CHAPITRE III
Auguste devient maîtresse de lord Pembroke par contrat en bonne forme. - Le fils du roi de Corse. - M. du Claude ou le jésuite Lavalette. - Départ des Hanovriennes. - Mon bilan. - Le baron de Stenau. - L’Anglaise et le souvenir qu’elle me laisse. - Daturi. - Ma fuite de Londres. - Le comte de Saint-Germain. - Wesel.
Lord Pembroke, tout à fait épris d’Auguste, lui écrivit pour lui offrir cinquante guinées par mois pendant trois ans, avec logement, entretien, domestiques et équipage à Saint-Alban, sans compter ce qu’elle devait attendre de sa tendre reconnaissance, si elle venait à partager l’amour qu’elle lui avait inspiré.
Auguste me traduisit la lettre de milord et me demanda conseil. « Je ne puis vous en donner, lui dis-je, sur un point où vous ne devez consulter que votre cœur et vos intérêts. » Elle monta chez sa mère, qui ne voulut rien résoudre sans me consulter, puisque, disait-elle, j’étais le plus sage et le plus vertueux des hommes. Je doute fort que mon lecteur soit de l’avis de cette mère, mais je m’en console, car je pensais comme mon lecteur. Enfin il fut convenu que dès que Pembroke aurait donné pour garant de son contrat un bon marchand de la Bourse de Londres, Auguste accepterait ; car, avec sa beauté, son bon caractère, son excellente conduite, il était impossible qu’elle ne devint pas bientôt lady Pembroke. Selon la mère, il ne pouvait pas en être autrement, car si elle avait pu en douter, elle n’aurait jamais consenti à la transaction, puisque ses filles, étant comtesses, ne devaient être les maîtresses de personne.
En conséquence de cette résolution, Auguste écrivit a milord, qui en trois jours termina l’affaire. Le marchand répondant signa le contrat, au bas duquel j’eus l’insigne honneur d’appliquer mon nom en qualité de témoin et d’ami de la mère, auprès de laquelle je conduisis le marchand, qui la vit signer la cession de sa fille et qui se constitua témoin. Elle ne voulut pas voir Pembroke, mais elle embrassa sa fille, avec laquelle elle eut un colloque que je n’entendis pas.
Le jour où Auguste quitta ma maison fut signalé par l’événement que je vais rapporter.
Le lendemain du jour où j’avais remis à la prétendue du marquis de Petina le certificat qui m’avait été donné par le ministre de Naples, j’avais conduit à la promenade à cheval ma chère Gabrielle et sa sœur Hippolyte. En rentrant chez moi, j’avais trouvé à ma porte un homme qui se faisait appeler sir Frédérick, et qu’on disait fils du roi de Corse, Théodore, baron de Neuhof, mort à Londres, au su de tout le monde. M. Frédérick me dit qu’il désirait me parler en particulier, et lorsque nous fûmes seuls, il me dit qu’il savait que je connaissais le marquis de Petina, et que, se trouvant sur le point de lui faire escompter une lettre de change de deux cents guinées, il avait besoin de savoir s’il était dans son pays assez à son aise pour pouvoir compter qu’à l’échéance il y ferait honneur.
« Il m’importe de savoir cela, ajouta-t-il, car ceux qui veulent escompter la lettre exigent que je l’endosse.
- Monsieur, lui dis-je, je connais le marquis depuis que je suis ici, mais j’ignore s’il a de la fortune, et c’est de l’envoyé de Naples que je sais, à n’en pouvoir douter, qu’il est bien marquis de Petina.
- Si les personnes avec lesquelles j’ai entamé cette affaire ne se déterminaient pas à l’achever, escompteriez-vous la lettre ? Vous l’auriez à bon marché.
- Je ne me mêle point de négoce, et je ne me soucie aucunement des gains de cette espèce. Adieu, sir Frédérick. »
Le lendemain Goudar vint me dire qu’un M. du Claude désirait me parler.
« Qui est-ce M. du Claude ?
- C’est le célèbre jésuite Lavalette qui a fait la fameuse banqueroute qui a ruiné en France la Société de Jésus. Il s’est retiré ici sous un nom supposé ; il doit être en possession de beaucoup d’argent, et je vous conseillerais de l’écouter.
- Un jésuite, un banqueroutier ; voilà des titres de mauvais augure.
- C’est égal ; je l’ai connu dans une bonne maison, et sachant que je vous connais, il s’est adressé à moi. Que risquez-vous de l’écouter ?
