CHAPITRE XIII











La mise en mouvement de l’année robotique dhelvienne exigeait encore plusieurs heures de préparation avant de pouvoir s’effectuer ; Aldren avait attendu pour donner l’ordre définitif d’être certain que Maklan était bien vivant et prêt à agir de son côté. A partir de cet instant, tout serait facile. Le franchissement de l’abrupte chaîne de montagnes ne poserait pas de problème ; certains modèles parmi les Ouvriers étaient équipés de propulseurs antigravifiques semblables à ceux des Défenseurs. Ils aideraient les autres, les Défricheurs, les Bâtisseurs, les Cultivateurs, les Mineurs dans les passages difficiles. Les arachnoïdes tendraient des câbles de secours, les Constructeurs de route tailleraient des plates-formes intermédiaires, déblaieraient les obstacles gênants. Toute cette phase du passage sur l’autre versant ne prendrait que trois ou quatre heures étant donné la puissance extraordinaire dont disposaient les robots ainsi que la parfaite coordination de leurs mouvements contrôlés à chaque nanoseconde par le D.A. C’était lui, le grand ordinateur central, qui allait nécessiter un délai supplémentaire ; le Terrien tenait à ce qu’il progresse en même temps que le front d’attaque au lieu de rester provisoirement dans l’ancienne base pour synchroniser de loin l’action des machines. Seulement cette énorme armoire ne possédait aucun moyen de déplacement autonome ; en outre elle était beaucoup trop massive et trop lourde pour être facilement transportée. Il aurait fallu consacrer à cette tâche au moins une dizaine de Défenseurs volants et ceux-ci étaient beaucoup plus utiles sur les ailes et sur l’axe de la percée. Unique solution : confier aux Techniciens le soin de le démonter section par section, réassembler celles-ci une étape plus loin, recommencer plusieurs fois le jeu jusqu’à ce qu’on puisse installer l’ordinateur central dans l’un des hangars de Maklan. Certes, on emprunterait l’itinéraire le plus direct et on éviterait le difficile franchissement des arêtes sommitales en passant par le tunnel où Aldren avait bien failli perdre la vie ; les robots mineurs élargiraient le passage et feraient sauter le bouchon de l’entrée en un clin d’œil mais, tout de même, ce serait très beau si on arrivait pour l’heure de midi fixée par Aldren. Cependant son estimation se révéla bonne, le retard final ne fut que de dix minutes. Il est vrai que, pour une fois, le temps s’était à peu près mis au beau ; la pluie avait cessé et, profitant d’une grande trouée déchirant les nuages, le soleil s’était mis de la partie.


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Maklan était debout sur le terre-plein extérieur, attendant l’arrivée de son ami. Diya avait voulu en faire autant mais lorsque les trois premières libellules géantes plongèrent à la verticale en serrant dans leurs tentacules des corps humains, la sœur de Jirza poussa un hurlement de frayeur, se précipita tête basse à l’intérieur de la maison pour ne plus voir cet horrible spectacle. Le technicien dut faire un effort héroïque pour ne pas l’imiter, surtout lorsque, presque en même temps, la première ligne d’assaut sortit des bois dans un grand fracas de branches brisées et de troncs arrachés. Elle était formée par les Défricheurs dont les multiples bras articulés fauchaient et pulvérisaient impitoyablement tout ce qui s’opposait à leur avance, ouvrant une trouée large d’une centaine de mètres que d’autres fantastiques géants de métal aplanissaient immédiatement derrière eux en broyant des quartiers de roc de plusieurs tonnes et en éparpillant leurs débris pour en faire un solide macadam. L’hercule roux poussa un soupir de soulagement en voyant Aldren et Jirza que les monstrueux insectes avaient libérés sains et saufs avec une attentive douceur, s’avancer mains tendues vers lui. Accompagnés par une troisième personne, celle dont son camarade lui avait annoncé la venue et qu’il contempla avec une intense stupeur. Enfin il rencontrait son double : une femme aussi grande, aussi musclée, aussi rouquine que lui ! Comme elle était belle !

Aldren jeta un regard amusé sur la scène. Enoora s’était arrêtée net à la vue de Maklan, le détaillait des pieds à la tête d’un regard qui s’illuminait et, pour la première fois depuis qu’il la connaissait, elle se mit à sourire…

Remettez-vous, tous les deux, fit-il. Vous aurez tout le temps de faire plus ample connaissance. Pour le moment, l’action doit continuer sans s’interrompre. Mon esclave préféré arrivera d’un instant à l’autre… Tenez, le voici !

