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HUIT

Près de la fontaine, le soldat ennemi s’arrêta et épia les fourrés des environs. Lui aussi avait entendu ce roucoulement étrange. Il leva son arme contre sa poitrine et se mit à avancer vers eux.

Varl et Curth s’aplatirent aussi bas qu’ils le purent au milieu des herbes et des ronces. Lentement, très lentement, Varl tira sa dague hors de son fourreau.

Le soldat en armure s’arrêta soudain en regardant à ses pieds. Curth savait exactement ce qu’il venait de voir. Dix gourdes de la Garde Impériale, posées dans l’herbe à côté du point d’eau.

Il se pencha en portant la main au communicateur de son casque.

Varl se jeta sur lui et le plaqua à terre. Sa lame d’acier plongea vers le bas, mais glissa sur l’épaulière du soldat, qui se débattit et poussa Varl de côté. Varl ne s’avoua pas vaincu, frappa de nouveau et lui passa sa dague sous la mentonnière du casque. Le soldat s’écarta en roulant à terre, les deux mains plaquées sur la gorge. Son sang coulait plus copieusement que l’eau n’avait coulé du robinet. Il se redressa en gargouillant ; Varl l’attrapa par les épaules et le précipita tête en avant contre la borne de la fontaine. Il y eut un craquement horrible.

Varl rattrapa le poids mort de son adversaire avant qu’il ne tombât au sol et le traîna dans les broussailles. Puis il revint chercher les gourdes d’eau, en s’arrêtant brièvement, le temps de lancer à nouveau son signal.

En silence, dirigée par des échanges de signes rapides, la patrouille approcha des silos. Des insectes stridulaient dans la chaleur de midi. Les bottes de l’escouade de combat ne produisaient que des sons légers et étouffés sur la terre sèche ; certains de ses membres se dispersèrent sur l’avant des silos, d’autres se glissèrent silencieusement le long du chemin pour se déployer sur l’arrière, leurs armes pointées devant eux et balayant leurs environs. Par équipes de deux, ils se rapprochèrent des portes écaillées.

Le long champ se terminait par une ligne d’arbres et était couvert sur toute sa longueur de châssis auxquels les buissons de baies s’accrochaient autrefois. Sous ces structures pourrissait une bouillie organique.

Cirk jeta un rapide coup d’œil et amena l’équipe à couvert dans la haie qui bordait le champ. Ils s’accroupirent avec elle, deux des membres de sa cellule, ainsi que Gaunt, Mkoll et Landerson.

— Nous ne sommes plus très loin, dit-elle. La route est derrière ces arbres, et l’agriplexe est de ce côté-ci, à environ un kilomètre.

Mkoll hocha la tête. Cela correspondait à la carte qu’il s’était faite mentalement, et ses estimations étaient rarement fausses. La forêt mouvante de Tanith avait donné à ses fils un sens inné de l’orientation.

— Nous devrions être à portée maintenant, dit Gaunt. Il ajusta le micro de son oreillette. Un, prononça-t-il. Il y eut un silence, puis une réponse contenue dans un seul mot.

— Bragg.

Et la fréquence devint totalement silencieuse.

— Nous avons un souci, dit-il à Cirk.

Le commandant de la patrouille, qui portait le grade distingué de sirdar, remontait le chemin depuis la route en vérifiant la disposition de son équipe. La chaleur le faisait transpirer dans son armure de combat serrée ; à cet instant précis, il souhaitait à ce monde puant un sort encore pire que celui qu’ils lui avaient déjà infligé. Son unité, ainsi qu’une dizaine d’autres comme elle, avait été détachée de la garnison d’Ineuron à la première heure, avec l’ordre de passer au peigne fin la campagne environnante. C’était un travail pour les excubiteurs, pas pour les troupes de combat. Néanmoins, les niveaux d’alerte de la nuit avaient été élevés, et cette réponse martiale avait prétendument été commandée par un ordinant de haut rang. D’après un autre rapport, Uexkull lui-même était en route pour prendre la direction des opérations, et la dernière chose que le sirdar souhaitait était d’être rappelé à l’ordre par ce monstre.

