas : ils se ressemblaient trop pour accepter ce qui les différenciait ; ils étaient suffisamment différents pour refuser ce qu’ils partageaient. Les Elfes étaient de petits êtres rusés, mais plus que tout, ils savaient manipuler le Temps. Parfois pour de petites choses, à titre individuel, mais parfois, quand ils œuvraient ensemble, ils avaient un impact étonnant. Et c’est ce talent si particulier qui poussa le roi Kraigle à imaginer un plan. Avec l’aide du conseil des Elfes, il choisit l’un des lieux les plus déserts et les plus reculés de la terre pour y jeter les sortilèges les plus puissants d’incartabilité. À cet endroit même, il créa pour les Elfes, une nouvelle nation, cachée non seulement dans l’espace mais aussi dans le temps. Cette sorte de bulle dans l’Histoire n’est accessible qu’aux Elfes eux-mêmes. Chaque Elfe de la terre émigra vers sa nouvelle nation, sauf ceux connus sous le titre d’ « elfes de maison » qui choisirent, de leur plein gré, de demeurer au service de leurs maîtres.

 

Artifex avait tout noté, soigneusement, mais soudain, il leva les yeux.

 

   Pourquoi ont-ils eu cette idée ?

 

Ce fut Merlin qui répondit.

 

   Les Elfes formaient une race fière et arrogante. Les elfes de maison ne sont que des hybrides provenant d’unions mixtes avec les Gobelins. Ils sont serviles et obséquieux. Ils se sont abaissés aux statuts de serviteurs, sinon d’esclaves, et ils croyaient devoir faire pénitence pour leur sang-mêlé s’ils devaient un jour être dignes d’entrer dans ce nouveau royaume.

 

   Ils ont fait pénitence, et nous avons obtenu de la main-d’œuvre bon marché, remarqua Serpentard. Je trouve que chacun y a trouvé son compte.

 

   Pour en revenir à mon histoire, continua Poufsouffle, même si les Gobelins étaient heureux de la disparition des Elfes du monde qu’il connaissait, ils ne faisaient pas confiance au roi sorcier. Ils lui reprochaient d’avoir œuvré avec le conseil des Elfes pour obtenir cet exode. Bientôt est née la légende que le roi, pour sa sagesse et ses efforts, avait obtenu une récompense : après sa mort, les Elfes accorderaient à son âme un droit d’entrée dans leur royaume. On raconte qu’ils ont tenu parole. Le conseil des Elfes est apparu quelques moments avant la mort du roi, pour l’emporter, sans que jamais personne ne le revoie, ni ne sache ce qu’il était devenu. Le temps n’existe pas dans le royaume des Elfes, aussi Keagle est-il censé y connaître l’éternité… et même peut-être y retrouver la santé. Certains affirment même qu’il est capable de voir ce qui se passe sur terre, et d’intervenir à l’occasion.

 

Artifex cessa d’écrire.

 

   Je dois admettre, dit-il, que cela paraît être un conte de fées. Une histoire intéressante, mais tout à fait invraisemblable.

 

   Ce garçon est moins idiot qu’il n’y paraît ! déclara Serpentard avec force.

 

   Regardez ! coupa Gryffondor en pointant la fenêtre du doigt. Voici notre petit ami qui revient.

 

Tous se penchèrent en avant, scrutant l’obscurité des bois. Effectivement, ils virent apparaître, au pas de course entre les arbres, une petite silhouette qui laissait derrière les traces d’un coq. Le bonhomme approcha du traineau, bondit en l’air, et atterrit sans effort sur la main tendue de Poufsouffle. Gryffondor tira sur les rênes et arrêta le traineau.

 

   Tu as quelque chose à nous rapporter ? demanda la sorcière.

 

   Oui, répondit le petit bonhomme de pain d’épice. J’ai été poursuivi par trois Moldus, deux sorciers, un renard, quinze cochons, et même un aigle très entêté.

 

Poufsouffle jeta un coup d’œil aux autres occupants du traineau.