Une nuée tourbillonnante s’abattit, se dirigea vers le hangar, où bientôt des cubes métalliques s’empilèrent, s’assemblèrent comme par magie pour former un bloc géant dont la face s’orna de trois yeux lumineux : un bleu, un vert, un blanc.

D.A., énonça calmement Aldren, je te présente mon second, Maklan. Tu connais déjà sa voix.

Identification phonétique enregistrée et classifiée, Maître. Veuillez lui demander de me brancher sur un courant de cinquante ampères, le voyage a presque vidé mes accus…


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La deuxième phase de la percée dhelvienne n’avait attendu pour se déclencher que le temps nécessaire à la réinsertion des étages de l’ordinateur central dans leur carter, leurs reconnections et leur réactivation, soit neuf minutes à la cadence de seulement cent vingt raccordements de circuits à la seconde ; mais il était inutile de se hâter. L’armée des robots se remit en marche à 12 heures 24 ; à 14 heures 16, l’investissement de l’objectif était accompli ; à 14 heures 57 l’occupation totale de Shant-City était achevée. Sans dégâts sérieux et sans pertes notables du côté des habitants de la concession et encore ces incidents de parcours n’étaient-ils que la conséquence inévitable de la panique : des fuyards affolés s’écrasant mutuellement pour tenter de fuir vers la campagne. Uniquement des colons d’ailleurs et seulement ceux qui s’estimaient trop supérieurs aux indigènes pour avoir noué des liens d’amitié avec eux ; la rumeur annonciatrice de l’événement n’avait donc pu les toucher. Parmi ces inconditionnels raciaux et à leur tête, se trouvaient évidemment Welsh et Trigg.

Les grands robots indestructibles, en repartant du chalet de Maklan, avaient divergé en deux colonnes, une vers la droite, une vers la gauche, de façon à encercler la ville et ses faubourgs pour ensuite se refermer comme les deux branches d’une tenaille tout à l’autre bout, à l’extrémité sud de l’astroport. Après la soudure de la poche, des éléments secondaires – en particulier des araignées du service général d’entretien et de liaisons – s’étaient rabattus vers l’intérieur par les rues latérales de façon à quadriller totalement le terrain et matérialiser la prise de possession. Quelques pionniers téméraires avaient tenté de réagir et de s’opposer à ce fulgurant envahissement, ce n’avait été qu’un baroud d’honneur, car les balles de leurs pistolets, de leurs fusils ou de leurs mitraillettes rebondissaient sur les carapaces des assaillants sans les entamer ; en revanche ceux-ci se contentaient de repousser les gêneurs d’un coup de patte, de tentacule ou de bras télescopique pour n’avoir pas à dévier de leur chemin programmé. Ce n’était pas leur faute si dans cet indispensable déblaiement, les machines étaient incapables de faire la différence entre un quartier de roc, un arbre ou un être humain : ceux qui ne s’écartaient pas assez vite du fauchage avaient de la chance s’ils s’en tiraient avec simplement une ou deux jambes cassées.

Ce fut en tout cas une inoubliable démonstration d’efficacité dont les récits se perpétueraient longtemps dans les annales galactiques. Tout y concourait : l’effet foudroyant de la surprise, l’affolante terreur provoquée par la vue de ces monstres invincibles, la taraudante sensation d’impuissance devant l’apocalyptique ruée des robots. Le découragement eut bientôt raison des dernières résistances ; on finit aussi par réaliser que non seulement ces fantastiques machines ne crachaient ni feu ni flamme, même pas de rayons désintégrants ni de gaz toxiques, mais que, lorsqu’elles avaient atteint un carrefour ou tout autre position stratégique, elles s’immobilisaient et semblaient demeurer ensuite complètement indifférentes à tout ce qui les entourait. Chacun ne songea dès lors qu’à se terrer dans le plus proche abri sans songer à remarquer qu’aucun Thiit n’avait paru dans la bagarre. Trop poltrons sans doute ?…

Il allait de soi que cette épithète ne pouvait s’appliquer à des grands chefs comme Welsh et Trigg, le second ayant rejoint le premier précipitamment dans son bureau dès les premiers échos de l’offensive. Leur devoir était de tenir conseil derrière portes et volets hermétiquement fermés ; foncer en aveugle sur l’ennemi était l’affaire de la troupe, pas celle du haut commandement. Quand le silence revint sur la ville, le shérif hasarda un coup d’œil au-dehors, tourna vers son patron un visage lugubre.

