Le marché de Cholet.—Arrivée à Paris.—Histoire du capitaine Villedieu.
En quittant Nantes, je marchai pendant un jour et deux nuits sans m'arrêter dans aucun village, mes provisions m'en dispensèrent; j'allais au hasard, quoique toujours décidé à gagner Paris ou les bords de la mer, espérant être reçu à bord de quelque navire, lorsque j'arrivai aux premières habitations d'une ville qui me parut avoir été récemment le théâtre d'un combat. La plupart des maisons n'étaient plus qu'un tas de décombres noircis par le feu; toutes celles qui entouraient la place avaient été complètement détruites. Il ne restait debout que la tour de l'église, où l'horloge sonnait encore les heures pour des habitants qui n'existaient plus. Cette scène de désolation présentait en même temps les accidents les plus bizarres. Sur le seul pan de mur qui restât d'une auberge, on lisait encore ces mots: Bon logis, à pied et à cheval; là, des soldats abreuvaient leurs chevaux dans le bénitier d'une chapelle; plus loin, leurs camarades y dansaient au son de l'orgue, avec des femmes du pays, que l'abandon et la misère forçaient à se prostituer aux bleus pour un pain de munition. Aux traces de cette guerre d'extermination, on eût pu se croire au milieu des savanes de l'Amérique ou des oasis du désert alors que des peuplades barbares s'égorgeaient avec une rage aveugle. Il n'y avait pourtant eu là, des deux côtés, que des Français, mais tous les fanatismes s'y étaient donné rendez-vous. J'étais dans la Vendée, à Cholet.
Le maître d'un misérable cabaret couvert en genêts, dans lequel je m'étais arrêté, me suggéra un rôle, en me demandant si je venais à Cholet pour le marché du lendemain. Je répondis affirmativement, fort étonné d'abord, qu'on se réunît au milieu de ces ruines, ensuite que les cultivateurs des environs eussent encore quelque chose à vendre; mais l'hôte me fit observer qu'on n'amenait guères à ce marché que des bestiaux de cantons assez éloignés; d'un autre côté, quoiqu'on n'eût encore rien fait pour réparer les désastres de la guerre, la pacification avait été presque terminée par le général Hoche, et si l'on voyait encore des soldats républicains dans le pays, c'était surtout pour contenir les chouans, qui pouvaient devenir redoutables.
Je me trouvai au marché de grand matin, et, songeant à tirer parti de la circonstance, je m'approchai d'un marchand de bœufs, dont la figure me revenait, en le priant de m'entendre un instant. Il me regarda d'abord avec quelque méfiance, me prenant peut-être pour quelque espion, mais je m'empressai de le rassurer en lui disant qu'il s'agissait d'une affaire purement personnelle. Nous entrâmes alors sous un hangard où l'on vendait de l'eau-de-vie; je lui racontai succinctement, qu'ayant déserté de la 36e demi-brigade pour voir mes parents, qui habitaient Paris, je désirais vivement trouver une place qui me permît de me rendre à ma destination sans crainte d'être arrêté. Ce brave homme me répondit qu'il n'avait pas de place à me donner, mais que si je voulais toucher (conduire) un troupeau de bœufs jusqu'à Sceaux, il pourrait m'y emmener avec lui. Jamais proposition ne fut acceptée avec plus d'empressement. J'entrai immédiatement en fonctions, voulant rendre à mon nouveau patron les petits services qui dépendaient de moi.
Dans l'après-midi, il m'envoya porter une lettre chez une personne de la ville, qui me demanda si mon maître ne m'avait pas chargé de rien recevoir: je répondis négativement: «C'est égal,» me dit cette personne, qui était, je crois, un notaire;.... «vous lui remettrez toujours ce sac de trois cents francs.» Je livrai fidèlement la somme au marchand de bœufs, auquel mon exactitude parut inspirer quelque confiance. On partit le lendemain. Au bout de trois jours de route, mon patron me fit appeler: «Louis, me dit-il, sais-tu écrire?—Oui, monsieur.—Compter?...—Oui, monsieur.—Tenir un registre?—Oui, monsieur.—Eh bien! comme j'ai besoin de me détourner de la route pour aller voir des bœufs maigres à Sainte-Gauburge, tu conduiras les bœufs à Paris avec Jacques et Saturnin; tu seras maître-garçon.» Il me donna ensuite ses instructions, et partit.
En raison de l'avancement que je venais d'obtenir, je cessai de voyager à pied, ce qui améliora sensiblement ma position: car les toucheurs de bœufs fantassins sont toujours ou étouffés par la poussière qu'élèvent les bestiaux, ou enfoncés jusqu'aux genoux dans la boue, que leur passage augmente encore. J'étais d'ailleurs mieux payé, mieux nourri, mais je n'abusai pas de ces avantages, comme je le voyais faire à la plupart des maîtres-garçons qui suivaient la même route. Tandis que le fourrage des bestiaux se transformait pour eux en poulardes et en gigots de moutons, ou qu'ils s'en faisaient tenir compte par les aubergistes, les pauvres animaux dépérissaient à vue d'œil.
Je me conduisis plus loyalement: aussi, en nous retrouvant à Verneuil, mon maître, qui nous avait devancés, me fit-il des compliments sur l'état du troupeau. Arrivés à Sceaux, mes bêtes valaient vingt francs de plus par tête que toutes les autres, et j'avais dépensé quatre-vingt-dix francs de moins que mes confrères pour mes frais de route. Mon maître, enchanté, me donna une gratification de quarante francs, et me cita parmi tous les herbagers, comme l'Aristide des toucheurs de bœufs; je fus en quelque sorte mis à l'ordre du jour du marché de Sceaux; en revanche, mes collègues m'auraient assommé de bon cœur. Un d'eux, gars bas-normand, connu pour sa force et son adresse, tenta même de me dégoûter du métier, en se chargeant de la vindicte publique: mais que pouvait un rustre épais contre l'élève du grand Goupy!........ Le Bas-Normand succomba dans un des plus mémorables combats à coups de poings, dont les habitués du Marché aux vaches grasses eussent gardé le souvenir.
Ce triomphe fut d'autant plus glorieux, que j'avais mis beaucoup de modération dans ma conduite, et que je n'avais consenti à me battre que lorsqu'il n'était plus possible de faire autrement. Mon maître, de plus en plus satisfait de moi, voulut absolument me garder à l'année comme maître-garçon, en me promettant un petit intérêt dans son commerce. Je n'avais pas reçu de nouvelles de ma mère; je trouvais là les ressources que je venais chercher à Paris; enfin, mon nouveau costume me déguisait si bien, que je ne craignais nullement d'être découvert dans les excursions fréquentes que je fis à Paris. Je passai en effet auprès de plusieurs personnes de ma connaissance, qui ne firent même pas attention à moi. Un soir, cependant, quand je traversais la rue Dauphine, pour regagner la barrière d'Enfer, je me sentis frapper sur l'épaule: ma première pensée fut de fuir, sans me retourner, attendu que celui qui vous arrête ainsi compte sur ce mouvement pour vous saisir; mais un embarras de voiture barrait le passage: j'attendis l'événement, et, d'un coup d'œil, je reconnus que j'avais eu la panique.