 

   D’accord, dit-elle en revenant vers le bonhomme, mais as-tu trouvé la chaumière ?

 

Le bonhomme de pain d’épice inclina très bas sur sa main.

 

   Oui, madame. Il vous faut suivre l’étoile du berger au-delà de cette colline. La chaumière est à l’orée du bois, à peine à cinq minutes d’ici.

 

Gryffondor fit claquer ses rênes, et tourna le traineau dans la direction qu’avait indiquée le bonhomme de pain d’épice. Le traineau bringuebala sur le chemin qui descendait la colline, à travers les arbres qui s’éclaircissaient.

 

   Nous n’avons pas beaucoup de temps, dit-il Il est presque 23:00. Le loup ne va pas tarder à attaquer. Il faut que nous arrivions d’ici quelques minutes.

 

Les occupants du traineau s’accrochèrent aux poignées intérieures tandis que les rennes piétinaient la neige, accélérant le rythme. Puis les arbres disparurent, laissant apparaître des terres couvertes de buissons figés par le gel, qui descendaient jusqu’à une épaisse congère La neige était plus épaisse, et une poudre givrée jaillit, aveuglant le conducteur pendant un moment tendu. Quand elle s’éclaircit, Gryffondor tira brutalement sur les rênes, arrêtant son équipage. Derrière lui, le traineau glissa de côté.

 

   Pourquoi nous arrêter ? demanda Serdaigle en se penchant en avant. Je vois la chaumière, juste devant, au bout de la plaine. Nous pourrions y être en cinq minutes.

 

   Il ne s’agit pas d’une plaine, affirma Gryffondor.

 

Les autres vérifièrent.

 

   Effectivement, reconnut Serpentard, en s’adossant plus confortablement. C’est un lac gelé. Quel dommage ! Jamais il ne supportera notre poids.

 

Le bonhomme de pain d’épice était toujours debout dans la main tendue de Poufsouffle.

 

   Moi, il m’a porté sans problème, indiqua-t-il.

 

Serdaigle s’agita nerveusement dans son siège.

 

   Avons-nous le temps de faire le tour ?

 

   Je ne crois pas, dit gravement Gryffondor. Regardez qui arrive à l’est.

 

   C’est la jeune sorcière, dit Merlin, en plissant les yeux sous le clair de lune.

 

Effectivement, une lanterne qui s’agitait entre les arbres indiquait la progression d’une mince silhouette enveloppée dans une cape rouge, le capuchon baissé sur la tête. De l’autre côté du lac, la jeune fille avançait et s’approchait de sa chaumière.

 

   Alors, mes amis, que faisons-nous ? demanda très vite Poufsouffle. Je refuse que nous soyons venus aussi loin pour constater que la mission de Merlin existe véritablement, et échouer au dernier moment.

 

Quand Gryffondor pivota sur le siège avant du traineau pour regarder les autres, un lent sourire éclaira son visage, au-dessus de son bouc bien taillé.

 

   Moi aussi, dit-il, d’un ton ferme, il y a quelque chose que j’ai toujours voulu essayer.

 

 

   C’est très amusant, je te l’accorde ! cria Poufsouffle dans les bourrasques de vent, mais les rennes doivent être morts de peur.

 

   Pourquoi ? répliqua Gryffondor avec un sourire, les mains fermement agrippées aux rênes.

 

   Et bien, pour commencer, expliqua Serdaigle, je pense qu’ils sont plutôt habitués à avoir les sabots posés sur le sol.

 

Gryffondor haussa les épaules.

 

   C’est grotesque ! affirma-t-il. Je te signale que ce sont des souris, comme Salazar l’a signalé. Ils ne doivent pas avoir suffisamment de cerveau pour se poser ce genre de questions. Ils vont très bien, et nous arriverons avant le moment fatidique.

 

   Je ne voudrais pas être pessimiste, déclara Serpentard en se penchant de côté, mais je crois que nous venons de dépasser le toit de la chaumière en question.