Nous sommes cernés, fit-il d’un ton lamentable. Ces… ces choses sont là, sur le trottoir. Qu’est-ce qu’on fait ?

Rien, soupira Welsh. Si tu veux jouer les héros, libre à toi. Moi, je ne bouge plus d’ici. Je comprends ce qu’avait voulu dire ce traître du Maklan en annonçant qu’Aldren allait revenir et qu’il ne serait pas seul. Où il a pu trouver de pareils alliés, je ne veux même pas essayer de le savoir pour le moment, à lui de nous le dire s’il le veut, quand il viendra ici. Ça ne tardera probablement plus beaucoup, maintenant.


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Aldren ne se fit en effet pas attendre longtemps. Il frappa poliment à la porte que, sur un coup d’œil impératif de son grand patron, le shérif ouvrit.

Mission terminée, annonça-t-il comme si c’était la chose la plus naturelle du monde. Je suis navré d’avoir dû prendre des précautions plutôt spectaculaires pour assurer ma propre sécurité pendant mon retour, mais c’est bien de votre faute, Welsh. Vous aviez ordonné à votre séide Gordy de me liquider dès que je serais arrivé au but convenu ; le maladroit m’a raté, les atouts sont désormais entre nos mains. Je vous conseille de ne pas tenter de faire mieux que votre défunt complice, mes gardes du corps ont beau être à l’extérieur de votre baraque, ils réagissent automatiquement au milliardième de seconde et même au travers d’un mur…

Welsh haussa imperceptiblement les épaules, riva ses yeux pâles dans ceux d’Aldren. L’homme était d’une trempe exceptionnelle, même dans la défaite il gardait sa maîtrise et son impassibilité.

D’où viennent ces robots géants qui vous obéissent ? interrogea-t-il.

D’un monde très lointain. Le vaisseau spatial qui les transportait a fait naufrage sur Yuma derrière la chaîne de montagnes, bien avant que vous n’arriviez ici et même que nos arrières-grands-parents lancent leur première fusée dans l’espace. Ils se sont installés sur les lieux où le hasard les avait jetés, ils y ont établi leur base conformément à leur programmation, ensuite ils n’en ont plus bougé. Seul un maître humain pouvait leur dicter un autre comportement ; ils l’ont attendu.

Et c’est vous qui êtes devenu ce maître ?

J’ai eu cette bonté. D’excellents serviteurs, ne pensez-vous pas ?

Et le gisement des pierres radieuses se trouvait justement dans la même région ?

Et comment ! Des centaines et des centaines ! Soyez sans inquiétude. Je suis décidé à oublier la lâcheté de votre conduite à mon égard. Je serai noble et généreux, je vous rendrai le bien pour le mal. Trigg et vous aurez votre part du trésor, une part d’une incalculable richesse. Vous pourrez l’emporter, je vous le promets formellement. Quand le cargo arrivera-t-il ?

Demain matin. Le message annonçant qu’il avait quitté sa dernière escale a été capté il y a trois heures, peu avant votre… démonstration. Je suppose que votre volonté est que nous quittions Yuma à son bord ?… Après avoir reçu le cadeau en question ?

Exactement, Welsh. Votre place n’est plus ici. Vous êtes bien d’accord sur ce point ? La concession ne s’en portera que mieux.

Le patron déchu hocha la tête, une lueur de curiosité aviva ses prunelles immobiles.

Qui êtes-vous en réalité, Aldren ? Sûrement pas celui que vous avez prétendu être…

Que vous importe, mon cher ? Disons seulement que je suis maintenant celui qui mène le jeu. Je reviendrai vous chercher pour vous conduire à l’astroport quand Tchen-to aura posé sa baille. En attendant, vous ne bougerez pas de cette maison ni l’un ni l’autre. A moins que vous n’ayez envie de vous suicider… Bonsoir.


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Aldren tint parole. Il vint quérir ses prisonniers à neuf heures du matin au volant du véhicule tout terrain abandonné la veille par Trigg devant l’entrée de la banque. Semblables à des motards escortant la voiture d’un président en visite, quatre araignées véloces encadraient la marche triomphale ; trois libellules géantes planaient majestueusement au-dessus en impeccable formation triangulaire.

