XXVIII

Un long silence régna dans la sinistre maison.

« Il y a quelque chose qui ne va pas, dit enfin l’un des détectives. La jeune femme a bien accusé son mari, pourtant ? »

Tim poussa un soupir et s’essuya le front.

« Tout ça ne me paraît pas très vraisemblable, dit-il. D’après Miss Grier, il se trouvait de l’autre côté de cette porte qu’il essayait d’enfoncer pendant qu’elle s’enfuyait du garage. »

Il se dirigea vers la porte ; elle s’ouvrit dès qu’il eut tourné le loquet et il arriva dans l’étroit couloir dont la jeune fille lui avait parlé. Il le suivit, aboutit à une autre porte qui n’était pas plus verrouillée que la première. Grâce à sa lampe de poche, il découvrit immédiatement l’interrupteur et alluma. La pièce où il était une cuisine.

Les méthodes de Lew Daney étaient immuables et ses itinéraires de fuite comportaient toujours la succession de la cuisine et du garage.

Il n’y avait rien dans cette pièce, sauf un poêle et les reliefs d’un repas hâtif visiblement préparé par un amateur : des assiettes grasses contenant encore des restes d’œufs au jambon, un verre, une bouteille de bière vide.

Tim s’en fut dans la pièce suivante, sorte d’office plutôt mal tenu, puis s’engagea, après avoir escaladé quelques marches, dans un petit hall parallèle au couloir d’entrée de la maison. Il donnait accès à trois pièces, toutes trois meublées et qu’on venait certainement d’habiter.

L’une d’elles l’intéressa particulièrement. Les fenêtres en étaient grillagées et le mobilier se composait d’un lit, d’une commode et de deux chaises. Des traces de poudre de riz et un bâton de rouge se trouvaient encore sur la commode et l’un de ses tiroirs contenait une paire de bas de soie noués ensemble. Un parfum exotique flottait dans l’air. Une femme venait de vivre là. Mais il ne trouva aucun autre objet, fût-ce même une brosse à dents, susceptible de dévoiler son identité.

Assisté de deux détectives et pendant que le troisième avait été téléphoner à Scotland Yard, Tim se livra à une inspection méticuleuse et méthodique de l’appartement, mais il ne découvrit plus qu’un paquet de cartouches pour pistolet automatique, non décacheté. Il fouillait à nouveau le bureau à tambour placé dans la salle à manger et dans lequel il avait fait cette trouvaille lorsqu’il se souvint de Martha. Elle devait attendre des nouvelles à l’étage supérieur. Il envoya l’un de ses hommes lui en porter, mais celui-ci revint en annonçant qu’elle avait disparu.

« Elle a dû nous suivre dans le garage, capitaine Jordan, dit-il. En tout cas, quelqu’un est passé après nous et a laissé la porte grande ouverte, car je suis bien sûr de l’avoir fermée en vous rejoignant. »

Peu de temps après cet incident, arriva un docteur accompagné d’une voiture d’ambulance. Il fit un rapide examen du corps. Awkwright avait été tué à bout portant de deux balles dans le dos.

« L’assassin est probablement venu par-derrière et l’a surpris sans qu’il ait le temps de se défendre… »

Wheeler fut le premier homme de Scotland Yard qu’on vit arriver sur le terrain. Il émit tout de suite une théorie avec assez d’emphase. C’était également celle de Tim.

« Deux hommes ont été tués ici cette nuit. Miss Grier a vu le premier qui n’était évidemment pas son mari, puisque celui-ci vivait encore lorsqu’elle s’est enfuie du garage. Les deux balles qui ont supprimé Awkwright ont été tirées de l’autre côté de la petite porte sur laquelle il s’acharnait, je viens de les retrouver. Il devait faire trop de bruit au gré de notre ami le tueur, qui l’a descendu sans pitié. Quel était l’autre homme ? C’est à nous de le découvrir.

– Et de découvrir aussi la femme, suggéra Tim.

– Quelle femme ? demanda Wheeler.

– Il est évident que Mrs. Daney a habité ici et qu’elle était enfermée dans la chambre aux fenêtres grillagées. »

Wheeler examina la pièce.

« En tout cas, elle est partie volontairement et sans qu’il ait été nécessaire de lui faire violence. Le lit est fait et les tiroirs ont été vidés sans hâte. Elle n’a pas essayé de se sauver. Le bâton de rouge que vous avez trouvé est ancien, presque usé ; l’un des bas est craqué et la paire a été mise au rebut.