Celui qui m'avait fait si grand'peur n'était autre que Villedieu, ce capitaine du 13e chasseurs bis, avec lequel j'avais été intimement lié à Lille. Quoique surpris de me voir avec un chapeau couvert de toile cirée, une blouse et des guêtres de cuir, il me fit beaucoup d'amitiés, et m'invita à souper, en me disant qu'il avait à me raconter des choses bien extraordinaires. Pour lui, il n'était pas en uniforme; mais cette circonstance ne m'étonna pas, les officiers prenant ordinairement des habits bourgeois quand ils séjournent à Paris. Ce qui me frappa, ce fut son air inquiet, et son extrême pâleur. Comme il témoignait l'intention de souper hors barrières, nous prîmes un fiacre qui nous conduisit jusqu'à Sceaux.
Arrivés au Grand Cerf, nous demandâmes un cabinet. A peine fûmes-nous servis que Villedieu, fermant la porte à double tour, et mettant la clef dans sa poche, me dit, les larmes aux yeux, et d'un air égaré: «Mon ami, je suis un homme perdu!..... perdu!..... On me cherche..... Il faut que tu me procures des habits semblables aux tiens..... Et si tu veux,.... j'ai de l'argent,... beaucoup d'argent, nous partirons ensemble pour la Suisse. Je connais ton adresse, pour les évasions; il n'y a que toi qui puisse me tirer de là.»
Ce début n'avait rien de trop rassurant pour moi. Déjà assez embarrassé de ma personne, je ne me souciais pas du tout de mettre contre moi une nouvelle chance d'arrestation, en me réunissant à un homme qui, poursuivi avec activité, devait me faire découvrir. Ce raisonnement, que je fis in petto, me décida à jouer serré avec Villedieu. Je ne savais d'ailleurs nullement de quoi il s'agissait. A Lille, je l'avais vu faire plus de dépenses que n'en comportait sa solde; mais un officier jeune et bien tourné a tant de moyens de se procurer de l'argent, que personne n'y faisait attention. Je fus donc fort surpris de l'entendre me raconter ce qu'on va lire.
«Je ne te parlerai pas des circonstances de ma vie qui ont précédé notre connaissance; il te suffira de savoir qu'aussi brave et aussi intelligent qu'un autre, poussé de plus par d'assez puissants protecteurs, je me trouvais, à trente-quatre ans, capitaine de chasseurs, quand je te rencontrai à Lille, au Café de la Montagne. Là, je me liai avec un individu dont les formes honnêtes me prévinrent en sa faveur; insensiblement ces relations devinrent plus intimes, si bien que je fus reçu dans son intérieur. Il y avait beaucoup d'aisance dans la maison; on y était pour moi aux petits soins; et si M. Lemaire était bon convive, madame Lemaire était charmante. Bijoutier, voyageant avec les objets de son commerce, il faisait de fréquentes absences de six ou huit jours; je n'en voyais pas moins son épouse, et tu devines déjà que je fus bientôt son amant. Lemaire ne s'aperçut de rien, ou ferma les yeux. Ce qu'il y a de certain, c'est que je menais la vie la plus agréable, quand, un matin, je trouvai Joséphine en pleurs. Son mari venait, me dit-elle, d'être arrêté, à Courtrai, avec son commis, pour avoir vendu des objets non contrôlés, et comme il était probable qu'on viendrait visiter son domicile, il fallait tout enlever au plus vite. Les effets les plus précieux furent en effet emballés dans une malle, et transportés à mon logement. Alors Joséphine me pria de me rendre à Courtrai, où l'influence de mon grade pourrait être utile à son mari. Je n'hésitai pas un instant. J'étais si vivement épris de cette femme, qu'il semblait que j'eusse renoncé à l'usage de mes facultés pour ne penser que ce qu'elle pensait, ne vouloir que ce qu'elle voulait.
»La permission du colonel obtenue, j'envoyai chercher des chevaux, une chaise de poste, et je partis avec l'exprès qui avait apporté la nouvelle de l'arrestation de Lemaire. La figure de cet homme ne me revenait pas du tout; ce qui m'avait d'abord indisposé contre lui, c'était de l'entendre tutoyer Joséphine, et la traiter avec beaucoup d'abandon. A peine monté dans la voiture, il s'installa dans un coin, s'y mit à son aise, et dormit jusqu'à Menin, où je fis arrêter pour prendre quelque chose. Paraissant s'éveiller en sursaut, il me dit familièrement:—Capitaine, je ne voudrais pas descendre.... Faites-moi le plaisir de m'apporter un verre d'eau-de-vie...—Assez surpris de ce ton, je lui envoyai ce qu'il demandait par une fille de service, qui revint aussitôt me dire que mon compagnon de voyage n'avait pas répondu; que, sans doute, il dormait. Force me fut de retourner à la voiture, où je vis mon homme, immobile dans son coin, la figure couverte d'un mouchoir.—Dormez-vous, lui dis-je à voix basse?—Non, répondit-il;..... et je n'ai guères d'envie; mais pourquoi diable m'envoyez-vous une domestique, quand je vous dis que je ne me soucie pas de montrer ma face à ces gens-là.—Je lui apportai le verre d'eau-de-vie, qu'il avala d'un trait; nous partîmes ensuite. Comme il ne paraissait plus disposé à dormir, je le questionnai légèrement sur les motifs qui l'engageaient à garder l'incognito, et sur l'affaire que j'allais traiter à Courtrai, sans en connaître les détails. Il me dit, très succinctement, que Lemaire était prévenu de faire partie d'une bande de chauffeurs, et il ajouta qu'il n'en avait rien dit à Joséphine, dans la crainte de l'affliger davantage. Cependant nous approchions de Courtrai; à quatre cents pas de la ville, mon compagnon crie au postillon d'arrêter un moment; il met une perruque, cachée dans la forme de son chapeau, se colle une large emplâtre sur l'œil gauche, tire de son gilet une paire de pistolets doubles, change les amorces, les replace au même endroit, ouvre la portière, saute à terre et disparaît.
»Toutes ces évolutions, dont je ne connaissais pas le but, ne laissaient pas que de me donner quelques inquiétudes. L'arrestation de Lemaire n'était-elle qu'un prétexte? M'attirait-on dans un piége? Voulait-on me faire jouer un rôle dans quelque intrigue, dans quelque mauvaise affaire? je ne pouvais me résoudre à le croire. Cependant j'étais fort incertain sur ce que j'avais à faire, et je me promenais à grands pas dans une chambre de l'Hôtel du Damier, où mon mystérieux compagnon m'avait conseillé de descendre, quand la porte s'ouvrant tout-à-coup, me laissa voir..... Joséphine! A son aspect, tous mes soupçons s'évanouirent. Cette brusque apparition, ce voyage précipité, fait sans moi, à quelques heures de distance, tandis qu'il eût été si simple de profiter de la chaise, eussent dû cependant les redoubler. Mais j'étais amoureux, et quand Joséphine m'eut dit qu'elle n'avait pu supporter l'idée de l'absence, je trouvai la raison excellente et sans réplique. Il était quatre heures après midi. Joséphine s'habille, sort, et ne rentre qu'à dix heures, accompagnée d'un homme habillé en cultivateur du pays de Liége; mais dont la tenue et l'expression de physionomie ne répondaient nullement à ce costume.
