ó Le Martien, cíest vous?

ó Enfin, cíest du moins ainsi que mía ësurnommÈ le petit Roy.

Alors, sans ajouter un mot, elle míen tend un, Ècrit au crayon feutre sur une serviette de baptiste brodÈe.

Je lis, en te passant les fautes, car, comme elles sont en anglais, elles ne tíamuseraient pas:

246 FOIRJDON ¿ MORBAC CJTY

Martien,

On est trop nombreux pour quíon va pouvoir síen tirer; je prÈfËre filer tout seul. Comme jíai pas de fric, jíai tapÈ dans la boÓte ‡ bijoux de la Grosse (mais jíen ai laissÈ). Essaie de la calmer, tías le secret pour causer aux femmes. Je te souhaite un bon retour en France, et aussi aux connards que tu traÓnes avec toi. On se sera bien marrÈs, non? Quand je serai devenu riche, jíirai te voir ‡ Paris. Ton ami Roy.

La grosse fulmine:

ó

Vous parlez díun petit voyou! Cíest de la graine de potence, ce gosse. Je vais immÈdiatement prÈvenir la police.

Elle se tait soudain et murmure

ó

Mais vous pleurez, milord?

Ben oui, je pleure, o˘ est le mal? Que veux-tu, je revois le mÙme avec sa gueule díange tumÈfiÈe par les coups paternels. Le revois cramponnÈ au volant de sa dÈpanneuse. Ah! la merveilleuse rencontre! Tous ces sublimes vauriens sont mes enfants, les enfants que je níaurai probablement jamais,

‡ force de surniquer en pure perte. Je les enveloppe díune immense tendresse, comme díun manteau de saint Martin.

Que Dieu te garde! QuíIl te guide, gentil gredin, tÈmÈraire jusquí‡

líinconscience.

ó

Vous pleurez ‡ cause de lui? demande Molly, radoucie.

ó

Cíest un petit díhomme, balbutiÈ-je; ne lui faites pas de mal, Molly. Donnez-lui sa

FOJRIDON ¿ MORBAC CJTY 247

chance. Je vous dÈdommagerai comme je pourrai ‡ propos de vos bijoux.

Elle soulËve sa chemise de nuit, coule sa main entre des boisseaux de cellulite pour gratter son cul du matin.

ó Dans le fond, dit-elle, vous Ítes un dur au coeur sensible!

ó Dans le fond, je pense que oui, conviens-je.

AprËs le breakfast ultra-copieux et donc trËs bÈrurÈen de conception (Alexandre-BenoÓt bouffe seize saucisses frites et huit oeufs au bacon, le tout noyÈ dans un cabernet Hanzell de Sonoma ValIey, California), nous prenons congÈ.

Le vol de ses bijoux et la mise ‡ mal de sa voiture neuve ayant quelque peu fait baisser notre cote auprËs díelle, elle níinsiste pas trop pour nous garder davantage, la Grosse. Jíenvoie Pinuche, le plus anonyme de notre groupe, louer une voiture chez Avis; mais il revient au volant díune Pontiac de dix mËtres cubes achetÈe ‡ un marchÈ de líoccase. La tire doit avoir sa majoritÈ rÈvolue. Elle est díun bleu tirant sur le vert scarabÈe, et ses chromes agressifs la transforment en órgue-lance-missiles ª.

BientÙt nous roulons ‡ la vitesse requise sur une autoroute amÈricaine, laquelle (vitesse) se situe entre celle du vieux corbillard ‡ cheval et celle de la voiture balai du Tour de France dans líAubisque.

248 FOIRIDON ¿ MORBAC CITY

Tíavouerais-je, NadËje, que cíest avec une joie sans mÈlange (elle se suffit ‡ elle-mÍme) que nous rÈintÈgrons la demeure díHarold J. W

Chesterton-Levy.

En líabsence du producteur, Bruce, le major dome, nous redistribue nos chambres. Je tube ‡Gloria Hollywood Pictures pour prÈvenir de notre retour.

Cíest Angela, la belle, qui me rÈpond.

ó

Votre voyage ‡ Morbac City a-t-H rÈpondu ‡ votre attente?

síinquiËte la merveilleuse.

ó

Moins que je ne líespÈrais, Angela chÈrie.

ó

Vous me raconterez?

ó

Tout, sitÙt que jíaurai un peu calme líinextinguible soif que jíai de vous.

Elle rit.

ó

Ce sera díici une heure car le Big Boss est ‡ Moscou pour tenter de faire main basse sur le marchÈ russe.

ó

Il a eu le bon go˚t de ne pas vous emmener?

ó

Il a trop besoin que je garde la caisse au magasin!

Elle se radine dans le dÈlai fixÈ, superbe ‡faire Èclater les rÈtines díun non-voyant, dans son chemisier vert et son tailleur pain br˚lÈ. Jíignore si líÈmeraude quíelle porte au cou provient du rayon bimbeloterie du supermarchÈ, mais si elle est vraie, elle ne lui a pas ÈtÈ offerte par le veilleur de nuit de son parking habituel. Un caillou de cette eau et de cette

FOIRIDON ¿ MORBAC CITY 249

dimension assurerait le sÈjour au WaldorfAstoria díun prince arabe avec ses cinquante-deux lÈgitimes, voyage compris!

Nos retrouvailles sont si ardentes quíelles nous renseignent sur notre mutuel dÈsir, comme lía Ècrit avec force la cÈlËbre romanciËre glandulaire Max du Vieux-Zig dans son traitÈ sur la dÈgÈnÈrescence des fantasmes. Une folie charnelle, pareille ‡ celle dont parle Antoine Waechter dans sa confÈrence sur líÈchec des implants chez les individus ne possÈdant pas de poils au cul.

On atteint ‡ un tel degrÈ de rut, quíon ne se dÈshabille pas on fait des brËches avec les dents, l‡ o˘ cíest rigoureusement nÈcessaire, pour livrer le passage, que tant pis pour nos toilettes; faut avoir les moyens de ses embrasements sexuels. Le mec qui plie soigneusement son calbute sur le dossier díune chaise avant de grimper sa partenaire, nía que des coÔts de sous-traitant. Dans le moins Èpique des cas, les fringues Áa síÈparpille, et dans le meilleur, Áa se dÈchire!

Ayant omis de chronomÈtrer líaction, je ne saurais te dire sa durÈe, et díailleurs tu tíen branles. Sache simplement quí‡ trois reprises je remets mon ouvrage sur le mÈtier et que nous fumons comme des geysers islandais ‡

la fin de la troisiËme reprise.

DÈlivrÈs des tourments de la chair, nous faisons ce que font tous les couples qui viennent de baiser, quand ils ne rentrent pas retrouver leurs conjoints : nous parlons. Je narre le plus gros de nos pÈripÈties de Morbac City, en

passant toutefois les cadavres sous silence afin de ne pas perturber une fille aussi merveilleusement bien disposÈe ‡ mon endroit (Ègalement ‡mon envers puisquíelle a tendance ‡ te carrer le mÈdius dans le couloir ‡

lentilles, mais que Áa reste entre nous). Par contre, je dis la mort accidentelle de Mme Marty, en prÈcisant quíelle a eu cette aventure galante avec le Marquis et non avec moi, ce par courtoisie, car personne níest davantage minable que ces types qui se glorifient díautres conquÍtes auprËs de la femme quíils viennent de calcer. De nos jours, líÈlÈgance et le savoir-vivre se sont perdus et ne restent plus líapanage que de quelques vieux nobles abrutis ou de quelques vieux truands plus abrutis encore.

ó

Auriez-vous encore un peu de temps ‡míaccorder, douce Angela? fais-je en lui titillant le lobe de ma langue diabolique.

ó

Oh! ChÈri, vous voulez encore? DÈj‡? Compte tenu de ce que je viens de livrer, je míempresse de la dÈtromper. Ce que jíattends díelle, cíest quíelle aille avec moi jusquí‡ Connection Boulevard pour enquÍter sur un certain Witley Stiburne.

«a lui plaÓt. Les femmes comme elle adorent jouer au dÈtective.

*

**

Moi je líattends sur un toit díimmeuble servant de parking. La vue, de l‡, est magnifique. En face de moi, la colline de tous les rÍves sur laquelle est tracÈ, en gigantesques carac

tËres blancs, le mot ´ HOLLYWOOD ª dont je tíai dÈj‡ parlÈ. La ville verte síÈtale ‡ líinfini dans un entrelacs de boulevards et díavenues. Des frondaisons, des milliers de villas qui rivalisent díaudace et de luxe clinquant. Et puis les voitures, seule animation des voies de circulation.

Pas de piÈtons. Ville robotisÈe. Le vrai luxe, en fait, est vÈgÈtal.

Pourquoi les plantes des terres dÈsolÈes, telles que le palmier ou le cactus, font-elles si riches quand elles sont ornementales?

Jíavise une cabine tÈlÈphonique sur le parking de ce trentiËme Ètage. Je rassemble mes nickels et vais tÈlÈphoner ‡ Washington. Cette fois je níobtiens pas líambassadeur, qui est ‡ Paris pour quelques jours, mais son principal adjoint, un nommÈ Lionel Josmiche. Et voil‡ quíen míentendant, il síexclame

ó Salut, cousin!

Ma stupeur líincite aux justifications. Et voil‡ quoi : il a ÈpousÈ la fille díune cousine de maman. Un faire-part nous est probablement parvenu en son temps, mais je devais Ítre en dÈplacement, ou alors je míen foutais tellement que je líai oubliÈ. Mais tu te rends compte comme le monde est petit? Oui, je me rends compte! On bavarde de ceci-cela, sa belle-mËre, la cousine Mathilde a ÈtÈ opÈrÈe díun cancer de líintestin et a un anus artificiel, mais elle se dÈmerde avec (si jíose dire); ‡ part Áa, tout va bien: deux gosses, le choix du roi, garÁon, fille. Rien quíavec ses deux petites couilles díattachÈ díembrassade, cíest pas mal, non? Il est content, Lionel. Vie de ch‚teau

252 FOJRIDON ¿ MORBAC CITY

quand il est en poste; pour les vacances, retrouve son F4 díAntony et ses gosses caillent de ne plus avoir quatorze larbins noi leur service; mais, Dieu merci, les y passent vite.

Je rÈsume la vie de FÈlicie, lui sais grÈ de compliments relatifs ‡ mon prodigieux avancement et lui dis comme quoi, non je ne suis pas encore mariÈ pas le temps, trop díaffaires sur les bras, trop de femmes des autres dans les bras. Il rit. Faut quíon va se voir. Et si on se tutoyait? On se tutoie! Ouf, je peux arriver enfin ‡ ce qui míintÈresse ó

Dis voir, cousin, votre petit service de renseignements fonctionne bien dans votre grande boutique, ‡ ce quíon mía dit?

Il

rigole que cíest pas la C.I.A., mais qu pour un dÈpartement artisanal, il est trËs conve nable.

ó

Tu pourrais míobtenir des tuyaux sur un agent du F.B.I. qui possËde le matricule 6018?

ó

S˚rement. Tu as son nom?

ó

Witley Stiburne.

Il

prend note.

ó

O˘ puis-je te rappeler, cousin?

ó

Cíest moi qui te rappellerai, cousin, car je níai pas de point fixe pour le moment. Dans combien de temps pourrai-je risquer le coup?

ó

Essaie dans une heure, cousin.

ó

Dis-moi, Áa tourne rond chez vous! Faut dire que votre ambassade est si belle!

ó

Tu connais?

FOJRJDON ¿ MORBAC drY 253

ó Et comment! Cíest une des plus belles du monde (1).

On se dit ćousin ª encore quatre ou cinq fois, de part et díautre, comme il sied ‡ deux lascars qui viennent de prendre la dÈcision de síappeler de la sorte, et je raccroche, tout ragaillardi par le gendre de la cousine Mathilde; une vieille acari‚tre que ma FÈloche níaime pas beaucoup parce quíelle est chicaniËre et daube sur tout le monde.

Un lÈger quart díheure aprËs cet appel, Angela Èmerge sur le toit voiturÈ

de líimmeuble.

´ Belle et s˚rement efficace ª, songÈ-je en la regardant síavancer de sa dÈmarche souple et naninanËre (ajoute les mentions superflues qui pourraient te faire goder).

Un soleil pour publicitÈ-de-jus-de-fruits-‡-boire-trËs-frais líillumine. Y

a vraiment des nanas superbes sur cette planËte! Dire que jíaurais pu naÓtre sur Mars ou Jupiter!

Elle a dÈj‡ la langue ‡ demi sortie quand elle me rejoint. Je lui joue ´ la pelle de la forÍt ª, coup de badigeon sur la vo˚te dentaire, nous nous embrassons jusquí‡ nos molaires, en mÍme temps, et cíest pas fastoche!

ó «a devient de la passion, dit-elle. Jíai une envie de vous qui me fait trembler.

Jíouvre la portiËre arriËre, líagenouille de guingois sur la banquette et me mets ‡ la fourrer

‡ la photographe díavant-guerre, depuis líextÈrieur.

Pile que je líaccomplis, un lÈger coup de klaxon míalerte. Cíest un vieux birbe, type sÈnateur ricain chevelure blanche, lunettes ‡monture díor, au volant de sa Mercedes.

ó

Cíest bon? il me demande.

ó

DÈlectable! Mais je regrette, y en nía pas pour deux!

ó

Par-derriËre, cíest plus performant! dit ce monsieur affable.

ó

Ah! ce níest pas ‡ la portÈe de toutes les bourses, conviens-je.

ó

Aussi, je ne míy risque plus, avoue-t-il peur de ne pas tenir la distance.

ó

Tout dÈpend de la partenaire!

ó

Moi, la derniËre fois que jíai pratiquÈ de la sorte, la femme avait le sexe situÈ trop en avant et les fesses rebondies, si bien que je me trouvais en situation instable. JíÈtais tellement prÈoccupÈ par cette configuration que je me suis senti mollir, progressivement, et dans ce cas prÈcis, vous ne rÈcupÈrez plus votre Èrection, cíest la panne irrÈmÈdiable.

ó

Sale blague! dis-je.

ó

«a ne vous est jamais arrivÈ?

ó

Non, mais vous faites tout pour que Áa míarrive, avouÈ-je.

Heureusement quíelle est superbe et quíelle me fait le casse-noix avec son sexe. EngagÈ dans ce dÈlicieux Ètau, je suis en sÈcuritÈ comme si je portais une prothËse.

ó

Je comprends, Áa doit Ítre bien?

ó

Royal!

ó

Cíest elle qui gÈmit comme Áa?

ó

Non : la banquette. Cette Pontiac a plus de vingt ans!

ó

Elle est bruyante quand elle dÈmarre?

ó

La Pontiac?

ó

Non, votre amie?

ó

Je níappellerai pas Áa du bruit, tant cíest mÈlodieux.

ó

Y en a pas beaucoup qui prennent leur plaisir avec gr‚ce.

ó

Je vous líaccorde : cíest rarissime.