– N’y a-t-il pas de marque de blanchissage, » demanda Tim.

Wheeler sourit.

« On voit bien que vous ne connaissez guère les femmes. Les bas sont la seule chose qu’elles ne confient presque jamais à une blanchisseuse. Non, ceux-ci sont complètement usés et inutilisables à tous points de vue. Nous n’en tirerons rien, pas plus que de n’importe quels bas.

Le lendemain, dans la matinée, Wheeler se rendit à l’hôpital et interrogea Mary Grier. Elle était tout à fait remise et elle apprit avec calme la mort de son mari. Quand il lui demanda si ce n’était pas lui qu’elle avait vu, étendu dans le garage, elle secoua la tête.

« Non, ce n’était pas lui. »

Il lui suggéra qu’elle pouvait être victime d’une défaillance de mémoire, mais elle demeura très nettement affirmative.

« J’ai parfaitement vu le cadavre d’un autre homme, j’en suis certaine. »

Elle ne put donner de la voiture qu’elle avait également vue qu’une vague description, mais elle leur fournit par contre un important renseignement. Elle s’était toujours levée de très bonne heure pendant son séjour dans l’immeuble Jennings et elle avait passé le plus clair de son temps à la fenêtre. La veille, de très bon matin, elle avait vu une Rolls passer derrière le mur.

« Une Rolls ? répéta Tim pensivement. Ça me dit quelque chose... Qui la conduisait ? »

Elle n’avait pu distinguer le conducteur et elle n’était même pas certaine que la voiture sortait du garage.

« D’où vouliez-vous qu’elle vienne ? L’avez-vous vue rentrer ?

– Non, » dit-elle.

Elle compléta ce renseignement d’un autre plus significatif encore. Le spider était ouvert comme s’il contenait des bagages. Elle avait vu la voiture entre six et sept heures du matin. C’était une machine splendide qui paraissait neuve.

« J’y suis, s’exclama Tim en regardant Wheeler. C’est la voiture de Mrs. Daney, je la connais, je l’ai vue en Écosse. »

Wheeler fit un geste d’impatience.

« Que diable ne m’avez-vous dit cela plus tôt, capitaine Jordan ! J’aurais fait une enquête auprès de tous les garagistes. Enfin, peut-être n’est-il pas trop tard. Elle a dû garer sa voiture quelque part et il n’y a pas tant de femmes qui se trimballent en Rolls. Avait-elle l’air pressée ?

– Non, dit Mary.

– Hum ! murmura Wheeler. Ça ne ressemble pas beaucoup à une fuite, cette histoire. On dirait plutôt… Avez-vous vu les bagages ? C’était peut-être un ballot ?

– Je n’en sais absolument rien. Je n’ai vu que le spider à demi ouvert et c’est parce que la ligne de la voiture en était déformée que je l’ai remarqué. »

Le premier soin de Wheeler avait été de faire publier dans la presse un signalement détaillé de Martha et les premières éditions du soir la priaient de bien vouloir se présenter au quartier général de la police. Cet appel n’obtint aucune réponse. Tim, en se renseignant auprès du notaire, apprit que le jeune Awkwright avait en banque un compte très important dont le montant, atteignant près de huit mille livres, avait été retiré la veille par Martha. Cependant, on ne retrouva pas un centime, ni dans la maison, ni dans les poches du mort.

De plus, il fut tout aussi impossible de retrouver les effets personnels de Martha. Elle devait évidemment avoir préparé sa fuite de longue date afin d’être prête à parer à l’écroulement de ses projets.

Le notaire expliqua bien des choses à Tim.

« Elle a dû se faire un joli magot en gardant ce garçon. Le vieil Awkwright était d’une extraordinaire générosité avec son fils. Il prétendait qu’il était parfaitement sain d’esprit et tout à fait capable de gérer sa fortune, héritage de sa mère. Martha s’est copieusement servie et c’est pourquoi vous aurez du mal à la retrouver. »

Tim rentra au Carlton dans l’après-midi, très fatigué. Il prit son bain et il était en train de fermer les rideaux de sa chambre pour se coucher lorsqu’on lui apporta un télégramme. Il le lut et demeura médusé.

« Je reviendrai demain. J’aimerais vous voir, » disait ce télégramme, qui émanait de Mrs. Daney et était daté de Paris.