»On servit quelques rafraîchissements; les domestiques sortirent. Aussitôt Joséphine, se jetant à mon cou, me supplia de nouveau de sauver son mari, en me répétant qu'il ne dépendait que de moi de lui rendre ce service. Je promis tout ce qu'on voulut. Le prétendu paysan, qui avait jusque là gardé le silence, prit la parole, en fort bons termes, et m'exposa ce qu'il y avait à faire. Lemaire, me dit-il, arrivait à Courtrai, avec plusieurs voyageurs qu'il avait rencontrés sur la route sans les connaître, quand ils avaient été entourés par un détachement de gendarmerie, qui les sommait, au nom de la loi, d'arrêter. Les étrangers s'étaient mis en défense, des coups de pistolets avaient été échangés, et Lemaire, resté seul avec son commis, sur le champ de bataille, avait été saisi, sans qu'il fît aucun effort pour se sauver, persuadé qu'il n'était pas coupable, et qu'il n'avait rien à craindre. Il s'élevait cependant contre lui des charges assez fortes: il n'avait pas pu rendre un compte exact des affaires qui l'amenaient dans le canton, attendu, me dit le faux paysan, qu'il faisait en ce moment la contrebande; puis on avait trouvé dans un buisson deux paires de pistolets, qu'on assurait y a voir été jetés par lui et par son commis, au moment où on les avait arrêtés; enfin une femme assurait l'avoir vu, la semaine précédente, sur la route de Gand, avec les voyageurs qu'il prétendait n'avoir rencontrés que le matin de l'engagement avec les gendarmes.
»Dans ces circonstances, ajouta mon interlocuteur, il faut trouver moyen de prouver:
»1º Que Lemaire n'a quitté Lille que depuis trois jours, et qu'il y résidait depuis un mois;
»2º Qu'il n'a jamais porté de pistolets;
»3º Qu'avant de partir, il a touché de quelqu'un soixante louis.
»Cette confidence eût dû m'ouvrir les yeux sur la nature des démarches qu'on exigeait de moi; mais, enivré par les carresses de Joséphine, je repoussai des pensers importuns, en m'efforçant de m'étourdir sur un funeste avenir. Nous partîmes tous trois, la même nuit, pour Lille. En arrivant, je courus toute la journée pour faire les dispositions nécessaires; le soir j'eus tous mes témoins[2]. Leurs dépositions ne furent pas plus tôt parvenues à Courtrai, que Lemaire et son commis recouvrèrent leur liberté. On juge de leur joie. Elle me parut si excessive, que je ne pus m'empêcher de faire la réflexion qu'il fallait que le cas fût bien critique, pour que leur libération excitât de pareils transports. Le lendemain de son arrivée, dînant chez Lemaire, je trouvai dans ma serviette un rouleau de cent louis. J'eus la faiblesse de les accepter; dès lors je fus un homme perdu.
»Jouant gros jeu, traitant mes camarades, faisant de la dépense, j'eus bientôt dissipé cette somme. Lemaire me faisant chaque jour de nouvelles offres de services, j'en profitai pour lui faire divers emprunts, qui se montèrent à deux mille francs, sans que j'en fusse plus riche, ou du moins plus raisonnable. Quinze cents francs empruntés à un Juif, sur une traite en blanc de mille écus, et vingt-cinq louis, que m'avait avancés le quartier-maître, disparurent avec la même rapidité. Je dissipai enfin jusqu'à une somme de cinq cents francs, que mon lieutenant m'avait prié de lui garder jusqu'à l'arrivée de son marchand de chevaux, auquel il la devait. Cette dernière somme fut jouée et perdue dans une soirée, au Café de la Montagne, contre un nommé Carré, qui avait déjà ruiné la moitié du régiment.
»La nuit qui suivit fut affreuse: tour-à-tour agité par la honte d'avoir abusé d'un dépôt qui formait toute la fortune du lieutenant, par la rage de me trouver dupe, et par le désir effréné de jouer encore, je fus vingt fois tenté de me faire sauter la cervelle. Lorsque les trompettes sonnèrent le réveil, je n'avais pas encore fermé l'œil: j'étais de semaine, je descendis pour passer l'inspection des écuries; la première personne que j'y rencontrai fut le lieutenant, qui me prévint que son marchand de chevaux étant arrivé, il allait envoyer chercher ses cinq cents francs par son domestique. Mon trouble était si grand, que je répondis sans savoir ce que je disais; l'obscurité de l'écurie l'empêcha seule de s'en apercevoir. Il n'y avait plus un instant à perdre si je voulais éviter d'être à jamais perdu de réputation auprès de mes chefs et de mes camarades.
»Dans cette position terrible, il ne m'était pas même venu dans la pensée de m'adresser à Lemaire, tant je croyais avoir abusé déjà de son amitié; je n'avais cependant plus d'autre ressource; enfin, je me décidai à l'informer par un billet de l'embarras de ma situation. Il accourut aussitôt, et, déposant sur ma table deux tabatières d'or, trois montres et douze couverts armoiriés, il me dit qu'il n'avait pas d'argent pour le moment, mais que je m'en procurerais facilement en mettant au mont-de-piété ces valeurs, qu'il laissait à ma disposition. Après m'être confondu en remercîments, j'envoyai engager le tout par mon domestique, qui me rapporta douze cents francs. Je remboursai d'abord le lieutenant; puis, conduit par ma mauvaise étoile, je volai au Café de la Montagne, où Carré, après s'être long-temps fait prier pour donner une revanche, fit passer de ma bourse dans la sienne les sept cents francs qui me restaient.
»Tout étourdi de ce dernier coup, j'errai quelque temps au hasard dans les rues de Lille, roulant dans ma tête mille projets funestes. C'est dans cette disposition que j'arrivai, sans m'en apercevoir, à la porte de Lemaire; j'entrai machinalement, on allait se mettre à table. Joséphine, frappée de mon extrême pâleur, me questionna avec intérêt sur mes affaires et sur ma santé; j'étais dans un de ces moments d'abattement où la conscience de sa faiblesse rend expansif l'homme le plus réservé. J'avouai toutes mes profusions, en ajoutant qu'avant deux mois, j'aurais à payer plus de quatre mille francs, dont je ne possédais pas le premier sou.
»A ces mots, Lemaire me regarde fixement, et, avec un regard que je n'oublierai de ma vie, fût-elle encore bien longue:—Capitaine, me dit-il, je ne vous laisserai pas dans l'embarras;..... mais une confidence en vaut une autre........ On n'a rien à cacher à un homme qui vous a sauvé de...... et, avec un rire atroce, il se passa la main gauche autour du cou..... Je frémis;... je regardai Joséphine: elle était calme!... Ce moment fut affreux... Sans paraître remarquer mon trouble, Lemaire continuait son épouvantable confidence: j'appris qu'il faisait partie de la bande de Sallambier; que lorsque les gendarmes l'avaient arrêté près de Courtrai, ils venaient de commettre un vol, à main armée, dans une maison de campagne des environs de Gand. Les domestiques ayant voulu se défendre, on en avait tué trois, et deux malheureuses servantes avaient été pendues dans un cellier. Les objets que j'avais engagés provenaient du vol qui avait suivi ces assassinats!..... Après m'avoir expliqué comment il avait été arrêté près de Courtrai, en soutenant la retraite, Lemaire ajouta que désormais il ne tiendrait qu'à moi de réparer mes pertes et de remonter mes affaires, en prenant seulement part à deux ou trois expéditions.
