CHAPITRE VII

Assis sur un rocher, Calhan regardait Orbret et ses élèves s'entraîner. Ils maniaient leurs sabres de bois avec une ardeur qui rendait paradoxales les paroles du maître quand il affirmait son désir de vivre en paix.

Cela faisait maintenant quatre mois que Calhan se trouvait à Likuta. Le temps passait lentement. Le guerrier avait pris ses habitudes, et nul ne faisait plus attention à lui. Il se promenait beaucoup, goûtant le calme bucolique des forêts, essayant de comprendre par quel tortueux cheminement du destin il se trouvait dépouillé de son commandement et de son honneur... et sur le point de trahir son seul ami.

Car il n'oubliait pas la mission dont l'avait chargé Akhebo. Elle restait constamment présente à son esprit, quand il cheminait sur les sentes, quand il cultivait le petit lopin de terre que les villageois lui avaient alloué, quand il déjeunait avec les autres guerriers... Même quand il faisait l'amour à Falena, la jeune servante d'Orbret. Il devait tuer Zelmiane, tuer Orbret, ramener leurs têtes... Tuer ceux qui l'avaient reçu et le traitaient en véritable frère.

Calhan baissa la tête. Torturé, déchiré, il se vit profitant du sommeil de ses amis pour les frapper de son poignard avant de s'enfuir. Etait-ce possible ? Devait-il répondre à la générosité par la plus abjecte bassesse ? Devait-il tuer deux êtres qu'il estimait et aimait, pour satisfaire la haine d'un seigneur qu'il détestait et méprisait ?

Plus d'une fois déjà, il avait eu l'occasion d'accomplir sa mission. Il n'avait pu s'y résoudre. Mais il savait qu'il n'avait pas le choix. Akhebo était son maître, et il lui devait l'obéissance la plus absolue. Et puis s'il ne tuait pas Orbret et Zelmiane, ce seraient sa femme et ses enfants qui périraient.

Calhan se leva en soupirant et fit quelques pas. Ses yeux ne quittaient pas Orbret. Son ami faisait preuve d'une habileté diabolique avec son arme de bois. Il avait toujours été très fort, mais il montrait là un talent qui n'était plus celui de n'importe quel expert. Calhan comprenait qu'en se détachant effectivement des passions et des désirs vulgaires qui accablent l'âme des hommes, en se pénétrant de ce qui était l'essence même du sabre, Orbret avait acquis une science qui le rendait pratiquement invincible au combat.

Il n'était donc pas question de l'affronter l'arme à la main, face à face. Il faudrait agir par ruse. Cela lui répugnait profondément, mais Calhan ne voyait guère le moyen de faire autrement...

L'esprit en tumulte, il se dirigea vers le village. Il aperçut alors Akjidhi Maïlan qui approchait. Le guerrier ne lui marquait pas beaucoup de sympathie, se contentant de se montrer poli, sans plus. Par contre, Calhan veillait à ne pas se montrer hostile. La méfiance d'Akjidhi risquait de lui nuire si l'autre parvenait à la faire partager à Orbret.

— Bonjour, Akjidhi Maïlan, dit Calhan, l'air aimable.

Akjidhi le salua sèchement. Il paraissait soucieux.

— Vous semblez préoccupé. De mauvaises nouvelles ?

— Des nouvelles qui devraient vous réjouir... Les rebelles ont repris leur avance vers Matilan.

Calhan haussa les épaules.

— Cela ne me réjouit ni ne m'attriste. J'atteins moi aussi au détachement, en vivant ici.

— Eh bien moi, je ne suis pas détaché ! Ces gens se conduisent en barbares. Ils tuent, violent, pillent, torturent... Le village où je suis né a été rasé et tous ses habitants crucifiés, hommes, femmes et enfants !... Y compris ma famille !

— Je suis désolé...

— On ne peut plus laisser faire ce Hazuka ! C'est un fou sanguinaire !

— Je me suis pourtant laissé dire que vous aviez été le vassal de Mahoto Tom'taï, qui n'était pas un tendre non plus. Auriez-vous changé de camp ?

Akjidhi sembla touché par ces paroles. Il se mordilla les lèvres.

— Eh bien... c'est un peu ça, reconnut-il. Mon cheminement a été semblable à celui d'Orbret. J'ai beaucoup appris à son contact. Vous qui vous prétendez son ami devez le comprendre.

— Je le comprends... Y a-t-il eu une nouvelle bataille ?

— Pas encore. Mais l'armée impériale recule sans cesse devant celle d'Akhebo.