ó

Vous pensez quíelle va bientÙt jouir? Jíai rendez-vous dans trois quarts díheure ‡ Malibu et je ne voudrais pas rater Áa.

ó

Líorgasme ne devrait pas tarder, díautant que je lui ai dÈj‡ fait líamour ‡ trois reprises tout ‡ líheure. La rÈpÈtition engendre la rapiditÈ.

ó

En ce cas, si vous níy voyez pas díinconvÈnient, je vais attendre, quitte ‡ tÈlÈphoner pour míexcuser de mon retard.

ó

Comme vous voudrez, rÈponds-je. Quand on se risque ‡ faire líamour dans un lieu public, il faut síattendre ‡ avoir des spectateurs; bien que le voyeurisme ne míexcite pas, il ne me perturbe pas davantage.

ó

L‡ encore, je vous admire. Un jour que je faisais líamour avec ma pÈdicure, quelquíun est intervenu, qui mía parlÈ et fait perdre contenance.

ó

Il faut pouvoir se raconter des histoires pour passer outre les importuns.

ó

Dans le cas en question, cíÈtait impossible car il síagissait de ma femme.

ó

Evidemment, le problËme est transcendÈ. Attendez, je crois quíelle commence ‡ vibrer.

Il

se tait. TrËs peu de temps. Hasarde

ó

Vous ne pourriez pas la reculer un tout petit peu pour que je puisse admirer son agitation dans la phase finale?

ó

Vous savez, elle a ses appuis, ce níest pas le moment de la dÈstabiliser.

ó

Quelques centimËtres suffiraient.

Etant un Ítre courtois, jíamËne la croupe de ma chËre Angela vers líextÈrieur.

ó

Merci! lance le tÈmoin passionnÈ; ne touchez plus ‡ rien : cíest bon pour moi, vous avez le feu vert!

Le feu, Angela, cíest plutÙt au cul quíelle lía! Brusquement, elle pique un sprint effrÈnÈ. L‡, je ne peux plus parler; me voil‡ parti pour franchir le point de non-retour.

Elle se met ‡ roucouler des plaintes que ni fl˚te de Pan ni cithare díEurope centrale ne sauraient reproduire. Cíest long, mÈlodieux, dÈchirant et díune sensualitÈ insoutenable.

Partis sÈparÈment, cíest ensemble que nous atteignons la ligne díarrivÈe.

Superbe, Èpoustouflant.

Le conducteur de la Mercedes applaudit par la portiËre.

ó

Jamais rien contemplÈ de plus beau! ditil. Jíai assistÈ ‡ un concert de Pavarotti, le mois dernier, cíÈtait de la merde comparÈ ‡ Áa!

Maintenant, il faut que jíannule mon rendezvous de Malibu pour aller faire un tour chez ´ Darling ChÈrie ª, la FranÁaise. Elle a reÁu des petites pensionnaires trËs convenables.

CHAPITRE MOBILE

Líamateur ÈclairÈ síen va et cíest alors que se prÈsente un grand gueulard en combinaison rouge et blanche le prÈposÈ du parking. Il a une tronche prÈcolombienne díhydrocÈphale inabouti, des cheveux et des yeux díalbinos et il bave en parlant comme un gastÈropode en pËlerinage sur le Lac SalÈ.

ó

Jíai tout vu! me dit-il. JíÈtais l‡ entre deux voitures.

ó

EspËce de voyeur!

ó

Me parlez pas comme Áa, sinon jíappelle la police et vous vous expliquerez avec les flics sur cet outrage ‡ la pudeur.

Il

ajoute, sans ciller

ó

A moins que vous me filiez vingt dollars.

ó

Cíest votre tarif?

ó

Et mÍme je me demande si je vais pas vous en rÈclamer cinquante, car y a eu exhibition. Le vieux de la Mercedes, je le connais, cíest un abonnÈ; il pourra tÈmoigner. Cíest passible de prison, votre putain de sÈance!

Je líempare par une bretelle de sa combinaison.

258 FOIRIDON ¿ MORBAC CITY

tez-vous sur vos grands chevaux? «a baigne pour vous : vous avez une situation ÈlevÈe et la greffe de votre tÍte de veau nía pas líair díentraÓner le moindre phÈnomËne de rejet.

Les faux durs, suffit de leur dÈballer des drÙleries pour quíils perdent aussitÙt pied.

Pour le finir, je lui sors ma carte de poulet. Ecrite en franÁais, certes, mais comme je me tue ‡ te le rÈpÈter : le mot ´ police ª est international.

ó

Tentative de chantage, fais-je, sur la personne díun haut fonctionnaire, cíest punissable de prison, Áa, pítit blond; jíespËre que vous le savez?

Comme il ne rÈpond pas, je tire un coup sec sur sa bretelle et elle me reste dans la main. Ensuite, jíempoigne la seconde.

ó

Allez, dites-moi que vous le savez, sinon votre combinaison va se dÈguiser en socquettes.

Il

fait ´ Yes ª.

ó

O.K., approuvÈ-je, faites gaffe de ne pas noyer vos poissons rouges quand vous changerez leur eau!

Sans plus attendre, je reprends ma place au volant. Angela se tient les cÙtes.

ó

Vous Ítes Ètourdissant, chÈri, me dÈclare-t-elle; Áa vous dirait de míÈpouser?

ó

Je prÈfËre Ítre amoureux de vous, rÈponds-je. Alors, votre mission?

Elle me rapporte que Witley Stiburne habite un loft au dernier Ètage díun immeuble dÈj‡ ancien lequel ne comporte pas de gardien. Elle est carrÈment allÈe sonner chez mon agent du F.B.I. Deux hommes lui ont ouvert. Se payant FOJRIDON ¿ MORBAC CITY 259

de culot, elle a prÈtendu appartenir aux services de líhabitat de la mairie, une enquÍte Ètant en cours pour classer líimmeuble; elle Ètablissait un descriptif de ce dernier, pouvait-elle visiter líappartement?

Les types lui rÈpondirent quíen líabsence du locataire, ils níavaient pas qualitÈ pour accorder une telle autorisation. Líun díeux lui demanda si elle avait une lettre accrÈditant sa dÈmarche. Elle rÈtorqua que cíÈtait une enquÍte des plus banales et que la mairie níavait pas jugÈ nÈcessaire de la munir díun tel document, et elle avait pris congÈ avec dÈsinvolture en annonÁant quíelle repasserait.

ó

Vous pouvez me dÈcrire ces deux hommes, mon coeur?

Elle me dresse un tableau scrupuleux des amis(?) du mort que jíassimile avec cette puissance mnÈmonique qui me permet de me rappeler le plus infime grain de beautÈ ‡ la cuisse díune fille que jíai sautÈe il y a douze ans dans un compartiment de chemin de fer obscur.

ó

Vous avez pu couler un oeil dans ce loft, depuis la porte?

ó

Facilement, car on y pÈnËtre de plain-pied. Cíest, comme la plupart des lofts, une immense piËce sur deux niveaux, ÈclairÈe par une verriËre.

Une loggia sert de chambre ‡coucher. Dans la piËce elle-mÍme il y a un dÈsordre effroyable tout est sens dessus dessous.

ó

Vous ne pensez pas que les deux visiteurs Ètaient en train de fouiller quand vous avez sonnÈ?

260 FOJRIDON ¿ MORBAC CITY

ó Possible.

Le monte-charge du parking, un appareil poussif, nous apporte au niveau de la chaussÈe.

Quí‡ peine nous y sommes-t-on engagÈs quíAngela pousse une exclamation: ó Regardez! Ils traversent la rue.

Pas besoin de lui demander díexplications, jíai tout de suite compris quíil síagit des deux gars qui se trouvaient chez Stiburne. Comme le hasard ne rechigne jamais, il va au bout de son propos en conduisant ces messieurs droit au parking que nous venons de larguer. La chose síexplique du fait quíaux U.S.A. on ne stationne pas dans les rues et que le parking de líalbinos est le plus proche du loft qui míintÈresse.

Moi, ni une, ni douze : je sors de la voiture.

ó Je prendrai un taxi pour rentrer, mon ‚me. Gardez líauto.

Elle nía pas le temps de míinterroger, je suis dÈj‡ devant líascenseur rÈservÈ aux áutomobilistes ‡ pied ª, si je puis ainsi míexprimer.

Je chope la cage avant eux, me hisse sur le toit-parkinge et cours míembusquer prËs du vaste monte-charge des vÈhicules, en míappliquant ‡ ne pas Ítre repÈrÈ de líalbinos garde-chiourme.

Une minute quarante plus tard, les deux lurons dÈbarquent ‡ leur tour et se dirigent vers une Ford beige. Que je te les explique, ils sont ‡peu prËs du mÍme ‚ge : une quarantaine dÈpassÈe. Líun est de type mexicain, avec une chiÈe (au moins) de grains de mochetÈ sur le cou. Graines de tumeur qui ne doivent pas Ítre

FOIRIDON ¿ MORBAC CITY 261

reluisantes vues au microscope. Il porte des lunettes dont les verres forment miroirs. Besicles díhypocrite, je trouve, qui dÈrobent le regard, cíest-‡-dire ce que líhomme possËde de plus rÈvÈlateur. Líautre est un peu plus enveloppÈ, cíest le Ricain type, carrÈ de frime, grisonnant de poils, coiffÈ court, du chewinggum plein la gueule, une paupiËre tombante et des yeux comme le dessus díune boÓte de sardines entamÈe.

Il níy a pas beaucoup de cachettes dans un monte-charge, je vais donc devoir travailler sans filet. Mais je suis trËs calme, trËs dÈterminÈ : deux conditions primordiales pour risquer une folie pouvant entraÓner la mort sans intention de la recevoir.

Survenance de la Ford crËme. Comment? Jíai dit beige? Alors l‡ tu chipotes, grand zob! Un bouquin Ècrit en deux mois, tu ne voudrais pas quíil soit aussi impec et chiant quíun vrai qui se vend ‡ deux mille exemplaires (dont quinze cents sont achetÈs par líauteur!)?

Líauto síengage. CourbÈ en deux, je me glisse ‡ sa suite. Depuis son siËge, le conducteur (le Mexicano) enclenche le bouton de descente par la portiËre dont la vitre est baissÈe. Pour moi, cíest le moment unique. Avec un courage qui níest pas ‡ la portÈe de toutes les bourses, je prends dans ma poche gousset líune de ces minuscules ampoules contenant ce fameux soporifique instantanÈ inventÈ par Mathias, retiens ma respiration, casse líampoule et níai que le temps de la jeter dans la tire avant que la vitre ne soit entiËrement remontÈe.

Pour ce faire, jíai d˚ me dÈcouvrir et le conducteur míaperÁoit. Je le vois porter la main ‡ son hoister. Je tíai prÈcisÈ la fulgurance de líeffet produit? Surtout dans un petit espace clos, tu penses! Il nía pas le temps díachever son geste et bascule contre son pote, lequel a dÈj‡ trouvÈ

líappui-tÍte pour se faire un oreil1er. Alors je míapproche des boutons de commande et jíengage la touche śtop ª. Le descend-charge síarrÍte. Le plus duraille, pour ce qui me reste ‡ faire, cíest díagir en mÈnageant ma respiration. Une seule reniflÈe et je pars ‡ dame avec mes victimes.

Heureusement que le gaz est bouclarËs avec eux. Je vais ‡ la porte doublement coulissante de la cage et plaque mon pif contre líinterstice, aprËs avoir mÈnagÈ un trou dans les deux bandes de caoutchouc avec mon stylo. Je respire au chalumeau líair alourdi par les Èchappements de ce vertigineux conduit.

Au boulot, petit mec! Tu vas devoir faire des efforts en te passant de renifler pendant des pÈriodes díune minute.

Jíagis vite, sans mouvements inutiles. Ouverture du coffre! Ensuite de la portiËre (Achtung!)! Sortie du driver, coltinage du mec jusquí‡ la malle o˘, plouf! Kif pour le second. Fermage du couvercle. Attente, le nez presque enfoncÈ entre les joints de caoutchouc qui puent le moisi.

Au bout de quelques minutes, jíactionne le bouton de descente et retourne faire mon plein díoxygËne jusquí‡ ce que nous soyons parvenus au raide-chaussÈe (selon BÈru, qui emploie

Ègalement ´ reste-chaussÈ, suivant son inspiration de líinstant).

Quand les portes sont ouvertes, je me mets au volant pour la manoeuvre de sortie, laquelle síeffectue dans le sens opposÈ ‡ celui de líentrÈe. Deux gaziers en attente me filent des coups de klaxon rageurs. Je leurs rÈponds en sortant mon mÈdius brandi.

*

**

Et toi, bonne crÍpe, avec la louche de p‚tÈ de campagne qui te sert de cerveau, de te demander ce quí‡ prÈsent je vais faire de mes deux prisonniers. Vrai ou faux?

Tu te dis : Íl ne va pas avoir le toupet de les emmener chez le produc, tout de mÍme! ª. Eh bien, non, rassure-toi; jíai une idÈe bien supÈrieure.

Follow me!

Je commence ‡ me repÈrer comme un chauffeur de bahut dans cette citÈ

tentaculaire, tant acculÈe, tant enculÈe. Le chemin de Venice, cíest un jeu díenfant de Marie que de le retrouver.

Tu mías compris?

Le coin peinard, idÈal, cíest la maisonnette de M. FÈlix, Èminent professeur en retraite, devenu correcteur de graffitis. Tout le monde lía explorÈe, cette crËche, elle nía plus de secrets ‡ livrer; ‡ personne!

Donc, on peut síy dissimuler en toute sÈcuritÈ. Pendant la 14-18, les pauvres poilus se planquaient dans des trous díobus, en vertu du fait que jamais deux obus ne tombaient ‡ la mÍme place. Cíest un phÈno 264 FOIRIDON ¿ MORBAC- CITY

mËne identique qui míamËne dans la gentilhommiËre de notre aminche.

Le soir tombe avec gr‚ce. Je stoppe la Ford devant la maison. Manque de bol, une dame mul‚trÈe, fringuÈe dans les rouges agressifs et dont le parfum flotte sur tout le quartier, prend le crÈpuscule devant la maison voisine. Rocking-chair. Elle a les jambes ouvertes comme les arËnes de SÈville un jour de corrida et je crois apercevoir la tÍte noire et frisÈe du toro au fond du tunnel.

ó

Hello! me lance-t-elle.

Je lui adresse un signe de la main.

Mais níen suis pas compte ‡ ce bas prix.

ó

Venez un peu par ici! míinvite-t-elle sur un ton quíon peut estimer comminatoire dans son genre.

Compte tenu de ma cargaison, il míest difficile de me singulariser en la dÈdaignant. Je míavance donc vers elle. Líombre complice míavait masquÈ les dÈg‚ts. Vacca! Cent ans aux prunes, la mÈgËre, et toujours pute! Les asticots doivent dÈranger les ultimes clients qui la grimpent. RavaudÈe ‡

mort! Peau maintes fois retendue, couches de pl‚tre successives. Ses nichemars sont moins beaux que ceux de Liz Taylor (qui est riche) mais son dÈcolletÈ cíest Silicone Valley, ‡ elle aussi. Elle síest dessinÈ une bouche si grande quíelle lui va du nez ‡ la pointe du menton.

