Chapitre 10
Cette fois, nulle foule en liesse ne leur souhaita bon voyage. Ils avaient traversé la planche précaire entre la jetée et le pont du Danseur Bleu dans un silence absolu, brisé simplement par le bruit des vagues contre le quai et les grognements de l’équipage à l’appareillage. À présent, Keridil était appuyé au bastingage du bateau de pêche, écoutant les craquements de la voile prête à se lancer à l’assaut de la pleine mer et conscient de la présence de Fenar Alacar à quelques pas de lui. Le visage du jeune Haut Margrave était pâle et tendu dans les ténèbres, son profil durci par la faible lueur de la lanterne du barreur.
Si les autres étaient assez âgés, ou avaient assez d’expérience pour dissimuler leur malaise, ils partageaient tous les peurs inexprimées du jeune garçon. Même la Matriarche avait cessé ses récriminations et était assise, silencieuse et maussade, dans la cabine sous le pont.
Le vent se fit soudain plus fort, gonflant les voiles ; Keridil sentit le bateau s’élancer dès qu’il quitta l’abri du port et que la marée s’en empara. Il n’y avait plus rien à présent entre eux et le bateau fantôme les attendant dans l’obscurité, rien que la houle et les hauts-fonds…
Comme si le jeune homme avait lu ses pensées, Keridil vit Fenar Alacar frissonner et se détourner de la rambarde. Ils avaient tout laissé derrière eux, à part leurs compagnons les plus proches, et même si le vieux Isyn l’accompagnait, le Haut Margrave avait besoin de plus d’un visage familier pour reprendre courage.
Un instant, Keridil crut que Fenar allait s’approcher et lui parler, mais le jeune homme changea d’avis et se dirigea en titubant vers l’écoutille. Il disparut, et un moment, le bruit de ses pas descendant les marches brisa le doux rythme du claquement des voiles et des vagues. Le son s’éteignit enfin, laissant Keridil seul.
Il ne voulait pas essayer de percer les ténèbres, mais ne pouvait réprimer la fascination qui le poussait à fixer la proue et l’océan au-delà. Et il la vit… indistincte mais pourtant proche, une barque fantôme, se balançant doucement sur l’océan. Les ténèbres l’entouraient comme un linceul et juger de sa taille était impossible ; elle semblait parfois énorme et parfois plus petite que le Danseur Bleu. Une lumière froide et incolore vacillait à la poupe, mais il n’y avait aucun signe de vie. Peut-être n’était-ce qu’un fragment de rêve, un lambeau de démence…
— Messire ?
Keridil sursauta. Se retournant, il vit l’un des hommes d’équipage à distance respectable, la casquette à la main.
— Le capitaine m’a chargé de vous dire qu’il y avait de la bière chaude en bas, avec ce qu’il faut pour combattre le froid.
Malgré son sourire abruti, le marin avait l’air terrifiant dans la lumière irréelle provenant de la barque.
— Il nous faudra à peu près une demi-heure pour aller… où nous allons, messire.
De la bière. Son père aurait appelé cela le courage des lâches… mais dans ces circonstances, sans doute aurait-il compris
— Merci, répondit-il en frottant ses mains gelées. Excellente idée.
La bière chaude était bonne malgré un léger goût de poisson et un court moment, les occupants de la cabine exiguë retrouvèrent le moral. Keridil était assis à côté de Sashka, et la jeune femme lui tenait la main avec une force qui démentait son calme apparent. Keridil ne l’avait jamais vue avoir peur, et cette découverte le toucha, réveillant en lui un besoin de la protéger qui adoucit ses appréhensions. Fenar Alacar était assis dans un coin, serrant son gobelet comme s’il s’agissait de son trésor le plus précieux, tandis qu’accompagnée de deux servantes, la Dame Ilyaya Kimi débitait un flot de paroles triviales, sans se soucier de savoir si l’on l’écoutait.
Dans la cale, gardée par l’un des hommes du capitaine, se trouvait Cyllan inconsciente.
La nouvelle de la capture de la jeune femme avait été un choc pour les compagnons de Keridil. Seul Fenar avait remis en cause la décision de la conduire avec eux sur l’Île Blanche ; il était plus simple de l’exécuter et d’en finir, déclara-t-il, un sentiment qui faisait écho aux doutes du Haut Initié. La Matriarche, pourtant, exprima son désaccord.
— Le Haut Initié a raison, avait-elle dit d’un ton qui ne souffrait aucune discussion. La fille est bien moins importante que le démon du Chaos qu’elle sert et il n’y a pas de meilleur moyen de nous assurer de sa capture. De plus, l’âme immortelle de la fille ne souffrira que plus dans l’au-delà si elle subit la terreur du jugement d’Aeoris avant de mourir.
Keridil s’était tourné vers Sashka qui avait jusque-là gardé le silence.
— Qu’en penses-tu, mon amour ?
Sashka leva la tête.
