Le petit Rudi Gunn, gravement blessé et à peine capable de se tenir debout, s'accroupit soudain et se jeta en avant, la tête la première dans l'estomac de l'homme prêt à violer Loren. Sa charge n'avait guère plus de force qu'un coup de manche à balai contre la grille d'une forteresse. Le grand Péruvien grogna à peine avant de lui envoyer un revers de la main qui fit rouler Gunn sur le plancher de la

caverne.

- Jetez cette petite vermine dans la rivière, ordonna Amaru.

- Non ! cria Loren. Je vous en supplie, ne le tuez pas !

L'un des hommes d'Amaru prit Gunn par la cheville et commença à le tirer vers l'eau.

- Vous faites sans doute une grosse erreur, avertit Sarason.

- Pourquoi ? demanda Amaru sans comprendre.

- La rivière se jette probablement dans le golfe. Au lieu de leur donner un corps à identifier, il vaudrait mieux le faire disparaître à jamais. Amaru réfléchit un moment. Puis il éclata de rire.

- Une rivière souterraine qui les emporte dans la mer de Cortez, ça me plaît. Les enquêteurs américains ne supposeront jamais qu'on les a tués à

cent kilomètres de là o˘ on les trouvera. Décidément, l'idée me plaît. (Il fit signe à l'homme qui tenait Gunn de continuer.) Lance-le dans le courant aussi loin que tu pourras.

- Non ! Je vous en prie, supplia Loren. Laissez-le vivre et je ferai tout ce que vous voudrez.

- Tu le feras de toute façon, dit Amaru, implacable. Le garde lança Gunn dans la rivière avec l'aisance d'un athlète lançant le marteau. D y eut un grand bruit et Gunn disparut dans l'eau sombre sans un mot. Amaru fit signe à Julio.

- que le spectacle commence.

Loren hurla et réagit comme un chat. Elle se jeta sur l'homme qui lui tenait le bras et lui enfonça les longs ongles de ses pouces profondément dans les yeux.

Le cri d'agonie du Péruvien résonna dans la caverne du trésor. L'homme qu'on avait autorisé à violer Loren porta les mains à ses yeux et hurla comme un porc qu'on égorge. Amaru, Sarason et les autres furent un instant paralysés de surprise en voyant le sang jaillir sous les doigts de leur camarade.

- Oh ! Mère de Dieu ! cria Julio. Cette chienne m'a rendu aveugle ! Amaru s'approcha de Loren et la gifla de toutes ses forces. Elle tituba, recula mais ne tomba pas.

- Tu vas payer pour ça! dit-il d'une voix glaciale. quand tu nous auras servi comme nous l'entendons, tu recevras le même traitement avant de mourir.

Dans les yeux de Loren, la peur avait fait place à une rage froide. Si elle en avait eu la force, elle se serait battue contre eux bec et ongles avant de succomber. Mais les jours de mauvais traitements et de sous-alimentation l'avaient affaiblie. Elle lança un coup de pied à Amaru. Le coup ne parut pas lui faire plus d'effet qu'une piq˚re de moustique.

n lui prit les bras et les tordit derrière son dos. Pensant l'avoir réduite à l'impuissance, il essaya de l'embrasser. Mais elle lui cracha au visage.

Furieux, il lui donna un coup de pied dans le ventre.

Loren se plia en deux, étouffant de douleur et en même temps cherchant sa respiration. Elle tomba à genoux puis, lentement, sur le côté, toujours pliée et se tenant l'estomac à deux mains.

- Puisque Julio ne peut plus en profiter, dit Amaru, servez-vous tous ! Les bras tendus, épais et solides, des mains comme des serres se saisirent d'elle. Ils la firent rouler sur le dos, la maintenant par les bras et les jambes.

374

L'OR DES INCAS

LE PASSAGE DU CAUCHEMAR

375

Immobilisée comme une souris de laboratoire par la force combinée de trois hommes dont celui qui n'avait qu'un oil, Loren hurla de désespoir sans défense.

On lui arracha les restes déchirés de ses vêtements. Sa peau douce et crémeuse brilla sous les lumières artificielles laissées là par les sapeurs. La vue de son corps nu fit encore monter l'excitation de ses bourreaux.

Le quasimodo borgne s'agenouilla et se pencha sur elle, le souffle court, les lèvres tirées en une grimace d'animal en rut. Il pressa sa bouche sur la sienne. Ses cris furent soudain étouffés quand il mordit sa lèvre inférieure au point qu'elle sentit le go˚t du sang. Loren pensa suffoquer, en plein cauchemar. € se redressa et passa ses mains calleuses sur ses seins. Elle eut l'impression qu'on la frottait au papier de verre. Son regard violet était malade de dégo˚t. De nouveau, elle hurla.

- Oui! Bats-toi! murmura la voix grasseyante de la brute. J'adore les femmes qui me résistent.

Loren ressentit toute la profondeur de l'humiliation et de l'horreur quand le cyclope se pencha à nouveau sur elle. Ses cris de terreur devinrent des hurlements

de douleur.

Puis brusquement, ses mains furent libérées et elle griffa le visage de son attaquant de toutes ses forces. Il se releva, ahuri, de grands traits parallèles rouges apparaissant sur ses joues. Il jeta un regard noir aux deux hommes qui avaient soudain l‚ché les bras et les jambes de sa proie.

- Espèces d'idiots ! Mais qu'est-ce que vous fichez? siffla-t-il.

Les hommes, qui faisaient face à la rivière, tombèrent presque à la renverse, la bouche ouverte, sidérés. Ils se signèrent comme pour conjurer le diable. Ils ne regardaient pas le violeur de Loren. Leurs yeux fixaient la rivière, au-delà. Etonné, Amaru se tourna et regarda lui aussi les eaux noires. Ce qu'il vit aurait suffi à faire sombrer un homme sain dans la folie. Il ouvrit à son tour la bouche de stupeur en voyant la lumière fantomatique, sous l'eau, se diriger vers lui. Tous restèrent bouche bée, comme hypnotisés, tandis que la lumière atteignait la surface et devenait une tête recouverte d'un casque.

Comme un spectre hideux s'élevant des abysses troubles de quelque enfer liquide, une forme lunaire sortit lentement des profondeurs sombres de la rivière et s'avança vers la rive. L'apparition, couverte de longues lanières déchirées comme des algues, ne semblait pas appartenir à ce monde mais aux abîmes terrifiants d'une planète inconnue. L'effet fut rendu plus sinistre encore par la réapparition

du mort.