ó

Qui Ítes-vous, garÁon?

ó

Le neveu de líhomme qui vient díhÈriter cette maison.

FOIRIDON ¿ MORBAC CJTY 265

ó

Le vieux dont me parlait toujours la pauvre Martine?

Elle prononce ´ M‚‚rtiiine ª.

ó

Vous la frÈquentiez?

ó

On ne peut pas appeler nos relations comme Áa, mais enfin, oui, on se connaissait. TrËs bonne fille!

Elle me sourit avec un r‚telier achetÈ díoccasion ‡ une institutrice anglaise.

ó

Dites voir, FranÁais, on va se payer une bonne petite partie de jambes en líair, vous et moi. Un gars comme vous, je craque; vous me donnerez ce que vous voudrez.

Une pareille propose, de but en blanc, me rend les couilles poreuses.

ó

«a me serait impossible aujourdíhui, vu que jíai dÈj‡ donnÈ, et ‡

quatre reprises, ce qui, mÍme pour un FranÁais constitue une honnÍte prestation. Par contre, ce qui me botterait, ce serait que vous me prÈpariez un bon cafÈ quíon prendrait en bavardant; je vous donnerais cinquante dollars.

Elle a un tressaillement díaise dont je redoute quíil lui provoque une crise cardiaque.

ó

«a, cíest une foutue proposition, garÁon. AprËs les pipes, le cafÈ

cíest ma grande spÈcialitÈ. Je vous demande dix minutes.

ó

O.K., je descends les bagages de tonton pendant ce temps.

Elle rentre dans sa masure en clopinant. Je balance un coup de pÈriscope tout horizon. Nobody. La street est plus dÈserte quíune rue de Tchernobilles aprËs la dÈconne du rÈacteur.

Dix minutes plus tard, je me prÈsente chez la 266 FOJRIDON ¿ MORBAC CITY

mamie, aprËs avoir sorti mes deux guignols et les avoir emballÈs dans la chambre de feue Martine Fouzitout.

ó

Vous avez le tÈlÈphone? je demande ‡ ma ravissante voisine.

ó

Vous rigolez, garÁon; cíest mon instrument de travail! Jíai une liste de clients, des hommes seuls ou dont la femme est malade, auxquels je tÈlÈphone rÈguliËrement. Cíest moi qui les relance; je leur raconte les trucs que je leur ferais síils venaient me voir. Jíai la voix radiogÈnique, si vous avez remarquÈ. Un sur dix síamËne aprËs mon baratin; les vicieux principalement, ceux qui aiment líamour de caractËre le fouet, les chaÓnes, le godemichÈ, vous connaissez tout Áa.

ó

Par ouÔ-dire, chËre voisine, mon systËme glandulaire Ètant suffisamment performant pour que je puisse me passer de ces stimulants sexuels qui sont ‡ líamour ce quíune bouteille díeau de Javel est ‡ un flacon de Ch‚teauYquem.

L‡-dessus, je vais au bigophone posÈ sur une pile de brochures licencieuses dont la couverture de celle du dessus reprÈsente un bel ÈphËbe blond, tout de cuir vÍtu, en train de se faire lÈcher la ligne bleue des Vosges par un officier de la Police montÈe canadienne en uniforme de parade.

Je compose le numÈro de mon ćousin ª de líambassade de France, le gendre

‡ Mathilde-laTeigne.

ó

Des nouvelles, Lionel? líattaquÈ-je, bille en tronche.

FOIRIDON ¿ MORBAC CJTY 267

ó

Elles viennent de tomber, cousin. Le matricule 6018 du F.B.I. a ÈtÈ

tuÈ la semaine derniËre. Il ne síappelait pas Witley Stiburne, mais Benjamin Stockfield.

Un hymne de gr‚ce se met ‡ musiquer dans mon ‚me si noble. Ainsi donc, Petit Gibus nía pas crevÈ líoeil díun agent spÈcial, mais celui díun malfrat. Dieu en soit chaleureusement louÈ!

ó

Je míappelle Cathy, míapprend la vÈnÈrable pute en versant un cafÈ

odorant dans ma tasse.

ó

Et moi Tony.

ó

Faudra quand mÍme quíun de ces jours vous míasticotiez les miches, garÁon, rÍvasse-telle pendant que je souffle sur le breuvage br˚lant. «a fait au moins dix ans que je níai pas vidÈ les bourses díun Frenchie; Áa me ferait rudement plaisir díen ajouter un de plus ‡ mon palmarËs.

ó

«a devrait se faire, promets-je tÈmÈrairement en pensant le contraire de ce que jíÈnonce. Et si vous me causiez un peu de Martine, Cathy? Mon oncle líavait perdue de vue depuis mille ans et aimerait savoir un peu ce quíelle a bricolÈ ‡ Los Angeles pendant leurs annÈes de sÈparation.

ó

Elle níen foutait pas lourd, assure la copine de Mathusalem. Une fois par mois elle faisait un petit voyage de trois jours environ et le reste du temps, elle picolait ou síenvoyait en líair avec des messieurs de passage; mais je crois que cíÈtait pour le plaisir car elle semblait 268 FOIRIDON ¿ MORBAC CITY

ne manquer de rien. Son vice, si on pe appeler Áa comme Áa, cíÈtait díacheter

tableaux. Or les tableaux, cíest chÈrot, vous le savez. Elle prenait un pied terrible devant des dessins que jíaurais pas voulu pour accrocher dans les lavatories. Il lui arrivait de míappeler pour me les montrer, tant elle avait besoin de partager son plaisir. Moi, pour lui Ítre agrÈa. ble, je lui disais que je les trouvais beaux.

Elle rit frÍle.

ó Quand on níaime pas quelque chose, cíest pas une raison pour en dÈgo˚ter les autres, pas vrai?

Je tente díimaginer ce que fut la vie de Martine Fouzitout dans cette ville si ÈtrangËre ‡la France. Pourquoi cette maison de couleur criarde dans le quartier noir? Pourquoi ces visites rÈguliËres au cow-boy suisse? Et surtout, pourquoi soudain, aprËs sa mort, cette horde de tueurs qui se mettent ‡ síintÈresser aux gens quíelle a connus, ainsi quí‡ ceux (comme moi) qui se penchent sur son passÈ? Peut-Ítre que les deux loustics que je dÈtiens de faÁon trËs arbitraire vont pouvoir me tuyauter?

Je souris ‡ mon hÙtesse díun instant.

Ćathy, songÈ-je, vous fouettez le rance, votre chair est ferme comme líÈtoffe díun drapeau mouillÈ, vous feriez dÈgueuler un rat en rut, et quand on vous contemple, on se persuade quíune miction bien conduite est prÈfÈrable ‡ un coÔt avec vous. NÈanmoins, vous me plaisez par votre gentille obstination galante. ª

ó A quoi pensez-vous? me dit-elle.

FOIRJDON ¿ MORBAC CITY 269

ó

Cathy, lui dis-je, vous sentez toujours la femme en fleur, votre chair reste tentante, vous feriez bander Rudoif Valentino síil revenait, et il faudrait Ítre impuissant ou pÈdÈ pour ne pas vous sauter dessus au premier regard, nÈanmoins, je níaime pas vos cachotteries.

Elle commenÁait, non pas ‡ mouiller de mes louanges car ‡ son ‚ge on a le frifri ‡ marÈe basse, mais ‡ se pavaner du croupion; ma derniËre apostrophe la pÈtrifie.

ó

Pourquoi cette mÈchancetÈ, garÁon?

ó

Voyons, fais-je, jíimplore de vous des dÈtails sur la vie de ma compatriote, vous avez passÈ des annÈes dans son voisinage, et tout ce que vous trouvez ‡ míapprendre cíest quíelle buvait volontiers et se faisait tromboner parfois. Une fille aussi avisÈe que vous, ‡ laquelle rien níÈchappe!

ó

Mais je vous assure, Frenchie...

Je vide ma tasse et dÈpose un billet de cinquante dollars sur la table.

ó

Bon, bon, níen parlons plus, Cathy. Je suis dÈÁu, mais ce níest pas grave. Jíavais cru quíon allait former un couple, vous et moi, parce que le courant passait bien...

Elle síenroue díÈgosiller (1).

ó

Mais vous vous mÈprenez, garÁon! Loin de moi líidÈe de vous cacher quoi que ce soit. Si je le fais, cíest parce que je ne vois pas ce que je pourrais vous dire, Chouchou.

1.

Une phrase pareille, tu ne peux la trouver que dans un San-Antonio.

270 FOJRIDON ¿ MORBAC CJTY

Sa dÈsolation me file des remords. Mais mon lutin intÈrieur me persuade díinsister; probablement parce quíil renifle les choses mieux que moi?

ó

Cathy, ma belle, concentrez-vous. Au cours de ces annÈes passÈes prËs de M‚‚‚rtiiiiiine, il a bien d˚ se produire quelque incident inhabituel qui vous aura paru anormal, puis que vous aurez oubliÈ; entrez en vous-mÍme, chÈrie, Ètudiez le passÈ

Elle rÈflÈchit si fort que tíentends se craqueler sa cervelle. Puis elle radieusit; une clartÈ de nÈon sort de sa vieillesse comme la lumiËre díune cave.

ó

Bon Dieu, bien s˚r! síÈcrie-t-elle.

Jíattends.

Elle dÈclare

ó

Jíoubliais ce nËgre quíelle a tuÈ, deux ans Je deuxrondeflante

ó

Martine a tuÈ un Noir?

ó

Oh! en &at de lÈgitime dÈfense, je vous rassure. Le gars avait forcÈ sa porte pour cambrioler. Elle est entrÈe pendant quíil faisait main basse sur ses putains de tableaux. Alors il síest jetÈ sur elle et lía violÈe. CíÈtait un vrai fauve, elle síest laissÈ faire. Quand il a eu fini, il lui a dit quíil allait lui couper la gorge et a sorti un couteau de sa poche. Heureusement, Martine gardait toujours un pistolet sous son oreiller. Elle a rÈussi ‡ le saisir, pendant que le Noir ouvrait sa lame et lui a vidÈ le chargeur dans le ventre. Líhomme est mort pendant quíon le transportait ‡ líhÙpital.

il

y a

FOIRIDON ¿ MORBAC CITY 271

ó

Et vous oubliiez de me raconter cette affaire, Cathy?

Elle est penaude.

ó

Vous savez, FranÁais, le temps passe, les jours apportent leur poids de nouvelles emmerdes...

Et puis, ‡ son ‚ge, hein? Mais Áa, par coquetterie, elle síabstient de líinvoquer.

ó

Quelles suites a eues cette histoire?

ó

Aucune. Je vous le redis: la lÈgitime dÈfense a ÈtÈ rapidement Ètablie et le gars avait un casier judiciaire long comme un tapis díÈglise.

De plus, outre le viol, la gosse avait des contusions partout.

ó

Je sentais que vous saviez plus de choses que le Los Angeles Chronicle, Cathy.

Je dÈpose un baiser chaste sur son front aux rides mastiquÈes et vais rejoindre mes deux apÙtres, pile comme ils commencent ‡ redonner signes de conscience.

*

**

Leurs papiers doivent Ítre bidons, je suis un trop vieux routier pour ne pas míen rendre compte. Quand tu examines les fafs de gens douteux, tu as une rÈaction typiquement fi-carde; tel un joaillier, tu reconnais le vrai du faux.

Pendant quíils Èbrouent du cervelet, je retourne chez Cathy pour tÈlÈphoner

‡ Malibu. Jíobtiens Bruce, qui me passe Angela, ‡laquelle jíexplique que tout va bien et quíelle serait gentille de míexpÈdier BÈrurier et Pinaud 272 FOIRIDON ¿ MORBAC CITY

le plus rapidement possible ‡ Venice. Elle míassure quíeUe va síen charger personnellement, mais je líen dissuade car je ne veux pas quíelle se fasse remarquer dans ce quartier pourri. Alors, bon, elle va mobiliser le chauffeur. Jíajoute quíil devra repartir dËs que mes larrons seront sortis de son carrosse.

Líun des mecs prÈtend se nommer Mortimer, líautre Wilson, ce qui dÈnoterait un manque díimagination caractÈrisÈ de leur part.

Ayant dÈcidÈ de ne pas dÈmarrer la sÈance sans mes assistants de choc, je prends place ‡leur cÙtÈ dans un fauteuil et me mets ‡ rÍvasser, comme jíen ai la manie dans les cas graves, en contemplant líintÈrieur de ce modeste logis qui est hors du commun de par les oeuvres qui le tapissent.

Elle arrivait de Paris, la Martine, toute jeunette, mais dÈj‡ sans illuses.

Y avait eu du rebecca avec son dabe que je pressens pas ´blanc-bleu ª.

Curieuse, elle síÈtait fait chopiner par le monstrueux braque de M. FÈlix.

Une tÈmÈraire que rien ne devait arrÍter! AventuriËre, probablement. Quel fut son parcours avant díÈchouer ‡ Venice? L‡, se situe un hiatus dans son curriculum.

Mon instinct me chuchote quíelle a ÈtÈ mÍlÈe ‡ du pas banal qui avoisinait líÈtrange. Une chose díenvergure quíelle a manigancÈe avec le cow-boy. Tu sais ce qui me frappe? Cíest que la mÙme Fouzitout, dans sa cage ‡ rats de Venice, et le Suissaga dans son ranch perdu et pourri de Morbac City, obÈissaient ‡ un motif identique:

la peur. Ils se cachaient! Quelles autres raisons FOIRIDON ¿ MORBAC CITY 273

auraient eues ces deux EuropÈens exilÈs, de vivre pendant des annÈes dans des endroits pareils? Oui! Oui! Oui! AdoptÈ! Cíest s˚r que líun et líautre se planquaient. Mais ils avaient la nÈcessitÈ de se rencontrer une fois le mois.

Un jour, un grain de sable síest glissÈ dans líexistence de Martine. A la suite de quoi? De ses relations avec le pËre Machicoule? Parce quíelle a abattu un violeur noir? Pour une autre raison encore invisible? Sa maladie, peut-Ítre? Curieuses relations que celles qui la liaient au cow-boy suisse.

Elle allait le voir par devoir ou nÈcessitÈ, Grace, la servante noire du prÍtre, nía-t-elle pas rapportÈ que cíÈtait pour elle un pensum, ce voyage mensuel en terre br˚lante et dÈsertique? Que lui portait-t-elle, ou quíallait-elle chercher? En tout cas il síopÈrait un Èchange entre eux. De líamour? «a míÈtonnerait.

Les deux compËres, entravÈs et muselÈs en travers du lit de la dÈfunte, me coulent des regards furibonds o˘ líon sent la haine et líinquiÈtude. Ils doivent se demander pourquoi je reste inactif aprËs les avoir neutralisÈs.

Cíest bon pour prÈparer des gens aux confidences, líindiffÈrence passive.