— Sa douleur ne sera rien comparée aux souffrances qu’elle mérite.
Un instant, Keridil avait cru voir sur le visage de sa fiancée une méchanceté dont il ne l’aurait pas crue capable… mais l’expression de la jeune femme avait changé et Keridil en avait mis l’impression sur le compte d’un jeu de lumière.
Et c’est ainsi qu’on conduisit Cyllan inconsciente à bord et que la prisonnière fut jetée sans aucune cérémonie au milieu des caisses de poissons et des cordes dans la cale.
Le voyage était un moment de répit avant ce qui les attendait… mais trop vite, ils sentirent les mouvements du Danseur Bleu se modifier et changer de rythme ; ils entendirent des ordres étouffés au-dessus de leurs têtes. Keridil se tendit en entendant le son des pas se diriger vers eux. La porte de la cabine s’ouvrit et la silhouette du capitaine se découpa dans l’encadrement.
— Nous y sommes, messire… du moins aussi proches qu’ils nous le permettent. J’ai ordonné qu’on prépare le canot.
En se levant, Keridil, forcé de baisser la tête tant le plafond était bas, aperçut l’expression de panique fugitive sur le visage de Fenar Alacar.
— Merci, capitaine, dit-il avant de se tourner vers ses compagnons. Je pense que nous sommes prêts…
Il n’osait pas lever les yeux. De son siège à la poupe du canot du Danseur Bleu, la coque de la barque blanche remplissait son champ de vision, gommant le ciel, les lunes et l’horizon comme un gigantesque banc de brouillard. Keridil entendait des craquements de poutrelles aussi anciennes que le monde, le gémissement terrifiant des voiles titanesques sous le vent. Tout était blanc, un blanc maladif qui transformait la barque en l’envoyée d’un royaume spectral. Keridil avait essayé de regarder, tenté de distinguer le sommet du grand mât, mais le vertige et une sensation inexplicable l’avaient submergé. Il s’était pressé de détourner la tête, avec à l’esprit l’impression dérangeante d’une vaste voile fantasmatique et d’une étoile unique et glaciale brillant dans le ciel.
À côté de lui, sur la banquette étroite et humide, Sashka serrait son manteau contre elle, fixant le fond du canot. Devant eux, Fenar Alacar semblait ne pas pouvoir arrêter de frissonner et leurs compagnons n’étaient guère plus rassurés. Seule Ilyaya Kimi regardait approcher lentement la monstruosité, avec un calme résigné, comme si elle n’avait pas le pouvoir de l’affecter.
Le canot atteignit la barque, et se colla contre la paroi immaculée. Le choc contre la coque fut noyé par le grondement de l’eau. Keridil sursauta quand une corde apparue de nulle part serpenta le long du vaisseau avec un craquement assourdi. L’un des rameurs l’attrapa et l’accrocha à la proue du canot, puis une ombre s’abattit sur eux et Keridil, levant les yeux, vit un harnais suspendu comme un nœud coulant descendre du bastingage.
La Matriarche se tortilla sur son siège et eut un sourire froid et ironique.
— Si je me souviens bien, Haut Initié, c’est à vous que revient le privilège d’embarquer le premier.
— Keridil…
Sashka ne put camoufler sa peur et lui saisit les mains quand il se leva. Le Haut Initié retira sa main après ce qu’il espérait être une pression rassurante, mais ne put prononcer un mot avant d’avoir enjambé prudemment le banc et s’être dirigé vers la proue. Puis il entendit la voix de Fenar, un murmure terrifié rythmé par le bruit des vagues…
— J’ai oublié les paroles… que les dieux me viennent en aide, Isyn, j’ai oublié ce que je devais dire…
Le Haut Initié ferma les yeux un instant puis attrapa le harnais d’une main ferme.
L’ascension lui sembla un rêve sans fin, mais vint enfin le moment où il aperçut des lumières au-dessus de lui. Quelques instants plus tard, il se balança et se retrouva libre sur le pont de la barque blanche. Un moment, il fut pratiquement aveuglé, puis quand ses yeux s’ajustèrent, il les vit.
Ils devaient être une douzaine ou une quinzaine, postés en demi-cercle sur les planches pâles du pont. Les voiles projetaient des ombres lunaires sur leurs silhouettes immobiles et un instant, Keridil eut l’affreuse sensation qu’il ne s’agissait pas de vrais hommes, mais de morts réanimés, aussi vieux que la barque elle-même et atrocement étrangers. Les paroles répétées avec tant de soin se bloquèrent dans sa gorge, puis une des silhouettes bougea et une partie du sortilège se brisa.
Comme ses compagnons, le porte-parole des Gardiens était vêtu entièrement de blanc. Sa peau, blanche comme le lait, témoignait d’un visage que le soleil n’avait jamais touché et ses cheveux gris étaient tirés en arrière. Il regardait le Haut Initié avec des yeux vides et Keridil eut la sensation déconcertante que le Gardien ne le voyait pas, ou avait décidé que sa présence n’avait aucune importance.