Serré sous son bras droit, comme un père tenant son enfant, l'apparition tenait le corps inerte de Rudi Gunn.

55

Le visage de Sarason prit la teinte blanche d'un masque mortuaire. Son front se couvrit de sueur. Pour un homme peu impressionnable, le choc lui donna un regard de fou. Il demeura muet et immobile comme si la monstruosité l'avait changé en statue de sel.

Amaru sauta sur ses pieds et essaya de parler mais sa gorge ne laissa passer qu'une sorte de croassement. Ses lèvres tremblèrent. Il finit par articuler :

- Va-t'en, diablo! Retourne en infierno !

Le fantôme posa doucement Gunn par terre. D'une main, il retira son casque.

Puis il baissa la fermeture éclair de sa combinaison de plongée et glissa la main à l'intérieur. On voyait bien ses yeux verts, maintenant, posés sur le corps de Loren, étendu sur la roche froide et dure. Une colère terrible y brilla sous les lumières artificielles.

Les deux hommes qui tenaient encore les jambes de la jeune femme regardèrent, muets de surprise, le CoÔt qui claqua deux fois avec un bruit assourdissant. Leurs visages se déformèrent, leurs têtes explosèrent et ils tombèrent comme des masses sur les genoux de Loren. Les autres s'éloignèrent de la jeune femme en courant comme si elle avait soudain la peste noire. Julio grogna dans le coin d'o˘ il ne voyait rien, les mains appliquées sur ses yeux blessés.

Loren ne pouvait même plus hurler. Elle regarda l'homme sorti de la rivière, le reconnaissant mais persuadée qu'il s'agissait d'une hallucination.

Amaru, choqué, refusait de croire ce qu'il voyait puis, réalisant soudain qui était l'apparition, sentit son cour se glacer.

- Vous ! éructa-t-il d'une voix étranglée.

- Tu as l'air surpris de me voir, Tupac, dit calmement Pitt. Cyrus a l'air un peu verd‚tre aussi.

- Vous êtes mort ! Je vous ai tué !

- quand on travaille comme un amateur, on a un résultat d'amateur. Pitt visa les hommes les uns après les autres et s'adressa à Loren sans la regarder.

- Es-tu gravement blessée?

Elle mit du temps à répondre, trop sidérée pour parler. Finalement, elle dit presque en bégayant :

- Dirk ! Est-ce bien toi ?

- S'il y en a un autre, j'espère qu'on l'attrapera avant qu'il se serve de mon chéquier. Désolé de ne pas être arrivé plus tôt.

- Gr‚ce à toi, je vivrai assez longtemps pour voir ces bêtes puantes payer pour ce qu'ils ont fait, dit-elle rageusement.

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LE PASSAGE DU CAUCHEMAR

377

- Tu n'auras pas longtemps à attendre, assura Pitt d'un ton glacial. Es-tu assez forte pour remonter le passage?

- Oui, oui, murmura-t-elle, commençant seulement à réaliser qu'elle était sauvée.

Elle frissonna en repoussant les deux cadavres et se mit debout avec difficulté, indifférente à sa nudité.

- Rudi est en bien mauvais état, ajouta-t-elle en montrant Gunn.

- Ce sont ces sadiques qui vous ont fait tout ça?

Loren fit signe que oui, sans rien dire.

Les dents serrées, fou de rage froide, Pitt eut un regard meurtrier.

- Cyrus vient de se proposer pour porter Rudi jusqu'en haut. Il pointa son arme vers Sarason.

- Donne-lui ta chemise. Loren secoua la tête.

- Je préfère rester nue que de porter sa vieille chemise pleine de sueur.

Sarason savait qu'il risquait une balle et sa peur fit place à son instinct de conservation. Son esprit tordu commençait à imaginer un plan pour se tirer de là. Il se laissa tomber sur le sol de pierre comme si le choc était trop fort pour lui. Sa main droite, posée sur un genou, n'était qu'à

quelques centimètres du calibre 38

attaché à sa jambe, dans sa botte.

- Comment êtes-vous arrivé jusqu'ici? demanda-t-il en essayant de gagner du temps.

Pitt ne se laissa pas prendre.

- Nous nous sommes inscrits à une croisière souterraine.

- Nous?

- Le reste de l'équipe sera là d'une minute à l'autre, mentit Pitt.

Soudain, Amaru cria aux deux hommes valides qui lui restaient :

- Descendez-le !

Tueurs endurcis, peut-être, mais les deux hommes n'avaient aucune envie de mourir. Ils ne firent pas l'effort de prendre leurs armes automatiques qu'ils avaient posées pendant le viol de Loren. Un coup d'oil au CoÔt 45 de Pitt et à son air déterminé suffit à leur ôter toute tendance suicidaire.

- Espèces de l‚ches ! gronda Amaru.

- On fait toujours faire le sale boulot aux autres, hein? dit Pitt. Je crois que j'ai fait une erreur en ne te tuant pas au Pérou.

- Ce jour-là, j'ai juré que tu souffrirais autant que tu m'as fait souffrir.

- Ne compte pas sur le Solpemachaco pour te verser une pension d'invalidité.

- Avez-vous l'intention de nous tuer de sang-froid? demanda Sarason.

- Pas du tout. Toi, tu as tué de sang-froid le Dr Miller et Dieu sait combien d'innocents qui se trouvaient sur ton chemin. Et comme je suis l'ange de leur vengeance, je suis ici pour t'exécuter.

- Sans même un jugement? protesta Sarason dont la main glissait lentement vers sa botte et son derringer.

D remarqua alors que les blessures de Pitt étaient plus graves que les quelques coupures de son front. Ses épaules montraient sa fatigue, son allure manquait de vigueur. Sa main gauche, de guingois, reposait contre sa poitrine. Sarason comprit qu'il avait d˚ se casser le poignet et quelques côtes. Son moral remonta en réalisant que Pitt était à deux doigts de s'effondrer.

- Tu n'aurais pas le culot de demander justice? dit Pitt avec mépris.

Dommage que le système judiciaire américain n'applique pas aux tueurs le sort qu'ils ont appliqué aux victimes.

- Vous n'avez aucun droit déjuger mes actes. Sans mes frères et moi, des milliers d'objets d'art seraient en train de pourrir dans les caves des musées du monde entier. Nous les avons remis en état et confiés à des gens qui apprécient leur valeur.

Pitt cessa de regarder autour de lui pour fixer Sarason.

- Tu appelles ça une excuse? Justifier des vols et des meurtres à grande échelle juste pour que tes salauds de frères et toi puissiez faire de gros bénéfices ? Tout ce qu'on peut dire de toi, mon vieux, c'est que tu es un charlatan et un hypocrite.