Ils avaient déjà fouillé six fermes désertes ce matin. Celle-ci ne semblait pas plus prometteuse que la dernière, mais le sirdar appliquait fidèlement ses instructions. Ils avaient laissé leur transport plus loin sur la route et progressé à pied pour se déployer de façon discrète.

Il atteignit la cour, et s’apprêtait à donner l’ordre d’entrer. Le groupe de prise à revers s’était approché depuis la ligne boisée, et l’endroit était pour ainsi dire encerclé, même si un des membres de l’escouade semblait manquer à l’appel. Probablement égaré parmi les arbres. Quand ce soldat réapparaîtrait, décida le sirdar, il l’abattrait lui-même pour épargner cette peine à Uexkull.

Il leva la main, mais interrompit son geste. Il venait d’entendre distinctement une transmission radio : celle-ci n’émanait pas de son escouade. Et seule la résistance possédait des unités transmettrices…

Le chef sirdar ressentit un frisson d’anticipation. Ils avaient débusqué quelque chose. Il tira son arme de service, puis enchaîna trois gestes rapides de la main : contact suspecté, usage de la force, go.

Ses troupes s’élancèrent.

Une des portes du silo se fissura ; deux soldats en armure se précipitèrent dans la pénombre, armes levées. Il n’y avait là que des tas de grain pourrissant, qui crissait sous leurs pas. L’un d’eux leva la tête. Des poutres, des chevrons. Des ombres et des toiles d’araignée. L’endroit était vide. Ils se tournèrent pour ressortir.

Dans leur dos, Bonin et Feygor, leurs couteaux tirés, se levèrent des piles de céréales, qui s’égrenèrent d’eux en cascades bruissantes, et attrapèrent les deux soldats par la gorge.

Un coup de pied fit sauter le loquet de la remise annexe. Le premier soldat à entrer alluma une lampe torche et la fit jouer sur ses alentours, alors que son compagnon le couvrait avec son arme d’assaut. Ils avancèrent dans l’entrepôt principal, où de vieilles caisses de bois s’amoncelaient sur le sol tapissé de vieux sacs de jute. Les deux soldats suivants prirent par la gauche, vers un appentis où une machine de battage rouillée avait été relevée sur des parpaings. Ils entendirent un bruit étouffé provenir du corps principal et revinrent sur leurs pas.

L’entrepôt était maintenant vide, sans la moindre trace de leurs deux compagnons qui étaient entrés en premier. Les soldats avancèrent en restant sur leurs gardes. Une ombre sembla passer derrière l’une des lucarnes à la vitre jaunie, incrustée de crasse, et ils pivotèrent rapidement pour lui faire face.

Mais MkVenner était derrière eux.

Il attrapa l’un d’eux par les bords de son casque à la mentonnière bien serrée, et le lui tourna d’un geste sec, lui brisant les vertèbres d’un seul coup. Le corps s’effondra sur les sacs que MkVenner avait disposés au sol pour étouffer les bruits. Avant même qu’il fût tombé, MkVenner avait pivoté, plié en deux, pour expédier son talon droit en pleine gorge de son second adversaire. Le soldat chancela en arrière, le souffle coupé, incapable de seulement crier. Il tomba à genoux, la tête penchée en avant, et MkVenner lui frappa sur la nuque de la pointe des doigts, pour l’achever dans un bruit d’osselets s’entrechoquant. L’homme s’écroula la tête en avant ; MkVenner traîna les deux corps derrière les piles de caisses, là où gisaient déjà les deux autres.

Le dernier silo de la rangée paraissait vide lui aussi. Les deux soldats envoyés pour le fouiller approchèrent du grain odorant et moisi, à la recherche d’un tas où aurait pu se cacher quelque chose de plus gros qu’un rat.

Le câble descendit en silence de l’espace au plafond, et le nœud coulant pratiqué à l’extrémité s’enfila nettement autour du cou de l’un d’entre eux. Avant que ce dernier ne pût exprimer sa surprise, le câble s’était resserré, et il quitta le sol en battant des pieds, les mains autour de sa gorge.