- Rien, à vol d’oiseau ; mais.... C’est bon, vous me conduirez chez lui ; il me sera plus facile d’éviter une liaison que s’il venait chez moi. »
Goudar, étant allé chez Lavalette pour prendre bouche, comme on dit, me mena chez lui dans l’après-midi. J’étais au reste bien aise de voir un instant la figure de cet homme dont la friponnerie avait détruit une œuvre de perdition si longuement élaborée. J’en fus accueilli avec beaucoup de cordialité, et lorsque Goudar nous eut laissés, il me montra une lettre de change de Petina et me dit :
« Ce jeune homme en demande l’escompte, et m’a dit que je pouvais m’informer auprès de vous touchant ses facultés. »
Je répondis au révérend père Lavalette du Claude ce que j’avais répondu au fils du roi de Corse, et je le quittai, fâché contre ce drôle de marquis de la misère qui me causait ces sottes importunités. Voulant en finir et voyant qu’il intriguait, je me proposai de lui faire dire par la Hanovrienne qu’il eût à cesser ; mais je n’en trouvai pas l’occasion ce jour-là.
Le lendemain, ayant fait une promenade à cheval avec mes deux nymphes, j’eus Pembroke à dîner, et j’attendais l’amante de Petina, qui, contre son habitude, ne rentrait pas. A neuf heures je reçus d’elle une lettre qui en contenait une en allemand pour sa mère. Cette fille me disait que, certaine de ne point obtenir le consentement de sa mère, elle était partie avec son amant qui avait trouvé assez d’argent pour faire le voyage de Naples, où il l’épouserait dès qu’ils y seraient arrivés. Elle me priait de consoler sa mère et de lui faire entendre raison, en l’assurant qu’elle n’était point partie avec un aventurier, mais bien avec un homme de condition, son égal. J’avais sur les lèvres un sourire de pitié et de mépris qui rendit les trois jeunes sœurs curieuses. Je leur montrai la lettre de leur aînée et je les invitai à m’accompagner chez leur mère. « Attendons à demain, me dit Victoire, car cette affreuse lettre l’empêcherait de dormir. » J’approuvai son observation, et nous soupâmes assez tristement.
Je croyais cette malheureuse perdue, et je me reprochai d’en être la cause involontaire ; car si je ne l’avais pas fait sortir de prison, cela ne serait pas arrivé. Le marquis de Caraccioli avait eu raison de me dire que j’avais fait une sotte bonne action. Je me consolai dans les bras de ma chère Gabrielle.
J’eus beaucoup à souffrir le matin quand je dus calmer le désespoir de la mère. Elle lança des imprécations sur la fille, sur le séducteur, et s’en prit à moi de l’avoir délivré. Elle disait à la fois les choses les plus touchantes et les plus extravagantes.
Il ne faut jamais chercher à convaincre de ses torts une personne affligée, car on peut l’aigrir et lui faire beaucoup de mal, tandis qu’en la laissant se calmer d’elle-même, elle reconnaît son injustice et se sent obligée envers celui qui l’a laissée se soulager sans la contredire.
Après cet événement, je passai une quinzaine des plus heureuses avec ma Gabrielle, que Victoire et Hippolyte regardaient comme ma femme. Elle faisait mon bonheur et je faisais le sien de toutes les façons, et surtout par ma fidélité, car je traitais ses sœurs comme si elles avaient été les miennes, paraissant ne me rappeler en rien les faveurs que j’en avais obtenues, et ne prenant jamais avec elles des libertés qui auraient pu lui déplaire ; car je savais que l’amitié entre femmes va rarement assez loin pour se pardonner les rivalités amoureuses. Au reste, je les avais fournies en robes, en linge ; elles étaient bien logées, bien nourries ; je leur procurais les plaisirs du théâtre et des parties de campagne : elles m’adoraient, ne voyaient rien au-dessus de moi, et, se faisant illusion, elles avaient l’air de croire que ce bonheur devait durer toujours. Cependant je m’avançais à grands pas vers l’épuisement physique et pécuniaire. Je n’avais plus d’argent, et j’avais vendu tous mes diamants et mes pierres précieuses. Il ne me restait plus que des tabatières, des montres, des étuis, des bagatelles que j’aimais et que je n’avais pas le courage de vendre ; car je n’en aurais pas retiré la cinquième partie de ce qu’elles me coûtaient. Il y avait un mois que je ne soldais ni les comptes de mon cuisinier, ni ceux du marchand de vin ; mais j’aimais à partager leur sécurité. Plongé dans l’amour de Gabrielle, je trouvais la félicité à captiver sa tendresse par mille complaisances.
J’étais dans cet heureux état d’indolence quand Victoire vint me dire de l’air le plus triste que sa mère était déterminée à retourner en Hanovre, ayant perdu toute espérance de rien obtenir de la cour.
« Et quand pense-t-elle partir ?
- Dans trois ou quatre jours.
- Et sans me rien dire, comme si elle quittait une auberge après avoir réglé avec l’hôte ?
- Non, elle désire au contraire vous entretenir tête à tête. »
Je me rendis auprès d’elle, et du ton le plus affectueux elle se plaignit que je n’allais jamais la voir. Elle finit par me dire que, puisque j’avais refusé sa main, elle ne voulait plus donner sujet à la critique et à la calomnie. « Je vous remercie, ajouta-t-elle, de tout le bien que vous avez fait à mes filles, et je m’en vais avec les trois qui me restent encore, de crainte de les perdre comme j’ai perdu mes deux aînées. Vous êtes le maître de nous suivre et de venir habiter, aussi longtemps qu’il vous plaira, une jolie maison de campagne que j’ai près de la capitale. » Je ne pus que la remercier en lui disant que mes affaires ne me permettaient pas d’accepter.