Son rôle était clair. Il devait parler le premier, mais les mots traditionnels inscrits sur les parchemins du Cercle semblaient bien différents de ceux qu’il avait répétés avec Gyneth dans le rôle du Gardien.
Keridil réprima une envie incontrôlable de tousser.
— Keridil Toln, Haut Initié du Cercle, vient en paix et dans l’humilité demander l’autorisation des Gardiens de poser le pied sur l’Île Blanche.
Le Gardien continuait de regarder à travers lui.
— Quel est le but du Haut Initié ?
— Former, avec le Haut Margrave Fenar Alacar et la Dame Matriarche Ilyaya Kimi, le Conclave des Trois.
— Par les lois d’Aeoris, le Conclave des Trois ne peut intervenir que lorsque toute autre solution a échoué. Le Haut Initié déclare-t-il que tel est le cas ?
— Tel est le cas, répondit fermement Keridil.
Il sentait qu’il prenait part à quelque drame incompréhensible se jouant sur la scène inconnue d’un plan éthéré.
Le silence suivit les paroles de Keridil. Il sentit que le Gardien communiquait avec les siens. Puis, après ce qui sembla une attente interminable, l’homme parla à nouveau.
— La pétition de Keridil Toln, Haut Initié du Cercle, est entendue et accordée. Que ceux qui veulent partager sa tâche soient conduits à bord.
Le Gardien recula et le Haut Initié vit le harnais se balancer une fois de plus par-dessus le bastingage pour commencer sa descente. Involontairement, il regarda par-dessus son épaule pour savoir comment se portaient ses compagnons, mais de cette hauteur, le canot était invisible.
Il s’éclaircit la voix, attirant l’attention du Gardien.
— Nous avons un prisonnier, commença-t-il, pas très sûr de lui malgré les formalités d’usage. Elle…
L’homme blafard l’interrompit avec un sourire glacial.
— La fille peut être transportée à bord. Elle sera confinée de manière appropriée jusqu’à ce que sa présence soit requise.
Keridil n’osa pas se demander ce qu’ils savaient de Cyllan, ou comment. Après avoir acquiescé en silence, il se tourna vers le flanc du navire au moment où, le second passager bien accroché, le harnais commençait sa lente ascension vers le pont.
Le coup qui avait assommé Cyllan lui avait laissé une marque bleue sur le front. À mesure que sa conscience lui revenait, les élancements de son crâne se faisaient plus forts. Au début, elle garda les yeux fermés, sachant seulement qu’elle se réveillait d’un mauvais rêve dans lequel les images se télescopaient : Tarod dormant dans la chambre de la taverne, une corde humide qui lui mordait la main, le visage de Keridil Toln éclairé par la lune, sur le port de Shu-Nhadek… des visions de cauchemar. Ses membres étaient engourdis par les crampes ; elle fit un effort pour s’asseoir et retomba brutalement sur une surface dure avec une secousse qui lui fit ouvrir les yeux.
Elle était entourée de blancheur. Des suaires immaculés formaient des ailes menaçantes autour d’elle, grimpant à une telle hauteur qu’un moment, son esprit confus pensa qu’il s’agissait de nuages. Mais les nuages ne descendaient pas jusqu’au sol… et la surface sur laquelle elle se trouvait bougeait d’une façon trop familière.
Inquiète, Cyllan essaya de se lever et s’écroula à nouveau. Ses poignets et ses chevilles étaient attachés… le mouvement sous son corps était celui, hypnotique, d’un navire au large…
C’est à cet instant qu’elle vit la silhouette immobile derrière elle. Vêtu de blanc comme un marin fantôme, l’homme contemplait un point de l’espace invisible devant lui, insouciant de ses efforts pour se libérer.
Son impassibilité lui glaça les sangs. Il était indifférent à ce qu’elle pourrait faire ; il savait, même si elle l’ignorait, combien elle était impuissante.
Blanc… un vaisseau blanc, des voiles blanches, un équipage vêtu de blanc… la vérité commença à se faire jour dans l’esprit de Cyllan. Keridil ! Son visage n’avait donc pas été un cauchemar… il était là…
Là ? se demanda-t-elle et elle comprit aussitôt la réponse à la question qu’elle n’osait pas se poser. Elle avait été capturée et conduite sur ce navire, un navire qui, par une ironie amère, l’emportait là où Tarod et elle avaient désespérément besoin de se rendre.
Mais pas comme ça ! Par les dieux, pas comme ça !
Sachant qu’elle n’aurait qu’une chance et que c’était son seul espoir, Cyllan rassembla ses forces et concentra son esprit vers la chambre de la taverne de Shu-Nhadek. Elle entendit une imprécation assourdie, puis quelqu’un courut vers elle, vêtu d’une tenue colorée qui contrastait avec le blanc autour d’elle.