- Ma mort ne mettra pas fin aux activités de ma famille.

- Tu n'as pas entendu? dit Pitt avec un sourire sans joie. Zolar International est passé à la trappe. Les agents fédéraux ont fait une descente dans tes entrepôts de Gai veston. Ils y ont trouvé assez de butin pour remplir une centaine de musées.

Sarason, la tête renversée en arrière, éclata de rire.

- Notre quartier général de Galveston est une affaire parfaitement honnête.

Tout ce qu'il contient est acheté et vendu légalement.

- Je parle du deuxième entrepôt, dit Pitt.

Sur le visage bronzé de Sarason passa un éclair d'appréhension.

- Il n'y a qu'un seul b‚timent.

- Non, il y en a deux. L'entrepôt de stockage séparé par un tunnel pour transporter les marchandises illégales jusqu'au b‚timent o˘ le sous-sol renferme les antiquités de contrebande, les ateliers de copies et toute une collection d'objets volés.

Sarason parut avoir reçu un violent coup sur la tête.

- Le Diable vous emporte, Pitt ! Comment pouvez-vous savoir ça?

- Parce que deux agents fédéraux, un des Douanes et l'autre du FBI, m'en ont fait une description très vivante. J'ajouterai qu'ils vous attendent à

bras ouverts quand vous essaierez de faire entrer en douce le trésor de Huascar aux Etats-Unis.

Le doigt de Sarason n'était plus qu'à un centimètre de son petit pistolet à

canon double.

- Alors ils peuvent attendre, dit-il en reprenant son air blasé de façade.

L'or ne va pas aux Etats-Unis.

- Aucune importance, dit Pitt sans élever la voix. Tu ne seras pas là pour le dépenser.

Caché par son genou passé sur l'autre jambe, les doigts de Sarason ren-378

L'OR DES INCAS

LE PASSAGE DU CAUCHEMAR

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contrèrent le derringer et commencèrent à le faire glisser lentement hors de sa botte, n misait sur le fait que les blessures de Pitt ralentiraient ses réactions juste la fraction de seconde nécessaire, n décida de renoncer à le viser brusquement. S'il manquait la première balle, il savait parfaitement que, malgré ses blessures, Pitt ne le laisserait pas tirer la seconde. Il hésita, cherchant comment créer une diversion. Il vit Amaru et ses deux sbires surveiller Pitt en refrénant une colère noire. Julio ne pourrait servir à rien.

- C'est vous qui n'avez plus longtemps à vivre, dit-il. Les soldats mexicains qui nous ont aidés à emporter le trésor ont sans doute entendu vos coups de feu et vont débouler ici pour vous abattre.

Pitt haussa les épaules.

- Ils doivent faire la sieste, sinon ils seraient déjà là.

- Si nous l'attaquons tous en même temps, dit Sarason sur le ton de la conversation, comme s'ils étaient tous assis autour d'un bon dîner, il tuera deux, peut-être trois d'entre nous avant que le survivant ne le tue.

Pitt le regarda froidement et sans passion.

- La question est de savoir qui sera le survivant.

Amaru se fichait de savoir qui vivrait et qui mourrait. Son esprit mauvais savait qu'il n'avait aucun futur en tant qu'homme. Il n'avait plus rien à

perdre. Sa haine pour celui qui l'avait émasculé décupla la rage déjà

soutenue par le souvenir de sa douleur et de son agonie mentale. Sans un mot, il s'élança sur Pitt.

Comme un éclair de muscles, Amaru s'approcha tel un chien enragé, essayant de saisir la main armée de Pitt. La balle pénétra la poitrine du Péruvien, traversant le poumon, dans un formidable claquement. L'impact aurait stoppé

net un homme ordinaire mais la colère d'Amaru le dépassait, le soutenait, le transformait en une sorte de pitbull enragé. Il poussa un grognement quand l'air quitta ses poumons puis s'écrasa sur Pitt, l'envoyant bouler vers la rivière.

Pitt aussi laissa échapper un cri de douleur, le choc ayant réveillé la souffrance de ses côtes cassées. Il se tourna désespérément, écartant le bras d'Amaru qui tentait de lui arracher l'arme et le repoussant brutalement. Il frappa un premier coup sur la tête de son assaillant avec la crosse du CoÔt et arrêta son mouvement en apercevant du coin de l'oil les deux gardes encore vivants sur le point de saisir leurs fusils.

Malgré la douleur, la main de Pitt resta ferme. La balle suivante atteignit le cou du garde grotesque et borgne. Ignorant Julio, désormais aveugle, il tira en pleine poitrine de son acolyte.

Pitt entendit le cri d'alarme de Loren comme s'il venait de très loin. Trop tard, il vit Sarason pointer sur lui son pistolet à canon double. Son corps ne répondit pas assez vite et il bougea une fraction de seconde trop tard.

U vit partir le coup de feu et ressentit à l'épaule gauche le coup de butoir d'un marteau-piqueur avant même d'entendre le bruit de l'explosion.

Poussé par l'impact, il tomba à la renverse dans l'eau. Amaru le suivit comme un ours blessé décidé à mettre en pièces un renard estropié. Le courant enveloppa Pitt, l'écartant de la rive. Il s'accrocha désespérément aux pierres du fond pour résister à son emprise.

Sarason s'approcha lentement du bord et contempla la lutte qui se déroulait dans la rivière. Amaru avait attrapé Pitt par la taille et tentait de le tirer au fond. Avec un sourire impitoyable, il visa soigneusement la tête de Pitt.

- Bel effort, monsieur Pitt. Vous êtes très résistant. «a vous paraîtra peut-être bizarre mais vous me manquerez.

Mais le coup de gr‚ce ne partit pas. Comme des tentacules noirs, deux bras saisirent les jambes de Sarason et serrèrent ses chevilles. U baissa les yeux et regarda la chose innommable qui le tenait. Frénétiquement, il se mit à frapper la tête apparaissant entre les bras.

Giordino avait suivi Pitt en flottant le long de la rivière. Le courant n'avait pas été aussi fort qu'il l'avait craint jusqu'à la caverne au trésor et il avait pu s'approcher jusqu'à la rive sans se faire remarquer, n avait maudit son impuissance à aider Pitt dans sa lutte avec Amaru mais quand Sarason était passé à sa portée, il avait pu s'accrocher à lui.

D ignora les coups brutaux qui pleuvaient sur sa tête. Levant les yeux vers Sarason, il parla d'une voix profonde et épaisse.