Que Áa bouillonne sous leur chignon! Et que leur couvercle saute au plafond!

Quarante minutes passent. Mes idÈes prennent des dÈveloppements inattendus, puis se rembobinent comme la bande magnÈtique díun enregistreur.

Líun des deux prisonniers : le Mexicano, se 274 FOIRIDON ¿ MORBAC CITY

met ‡ Èmettre des sons inarticulÈs pour attirer mon attention. Il espËre que je vais Ùter son b‚illon afin de le rendre audible. Au lieu de cela, trËs calmement, je me penche sur lui et lui colle au bouc un petit crochet sec, de ceux qui te mettent du flou artistique dans la moulinette sans te foutre k.-o. AprËs quoi, je me rassieds et reprends le cours de mes dÈductions.

Une tire ralentit devant la maisonnette. Je me rends sur le seuil. La grosse limousine de Harold J. B. Chesterton-Levy stoppe, obstruant la ruelle. Lord BÈrurier et le comte de Monte-Cristo en descendent avec dignitÈ.

Cette vieille pie de Cathy les aperÁoit et míinterpelle ó

Dites donc, Frenchie: vous recevez du beau monde!

Elle lía regardÈ sommaire, le Gravos.

ó

Mes hommes díaffaires franÁais, lui dis-je. Les frËres LumiËre síinclinent en la direction de la ch‚telaine et me rejoignent.

ó

Beau brin de fille! note le Mastard.

ó

Tu peux líavoir pour dix dollars avec un verre de gnÙle en supplÈment pour te remettre de la partie de jambes.

Je les conduis jusquí‡ la chambre, leur montre mes deux salamis et les ramËne dans líentrÈe.

ó

Les chiens sont l‚chÈs, expliquÈ-je. Cíest la premiËre fois quíon a des cartes en main. Jusque-l‡, on a ÈtÈ baladÈs, assaillis; on nous a butÈ

nos tÈmoins. Je veux que Áa cesse, je ne peux pas rester indÈfiniment loin de la maison

FOIRIDON ¿ MORBAC CITY 275

PÈbroque. Jíai dÈcidÈ que je rentrerai dans les vingt-quatre heures aprËs avoir entiËrement solutionnÈ ce problËme de mots croisÈs. Je reconstitue mon trio de choc : CÈsar, Alexandre-BenoÓt, Antoine. Un pour tous, tous pour un!

Grandiloquent?

Toujours, un chef, avant líassaut.

Quíon le veuille ou non, le courage prend sa source dans les mots et on ne se fait jamais tuer en silence; trompettes ou blabla, le hÈros a besoin de sons pour aller ‡ la mort, comme lí‚ne pour porter sa charge.

Emus, mes deux chÈris me pressent la main.

ó

Voici les rÙles, poursuis-je. Toi, Pinaud, tu joues le renard; et toi, BÈru, le loup.

ó

Et toi? demandent-ils avec un ensemble gÍnant.

ó

Moi? fais-je. Moi je jouerai le perroquet. Je poserai des questions au~ deux olibrius et Alexandre-BenoÓt fera LE NECESSAIRE pour quíils y rÈpondent. Ils sont líunique passerelle qui peut nous conduire ‡ la vÈritÈ

(1).

Pinaud t‚te son mÈgot Èteint pour síassurer quíil a encore ´ du corps ª, puis le rallume en se grillant les poils des narines.

ó

«a consiste en quoi, le rÙle du renard?

ó

A explorer les terriers. Voyez-vous, mes chÈrubins, plus je míenfonce dans mes gamberges, plus je pense que cette baraque a jouÈ un rÙle important dans líaventure de la mÙme

276 FOIRJDON ¿ MORBAC CITY

Fouzitout. La petite investigation ‡ laquelle nous nous sommes livrÈs ici ne me satisfait pas, jíaimerais que tu reprennes cette perquise en faisant jouer ‡ fond ta jugeote de vieux madrÈ.

Et Baderne-Baderne de rÈpondre

ó

Je vais me concentrer.

Il

síassied dans un fauteuil du sÈjour et croise ses vieilles mains sur sa vieille bite.

17

CHAPITRE NOIR¬TRE

Un grand psychologue, BÈrurier AlexandreBenoÓt. Dans son genre.

Il

me dit, une fois la porte fermÈe

ó

Faut quíjívas les tester avant dícommencer.

Il

quitte sa veste, líinstalle sur un dossier de chaise, roule ses manches, rejette son bitos sur líarriËre de son cr‚ne de bovidÈ et frotte doucement ses phalanges contre son pantalon.

ó

Voilions voir quíjí voye! annonce-t-il en síapprochant du couple.

Bien 1í bonjour, mes pítits gars.

Avec une promptitude dont on ne líestime pas capable ‡ premiËre vue, il lance ses deux pognes ‡ la fois sur les braguettes des types, comme un matou papelard sur deux souris endormies. Et il serre.

Moi, assis ‡ deux mËtres, je míefforce de míabstraire. NÈanmoins, je perÁois des plaintes ‡ travers les b‚illons.

Le Gros se redresse, líair flippeur.

ó

Jíentíprends Áu-l‡, dÈcide-t-il en montrant 278 FOIRIDON ¿ MORBAC CITY

le Mexicano. Quand on y Ècrase les noix, il est plut. portÈ quílíautí suí

lívague ‡ lí‚me.

Díun geste doux, il arrache le b‚illon du mec qui en profite pour gueuler putois dans le texte.

Le Gros place son poing ‡ líhorizontale et, comme un postier donne un coup de tampon sur un timbre, il assËne ses deux livres avec os sur la denture du gueulard. Quelques canines et autant díincisives l‚chent la rampe et se mettent ‡ macÈrer dans du sang ‡ líintÈrieur de sa bouche.

ó

Tais-toi, et parle! gronde BÈru. Aboule tes questions, grand!

Je míapproche du lit.

Et tu vas voir mon diabolisme. Au lieu de líinterroger sur ce qui míintÈresse, je fais le grand tour, histoire de dÈconcerter ces messieurs, leur donner ‡ croire des tas de choses

ó

Qui a butÈ Benjamin Stockfield, agent du F.B.I., matricule 6018?

L‡, il dÈrape de la matiËre grise, le petit brun. Síil síattendait! Voil‡

quíil Èchafaude des hypothËses ‡ mon sujet. Serais-je-t-il un mec affiliÈ

au F.B.I., moi aussi?

ó

Je ne sais pas! Èructe le ´ patient ª du Mastard.

ó

Quíest-ce y dit? demande ce dernier.

ó

Quíil ne sait pas.

ó

Ben faut quíy susse! assure le Dodu.

PortÈ dÈcidÈment sur les gÈnitoires du Mexicain, il sort son vieil Opinel ‡

manche de bois, líouvre, fait tourner la virole qui bloque la lame et líenfonce dans les braies de sa victime. Son ya, cíest une partie de sa vie, ‡ mon pote. Il

FOIRJDON ¿ MORBAC CITY 279

passe ses loisirs ‡ líaff˚ter sur une pierre, et tu trouveras pas un seul Arbi ‡ Pigalle disposant díun rasif mieux aiguisÈ que ce brave Opinel de nature pourtant rurale.

Le zig pousse un nouveau cri, car la pointe du lingue lía piquÈ. BÈni la retire lÈgËrement et dÈcoupe slip et pantalon en remontant jusquí‡ la ceinture. Les parties sont dÈgagÈes, offertes au sadisme de mon valeureux assistant.

ó

Nívíl‡ ‡ pied díúuví, dÈclare AlexandreBenoÓt. Tu vas espiiquer ‡

cí pas-beau quíjíva y peler lígland. Son paf, cíest pas Bizerte, mais il est valabí, avíc uní bonní tronche. Jí pourrais lu sÈlectionner tout dísute le noeud au ras des moustaches, mais jílu donne une chance: la der. Si y sídÈcidera quand 1í galure du champignon síra parti, uní fois cicatnsesÈ, y pourra encore grimper sa polka avíc la tige.

Je traduis fidËlement.

Une expression horrifiÈe convulse la face du mec.

ó

Ecoutez, vieux, lui fais-je, conciliant, vous devriez vous mettre ‡

table; ce gros type va faire ce quíil dit et bien plus encore si vous vous obstinez. Attila Ètait un bricoleur, en comparaison!

ó

Je ne peux rien dire, je ne sais pas de quoi vous parlez, vous entendez? Je ne sais pas, je le jure sur ma mËre!

ó

Quíest-ce y cause? demande mon robot de service.

ó

Il jure sur sa mËre ne rien savoir.

ó

Oh! que jíaime pas Áa! Une moman, Áa sírespËque!

280 FOIRIDON ¿ MORBAC CITY

DÈlibÈrÈ, il saisit la chopine du gars et, avec líindiffÈrence díun boucher prÈparant une piËce de viande, se met ‡ entailler la tÍte du noeud.

Líautre brame si fort que BÈni lui flanque un oreiller sur la frime avant de poursuivre.

Et voil‡ que le second, le Ricain, commence ‡ síagiter de la tronche et ‡

Èmettre des inarticulations. Je pige quíil veut communiquer, aussi le dÈb

‚illonnÈ-je.

ó

Laissez-le, il ne sait rien! me dit-il.

Je stoppe BÈru díun geste.

ó

Si vous savez quíil ne sait rien, cíest que vous vous savez!

objectÈ-je.

Il

a un signe soumis.

ó

En effet.

ó

En ce cas, mon cher ami, je vous Ècoute.

ó

Le gars dont vous parlez a ÈtÈ dÈmoli par un nommÈ Witley Stiburne.

Ouf, cette fois on paraÓt dÈmarrer du bon pied.

ó

Chez lequel vous avez perquisitionnÈ tout ‡ líheure?

Nouveau point marquÈ par líÈminent, le surdouÈ Sanantonio. Líhomme comprend quíil nía pas affaire ‡ une pelure mais ‡ un homme supÈrieurement informÈ.

ó

Exact.

ó

Vous travaillez pour quelle maison?

ó

Si je le disais, je serais mort.

ó

Vous le serez aussi si vous le dites pas!

assurÈ-je en dÈsignant BÈru. Cíest un choix, comme toujours dans la vie. Le vÙtre se rÈsume

‡ mourir soit ś˚rement tout de suite ª, soit

´ peut-Ítre plus tard ª.

FOIRIDON ¿ MORBAC CITY 281

ó

On en est o˘ cela? síinquiËte le Mastard que líinaction dÈvalorise.

ó

Statu quo, rÈponds-je distraitement.

ó

Tívas voir les estatues quíjívais tífabriquer avíc ces deux zozos!

Le Mexicano saigne de son gland fendu quíil síefforce díapercevoir malgrÈ

ses entraves.

ó

Tu croives quíon pourra y faire un point de soudure? demande Sa MajestÈ, sans compassion, mais curieuse.

Je me penche sur le Ricain.

ó

Appuie líoreiller sur la gueule de líautre! enjoins-je.

ó

Vous ne voulez pas parler devant votre acolyte, chuchotÈ-je.

Maintenant je vous pose une question ‡ líoreille; si jíai devinÈ, battez des paupiËres. Vous appartenez au Syndicat du crime, níest-ce pas?

Il

me regarde fixement et acquiesce.

Exprime-t-il la vÈritÈ ou me mËne-t-il en bateau-mouche? Peut-Ítre lui tends-je une perche qui fait son affaire? Nous allons bien voir.

Je passe ‡ son compËre.

Il

Ètouffait sous líoreiller solidement plaquÈ et suffoque. Je le laisse reprendre souffle.

ó

TraÓne son copain dans líautre piËce, Gros, CÈsar le surveillera, et reviens.

Sans requÈrir un mot díexplication, BÈrurier míobÈit.

A son retour, il murmure:

ó

Tíavais peur ´ quíils se gÍnent ª de parler líun devant líautre?

Pas si con que Áa, Gradube.

ó

On reprend, annoncÈ-je, fin de la rÈcrÈ.

282 FOIRIDON ¿ MORBAC CITY

Cíest ‡ prÈsent quíon va savoir si tu finiras tes jours en pissant avec un brise-jet de caoutchouc ou avec celui que ta mËre tía donnÈ!

Le Mastard fait miroiter la lame de couteau qui, au fil des aiguisages, a perdu la moitiÈ de sa largeur.

ó Pour le compte de qui travaillez-vous, votre camarade et vous?

Il marque un temps, mais rÈalisant que son tortionnaire vient de saisir sa queue ‡ pleines mains, il síempresse.

ó Le Syndicat, chuchote-t-il, comme síil Ètait moins grave de trahir ‡ voix basse.

Donc, le gonzier ‡ la paupiËre tombante níaurait pas menti? Je te dis quíon va finir par y arriver!

«a nous prend beaucoup de temps. Rien de plus dÈlicat que díassembler les ÈlÈments Èpars díaveux arrachÈs sous la contrainte pour, au fur et ‡

mesure, constituer un puzzle pas trop bancal qui finisse par exprimer une vÈritÈ plausible.

Cela ressemble un peu ‡ la composition díun portrait-robot. On procËde par t‚tonnements et mÍme, quelquefois, par divination. On obtient un dÈtail qui vous comble díaise, on croit quíil est essentiel au portrait, et puis díautres surgissent, qui le neutralisent, et on en arrive ‡ le mettre au rebut en dÈcouvrant quíil ne síintËgre pas dans líesquisse qui commence ‡

poindre.

Alors que nous sommes en plein turbin, la mËre Cathy vient sonner ‡ la porte. La soirÈe qui síavance commence ‡ la faire tourner en FOIRIDON ¿ MORBAC CITY 283

bÈchamel. Elle a besoin de rÈfections urgentes, mais son miroir manque díÈloquence ‡ la mauvaise lumiËre des lampes et elle ne recharge pas son immense bouche de mÈrou qui, dÈlayÈe, síÈtale sur tout le bas de son visage; non plus que le bleu de ses paupiËres qui pourrait donner ‡ penser quíun julot irascible vient de lui mettre une toise. Elle est carnavalesque, la dame voisine.

ó

Je venais voir si un cafÈ vous ferait plaisir? dit-elle.

Elle a troquÈ sa robe pour fandango de brasserie sÈvillane contre un dÈshabillÈ ‡ fleurs, fendu jusquíaux seins et dÈcolletÈ jusquíau pubis.

Je lui rÈponds que non, merci bien, on síapprÍte ‡ dormir. Mais voil‡ que BÈru, alertÈ par un organe fÈminin, abandonne ses ćlients ª et se pointe, joli coeur en diable.

ó

Quíest-ce y a pour son service ‡ ce petit trognon? roucoule líÈlÈphant díAfrique en roulant des charmeuses.

ó

Elle venait nous proposer du caoua.

ó

Riche idÈe!

ó

Tu veux quíelle voie nos potes dí‡ cÙtÈ, Gros?

ó

Non, mais jívas faire une pause-cafÈ : je commence ‡ fatiguer dí

míÍtí tant tellíment dÈpensesÈ.

Il

saisit Cathy par la taille et líembarque sans attendre mon avis.