Tarod !
Le hurlement mental s’échappa, et dans sa panique, Cyllan se demanda si elle avait atteint son but. La sentinelle blanche se balança d’un pied sur l’autre mais ne dévoila rien qui prouve qu’elle avait senti l’appel. Puis le Gardien se poussa pour laisser passer un autre homme qui la contempla avec colère et mépris.
Keridil savait ce qu’elle venait de faire ; elle lut la compréhension dans son regard. Enfin, il sourit et Cyllan sentit le désespoir s’abattre sur elle.
— Appelle ton amant-démon si cela peut te faire plaisir, dit-il avec une atroce gentillesse. Le Chaos n’a aucun pouvoir ici et Tarod ne peut te porter secours par-dessus les eaux. (Il fit une pause et son sourire s’élargit encore.) Oui, appelle-le. Qu’il te suive, s’il est assez fou et s’il l’ose !
Keridil se retourna et s’éloigna, et Cyllan le regarda partir, le cœur brisé. Bien sûr, c’était ce que voulait le Haut Initié : attirer Tarod sur l’Île Blanche, à la merci du pouvoir d’Aeoris.
Tarod les suivrait… et quand il arriverait, que trouverait-il pour l’attendre ?
Cyllan tourna la tête vers la côte, regardant la mer obscure par-dessus le bastingage. Elle ne pleurerait pas. Non, rien ne pourrait leur donner la satisfaction de la voir en larmes…
Mais à l’intérieur, son âme était déchirée.
Tarod !
Le cri hurla dans son esprit comme si quelqu’un lui avait crié dans les oreilles. Tarod sursauta violemment et reconnut la voix au moment où il se rendit compte que Cyllan n’était plus à ses côtés.
— Cyllan…
Le nom se forma sur ses lèvres dans un souffle ; il se leva et courut à la fenêtre, attiré par un instinct inconnu.
Derrière la fenêtre, la rue et la place du marché étaient vides. La première lune avait plongé derrière les toits et sa petite sœur la suivait, croissant effacé à l’ouest. L’aube n’était plus loin et à part quelques reflets d’étoiles dans la rade, il n’y avait rien à voir.
Tarod se retourna et contempla les ombres de la pièce. Il chercha mentalement la source du cri, sans succès. Sa seule certitude était la disparition de Cyllan.
Il se concentra sur les limites de l’auberge et laissa son esprit les sonder. D’autres clients dormaient dans leurs lits : un homme et une femme dos à dos, qui s’étaient querellés avant de trouver le sommeil… un marchand austère partageant son lit avec une prostituée des quais… l’aubergiste, son matelas devenu inconfortable à cause de tous les sacs de pièces cachés dessous… Puis le rez-de-chaussée, la salle à manger déserte, les écuries et les chevaux… mais nulle trace de Cyllan.
La main gauche de Tarod l’élança et la pierre brilla, attirant son attention. Le pincement fut accompagné d’une vague d’intuition inhumaine qui lui donna la chair de poule, lui assurant qu’où que soit Cyllan, il ne la retrouverait pas par des moyens normaux. Il s’effondra sur le lit et couvrit l’anneau de sa main droite.
Tarod ne voulait pas utiliser la sorcellerie, mais s’il désirait la retrouver, il n’avait pas d’autre choix. Et de cette façon, il saurait si elle était morte ou vivante…
Il ferma ses yeux verts et sentit l’ancienne puissance se réveiller en lui. La sensation était douloureuse et familière jusqu’à la béatitude et malgré ses réticences, il l’accueillit volontiers, la laissant se diffuser à travers les niveaux de son esprit pour prendre le contrôle de sa conscience. Ses yeux s’entrouvrirent, fentes d’émeraude brillant d’une intelligence inhumaine. Le Chaos se mêla à l’humain puis l’éclipsa entièrement. Voir les êtres et les choses au loin était un talent que Tarod avait appris durant ses années au Cercle, mais sa méthode n’avait rien à voir avec les pratiques ritualisées des Adeptes. Il n’avait pas besoin de verre, pas besoin d’invocation et les plans sur lesquels rôdait son esprit s’étendaient bien au-delà que ce que ses pairs auraient jamais pu espérer atteindre.
Les ténèbres. Les ténèbres remuaient, en un rythme lent, comme les flancs de quelque énorme bête amorphe. Une lame de pure lumière s’enfonçait en elles, tremblant et se brisant au fil de l’onde et Tarod comprit qu’il regardait la mer sous les derniers rayons de la lune.
« Cela » naviguait sur la mer et pourtant il ne pouvait l’atteindre… Il sentit une présence, occultée, protégée par une force qui résistait à sa volonté et qui lui glissait entre les doigts quand il pensait pouvoir la saisir. La colère lécha son esprit comme une langue de feu, la fière et froide colère d’une entité qui ne tolérerait pas d’être contrecarrée. Tarod sentit sa puissance se concentrer quand il se libéra des dernières attaches avec le corps humain piégé dans la chambre d’auberge de Shu-Nhadek.