- Bons souvenirs de l'enfer, petit farceur !

Sarason reprit vite ses esprits en voyant Giordino et dégagea un pied pour garder son équilibre. Voyant que Giordino ne faisait pas mine de se mettre debout, il comprit immédiatement que son ennemi devait être gravement blessé à partir des hanches. Méchamment, il lui envoya un coup de pied qui lui atteignit la cuisse. Il en fut récompensé en voyant le corps de Giordino sauter en un spasme de douleur qui lui fit l‚cher la cheville de Sarason.

- J'aurais d˚ deviner que vous ne seriez pas loin, dit-il en tentant de reprendre son équilibre.

n jeta un coup d'oeil à son arme, sachant qu'il ne lui restait qu'une balle mais conscient du fait qu'il y avait quatre ou cinq automatiques derrière, non loin de lui. D observa Pitt et Amaru, liés dans une lutte à mort.

Inutile de g‚cher une balle en tirant sur Pitt. La rivière avait pris les deux lutteurs dans son étreinte et les entraînait implacablement vers l'aval. Si Pitt survivait et réussissait à sortir de l'eau, Sarason disposait d'un arsenal pour en finir avec lui. Il fit donc son choix. Se penchant au-dessus de l'eau, il pointa son canon double entre les deux yeux de Giordino.

Loren se jeta sur lui, lui attrapant la taille pour tenter de l'arrêter. U

se débarrassa de son étreinte en l'envoyant bouler sur le côté sans même lui jeter un regard. Elle tomba lourdement sur une des armes laissées à

terre, la leva et appuya sur la détente, n ne se passa rien. Elle ne connaissait pas assez les armes pour penser au cran de s˚reté. Elle poussa un faible cri lorsque Sarason, s'approchant d'elle, lui assena un coup de crosse sur la tête.

Soudain il se retourna. Gunn, ayant repris conscience, venait de lui jeter une pierre qui l'atteignit à la hanche comme une balle de tennis lancée sans force.

Sarason secoua la tête, étonné de la force d'‚me et du courage de ces gens qui résistaient avec une telle ferveur. D fut presque désolé qu'ils soient obligés de mourir. Il se retourna vers Giordino.

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- On dirait que votre sursis n'aura été que temporaire, se moqua-t-il en tenant son arme à bout de bras, bien en face de la tête de Giordino.

Malgré la douleur de ses jambes brisées et le spectre de la mort devant lui, Giordino planta son regard dans celui de Sarason et lui cracha :

- Je t'emmerde!

Le coup explosa comme un coup de canon à l'intérieur de la caverne, suivi par le choc sourd du plomb pénétrant dans la chair vivante. Giordino fut décontenancé en voyant l'expression étrangement confuse de Sarason. Celui-ci se retourna et fit machinalement deux pas sur la berge avant de tomber lentement en avant sur le sol de pierre, inanimé.

Giordino eut du mal à croire qu'il était encore vivant. Levant les yeux, il regarda, sidéré, le petit homme vêtu comme un valet de ferme et tenant une winchester à la main et qui s'avançait dans le cercle de lumière.

- qui êtes-vous? demanda-t-il.

- Billy Yuma. Je suis venu pour aider mon ami.

Loren, une main appuyée sur sa tête blessée, le regarda avec stupeur.

- Ami?

- L'homme qui s'appelle Pitt.

En entendant ce nom, Loren se leva d'un coup et courut au bord de la rivière.

- Je ne le vois pas ! cria-t-elle, affolée.

Giordino sentit son cour se serrer. fl cria le nom de Pitt mais seule sa voix résonna dans la caverne.

- Oh ! Mon Dieu ! Non ! murmura-t-il avec angoisse, n a disparu !

Gunn se releva avec une grimace et tenta de percer l'obscurité des eaux roulantes. Comme les autres, qui avaient calmement envisagé la mort cinq minutes plus tôt, il fut bouleversé de constater que son vieil ami avait été emporté vers sa

propre mort.

- Dirk pourra revenir à la nage, dit-il plein d'espoir.

- Impossible, fit Giordino en secouant la tête. Le courant est trop fort.

- O˘ va la rivière? demanda Loren au bord de la panique. Giordino donna un coup de poing coléreux et impuissant sur la roche massive.

- Jusqu'au golfe. Dirk a été emporté vers la mer de Cortez, à cent kilomètres d'ici.

Loren s'effondra sur le sol calcaire de la caverne et se couvrit le visage de

ses mains, secouée de sanglots.

- Il ne m'a sauvée que pour mourir !

Billy Yuma s'agenouilla près d'elle et tapa affectueusement son épaule nue.

- Si personne d'autre n'y peut rien, peut-être que Dieu l'aidera. Giordino avait mal au cour. Il ne sentait plus ses propres blessures, n regardait sans les voir les profondeurs de la rivière.

- Cent kilomètres, répéta-t-il. Même Dieu ne pourrait garder en vie un homme avec le poignet cassé, des côtes fêlées et une balle dans l'épaule sur cent kilomètres d'eaux tumultueuses dans une obscurité totale.

Après avoir installé tout le monde du mieux qu'il le pouvait, Yuma se h‚ta de remonter au sommet o˘ il raconta ce qui venait de se passer. Ses parents eurent honte de n'avoir pas osé pénétrer au cour de la montagne. Us fabriquèrent des civières avec ce que les sapeurs avaient laissé en partant et transportèrent avec tendresse Gunn et Giordino le long du passage jusqu'en haut. Un vieil homme offrit gentiment à Loren une couverture de laine tissée par sa femme.

A la demande de Giordino, on plaça Gunn sur une civière dans l'hélicoptère volé à la NUMA et abandonné par les Zolar. Loren s'installa sur le siège du copilote tandis que Giordino, le visage crispé de douleur, fut soulevé et installé aux commandes à la place du pilote.

- n va falloir qu'on s'entraide pour faire voler cet oiseau, dit-il à Loren tandis que la douleur de ses jambes diminuait un peu. Tu feras fonctionner les pédales qui commandent les rotors anticouple.

- J'espère que je pourrai, répondit-elle nerveusement.

- Manouvre tes pieds tout doucement et tout ira bien.

Par la radio de l'hélicoptère, ils alertèrent Sandecker qui faisait les cent pas dans le bureau de Starger, au quartier général des Douanes et l'avertirent de leur arrivée prochaine. Giordino et Loren exprimèrent leur gratitude à Billy Yuma, sa famille et ses amis et leur firent leurs adieux.