Criid laissa la gravité faire le reste. En sautant au bas de la poutre, elle entraîna le filin avec elle, et le soldat s’éleva comme un contrepoids, suspendu au câble que la friction fit mordre dans le bois de la solive. L’autre se retourna, ébahi, en voyant son compagnon s’envoler à la verticale ; dans un mouvement de balancier, Criid l’envoya des deux pieds s’affaler dans le grain. Elle lâcha le câble. Le nœud tranchant avait déjà eu raison du premier homme, dont le cadavre tressaillant retomba comme une pierre.

Criid alla se percher sur l’autre, lui immobilisa les épaules et lui enfonça le visage dans le grain avarié, la main fermement posée sur l’arrière de son casque. Après s’être brièvement débattu, l’homme resta inerte.

Faisait-il semblant d’être mort ? D’un coup de dague, elle s’assura que non.

Le sirdar de la patrouille réalisa soudain que quelque chose n’allait pas. Il n’y avait pas eu de contact signalé, aucun tir, mais ses hommes ne ressortaient pas des silos et des entrepôts.

D’un geste vif, il fit traverser la cour au reste de son unité. Ses hommes postés pour couvrir l’avant faisaient à présent le tour en contournant le dernier silo.

Le soldat qui accompagnait le sirdar tomba sur le dos. Furieux, son commandant se tourna pour le réprimander, mais vit le petit trou rond et ensanglanté dans la visière de son casque.

Sur le toit du silo, à l’abri derrière une hotte de ventilation, Larkin s’était calé dessus et visa à nouveau. Utiliser ce pistolet à silencieux n’était pas drôle, mais cela lui offrait au moins un nouveau défi. Il n’était plus seulement question de toucher ses cibles : celles-ci portaient des armures et pouvaient facilement résister à un projectile de petit calibre, surtout ralenti par un silencieux. Tout l’art de la chose consistait à vraiment bien viser, et à tirer aux endroits cruciaux. La visière. La gorge. Le creux des aisselles, entre le plastron et l’épaulière. Larkin lâcha encore trois tirs, et deux autres des arrivants s’affalèrent dans la boue séchée de la cour.

En arrivant sur le côté des silos orienté vers la route, l’un des soldats se retourna en entendant derrière lui le bruit d’un impact violent. L’homme qui le suivait avait été tué d’un coup dévastateur à la tête qui lui avait fissuré le casque. Avec jubilation, Brostin abattit le vieux fléau à battre le grain qu’il avait trouvé dans la remise, et expédia le second homme contre les planches à clin qui formaient le mur du silo. Le bois se fendit et éclata. Rawne se releva des broussailles pour se charger des deux derniers soldats de la file avant qu’ils ne pussent tenter leur chance contre Brostin. Le silencieux de son pistolet éructa.

Puis ils se hâtèrent de rejoindre à deux l’extrémité du chemin et additionnèrent leur puissance de feu tranquille à celle de Larkin. Les quelques derniers soldats adverses s’effondrèrent dans la cour.

Le sirdar s’était mis à courir en compagnie de son dernier survivant, que le sniper discret perché sur le toit toucha au cou alors qu’il allait atteindre les dépendances extérieures. Mais le sirdar arriva à couvert, où il se débattit avec la radio de son casque, pour essayer de trouver une fréquence. Il devait avertir quelqu’un. Il devait faire parvenir un message aux autres unités et…

Rien. Toutes les fréquences étaient mortes, comme si quelque chose les brouillait. Comment était-ce seulement possible ?

Sur le sol de la remise recouvert de paille, devant lui, le sirdar vit une unité radio impériale, le modèle distribué à l’infanterie. Une unité allumée et active, aux cadrans réglés pour diffuser un bruit blanc et empêcher les tentatives de liaison, du moins à proximité de la ferme.

Le commandant sirdar fit un pas dans la direction de l’appareil. Le silencieux d’un pistolet se posa contre sa tempe.

— Qu’est-ce qu’il se passe, la liaison est pas nette ? demanda Beltayn, et il pressa la détente.