NOTES

ÉPITRE AU DIEU D'AMOURS (p. 1 à 27.)

Cette pièce a été publiée au xvie siècle, mais on ne connait qu'un seul exemplaire de cette édition (voy. Introduction p. IX). Quelques vers ont été en outre cités par:

1° Mlle de Kéralio dans la Collection des meilleurs ouvrages composés par des dames (III, p. 69 et suiv.), vers 1 à 46, 259 à 266, 279 à 304, 775 à 824.

2° Paulin Paris (Manuscrits françois de la Bibl. du roi, V, p. 168) vers 1 et 2, 168 à 196, 796 à 800.

Vers 225 à 232.—Hutin de Vermeilles, chevalier et chambellan du roi, figure dès 1370 dans un compte de Jean le Mercier[1], comme envoyé par le roi à Avignon avec Bureau de la Rivière à la tête d'une compagnie de trente hommes d'armes. L'année suivante, il reçoit 200 fr. d'or en payement de ses frais de voyage auprès du Sire de Parthenay (Bibl. nat., Pièces orig., vol. 2969); puis nous le trouvons en 1377, capitaine et garde du château royal de Vivier en Brie, aux gages de 300 fr. d'or par an (Pièces orig., vol. cité). Il fut encore chargé de plusieurs missions importantes: en 1383 le roi lui fait don de 1,000 fr. d'or, très probablement pour couvrir de nouvelles dépenses de voyage. Plus tard il touche, en vertu de Lettres du 7 juillet 1388, une même somme de 1,000 fr. qui lui est accordée en récompense de son ambassade auprès du roi d'Aragon et du comte de Foix (Pièces orig., vol. cité). Enfin, d'après la chronique du bon duc Loys de Bourbon il est un des deux chevaliers français admis à Marienbourg à la table d'honneur dressée par le roi de Prusse après sa victoire contre les Suédois.—Hutin de Vermeilles épousa Marguerite de Bourbon, fille de Louis Ier de Bourbon, comte de la Marche; cette dernière mourut en 1362 et fut enterrée dans l'Église de Saint-Pierre-d'Aronville, près de Pontoise, où son mari devait reposer plus tard (P. Anselme, I, 298). Nous avons retrouvé que Charles VI fit faire à Paris en 1390, à l'Église des Blancs Manteaux, l'«obsèque» pour le repos des âmes d'Olivier de Mauny et de Hutin de Vermeilles, chambellans (Bibl. nat., Quittances, vol. 26024, n°. 1493). 233 à 244.—Sur Othe de Granson et ses compositions poétiques, voy. l'intéressant travail que M. A. Piaget a publié dans la Romania, XIX, p. 237 et 403. 267 à 269.—Allusion à certains personnages de l'antiquité qui auraient été trompés par les femmes (voy. Romania, XV, 316 et Bulletin de la Société des Anciens Textes, 1876, p. 129).

[1] H. Moranvillé, Etude sur la vie de Jean le Mercier, dans les Mémoires présentés par divers savants à l'Acad. des inscr., 2e série, t. VI, p. 250.

LE DIT

DE LA ROSE

(14 février 1401, anc. st.).