Puis Giordino mit en marche le réacteur et le laissa chauffer une minute en vérifiant les instruments. La commande du cyclique au neutre, il actionna le collectif et mit les gaz en poussant doucement le manche vers l'avant.

Puis il se tourna vers Loren.

- Dès que nous commencerons à nous élever en l'air, l'effet du rotor fera tourner notre queue vers la gauche et notre nez vers la droite. Tu appuieras doucement sur le palonnier de gauche pour compenser.

- Je ferai de mon mieux, fit Loren humblement. Mais honnêtement, je préférerais être ailleurs.

- Nous n'avons pas le choix. Maintenant, il faut y aller. Rudi serait mort avant qu'on arrive au pied de la montagne si on le descendait à dos d'homme.

L'hélicoptère s'éleva très lentement à moins d'un mètre du sol. Giordino le laissa à cette hauteur pendant que Loren se familiarisait avec les palonniers contrôlant le rotor de queue. Au début, elle eut tendance à

appuyer trop fort mais peu à peu, elle s'habitua et fit signe qu'ils pouvaient y aller.

- Je crois que je suis prête, dit-elle.

- Alors on décolle.

Vingt minutes plus tard, travaillant à l'unisson, ils accomplissaient un atterrissage parfait à côté de l'immeuble des Douanes à Calexico o˘ les attendait l'amiral Sandecker, tirant nerveusement sur son cigare à côté

d'une ambulance.

Dès qu'Amaru le fit plonger de force sous l'eau et qu'il sentit les m

‚choires du courant se refermer sur son corps, Pitt comprit qu'il ne pourrait pas retourner à la caverne du trésor. JJ était doublement coincé, par un tueur qui s'appuyait sur lui comme une brute et par une rivière décidée à le porter jusqu'en enfer.

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Même si aucun des deux hommes n'avait été blessé, il n'y aurait pas eu de suspense. Amaru, tout égorgeur qu'il f˚t, ne faisait pas le poids devant l'expérience de Pitt sous l'eau. Pitt prit une profonde respiration avant que l'eau se referme sur sa tête, mit son bras valide autour de sa poitrine pour protéger ses côtes cassées et se détendit autant qu'il put malgré la douleur, sans perdre ses forces à combattre son assaillant. Machinalement, il tenait toujours fermement son pistolet, tout en sachant que tirer avec dans l'eau lui aurait probablement brisé tous les os de la main. Il sentit que l'emprise d'Amaru autour de sa taille se rel‚chait et descendait vers ses hanches. L'assassin était fort comme un Turc, n s'agrippait à Pitt avec fureur, essayant toujours de lui arracher le pistolet tandis que le courant les roulait comme des poupées dans un tourbillon.

Ds ne se voyaient pas dans cette obscurité liquide. Sans la plus petite lueur, Pitt avait l'impression d'être plongé dans l'encre. Seule sa colère garda Amaru en vie pendant les quarante-cinq secondes qui suivirent, n n'entrait pas dans son esprit borné qu'il se noyait doublement : son poumon perforé se remplissait de sang tandis qu'en même temps, il avalait de l'eau. Ses dernières forces l'abandonnaient quand ses pieds, en s'agitant, heurtèrent un haut fond de sable accumulé le long d'un coude de la rivière.

Il remonta, crachant du sang et de l'eau, dans une petite galerie et se jeta aveuglément en avant pour attraper le cou de Pitt.

Mais il ne restait rien à Amaru. Même la lutte lui échappait. Dès que sa tête sortit de l'eau, il sentit que le sang s'échappait de sa blessure à la poitrine.

Pitt vit qu'il était capable, avec un effort minime, de ramener Amaru au milieu du courant. D ne vit pas le Péruvien s'éloigner en flottant dans l'obscurité infernale. Il ne put observer le visage p‚le d'o˘ toute couleur avait disparu, ni les yeux br˚lant de haine, ni la mort qui l'approchait.

Mais il entendit la voix malveillante qui, peu à peu, s'éloignait.

- Je t'ai dit que tu souffrirais, disait-elle, à peine plus audible qu'un murmure. Maintenant, tu vas rester là et mourir dans les tourments de la solitude.

- Rien de tel pour bien mourir qu'une orgie de grandeur poétique, dit Pitt d'un ton glacial. Amuse-toi bien jusqu'au golfe!

Seule une quinte de toux lui répondit, suivie d'un gargouillement et, enfin, le

silence.

La douleur déferla en Pitt comme une vengeance. Elle s'étendit en une vague de feu de son poignet cassé à la blessure de son épaule et jusqu'à ses côtes fêlées. Il ne savait pas s'il aurait la force de lutter. La fatigue adoucit un peu la douleur. Il se sentait plus fatigué qu'il né l'avait jamais été. Il nagea jusqu'à une zone sèche du haut fond et lentement s'accroupit, le visage dans le sable doux.

Et puis il s'évanouit.

56

- «a m'ennuie de partir sans Cyrus, dit Oxley en étudiant le ciel du désert vers le sud-ouest.

- Notre frère en a vu d'autres, dit Zolar sans inquiétude. quelques Indiens d'un village du coin ne devraient pas représenter une menace pour les tueurs d'Amaru.

- Il devrait être là depuis longtemps.

- Ne t'inquiète pas. Cyrus va sans doute arriver au Maroc avec une belle fille à chaque bras.

Ils se tenaient au bout de l'étroite piste d'asphalte construite entre les innombrables dunes du désert d'Altar pour que les pilotes de l'armée de l'air mexicaine puissent s'exercer dans des conditions assez primitives.

Derrière eux, la queue dépassant la piste sans cesse balayée, un Boeing 747-400 peint aux couleurs d'une grande compagnie de transport national était prêt à décoller.

Zolar alla s'abriter à l'ombre de l'aile gauche et vérifia les objets inventoriés par Henry et Micki Moore tandis que les sapeurs mexicains chargeaient les dernières pièces à bord de l'avion. Il hocha la tête quand le chariot, levant la statue d'or d'un singe, lui fit passer la porte de la soute, à quelque sept mètres du sol.

- C'était la dernière pièce.

Le regard d'Oxley se promena sur le désert autour de l'aérodrome.

- Tu n'aurais pu trouver un lieu plus isolé pour transborder le trésor.

- Tu peux remercier le colonel Campos. C'est lui qui l'a trouvé.

- Pas de problème avec les hommes de Campos depuis son décès prématuré?

demanda Oxley avec plus de cynisme que de tristesse.

- S˚rement pas, dit Zolar en riant. Je leur ai donné à chacun un lingot d'or de cent grammes.

- quelle générosité !

