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QUINZE

Les excubiteurs se dispersèrent en hurlant. Dans une panique aveugle, les voyageurs en deuil et les autochtones coururent se mettre à l’abri. Même les soldats des troupes du Grand Ennemi, qui s’étaient rassemblés au son de l’alerte, commencèrent à courir, parfois en abandonnant leurs armes.

Il se propagea dans l’air une senteur d’ozone. Un parfum sec et piquant, comme celui d’un fil de fer chauffé. Les nuages semblèrent se refermer sur Wheathead, en gonflant aussi vite que de l’encre dans l’eau. Le tonnerre gronda.

Accrochées aux gibets, les lueurs sphériques s’agitèrent, plus brillantes que n’importe quel soleil. Une lumière du Warp se mit à en irradier. Les masses lumineuses crachotèrent et commencèrent à couler le long de la poutre, comme de la roche en fusion, pour se déverser sur les pantins de métal creux et les emplir de lumière.

Les mannequins de câblages tressaillaient. Leurs segments de métal grattaient les uns sur les autres. Leurs fils bourdonnaient, comme chargés d’électricité. La température chuta en flèche dans tout Wheathead. Un givre poudreux s’accrocha aux tuiles des toits et les flaques de boue se figèrent.

Les lycanthroïdes se réveillaient.

Le glyf les avait invoqués. Au-dessus du gibet, des rituels arcaniques avaient rendu plus fine la frontière entre les dimensions, pour que la substance de l’Immaterium pût la traverser lorsque l’ordre lui en était donné. Les mannequins de métal grossier, élaborés pour pouvoir coaguler et contenir les énergies du Warp, se mettaient à vibrer d’une vie impie.

Ils étaient deux. Ils prirent la forme d’hommes, simplement parce que les mannequins avaient été conçus selon cette apparence. Les spasmes qui les agitaient leur donnaient l’allure de chevaliers des temps anciens, en armures de plates complètes, illuminés de l’intérieur par la plus ardente des lanternes jamais allumée. Parcourus d’énergie, les câbles auxquels ils étaient suspendus commençaient à produire une note vibrante.

Ces réceptacles matériels n’avaient pas été façonnés avec beaucoup de soin, ils n’étaient que chaussures de métal grossier, jambières, plaques épaisses, haubert, tous reliés les uns aux autres. La radiance affamée s’échappait par les interstices des articulations et des soudures. Les sections des bras étaient agitées de soubresauts. La lumière dardait par les fentes de leurs yeux avec autant de force que les phares d’un Land Raider.

Les membres supérieurs de ces mannequins n’étaient pas achevés : plaques d’épaule, canons métalliques pour le bras et l’avant-bras. Ils n’avaient ni mains ni gantelets. À leur place s’échappaient des bouquets de câbles, auxquels étaient suspendues des lames d’acier aiguisé que le vent faisait tinter. Gouvernée par la puissance irréelle qui avait investi l’armure, la lumière crépitante s’étendit, leur poussa des poignets, et forma de longs doigts d’énergie solide au bout desquelles ces lames vinrent se ficher comme des griffes.

— Cours ! lâcha Acreson d’une voix suffocante.

Lefivre fit un pas en arrière, puis deux, sur la terre devenue soudain cassante. Ses talons firent craquer des panneaux de glace. Il ne parvenait pas à croire ce qu’il voyait, et sentit ses intestins se liquéfier.

— Cours, Lefivre ! Cours, pour l’amour du Trône ! le supplia Acreson.

Les câbles du gibet, qui gémissaient comme des lignes télégraphiques, cassèrent soudain.

Les lycanthroïdes tombèrent de leur potence.

En dispensant la lumière fantomatique par chacun de leurs joints, ils atterrirent lourdement sur leurs deux pieds, et se redressèrent. Lentement. Très lentement.

Le premier fit un pas. Son mouvement produisit un fracas semblable à celui des chenilles d’un tank. L’autre le suivit.