CI COMMENCE LE DIT DE LA ROSE

      A tous les Princes amoureux
      Et aux nobles chevalereux,
      Que vaillantise fait armer,
      Et a ceulz qui seulent amer
5 Toute bonté pour avoir pris,
      Et a tous amans bien apris
      De ce Royaume et autre part,
      Partout ou vaillance s'espart:
      A toutes dames renommées
10 Et aux damoiselles amées,
      A toutes femmes honnorables,
      Saiges, courtoises, agréables:
      Humble recommandacion
      De loyal vraye entencion.
15 Si fais savoir a tous vaillans,
      Qui pour honneur sont travaillans,
      Unes nouvelles merveilleuses,
      Gracieuses, non perilleuses,
      Qui avenues de nouvel
20 Sont en beau lieu plain de revel;
      Aussi est droiz que ceulz le sachent
      Qui mauvaistié devers eulz sachent,
      A fin qu'ilz amendent leurs fais
      Pour estre avec les bons parfais.
25 Si fu voir qu'a Paris advint,
      Presens nobles gens plus de vint,
      Joyeux et liez et senz esmois,
      L'An quatre cens et un, ou mois
      De janvier, plus de la moictié
30 Ains la date de ce dictié
      Du mois passé, quant ceste chose
      Advint en une maison close
      Et assemblée de nobles gens,
      Riches d'onnour et beaulx et gens.
35 Chevaliers y ot de renom
      Et escuiers de vaillant nom.
      Ne m'estuet ja leurs noms nommer,
      Mais chascun les seult bons clamer;
      Notables sont et renommés,
40 Des plus prisiez et mieulx amez:
      Du trés noble duc d'Orliens,
      Qui Dieu gart de tous maulx liens,
      Si sont de son hostel tous ceulz.
      Et n'y avoit pas un tout seulz
45 Qui n'aime, je croy, tous bons fais;
      Leans a assez de si fais.
      Assemblez les ot celle part
      Courtoisie qui ne depart
      De ceulz qui sont de gentil sorte.
50 La fu bien fermée la porte,
      Car vouloient en ce lieu estre
      Senz estranges gens privez estre
      Pour deviser a leur plaisir.
      La fu appresté a loisir
55 Le soupper; si furent assis
      Joyeux et liez et non pensis.
      Bien furent servis par les tables
      De mez a leur gré delitables.
      Car ne fu, j'en ose jugier,
60 Pas tout leur plaisir ou mangier
      Mais en la compaignie qui
      De vraye et bonne amour nasqui.
      Liez estoient et esbatans,
      Gays et envoisiez et chantans
65 Tout au long de cellui souper,
      Comme gent qui sont tout un per
      Et amis vrais sens estrangier.
      La n'ot parlé a ce mangier
      Fors de courtoisie et d'onnour,
70 Senz diffamer grant ne menour,
      Et de beaulx livres et de dis,
      Et de balades plus de dix,
      Qui mieulx mieulx chascun devisoit,
      Ou d'amours qui s'en avisoit
75 Ou de demandes gracieuses.
      Viandes plus délicieuses
      N'y ot, com je croy, a leur goust,
      Tout soyent d'assez petit coust,
      Et de ris et de bonne chiere;
80 De ce n'orent ils pas enchiere.
      Ainsi se sirent longuement
      En ce gracieux parlement.
      Mais Amours, ses loyaulx amis,
      Qui a valeur se sont soubzmis,
85 Volt visiter droit en ce point.
      Car alors seurvint tout a point,
      Non obstant les portes barrées
      Et les fenestres bien sarrées,
      Une dame de grant noblesse
90 Qui s'appella dame et deesse
      De Loyauté, et trop belle yere.
      La descendi a grant lumiere
      Si que toute en resplent la sale.
      Toute autre beauté si fut pale
95 Vers la sienne de corps, de vis
      Et de beau maintien, a devis
      Bien parée et bien atournée.
      Si fu entour avironnée
      De nymphes et de pucelletes,
100 Atout chappellès de fleurettes,
      Qui chantoient par grant revel
      Hault et cler un motet nouvel
      Si doulcement, pour voir vous dis.
      Que bien sembloit que Paradis
105 Fut leur reduit et qu'elz venissent
      De cellui dont fors tous biens n'issent,
      Celle deesse a tel maisgnie.
      Devant la table acompaignie
      Vint o les siennes bien parées,
110 Si tenoient couppes dorées,
      Si comme pour faire en present
      A celle gent nouvel present.
      Adonc fu la sale estourmie,
      Il n'y ot personne endormie,
115 Tuit furent veoir la merveille,
      Il n'y ot cellui qui l'oreille
      Ne tendist pour bien escouter
      Que celle leur vouloit noter;
      Chascun se tut pour y entendre.
120 Quant les pucelles a cuer tendre
      Orent leur chançon affinée
      Adonc se prist la belle née,
      Qui d'elles dame et maistresse yere,
      A dire par belle maniere
125 Ces parolles qui cy escriptes
      Sont en ces balades et dittes.
      Ne plus ne moins les ennorta
      Et les balades apporta:

Balade.

      Cil qui forma toute chose mondaine
      Vueille tousdiz en santé mantenir
      Et en baudour de grant leesse plaine
      Ceste belle compaignie et tenir.
      Deesse suis, si me doit souvenir
      De trestous bons et des bonnes et belles.
135 Pour ce qu'ainsi il doit appartenir
      Venue suis vous apporter nouvelles.

      De par le dieu d'amours, qui puet la peine
      Des fins amans desmettre et defenir,
      Present nouvel, gracieux, d'odeur saine,
140 Je vous apport et salus sens fenir,
      Si m'escoutez et vueilliez retenir:
      Car je vous di que de haultes querelles,
      Dont il pourra assez de biens venir,
      Venue suis vous apporter nouvelles.