Il

nía pas tort, mon gros Nounours : la fatigue se met ‡ peser lourd.

Díailleurs, le ´ renard ª Pinaud a moulÈ ses 284 FOIRIDON ¿ MORBAC CITY

recherches pour entamer une dorme de champion dans son fauteuil. Moi je retourne aux deux dÈlabrÈs qui portent les stigmates díun interrogatoire bÈrurÈen extrÍmement ´ poussÈ ª. A les voir, on peut les croire rescapÈs díun accident de chemin de fer. Ils ont des gueules de post-dÈraillement.

Leurs costards sont en lambeaux et il y a dans leurs regards cet abattement plein de langueur des poilus de retour de Verdun.

Nous les avons remis ensemble et ils savent quíils ont líun et líautre doublÈ le Syndicat.

Le Ricain, qui prÈtend síappeler Steve, demande avec les deux boursouflures qui remplacent son ancienne bouche:

ó

Et maintenant?

Pour lui, son siËge est fait : il va prendre une bastos dans le cigare avant líaurore. Quelle autre conclusion donnerait-il ‡ nos brËves relations, síil Ètait ‡ ma place?

Et moi, comme lui, je me susurre dans les touffeurs de ma gamberge : Ét maintenant? ª

Ces deux bandits sont flambÈs, comme que comme (1).

Quand ils vont retourner au bureau, leurs employeurs verront tout de suite quíils sont p‚ssÈs ‡ la moulinette et, dans le triste Ètat o˘ ils se trouvent, ne douteront pas quíils ont parlÈ. Pour en avoir le coeur net, ils les éntreprendront ª ‡ leur tour, si bien que ces deux 1.

Expression helvÈtique signifiant quelque chose comme : ´ de toute faÁon ª.

FOIRIDON ¿ MORBAC CITY 285

zouaves níont pas une chance sur un milliard de síen tirer.

Ce que jíÈprouve ‡ cette perspective ressemble presque ‡ de la gÍne. «a a beau Ítre des meurtriers, je ne suis pas fier de les avoir prÈcipitÈs dans une pareille fosse ‡ merde.

ó Maintenant? rÈpÈtÈ-je ‡ intelligible voix. Maintenant, il ne vous reste quíune solution, les gars : vous faire foutre au trou dix ans, car le monde sera trop petit pour vous puissiez Èchapper ‡ votre putain de Syndicat. En partant díici, braquez une banque ou une bijouterie et laissez-vous serrer par les perdreaux.

Un filet rouge dÈgouline de ses commissures.

ó Vous croyez que la taule est une protection contre le Syndicat, vous! Il y est aussi actif quíailleurs. En moins díun mois on nous retrouverait pendus dans notre cellule, suicidÈs comme la bande ‡ Baader!

Et puis on en est l‡ de leur destin quand voil‡ Pinuche qui paraÓt, le regard encore chassieux de sommeil.

Oui, il entre, de sa dÈmarche flottante qui donne ‡ croire que cíest le pli de son falzar qui lui permet de se tenir debout.

Mais pourquoi tient-il ses deux mains levÈes au niveau de ses Èpaules de hÈron?

Je te dis?

Parce quíil a le canon díun flingue dans le dos.

Et le mec qui tient le canon du flingue est un immense gaillard, ‡ la frime grÍlÈe, au nez aplati par des chiÈes de coups de poing, ce qui lui compose la tÍte díun chourineur comme on

286 FOIRIDON ¿ MORBAC CITY

en trouvait plein les films B amÈricains en noir et white.

Le plus beau est quíil níest pas seul, ce galant. Une dame líescorte (ou alors cíest lui qui accompagne la personne du sexe). Et líÈgÈrie níest autre que la gonzesse qui se trouvait en compagnie de Witley Stiburne lorsquíil est venu nous rendre visite au motel de líIndien, ‡Morbac City.

Tu te souviens? La garce síest tirÈe pendant líÈchauffourÈe (lait chaud fourrÈ). Eh bien, la revoil‡, mon pote. Toujours aussi mastoc et locdue, fagotÈe comme une qui, autrefois, faisait payer les chaises dans les jardins publics. Cíest marrant : je líavais oubliÈe, cette niqueuse; et puis tu vois, le retour Ècoeurant...

Elle est chargÈe, elle aussi : un chouette calibre ‡ crosse díivoire que son petit garÁon a d˚ lui offrir pour la fÍte des mËres.

Elle me dit

ó Avec le vieux, placez-vous cÙte ‡ cÙte contre le mur du fond, les mains levÈes et appuyÈes contre la cloison.

Le Ricain Steve, dominant sa mÈlancolie naturelle, se met ‡ claironner, díun ton qui se voudrait joyeux:

ó Hello! Miss Bulitt! Vous arrivez ‡ temps, regardez ce que ces salauds nous ont fait pour essayer de nous faire parler.

Miss Bulitt, tu sais, mÈrite quíon la regarde de plus prËs, vu que cíest un personnage hors du commun. Elle a les joues molles et blafardes, constellÈes de points noirs gerbants, un triple menton, des cheveux díun roux queue de vache,

FOœRIDON ¿ MORBAC CITY 287

frisottÈs sur le front, un pif ÈpatÈ sur lequel vÈgËte une sorte de fraise Ècoeurante.

Jíignore si un mec se dÈvoue pour lui frictionner la tubulure, en tout cas, dans líaffirmative, la prouesse relËve de líhÈroÔsme; mais elle a un aspect trop hommasse pour laisser supposer quíelle a des moeurs orthodoxes.

Chemise dÈboutonnÈe qui laisse admirer un soutien-tripes pas propre, le jean quíelle portait lors de notre premiËre entrevue si fugace et un blouson de toile verte, tout froissÈ, avec du faux daim aux coudes.

DíemblÈe, ‡ la maniËre dont Steve vient de síadresser ‡ elle, je comprends que cette vache est une huile dans śa branche ª, dotÈe de pouvoirs Ètendus.

ó Et vous níavez pas parlÈ? questionne-telle en síapprochant de son camarade de rÈgiment.

ó Vous nous connaissez, Miss Bulitt! se dÈfend le gars avec une Ènergie qui sonne aussi vrai que le baratin díun marchand de tableaux.

Elle sourit et, de sa main libre, extrait du blouson un appareil chromÈ, ‡

tÍte noire gaufrÈe.

ó Tu oublies mon petit micro directionnel ‡infrarouge. «a fait presque une heure que je suis dans la rue, au volant de ma voiture, ‡attendre Burky.

Líautre dÈfaille, se tait.

Le Mexicano se met ‡ gÈmir:

ó Vous devez savoir alors ce quíon a endurÈ, Miss Bulitt. Personne níaurait pu rÈsis

288 FOIRIDON ¿ MORBAC CITY

ter. Regardez ma bite, Miss Bulitt, dans quel Ètat elle est Elle níabaisse mÍme pas son regard

ó

Tu crois pas que ta ridicule membrane va me faire chialer, Ducon?

ó

Je vous en supplie, regardez!

Cette fois, elle regarde.

ó

Ils sont magnanimes, tes amis, ils tíont laissÈ tes couilles de goret!

ó

Cíest pas mes amis, Miss Bulitt!

ó

En tout cas, moi je suis moins gentille quíeux, fait-elle en avanÁant son arme vers le bas-ventre du tueur.

Celui-ci devient fou.

ó

Quíest-ce que vous allez faire, Miss Bulitt? Non! Non!

Mais le canon síest logÈ entre les testicules du Mexicain. La sauvage presse la dÈtente. Un calibre aussi mahousse, y a du sang partout des bouts de roustons, de la bouffe canigouronron.

Le mec Èmet une plainte comme jamais je níen ai entendu. Il a un cratËre pourpre ‡ la place de ses parties (parties sans laisser díadresse !).

ó

Tu jouis, petit? questionne líogresse impavide. Prends bien ton pied, je te finirai dans un moment, situ es sage!

Elle braque son arme contre le Ricain.

ó

Et toi, Stevie, tu la veux o˘, la tienne? Le courage vient parfois aux dÈsespÈrÈs quand ils savent que RIEN ne peut plus les sauver. -

FOIRIDON ¿ MORBAC CITY 289

ó

Dans ton gros cul plein de merde, je la veux!

ó

Tiens, cíest une idÈe, fait-elle, une balle dans les couilles de líautre idiot, et une dans ton trou de balle. Cíest tout ce que mÈritent des traÓtres.

Elle fait rouler le saucissonnÈ sur le cÙtÈ et, de la pointe de son foutu pÈtard, dÈtermine la raie de ses fesses ‡ travers líÈtoffe de son pantalon.

Steve est une rage (provisoirement) en vie.

Il

la regarde avec des lotos qui jaillissent ‡vingt centimËtres de ses orbites et dit

ó

Tu sais la diffÈrence quíil y a entre ton con et ta bouche, grosse vache? Y en a pas! Ils sentent tous deux le con!

Elle le plombe. La bastos ravage tout le circuit intestinal du truand. Il Èmet un r‚le prÈagonique. Sa douleur est indicible. Le pantalon est perforÈ

et sent le roussi. LíhyËne fÈroce enfonce le canon de son feu dans le rectum saccagÈ du Ricain.

ó

Tu dÈgustes, hein, saloperie de macho! Cíest le moment que choisit BÈni I~, roi des cons, pour opÈrer un retour remarquÈ.

Il

entre en tenant un grand pot de porcelaine (imitation Limoges).

ó

Qui veut un bon caoua br˚lant? interroge-t-il ‡ la cantonniËre (dirait-il).

Díune úillÈe, il apprÈhende la scËne et síarrÍte, ahuri.

ï ó Ah! bon, Áa se corse, chef-lieu Ajaccio, murmure le digne ami.

290 FOIRIDON ¿ MORBAC CJTY

Le grÍlÈ nous dÈsigne ‡ Mister Bibendum et lui indique díun geste de nous rejoindre.

Alexandrovitch-Benito a un acquiescement de demeurÈ.

Docile, il se dirige vers nous mais, en passant ‡ proximitÈ de líautre pomme, lui balance le contenu du pot de cafÈ ‡ travers la poire.

Il venait de líannoncer: le breuvage est br˚lant. Tíimagines le hurlement du mec aveuglÈ par ce liquide bouillant?

BÈrurier lui fracasse le pot sur la tronche puis saisit le pÈtard de Ńez-en-pied-de-marmite ª.

ó Donne! fait-il, tíes trop con pour jouer avec des armes ‡ feu.

La suite, faut bien la passer au ralenti pour la faire piger. La femme veut faire front, seulement, ironie du sort, elle a trop engagÈ son feu dans le postËre du Ricain; la douleur contractant le sphincter du mourant, elle a du mal ‡ le rÈcupÈrer. Le temps de son effort suffit au Gros pour lui rincer les mÈninges au sirop de plomb. La houri síabat, foudroyÈe, sur le corps de líhomme quíelle vient de dÈtruire. La justice immanente, comme on dit puis ‡ BourgoinJallieu, veut quíelle trÈpasse avant lui.

Pinaud et mÈzigue abandonnons notre peu reluisante posture.

ó Serais-je-t-il arrivÈ ‡ poing dÈnommÈ, ou me gourÈ-je? ricane líEnflure vivante.

Il ne lui dÈplaÓt pas de rouler les mÈcaniques aprËs un coup díÈclat.

Seulement il a tort de plastronner trop vite. Le grÍlÈ, cíest pas le genre de petit chaperon rouge que tu estourbis avec un pot de beurre.

FOIRIDON ¿ MORBAC CITY 291

Le voil‡ dÈj‡ avec une lame en main. Pas une lame : un long poinÁon effilÈ

‡ manche rond.

ó

Gaffe, Gros! hurlons-nous de concert (car nous níavons pas de conserves ‡ disposition), Pinuche et moi.

Curieux comme un lourdingue de cent vingt kilos peut faire montre díun tel rÈflexe! Sans perdre le temps de ´ regarder le danger ª, il se jette ‡

terre; le poinÁon se plante dans son Èpaule. BÈrurier líindomptable tire trois fois, ‡la volÈe de bas en haut. Bilan : une prune dans le bide, une autre dans le sternum, la derniËre dans le cou. Le compte y est, et celui du mec est bon. Y a plus que le Mexicano qui respire encore sur les quatre, mais juste pour dire, juste pour avoir líair de vivre un peu.

ó

La soirÈe a ÈtÈ rude, rÈsume Pinaud qui, fÈru díHistoire de France, nía pas oubliÈ la rÈflexion de Damiens quand ses juges le condamnËrent ‡

Ítre rouÈ vif, puis ÈcartelÈ.

On examine messire BÈru. Le poinÁon síest plantÈ en fait dans du gras (il en a de partout).

ó

Je pense quíil serait bon de se retirer, dis-je. On marchera pour trouver un taxoche, pas question díemprunter leurs bagnoles; il faudra que la police croie ‡ un rËglement de comptes entre criminels.

ó

Tu oublies la voisine qui nous connaÓt; son tÈmoignage va nous foutre dans la merde! soupire Pinaud.

Et il est rare quíil emploie des gros mots.

ó

Cítí pítite poupÈe? Jíen fais mon affaire, assure le Mahousse.

Jílíai calcÈe si gigantesquí ment quíÈ veut absolutíly vínir en France avíc 292 FOIRIDON ¿ MORBAC CITY

moi. Jívais y dire quíÈ prÈpare son balluchon et on sílíemporte vite fait, bien fait; comaco, plus dí tÈmouine gÍnante!

LíidÈe me semble judicieuse devant le critique de la situation. Le Casanova de Venice (je dis bien ´ Venice ª) sort chercher sa conquÍte.

Comme cette piËce pue atrocement le sang et la mort, je propose ‡ la Pine díaller attendre dans le sÈjour.

ó

Un instant, rÈpond le Sagace. Tu míavais chargÈ díune mission particuliËre : trouver une hypothÈtique cachette dans cette maison...

ó

Au lieu de la chercher, tu as roupillÈ, ripostÈ-je.

ó

Ne sois pas injuste, ni malveillant, Antoine.

ó

Objectif seulement, papa. Je le peine, sa nouvelle cigarette, toute neuve, pas encore allumÈe, tremble entre ses lËvres minces.

ó

Ne prends pas la mouche, Don DiËgue! Je te charrie.

ó

Tu míavais dit de chercher, jíai cherchÈ!

ó

Et tes recherches níont rien donnÈ?

ó

Non, admet ce loyal ami.

ó

~Bon.

Il

tourne vers moi son ineffable visage de bÈlier castrÈ qui, avec ses rognons, a perdu tout esprit belliqueux.

ó

Cíest quand jíai cessÈ de chercher que jíai trouvÈ, mon petit. Ah!

líenseignement de la vie!

ó

Tu as trouvÈ quoi, o˘, quand, comment?

