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Vous êtes les produits d'une époque. Non. Trop facile d'incriminer l'époque. Vous êtes des produits tout court. La mondialisation ne s'intéressant plus aux hommes, il vous fallait devenir des produits pour que la société s'intéresse à vous. Le capitalisme transforme les gens en yaourts périssables, drogués au  Spectacle, c'est-à-dire dressés pour écraser leur prochain.

Pour vous licencier, il suffira de faire glisser votre nom sur l'écran jusqu'à la corbeille, puis de sélectionner « vider la corbeille » dans le menu « Spécial » : l'ordinateur demandera alors « Souhaitez-vous supprimer définitivement cet élément? Annuler. OK. » Pour vous escamoter, il suffira de cliquer sur « OK ». Autrefois, une pub disait « Un petit clic vaut mieux qu'un grand choc », mais à présent un petit clic provoque un grand choc.

Quitte à être un produit, vous aimeriez porter un nom imprononçable, compliqué, difficile à mémoriser, un nom de drogue dure, couleur caca, être un acide très puissant, capable de dissoudre une dent en une heure, un liquide trop sucré, au goût bizarre, et, malgré tous ces défauts évidents, rester la marque la plus connue sur terre. Vous aimeriez être une cannette de Coca-Cola empoisonnée.


En attendant, si vous étiez Charlie Nagoud dans sa chambre d'hôtel, vous surferiez sur différents sites sexuels, et vous seriez très content de télécharger une vidéo « distrayante » (comme vous dites toujours), représentant une jeune Asiate qui suce un cheval avant de vomir un litre de sa semence, et cela vous ferait penser qu'il est grand temps de faire votre toilette pour être beau à la cérémonie de remise des Lions mondiaux. Seulement voilà : Odile, qui ne serait plus stagiaire mais AD senior récemment promue, occuperait la salle de bains depuis environ trois quarts d'heure.


Et si vous étiez Octave Parango, vous seriez devant la grande salle du Palais des Festivals, vous savez, le gros blockhaus d'inspiration néo-nazie au bout de la Croisette, là où les vedettes montent les marches à Cannes sous la mitraille des photographes. Vous seriez en train de poireauter au milieu d'une foule de pubeux de tous les pays du monde, en smokings loués, qui se préparent à assister à la remise des trophées autocongratulés. Vous entendriez le brouhaha, vous humeriez les parfums capiteux et les sudations terrorisées. Vous contempleriez la plage, son sable fin, ses yachts blancs. Vous auriez beau vous retourner, vous ne verriez pas deux mille ans derrière vous mais un con de Hollandais. Vous regarderiez de nouveau le sable vieux de cinquante mille ans et qui se fout de votre gueule. Que sont deux millénaires face à du sable? Ce n'est pas parce que vous êtes né quelques années avant un changement de calendrier qu'il faut en faire tout un plat.


Vous savez que vous vous en sortirez toujours. Il suffit d'une idée. Vous trouverez toujours une bêtise pour vous remettre dans le coup : vendre aux gens des films pornos où ils feront l'amour avec leurs parents reconstitués en images de synthèse, parachuter du yaourt allégé Maigrelette sur un pays affamé, lancer une drogue en suppositoire, ou un suppositoire en forme de godemichet, proposer à Coca-Cola de teindre sa boisson en rouge pour économiser les frais d'étiquetage, dire au Président des Etats-Unis de bombarder l'Irak à chaque fois qu'il a des problèmes de politique intérieure, proposer à Calvin Klein de lancer des aliments transgéniques, à Madone de dessiner des vêtements bio, à Bill Gates de racheter tous les pays pauvres, à Nutella de fabriquer du savon au praliné, à Lacoste de commercialiser de la viande de crocodile sous vide, à Pepsi-Cola de créer sa chaîne de télé bleue, au groupe Total-Fina-Elf d'ouvrir des bars à putes dans toutes ses stations-service, à Gillette de lancer un rasoir à 8 lames... Vous vous en sortirez toujours, pas vrai?


Alors zou, entrez dans la danse.