145 De Loyauté deesse souveraine
      On m'appelle, et a mon seurvenir
      Je ne port pas de discorde la graine,
      Com fist celle qui Troyes fist bannir;
      Ains, pour tousjours loyauté soustenir
150 Et pour oster les mauvaises favelles
      Et les mauvais desloyaulx escharnir,
      Venue suis vous apporter nouvelles.

Balade.

      Le dieu d'Amours par moy il vous presente
      Ces roses ci de voulenté entiere,
155 Cueillies sont de trés loyal entente
      Es beaulx vergiers dont je suis courtilliere.
      Si vous mande qu'a trés joyeuse chiere
      Preigniez le don, mais c'est par convenant.
      Que desormais en trestoute maniere
160 Yrez l'onneur des dames soustenant.

      Si veult qu'ainçoiz que nullui se consente
      A recevoir la rose belle et chiere,
      Qu'il face veu que jamaiz il n'assente
      Blasme ou mesdit en nesune maniere
165 De femme qui son honneur tiengne chiere,
      Et pour ce a vous m'envoye maintenant.
      Si vouez tous qu'a parolle pleniere
      Yrez l'onneur des dames soustenant.

      Chevaliers bons et tous de noble sente,
170 Et tous amans, c'est bien droit qu'il affiere
      Qu'a ce veu ci vo cuer se represente;
      Amours le veult, si n'y mettés enchiere,
      Mais ne soit pas de voulenté legiere,
      Car a l'estat de vous appartenant;
175 Et si jurez que jusques a la biere
      Yrez l'onneur des dames soustenant.
      En disant ces balades cy
      La deesse, sienne mercy,
      Assist les couppes sur les tables.
180 Dedens ot roses odorables,
      Blanches, vermeilles et trop belles,
      Et cueillies furent nouvelles.
      Et avecques ce presentoit
      En beaulx rolez qu'elle gectoit
185 Ceste balade qui recorde
      Qu'Amours veult, qu'ainçois qu'on accorde
      A prendre la jolie rose,
      Que l'en face veu de la chose
      Qui est en l'escript contenu
190 Et qu'il soit juré et tenu.
      Et qui tout ce vouldra vouer
      Et celle promesse advouer,
      Hardiement preingne la rose
      Ou toute doulçour est enclose.
195 Si oyez lire la balade
      Qu'apporta la deesse sade:

Balade.

      A bonne amour je fais veu et promesse
      Et a la fleur qui est rose clamée,
      A la vaillant de Loyauté deesse,
200 Par qui nous est ceste chose informée,
      Qu'a tousjours mais la bonne renommée
      Je garderay de dame en toute chose
      Ne par moy ja femme n'yert diffamée:
      Et pour ce prens je l'Ordre de la Rose.

205 Et si promet a toute gentillesse
      Qu'en trestous lieux et prisée et amée
      Dame sera de moy comme maistresse.
      Et celle qui j'ay ma dame nommée
      Souveraine, loyauté confermée
210 Je lui tendray jusques a la parclose,
      Et de ce ay voulenté affermée:
      Et pour ce prens je l'Ordre de la Rose.

      Et si merci Amours et son humblesse
      Qui nous a cy tel semence semée
215 Dont j'ay espoir que serons en l'adresse
      De mieulx valoir; c'est bien chose informée
      Que de lui vint honneur trés renommée.
      Si defendray, s'aucun est qui dire ose,
      Chose par quoy dame estre puist blasmée:
220 Et pour ce prens je l'Ordre de la Rose.

      Princes haultains, ou valeur est fermée,
      Faites le veu, bonté y est enclose,
      L'enseingne en vueil porter en mainte armée:
      Et pour ce prens je l'Ordre de la Rose.

225 Adonc furent en audiance
      Levez, et, senz contrariance,
      Firent tous le beau veu louable
      Qui est gentil et honnorable.
      Quant nullui ne vit contradire
230 La deesse adonc prist a dire
      Ce rondelet, prenant congié,
      Si n'y a pensé ne songié:

      Or m'en vois dire les nouvelles.
      Au dieu d'Amours qui m'envoya.

235 De ses belles roses nouvelles
      Or m'en vois dire les nouvelles.

      A Dieu vous dy, tous ceulz et celles
      Que bonne amour cy avoya,
      Or m'en vois dire les nouvelles.