— Que comptez-vous faire ?

— Je dois parler à Orbret.

— Je vais avec vous ! décida Calhan.

— Non, dit Orbret. Je ne quitterai pas Likuta. Je ne veux pas me mêler à ce conflit.

— Ne crains-tu pas, demanda Calhan, que ce soit mal interprété ?

— On pourrait te croire lâche, murmura Akjidhi.

Orbret éclata de rire.

— Ceux qui me connaissent savent que je ne suis pas un lâche. Et que n'importe l'opinion de ceux qui ne me connaissent pas ?

Les trois hommes, assis dans l'herbe au bord de la rivière, discutaient depuis un bon moment. Akjidhi voulait partir se battre ; Orbret, lui, s'y refusait, malgré les objurgations de son ami. Calhan écoutait, se mêlant par instants à la conversation.

— Tu as raison, admit-il. Qu'importe l'opinion des ignorants et des imbéciles !

— Etes-vous donc indifférents à l'anarchie qui règne dans le pays ? s'exclama Akjidhi.

— Je me demande ce que trois guerriers de plus ou de moins, ou même dix ou cent, pourraient changer à cette anarchie ! persifla Calhan.

— Décidément, vous avez beaucoup changé depuis votre arrivée à Likuta, Calhan Artov ! A moins que votre disgrâce ne vous ait enlevé votre ardeur à vous battre !

Calhan resta de marbre.

— Orbret pourra vous dire que lorsque nous nous sommes connus, le clan Hazuka était l'allié de l'empereur. L'alliance s'est un jour renversée. Orbret a choisi de rompre avec le clan, moi de lui rester fidèle... Aujourd'hui pourtant, nous en sommes tous deux exactement au même point. Alors... Nous battre à nouveau... pour quoi faire, je vous le demande ? Rien ne changera dans l'empire de Soratahr, que ce soit Akhebo Hazuka qui l'emporte ou Achitalheb.

Orbret ne dit mot. Calhan détourna la tête. Il jouait la comédie à merveille mais se dégoûtait profondément.

— Il y a autre chose, dit alors Orbret. Vous le savez, Zelmiane attend un enfant. Et... elle n'est plus une très jeune femme. Je ne me sens pas le droit de l'abandonner pour courir les champs de bataille. Il me semble que la vie qui palpite en elle est plus importante que tous les combats.

Akjidhi se leva.

— C'est bon, dit-il sèchement. Vous ferez ce que vous voudrez. Pour ma part, je vais réunir mes affaires et me mettre en route. Je rallie l'empereur.

Orbret se leva à son tour.

— Je t'accompagne.

Calhan regarda son ami, partagé entre l'angoisse et une sorte de soulagement.

— Mais... je croyais que...

— Non... Je vais simplement accompagner Akjidhi un bout de chemin. Ma jambe a besoin d'exercice.

Calhan se dressa, le coeur battant. C'était écrit... Orbret lui offrait lui-même l'occasion qu'il attendait. Il irait au bout de son destin. De leur destin à tous les deux.

— Je me joins à vous, dit-il.

Calhan marchait derrière Orbret et Akjidhi. Il réfléchissait.

Dans un premier temps, il avait pensé frapper ses compagnons de route par surprise et les tuer tous les deux. Mais en plein jour, cela lui serait difficile, voire impossible. Trop de paysans empruntaient ce chemin et pourraient tout voir. Comment pourrait-il alors revenir à Likuta et tuer Zelmiane ?

Et puis rien ne disait qu'il pourrait surprendre Orbret et Akjidhi. Il les connaissait assez pour savoir qu'ils possédaient au plus haut point la prescience des attaques. S'il faisait mine de dégainer, même derrière leur dos, il se retrouverait à l'instant en face de leurs deux sabres !

Calhan leva la tête. Le soleil descendait derrière les monts. Ils avaient beaucoup cheminé... Il rattrapa ses compagnons.

— Vous voulez continuer longtemps comme ça ? leur demanda-t-il.

Alors seulement ils parurent s'apercevoir qu'il était tard et que le village était loin.

— Ma foi, grogna Orbret, je crois que nous allons coucher à la belle étoile. Il n'est plus possible de retourner à Likuta avant la nuit. (Il rit.) Bah ! Il ne fait pas froid !

— Mais tu n'as pas prévenu Zelmiane, objecta Calhan.

— C'est vrai...

Calhan se mit à rire.

— Découcher sans en informer ton épouse, alors que tu es encore un jeune marié ! C'est du joli... Allons, je vais rentrer seul et avertir Zelmiane. Ainsi, elle ne s'inquiétera pas.