Trois jours après, Victoire vint me dire, en me levant, qu’à trois heures elles s’embarqueraient. Hippolyte et Gabrielle voulurent monter à cheval, comme nous en étions convenus la veille : ces pauvres créatures s’amusèrent, tandis que j’étais dans la douleur inconsolable comme de coutume quand je devais me séparer d’un objet que j’aimais.
En rentrant de notre promenade, je me mis au lit, ne voulant pas dîner, et ne voyant les trois sœurs que lorsqu’elles eurent tout mis en ordre pour leur voyage. Je me levai un moment avant leur départ, pour ne pas voir la mère dans ma chambre, et je la vis dans la sienne au moment où on allait la porter dans ma voiture qui l’attendait à ma porte. Cette impudente mère s’attendait que je lui donnerais quelque chose pour faire son voyage ; mais, voyant que je ne me disposais point à remplir son espérance, elle me dit, par un trait de sincérité qui lui échappa sans doute à son insu, qu’elle avait dans sa bourse cent cinquante guinées que j’avais données à ses filles ; et ses filles étaient présentes et fondaient en larmes.
Quand elles furent parties, je fis fermer ma porte à tout le monde, et je passai trois jours dans la tristesse, occupé à faire mon bilan. J’avais dissipé dans un mois avec les Hanovriennes tout l’argent que j’avais retiré de mes pierreries, et je me trouvais avoir plus de quatre cents ruinées de dettes. Décidé d’aller à Lisbonne par mer, je vendis ma croix en brillants, six ou sept boîtes en or, après en avoir ôté les portraits, toutes mes montres, à l’exception d’une seule, et deux grosses malles pleines d’habits. Après avoir soldé tous mes comptes, je me trouvai à la tête de quatre-vingts guinées, reste d’une belle fortune que j’avais dissipée comme un fou ou comme un sage, et peut-être un peu comme l’un et l’autre.
Je quittai ma belle maison, où j’avais mené si joyeuse vie, et j’allai me loger dans une petite chambre à une guinée par semaine, avec mon seul nègre, que j’avais tout lieu de croire fidèle.
Ayant pris mes mesures, J’écrivis à M. de Bragadin de m’envoyer, à lettre vue, deux cents sequins : je n’avais pas soin de prendre trop sur l’argent que je devais avoir à Venise, car je n’en avais rien retiré depuis cinq ans.
Dans cette situation, résolu de partir de Londres sans y laisser un sol de dette, sans avoir recours à la bourse de personne, j’attendais tranquillement la lettre de change de Venise pour dire adieu à tout le monde, et m’embarquer pour Lisbonne, où je voulais voir ce que la Fortune ferait de moi ; mais cette déesse me réservait de ses tours et bien loin de la Lusitanie.
Quinze jours après le départ des Hanovriennes et vers la fin de février 1764, conduit par mon mauvais génie, j’allai à la taverne du Canon, pour dîner seul dans un cabinet, comme je le faisais toujours. On avait mis mon couvert, et j’allais me mettre à table, quand je vis entrer le baron de Stenau, la serviette à la main, pour m’engager à faire porter mon dîner dans la chambre voisine, où il était seul avec sa maîtresse.
« Je vous suis reconnaissant, lui dis-je, car l’homme seul s’ennuie. »
Je vois une Anglaise que j’avais déjà vue chez Sartori et envers laquelle le baron avait été si généreux. Elle parlait l’italien, elle avait des talents et des charmes ; je fus enchanté de me trouver vis-à-vis d’elle, et nous dinâmes fort gaiement.
Après quinze jours d’abstinence, il n’était pas étonnant que la jolie Anglaise m’inspirât des désirs, que je cachais cependant ; car son amant donnait le ton et semblait la respecter. Tout ce que je me permis, ce fut de lui dire que le baron me semblait être le plus heureux des hommes.
Vers la fin du dîner, voyant trois dés sur la cheminée, elle alla les prendre, et dit :
« Jouons une guinée que nous dépenserons en huîtres et vin de Champagne. » On ne pouvait refuser, et le baron, ayant perdu, appela le garçon pour lui donner ses ordres.
En mangeant les huîtres : « Jouons, dit-elle, à qui payera le dîner. »
Nous jouons, elle perd.
Fâché de me voir privilégié par la fortune, et désirant perdre deux guinées, je propose les dés au baron. Il accepte, et, à mon grand regret, je gagne. Il me demande revanche, il perd encore. « Je suis fâché de vous gagner, lui dis-je, et je vous donnerai revanche jusqu’à cent. » Il se montre reconnaissant, joue à sa guise, et en moins d’une demi-heure il me doit cent guinées.