En débouchant sur le terrain, le shérif et son patron ouvrirent de grands yeux. Une trentaine de robots de toutes tailles et de tous modèles s’activaient avec une stupéfiante rapidité autour du cargo, vidant les soutes de leur contenu pour le transporter dans le hangar aux marchandises. Dès le nettoyage terminé, ils commencèrent à s’engouffrer à l’intérieur bientôt suivis par leurs congénères dont certains étaient de trop grandes dimensions pour passer par les panneaux ; ceux-là étaient méticuleusement démontés avant d’être introduits et arrimés. Enfin il n’en resta plus que quelques-uns pour veiller aux derniers préparatifs. Entre autres un container vertical de quatre mètres de haut. Aldren poussa Welsh et Trigg devant cette masse métallique, se tourna vers elle.

Comme tu le vois, D.A., j’ai définitivement choisi le second terme de l’alternative. Tu vas pouvoir reprendre ta route jusqu’à la destination première que la Haute Assemblée de Dhelvi avait fixée. La condition nécessaire est résolue : le vaisseau est là. Le pilote humain demeurera aux commandes, précisa-t-il en désignant d’un geste le visage livide de Tchen-to debout à l’entrée du poste de navigation. S’il s’y refusait ou tentait d’orienter la course vers une autre destination que celle qui est inscrite dans ta mémoire, tu l’enfermerais au fond de la soute et un de tes Techniciens désigné par toi prendrait sa place. Enregistré ?

Affirmatif.

Bien. Je ne participe pas à ce voyage, toi seul sera responsable de l’exécution de mes ordres. Après l’atterrissage, le vaisseau sera entièrement démembré, ni lui ni un autre ne devra jamais être reconstruit. Alors seulement les programmes d’installation et d’exploitation de la planète pourront être entrepris sous la direction de ton nouveau Maître, l’humain que tu vois à ma gauche et qui se nomme Welsh.

Je me conformerai à vos instructions, Maître Aldren. Après achèvement du programme mes circuits s’ouvriront aux paroles du Maître Welsh…


Un quart d’heure plus tard, la nef décollait, disparaissait au-delà du plafond des nuages. Pour ne plus jamais revenir ; on peut faire confiance à un robot, il obéit toujours rigoureusement aux ordres qu’il a reçus…


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Les pionniers d’outre-espace sont gens qui se remettent vite de leurs émotions ; quand Aldren, l’embarquement terminé, revint dans la petite bourgade, l’aspect de Shant était presque redevenu normal. Il y avait même comme un air de fête dans l’animation qui y régnait ; le saloon était plein à craquer et des toasts s’échangeaient joyeusement de table à table : « Bon voyage au grand patron et à son sbire et surtout qu’on ne les revoie plus jamais » !… Maklan l’attendait à l’entrée, l’entraîna dans le petit bar privé où Enoora et Jirza les accueillirent.

Buvons à la victoire ! proposa le technicien. Tous les quatre nous l’avons bien méritée ! Ça n’a pas été commode…

Les atouts ont eu la gentillesse d’entrer les uns après les autres dans notre jeu grâce à chacun de vous, répondit Aldren après avoir vidé son verre. Au fond, dans cette aventure, c’est moi qui ai eu le moins de mérite ; j’étais le pauvre type qui tombait droit dans tous les pièges qui s’offraient. Sans Jirza j’étais grillé vif sur le bûcher des Nahos, sans Maklan j’étais trucidé par Gordy, sans Jirza encore je recevais sur le crâne cinq cents tonnes de granit, sans les super-techniques médicales du robot-toubib, je ne serais qu’un squelette fracassé au fond du gouffre de la caverne. Enoora aussi a droit à ma gratitude. Si elle n’avait pas enrayé la glissade dans le couloir de glace, c’était définitivement le requiescat in pace sans fleurs ni couronnes.

J’y étais bien obligée, répondit la géologue centaurienne. C’était ça ou redégringoler en dix secondes ce que nous avions mis quatre heures à monter. De toute façon j’étais responsable de vous puisque c’était moi qui vous avais attiré dans le territoire dhelvien avec l’appât des pierres radieuses. J’aurais eu votre mort sur la conscience… Mais ne soyez pas si modeste, Aldren, c’est quand même vous qui avez trouvé la solution finale. Réussir du même coup à expédier l’armée robotique de Dhelvi loin de Yuma et à débarrasser la concession terrienne de ses indélicats exploiteurs, c’est un beau boulot !