- Difficile de ne pas être généreux avec tant de richesses autour.

- Dommage pour Matos, il ne pourra pas dépenser sa part.

- Oui. J'ai pleuré sans arrêt depuis Cerro El Capirote. Le pilote des Zolar s'approcha et salua familièrement.

- Mon équipage et moi serons prêts quand vous voudrez, messieurs. Nous aimerions décoller avant la nuit.

- Tout est bien attaché à bord? demanda Zolar. Le pilote hocha la tête.

- Ce n'est pas le meilleur travail que j'aie vu. Mais si l'on considère que nous n'avons aucun conteneur, ça devrait tenir jusqu'à Nador, à condition qu'on ne rencontre pas de turbulences trop importantes.

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- Vous en attendez?

- Non, monsieur. La météo prévoit un ciel calme tout le long.

- Bon. Alors nous aurons un vol agréable, dit Zolar, ravi. Rappelez-vous, nous ne devons à aucun moment traverser la frontière des Etats-Unis.

- J'ai établi un plan de vol qui nous mènera sans encombre au sud de La-redo et de Brownsville, dans le golfe du Mexique en dessous de Key West avant de survoler l'Atlantique.

- Dans combien de temps atterrirons-nous au Maroc? s'enquit Oxley.

- Notre plan de vol indique dix heures et cinquante-cinq minutes. Chargés comme nous le sommes avec plusieurs centaines de kilos de surcharge, un plein complet de carburant plus le détour au sud du Texas et de la Ronde, nous avons ajouté un peu plus d'une heure à notre temps de vol et j'espère que nous aurons

un vent arrière.

Zolar leva les yeux vers les derniers rayons du soleil.

- Avec le décalage horaire, nous devrions être à Nador demain en début d'après-midi.

- Exact, dit le pilote. Dès que vous serez à bord, nous décollerons.

Il retourna vers l'appareil et, montant l'échelle d'embarquement, passa la porte du galley.

Zolar fit un geste vers l'échelle.

- A moins que tu ne sois tombé amoureux de ce tas de sable, je ne vois aucune raison pour rester ici plus longtemps.

- Après toi, fit Oxley avec un salut jovial.

Ils passèrent la porte d'embarquement. Oxley s'arrêta et jeta un dernier coup

d'oil vers le sud-ouest.

- Tout de même, ça m'ennuie de ne pas attendre.

- Si les situations étaient inversées, Cyrus n'hésiterait pas à partir. Il y a trop de choses en jeu pour retarder encore le départ. Notre frère a la peau dure.

Cesse de t'inquiéter.

Ils firent un signe d'adieu aux soldats mexicains groupés à l'arrière de l'avion qui répondirent chaleureusement à leurs bienfaiteurs. Puis l'ingénieur de vol ferma et verrouilla la porte. quelques minutes après, les turbines hurlaient et le gros 747-400 s'éleva au-dessus des dunes mouvantes, s'abaissa sur l'aile droite et se dirigea légèrement sud-est.

Zolar et Oxley étaient assis dans un petit compartiment du pont supérieur, juste derrière le cockpit.

- Je me demande ce que sont devenus les Moore, fit Oxley en regardant par la fenêtre la mer de Cortez s'éloigner à l'horizon. La dernière fois que je les ai vus, c'était dans la caverne pendant qu'on chargeait les dernières pièces du

trésor.

- Je suppose que Cyrus a réglé ce petit problème en même temps que celui du député Smith et de Rudi Gunn, dit Zolar en se détendant pour la première fois

depuis des jours.

Levant les yeux, il sourit à son hôtesse personnelle qui apportait des verres

de vin sur un plateau.

- Je sais que ça peut avoir l'air idiot, mais j'ai eu la désagréable impression qu'on ne se débarrasserait pas d'eux facilement.

- Je dois t'avouer quelque chose. Cyrus a pensé la même chose. En fait, il pensait que ces deux-là étaient des assassins.

- La femme aussi ? dit Oxley en se tournant vers lui. Tu plaisantes !

- Non, je crois qu'il parlait sérieusement.

Zolar but une gorgée de vin et eut un sourire d'appréciation.

- Excellent ! C'est un cabernet californien, un ch‚teau Montelena. Tu devrais le go˚ter.

Oxley prit le verre et le contempla un moment.

- Je n'ai pas envie de me réjouir avant que le trésor soit bien au chaud au Maroc et que nous apprenions que Cyrus a quitté le Mexique.

Peu après que l'appareil eut atteint ce que les deux frères pensaient être l'altitude de croisière, ils défirent leurs ceintures et allèrent vers la baie donnant sur la soute o˘ ils commencèrent à examiner de près l'incroyable collection d'objets en or. A peine une demi-heure plus tard, Zolar se raidit et regarda son frère avec inquiétude.

- Tu n'as pas l'impression qu'on descend? Oxley admirait un papillon en or posé sur une fleur.

- Je ne sens rien.

Zolar n'était pas tranquille. Il se pencha et regarda par un hublot le sol à moins de mille mètres au-dessous.

- Nous volons trop bas! dit-il brusquement. Il y a quelque chose qui cloche !

Oxley fronça les sourcils. Il regarda à son tour vers le sol.

- Tu as raison. Les volets sont baissés. On dirait qu'on amorce un atterrissage. Le pilote doit avoir des problèmes.

- Pourquoi ne nous a-t-il pas prévenus?

C'est alors qu'ils entendirent le train d'atterrissage descendre. Le sol montait très rapidement vers eux, maintenant. L'appareil passa très vite au-dessus de maisons et de rails de chemin de fer puis l'avion arriva au bout de la piste. Les roues se posèrent lourdement sur le béton et les moteurs hurlèrent sous la poussée inversée du reverse. Le pilote freina et rel‚cha les gaz en faisant tourner le gros appareil pour l'arrêter à la place qui lui était désignée. Un grand panneau indiquait "Bienvenue à El Paso ".

Oxley resta sans voix tandis que Zolar éructait :

- Seigneur ! On vient de se poser aux Etats-Unis !

Courant vers l'avant de l'appareil, il frappa frénétiquement à la porte du poste de pilotage. Personne ne répondit. Le Boeing s'arrêtait devant le hangar de la Garde Nationale de l'Air, à l'autre bout de l'aéroport. Alors seulement la porte du cockpit s'ouvrit.

- Mais qu'est-ce que vous foutez, nom de Dieu? Je vous ordonne de redécoller immédiatement...

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Les mots de Zolar lui restèrent dans la gorge quand il aperçut le canon d'un pistolet pointé entre ses yeux.