 

Gryffondor freina immédiatement son traineau volant

 

   Oh ! s’écria-t-il. Très bien, nous allons atterrir derrière la chaumière. La jeune Gabriella ne nous verra même pas. Ça me paraît parfait.

 

Le vent hurlait autour du traineau tandis que le sorcier le guidait à travers les airs. Les rennes galopaient avec entrain, leurs sabots sifflant dans le ciel de cette nuit glacée. En descendant, ils traversèrent d’énormes sapins, et approchèrent le toit de la chaumière, éclairé par la lune. Un mince rayon de fumée s’échappait de la cheminée tordue. Juste à côté, comme prévu, il y avait une girouette en fer forgé, très bancale.

 

Avec un brusque rebondut, le traineau atterrit dans le petit jardin et glissa un moment avant de s’arrêter.

 

   Venez vite, maintenant ! dit Serdaigle en haletant. Il faut que nous repérions le loup. J’imagine que nous rendons à cette pauvre créature un service.

 

Poufsouffle toucha sa campagne sur l’épaule.

 

   Attends, Rowena, dit-elle. Nous ne pouvons pas nous précipiter tous dans la chaumière. Rappelle-toi les détails de la mission ! Personne ne doit nous voir. Il nous faut surtout de la furtivité et de la ruse. J’imagine qu’un simple loup-garou moldu n’a pas besoin de nous quatre contre lui.

 

Il y eut un bref moment de réflexion, puis tous les yeux se tournèrent vers Salazar Serpentard. Les yeux de Gryffondor renvoyaient des étincelles sous la lune.

 

   Furtivité et ruse, répéta-t-il. À mon avis, Salazar, c’est votre spécialité.

 

Le sorcier chauve leva les yeux au ciel.

 

   Très bien, je vais le faire, déclara-t-il d’une voix traînante. Mais je refuse de trouver ça drôle. Barde, notez-le.

 

D’un air royal, Serpentard se mit debout à l’arrière du traîneau. Il lissa sa robe épaisse, ajusta son col et son capuchon, puis, dans un brusque mouvement, il se transforma. Artifex avait déjà entendu parler de ce que pouvait faire un animagus, mais jamais encore il n’y avait assisté. Il poussa un gémissement étouffé, et serra sa plume contre sa poitrine.

 

Serpentard jeta dans la nuit un cri aigu et s’envola du traîneau, ses ailes épaisses battant l’air.

 

   Ce n’est pas très joli, commenta Serdaigle avec un léger dégoût, mais je présume qu’être une chauve souris a parfois des avantages.

 

Le vampire avait disparu dans l’obscurité de la nuit. Il apparut un peu après dans un rayon de lune. Quand il atteignit la maison, il grimpa au sommet des murs de pierre, et passa sous le chaume du toit. Plusieurs minutes de silence tendu s’écoulèrent. Dans le traîneau, Poufsouffle se tourna pour regarder Merlin, un sourcil levé.

 

   Que savez-vous vraiment de cette mission de ce soir, Merlinus ? demanda-t-elle.

 

   Comme je vous l’ai dit, répondit-il très calme, c’est le roi qui m’envoie.

 

La sorcière poussa un soupir.

 

A ce moment-là, un tintamarre soudain retentit à l’intérieur de la maison. Il y eut un hurlement étouffé, puis un bruit de lutte sauvage, et tout à coup, un horrible son : de violents spasmes gutturaux. Cinq secondes plus tard, la porte arrière de la chaumière s’ouvrit avec fracas, le panneau explosant en morceaux. Un énorme loup-garou s’écroula dans la neige, comme s’il avait été éjecté par une force surhumaine. Il se remit à quatre pattes, puis traversa le jardin au pas de course, hurlant à la lune, sans jamais regarder en arrière.

 

Dans le traîneau, tous les yeux étaient fixés sur le bois où le loup avait disparu.

 

   Si je ne me trompe pas, dit Serdaigle stupéfaite, ce loup-garou portait une chemise de femme !

 

   À mon avis, c’était une chemise de nuit, corrigea Gryffondor. Et un bonnet. Oui, je suis presque certain que cette bête portait aussi un bonnet de nuit.