« Continuons, me dit-il.
- Mon cher baron, vous êtes en malheur ; vous pourriez faire une trop grande perte ; il vaut mieux cesser pour cette fois. »
Sans égard pour ma politesse, il jure contre la fortune et contre la grâce que j’avais l’air de lui faire ; il se lève, prend sa canne et son chapeau, et me dit en sortant :
« A mon retour vous serez payé. »
Dès qu’il fut parti, la belle Anglaise me dit :
« Je suis sûre que vous avez joué de moitié avec moi.
- Si vous avez deviné cela, vous aurez aussi deviné que je vous trouve charmante ?
- Je m’en suis aperçue.
- Et en êtes-vous fâchée ?
- Au contraire, pourvu que j’aie deviné la première partie.
- Je vous promets cinquante guinées dès qu’il m’aura payé.
- Bien, mais le baron ne doit rien en savoir.
- C’est bien entendu. »
L’accord à peine conclu, je lui prouvai la réalité de mon inclination, très content de sa complaisance, et fort satisfait de cette lueur de fortune, dans un moment où la tristesse semblait devoir être mon partage. On sent que l’affaire fut expédiée à la hâte, car la porte n’était fermée qu’au loquet. Je n’eus que le temps de lui demander son adresse et son heure, et surtout si je devais user de beaucoup de ménagement à l’égard de son amant. Elle me répondit qu’il ne lui donnait pas assez pour prétendre qu’elle ne fût qu’à lui seul. Je mis l’adresse dans ma poche, en lui promettant d’aller passer la nuit du lendemain avec elle.
Le baron rentre et me dit :
« Je suis allé chez un marchand pour me faire escompter la lettre de change que voilà, et quoiqu’elle soit à vue sur une des premières maisons de Cadix et tirée à mon ordre par une bonne maison de Lisbonne, il ne l’a pas voulu. »
Je prends la lettre dont il me montre l’endossement, et je vois des millions qui excitent ma surprise.
Le baron me dit en riant que ces millions étaient des milreis portugais qui faisaient à peu près cinq cents livres sterling.
« Si la signature des tireurs est reconnue, lui dis-je, il est étonnant qu’on vous en refuse l’escompte. Que n’allez-vous chez votre banquier ?
- Je n’en connais aucun. Je suis venu ici avec mille lisbonines dans ma poche, et je les ai dépensées. Comme je n’ai point de lettre de crédit, je ne puis vous payer, à moins qu’on ne m’escompte cette traite. Si vous avez des connaissances à la Bourse, vous pourriez me faire ce plaisir.
- Si la signature est connue, je vous servirai demain matin.
- Dans ce cas, je vais la passer à votre ordre. »
Il y met son nom, et je lui promets ou sa lettre ou son argent pour le lendemain à midi. Il me donne son adresse, me prie de dîner chez lui, et nous nous séparons.
Le lendemain matin j’allai chez Bosanquet, qui me dit que M. Leigh avait besoin de lettres sur Cadix. Je me rendis chez ce dernier, qui s’écria que ces traites valaient mieux que de l’or. Il en fit le calcul, me présenta le compte et me donna cinq cent vingt guinées, après que je l’eus endossée, comme de raison.
M’étant rendu chez le baron et lui ayant montré le compte, je lui remis l’argent que je venais de recevoir.
Il me remercia et me remit cent guinées, puis nous dînâmes et nous parlâmes de sa belle.
« En êtes-vous bien amoureux ? lui dis-je.
- Non, car j’en ai d’autres, et si elle vous plaît, vous pouvez, pour dix guinées, vous en faire passer l’envie. »
Cette déclaration me parut honnête, mais je n’eus pas la moindre idée de frustrer la belle de la somme que je lui avais promise. J’allai chez elle en quittant le baron, et dès qu’elle sut que son amant m’avait payé, elle ordonna un souper délicat, et me fit passer une nuit si voluptueuse, que j’en oubliai toute ma tristesse. Le matin, quand je lui donnai les cinquante guinées, elle me dit que ma fidélité devait me profiter, et qu’ainsi elle me donnerait à souper pour six guinées toutes les fois que je voudrais. Je lui promis d’aller la voir souvent.
Le lendemain je reçus par la petite poste une lettre en mauvais italien signée Votre soumis filleul Daturi. Ce filleul était en prison pour dettes, et me demandait en grâce quelques shillings pour se procurer de quoi manger.
Je n’avais rien à faire : la qualification de filleul me rendit curieux, et j’allai à la prison pour voir ce Daturi dont je n’avais aucune idée. On me montre un beau jeune homme de vingt ans qui ne me connaît pas et que je crois voir pour la première fois. Je lui montre sa lettre, il me demande pardon de son importunité, et tirant un papier de sa poche, me montre un acte de naissance où je vois son nom, le mien, et ceux de son père et de sa mère, la paroisse de Venise où il était né et celui de l’église où il avait été baptisé : je rappelle en vain ma mémoire ; je ne me souviens de rien.