Le pilote était toujours à sa place, ainsi que le copilote et le mécanicien de bord. Henry Moore se tenait devant la porte ouverte, un étrange 9 mm de sa conception à la main tandis que, dans le cockpit, Micki Moore parlait à

la radio de bord en dirigeant calmement un tout petit automatique calibre 25 vers la nuque

du pilote.

- Pardonnez cet arrêt imprévu, mes anciens amis, dit Moore d'une voix de commandement que ni Zolar ni Oxley ne lui avaient jamais entendue, mais comme vous le constatez, il y a un léger changement de plan.

Zolar loucha vers le pistolet, le visage tordu de rage menaçante.

- Espèce d'idiot! Avez-vous la moindre idée de ce que vous venez de faire?

- Mais bien s˚r, répondit Moore d'une voix calme. Micki et moi avons piraté

votre avion et son chargement d'or. Je suppose que vous connaissez le vieux dicton : " La parole d'un voleur ne vaut rien. "

- Si vous ne faites pas redécoller cet avion très vite, plaida Oxley, ça va grouiller de douaniers ici d'un instant à l'autre.

- Maintenant que vous en parlez, Micki et moi avons en effet caressé l'idée de rendre les antiquités aux autorités.

- Pas possible ! Vous ne savez pas ce que vous dites !

- Oh ! Mais si, mon vieux Charlie ! En fait, les agents fédéraux sont bien plus heureux de vous coincer vous et votre frère que de récupérer le trésor de

Huascar.

- Mais d'o˘ sortez-vous? demanda Zolar.

- Nous avons tout simplement pris place dans l'un des hélicoptères transportant l'or. Les soldats étaient habitués à notre présence et n'ont pas fait attention quand nous sommes montés dans l'avion. Nous nous sommes cachés dans une des cabines de repos jusqu'à ce que le pilote vous explique le plan de vol sur l'aérodrome. Après, nous nous sommes emparés du poste de pilotage.

- Et pourquoi les agents fédéraux accorderaient-ils le moindre crédit à

votre

histoire? demanda Oxley.

- D'une certaine façon, Micki et moi étions autrefois des agents nous-mêmes, expliqua brièvement Moore. Après avoir pris le contrôle du poste de pilotage, Micki a appelé par radio quelques vieux amis à Washington et ils ont organisé notre réception.

Zolar semblait sur le point d'arracher les yeux de Moore, même s'il devait se

prendre une balle en le faisant.

- Vous et votre menteuse de femme avez s˚rement fait affaire avec eux pour garder une partie des antiquités, n'est-ce pas?

Il attendait une réponse mais Moore garda le silence.

- quel pourcentage vous ont-ils offert? insista Zolar. Dix? Vingt? Peut-

être même cinquante pour cent?

- Nous n'avons fait aucune affaire avec le gouvernement, dit lentement Moore. Nous savions que vous n'aviez aucune intention d'honorer notre accord et

qu'en revanche, vous alliez nous tuer. Nous avions prévu de garder le trésor pour nous mais, comme vous pouvez le constater, nous avons changé

d'avis.

- Regarde comme ils ont l'habitude des armes! dit Oxley. Cyrus avait raison. Ce sont bien des tueurs ! Moore acquiesça.

- Votre frère avait l'oil. Les assassins se reconnaissent entre eux. Un martèlement se fit entendre à la porte d'embarquement, sur le pont inférieur. Moore montra l'escalier du canon de son arme.

- Descendez ouvrir, ordonna-t-il à Zolar et Oxley.

A contrecour, ils obéirent.

quand la porte pressurisée fut ouverte, deux hommes quittèrent la passerelle d'embarquement qu'on avait poussée contre l'appareil et entrèrent. Tous deux étaient en civil. L'un était un Noir immense qui aurait pu être un footballeur professionnel, l'autre un Blanc très élégant.

- Joseph Zolar, Charles Oxley, je suis l'agent David Gaskill, du service des Douanes. Voici l'agent Francis Ragsdale, du FBI. Vous êtes, messieurs, en état d'arrestation pour avoir passé en fraude des objets volés aux Etats-Unis ainsi que pour le vol d'innombrables ouvres d'art dans les musées publics et privés, sans compter la fabrication illégale de faux et la vente d'antiquités.

- De quoi parlez-vous?

Gaskill ignora l'interruption et adressa à Ragsdale un large sourire.

- Tu veux faire les honneurs?

Ragsdale hocha la tête comme un gamin à qui on vient d'offrir un nouveau jouet.

- Oh ! Oui ! Merci beaucoup.

Tandis que Gaskill passait les menottes à Zolar et à Oxley, Ragsdale leur lut leurs droits.

- Vous avez fait vite, remarqua Moore. On nous a dit que vous étiez à Calexico.

- On a pris un jet militaire à peine dix minutes après que le quartier général à Washington nous ait annoncé la nouvelle, répondit Ragsdale.

Oxley posa sur Gaskill un regard insolent d'o˘ avaient disparu le choc et la peur.

- Même en cent ans, vous ne trouverez jamais assez de preuves pour nous inculper !

Ragsdale montra du menton le chargement d'or.

- Et ça, vous appelez ça comment?

- Nous ne sommes que de simples passagers, dit Zolar en reprenant son calme hautain. Le professeur Moore et sa femme nous ont invités à faire ce voyage avec eux.

- Je vois. Et si vous me disiez d'o˘ viennent toutes les ouvres d'art volées empilées dans vos entrepôts de Galveston? Oxley ricana avec mépris.

- Nos entrepôts de Galveston sont parfaitement honnêtes. Vous les avez fouillés plusieurs fois sans jamais rien trouver d'illégal.

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- Si c'est le cas, dit Gaskill d'un ton moqueur, comment expliquez-vous le tunnel menant de la Logan Storage Company aux entrepôts souterrains de Zolar International pleins d'objets volés?

Les deux frères échangèrent un regard atterré et leurs visages prirent une teinte gris‚tre.

- Vous bluffez ! bredouilla Zolar.

- Je bluffe? Voulez-vous que je vous décrive en détail votre tunnel et que je vous fasse un résumé de tous les chefs-d'ouvre que nous y avons trouvés?

- Le tunnel... vous ne pouvez pas avoir trouvé le tunnel !

- Je peux aussi vous expliquer comment, depuis trente-six heures, Zolar International et votre société clandestine nommée Solpemachaco ont cessé de fonctionner.

- Dommage, ajouta Ragsdale, oui, dommage que votre papa, Mansfield Zolar, alias Le Spectre, ne soit plus de ce monde. On aurait adoré le boucler aussi. Zolar avait l'air au bord de la crise cardiaque. quant à Oxley, il était paralysé.