240 Quant ce fut dit, lors s'envola
      Celle deesse qui vint la.
      Mais les nymphes qui furent liez
      De leurs doulces voix deliez
      Commencierent tel mellodie,
245 Ne cuidez que mençonge die,
      Que il sembloit a leur doulz chant
      Qu'angelz feussent ou droit enchant.
      Ainsi parti de celle place
      La deesse, qui de sa grace
250 Ot la conpaignie esjoÿe,
      Tel nouvelle leur ot gehie,
      D'elle font feste et de ses choses
      Et tous se parent de ses roses,
      Par teste, par braz, par poitrine,
255 En promettant foy enterine,
      Si comme ou veu est devisé
      Qu'ilz orent moult bien avisé.
      Quant assez selon leur loisir
      Orent esté en ce plaisir,
260 Chantans, rians a chiere lie
      Senz dueil et senz merencolie,
      Partis s'en sont, congié ont pris,
      Emportant la rose de pris.

      Et je qui n'oz pas le cuer noir
265 Demouray en cellui manoir
      Ou ot esté celle assemblée,
      Ou je ne fus de riens troublée.
      Tart fut ja et saison en l'eure
      D'aler couchier et bien fu heure;
270 Mais la deesse qui m'ama,
      Sienne merci, et me clama
      Sa belle suer de cuer eslit
      M'ot appresté un trop beau lit,
      Blanc comme noif, encourtiné
      Richement et bien ordonné,
      En belle chambre toute blanche
      Comme la noif qui chet sur branche;
      Pour ce l'ot fait, je n'en doubt mie,
      Que je suis a Dyane amie,
280 La deesse trés honnourée
      Qui toudiz de blanc est parée.
      La me couchay seulette et nue,
      Et m'endormy. Lors une nue
      Si m'apparu en mon dormant
285 Clere et luisant; de ce forment
      Me merveillay que pouoit estre.
      De la nue, qui fu a destre
      Costé du lit, luisant et clere,
      Comme en esté temps qui esclere,
290 Yssi une voix gracieuse,
      Trop plaisant et trop amoureuse;
      Adonc, ou que dormisse ou non,
      La voix m'appella par mon nom,
      Si me dist lors: «Amie chiere
295 Qui m'as amée et tenu chiere
      Toute ta vie, bien le sçay,
      Car souvent t'ay mise a l'essay,
      Je suis la deesse loyale
      De la haulte ligne royale
300 De Dieu qui me fist et fourma
      Et de ses rigles m'enforma.
      Or m'entens, m'amie certaine,
      Et je te diray qui me maine:
      Tu scez comment en ta presence
305 Je vins presenter par plaisance
      Nagueres les roses jolies,
      Qui en nul temps ne sont palies,
      De par vraye Amour, qui conduit
      Ceulx qui de bien faire sont duit,
310 «Qui encor devers toy m'envoye,
      «Messagiere de ceste voye
      «Lui plaist que soye par usage,
      «Et voulentiers fais le message:
      «Amours se plaint trop fort et duelt
315 «D'une coustume qui trop suelt
      «Estre en mains lieux continuée,
      «Bien vouldroit qu'elle fust muée.
      «Car elle est male, laide et vilz,
      «Et vilaine, je te plevis,
320 «Et par especial en ceulx
      «Qui ne doivent estre preceux
      «D'acquerir toutes bonnes meurs
      «Pour plus acroistre leurs honneurs,
      «C'est es nobles et es gentilz
325 «Hommes qui doivent ententis
      «Estre a mieulx valoir qu'autre gent;
      «Bonté leur siet mieulx que or n'argent;
      «Mais des vilains ne fais je force,
      «Car ceulx ne font bien fors a force
330 «N'on ne les pourroit amender
      «Pour leur ennorter ne mander,
      «Car la condicion vilaine,
      «Qui pis flaire que male alaine,
      «Si est trop fort a corrigier;
335 «Trop est fort cil vice a purgier.
      «J'appelle villains ceulz qui font
      «Villenies, qui les deffont,
      «Je n'entens pas par bas lignaige
      «Le vilain, mais par vil courage;
340 «Mais cellui qui noble se fait
      «De lignie trop se deffait
      «Se sa noblesse en villenie
      «Tourne, dis je voir ne le nye,
      «Si font plus qu'autres a reprendre
345 «S'on les puet en vilains faiz prendre.
      «Et pour ce diz, ce n'est pas bourde,