« Si vous daignez m’écouter, me dit-il, je vous remettrai sur la voie, en vous racontant tout ce que ma mère m’a dit cent fois.
- Je vous écoute, » lui dis-je.
Et effectivement sa narration rappela ma mémoire. Ce jeune homme, que j’avais tenu sur les fonts baptismaux comme fils du comédien Daturi, était peut-être le mien. Il était venu à Londres avec une troupe de sauteurs pour y remplir le noble rôle de paillasse ou pagliazzo. S’étant brouillé avec la troupe, on l’avait renvoyé et il s’était endetté de dix livres sterling. C’était pour cette dette qu’il était emprisonné. Sans rien lui révéler sur le secret de sa naissance, ou plutôt de mes relations avec sa mère, je le délivrai sur-le-champ en lui disant de venir chaque matin chez moi où je lui donnerais deux shillings pour vivre.
Huit jours après cette bonne œuvre, je me sentis atteint d’une affreuse maladie dont le dieu Mercure m’avait délivré déjà trois fois à mes risques et périls. J’avais passé trois nuits avec la fatale Anglaise. Cet accident me venait fort mal à propos, c’est-à-dire dans les plus tristes circonstances. J’étais à la veille de faire un long voyage par mer, et quoique Vénus soit née au sein des ondes, l’air de son élément est peu favorable à ceux qui comme moi se trouvent sous sa maligne influence. Connaissant mon affaire, je pensai à me mettre aux grands remèdes sans perdre de temps. Je savais qu’en six semaines je pouvais recouvrer ma santé, et qu’arrivé à Lisbonne je serais en état de payer de ma personne.
Je sors de chez moi, non pas pour aller, comme je l’avais fait jadis, et comme le font encore tous les sots, reprocher sa perfidie à l’Anglaise, mais bien pour aller trouver un bon chirurgien, faire mon accord avec lui, et m’enfermer dans sa demeure.
A cet effet, je fis mes malles comme si j’allais quitter Londres, à l’exception de tout mon linge que j’avais porté et que j’envoyai à ma blanchisseuse qui demeurait à six milles de Londres et qui avait les plus belles pratiques de la ville.
Le matin même où j’allais opérer ma translocation et me rendre à la maison de santé, on me remit une lettre venue par la petite poste. Je l’ouvre, elle était de Leigh, et contenait ces mots :
« La lettre de change que vous m’avez donnée est fausse ; remettez-moi de suite cinq cent vingt guinées que je vous ai données, et si celui qui vous a trompé ne vous rembourse pas, faites-le arrêter. De grâce, ne m’obligez pas à vous faire arrêter demain, et ne perdez pas de temps, car il s’agit de votre vie. »
J’étais seul et très heureux de l’être. Je me jetai sur mon lit où je fus couvert en un instant d’une sueur froide très abondante. Je tremblais comme la feuille. Je voyais devant mes yeux la potence, car aucun marchand ne m’aurait confié dans l’instant cinq cents guinées, et on n’aurait pas attendu un mois à faire le procès criminel qui m’aurait condamné à être pendu. Si j’avais eu un mois de sursis, j’aurais certainement reçu cette somme de Venise ; mais en Angleterre, on ne facilite point les transactions de ce genre.
Une fièvre brûlante avait succédé à mon tremblement. Je prends deux pistolets bien chargés et à l’épreuve, je les mets dans mes poches, et après avoir dit à mon nègre de m’attendre, je me rends chez le baron de Stenau, décidé à lui brûler la cervelle s’il ne me rendait pas les cinq cent vingt guinées, ou à le garder à vue, jusqu’à ce que j’eusse pu le faire arrêter. J’arrive chez lui, et j’apprends que depuis quatre jours il était parti pour Lisbonne.
Ce baron de Stenau était Livonien, et fut pendu à Lisbonne, quatre mois après l’époque dont je parle. J’appris cette circonstance de sa vie deux mois après l’événement, et je ne la rapporte ici par anticipation que dans la crainte de l’oublier quand je me trouverai à Riga, au commencement d’octobre de cette année.
Dès que je sus son départ, le mal étant sans remède, je pris mon parti sur-le-champ. Je n’avais que dix ou douze guinées, et cette somme ne pouvait me suffire. Je cours chez Trèves, juif vénitien, auquel j’avais été recommandé par le banquier comte Algaroti, de Venise, et dont je ne m’étais jamais servi. Je ne m’adressai ni à l’honnête Bosanquet, ni à Vanhel, ni à Salvador, qui pouvaient déjà être informés de mon affaire ; mais Trèves n’avait rien à faire avec ces gros banquiers, et je me contentai de lui demander l’escompte d’une lettre de change de la mince somme de cent sequins de Venise, que je tirai sur Algaroti, écrivant à ce dernier de se faire payer par Dandolo, son parent, qui m’avait procuré sa recommandation.