»J'étais anéanti. Jusqu'alors la conduite de Lemaire, les circonstances de son arrestation, le genre de service que je lui avais rendu, me paraissaient bien suspects, mais j'éloignais soigneusement de ma pensée tout ce qui eût pu convertir mes soupçons en certitude. Comme agité par un affreux cauchemar, j'attendais le réveil,.... et le réveil fut plus affreux encore!
»Eh bien! dit Joséphine, en prenant un air pénétré,.... vous ne répondez pas.... Ah! je le vois,... nous avons perdu votre amitié..., j'en mourrai!.... Elle fondait en pleurs; ma tête s'égara; oubliant la présence de Lemaire, je me précipite à ses genoux comme un insensé, en m'écriant: Moi, vous quitter..... non, jamais! jamais! Les sanglots me coupèrent la voix: je vis une larme dans les yeux de Joséphine, mais elle reprit aussitôt sa fermeté. Pour Lemaire, il nous offrit de la fleur d'orange aussi tranquillement qu'un cavalier présente une glace à sa danseuse au milieu d'un bal.
»Me voilà donc enrôlé dans cette bande, l'effroi des départements du Nord, de la Lys et de l'Escaut. En moins de quinze jours, je fus présenté à Sallambier, dans qui je reconnus le paysan liégeois; à Duhamel, à Chopine, à Calandrin et aux principaux chauffeurs. Le premier coup de main auquel je pris part eut lieu aux environs de Douai. La maîtresse de Duhamel, qui faisait partie de l'expédition, nous introduisit dans un château, où elle avait servi comme femme de chambre. Les chiens ayant été empoisonnés par un élagueur d'arbres employé dans la maison, nous n'attendîmes même pas pour exécuter notre projet, que les maîtres fussent couchés. Aucune serrure ne résistait à Calandrin. Nous arrivâmes dans le plus grand silence, à la porte du salon; la famille, composée du père, de la mère, d'une grand'tante, de deux jeunes personnes et d'un parent en visite, faisait la bouillotte. On n'entendait que ces mots, répétés d'une voix monotone: Passe, tiens, je fais Charlemagne, quand Sallambier, tournant brusquement le bouton de la porte, parût, suivi de dix hommes barbouillés de noir, le pistolet ou le poignard à la main. A cet aspect, les cartes tombèrent des mains à tout le monde; les demoiselles voulurent crier; d'un geste, Sallambier leur imposa silence. Pendant qu'un des nôtres, montant avec l'agilité d'un singe sur la tablette de la cheminée, coupait au plafond les deux cordons de sonnette; les femmes s'évanouirent: on n'y fit pas attention. Le maître de la maison, quoique fort troublé, conservait seul quelque présence d'esprit. Après avoir vingt fois ouvert la bouche sans trouver une parole, il parvint enfin à demander ce que nous voulions: de l'argent, répondit Sallambier, dont la voix me parut toute changée; et, prenant le flambeau de la table de jeu, il fit signe au propriétaire de le suivre dans une pièce voisine, où nous savions qu'étaient déposés l'argent et les bijoux: c'était exactement don Juan précédant la statue du commandeur.
»Nous restâmes sans lumière, immobiles à nos postes, n'entendant que les soupirs étouffés des femmes, le bruit de l'argent, et ces mots, encore! encore! que Sallambier répétait de temps en temps d'un ton sépulcral. Au bout de vingt minutes, il reparut avec un mouchoir rouge, noué par les coins et rempli de pièces de monnaie; les bijoux étaient dans ses poches. Pour ne rien négliger, on prit à la vieille tante et à la mère leurs boucles d'oreilles, ainsi que sa montre au parent qui choisissait si bien son temps pour faire ses visites. On partit enfin, après avoir soigneusement enfermé toute la société, sans que les domestiques, déjà couchés depuis long-temps, se fussent même doutés de l'invasion du château.
»Je pris part encore à plusieurs autres coups de main qui présentèrent plus de difficultés que celui que je viens de te raconter. Nous éprouvions de la résistance, ou bien les propriétaires avaient enfoui leur argent, et pour le leur faire livrer, on leur faisait endurer les traitemens les plus barbares. Dans le principe, on s'était borné à leur brûler la plante des pieds avec des pelles rougies au feu; mais, adoptant des modes plus expéditifs, on en vint à arracher les ongles aux entêtés, et à les gonfler comme des ballons avec un soufflet. Quelques-uns de ces malheureux, n'ayant réellement pas l'argent qu'on leur supposait, périssaient au milieu des tortures. Voilà, mon ami, dans quelle carrière était entré un officier bien né, que douze ans de bons services, quelques actions d'éclat, et le témoignage de ses camarades, entouraient d'une estime qu'il cessait de mériter depuis long-temps, et qu'il allait bientôt perdre sans retour.»
Ici Villedieu s'interrompit et laissa tomber sa tête sur sa poitrine, comme accablé par ses souvenirs; je le laissai s'y livrer un moment, mais les noms qu'il citait m'étaient trop connus pour que je ne prisse pas à son récit un vif intérêt de curiosité. Quelques verres de champagne lui rendirent de l'énergie; il continua en ces termes.
«Cependant les crimes se multipliaient dans une progression tellement effrayante, que la gendarmerie ne suffisant plus à la surveillance, on organisa des colonnes mobiles prises dans les garnisons de diverses villes. Je fus chargé d'en diriger une. Tu comprends que la mesure eut un effet tout contraire à celui qu'on en attendait, puisque, avertis par moi, les chauffeurs évitaient les endroits que je devais parcourir avec mon monde. Les choses n'en allèrent donc que plus mal. L'autorité ne savait plus quel parti prendre; elle apprit toutefois que la plupart des chauffeurs résidaient à Lille, et l'ordre fut aussitôt donné de redoubler de surveillance aux portes. Nous trouvâmes pourtant moyen de rendre vaines ces nouvelles précautions. Sallambier se procura chez ces fripiers de ville de guerre, qui habilleraient tout un régiment, quinze uniformes du 13e chasseurs; on en affubla un pareil nombre de chauffeurs, qui, m'ayant à leur tête, sortirent à la brune, comme allant en détachement pour une mission secrète.
»Quoique ce stratagème eût complétement réussi, je crus m'apercevoir que j'étais l'objet d'une surveillance particulière. Le bruit se répandit qu'il rôdait aux environs de Lille des hommes travestis en chasseurs à cheval. Le colonel paraissait se méfier de moi; un de mes camarades fut désigné pour alterner avec moi dans le service des colonnes mobiles, qu'auparavant je dirigeais seul. Au lieu de me donner l'ordre la veille, comme aux officiers de gendarmerie, on ne me le faisait connaître qu'au moment du départ. On m'accusa enfin assez directement, pour me mettre dans la nécessité de m'expliquer vis-à-vis du colonel, qui ne me dissimula pas que je passais pour avoir des rapports avec les chauffeurs. Je me défendis tant bien que mal, les choses en restèrent là; seulement, je quittai le service des colonnes mobiles, qui commencèrent à déployer une telle activité, que les chauffeurs osaient à peine sortir.
