Après un demi-siècle d’une
rock’n’roll life dont il est devenu, pour le meilleur et pour le
pire, l’Incarnation, après la cosignature d’un nombre d’hymnes dont
on sait par avance qu’ils survivront à un conflit nucléaire
généralisé, l’absorption d’une quantité phénoménale de substances,
de rivières entières de gnôle, et un tabagisme irréductible à
toutes les injonctions sanitaires, Keith Richards est en pleine
forme. Il résume très bien la situation d’un aphorisme à cheval
entre Nietzsche et le Samu : «Ce qui vous tuerait ne me tue pas.»
La position à cheval lui étant d’autant plus naturelle qu’il est
Sagittaire, «moitié homme, moitié cheval, avec autorisation de
chier dans la rue». Moitié homme, moitié bourrin, serais-je tenté
d’ajouter, tant la vie de cet homme - sans parler de sa survie -
est décidément stupéfiante. Voilà des années qu’on s’en étonne, des
années qu’on s’en réjouit. Depuis les années 60. L’acteur Robin
Williams a résumé un jour en une heureuse formule un fait pourtant
considéré comme objectif : «Si vous vous souvenez des années 60,
c’est que vous n’y étiez pas.» Keith, qui n’aime rien tant que
culbuter le sens commun et les idées reçues, y était. C’est le
moins qu’on puisse dire. Et il se souvient de tout. Et nous saute
aussitôt aux yeux - et aux oreilles - que, dans ce tout, il y a une
place pour nous : la mémoire individuelle, unique, de Keith
électrifiant notre mémoire collective à coups de riffs
cinglants.