Ça, ça ne demandait pas grand effort d’imagination : il suffisait de faire coïncider deux intentions parallèles. Les robots ne demandaient qu’à reprendre leur voyage vers l’autre bout de la Galaxie ; Welsh, Trigg et aussi le pirate Tchen-to voulaient se bourrer les poches de joyaux sans prix. Tout le monde est content.

C’est un point de vue… Mais il y a quand même un petit détail que j’aimerais bien connaître. Vous et Maklan, quel est finalement votre intérêt dans cette histoire tordue ?

Aldren contempla en souriant le couple des deux géants roux assis très près l’un de l’autre en face de lui, le bras du technicien possessivement refermé autour des épaules de la géologue. Une vieille légende circassienne prétend que le monde est composé d’oranges coupées en deux dont chaque moitié cherche éperdument l’autre sans y réussir la plupart du temps ; il semblait bien que, pour une fois, le miracle se soit produit. Seulement, dans le cas présent, il ne s’agissait pas d’une orange mais plutôt d’une citrouille.

Explique-lui, fit-il à l’adresse de son camarade.

C’est ultra-confidentiel, mais puisqu’il le veut… Nous faisons tous deux partie d’une organisation tellement secrète que nous ne savons même pas combien nous sommes. Chacun de nous ne connaît que deux ou trois autres membres de la « bande », un peu plus dans le cas d’Aldren car il est dans l’un des compartiments du haut. Nous sommes des « trouble-shooters » ; c’est un vieux mot anglo-saxon qui signifie à peu près des types dont le boulot est de balayer les obstacles et supprimer les emmerdements. On s’y prend comme on peut, tous les moyens sont bons, même et surtout s’ils sont illégaux. Si l’on réussit, on a droit à une prime ; si on échoue, personne ne nous connaît. Personne ne vient à notre secours, nous sommes rayés de la liste. Ni vu ni connu. On nous laisse tomber et on prend les suivants. C’est régulier et comme d’autre part c’est très bien payé, on marche. Quand on aime l’aventure, tu comprends…

Oui, je comprends. Personnellement, ça me plairait bien.

C’est une chance, parce que maintenant que tu sais la vérité, nous devons faire en sorte que tu ne la répètes pas au-dehors. Il n’y a que deux moyens pour ça. Ou bien on te tue, ou bien tu deviens des nôtres.

Encore une alternative ? Pas de problème, j’accepte la seconde solution ; je demande seulement avant de signer le contrat à faire équipe avec toi, grande brute ! Mais dis-moi encore une chose : quelle était votre mission ici ? Quel « trouble » êtes-vous venus « shooter » ? Le trafic des pierres radieuses ?

Des fausses pierres radieuses, fit Aldren. Des imitations tellement parfaites que tout le monde s’y trompait. Dès l’instant où quelqu’un avait réussi la synthèse, le marché était foutu ; les cours risquaient de dégringoler si bas qu’on serait obligé de les vendre à la criée sur les places publiques. Ce sont les grandes compagnies minières et l’union des banques fédérales qui nous ont demandé de rétablir l’ordre et de sauver leurs bénéfices. Les chrysobéryls mimétiques continueront à coûter cent mille crédits et demeureront l’apanage des femmes des capitalistes au lieu de servir de parure à de simples petites dactylos ; la morale de caste est sauvée…

Que faisons-nous maintenant ? demanda Maklan.

On expédie notre rapport et tu demandes à la bande d’envoyer une spatio-vedette te chercher ainsi qu’Enoora. Son recrutement ne soulèvera aucune difficulté puisqu’elle est officiellement morte depuis près de trois ans. Nous aurons probablement l’occasion de nous retrouver dans quelque temps quelque part ailleurs pour reprendre le jeu sous une autre forme.

Tu restes à Shant pour le moment ? Pour t’amuser à réorganiser la concession en attendant l’arrivée d’un nouvel administrateur ?

Je m’en fiche bien de la concession ! Je prends les vacances auxquelles j’ai droit comme tous les copains après cinq missions. Et puis n’oublie pas que je suis marié, ici. J’ai même deux femmes dont la seconde doit pleurer toutes les larmes de son corps en m’attendant. Pardessus le marché, je suis un dieu à cinquante kilomètres plus au nord. Mon devoir divin est de ranimer la flamme sacrée dans le cœur de mes fidèles. Et aussi de les débarrasser d’un certain grand sorcier avec qui j’ai un compte personnel à régler. Tu viens, Jirza ?…