»Sallambier ne voulant pas toutefois languir si long-temps dans l'inaction, redoubla d'audace à mesure que les obstacles se multipliaient autour de nous. Dans une seule nuit, il commit trois vols dans la même commune. Mais les propriétaires de la première des maisons attaquées, s'étant débarrassés de leurs bâillons et de leurs liens, donnèrent l'alarme. On sonna le tocsin à deux lieues à la ronde, et les chauffeurs ne durent leur salut qu'à la vitesse de leurs chevaux. Les deux frères Sallambier furent surtout poursuivis avec tant d'acharnement, que ce ne fut que vers Bruges, que ceux qui leur donnaient la chasse perdirent leurs traces. Dans un gros village où ils se trouvaient, ils louèrent une voiture et deux chevaux, pour aller, dirent-ils, à quelques lieues, et revenir le soir.
»Un cocher les conduisait; arrivés au bord de la mer, Sallambier l'aîné le frappa par derrière d'un coup de couteau qui le renversa de son siége. Les deux frères le transportèrent ensuite à la mer, espérant que les vagues entraîneraient le cadavre. Maîtres de la voiture, ils poursuivaient leur route, lorsqu'au déclin du jour, ils rencontrèrent un homme du pays qui leur souhaita le bon soir. Comme ils ne répondaient pas, l'homme s'approcha en disant: Eh bien! Vandeck, tu ne me reconnais pas?... C'est moi,..... Joseph.... Sallambier dit alors qu'il a loué la voiture pour trois jours, sans conducteur. Le ton de cette réponse, l'état des chevaux, couverts de sueur, que leur maître n'eût certainement pas confiés sans conducteur, tout inspire des inquiétudes au questionneur. Sans pousser plus loin la conversation, il court au village voisin, et donne l'alarme: sept ou huit hommes montent à cheval; ils se mettent à la poursuite de la voiture, qu'ils aperçoivent bientôt, cheminant assez lentement. Ils pressent leur marche, ils l'atteignent..... Elle est vide.... Un peu désappointés, ils s'en emparent, et la mettent en fourrière dans un village, où ils se proposent de passer la nuit. A peine sont-ils à table, qu'un grand bruit se fait entendre: on amène chez le bourgmestre deux voyageurs accusés de l'assassinat d'un homme que des pêcheurs ont trouvé égorgé au bord de la mer. Ils y courent, Joseph reconnaît les individus qu'il avait vus dans la voiture, et qui l'ont quittée, parce que les chevaux refusaient de marcher. C'était en effet les deux Sallambier, que la confrontation de Joseph paraissait singulièrement déconcerter. Leur identité fut bientôt constatée. Sur le soupçon qu'ils pouvaient appartenir à quelque bande de chauffeurs, on les transféra à Lille, où ils furent reconnus en arrivant au Petit Hôtel.
»Là, Sallambier l'aîné, circonvenu par les agents de l'autorité, énonça tous ses complices, en indiquant où et comment on pourrait les arrêter. Par suite de ses avis, quarante-trois personnes des deux sexes furent arrêtées. De ce nombre étaient Lemaire et sa femme. On lança en même temps contre moi un mandat d'amener. Prévenu par un maréchal-des-logis de gendarmerie, à qui j'avais rendu quelques services, je pus me sauver, et gagner Paris, où je suis depuis dix jours. Quand je t'ai rencontré, je cherchais le domicile d'une ancienne connaissance où je prévoyais pouvoir me cacher ou me donner quelque moyen de passer à l'étranger; mais me voilà tranquille, puisque je retrouve Vidocq.»
CHAPITRE XII.
Voyage à Arras.—Le P. Lambert.—Vidocq maître d'école.—Départ pour la Hollande.—Les marchands d'âmes.—L'insurrection.—Le corsaire.—Catastrophe.
La confiance de Villedieu me flattait beaucoup, sans doute, mais, je n'en trouvais pas moins ce voisinage fort dangereux; aussi lui fis-je une histoire, quand il me questionna sur mes moyens d'existence, et particulièrement sur mon domicile. Par la même raison, je me gardai bien de me trouver au rendez-vous qu'il m'avait donné pour le lendemain; c'eût été d'ailleurs m'exposer à me perdre sans lui être utile. En le quittant, à onze heures du soir, je pris même la précaution de faire plusieurs détours avant de rentrer à l'auberge, dans la crainte d'être suivi par quelques agents. Mon maître, qui était couché, m'éveilla le lendemain avant le jour, pour me dire que nous allions partir sur-le-champ pour Nogent-le-Rotrou, d'où nous devions nous rendre dans ses propriétés, situées aux environs de cette ville.
En quatre jours le voyage se fit. Reçu dans cette famille comme un serviteur laborieux et zélé, je n'en persistai pas moins dans l'intention que j'avais conçue depuis quelque temps de retourner dans mon pays, d'où je ne recevais ni nouvelles ni argent. De retour à Paris, où nous ramenâmes des bestiaux, j'en fis part à mon maître, qui ne me donna mon congé qu'à regret. En le quittant, j'entrai dans un café de la place du Chatelet, pour y attendre un commissionnaire qui m'apportait mes effets: un journal me tomba sous la main, et le premier article qui me frappa fut le récit de l'arrestation de Villedieu. Il ne s'était laissé prendre qu'après avoir terrassé deux des agents chargés de s'assurer de sa personne: lui-même était grièvement blessé. Deux mois après, exécuté à Bruges, le dernier de dix-sept de ses complices, il regardait tomber leurs têtes avec un calme qui ne se démentit pas un seul instant.
Cette circonstance me donna lieu de me féliciter du parti que j'avais pris. En restant avec le marchand de bœufs, je devais venir au moins deux fois par mois à Paris; la police politique, dirigée contre les complots et les agents de l'étranger, y prenait un développement et une énergie qui pouvaient me devenir d'autant plus funestes, qu'on surveillait fort minutieusement tous les individus qui, appelés à chaque instant, par leurs occupations, dans les départements de l'Ouest, pouvaient servir d'intermédiaires entre les chouans et leurs amis de la capitale. Je partis donc en toute hâte. Le troisième jour, j'étais devant Arras, où j'entrai le soir, au moment où les ouvriers revenaient du travail. Je ne descendis point directement chez mon père, mais chez une de mes tantes, qui fut prévenir mes parents. Ils me croyaient mort, n'ayant pas reçu mes deux dernières lettres; je n'ai jamais pu savoir comment et par qui elles avaient été égarées ou interceptées. Après avoir longuement raconté toutes mes traverses, j'en vins à demander des nouvelles de la famille, ce qui me conduisit naturellement à m'informer de ma femme. J'appris que mon père l'avait recueillie quelque temps chez lui; mais que ses débordements étaient devenus tellement scandaleux, qu'on avait dû la chasser honteusement. Elle était, me dit-on, enceinte d'un avocat de la ville, qui fournissait à peu près à ses besoins; depuis quelque temps on n'entendait plus parler d'elle, et l'on ne s'en occupait plus.