      «Qu'en lait fait n'en parolle lourde
      «Tout nobles homs, s'il aime pris,
      «Se doit garder d'estre repris.
350 «Car trop en vauldroit mains senz faille,
      «Tout feust il bien preux en bataille;
      «Car la prouesse seulement
      «Ne gist pas ou grant hardement
      «D'assaillir ne de soy defendre
355 «Contre aucun qui le vueille offendre,
      «Car ce sont prouesses de corps,
      «Mais certes mieulx valent encors
      «Les bontez qui viennent de l'ame;
      «Ce ne me puet nyer nulle ame.
360 «C'est vaillantise et grant prouesse
      «Quant un noble cuer si s'adresse
      «Qu'en vertus il soit bien propice
      «Et eschever et fuïr vice
      «Ne qu'on ne puist trouver en lui
365 «Riens dont puist mesdire nullui,
      «Se n'est a tort ou par envie;
      «Car n'est en ceste mortel vie
      «Homme qui soit de touz amez
      «Ne de toutes gens bons clamez.
370 «Ce fait Envie qui s'efforce
      «D'abatre loz, n'y face force
      «Bon homme ains face toudiz bien,
      «Car loz vaintra, je te diz bien,
      «Et s'un tel homme ainsi apris
375 «Peut aussi d'armes avoir pris
      «Tant que renommée tesmoingne
      «Qu'en tout bien faire s'embesoingne
      Et qu'en rien ne soit recreant,
      Un tel vassal, je te creant,
380 Est bien digne de loz acquerre
      Se bon est en paix et en guerre,
      Et juste et loyal en tous cas
      Et o lui ait pour advocas
      Courtoisie qui si l'enseingne
385 Que de gentil porte l'enseingne
      En fait, en dit et en parolle.
      Senz orgueil qui maint homme affolle
      Si ait hault cuer et haulte emprise,
      Ce n'est pas l'orgueil qu'on desprise
390 Que d'avoir si haultain courage
      Qu'on ne daingnast faire viltage
      Et que l'en aime les haultaines
      Choses contraires aux vilaines.
      Telz choses sont appartenans
395 Aux nobles, et que soustenans
      Soient justice en tout endroit
      Et toute bonté, c'est leur droit.
      Mais pour revenir au propos
      Pour quoy vins ça sur ton repos
400 Par le commandement mon maistre
      Amours, qu'au monde Dieu fist naistre,
      Et de quoy se deult et complaint
      Et dont par moy a toy se plaint,
      C'est de la coustume perverse,
405 Qui l'onneur de mainte gent verse,
      De mesdire, que Dieux mauldie,
      Par qui mainte femme est laidie
      A tort et a grant desraison
      Et maint bon homme senz raison,
410 Qui queurt ores plus qu'onques mais.
      Ce fait Envie qui tel mais
      Apporte d'enfer pour donner
      Aux gens, et tout empoisonner
      «Et occirre de double mort
415 Qui a si fait vice s'amort.
      Mesdire, qui bien y regarde,
      C'est tel glaive et si faite darde
      Que meismes cil qui le balance
      Occist et cil sur qui le lance,
420 Mais aucunes fois plus blecié
      Demeure cil qui l'a lancié
      Que ne fait cil sur qui le rue.
      Ou soit en maison ou en rue,
      Et son ame plus griefment blece
425 Et son honneur et sa noblece
      Que ne fait souvent l'encusé.
      Et tel s'est maintes foiz rusé
      D'autre qui mieulx de soy valoit
      Pour ce que son bien lui douloit;
430 Et tel diffame autrui souvent
      Qui est plus seurpris, je m'en vent,
      Du mesmes meffait et tachié
      Qu'il dit que l'autre est entachié;
      Si est faulte de congnoissance
435 Et d'envie vient la naissance;
      Car nul ne vouldroit que tel verve
      On deist de lui, quoy qu'il desserve,
      Mais chascun puet estre certain
      Qu'il est un juge si certain
440 Qui tout congnoist et hors et ens,
      Tout scet et tout est clerveans,
      Si rendra a chascun desserte
      De bien ou de mal, chose est certe,
      Trop font mesdisans a haïr
445 Et leur compaignie a fuïr
      Plus que de gent bataillereuse.
      Plus male et trop plus perilleuse
      Est compaignie et plus nuysant
      D'omme jangleur et mesdisant;