Ayant l’escompte de ma traite dans ma poche, je me retire, agité d’une fièvre mortelle. Leigh m’avait donné vingt-quatre heures de répit, et l’honnête Anglais n’était pas capable de me manquer de parole ; mais la nature ne me permettait pas de m’y fier. Je ne voulais perdre ni mon linge ni trois beaux habits que j’avais chez mon tailleur, et néanmoins il fallait que je fisse la plus grande diligence pour me mettre en sûreté.
Appelant Jarbe dans ma chambre, je lui dis s’il préférait que je lui fisse présent de vingt guinées en lui donnant congé sur-le-champ ou de rester à mon service, en me promettant de partir de Londres dans huit jours pour venir me rejoindre au lieu d’où je lui écrirais.
« Monsieur, me dit-il, je veux rester à votre service et je vous rejoindrai partout où vous voudrez. Quand partez-vous ?
- Dans une heure, mais il y va de ma vie si tu dis un mot.
- Pourquoi ne me menez-vous pas avec vous ?
- Parce que je veux que tu me portes mon linge qui est chez la blanchisseuse et les habits que j’ai chez le tailleur. Je vais te donner l’argent qu’il te faut à peu près pour ton voyage.
- Je ne veux rien. Vous me payerez ce que j’aurai dépensé quand je vous aurai rejoint. Attendez. »
Il sort et rentre un instant après, en me montrant soixante guinées, et me disant :
« Prenez ceci, je vous prie, monsieur ; j’ai du crédit pour en trouver autant en cas de besoin.
- Non, mon ami, je t’en remercie, je n’en ai pas besoin, et je n’oublierai pas ton dévouement. »
Mon tailleur n’étant qu’à deux pas, j’allai chez lui et voyant que mes habits étaient encore en pièces, je lui témoignai le désir de m’en défaire, ainsi que du galon d’or pour les garnir. Il m’en compta trente guinées sur-le-champ, car il y gagnait le quart. Ensuite, ayant payé mon logement pour une semaine, je dis adieu à mon nègre et je partis avec Daturi. Nous couchâmes à Rochester, n’ayant pas eu la force d’aller au delà. J’avais des convulsions, et j’étais dans une espèce de délire. Daturi me sauva la vie.
J’avais ordonné la poste pour partir, et de son autorité privée, il renvoya les chevaux et alla chercher un médecin qui, me trouvant en danger de mourir d’un coup d’apoplexie, me fit faire une abondante saignée qui me rendit le calme. Six heures après, il trouva que je pouvais partir. J’arrivai à Douvres le matin de bonne heure, et je ne pus m’y arrêter qu’une demi-heure, parce que, me dit le capitaine du paquebot, la marée ne lui permettait pas de différer davantage son départ. Le brave marin ne savait pas que c’était ce que je désirais le plus. J’employai cette demi-heure à écrire à Jarbe de venir me rejoindre à Calais où je devais l’attendre, et mistress Mercier, mon hôtesse, à qui j’avais adressé la lettre, m’écrivit pour me faire savoir qu’elle la lui avait remise en personne. Cependant Jarbe ne vint pas. Nous retrouverons ce nègre dans deux ans.
J’arrivai à Calais en six heures, le vent étant bas et presque contraire, et je descendis au Bras-d’Or où j’avais laissé ma chaise de poste. Je me couchai en arrivant, et je fis appeler le meilleur médecin.
Le feu de la fièvre et le poison qui circulait dans mon corps mirent ma vie en grand danger, et le troisième jour, j’étais à l’extrémité. Une quatrième saignée épuisa mes forces et me tint dans une léthargie de vingt-quatre heures. Elle fut suivie d’une crise salutaire qui me rendît à la vie, mais ce ne fut qu’à force de régime que je me trouvai en état de partir quinze jours après mon arrivée sur la terre de salut.
Faible, profondément affligé d’avoir, quoique involontairement, causé une perte considérable à l’honnête M. Leigh ; humilié d’avoir dû m’enfuir de Londres ; indigné de l’infidélité de Jarbe et fortement contrarié de devoir abandonner mon projet d’aller en Portugal ; ne sachant où aller, étant dans un état de santé si délabrée que ma guérison était problématique, je me mis dans ma chaise de poste avec Daturi, qui me tenait lieu de domestique à ma satisfaction.
J’avais écrit à Venise de m’envoyer à Bruxelles la somme que je devais recevoir à Londres, n’osant pas écrire en Angleterre.