Orbret secoua la tête.

— Je te remercie, mais je peux forcer ma jambe... La souffrance ne me fait pas peur.

— Quand la souffrance est utile, c'est une bonne chose.. Mais en l'occurrence, elle serait tout à fait superflue. Laisse donc... Repose-toi ! En marchant d'un bon pas, je serai à Likuta dans trois heures au plus.

— Je te remercie, dit Orbret à nouveau.

Calhan eut un petit geste négligeant.

— Je dirai à Zelmiane que tu as rencontré quelque accorte paysanne qui t'a invité à dormir dans sa hutte !

— C'est ça ! gronda Orbret. Et moi, je t'arracherai la langue !

Calhan eut un grand rire, très gai. Il salua Akjidhi et, faisant demi-tour, s'éloigna.

Il tuerait Orbret et Zelmiane. Il rapporterait leurs têtes à Akhebo. Son seigneur se réjouirait de contempler les deux trophées, mais sa jouissance serait de courte durée ! Car Calhan avait pris sa décision : quand Akhebo aurait entre les mains les têtes d'Orbret et de Zelmiane, il tirerait son sabre et l'abattrait !

Puis il s'ouvrirait la poitrine avec son poignard, si les gardes ne l'avaient pas tué avant... et il retrouverait l'harmonie de sa vie.

Dans la mort !

Il faisait nuit noire quand Calhan arriva devant la maison d'Orbret. Il resta un moment immobile, silencieux, bourrelé de honte mais résolu.

Puis il appela :

— Dame Zelmiane !

Il n'eut pas longtemps à attendre, signe que la jeune femme devait guetter anxieusement le retour de son époux. La porte s'ouvrit et elle apparut. Elle était en pagne, et son ventre s'arrondissait au-dessus de l'étroite étoffe qui couvrait son pubis. Elle tenait une hallebarde à lame en faux à la main.

— Calhan Artov ? s'étonna-t-elle. Que se passe-t-il ? Où est Orbret ?

Calhan nota de la méfiance dans sa voix. Aussi mit-il toute la conviction possible dans sa réponse :

— Orbret a été blessé !

— Quoi !

Zelmiane s'avança vers lui. Dans la lueur du flambeau qui brûlait à l'entrée de la demeure, il vit ses yeux qui luisaient d'angoisse. Il serra les dents. Il ne pouvait pas, il ne devait pas faillir à sa mission, sinon, Liika et ses enfants mourraient.

— C'est grave ? Parlez, Calhan, je vous en prie !

— Non, ce n'est pas très grave. Un accrochage avec quelques rôdeurs... Sa jambe l'a trahi. Les brigands sont morts, mais Orbret ne peut marcher. Alors il m'a envoyé vous chercher. (Pour faire plus vrai, il ajouta :) Il voudrait que vous lui apportiez à manger et des vêtements propres. Les siens sont pleins de sang.

Sans un mot, Zelmiane rentra dans la maison. Calhan l'entendit donner des ordres à Falena. Il eut un sourire crispé. L'inquiétude avait fait oublier sa méfiance à Zelmiane.

Pas tout à fait, pourtant... Car lorsqu'elle réapparut, portant un petit ballot, elle tenait toujours sa lance. Calhan en fut mécontent : il savait la jeune femme particulièrement habile dans son maniement.

Mais il était un guerrier alors que Zelmiane n'était qu'une femme ! Et enceinte, de surcroît.

— Allons-y, dit-elle. Où se trouve Orbret ?

— A deux heures de marche. Il se repose dans un petit temple abandonné.

Zelmiane acquiesça. Calhan se mit en route le premier, comme il se devait.

— Orbret a eu beaucoup de chance de ne pas succomber à sa blessure, lors du combat contre Krashib Pusure, déclara-t-il. Aujourd'hui encore, il s'est battu avec vaillance...

Sa compagne ne répliqua pas, et il n'insista pas. Il ne tenait pas vraiment à faire la conversation.

Il avait parfaitement déterminé le lieu où il tuerait Zelmiane. Malgré ses tourments et sa honte, il avait réfléchi avec calme, froideur, organisant son guet-apens de façon à mettre toutes les chances de son côté.

Le temple où il avait prétendu qu'Orbret les attendait se trouvait à l'écart de la route, au milieu des bois, abrité des regards. Quand ils aperçurent son toit à demi effondré, dans la lumière de la lune, la jeune femme appela :

— Orbret ?