Et ce qui émergea pour embrasser la présence fuyante de la mer n’avait rien d’humain.
Les voiles blanches se gonflaient comme des spectres dans les ténèbres et la titanesque coque d’albâtre découpait les eaux noires. Les langues de feu de Tarod irradièrent de haine et de mépris quand l’aura du grand vaisseau percuta la sienne ; elle était si opposée à ce qu’il était devenu – le vaisseau, le symbole de son ennemi juré – que seule une concentration intense l’empêcha de reculer de dégoût.
Il ne distinguait aucun détail, mais il n’en avait pas besoin : l’image astrale du vaisseau était suffisante. Les passagers avaient embarqué aux dernières heures de la nuit ; le bateau voguait à présent vers l’Île Blanche et le Conclave des Trois. Et Cyllan était à bord…
L’esprit de Tarod réintégra son corps abandonné dans l’obscurité de la chambre et sa fureur explosa. Ses muscles se contractèrent ; il se leva brusquement et une sombre aura s’embrasa autour de lui. Il ne pouvait contenir sa rage… elle était trop énorme, trop inhumaine. Il n’avait aucun contrôle dessus et pourtant il se devait de la contenir, il devait s’agripper à son humanité, combattre la volonté chaotique…
Il bascula, s’effondra sur le lit avec un cri étouffé et quelque chose parut s’extraire de son esprit quand il heurta la paillasse. La chose se désintégra avec un son répugnant. La tête de Tarod tournait et il empoigna l’oreiller, cherchant à se rattacher à quelque chose de réel et de terrestre, quelque chose qui lui serve de point d’ancrage. Après quelques instants, les tourbillons s’atténuèrent, le laissèrent malade et vidé. Lentement, douloureusement, Tarod s’assit.
Il ne s’était pas préparé à la puissance de la haine primordiale qui l’avait submergé en voyant la barque d’Aeoris. C’était une inimitié trop ancienne pour la comprendre et Tarod avait réagi avec tout le mépris et l’insolence incarnés depuis des millénaires dans des souvenirs surnaturels. S’accrochant à son identité humaine, il s’était battu contre cette puissance et l’avait conquise, mais sa victoire avait un prix.
Et s’il avait trouvé Cyllan, il ne pouvait traverser la barrière qui les séparait.
Encore étourdi, sachant à peine ce qu’il faisait, Tarod commença à s’habiller. Ses gestes étaient trop lents ; il était conscient d’être limité par les contraintes de son corps physique et les souvenirs de sa puissance, pourtant enfouis à présent, lui déchiraient l’âme.
Ce serait si simple… il regarda l’anneau à sa main gauche. Le Chaos était une force titanesque, mais sur ce plan, Tarod en était le maître. Il avait déjà banni Yandros, détruisant son seul lien avec ce monde, et le seigneur aux cheveux d’or ne pouvait revenir que si Tarod révoquait son exil et l’invoquait à nouveau. S’il le faisait, la barque blanche et tout son équipage ne feraient pas le poids contre un tel adversaire…
Le rejet suivit de peu cette pensée malsaine et Tarod sursauta en réalisant combien il avait été proche de succomber à la tentation. Il avait senti monter les anciennes alliances ; il avait désiré la présence de Yandros à ses côtés… une telle tentation était l’occasion que le Seigneur du Chaos attendait. Yandros répondrait à sa prière. Et avec son retour, tous les espoirs de Tarod de convaincre Aeoris ne seraient plus que cendres. S’il devait prouver sa loyauté à l’Ordre, en appeler au Chaos, même dans un moment de désespoir intense, serait l’ultime trahison.
Même pour sauver la vie de Cyllan… ?
La question silencieuse était insidieuse et traître. Invoquer Yandros sauverait Cyllan du péril où elle se trouvait… mais après ? Non, cela ne servirait à rien. Le Cercle ne ferait pas de mal à la jeune femme, pas encore ; l’Île Blanche et le Conclave étaient trop proches et Keridil devait avoir d’autres plans pour elle. Cela lui laissait du temps… peu de temps, c’est vrai, mais assez.
Les mains de Tarod tremblaient moins quand il recommença à s’habiller. Même si les pensées impies avaient été bannies, l’obscurité semblait s’être concentrée dans la pièce… Il pouvait presque imaginer qu’une présence se tenait, immobile, dans un coin de la chambre, attentive.
Oui, un peu de concentration, et il aurait presque pu se convaincre qu’il n’était pas seul…
Tarod se dirigea vers la porte, puis s’arrêta, se retourna vers le coin sombre et silencieux et sourit.
— Pas cette fois, Yandros…, dit-il doucement.
La porte se referma sans bruit derrière lui.