 

Une fois de plus, Poufsouffle se tourna vers Merlin, avec une expression sardonique.

 

   Pourriez-vous m’expliquer pourquoi ce loup-garou s’était déguisé avec les vêtements de la grand-mère de cette jeune fille ? demanda-t-elle sèchement.

 

Merlin haussa très lentement les épaules, comme s’il s’agissait de plaques tectoniques.

 

   Je vous avais prévenus, dit-il. C’était un loup-garou plutôt futé.

 

De l’autre côté du jardin, une ombre bougea. Serpentard émergea de la maison, et fit quelques pas nonchalants dans la neige. Soudain, il s’arrêta, comme s’il se souvenait de quelque chose. Il leva sa baguette, se tourna légèrement vers la porte brisée.

 

   Reparo ! dit-il calmement.

 

Les divers morceaux de bois de la porte se recollèrent ensemble, et le panneau retomba dans ses gonds. Peu après, le sorcier chauve s’installait à nouveau dans son siège du traîneau.

 

   Beau travail, Salazar ! commenta Poufsouffle. J’hésite à vous poser la question, mais qu’est devenue au juste la grand-mère de la jeune fille ?

 

   Ah, répondit Serpentard, en ajustant son col. Elle s’en sortira bien. Étrangement, le loup-garou l’avait avalée tout entière. Je l’ai simplement convaincu de la… euh – laisser ressortir. J’ai jeté à la vieille un léger sortilège modifiant sa mémoire, et elle sera convaincue de ne pas avoir quitté son lit de toute la nuit.

 

   Je suis désolé de le dire, Salazar, dit Merlin, mais vous semblez vous être amusé, après tout.

 

   Ce doit être le charme de Noël, marmonna Serpentard, sans croiser le regard de Merlin.

 

Gryffondor reprit les rênes en main et lança son attelage en avant. En silence, le traîneau fit demi-tour dans les bois, en direction du château.

 

 

Une heure après, Merlin quitta le château. Il aimait la neige, et savoura la promenade et l’air froid de la nuit. Ses pieds ne laissaient aucune trace sur le manteau immaculé. Quand se dissipa la luminosité qui entourait Poudlard, l’enchanteur pénétra dans l’obscurité de la forêt. Très vite, il sentit que quelqu’un le regardait, non loin de là. Il s’arrêta sans se retourner

 

   Je vous salue à nouveau, mon roi, dit-il.

 

   Je vous ai déjà dit de ne pas à me nommer ainsi ! répondit une voix légère. Il y a bien longtemps que je ne porte plus de couronne. Maintenant, je porte un bonnet. Et c’est tant mieux. C’est beaucoup plus chaud, surtout quand je viens par ici. Je présume que tout s’est bien passé ?

 

   Vous le savez déjà, répondit Merlin.

 

Cette fois, il se tourna et affronta la silhouette qui venait d’apparaître dans la neige. Kraigle était un homme lourd, à la panse rebondi, à la longue barbe blanche. Il avait un magnifique traîneau – bien plus riche et décoré que la citrouille de Serdaigle. D’énormes rennes nordiques, mieux entraînés et plus efficaces que les souris transformées, s’alignaient en deux files dans les harnais du traîneau.

 

   Le temps est devenu votre jouet, ô mon roi, continua Merlin. Si vous n’aviez pas été certain que nous réussirions, vous ne m’auriez jamais envoyé.

 

   Ne soyez pas grincheux, mon ami, dit Kraigle. Vous saviez parfaitement que je ne pouvais pas vous charger de cette mission. Il ne s’agissait pas uniquement d’empêcher le loup d’attraper la jeune fille. Il était important aussi que les autres s’en chargent. Ils avaient besoin de faire un geste altruiste ce soir.

 

   Et pas moi ?

 

   Merlinus, votre geste altruiste a été de charger quelqu’un d’autre d’une tâche que vous étiez capable d’accomplir. Donc, votre don a aussi été accompli – et apprécié.

 

Merlin détourna les yeux vers les arbres tout proches.