450 Qui maie compaignie hante
      Ne puet que du mal ne se sente,
      Et avec les loups fault huler
      Et de leur peau soy affuler.
      Et, quant je di homs, j'entens famme
455 Aussi, s'elle jangle et diffame;
      Car chose plus envenimée
      Ne qui doye estre moins amée
      N'est que langue de femme male
      Qui soit acertes ou par gale
460 Mesdit d'autrui, moque ou ramposne;
      Et se mal en vient, c'est aumosne
      A celle qui s'i acoustume,
      Car c'est laide et orde coustume.
      N'a femmes n'affiert a mesdire,
465 Ainçois, quant elles oyent dire
      Chose qui face autrui dommage,
      Abaissier doivent le langage
      A leur pouoir ou elles taire,
      S'autre chose n'en pevent faire;
470 Car avoir doit, en verité,
      Doulçour en femme et charité;
      S'autrement font c'est leur contraire,
      Car bien siet a femme a point taire.
      Mais, pour ce que ceste coustume
475 Court en mains lieux qu'envie alume,
      Vouldroit bien Amours errachier
      D'entre ceulz qu'il aime et tient chier,
      C'est des nobles a qui tel tache
      Trop messiet, s'elle s'i atache;
480 Car si preux n'est, je l'ose dire,
      Que, s'il a renom de mesdire,
      Qu'il n'en soit partout moins amé,
      Moins prisié et jangleur clamé.
      Mais sur toutes autres diffames
485 Het Amours qu'on parle des femmes
      Laidement en les diffamant,
      Ne veult que ceulz qui noblement
      Se veulent mener pour acquerre
      Pris et honneur en mainte terre
490 Soient de tel tache tachié,
      Car c'est maufait et grant pechié.
      Et pour estrapper tel verjus
      M'envoya bonne Amour ça jus
      Atout l'Ordre belle et nouvelle,
495 De quoy j'apportay la nouvelle,
      Present toy, n'a gueres de temps,
      Mais encor veult, si com j'entens,
      Amours que ceste chose soit
      Publiée comment qu'il soit
500 Et qu'on le sache en maint paÿs
      A fin que mesdit soit haÿs
      En toutes pars ou noble gent
      Sont d'acquerre loz diligent.
      Si veult qu'ayes legacion
505 De faire en toute nacion
      Procureresses qui pouoir
      Ayent, s'elles veulent avoir,
      De donner l'Ordre delictable
      De la belle rose agreable
510 Avec le veu qui appartient.
      Mais Amours veult, bien m'en souvient,
      Que nulle ne soit establie
      A donner l'Ordre gente et lie
      S'elle n'est dame ou damoiselle
515 D'onnour, courtoise, franche et belle,
      Toutes sont belles quant bonté
      A la beauté plus seurmonté.
      Ainsi auras par ce convent
      Ceste charge d'ore en avant,
520 Si l'envoye par toute terre
      Ou noble gent poursuivent guerre
      Aux dames, de qui renommée
      Est de leur grant bonté semée:
      A celles veulz et te commande
525 Bonne Amour par moy et te mande
      Que tu commettes le bel Ordre
      Ou nulz ne puet par droit remordre.
      Et combien que j'aye apportées
      Les roses qui seront portées
530 Des bons a qui je les donnay,
      Et de telles assez en ay,
      Car en mon vergier sont cueillies,
      Ne veult pas Amours que faillies
      Els soient es autres contrées
535 Ou telles ne sont encontrées;
      Car quiconques d'orfaverie
      D'or, d'argent ou de brouderie
      De soye ou d'aucune autre chose,
      Mais que soit en façon de rose,
540 Portera l'ordre qui donnée
      Sera de la dame, ordonnée
      De par toy pour l'Ordre establir,
      Il souffist; et pour acomplir
      Ceste chose voicy les bulles,
545 Ou monde n'a pareilles nulles,
      Si tesmoing la commission.
      Cil Dieu qui souffri passion
      Te maintiengne toudiz en l'euvre
      D'estude qui grant science euvre
550 Et t'otroit son saint paradis,
      Je m'en vois et a Dieu te dis.»
      Adonc est celle esvanoÿe.
      Je m'esveillay toute esbahye;
      Ne vy ouvert huys ne fenestre,
555 Merveillay moy que ce pot estre;