ó

Pendant que je me tenais ‡ ton cÙtÈ

FOIRIDON ¿ MORBAC CITY 293

contre le mur, les bras levÈs. Cette position me fatiguait, surtout líÈpaule gauche que líarthrite malmËne. Pour míaider ‡ conserver la position, jíai accrochÈ mon petit doigt de la main gauche au crochet soutenant ce dessin de Magritte qui reprÈsente un arbre dÈpouillÈ, en forme de placard ouvert, ayant une feuille ‡ líintÈrieur.

Á ma grande surprise, jíai constatÈ que ledit crochet sert aussi de fermeture au panneau sur lequel est fixÈ le dessin. Líastuce cíest quíil est infiniment plus grand que celui-ci. Des tableaux masquant une porte secrËte de coffre mural, cíest classique, banal mÍme. Mais un tableau qui est, en fait, la serrure díune grande cachette, voil‡ qui est plus aff˚tÈ

comme astuce, non? ª

Joignant le geste ‡ la parabole, il va dÈcrocher le dessin, puis il actionne le fameux crochet et tire. Une porte invisible, car elle est constituÈe de frisettes de bois dont les dimensions sont identiques ‡

toutes celles qui recouvrent les murs, síouvre, dÈvoilant un placard muni de rayonnages chargÈs de dossiers.

18

CHAPITRE GLAUQUE

Le mÈdecin hoche le chef, ayant passÈ lí‚ge de le branler. Il regarde avec une attention scrupuleuse les trois extraordinaires sexes proposÈs ‡ son examen et ‡ son savoir.

ó

Du jamais vu, marmonne-t-il (car ce sont les Savoyards qui marmottent).

Il

les prend alternativement dans ses mains gantÈes de caoutchouc.

Líon dirait quíil examine des ÈlÈphants souffrant de la trompe. Il les cueille par ordre díimportance : celui de BÈrurier pour commencer, puis celui de FÈlix et, pour terminer son Ètrange revue, celui du Marquis de Carabas.

Il

pousse la condescendance jusquí‡ les soigner, assistÈ díune exquise infirmiËre noire aux formes allÈchantes. Ce qui lui vaut la remarque suivante du Mammouth:

ó

Mande pardon, Doc. Est-ce serait-il possibí que Áa soye la Miss qui me tenasse 1í membí; vous sucrez les fraises et jí craindrais díavoir une irruption bandante, ce dont jí voudrerais pas quí vous vous mÈprisiez suí

mes moeurs.

FOIRIDON ¿ MORBAC CITY 295

Mais le toubib parle mal le franÁais et pas du tout celui du Mahousse.

A la fin de la consultation, il se tourne vers Harold J. B. ChestertonLevy.

ó Ces comÈdiens sont inaptes ‡ tourner le scÈnario que vous nous avez soumis, avant un laps de temps síÈtalant de huit jours, pour le gros, ‡

deux mois pour le jeune, dÈclare-t-il.

Il est líexpert mandatÈ par la compagnie díassurances qui ćouvre ª les trois protagonistes du film Èrotique prÈvu et que notre bon produc a saisie devant la carence des ácteurs ªengagÈs.

ó Bien, fait-il. Comme les comÈdiens ont díautres engagements signÈs ailleurs pour les mois ‡ venir, le contrat me liant ‡ eux est rompu et votre putain de compagnie devra me rembourser les frais engagÈs.

Le praticien hausse les Èpaules en signe de će-ne-sont-pas-mes-oignons ª.

BÈru qui síen ressent pour sa petite assistante noire, essaie de palucher celle-ci en douce, mais la mËre Cathy qui assiste ‡ la sÈance, dÈfend sa chopine plus ‚prement que Jeanne Hachette dÈfendit Beau-vais contre le TÈmÈraire, en 1472 (si mes souvenirs et le petit Larousse sont exacts).

Elle intervient

ó Si je pars en France avec vous, darling chÈri, cíest pour une existence sÈrieuse.

Je traduis.

Le Gros rigole grand comme líArche de la DÈfense.

ó Ces putasses rangÈes de voitures veuillent toutes rí deviendre pucelles, alors quíÈ zíont la

babasse plus large quíuní porte dí grange! Dis-y quí cíest pas pour jouer ´

Remets-líeau et Juillet ª quí jí líembarque, mais pour faire femme-dí

mÈnage-partouzeuse chez moive. La Berthy quíest salingue ‡ ses heures, dÈteste pas quíon lu mignarde líogne ‡ la menteuse ou au salsif du temps quí È mí chívauche Ií poney sauvage! Dí mÍme, quand jíy dÈguste la rímoulade, elle raffole brouter uní dame qui líacalifourche. Díautant, dans Ií cas dí Cathy, quíy síagite díune coloriÈe-voumanesse, Áa pimente.

Je líabandonne ‡ ses problËmes de couple et vais prendre congÈ díAngela.

Jíaimerais lui tirer mon feu díartifice díadieu ‡ cette inoubliable qui aura tant fait pour moi. Mais son singe est rentrÈ de ses ÈquipÈes moscovites et ils ont un agenda qui níest pas chargÈ ‡ blanc!

Je la prends dans mes bras et lui donne des baisers humides dans le cou, l‡

o˘ se risquent des cheveux fous ÈchappÈs au domptage du hairdresser.

Elle frissonne.

ó Vous me tÈlÈphonerez, mon amour? La nuit je suis toujours l‡ et, avec le dÈcalage horaire, ce sera le jour pour vous.

ó JurÈ! rÈponds-je.

SincËre.

Mais avec les arriËre-pensÈes de líexpÈrience.

Je le sais mieux que quiconque que ´ loin des yeux, loin du coeur ª. Les Ítres qui rÈsistent ‡líabsence et demeurent intacts dans ton coeur se comptent sur líannulaire díune seule main.

Certes, je lui tÈlÈphonerai... Le jour de mon arrivÈe, et puis la semaine suivante. Et peut-

Ítre encore une ou deux fois, ‡ la suite díun coup de vague ‡ lí‚me, croyant quíelle en est líobjet, míapercevant que non, aprËs avoir raccrochÈ. Tant va líhomme ‡ la cruche quí‡ la fin elle se case. Oh! vie, quíil est profond ton silence et quíelle est conne ta bruyance.

*

**

Deux heures plus tard, nous sommes ‡ líaÈroport, au grand complet, en beaux complets; rutilante Èquipe sur le retour. Surtout en ce qui concerne FÈlix et CÈsar!

Et toi, lecteur interloquÈ de te dire, avec incrÈdulitÈ, mais te le disant quand mÍme:

Ńon, sans blague, ce con díAntonio va pas nous laisser quimper comme Áa, sans nous cracher le fin mot de la fin! Il est tellement jobastre, quand il síy met, cet oiseau, quíil en serait tout ‡ fait capable! ª

Avoue que tu penses comme Áa?

Comment dis-tu? Non? Tu as confiance en ma probitÈ professionnelle? Merci, cíest gentil de me le dire. Je tíaime bien, tu sais. Je fais semblant de te houspiller, parfois, mais cíest pour plaisanter. Pour te chiner comme on dit peut-Ítre encore ‡ Bourgoin-Jallieu, SaintChef, Ruy, Saint-Alban-de-Roche, Four, La Tour-du-Pin, Morestel, La CÙte-Saint-AndrÈ! Bonjour, Berlioz!

Il y a des gens que jíaime et que je traite de cons; par contre, y a pas de cons auxquels je dis que je les aime!

Bon : líaÈroport. BÈrurier achËte des hot

298 FOIRIDON ¿ MORBAC CITY

dogs, par prÈcaution, ainsi que quatre bouteilles de vin californien (il síy est mis). FÈlix Ècrit en douce une carte postale... au Marquis, afin quíil reÁoive un message de ce pays plein de tribulations. Tu veux que je te dise? Je crois quíil est amoureux de son nobliau demeurÈ, le prof. Oh!

rien de sexuel. Mais líamour cíest si bizarre. Tu comprends, il a toujours ÈtÈ si seul, FÈlix, avec juste sa grosse queue pour lui tenir compagnie.

Seulement, ‡ la longue, tu tíaperÁois quíune queue cíest pas suffisant. «a nía jamais remplacÈ un enfant.

JíÈloigne prÈcipitamment ma troupe du magasin o˘ líon vend les journaux, biscotte une manchette síÈtale ‡ la une des canards californiens : ´ Tuerie

‡ Venice ª.

Je recommande ‡ Sa MajestÈ de ne pas laisser prendre de baveux ‡ sa conquÍte au moment de la distribution, dans líavion. Il remÈdie au danger en la poussant vers un bar de líaÈroport. A la tequila, il líentreprend, sa brune. En un quart díheure, elle a oubliÈ jusquí‡ son nom de famille!

Cíest au moment o˘ nous nous dirigeons vers les portes díembarquement que je míentends hÈler (et que je regrette de ne pas líÍtre, ailÈ).

Un homme se pointe en courant, avec le Los Angeles Morning ‡ la main.

Il

líagite en criant mon nom.

Tu sais qui?

James Smith, de líÈtude Smith, Smith, etc. Pour enrayer le grabuge, je vais

‡ sa rencontre.

FOIRIDON ¿ MORBAC CITY 299

jíajoute du Pingouin, parce que Áa fait ´ laine du Pingouin ª, tu comprends, et que cíest assez drÙle, ma foi, dans un moment o˘ on se fait chier et quíon nía rien de mieux ‡ se mettre sous líhumour), il me crache dans la foulÈe:

ó

Ouf! Jíarrive ‡ temps. Je vous ai appelÈ chez Chesterton-Levy o˘

líon mía dit que vous veniez de partir pour líaÈroport. Vous avez su ce qui est arrivÈ avant-hier?

Il

me tend thȂtralement le baveux.

ó

«a, alors! bÈÈ-je.

ó

SidÈrant, non?

ó

Plus!

ó

Quíen pensez-vous?

ó

Rien!

ó

La Fouzitout devait fricoter avec le Milieu, non?

ó

Probable.

ó

Les quatre morts sont tous fichÈs dans le grand banditisme.

ó

Bon dÈbarras!

ó

Vous níaimeriez pas suivre líenquÍte?

ó

Un flic franÁais! En Californie! Mes collËgues díici míarracheraient ma culotte si je me pointais sur leur os ‡ moelle!

ó

Le propriÈtaire rentre Ègalement en France?

ó

Il est attendu ‡ la Sorbonne pour une communication de la plus haute importance ‡propos du sexe de Satan dans la littÈrature scandinave.

Ravi de vous avoir connu, mon cher maÓtre, gardons le contact, vous me tiendrez au courant des dÈveloppements de líen-

300 FOIRIDON ¿ MORBAC CITY

quÍte. Pardon de vÙus quitter si vite, notre vol a ÈtÈ appelÈ.

On síactionne le bras de pompe comme pour emplir une citerne de deux mille litres.

ó Cette fille níÈtait pas catholique, níest-ce pas? demande Smith James, de líÈtude Smith, Smith et consorts.

ó Si, dis-je, elle líÈtait. Mais cíÈtait tout!

*

**

Partis díun Los Angeles ruisselant de soleil, nous arrivons dans un New York pluvassieux, couleur de coliques de plomb. Pourtant, je prÈfËre N.Y. ‡

L.A. La Californie nía pas líair vraie. L‡-bas, les gens sont en toc, comme leurs maisons rivalisant díÈpoustoufle. Vie de guingois, je dis. Mi-vacanciËre, mi-businessarde. Pour líEuropÈen qui dÈbarque, cíest une sorte de planËte pas finie. La lumiËre níy est pas joyeuse, et quoi de plus dÈmoralisant quíun soleil morose?

A New York, au contraire, tu trouves une sorte díallÈgresse grondante.

Cíest sombre, souvent cradoche, mais le pittoresque succËde ‡ la poÈsie, et tous les gratte-ciel reflËtent les

F nuages.

Nous avons dÈcidÈ díy faire une escale de vingt-quatre heures, non pour amortir le dÈlabrement consÈcutif au dÈcalage horaire, mais parce que jíy ai rendez-vous pour dÓner avec mon cousin Josmiche et líune des huiles du F.B.I. Cette rencontre se fait ‡ mon initiative car je dÈteste coltiner un fardeau qui ne míap

partient pas. Faut que je le refile ‡ qui de droit, ce bÈbÈ díun autre.

La rencontre a lieu au restaurant du MÈridien, donc pratiquement en territoire franÁais. A trois, car mes scouts míauraient encombrÈ.

Le cousin Lionel est un long garÁon maigre, brun et p‚lot, avec juste le bout du nez rose. Son regard est vif, amusÈ, sans cesse au bord de líironie. Il est habillÈ par Cardin, please: chemise blanche au col et poignets taillÈs dans un tissu imprimÈ, veste prince-de-galles droite, au boutonnage spÈcial, cravate cognante, mais non trÈbuchante, pochette groupant deux impressions antagonistes. Une vraie gravure de mode qui, dans les salons díambassade, sert la gloire de notre acadÈmicien du dÈ ‡ coudre.

Líhuile du F.B.I. se situe ‡ ses antipodes, question de la mise : grosse veste de tweed ‡boutons de chasse, pantalon de gabardine froissÈ, limouille

‡ carreaux, avec un lacet de cuir tressÈ en guise de cravate. Il avoisine le demi-siËcle, a le tif grisonnant par-dessous une mÈchante teinture nÈgligÈe, les babines pendantes, du foin dans les naseaux et, derriËre des lunettes en forme de guidon de course, un regard devant lequel les malfrats doivent dÈfÈquer dans leur bÈnouze, tant il est polaire, fixe, hostile, scrutateur et je te laisse un blanc pour Ècrire les adjectifs qui te sembleraient mieux appropriÈs.

Voil‡, merci de ton aide.

PrÈsentations. On fait sissite. ApÈros. Un porto pour le cousin, un bourbon-gin pour le chef volailler, un bloody-mary pour moi.

On ne perd pas de temps ‡ Èvoquer, Josmiche et moi, líanus artificiel de la cousine Mathilde. Non, cíest le branchement immÈdiat sur mes aventures et mÈsaventures californiennes (en attÈnuant certains passages ´ dÈlicats ª, voire en en occultant díautres pour la qualitÈ du rÈcit).

Pendant que je jacte, sans perdre Horace Mc Guiness (il est díorigine irlandaise) des yeux, bien lui signifier que son regard dÈcortiqueur je me le fous au cul pour prÈvenir díÈventuelles hÈmorroÔdes, le maÓtre díhÙtel tape au menu. Interruption. Asperges sauce hollandaise et carrÈ díagneau aux flageolets (ainsi Horace sentira-t-il la prÈsence de la France Èternelle au cours de la nuit), et comme dessert, un soufflÈ ‡líorange. Vin unique: un Bouzy dans la glace. NíaprËs quoi, je reprends mon histoire; elle le mÈrite!

Je vais jusquíau bout.

Une fois fini, je go˚te le vin. Tip-top!

ó Et vous dites, monsieur le directeur, que cette fameuse cachette vous a livrÈ le secret de líaffaire?

ó Affirmatif, Mister Mc Guiness.

Je lËve mon verre.

ó A líamitiÈ franco-amÈricaine! toastÈ-je.