Je ne m'en occupai pas davantage: j'avais à songer à bien autre chose. D'un moment à l'autre, on pouvait me découvrir, m'arrêter chez mes parents, que je mettrais ainsi dans l'embarras. Il était urgent de trouver un asile sur lequel la surveillance de la police s'exerçât moins activement qu'à Arras. On jeta les yeux sur un village des environs, Ambercourt, où demeurait un ex-carme, ami de mon père, qui consentit à me recevoir. A cette époque (1798), les prêtres se cachaient encore pour dire la messe, quoiqu'on ne fût guère hostile envers eux. Le père Lambert, mon hôte, célébrait donc l'office divin dans une espèce de grange; comme il ne trouvait pour le seconder qu'un vieillard presque impotent, je m'offris à remplir les fonctions de sacristain, et je m'en tirai si bien, qu'on eût dit que je n'avais fait autre chose de ma vie. Je devins également le second du père Lambert, dans les leçons qu'il donnait aux enfants du voisinage. Mes succès dans l'enseignement firent même quelque bruit dans le canton, attendu que j'avais pris un excellent moyen pour avancer rapidement les progrès de mes élèves; je commençais par tracer au crayon des lettres qu'ils recouvraient avec la plume; la gomme élastique faisait le reste. Les parents étaient enchantés; seulement il était un peu difficile à mes élèves d'opérer sans leur maître, ce dont les paysans artésiens, quoique aussi fins que qui que ce soit, en fait de transactions, avaient la bonté de ne pas s'apercevoir.
Ce genre de vie me convenait assez: affublé d'une espèce de costume de frère ignorantin, toléré par les autorités, je ne devais pas craindre d'être l'objet d'aucun soupçon; d'un autre côté, la vie animale, pour laquelle j'ai toujours eu quelque considération, était fort bonne, les parents nous envoyant à chaque instant de la bière, de la volaille ou des fruits. Je comptais enfin dans ma clientelle quelques jolies paysannes, fort dociles à mes leçons. Tout alla bien pendant quelque temps, mais on finit par se méfier de moi; on m'épia, on eut la certitude que je donnais une grande extension à mes fonctions, et l'on s'en plaignit au père Lambert. A son tour, il me parla des charges élevées contre moi; j'opposai des dénégations complètes. Les plaignants se turent, mais ils redoublèrent de surveillance; et une nuit que, poussé par un zèle classique, j'allais donner leçon dans un grenier à foin, à une écolière de seize ans, je fus saisi par quatre garçons brasseurs, conduit dans une houblonnière, dépouillé de tous mes vêtements, et fustigé jusqu'au sang avec des verges d'orties et de chardons. La douleur fut si vive, que j'en perdis connaissance; en reprenant mes sens, je me trouvai dans la rue, nu, couvert d'ampoules et de sang.
Que faire? Rentrer chez le père Lambert, c'était vouloir courir de nouveaux dangers. La nuit n'était pas avancée. Bien que dévoré par une fièvre brûlante, je pris le parti de me rendre à Mareuil, chez un de mes oncles; j'y arrivai à deux heures du matin, excédé de fatigues, et couvert seulement d'une mauvaise natte que j'avais trouvée près d'une marre. Après avoir un peu ri de ma mésaventure, on me frotta par tout le corps avec de la crême mêlée d'huile. Au bout de huit jours, je partis bien rétabli pour Arras. Il m'était cependant impossible d'y rester; la police pouvait être instruite d'un moment à l'autre de mon séjour; je me mis donc en route pour la Hollande, avec l'intention de m'y fixer; l'argent que j'emportais me permettait d'attendre qu'il se présentât quelque occasion de m'occuper utilement.
Après avoir traversé Bruxelles, où j'appris que la baronne d'I..... s'était fixée à Londres, Anvers et Breda, je m'embarquai pour Rotterdam. On m'avait donné l'adresse d'une taverne où je pourrais loger. J'y rencontrai un Français qui me fit beaucoup d'amitiés, et m'invita plusieurs fois à dîner, en me promettant de s'intéresser pour me faire trouver une bonne place. Je ne répondais à ces prévenances qu'avec méfiance, sachant que tous les moyens étaient bons au gouvernement hollandais pour recruter sa marine. Malgré toute ma réserve, mon nouvel ami parvint cependant à me griser complétement avec une liqueur particulière. Le lendemain, je m'éveillai en rade, à bord d'un brick de guerre hollandais. Il n'y avait plus à en douter: l'intempérance m'avait livré aux marchands d'âmes (Sel Ferkaff).
Étendu près d'un hauban, je réfléchissais à cette destinée singulière qui multipliait autour de moi les incidents, quand un homme de l'équipage, me poussant du pied, me dit de me lever pour aller recevoir les habits de bord. Je feignis de ne pas comprendre: le maître d'équipage vint alors me donner lui-même l'ordre en français. Sur mon observation que je n'étais pas marin, puisque je n'avais pas signé d'engagement, il saisit une corde comme pour m'en frapper; à ce geste, je sautai sur le couteau d'un matelot qui déjeûnait au pied du grand mât, et, m'adossant à une pièce de canon, je jurai d'ouvrir le ventre au premier qui avancerait. Grande rumeur parmi l'équipage. Au bruit, le capitaine parut sur le pont. C'était un homme de quarante ans, de bonne mine, dont les manières n'avaient rien de cette brusquerie si commune aux gens de mer; il écouta ma réclamation avec bienveillance, c'était tout ce qu'il pouvait faire, puisqu'il ne tenait pas à lui de changer l'organisation maritime de son gouvernement.
En Angleterre, où le service des bâtiments de guerre est plus dur, moins lucratif et surtout moins libre que celui des navires du commerce, la marine de l'État se recrutait et se recrute encore aujourd'hui au moyen de la presse. En temps de guerre, la presse se fait en mer à bord des vaisseaux marchands, auxquels on rend souvent des matelots épuisés ou malingres pour des hommes frais et vigoureux; elle se fait aussi à terre au milieu des grandes villes, mais on ne prend en général que des individus dont la tournure ou le costume annoncent qu'ils ne sont pas étrangers à la mer. En Hollande, au contraire, à l'époque dont je parle, on procédait à peu près comme en Turquie, où, dans un moment d'urgence, on prend et jette sur un vaisseau de ligne, des maçons, des palefreniers, des tailleurs ou des barbiers, gens, comme on voit fort utiles. Qu'à la sortie du port, un vaisseau soit forcé d'en venir au combat avec un semblable équipage, toutes les manœuvres sont manquées, et cette circonstance explique peut-être comment tant de frégates turques ont été prises ou coulées bas par de chétifs misticks grecs.