 

   Vous savez, certaines légendes se répandent déjà à votre sujet. Les gens ont remarqué qu’un vieil homme, vêtu de rouge, distribuait des offrandes le soir de Noël aux plus démunis. D’après ce que j’ai cru comprendre, certains moldus laissent des biscuits et du lait près de leurs cheminées pour vous attirer chez eux. Si vous désirez que votre existence reste secrète, vous feriez mieux d’être plus discret.

 

Un rire joyeux retentit dans les bois.

 

   Vous parlez comme mes Elfes, Merlinus, dit le roi. Vous aussi passez votre temps à me dire que je devrais éviter de retourner dans le monde temporel. Mais je ne sors qu’une nuit par an. Qu’est-ce que ça risque ?

 

Merlin fixa les yeux noirs étincelants de joie du gros homme.

 

   Certains finiront par deviner qui leur distribue des cadeaux mon roi, déclara-t-il. Ils se souviendront de la légende de Kraigle. Mais les paysans, au moins, parlent de vous comme d’un saint. Les Moldus ont commencé une autre légende concernant un homme qui vit au pôle Nord… là où l’hiver dure éternellement, là où les elfes ont bâti une cité. Ils se sont trompés sur votre nom, il vous appelle Bredle. (NdT : Petits gâteaux de Noël traditionnels).

 

   Bredle ? répéta le roi, comme s’il goûtait le son de ce mot. Ça me plaît. Je vais peut-être l’utiliser dorénavant. C’est bien mieux que Kraigle. D’ailleurs, ce nom ne correspond plus à rien. Je ne suis plus roi. Je ne suis qu’un vieil homme qui erre le jour de Noël. Vous ne croyez pas ?

 

   Mon ami, ce que je crois ou pas ne compte pas. Je constate simplement que vous m’amusez. Que vous m’amusez infiniment.

 

À nouveau, le vieillard se mit à rire, puis il frappa gentiment Merlin sur l’épaule.

 

   Alors disons que ce sera mon cadeau de Noël pour vous, Merlinus. Vous êtes trop sérieux, mon ami. Bien trop sérieux.

 

Merlin s’écarta, sachant que Kraigle – non, corrigea-t-il, dans sa tête, Bredle – s’apprêtait à repartir. Il ne restait jamais longtemps au même endroit.

 

   Dites-moi, ô mon roi, demanda Merlin en élevant la voix, pourquoi cette fille était-elle si importante ?

 

   Elle l’était parce que tous les êtres sont importants, Merlinus, répondit le vieillard avec force. Vous devriez le savoir.

 

Merlin se contenta de sourire, en levant un sourcil sceptique.

 

   D’autre part, admit Bredle, cette sorcière aura un descendant, dans des milliers et des milliers de lunes. Il s’appellera Potter, et tout le monde (sorcier et moldu) connaîtra son nom. Il sauvera de nombreuses vies

 

   Potter ? Comme le potier du village ? Depuis quand le descendant d’un simple artisan peut-il devenir un sauveur ?

 

Le roi prit ses rênes en mains. A la lumière de la lune, ses joues rouges luisaient et sa barbe blanche resplendissait.

 

   Depuis quand vous préoccupez-vous des raisons qui donnent aux gens le droit d’être sauvés ? répondit-il avec un sourire. Au fait, j’ai bien aimé ce que votre ami Gryffondor a fait avec son traîneau. Je n’avais jamais pensé à faire voler mes rennes. C’est une excellente idée ! Ça me permettrait d’être beaucoup plus rapide. Je vais en parler à mes Elfes, dès mon retour au pôle Nord.

 

Merlin se contenta de secouer la tête, en regardant le gros homme claquer de la langue pour rappeler à l’ordre ses rennes. Tous ensemble, les animaux bondirent, emportant le traîneau si vite que Bredle dut lever la main pour retenir son chapeau.

 

L’homme était plus ou moins fou, pensa Merlin, mais il savait quels cadeaux distribuer pour que Noël soit un jour mémorable.

 

FIN