Le croissant tordu de la seconde lune se noyait dans l’océan ; l’aube se lèverait dans moins d’une heure et la brume quittait les eaux pour dériver dans la ville, formant des bancs dans les rues et sur la place du marché. Tarod, ombre mouvante dans les vêtements noirs pour lesquels il avait abandonné ses riches atours de marchand, descendit en silence la ruelle, passa devant les tavernes fermées et émergea sur les quais.
Le port était désert. Les ténèbres auraient été absolues si les étoiles n’avaient pas jeté une faible lueur ; seule la silhouette d’un bateau de pêche amarré et se balançant au gré de la houle formait une tache obscure devant la mer de plomb. Tarod se dirigea vers lui, trouva les marches de la jetée et les descendit jusqu’à ce qu’un faible reflet et un bruit régulier d’éclaboussure lui indiquent qu’il avait atteint le niveau de l’océan.
Il s’accroupit sur l’escalier recouvert d’algues et contempla les eaux, vidant son esprit de toutes les pensées à l’exception d’une seule. À sa gauche, au-dessus de lui, une ombre remua. Les yeux du chat sauvage, curieux, reflétèrent la faible phosphorescence de la mer, puis l’animal s’enfuit sans un bruit. Tarod se concentra à nouveau, envoyant le paisible appel mental…
Il n’avait jamais essayé de communiquer avec de telles créatures, mais quelque chose qui allait au-delà de ses instincts naturels lui disait qu’elles viendraient. Elles avaient déjà aidé Cyllan une fois, quand la jeune femme avait failli se noyer dans les eaux féroces entourant les falaises du Château. Et l’intuition de Tarod lui disait qu’elles l’aideraient à présent.
Quand la première tête lisse brisa la surface de l’eau, près du quai, Tarod relâcha son souffle et s’autorisa un sourire de soulagement. Il avait pensé sentir leur présence avant qu’ils n’arrivent, mais non… les fanaani ne l’avaient pas averti. Curieux, mais conscients qu’il s’agissait d’un esprit comme ils n’en avaient jamais touché auparavant, ils avaient approché en secret et Tarod n’avait senti les premières caresses du contact télépathique qu’au moment où trois des magnifiques créatures marines au visage félin avaient émergé.
Étrange… Voilà, traduit en concept humain, ce qui passait dans les esprits étrangers des fanaani. Ils ne savaient pas encore quoi penser de Tarod et rien de ce que celui-ci aurait pu dire ou faire ne les influencerait, ou ne les aurait persuadés de hâter leur jugement. Ces créatures marines avaient leurs lois propres, nul ne pouvait explorer leurs pensées ou leurs motivations. Mais si un esprit était réellement ouvert, il lui était possible de communiquer avec elles en suivant leurs règles insolites.
Tarod laissa ses pensées les effleurer à son tour et sentit à nouveau la curiosité.
M’aiderez-vous ? Comme les fanaani, Tarod se servait de concepts plutôt que de mots, d’images qu’il traduisait dans une forme qu’ils comprenaient mieux que le langage. La plus proche des trois créatures roula dans l’eau, sans faire le moindre remous ; elle était de taille humaine et un éclair d’intelligence étincela dans ses yeux quand elle le regarda.
Secret. La pensée était accompagnée par un frisson de rire muet et il comprit que les fanaani avaient lu son besoin de se rendre sur l’Île Blanche sans que nul autre ne le sache, et que l’idée les amusait. Puis vint un nouveau concept : un animal terrestre glissant dans de vertes profondeurs, ne respirant pas, disparaissant, mourant. Tarod sourit faiblement en comprenant qu’il était cet animal et que les fanaani commentaient avec pitié son incapacité à parcourir à la nage une distance qui, pour eux, n’était rien.
Il répondit avec l’idée d’un fanaani essayant de marcher sur la terre ferme, complétant l’image d’une question ironique. Le fanaani cligna des yeux, roula à nouveau sur lui-même puis s’immergea sans déranger la surface de l’eau. Quand il réapparut quelques secondes plus tard, il y avait un nouveau concept dans son esprit.
Pourquoi ?
Il fouillait pour découvrir son but et Tarod sentit que toute tentative de dissimulation aliénerait ses espoirs. Les fanaani demandaient de l’honnêteté en échange de leur aide et il leur ouvrit ses pensées, les autorisant à sonder ses intentions et à comprendre ce qu’ils pourraient. L’attente sembla interminable, puis il sentit enfin les étranges esprits inquisiteurs se retirer du sien.
Trop tôt. Lumière dessus.
Tarod leva involontairement les yeux. Les étoiles avaient disparu et le ciel commençait à s’éclaircir. Quand il regarda à nouveau les fanaani, il vit que leur fourrure dense avait perdu de sa phosphorescence.