Arrivé à Dunkerque le premier jour de mon départ de Calais, la première personne que j’aperçus en descendant de ma voiture, fut le marchand S..., mari de cette Thérèse dont mes lecteurs peuvent se souvenir, nièce de la maîtresse de Tireta, et que j’avais aimée il y avait alors sept ans. Ce brave M. S... me reconnut, et s’étonnant de me voir si changé, je lui dis que je relevais d’une longue maladie ; puis je lui demandai des nouvelles de sa femme. « Elle se porte à merveille, me dit-il, et j’espère bien que nous aurons demain le plaisir de vous avoir à dîner. » Je lui objectais que je devais partir au point du jour ; mais, ne pouvant lui faire entendre raison, il me dit qu’il serait au désespoir si je ne voyais pas sa femme et ses trois poupons. Enfin, comme je persistais à lui dire que je partirais au point du jour il me dit qu’il allait revenir avec toute sa famille. Me voyant vaincu, je lui dis que nous souperions ensemble.
Mes lecteurs pourront se rappeler que j’avais aimé cette Thérèse au point de vouloir l’épouser, et ce souvenir me causait un vif chagrin en songeant à la triste figure que j’allais lui présenter.
Un quart d’heure après, je vis revenir le mari avec sa femme et trois petits garçons, dont l’aîné pouvait avoir six ans. Après les compliments inévitables et les doléances fatigantes sur ma santé, Thérèse renvoya ses deux cadets, ne gardant que l’aîné, le seul qui pût m’intéresser. Cet enfant était charmant, et comme il avait tous les traits de sa mère, son mari ne doutait nullement d’en être l’auteur.
Je riais en moi-même de trouver de mes fils semés dans toute l’Europe. Thérèse me donna, pendant le souper, des nouvelles de Tireta. Il était entré au service de la compagnie des Indes hollandaises ; mais, ayant trempé dans une rébellion à Batavia, il n’avait évité la corde qu’en prenant la fuite. Je réfléchissais sur la similitude de son sort et du mien, mais je n’en parlais pas. Au reste, il n’est pas difficile, quand on court les aventures, de se faire pendre pour des bagatelles, quand on est un peu étourdi et qu’on ne prend pas bien garde à ce qu’on fait.
Arrivé le lendemain à Tournai, et voyant des palefreniers qui promenaient de beaux chevaux, l’envie me prit de leur demander à qui ils appartenaient.
« A M. le comte de Saint-Germain, l’adepte, qui est ici depuis un mois et qui ne sort jamais. Tous ceux qui passent par ici désirent le voir, mais il est inaccessible. » . Cette réponse m’inspira l’envie de le voir, et à peine arrivé à l’auberge, je lui écrivis en lui en exprimant le désir et lui demandant son heure. Voici sa réponse, car j’ai conservé son billet :
« Mes occupations m’obligent à ne recevoir personne ; mais vous faites exception. Venez à l’heure qui vous conviendra le mieux ; on vous introduira dans ma chambre. Vous n’aurez besoin de prononcer ni mon nom ni le vôtre. Je ne vous offre pas la moitié de mon dîner, car ma nourriture ne peut convenir à personne, et à vous moins qu’à tout autre, si vous conservez encore votre ancien appétit. »
Je m’y rendis à neuf heures et je lui trouvai une barbe de deux pouces de long. Il avait une vingtaine de courges pleines de liqueurs, dont quelques-unes étaient en digestion sur du sable à chaleur naturelle. Il me dit qu’il travaillait aux couleurs pour s’amuser, et qu’il établissait une fabrique de chapeaux, pour faire plaisir au comte de Cobentzel, ambassadeur de Marie-Thérèse à Bruxelles. Il ajouta que le comte ne lui avait donné que cent cinq mille florins, qui ne suffisaient pas ; mais qu’il y mettrait le surplus. Nous parlâmes de Mme d’Urfé : « Elle s’est empoisonnée, me dit-il, en prenant une trop forte dose de médecine universelle, et son testament démontre qu’elle se croyait grosse. Elle aurait pu l’être, si elle m’avait consulté. C’est une opération des plus difficiles, mais sûre, quoique la science ne soit pas encore parvenue au point de pouvoir garantir le sexe de l’enfant. »
Quand il sut de quel genre était ma maladie, il me supplia de rester à Tournai trois jours, pendant lesquels il réduirait toutes mes glandes, qu’ensuite il me donnerait quinze pilules qui, prises en quinze jours, compléteraient ma guérison et me rendraient toutes mes forces. Il me fit voir son archée, qu’il appelait atoéter.
C’était une liqueur blanche, contenue dans une fiole bien bouchée. M’ayant dit que cette liqueur était l’esprit universel de la nature, et que la preuve en était que cet esprit sortirait à l’instant de la fiole si l’on piquait le plus légèrement possible la cire avec une épingle, je le priai de m’en faire voir l’expérience. Il me donna une fiole et une épingle. Je perçai doucement la cire et, en effet, la fiole fut entièrement vide.
« C’est superbe, lui dis-je ; mais à quoi bon tout cela ?