      Si me pensay que c'estoit songe,
      Mais ne le tins pas a mençonge
      Quant coste moy trouvay la lettre
      De la deesse au royal sceptre
560 Qu'elle mist dessus mon chevet
      Coste moy, puis volant s'en vet.
      Par grant entente prises ay
      Les bulles et moult y musay,
      Car j'avoye lumiere d'oile.
565 Je me levay et la chandoile
      Alumay adonc senz tarder
      Pour mieulx la bulle regarder.
      Mais oncques ne vy en ma vie
      Si de beauté lettre assouvie,
570 Merveilles os, je vous plevy,
      De la grant beauté que g'i vy.
      Estrange en est moult la maniere:
      Le parchemin de fin or yere
      Et les lettres furent escriptes
575 De fin azur, non trop petites
      Ne trop grans, mais si bien formées
      Que mieulx ne peust, non pas rimées
      Ne furent, mais en belle prose
      La contint l'Ordre de la rose.
580 Le laz en fu de soye azure,
      Et le seel de belle mesure
      Fut d'une pierre precieuse
      Resplandissant et gracieuse:
      Le dieu d'Amours fut d'une part.
585 Les piez ot sur un liepart,
      De l'autre part fut la deesse,
      De Loyauté dame et princesse.
      Les empraintes moult merveilleuses
      En furent et trop gracieuses;
590 Et bien sembla de si bel estre
      Que n'estoit pas chose terrestre.
      Si leuz la lettre senz y point
      Faillir et notay chascun point.
      Lye fuz de la vision
595 Et d'avoir tel commission;
      Car combien que je ne le vaille
      Ay je desir que nul ne faille,
      Et pour ce moy, qui suis commise
      A ce, ne doy estre remise
600 De faire si bien mon devoir
      Que je n'en doye blasme avoir.
      Et pour ce ay je fait ce dictié
      Ou j'ay tout l'estat appointié
      Et mis la fourme et la maniere
605 Comme il avint et ou ce yere,
      A fin qu'on le sache en tous lieux.
      Si soient tous jeunes et vieux
      Desireux d'estre retenus
      En l'Ordre, maiz n'y entre nulz
610 S'il n'en veult bien son devoir faire,
      Car il se pourroit trop meffaire.
      Aussi aux dames amoureuses
      Qui de tout bien sont desireuses,
      J'entens de l'amour ou n'a vice,
615 Mal, villenie, ne malice,
      Car quiconques le die ou non
      En bonne amour n'a se bien non,
      Et a celles generaulment
      Qui aiment honneur bonnement,
620 Soit en ce regne ou autre part,
      Qui ont les cuers de noble part,
      De par la deesse je donne
      Le plain pouoir et habandonne
      De donner l'Ordre gracieux
625 A tous nobles et en tous lieux
      Ou bien employé le verront
      A ceulz qui avoir le voulront;
      Mais s'aucun le prent et le jure
      Et puis après il s'en parjure
630 Cellui soit tenu pour infame,
      Haÿ de tout homme et de famme,
      Car ainsi le veult la deesse
      Qui ceste chose nous adresse.
      Si feray fin, il en est temps,
635 Priant Dieu que aux escoutans
      Et a ceulz qui liront mes dis
      Doint bonne vie et paradis.
      Escript le jour Saint Valentin
      Ou mains amans trés le matin
640 Choisissent amours pour l'année,
      C'est le droit de celle journée.

      De par celle qui ce dictié
      A fait par loyale amitié,
      S'aucun en veult le nom savoir,
645 Je lui en diray tout le voir:
      Qui un tout seul cry crieroit
      Et la fin d'Aoust y mettroit
      Se il disoit avec une yne
      Il savroit le nom bel et digne.

EXPLICIT LE DIT DE LA ROSE.

Ce poème ne se trouve que dans les mss. de la famille B.

26 B1 Present

46 B1 m'aime.

78 B1 p. goust.

105 B1 qu'el

115 B1 T. fuyent.

137 le omis dans B1

163 B1 Qui f.

216 B1 ceste c. i.

299 manque dans B1

338 B1 baz.

345 B1 le p.

351 bien omis dans B1

425 B1 noblesse

435 manque dans B2

457 B1 q. doy

469 B1 ne p.

503 B1 lez d.

519 B2 d'ores

534 B1 Eles s.

594 B1 L. fu

603 B2 t. le fait a.

646 à 649 renferment l'anagramme de Crystyne.

Rubrique B1 Cy fine le d. de la R.