Sombre dessus. Viens. Viens là… Et dans l’esprit de Tarod apparut l’image d’une crique où les vagues se précipitaient sur une bande étroite de sable gris. Sur l’un des flancs, la falaise avançait agressivement dans les flots et l’assaut constant des vagues avait rongé les couches les plus molles du roc pour y creuser une haute arche. Un repère facilement reconnaissable… c’était tout ce dont Tarod avait besoin.
Deux des fanaani, qui durant la conversation ne s’étaient pas approchés de la jetée, se retournèrent et se dirigèrent lentement vers le large. Tarod échangea un dernier regard avec la troisième créature. Merci, projeta-t-il doucement.
Les fanaani disparurent sans un remous. Tarod se redressa et étendit ses muscles, satisfait. Aussi incertains que soient ses alliés, ils l’avaient écouté, et quand le soleil se coucherait ce soir, ils reviendraient tenir leur promesse.
L’horizon n’était encore qu’une ligne de sang séché. Tarod grimpa les marches de la jetée, s’arrêta pour regarder la mer puis se dirigea vers la taverne.
La crique que lui avaient montrée les fanaani se trouvait à neuf lieues à l’est de Shu-Nhadek, où la berge auparavant calme se transformait en falaises hautes et peu hospitalières, qui dominaient les côtes de trois provinces avant de disparaître devant les Grandes Plaines de l’Est. La plage était appelée la Pointe du Havre et avait sauvé bien des marins surpris loin du port par le mauvais temps, mais elle était rarement utilisée et il n’y avait pas d’habitation à proximité. Tarod avait quitté tôt la taverne et déclaré au tenancier qu’il comptait passer la journée à chevaucher, tandis que sa femme, fatiguée, resterait au lit. Quand quelqu’un taperait à la porte pour demander si la dame désirait de la nourriture ou de la boisson, il serait parti depuis longtemps. Il avait laissé assez d’argent dans la chambre pour payer leur séjour, surtout si l’on y ajoutait le prix de la jument de Cyllan.
Tarod fut heureux d’abandonner la ville derrière lui et de plonger dans le calme de la campagne. Il suivit la piste étroite le long de la côte. Son cheval, énervé d’avoir été confiné dans l’écurie de l’auberge, donnait de la tête, appréciant de pouvoir se lancer au petit galop vers le soleil levant.
Il vit la crique longtemps avant de l’atteindre : un long éperon de roc avançant dans la mer, une arche presque symétrique découpée dans sa pointe. Il lui restait encore une lieue ou deux à parcourir et il ralentit sa monture, l’autorisant à traîner et à grignoter les feuilles des buissons luxuriants.
Il avait toute la journée devant lui.
Une demi-heure plus tard, Tarod atteignit la crique et se redressa sur sa selle pour contempler le triangle de plage au pied de la falaise. Midi approchait et dans la lumière vermeille qui baignait le paysage, il aperçut un goulet creusé dans le roc, formant un chemin escarpé mais négociable jusqu’à la plage.
Tarod descendit de son cheval et avec un certain soulagement, retira la lourde cape brodée qui lui avait permis de tenir son rôle de riche marchand. Il retira également les bottes de cuir et sa bourse, les laissant tomber sur l’herbe. À partir de maintenant, il serait plus à l’aise pieds nus… Il dessella son cheval et posa le harnais à côté de sa cape, puis caressa le museau de l’animal qui lui répondit en soufflant doucement avant de se concentrer sur l’herbe qui l’entourait. Il ne s’était pas encore rendu compte que Tarod lui avait rendu sa liberté. Sans doute quelqu’un le trouverait-il et s’en emparerait, comme il trouverait les vêtements et l’argent qu’il avait laissés. S’il reconnaissait les biens abandonnés comme ayant appartenu au négociant ayant séjourné à Shu-Nhadek, son identité et son sort seraient un jour découverts, mais cela n’aurait plus d’importance alors…
Le hongre releva la tête et regarda Tarod s’éloigner vers l’embouchure du goulet avec une légère curiosité, puis il perdit tout intérêt et se mit de nouveau à brouter. Sans se retourner, Tarod s’engagea sur la pente précaire et sinueuse. Elle était plus facile à négocier qu’il n’y paraissait et après quelques minutes, il atteignit la plage et la bande étroite léchée par les vagues. Le sable était froid, humide et acéré sous ses pieds, composé des vestiges de millions de minuscules coquilles broyées au fil des marées. Il se tint au bord de l’eau et tenta de voir l’Île Blanche, mais l’horizon était perdu dans les brumes et il n’en trouvait aucune trace.
La barque devait à présent avoir atteint sa destination… Pensif, Tarod se retourna et partit s’asseoir sur les rochers écroulés. Cyllan devait être en vie et n’avait pas dû être maltraitée ; connaissant Keridil, il doutait que le Haut Initié ait pris une décision hâtive la concernant. Il la considérerait plutôt comme un appât idéal pour attirer son ennemi sur l’île… et en cela, il avait raison, même si Keridil n’avait probablement pas anticipé la façon dont Tarod arriverait.