Nous avions donc à bord des hommes que leurs inclinations et les habitudes de toute leur vie semblaient tellement éloigner du service maritime, qu'il eût même paru ridicule de songer à les y faire entrer. Des deux cent individus pressés comme moi, il n'y en avait peut-être pas vingt qui eussent mis le pied sur un navire. La plupart avaient été enlevés de vive force ou à la faveur de l'ivresse; on avait séduit les autres en leur promettant un passage gratuit pour Batavia, où ils devaient exercer leur industrie: de ce nombre étaient deux Français, l'un teneur de livres, bourguignon; l'autre jardinier, limousin, qui devaient faire, comme on voit, d'excellents matelots. Pour nous consoler, les hommes de l'équipage nous disaient que dans la crainte des désertions, nous ne descendrions peut-être pas à terre avant six mois, ce qui s'est au surplus pratiqué quelquefois dans la marine anglaise, où le matelot peut rester des années entières sans voir la terre natale autrement que des perroquets de son vaisseau; des hommes sûrs font le service de canotiers, et l'on y a vu même employer des gens étrangers à l'équipage. Pour adoucir ce que cette consigne a de rigoureux, on laisse venir à bord quelques-unes de ces femmes de mauvaise vie qui pullulent dans les ports de mer, et qu'on y appelle, je ne sais à quel propos, les filles de la reine Caroline (Queents Caroline daugh'ers). Les marins anglais dont j'ai tenu plus tard ces détails, qu'on ne doit pas considérer comme d'une exactitude générale, ajoutaient que, pour déguiser en partie l'immoralité de la mesure, des capitaines puritains exigeaient parfois que les visiteuses prissent le nom de cousines ou de sœurs.
Pour moi, qui me destinais depuis long-temps à la marine, cette position n'eût eu rien de répugnant si je n'eusse été contraint, et si je n'eusse eu en perspective l'esclavage dont on me menaçait; ajoutez à cela les mauvais traitements du maître d'équipage, qui ne pouvait me pardonner ma première incartade. A la moindre fausse manœuvre, les coups de corde pleuvaient de manière à faire regretter le bâton des argousins du bagne. J'étais désespéré; vingt fois il me vint dans l'idée de laisser tomber des hunes une poulie de drisse sur la tête de mon persécuteur ou bien encore de le jeter à la mer quand je serais de quart la nuit. J'eusse certainement exécuté quelqu'un de ces projets, si le lieutenant, qui m'avait pris en amitié, parce que je lui enseignais l'escrime, n'eût un peu adouci ma position. Nous devions d'ailleurs être incessamment dirigés sur Helwotsluis, où était mouillé le Heindrack, de l'équipage duquel nous devions faire partie: dans le trajet, on pouvait s'évader.
Le jour du transbordement arrivé, nous embarquâmes au nombre de deux cent soixante-dix recrues sur un petit smack, manœuvré par vingt-cinq hommes et monté par vint-cinq soldats, qui devaient nous garder. Le faiblesse de ce détachement me confirma dans la résolution de tenter un coup de main pour désarmer les militaires et forcer les marins à nous conduire près d'Anvers. Cent vingt des recrues, Français ou Belges, entrèrent dans le complot. Il fut convenu que nous surprendrions les hommes de quart au moment du dîner de leurs camarades, dont on devait avoir ainsi bon marché. Ce plan s'exécuta avec d'autant plus de succès, que nos gens ne se doutaient absolument de rien. L'officier qui commandait le détachement fut saisi au moment où il allait prendre le thé; il ne fut cependant l'objet d'aucun mauvais traitement. Un jeune homme de Tournai, engagé comme subrécargue, et réduit au service de matelot, lui exposa si éloquemment les motifs de ce qu'il appelait notre révolte, qu'il lui persuada de se laisser mettre sans résistance à fond de cale avec ses soldats. Quant aux marins, ils restèrent dans les manœuvres; seulement un Dunkerquois, qui était des nôtres, prit la barre du gouvernail.
La nuit vint: je voulais qu'on mît à la cape afin d'éviter de tomber peut-être sur quelque bâtiment garde-côte, auquel nos marins pouvaient faire des signaux; le Dunkerquois s'y refusa avec une obstination qui eut dû m'inspirer de la méfiance. On continua la marche, et, au point du jour, le smack se trouva sous le canon d'un fort voisin d'Helwotsluis. Aussitôt le Dunkerquois annonça qu'il allait à terre pour voir si nous pouvions débarquer sans danger; je vis alors que nous étions vendus, mais il n'y avait pas à reculer; des signaux avaient sans doute déjà été faits; au moindre mouvement, le fort pouvait nous couler bas; il fallut attendre l'événement. Bientôt une barque, montée par une vingtaine de personnes, partit du rivage et aborda le smack; trois officiers qui s'y trouvaient montèrent sur le pont sans témoigner aucune crainte, quoiqu'il fût le théâtre d'une rixe assez vive entre nos camarades et les marins hollandais, qui voulaient tirer les soldats de la cale.
Le premier mot du plus âgé des officiers fut pour demander qui était le chef du complot: tout le monde restant muet, je pris la parole en français; j'exposai qu'il n'y avait point eu de complot; c'était par un mouvement unanime et spontané que nous avions cherché à nous soustraire à l'esclavage qu'on nous imposait; nous n'avions d'ailleurs nullement maltraité le commandant du smack; il pouvait en rendre témoignage comme les marins hollandais, qui savaient bien que nous leur aurions laissé le bâtiment après avoir débarqué près d'Anvers. J'ignore si ma harangue produisit quelque effet, car on ne me la laissa pas achever; seulement, pendant qu'on nous entassait à fond de cale à la place des soldats que nous y avions mis la veille, j'entendis dire au pilote, «qu'il y en avait là plus d'un qui pourrait bien danser le lendemain au bout d'une vergue.» Le smack gouverna ensuite sur Helwotsluis, où il arriva, le même jour, à quatre heures de l'après-midi. Sur la rade était mouillé le Heindrack. Le commandant du fort s'y rendit en chaloupe, et une heure après, on m'y conduisit moi-même. Je trouvai assemblé une espèce de conseil maritime qui m'interrogea sur les détails de l'insurrection et sur la part que j'y avais prise. Je soutins, comme je l'avais déjà fait devant le commandant du fort, que n'ayant signé aucun acte d'engagement, je me croyais en droit de recouvrer ma liberté par tous les moyens possibles.
On me fit alors retirer pour faire comparaître le jeune homme de Tournai, qui avait arrêté le commandant du smack; on nous considérait tous deux comme chefs de complot, et l'on sait qu'en pareille circonstance, c'est sur ces coupables que porte le châtiment; il n'y allait véritablement pour nous ni plus ni moins que d'être pendus: heureusement le jeune homme, que j'avais eu le temps de prévenir, déposa dans le même sens que moi, en soutenant avec fermeté qu'il n'y avait eu suggestion de la part de personne, l'idée nous étant venue en même temps à tous de frapper le grand coup; nous étions au reste bien sûrs de n'être pas démentis par nos camarades, qui nous témoignaient un vif intérêt, allant jusqu'à dire que si nous étions condamnés, le bâtiment à bord duquel on les placerait sauterait comme un caisson; c'est-à-dire qu'ils mettraient le feu aux poudres, quitte à faire aussi un voyage en l'air. Il y avait là des gaillards capables de le faire comme ils le disaient. Soit qu'on craignît l'effet de ces menaces et du mauvais exemple qu'elles donneraient aux marins de la flotille enrôlés d'après le même procédé, soit que le conseil reconnût que nous nous étions renfermés dans le cercle de la défense légitime, en cherchant à nous soustraire à un guet-apens, on nous promit de solliciter notre grâce de l'amiral, à condition que nous retiendrions nos camarades dans la subordination, qui ne paraissait être leur vertu favorite. Nous promîmes tout ce qu'on voulut, car rien ne rend si facile sur les conditions d'une transaction, que de sentir la corde au cou.