Des bruits de métal grinçant, mais une puissance sinistre.

Leurs regards brûlants balayèrent comme des rayons de visée la scène qui s’offrait à eux. Ils se mirent à renifler, puis à gémir.

Puis poussèrent leurs hurlements de loup.

— Oh, par l’Empereur… s’exclama Lefivre.

Les lycanthroïdes s’élancèrent en se déplaçant plus vite que n’importe quel homme. Un froid mortel les entourait. La caresse lascive de leurs doigts tranchants raclait et crissait contre la pierre des murs qu’ils longeaient pour se diriger à tâtons au sein du village.

— S’il te plaît… Cours, répéta Acreson.

Les hurlements s’étaient amplifiés.

Un excubiteur pris à découvert tomba à genoux devant la charge des lycanthroïdes. L’un d’eux le frappa de ses griffes de lumière et d’acier. Il tomba, démembré, dans une brume de lumière violette. De la fumée monta de ses restes tranchés.

Lefivre se mit à courir.

— Qu’est-ce que c’est, ce putain de bruit ? cria Rawne.

— Ignorez-le… Ignorez-le ! bafouilla Cirk. Nous devons nous mettre à l’abri, et tout de suite !

Feygor était encore tombé. Criid se joignait à l’effort collectif pour le porter.

— Pour l’amour du Trône, dépêchez-vous ! hurla Cirk.

Ils étaient arrivés à la bordure du village. Au-dessus d’eux, le ciel était noir. Une lumière horrible provenait de la rue qu’ils venaient de quitter.

— Vers la ligne d’arbres ! ordonna Cirk, et ils commencèrent à dévaler en hâte la pente d’un champ nu qui s’éloignait à l’ouest de Wheathead.

— Qu’est-ce que vous faites ? s’écria Landerson. Nous devons partir d’ici !

— J’ai des hommes là-bas, rétorqua Gaunt, en faisant lâcher prise au combattant de la résistance.

— Plus maintenant, dit Landerson. Croyez-moi. Les lycanthroïdes ont été lâchés. Si nous courons, nous pouvons peut-être nous en sortir vivants.

Gaunt fixa Landerson droit dans les yeux. Il savait que l’homme ne mentait pas. Il n’avait aucune idée de ce dans quoi il allait se jeter, et la mission était trop essentielle, trop vitale. Chaque membre de son équipe pouvait être sacrifié. Van Voytz avait bien insisté sur ce point. Tout ce qui importait était le succès final.

Sur le moment, Gaunt avait cru trouver cela acceptable. Mais il réalisa que ça n’était pas le cas maintenant que sa fidélité était mise à l’épreuve. Rawne était là-bas. Avec Feygor. Criid. Bonin.

Bonin. Bonin le veinard, qui pour mériter ce surnom avait failli perdre la vie lors de l’attaque contre Asphodel l’Héritier sur Verghast, et avait survécu. L’un des meilleurs éclaireurs de Mkoll.

Criid, cette chère Tona, la fille des rues, rescapée de Vervun pour devenir non seulement un Fantôme, mais la première femme officier du 1er de Tanith. Le cœur de Caffran n’y résisterait pas, et bien sûr, il y avait leurs enfants…

Feygor… Gaunt ne pensait rien devoir à Feygor. Mais celui-ci avait toujours été là et s’était toujours battu comme le pire des salopards.

Et Rawne. Sa Nemesis. Son ombre. L’homme qui le tuerait un jour, plus certainement que les forces de l’ennemi, Gaunt en était sûr.

Mais Rawne était Rawne. Sans lui, il n’y avait pas de Premier et Unique. À présent que Corbec était mort et enterré sur la lointaine Herodor, Rawne était le dernier vestige de cet esprit fondateur né des années plus tôt sur Tanith.