Et quand il débarquerait, que se passerait-il ? Tarod avait fait des plans et était déterminé à s’y tenir et à les voir aboutir, mais avant cet instant, il avait toujours réussi à ne pas penser trop précisément aux conséquences de ses actions.
Hélas, aujourd’hui, durant ce long après-midi tranquille, où il n’avait rien d’autre à faire que rester assis et regarder la mer, il avait peu de défenses contre les questions et les appréhensions tapies au fond de son esprit.
Il pariait non seulement sa vie, mais son âme, sur l’espoir que l’arbitre suprême l’entendrait en toute justice. Mais tant de choses étaient arrivées depuis qu’il avait promis, la première fois, de livrer la pierre du Chaos sur l’Île Blanche qu’il ne savait plus s’il pouvait se fier à son jugement. Des gens innocents étaient morts par sa main et par celle de Cyllan. Et aussi grandes que soient sa justice et sa pitié, Aeoris ne pouvait fermer les yeux sur ces actes. Tarod devrait faire face aux accusations de Keridil quand il plaiderait son cas… le plus grand des sept dieux accepterait-il d’écouter un homme accusé d’être un serviteur du Chaos par son propre Haut Initié ?
Tarod se retourna brusquement, furieux de s’être laissé aller à de telles pensées. Il n’y avait pas de place pour le doute ; il n’osait pas lui laisser de prise… s’il le faisait, il prendrait racine et croîtrait trop vite pour être contenu. Il avait pris sa décision et ne devait pas faillir. De plus, son choix était clair. L’Ordre ou le Chaos… il n’y avait pas d’alternative. Tarod avait choisi son chemin, il le continuerait jusqu’au bout.
Néanmoins, son humeur était loin d’être heureuse quand il s’allongea sur la pierre pour attendre que le ciel s’assombrisse.
Il réalisa plus tard qu’il avait dormi une bonne part de l’après-midi. Quand il se réveilla, les derniers rayons de soleil dardaient à l’ouest, embrasant les bords de la falaise. La crique était plongée dans l’ombre ; la marée refluait et l’endroit ne semblait plus aussi agréable qu’à midi. D’ailleurs, le froid commençait à percer sous la chemise de Tarod.
Il se leva, s’étira pour détendre ses muscles endoloris et se dirigea lentement vers l’eau. Les derniers reflets d’écume marquaient la limite entre le sable et l’océan, mais au-delà des vagues, le ciel et la mer n’étaient plus discernables.
Il se demanda quand ils viendraient et réprima un frisson qui n’avait rien à voir avec l’air glacé.
Tarod ne calcula pas combien de temps il resta sur la berge tandis que le crépuscule se muait en ténèbres. Enfin, il entendit une étrange note, lointaine mais pourtant perceptible malgré le murmure des eaux. Quelques instants plus tard, une autre note se mêla à la première, puis une autre, créant une pure harmonie qui lui serra la gorge. Le chant des fanaani… ils étaient là et ils l’attendaient.
Tarod prit une longue inspiration et ouvrit son esprit en sentant les pensées étrangères le sonder. Au début, elles n’étaient composées de rien d’autre que d’images fantasmatiques marines, qui peu à peu se concentrèrent jusqu’à ce que des mots se forment clairement dans l’esprit de Tarod.
Viens… rejoins-nous… rejoins-nous…
Les ténèbres étaient complètes, mais une vague se brisa à ses pieds et Tarod les vit, formes plus noires sur la houle. Le doute et la peur l’assaillirent. Réprimant ces sentiments, il s’avança.
La mer tourbillonna autour de ses chevilles, puis de ses genoux. La plage s’enfonçait abruptement. La première vague qui le frappa était glaciale et le fit grincer des dents. Tarod attendit la vague suivante et plongea pour la rencontrer, sortant derrière elle et secouant l’eau de ses cheveux et de ses yeux.
Après un dernier regard pour la crique silencieuse, il s’élança vers le large.
Les fanaani l’accueillirent quand il se dégagea des abords de la falaise ; ils étaient trois, comme la veille, mais il ne sut s’il s’agissait des mêmes créatures avec lesquelles il avait communiqué dans le port de Shu-Nhadek. Des corps lisses se glissèrent à ses côtés et Tarod sentit un animal se frotter contre lui. Il tendit le bras pour agripper une puissante épaule couverte de fourrure tandis que de l’autre côté, un second animal se mettait en position pour compléter le lien. Devant eux, Tarod distinguait à présent le troisième : un animal plus gros au regard calme et sage.
Tarod sourit, forma des paroles de remerciement dans son esprit et le fanaani de tête émit une série de notes dans une gamme inhumaine. Comme s’il s’agissait d’un signal, les deux créatures à ses côtés s’élancèrent. Tarod sentit les muscles puissants se contracter sous ses mains et vit la mer se gonfler à sa rencontre… puis les fanaani filèrent vers l’horizon noir et vide.