Ces préliminaires arrêtés, nos camarades furent transférés à bord du vaisseau, et répartis dans les entre-ponts avec l'équipage qu'ils venaient compléter; tout se fit dans le plus grand ordre; il ne s'éleva pas la moindre plainte; on n'eut pas à réprimer le plus petit désordre. Il est juste de dire qu'on ne nous maltraitait pas comme à bord du brick, où notre ancien ami le maître d'équipage ne commandait que la corde à la main. D'un autre côté, donnant des leçons d'escrime aux gardes-marines, j'étais traité avec quelques égards; on me fit même passer bombardier, avec vingt-huit florins de solde par mois. Deux mois s'écoulèrent ainsi sans que la présence continuelle des croiseurs anglais nous permît de quitter la rade. Je m'étais fait à ma nouvelle position; je ne songeais même nullement à en sortir quand nous apprîmes que les autorités françaises faisaient rechercher les nationaux qui pouvaient faire partie des équipages hollandais. L'occasion était belle pour ceux d'entre nous qui se fussent mal trouvés du service, mais personne ne se souciait d'en profiter; on ne voulait d'abord nous avoir que pour nous incorporer dans les équipages de ligne français, mutation qui ne présentait rien de bien avantageux; puis, la plupart de mes camarades avaient, je crois, comme moi, de bonnes raisons pour ne pas désirer de montrer leur figure aux agents de la métropole. Chacun se tut donc; quand on envoya demander au capitaine ses rôles d'équipage, l'examen n'eut aucun résultat, par le motif tout simple que nous étions tous portés sous de faux noms; nous crûmes l'orage passé.
Cependant les recherches continuaient: seulement, au lieu de faire des enquêtes, on apostait sur le port et dans les tavernes des agents chargés d'examiner les hommes qui venaient à terre pour leur service ou en permission. Ce fut dans une de ces excursions que l'on m'arrêta; j'en ai long-temps conservé de la reconnaissance pour le cuisinier du vaisseau, qui m'honorait de son inimitié personnelle, depuis que j'avais trouvé mauvais qu'il nous donnât du suif pour du beurre, et de la merluche gâtée pour du poisson frais. Amené chez le commandant de place, je me déclarai hollandais; la langue m'était assez familière pour soutenir cette version; je demandai, au surplus, à être conduit sous escorte à mon bord, pour me procurer les papiers qui justifieraient de ma naturalité; rien ne paraissait plus juste et plus naturel. Un sous-officier fut chargé de m'accompagner; nous partîmes dans le canot qui m'avait amené à terre. Arrivés près du vaisseau, je fis monter le premier mon homme, avec lequel j'avais causé jusque là fort amicalement; quand je le vis accroché dans les haubans, je poussai tout à coup au large en criant aux canotiers de ramer vigoureusement, et qu'il y aurait pour boire. Nous fendions l'eau pendant que mon sous-officier, resté dans les haubans, se démenait au milieu de l'équipage, qui ne le comprenait pas, ou faisait semblant de ne pas le comprendre. Arrivé à terre, je courus me cacher dans une maison de connaissance, bien résolu de quitter le vaisseau, où il me devenait difficile de reparaître sans être arrêté. Ma fuite devant confirmer tous les soupçons qui s'étaient élevés contre moi, j'en prévins toutefois le capitaine, qui m'autorisa tacitement à faire ce que je croirais utile à ma sûreté.
Un corsaire de Dunkerque, le Barras, capitaine Fromentin, était en rade. A cette époque, on visitait rarement les bâtiments de ce genre, qui avaient en quelque sorte droit d'asile; il m'eût fort convenu d'y passer: un lieutenant de prise auquel je m'adressai me présenta à Fromentin, qui m'admit sur ma réputation, comme capitaine d'armes. Quatre jours après, le Barras mit à la voile pour établir sa croisière dans le Sund; on était au commencement de l'hiver de 1799, dont les gros temps firent périr tant de navires sur les côtes de la Baltique. A peine étions-nous en haute mer, qu'il s'éleva un vent de nord tout-à-fait contraire pour notre destination; il fallut mettre à la cape; le roulis était tellement fort, que j'en fus indisposé au point de ne pouvoir rien prendre autre chose pendant trois jours, que de l'eau-de-vie mêlée d'eau; la moitié de l'équipage était dans la même position, de manière qu'un bateau pêcheur eût suffi pour nous prendre sans coup férir. Enfin le temps s'éleva, le vent tourna tout à coup au sud-ouest, et le Barras, excellent marcheur, filant ses dix nœuds à l'heure, eut bientôt guéri tout le monde. En ce moment la vigie cria: Navire à babord. Le Capitaine saisissant sa lunette, déclara que c'était un caboteur anglais, sous pavillon neutre, que le coup de vent avait séparé de quelque convoi. On arriva sur lui vent arrière, après avoir hissé pavillon français. Au second coup de canon, il amena sans attendre l'abordage; l'équipage fut mis à fond de cale, et la prise dirigée sur Bergen (Norwège), où la cargaison, composée de bois des Iles, trouva bientôt des acheteurs.
Je restai six mois à bord du Barras: mes parts de prise commençaient à me faire un assez bon pécule, quand nous entrâmes en relâche à Ostende. On a vu que cette ville m'avait toujours été funeste; ce qui m'y arriva cette fois me ferait presque croire au fatalisme. Nous étions à peine entrés dans le bassin, qu'un commissaire, des gendarmes et des agents de police, vinrent à bord pour examiner les papiers de l'équipage; j'ai su, depuis, que ce qui avait provoqué cette mesure en quelque sorte inusitée, c'était un assassinat dont on supposait que l'auteur pouvait se trouver parmi nous. Quand mon tour d'interrogatoire arriva, je déclarai me nommer Auguste Duval, né à Lorient, et j'ajoutai que mes papiers étaient restés à Roterdam, au bureau de la marine hollandaise; on ne répondit rien; je me croyais tiré d'affaire. Lorsque les cent trois hommes qui se trouvaient à bord eurent été interrogés, on nous fit appeler à huit, en nous annonçant que nous allions être conduits au bureau des classes, pour y donner des explications; ne m'en souciant pas du tout, je m'esquivai au détour de la première rue, et j'avais déjà gagné trente pas sur les gendarmés, quand une vieille femme qui lavait le devant de sa maison me jeta son balai entre les jambes; je tombai, les gendarmes arrivèrent, on me mit les menottes, sans préjudice de nombre de coups de crosse de carabine et de monture de sabre; on m'amena ainsi garrotté devant le commissaire des classes qui, après m'avoir entendu, me demanda si je n'étais pas évadé de l'hôpital de Quimper. Je me vis pris, puisqu'il y avait danger pour Duval comme pour Vidocq. Je me décidai cependant pour le premier nom, qui présentait moins de chances défavorables que le second, puisque la route d'Ostende à Lorient étant plus longue que celle d'Ostende à Arras, pouvait me laisser plus de latitude pour m'échapper.