Il n'y eut bien sûr pas de réponse.

— Il doit dormir, observa Calhan. Allons le retrouver.

Zelmiane passa devant lui. Il la regarda. Son coeur battait à se briser. Il porta la main à son sabre... D'une façon totalement incongrue, il porta son attention sur la mince cordelette du pagne qui passait entre les fesses de sa compagne, juste sous le noeud rituel en forme de papillon. Zelmiane avait de très belles fesses, rondes et pleines. Elle avait aussi un beau dos, des épaules larges, des cuisses solides et fines à la fois, des mollets musclés. Elle était plus nue, avec ce pagne de paysanne, que si elle n'avait rien porté. Elle était plus nue et plus belle... et Calhan se sentit sans force. Malgré lui, sa main s'éloigna de la poignée de son arme...

Il serra les dents. Pourquoi cette faiblesse ? Il ne devait songer qu'à son épouse et à ses enfants...

Tuer Zelmiane... Tuer cette beauté... Tuer cette amitié... Faire foin de toute autre pensée...

Il courut derrière la jeune femme. La lune faisait naître des reflets d'argent dans sa chevelure, et il comprit brusquement pourquoi Orbret aimait autant son épouse. Zelmiane ne ressemblait pas à une mortelle. C'était une déesse ! Dans cette forêt, elle apparaissait à sa vraie place, comme Orbret était à la sienne en enseignant son art au coeur des montagnes.

- Orbret ?

Elle s'était arrêtée à l'orée de la clairière où était bâti le temple. Calhan s'arrêta aussi, juste derrière elle. Il était baigné de sueur. Un point douloureux lui taraudait le ventre.

— Pourquoi ne répond-il pas ?

Calhan tressaillit. Zelmiane n'avait pas parlé sur le ton anxieux de la femme affolée craignant pour la vie de son mari. Sa voix était froide, réfléchie.

Elle avait compris qu'il se passait quelque chose d'anormal...

Calhan réalisa qu'il venait de perdre l'occasion unique de frapper par surprise. Il pinça les lèvres de rage et dégaina enfin son sabre.

Au même instant, Zelmiane sauta de côté et se retourna, pointant sa lance droit devant elle...

Ils se regardèrent, statufiés, les lèvres retroussés sur le même rictus de colère et de douleur, le guerrier et la femme nue au ventre rond, aux seins lourds. Ils savaient que celui qui esquisserait la première attaque se trouverait exposé à une riposte fatale.

Zelmiane fit un pas en arrière, Calhan un pas avant, comme dans un ballet à la chorégraphie bien réglée.

— Pourquoi ? demanda sèchement la jeune femme. Pourquoi, alors que vous vous prétendiez notre ami ?

Calhan ne voulait pas parler. Il voulait en finir. Mais il y avait tant de reproche dans la voix de Zelmiane, tant de douloureuse surprise..., tant de mépris !

— C'est l'ordre de mon seigneur, répondit-il. Je... je dois obéir !

— Akhebo... Cette larve vous a ordonné de me tuer ?

— Oui... Et... Orbret aussi !

Zelmiane eut un ricanement haineux.

— Nous tuer tous les deux par traîtrise ! Je le reconnais bien là ! (Ils parlaient à voix basse, sans faire un mouvement, sans baisser leur garde.) Vous m'aurez peut-être, mais pas Orbret ! Vous n'avez aucune chance contre lui... à moins de le frapper dans le dos ! Je vous en empêcherai !

Elle bondit, sa lame siffla de bas en haut. Calhan n'eut que le réflexe de sauter en arrière. La pointe de la hallebarde déchira la peau de sa poitrine, y traçant une ligne sanglante. Sans son entraînement, sa science de guerrier, il aurait été éventré.

Elle enchaîna par une série de larges moulinets, visant alternativement la tête, les chevilles et le ventre. Son visage était crispé, ses yeux luisaient de haine. Ses seins et son ventre ballottaient.

Calhan reculait, étourdi par la violence de ces attaques. Il para un coup de revers et s'étonna de l'énergie de son adversaire. La lance l'avait ébranlé jusqu'à l'épaule !

L'instant d'après, ce fut avec le talon de son arme que la jeune femme frappa, et Calhan ressentit une violente douleur au tibia. Cette furie pourrait bien lui briser les jambes, pourvu qu'elle se trouve à bonne portée ! Il fallait en finir et ne pas prendre de risques inutiles.