- C’est ce que je ne puis pas vous dire : c’est mon secret. »
Ambitieux, à son ordinaire, de ne me laisser partir qu’émerveillé, il me demanda si j’avais de la monnaie. Je tirai quelques pièces que je mis sur la table. Se levant alors, sans me dire ce qu’il allait faire, il prit un charbon ardent qu’il mit sur une plaque de métal ; puis il me demanda une pièce de douze sols qui se trouvait parmi plusieurs autres monnaies : il mit dessus un petit grain noir, plaça la pièce sur le charbon qu’il souffla avec un chalumeau de verre, et en moins de deux minutes, je la vis incandescente. « Attendez, me dit alors l’alchimiste, qu’elle soit refroidie ; » ce qui fut fait en une minute. « Prenez-la, ajouta-t-il, et emportez-la, car elle vous appartient. » Je la pris : elle était d’or. Je ne doutai pas un moment qu’il n’eût escamoté la mienne, en y substituant celle que je tenais et qui, sans doute, était blanchie à l’avance ; cependant je ne voulus pas lui en faire des reproches ; mais afin qu’il fût bien persuadé que je n’étais pas sa dupe, je lui dis :
« C’est admirable, comte ; mais une autre fois, pour être plus certain d’étonner le plus clairvoyant, il faut le prévenir de la transmutation que vous allez opérer ; car alors il pourra regarder attentivement l’opération, et remarquer la pièce d’argent avant que vous la placiez sur le charbon ardent.
- Ceux qui peuvent douter de ma science, me répondit le fourbe, ne sont pas dignes de me parler. »
Cette façon arrogante le caractérisait et ne m’était pas nouvelle. Ce fut la dernière fois que je vis ce célèbre et savant imposteur : il y a six ou sept ans qu’il est mort à Schleswig. Sa pièce était d’or pur, et deux mois après, le feld-maréchal Keith s’en étant montré curieux pendant mon séjour à Berlin, je m’en défis en sa faveur.
Parti de Tournai le lendemain matin, je m’arrêtai à Bruxelles pour y attendre la réponse à la lettre que j’avais écrite à M. de Bragadin. Je l’y reçus cinq jours après mon arrivée avec une lettre de change de deux cents ducats.
Je pensais me fixer à Bruxelles pour y faire ma cure, quand Daturi vint me dire qu’il venait d’apprendre d’un danseur de corde que son père, sa mère et toute sa famille étaient à Brunswick, où il m’engagea à me rendre, m’assurant que j’y serais traité avec tout le soin possible.
Je ne fus pas difficile à me laisser persuader, car j’étais curieux de revoir la mère de mon filleul, et je partis le jour même ; mais à Ruremonde, je me trouvai si mal, que je fus obligé de m’y arrêter trente-six heures. M’étant de là rendu à Wesel, et voulant me défaire de ma chaise de poste, parce que les chevaux du pays ne sont pas habitués à supporter le brancard, je fus très surpris de voir paraître le général Bekw....
Après les compliments d’usage et des condoléances sur ma maladie, ce général me dit qu’il désirait m’acheter ma chaise et me donner en échange une voiture très commode pour voyager par toute l’Allemagne. L’affaire fut conclue à l’instant ; puis ce brave Anglais, ayant su en détail l’état de ma maladie, me persuada de rester à Wesel, où un jeune médecin de l’école de Leide, très habile et très prudent, saurait mieux me traiter que les docteurs de Brunswick.
Rien n’est plus facile que d’influencer les résolutions d’un malade malheureux et qui n’a point de projet arrêté, surtout quand le malade cherche la fortune, et qu’avec la maxime du Sequere Deum, il ignore où cette capricieuse déité l’attend. M. Bekw..., qui était en garnison à Wesel, envoya chercher le docteur Pipers et voulut être présent à toute ma confession et même à la visite.
Je ne révolterai pas mes lecteurs en leur peignant le dégoûtant état où j’étais ; qu’il leur suffise de savoir qu’après tant d’années la pensée m’en fait encore frémir.
Le jeune médecin, qui était la douceur personnifiée, m’engagea à m’aller loger chez lui, me promettant de sa mère et de ses sœurs tous les soins que je pourrais désirer, m’assurant de me guérir radicalement en six semaines, si je lui promettais d’être docile à ses prescriptions. Le général m’encourageait à suivre le conseil du jeune Esculape, et je m’y résolus d’autant plus volontiers que, désirant me divertir à Brunswick, je n’avais nulle envie d’y arriver perclus. J’accédai donc aux vœux du général, et le docteur ne voulut point entendre parler d’accord. Il me dit qu’à mon départ je lui donnerais ce que je voudrais, et qu’il en serait très content. Il partit pour me faire préparer la chambre qu’il me destinait, et me donna rendez-vous une heure après. J’y fis transporter mon équipage, et, dans une chaise à porteurs, je me fis porter chez lui, tenant un mouchoir devant mon visage, honteux que j’étais de me montrer à la mère et aux sœurs du jeune médecin, qui étaient là à mon arrivée, en compagnie de quelques demoiselles que je n’eus pas le courage de regarder.
Dès que je fus dans la chambre, Daturi me déshabilla, et je me mis au lit.