Le efbuyin míimite:

ó A líamitiÈ amÈricano-franÁaise!

ó A prÈsent, chers amis, je dois reprendre les choses une vingtaine díannÈes en arriËre. A cette Èpoque, le tout-puissant Syndicat du crime a ‡

sa tÍte un ÈmigrÈ polonais du nom de Witold Slaza, personnage impitoyable qui tient le

monde de la pËgre díune main de fer. II est craint et haÔ comme le furent la plupart de ses devanciers. Sous son rËgne, tout homme qui bronche est un homme mort. Il a des rÈsidences un peu partout et se dÈplace ÈnormÈment.

Áu cours díun sÈjour dans sa maison de Californie, il est contraint de subir líablation díun mÈchant calcul rÈnal. A la clinique o˘ il est opÈrÈ, il síentiche díune petite aide-infirmiËre nommÈe Martine Fouzitout et la saute ‡ sa sortie de clinique. Ce ne sera pas le grand amour, maisî autre choseî : une amitiÈ amoureuse. Il achËte une bicoque ‡ la mÙme. Oh! pas le luxe, car il níattache pas ses dogs avec des hot dogs. Une bicoque sans histoire dans le quartier coloured de Venice. Puis il repart pour sa vie de potentat du meurtre.

Ún certain temps síÈcoule, et Witold qui a du pif, sent que son rËgne se fissure. Il tente de faire le mÈnage en sacrifiant ses dÈtracteurs les plus fervents, mais le ver est dans le fruit. Une nuit, vers trois heures du matin, alors quíil roupille (díun sommeil agitÈ, je prÈsume) dans son appartement de la CinquiËme Avenue dont les fenÍtres donnent sur Central Park, un ami qui lui reste fidËle líinforme quíune expÈdition punitive est en route et se prÈsentera ‡ son domicile avant líaube pour le liquider. Il est convaincant, sans doute fournit-il des preuves de ce quíil avance.

Witold sait que sa vie ne tient plus quí‡ un fil. Il doit fuir immÈdiatement, disparaÓtre ‡ tout jamais sans laisser de trace.

Će quíil y a de terrible cíest quíil nía pour 304 FOIRIDON ¿ MORBAC CJTY

viatique immÈdiat que le fric qui se trouve dans son coffre de líappartement. Une misËre, comparÈe ‡ son immense fortune, hÈlas placÈe dans les banques et des affaires en tout genre. Líor amassÈ dans des chambres fortes bien gardÈes ne lui servira de rien car, síil cherche ‡le rÈcupÈrer, il est mort. Toutes ses anciennes troupes vont se mettre en chasse pour le retrouver et líabattre. Comme il a du gÈnie, il rÈalise que le seul capital dont il dispose encore et qui pourra gÈnÈrer peut-Ítre des intÈrÍts un jour, ce sont ses dossiers dont il ne se sÈpare jamais. Avec quelques milliers de dollars en espËces, il les emporte dans la voiture du gardien de líimmeuble. La fuite! DrÙle díitinÈraire!

Će quíil a ÈtÈ? Nous líignorons, et ne le saurons jamais. Par contre, nous connaissons son point de chute: une bourgade perdue ‡líorÈe díun dÈsert : Morbac City. Avant díy dÈbarquer, il síest composÈ une nouvelle gueule et, mieux encore, une silhouette insolite. Il devient un vieil original suisse, travesti en cowboy miteux. Il achËte les ruines díun ranch et y amÈnage sa taniËre de fuyard. Quelque chose me dit quíil se fait ‡

cette vie comme il arrive ‡certains prisonniers de síattacher ‡ leur existence carcÈrale. Cíest l‡ une grande loi díÈquilibre, loi de nature fondÈe sur la lÈgitime dÈfense. LíÍtre se doit de survivre, mÍme dans les pires conditions. Se faire oublier!

Ćhaque jour passÈ est pour Siaza une victoire. La pugnacitÈ de la vengeance faiblit souvent avec le temps. Ses anciens amis doivent se livrer une guerre de succession sans merci

FOœRIDON ¿ MORBAC CITY 305

qui, lentement, le fait passer ‡ líarriËre-plan. Il a compris que síil tient bon, síil ne cherche pas ‡rÈcupÈrer une partie de son ex-fortune, bref

síil fait le mort ì, il sera sauvÈ.

´ Du temps síÈcoule. A Morbac City il passe pour un ermite hurluberlu. On lía baptisÈ ´ le cow-boy suisse ª; il ignore tout le monde et tout le monde lui fout la paix! Du moment quíil ne dÈrange personne...

ÁprËs plusieurs mois de cette vie terrÈe (cíest moi qui estime la durÈe ‡

vue de nez), il veut prendre un surcroÓt de prÈcautions, se disant que síil conserve dans son terrier les dossiers dont il síest prÈmuni, un visiteur curieux risquerait de mettre la main dessus pendant quíil va síapprovisionner ‡ la ville. Et puis peut-Ítre que le dÈmon de la chair...

Bref, un jour, il part pour Venice au volant de sa vieille Jeep passe-partout.

´ Peut-Ítre que ses ressources commencent ‡se tarir? Je suppose, je suppose, vous dis-je! Notre cow-boy suisse va rendre visite ‡ Martine Fouzitout. En admettant que les gars du Syndicat líaient placÈe sous surveillance au dÈbut, celle-ci, depuis le temps, a ÈtÈ abandonnÈe.

Díailleurs, Martine nía pas occupÈ une telle place dans sa vie, elle níaura ÈtÈ quíune passade aux yeux des quelques personnes qui se trouvaient dans son entourage au moment de leurs amours.

Á-t-elle ÈtÈ ravie de revoir cet homme vieillissant, traquÈ et marginalisÈ? Qui saurait le dire. NÈanmoins, cíest une femme bien, en ï

cela quíelle a la reconnaissance du ventre et du 306 FOIRIDON ¿ MORBAC CITY

bas-ventre. Elle accepte de planquer chez elle les dossiers de Witold Siaza. On fait amÈnager le placard secret et fouette cocher, le vieux repart dans son dÈsert quelque peu rassurÈ. ª

Ce discours nous a menÈs jusquí‡ la fin des asperges et de la premiËre quille de Bouzy. Je reprends souffle. Rien de plus extÈnuant que de jacter sans marquer de temps mort.

Horace pÈtrit une grosse boulette de mie de pain pour la transformer en p

‚te ‡ modeler. Un reliquat de líenfance. Il entreprend, quand elle est ‡

point, díen faire un petit cochon; mais, les pattes et la queue du goret foirent. Fini, le porc! Aplati, il devient tortue, laquelle, une fois ÈtirÈe, Èvoque un crocodile díassez bonne facture.

Le carrÈ díagneau se pointe. Pas carrÈ, mais rectangulaire. Le maÓtre díhÙtel tranche des cÙtelettes roses et fondantes. Ensuite il rÈpartit les flageolets, ‡ la fois petits et dodus.

ó Bon appÈtit, messieurs, il nous ruyblasse. On bouffe. Un silence au cours duquel mes deux convives síimprËgnent de mon rÈcit.

Cíest le cousin Jasmiche qui engrËne le coup ó Et aprËs, cher Antoine?

Mc Guiness a oubliÈ de bouquiner un guide des bonnes maniËres car il mange la bouche pleine, en produisant un bruit de mastication pareil ‡ celui que faisaient les braves vieilles pompes ‡ merde de nos parents.

ó AprËs? reprends-je. ÁprËs ª, je dois vous avertir que cíest le produit de mon imagination. Lí áprËs ª, je líai confectionnÈ ‡ la FOIRIDON ¿ MORBAC CITY 307

main, donc cíest un áprËs ª trËs artisanal. Cela dit, je le juge fort convenable.

Rire un chouia forcÈ de Lionel. Une relevÈe de sourcils díHorace qui apprÈcie autant líhumour quíune coquille díoursin dans son slip kangourou.

ó

Witold Siaza et Martine Fouzitout vont mettre au point des relations sporadiques. Ils se verront ‡ Morbac City le premier vendredi du mois. Cet accord pris, ils níont pas besoin de correspondre, ce qui prÈserve la sÈcuritÈ du cow-boy suisse. Pourquoi ce rendez-vous mensuel? Je pense que le vieux forban nía plus de revenus. Alors cíest la chËre Martine qui lía pris en charge, en signe de gratitude, pour lui revaloir ses largesses díantan, quand il lía mise dans ses meubles. Et pourquoi pas líamour, aussi, aprËs tout? Ce sont maintenant deux Ítres seuls. Les motivations díun individu sont secrËtes, au point de lui rester mystÈrieuses ‡ lui aussi.

´ Le pognon! ArrÍtons-nous sur la question. La mÙme en gagne ‡ profusion.

Ne síachËte-telle pas, la gentille esthËte, des dessins de peintres cÈlËbres? Alors? Ses charmes? Ils sont inexistants! En tout cas si modestes quíon envisage mal quíun homme la couvre díor.

Ńon, la vaillante petite FranÁaise, mes chers amis, a trouvÈ bien mieux quíun pigeon un filon! Je ne vous fais pas líinjure de penser que vous ne líavez pas dÈj‡ en tÍte! ª

ó

Les dossiers? demande le gendre de cette pauvre cousine Mathilde.

ó

GagnÈ, cousin! Tu continues?

308 FOIRIDON ¿ MORBAC CITY

ó

Je prÈfËre tíÈcouter, Antoine.

ó

Alors ouvre grand tes perchoirs ‡ libellutes, Lionel. La madrÈe petite Fouzitout se met ‡ phosphorer aprËs avoir lu les dossiers, le soir ‡

la chandelle, assise auprËs du feu au lieu de dÈvider et de filer, en bonne descendante de Ronsard quíelle Ètait! Elle pige que, tout comme líOvomaltine suisse, cíest de la dynamite. Il y a l‡-dedans de quoi compromettre quelques-unes des personnalitÈs les plus en vue des S.tates; sans parler des parrains de la Mafia, des grands industriels, des fripouilies les plus apparemment intangibles.

Śeule, elle níest pas de taille pour entreprendre la grande croisade du racket; il lui faut un partenaire qui fasse le poids. Alors elle se dÈcide pour un gars du F.B.I. qui fut son amant díune semaine et qui lui a laissÈ

un bon souvenir. Sans doute, ‡ travers leurs Èchanges de vues, a-t-elle pressenti que cíÈtait un corruptible. Excusez-moi, Horace, il en est partout et plus particuliËrement dans les hautes sphËres de la sociÈtÈ. ª

Horace qui nía pas encore mouftÈ, murmure, se parlant ‡ lui-mÍme ó

Benjamin Stockfield.

ó

GagnÈ, rÈponds-je. Oui, Benjamin Stockfield, matricule 6018.

ó

II a ÈtÈ abattu, reprend Mc Guiness.

ó

Par un loustic nommÈ Witley Stiburne.

ó

Comment savez-vous cela?

ó

AprËs líavoir butÈ, Stiburne lui a pris sa plaque de fÈdÈral, se disant probablement

FOIRIDON ¿ MORBAC CITY 309

quíelle pouvait constituer un bon sÈsame ‡líoccasion.

Horace qui vient díachever sa gamelle, reprend son modelage. Le crocodile se mue en bite avec accessoires incorporÈs.

ó

Je pense, poursuis-je, que votre collËgue et la Fouzitout ont d˚

rentrer pas mal de fric. Selon moi, la fille, mÈfiante, nía pas dit ‡ son complice quíelle dÈtenait le ´ matÈriel de chantage ª. Quelque chose me dit mÍme quíelle síest planquÈe derriËre un paravent pour ses transactions avec Stockfield, en mettant dans le circuit un saint homme de prÍtre, le pËre Machicoule, aprËs lui avoir montÈ tout un cinoche. Le pauvre homme a laissÈ

sa peau dans líaffaire, ainsi que sa servante noire.

Á la longue, le Syndicat a eu vent de ce racket. Il síest Èmu et a constituÈ un commando de choc pourî rÈgler ìcette sale affaire. Y a eu du monde sur le chantier, les gars ont ratissÈ large, au point que mes hommes et moi avons failli y passer! Ils ont butÈ ou malmenÈ pas mal de personnes, y compris ì le cow-boy suisse ì. Cela dit, ils níont pas trouvÈ les dossiers qui subsistent. Il est probable quíils ont fait le grand jeu ‡

votre ami Stockfield, avant de le zinguer. Heureusement que la fille Fouzitout síÈtait entourÈe de sages prÈcautions. ª

ó

Vous avez dÈcouvert les papiers? demande Mc Guiness sans avoir líair díy toucher, comme síil síenquÈrait si je joue au golf.

ó

Vous aurais-je fait venir ‡ New York, sinon? Je vous promets une bonne rÈgalade, Horace. Y a plein de gaziers qui sont en train de se faire dorer le nombril en Floride et qui vont dÈgueuler de frousse quand vous les interpellerez avec certains documents ‡ líappui.

L‡, on líentend mouiller, líIrlandoche dÈguisÈ en Ricain. Comme dans une grotte, líeau qui tombe des stalactites.

ó

La guerre dÈclenchÈe par Martine Fouzitout aura fait pas mal de victimes de part et díautre; les hommes de main du Syndicat ont vÈcu des instants assez dramatiques, eux aussi.

L‡-dessus, un loufiat aimable amËne triomphalement le soufflÈ ‡ líorange, gros comme le champignon atomique díHiroshima.

ó

Comment avez-vous pensÈ que la Fouzitout síÈtait mise en cheville avec un type de chez nous?

ó

Je savais, ‡ cause de la plaque, que Stockfield avait ÈtÈ zinguÈ

par Stiburne. Ensuite, jíai dÈcouvert que ma compatriote avait tuÈ avec une arme de fort calibre un Noir qui venait de la violer. Je níignore pas que, dans votre beau pays, les armes ‡ feu sont en vente libre, pourtant jíimaginais mal une petite femme allant faire líemplette díun riboustin de pro. Jíai eu un flash; jíen ai souvent. Líassociation síest imposÈe ‡ mon esprit. Stockfield lui a refilÈ le soufflant pour quíelle puisse se dÈfendre en cas de rÈbecca.

Mon confrËre yankee opine.

ó~ Visionnaire, dans votre genre?

ó

Toujours, cíest ce qui fait mon charme et ma force. Jíai trËs vite compris, Horace, que, dans notre mÈtier, on ne doit pas síarrÍter court lorsquíune piste cesse. Ce que nous ignorons, il nous faut líinventer; quand on est un vÈritable poulet, Áa finit par Ítre conforme ‡ la vÈritÈ.

ó

Je vois.

Il

remodËle la paire de couilles pour fabriquer les nichons de sa secrÈtaire qui possËde des embouts very Èrectiles.

ó

Bon, vous me dites o˘ sont les documents?

ó

Dites, Horace, vous níallez pas me prier de demeurer sur le continent amerloque jusquí‡ líaboutissement de votre enquÍte?

Il

rougit par-dessus sa couperose.

ó

Quelle idÈe?