Reculant pas à pas, il attira Zelmiane sous le couvert. Toute à son désir de tuer celui qui les trahissait, qui voulait prendre la tête de l'homme qu'elle aimait, celle-ci ne se rendit pas compte du piège. Elle écarta du pied un bouquet de fougères, frappa à nouveau...

Sa lame se planta dans le tronc d'un chêne. Zelmiane trébucha, poussant un cri de douleur et se surprise. Son arme lui échappa. La jeune femme glissa sur la mousse humide et se retrouva à genoux. Calhan était là, le sabre levé...

Pendant une interminable seconde, les deux adversaires restèrent les yeux dans les yeux.

— Frappe, lâche ! siffla enfin Zelmiane. Frappe, puisque je suis à terre et désarmée ! Obéis à ton maître !

Calhan ouvrit la bouche. Les mots roulaient dans son crâne comme des oiseaux fous.

— Pardonnez-moi... Je regrette... Je dois... (Il était incapable de prononcer une phrase cohérente. Incapable d'achever son geste. D'abaisser son sabre sur cette nuque claire qui s'offrait.) Je ne peux pas...

Un soulagement désespéré l'envahit. Il ne pouvait pas... Il ne tuerait pas Zelmiane, Orbret... Son bras retomba, il planta son arme dans la terre.

— Non ! cria-t-il. Non, je ne le ferai pas ! (Il se mit à sangloter.) Liika... Mes enfants... Ils vont mourir ! Dieux... Tuez-moi aussi ! Je ne veux plus vivre...

Zelmiane le regardait, figée. Calhan ne la menaçait plus. Il pleurait, les mains plaquées sur le visage, les épaules tressautantes. Elle alla détacher sa lance du tronc du chêne.

— Que voulez-vous dire, Calhan Artov ? interrogea-t-elle sèchement. Que va-t-il arriver à votre famille ?

Calhan abaissa ses mains et la dévisagea.

— Si... si je ne vous tue pas, si je ne ramène pas vos têtes à Akhebo..., il fera mettre à mort les miens, dans les pires tortures... Dame Zelmiane... je vous jure... croyez-moi... Je voulais accomplir son ordre, lui ramener vos têtes pour sauver ma famille... Mais je l'aurais tué. Et je me serais suicidé ensuite ! Vous devez me croire !

Zelmiane hocha la tête.

— Je vous crois, Calhan Artov, assura-t-elle. Je vous crois... Et je reconnais bien là la bassesse d'Akhebo, sa perfidie. Il n'a jamais eu d'honneur et n'en aura jamais.

Calhan se tordait les mains.

— Que vais-je faire ? gémit-il. Comment sauver les miens ?

Il y eut un silence. Puis Zelmiane s'avança et posa la main sur l'épaule de Calhan.

— Il faut retrouver Orbret, dit-elle.

Calhan la regarda, un nouvel espoir au coeur.

— Je vais vous mener à lui !

Ils regagnèrent la route. La nuit était sombre, tout à coup, car de gros nuages masquaient la lune. Ils cheminèrent un long moment sans parler. Puis Zelmiane déclara :

— Akhebo Hazuka est une bête malfaisante. Jamais nul n'aura la paix tant qu'il souillera le monde de son existence. Notre seul espoir de vivre en paix est qu'il meure !

Sa voix était si froide et déterminée que Calhan en fut impressionné. Orbret et elle étaient trempés dans le même métal !

— Je vous admire ! dit-il avec chaleur. Orbret et vous savez le sens de votre vie. Vous ne pouvez être éclaboussés par la saleté d'un Hazuka... ou la mienne !

Zelmiane sourit, mais son sourire se mua soudainement en grimace. Elle s'arrêta et crispa les mains sur son ventre.

— Qu'y a-t-il ? demanda Calhan, alarmé.

— J'ai mal ! gémit-elle.

— Dame... Zelmiane..., balbutia Calhan. C'est... votre enfant ?

Elle ne répondit pas. Pendant de longs instants, elle demeura à demi courbée, respirant irrégulièrement. Enfin, la crise sembla s'atténuer.

— C'est fini, dit la jeune femme d'une voix frémissantes. Je me sens mieux.

— Il faut retourner à Likuta, décida Calhan. Vous ne pouvez continuer à marcher ainsi. Vous devez vous reposer.

Elle secoua la tête.

— Non... Plus tard. Il faut retrouver Orbret !

— Mais...

— Ce n'était rien. Juste l'émotion... Toutes ces nouvelles... et ce combat... Allons ! Nous avons déjà perdu trop de temps !

Elle se remit en marche. Calhan la suivit, dévoré d'inquiétude.