Gaunt n’allait pas sacrifier ça. Il refusait d’abandonner un seul d’entre eux.

La mission pouvait aller se faire foutre.

— Mkoll ! cria-t-il. C’est vous qui emmenez l’équipe. Tirez-les de là. Si je ne reviens pas, vous savez ce que nous sommes venus faire sur cette planète, et je vous fais confiance pour y arriver.

Mkoll acquiesça.

— Je ferai mon devoir, commissaire. Pour ce que ça vaut, je crois que vous feriez mieux de rester avec nous.

— Moi aussi, dit Gaunt. Mais je dois y aller. Rawne est là-bas.

— Le même Rawne qui ne vous fait pas confiance ?

— Considérez ça comme une tentative pour lui donner tort.

Mkoll sourit. Puis il éleva la voix.

— Varl ! Brostin ! Passez en tête de groupe ! Prenez au sud par les bois. Et pas de bruit, vous m’avez compris ?

Il marqua une pause.

— MkVenner… Va avec le chef.

— Je n’ai pas… voulut protester Gaunt.

— Ven va aller avec vous, commissaire. C’est moi qui décide.

Gaunt hocha la tête. Ses pistolets étaient déjà dégainés, et il descendit en courant l’inclinaison du terrain pour quitter le couvert des arbres.

— Ramène-le vivant, dit Mkoll.

MkVenner hocha la tête et partit derrière son commandant. Mkoll recula vers les arbres.

— En route ! Tout de suite, bande d’abrutis ! Allez !

Lefivre était parti. Acreson, à deux doigts de perdre connaissance, se maintenait en position assise et pointait son arme dans la longueur de la rue.

Les lycanthroïdes glissaient et bondissaient vers lui en poussant des cris aigus. Leur vue le fit vomir involontairement. Après avoir essuyé la bile de ses lèvres, il ouvrit le feu.

Les balles frénétiques tintèrent contre l’armure du plus proche, ou partirent en fumée là où elles atteignirent la lumière à la jonction des membres.

Acreson tira encore, et encore, jusqu’à ce que son chargeur fût vide.

— Ô Empereur Empereur Empereur… se mit-il à répéter.

Le premier lycanthroïde était sur lui et le frappa sauvagement de ses griffes ; la tête d’Acreson fut jetée de côté, le cou presque tranché. Les lames s’étaient profondément enfoncées dans sa chair. L’éclat du lycanthroïde bouillonna. Une lumière violette monta du corps du résistant : en une seconde, Acreson fut réduit à un squelette fumant, couvert de cendres bleu pâle.

Le groupe de Rawne quitta Wheathead en s’enfuyant à travers prés, sous les nuages sombres qui tourbillonnaient au-dessus de leurs têtes.

— Courez ! ordonna Rawne. Cirk détalait déjà en piétinant l’herbe épaisse. Criid et Bonin luttaient sous le poids de Feygor.

Rawne sortit un tube-charge de sa veste et serra la bande du détonateur entre son pouce et son index.

Les hurlements se rapprochaient. Le ciel prenait une couleur sang.

Ils allaient tous mourir. Point à la ligne.

L’utilité de leur mort dépendait de lui.

Lefivre atteignit l’extrémité de la rue en hurlant et en tirant derrière lui. Par-delà la clôture, les champs sans vie s’étendaient jusqu’en bordure des arbres.

Le premier lycanthroïde se jeta sur lui et Lefivre lui vida son chargeur dans la poitrine. L’énergie cinétique de la rafale le repoussa.

Mais le second s’était coulé sur sa droite. Il ne frappa pas. Il tendit les griffes, et les lames fumantes s’enfoncèrent dans l’épaule de Lefivre.

Lefivre trembla. La souffrance lui fit ouvrir la bouche. Une aura violette apparut autour de son corps.

Sa chair s’évapora dans un nuage de poussière bleutée, et ses os noircis s’éparpillèrent en tombant sur le pavé.