ó

Je suis un garÁon qui phosphore beaucoup et qui, dans certains cas, a besoin de se surprotÈger. Alors voil‡ ce que nous allons faire: nous quittons N.Y. ce soir ‡ 23 heures par le Kennedy Airport. Venez nous accompagner. Gr‚ce ‡ vos fonctions, vous pourrez monter avec nous dans le zinc díAir France qui est territoire franÁais. Une fois nos ceintures bouclÈes, je vous mettrais au parfum. O.K.?

Il

a une grimace.

ó

O.K. Mais ma parole devrait suffire.

ó

De plus, enchaÓnÈ-je, je serais ravi que mon attachÈ díambassade de cousin soit avec vous. Jíai líesprit de famille, que voulez-vous!

CHAPITRE FLUORESCENT

Jíadore prendre un long jet, la nuit, quand líair sent le mouillÈ et le kÈrosËne, et que la piste ÈclairÈe ressemble ‡ un film de science-fiction.

Nous gagnons nos places confortables, en first (noblesse oblige).

ó

Oh! Horace, fais-je ‡ líIrlandais qui est restÈ debout dans líallÈe, vous voulez bien mettre mon sac de duty free dans le caisson

‡bagages? jíai achetÈ du sirop díÈrable pour ma mËre qui adore Áa et une mitraillette ‡ air comprimÈ ‡ mon fils adoptif qui veut devenir gangster.

Sans piper, le super-flic hisse le paquet. Il manque le laisser tomber, car le Marquis vient de balancer un cocorico cuivrÈ et BÈrurier une vesse qui níÈvoque pas la brise marine.

ó

Merci, fais-je. Chose promise, chose due. Les terribles dossiers se trouvent dans la chambre de Martine. Le crochet díun dessin de Magritte reprÈsentant un arbre transformÈ en placard, sert díouverture ‡ la cachette.

Il

me plante ses huÓtres dans les yeux.

ó

JurÈ? articule-t-il.

ó

Sur la vie de ma sainte mËre, fais-je en levant la main droite.

Il

profite de ce quíelle est dressÈe pour síen emparer et la presser fortement. PoignÈe de main de flics, puissante, fraternelle.

ó

O.K., Mister directeur. Merci et bravo pour la participation!

ó

Tout le plaisir aura ÈtÈ pour moi, Horace; maintenant ‡ vous de jouer!

Cíest tout, il quitte le zinc sans mÍme un regard ‡ líhÙtesse des first, une irrÈsistible blonde qui te donne envie de rester, la tÍte levÈe, au pied de la grande Èchelle des pompiers pendant quíon líÈvacue díun quinziËme Ètage en flammes.

Le cousin qui ne síest pas encore manifestÈ me donne líaccolade.

ó

Heureux et fier de te connaÓtre enfin, Antoine. La mËre Mathilde disait pis que pendre de toi! Je la hais!

ó

Normal : cíest ta belle-mËre.

Il

a, avant de partir, un regard circulaire.

ó

Cíest pas chargÈ, ce soir: vous Ítes les seuls en first!

Le sort lui donne tort car, ‡ cet instant, un steward pÈdÈ, donc aimable, escorte un vieillard qui est le sosie díEinstein : calvitie sur le dessus, longs cheveux blancs en couronne, gros nez sur lequel il cultive le comÈdon, cette algue qui bouche líentrÈe des pores. Forte moustache stalinienne. il se dÈplace en prenant appui sur une canne anglaise. Il porte des lunettes de myope teintÈes ‡ double foyer. On líinstalle, on 314 FOJRIDON ¿ MORBAC CITY

le coucoune, le mignarde, le chouchoute. Lui met des oreillers partout, une couvrante sur les jambes.

II est dans la mÍme travÈe que moi, mais de líautre cÙtÈ des steppes de líallÈe centrale. On lui propose du champí et du jus díorange, il refuse líun et líautre, prend une posture nocturne et níattend que le dÈcollage pour ensuite síendormir avec un colin-maillard noir devant les yeux.

Naturellement, Áa commence par un souper aux chandelles caviar, oeufs brouillÈs aux truffes, mÈdaillons de veau au citron.

Je suis seul de mon cÙtÈ, car jíai franchement besoin díen concasser aprËs tout ce circus. Je ne supporterais aucune converse de mes amis, pas mÍme celle du docte FÈlix, lequel díailleurs se consacre au Marquis.

BÈru donne un rÈcital de pets des grands soirs; síy mÍlent de puissants rots, en contrepoints.

Pinaud dort, sa cigarette sur sa braguette qui grÈsille. Le Gros Èteint icelle díun coup de poing qui achËve la destruction de líappareil reproducteur de CÈsar. Cris et suÁotements! Puis la bouffe calmatrice. Le vin soporifique. Tout bien. Demain je reverrai Paris, maman. «a me fait penser ‡ la chanson de líimmortel Trenet.

Je croyais dormir, mais Áa níest pas du pur sommeil, plutÙt un brouet de pionce. Y a des comas dans mon ciboulot, des hiatus. Puis des FOIRIDON ¿ MORBAC CITY 315

pensÈes rÈminiscentes. Jíai plein de flashes, sans ordre logique. Des images qui míarrivent, míÈblouissent, síanÈantissent. Je revois la pauvre Ivy que je fliquais en levrette, je revois le pËre Machicoule dans son Èglise, la flÈchette dans líoeil du tueur, la balle tirÈe dans les burnes du Mexicano.

Pendant une pÈriode de dormaison, Alexandre-BenoÓt me secoue líÈpaule par-dessus son dossier.

ó

Grand! appelle-t-il. HÈ! grand, tísais ce dont jímíaperÁoive?

Non, le grand ne sait pas. Alors il le lui dit: ó

On a oubliÈ la Cathy ‡ la raie au porc.

ó

Quoi?

ó

Dípuis címorninge, líavait la courante, biscotte líchangíment dínourritio. Au moment quíon va embarquer la víl‡ quíest prise díun bísoin et qui drope aux chiches. Moi, en pleine discussion, jíIíoublille, quíest-ce veux-tu.

Je mÈdite. Ce qui míÈtonne, cíest que.notre avion ait dÈcollÈ sans quíon ait procÈdÈ ‡líappel de la passagËre manquante. Voil‡ qui est contraire ‡

tous les rËglements aÈriens internationaux, car enfin, elle aurait pu enregistrer un bagage piÈgÈ et síesbigner. En pareil cas on ressort tous les colibards des soutes et on les fait identifier par les passagers.

«a y est : jíai pigÈ. Une astuce díHorace Mc Guiness, tu veux parier? Il a tenu ‡ conserver quelquíun de notre groupe et, profitant de ce que mÈmÈ

allait aux cagoinsses, il lía fait intercepter par ses hommes et ‡ prÈvenu la compagnie pour quíon dÈcarre sans elle. Juste 316 FOIRIDON ¿ MORBAC CITY

pour me faire chier, si Áa se trouve. Me prouver que mes fameuses prÈcautions ne líempÍchent pas de me la mettre.

ó Baste, dis-je au Gros, oublie-la, ce níÈtait quíune pauvre vieillarde, quíen aurais-tu fait, ‡la longue?

Il admet, feule, abaisse son dossier et roupille.

Moi idem. Solidement, cette fois.

Au lieu díÈvocations, cíest des rÍves qui me piÈtinent le subconscient. Je rÍve que je suis au ranch du cow-boy suisse. Le ranch aprËs quíil ait ÈtÈ

br˚lÈ. Je porte une combinaison díamiante et jíexplore les dÈcombres qui fument encore. Et voil‡ que je dÈcouvre le cadavre du vieux Witold Siaza.

Miraculeusement, il nía pas br˚lÈ. Au contraire, il lui a poussÈ des poils partout, tu croirais la photo díun homme prÈhistorique. La Guerre du feu!

Tu mords?

Ensuite, ce sont díautres animations qui me hantent, je les oublie au fur et ‡ mesure quíelles naissent.

On passe un film dans líavion, mais je níai pas pris les Ècouteurs. On voit assez de conneries sur terre, pas la peine de síen infliger quand on vadrouille au-dessus des nuages ocÈaniques.

Je me sens bien. En arrivant au bureau, je prendrai une douche; il y a un chouette Èquipement dans mon bureau, cíest Achille qui líavait conÁu.

Tiens, que devient-il, le Chauve? Que fait-il de sa retraite? Síemmerde-t-il ou passe-t-il du bon temps avec des bougresses lÈcheuses?

FOIRIDON ¿ MORBAC CITY 317

Vieux, cíest des portes qui se verrouillent. Des plaisirs qui síanÈantissent. Des dÈsirs qui ferment leur gueule. Vieux, cíest un jour de moins chaque soir.

Voil‡ que je suis rÈveillÈ. Le film est fini depuis longtemps. LíÈclairage de nuit met du ouatÈ dans líavion. Les hÙtesses commencent ‡Ítre fatiguÈes, on dirait quíelles ont toutes leurs rËgles en mÍme temps. Tíen aperÁois une, fantomatique, qui circule en tenant un verre díeau sur un petit plateau, pour les cachets díun voyageur insomniaque.

Líavion tourne doux. Le grand frisson des rÈacteurs est une glissade vers líinfini. Le vieil Einstein dort en Èmettant un ronflement spasmodique.

Tout baigne. Je ressens une Ètrange griserie, et pourtant je níai bu que deux vodkas en bouffant le caviar. Quand ‡ table, jíÈcluse ma MoscowskaÔa díÈlection, je ne prends aucun pinard ensuite. Alors? Dío˘ me vient cette euphorie capiteuse? Cíest parce que jíai rÈussi mon enquÍte? Le contentement qui míhabite est presque voluptueux. Comme si jíatteignais

‡une perfection, ‡ quelque chose díabsolument rond, de parfaitement bouclÈ; et ce avec la complicitÈ du destin.

Dío˘ me vient-ce, dis? Aide un peu ton pote Sana ‡ voir clair en lui. Le bonheur est presque aussi tarabustant que líinsatisfaction.

Un ronflement plus marquÈ du pÈpËre me ramËne ‡ lui. Il finit par míhypnotiser car la nuit, cette nuit qui est une trajectoire entre deux continents, est plus fantasmagorique que

318 FOIRIDON ¿ MORBAC CITY

les autres. Ma gamberge mousse, mousse comme du shampooing de bain sous le robinet díeau chaude.

Et brusquement, voil‡ que je me meus. Líordre níest pas venu de ce quíabrite mon cortex, mais de mon instinct. Je franchis líallÈe et prends place au cÙtÈ du vieil Einstein. Il síÈveille en sursaut.

ó

Ne vous dÈrangez pas, fais-je, cíest juste pour vous signaler quíen dormant vous avez dÈplacÈ votre perruque.

Il

demeure immobile, le seul mouvement qui líagite, cíest celui de sa respiration saccadÈe.

ó

Et aussi, pour savourer avec vous la loi implacable des hasards.

Combien aura-t-il fallu de circonstances obscures pour quíen fin de compte nous nous retrouvions ‡ bord de ce vol en mÍme temps? Quel fabuleux cheminement de nos deux destins, Witold Siaza! Moi qui rentre, vous qui fuyez, cÙte ‡ cÙte sur ces siËges de premiËres! Si un jour je racontais la chose, personne ne me croirait. Tant mieux, níest-ce pas? Les plus belles histoires sont celles auxquelles on ne croit pas!

´ Vous savez que, confusÈment, je vous SENTAIS vivant. AprËs que vous míayez arnaquÈ en míabandonnant sur la route poudreuse, je suis retournÈ ‡

votre ranch en feu. Jíy ai trouvÈ votre vieille Jeep, par contre, jíai lu sur le sol les empreintes díune troisiËme voiture. Chose Ètrange, elles Ètaient ‡ sens unique, cíest-‡-dire quíelles partaient du ranch sans y Ítre venues. Il níexistait quíun jeu díempreintes. Conclusion, líauto se trouvait l‡, dissi

FOIRIDON ¿ MORBAC CITY 319

mulÈe dans les ruines, prÍte pour une fuite. Et cíest elle que vous Ítes venu chercher. Vous avez dÈterrÈ líun de nos deux corps fraÓchement inhumÈs, líavez flanquÈ dans votre lit et avez mis le feu ‡ la baraque arrosÈe díessence. Il ne vous restait plus quí‡ filer en abandonnant la Jeep. Cette fois, Áía ÈtÈ le grand dÈpart, le vrai! Vous Ètiez mort! Vous alliez pouvoir faire peau neuve!

´Peau neuve, ‡ votre ‚ge! Quel battant vous Ítes, vieux forban! Voulez-vous que je vous dise? Bravo! Jíaime les types de votre trempe; ceux qui tiennent leur garde haute jusquíau bout! Vous savez ce que je vais faire, Witold? Retourner míasseoir ‡ ma place et vous oublier. Je ne veux rien connaÓtre de vos projets, encore moins de votre itinÈraire. A compter de tout de suite, nos routes se sÈparent dÈfinitivement et je vous souhaite bonne chance! Mais pour líamour du ciel, allez aux chiottes recoller votre putain de perruque de merde, sinon vous allez ressembler ‡ un clown! ª

Pinaud, rÈveillÈ, me demande quand je regagne ma place ó

Tu connais ce voyageur?

ó

Absolument pas. Cíest un vieillard podagre qui mía demandÈ de dÈboutonner son pantalon il va aux tartisses.

20

FIN DE PARCOURS

Ce que je vais te rapporter l‡ síest passÈ líannÈe suivante.

Je tenais un conseil de travail avec mon braintrust flicardien, quand ma secrÈtaire mía annoncÈ quíune dame et son petit garÁon Ètaient dans líantichambre, qui me demandaient. Tout de suite, jíai pensÈ ‡ FÈlicie et

‡Toinet. Craignant une tuile, je me suis prÈcipitÈ, et tu sais quoi? Non, tu níarriverais pas ‡deviner qui je trouve dans les fauteuils de líadministration. Autant te le dire carrÈment.

Petit Gibus et la fille de Bison-BourrÈ, lingÈs comme des monarques!

Leur vue mía paralysÈ!

ó «a vous la coupe, hein, Martien? síest ÈcriÈ le gosse. Eh bien oui, nous nous sommes mis ensemble. Jíavais besoin díun adulte pour nÈgocier la ranÁon du banc, cette chÈrie mía aidÈ et nous avons affurÈ gros. Du coup on a dÈcidÈ de síassocier. Comme jíai des idÈes ‡revendre, on est en train de faire fortune. Nous sommes ‡ Paris pour affaires et on ne voulait pas rater líoccasion de vous revoir, Martien.

FOIRIDON ¿ MORBAC CITY 321

Question du sexe, cíest pas encore franchement lancÈ, nous deux, mais je lui fais dÈj‡ des petites bricoles quíelle aime. Cíest que je vais sur mes sept ans, vous savez!

FIN

AchevÈ díimprimer c sur les presses de lílmpr~

‡ Saint-Amand

óN∞díimp.: 12 DÈpÙt lÈgal : juilli

imprimÈ en Fn

~n juin 1993

rmerie BussiËre

(Cher)