- quand vous sortirez de prison, vous et le reste de votre famille, associés, partenaires et acheteurs, vous serez aussi vieux que les objets que vous avez volés.

Des agents fédéraux commencèrent à envahir l'avion. Le FBI se chargea de l'équipage et de l'hôtesse de Zolar tandis que les agents des Douanes déverrouillaient les courroies tenant en place les pièces du trésor.

Ragsdale fit un signe à

son équipe.

- Emmenez-les au bureau du procureur.

Dès que les deux voleurs, complètement défaits, furent emmenés dans des voitures séparées, les agents se tournèrent vers les Moore.

- Je ne saurais vous dire à quel point nous vous sommes reconnaissants de votre coopération, dit Gaskill. L'arrestation de la famille Zolar devrait mettre un sacré frein au trafic et au vol du patrimoine de bien des pays.

- Nous ne sommes pas totalement bénévoles, dit Micki, heureuse et soulagée.

Henry espère bien que le gouvernement péruvien offrira une récompense.

- Je pense qu'il peut compter dessus, approuva Gaskill.

- Le prestige d'être les premiers à donner l'inventaire et les photographies du trésor aidera grandement à asseoir notre réputation scientifique, expliqua

Moore en rangeant son arme.

- Les Douanes aussi aimeraient bien avoir une liste détaillée des objets, si

vous n'y voyez pas d'inconvénient, dit Gaskill. Moore accepta volontiers.

- Micki et moi serons heureux de travailler avec vous. Nous avons déjà

inventorié le trésor. Nous vous en enverrons une copie avant qu'il soit officiellement rendu au Pérou.

- O˘ allez-vous l'entreposer en attendant? demanda Micki,

- Dans un entrepôt du gouvernement dont nous ne pouvons révéler l'emplacement, répondit Gaskill.

- Avez-vous des nouvelles du député Smith et du petit homme de la NUMA?

- quelques minutes avant votre atterrissage, on nous a annoncé qu'une tribu indienne les avait délivrés et qu'ils étaient soignés dans un hôpital local. Micki se laissa tomber sur un siège et soupira.

- Alors, c'est fini !

Henry s'assit sur le bras du siège et prit la main de sa femme.

- Pour nous, c'est fini, dit-il doucement. A partir d'aujourd'hui et pour le restant de nos jours, nous allons vivre comme un vieux couple de professeurs, dans une petite maison couverte de vigne vierge, au cour d'une université.

Elle leva son regard vers lui.

- Est-ce si terrible?

- Non, dit-il en l'embrassant sur le front. Je pense que nous pourrons survivre à ça.

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Emergeant lentement des profondeurs de l'évanouissement, Pitt eut l'impression de grimper en vain une pente glissante de vase, retombant chaque fois qu'il retrouvait un peu de conscience, n tenta de tirer le maximum de ces brefs moments d'éveil mais ne cessait de replonger dans le vide. Il se dit que s'il parvenait à ouvrir les yeux, il retrouverait la réalité. Finalement, avec un effort violent, il réussit à soulever les paupières.

Ne rencontrant que l'obscurité et le froid de la tombe, il secoua la tête de désespoir, pensant qu'il était retombé dans le vide. Puis la douleur éclata comme une explosion br˚lante et cela l'éveilla tout à fait. Roulant sur le côté avant de réussir à s'asseoir, il secoua à nouveau la tête dans tous les sens pour chasser le brouillard qui appesantissait encore son esprit. D reprit sa lutte contre la souffrance latente de son épaule, la douleur raide de sa poitrine et la morsure de son poignet. Doucement, il t

‚ta la blessure de son front.

- Eh bien ! Tu fais un bel exemple d'humanité, murmura-t-il.

n fut surpris de constater que, tout compte fait, il n'était pas trop affaibli malgré le sang qu'il avait perdu, n détacha de son avant-bras la lampe que lui avait donnée Giordino après leur chute dans les torrents, l'alluma et l'enfonça dans le sable de telle sorte que le rayon éclaire le haut de son torse. Il baissa la fermeture éclair de sa combinaison et t‚ta aussi légèrement qu'il put la blessure de son épaule. La balle avait traversé la chair et était rassortie dans son dos sans heurter l'omoplate ni la clavicule. Le néoprène de sa combinaison déchirée presque étanche encore avait aidé la blessure à se refermer et empêché un trop fort saignement. Heureux de ne pas se sentir aussi épuisé qu'il avait craint de l'être, il se détendit et fit le point de la situation. Ses chances de survie étaient pratiquement inexistantes. Cent kilomètres dans l'inconnu, avec peut-être des rapides, des cascades et des passages immergés, il ne fallait pas être grand clerc

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pour comprendre que sa ligne de vie s'interromprait avant qu'il atteigne le troisième ‚ge. Même s'il y avait des passages aérés tout le long, restait la distance de l'ouverture du chenal souterrain jusqu'à la surface du golfe.

La plupart des gens se retrouvant ainsi dans l'obscurité des enfers, au centre de la terre, sans espoir de s'en tirer, auraient paniqué et usé

leurs doigts jusqu'à l'os en essayant vainement de se creuser un chemin jusqu'à la surface. Mais Pitt n'avait pas peur. Il était en paix avec lui-même.

Il se dit que s'il devait mourir, autant que ce soit confortablement. De sa main valide, il creusa le sable pour s'y installer au mieux. Il fut surpris de voir que le rayon de sa lampe faisait briller des milliers de paillettes dans le sable noir, fl en prit une poignée et l'examina.

" Cet endroit est rempli de minerai d'or ! " se dit-il.

Il éclaira la caverne autour de lui. Les parois étaient striées de saillies de quartz blanc zébrées de petites veines d'or. Pitt se mit à rire en réalisant l'humour dl'une pareille invraisemblance.

- Une mine d'or! dit-il dans la caverne silencieuse. Je viens de découvrir une mine fabuleusement riche et personne ne le saura jamais !

Il s'adossa et contempla sa découverte. Il se dit que quelqu'un essayait de lui dire quelque chose. Le fait qu'il n'ait pas peur de la dame à la faux ne signifiait pas qu'il devait tout laisser tomber et l'attendre. Une volonté farouche se réveilla en lui.

Mieux valait entrer dans l'au-delà en se battant avec audace pour rester en vie que de jeter l'éponge et partir comme une lavette, conclut-il. D'autres explorateurs audacieux auraient s˚rement donné tout ce qu'ils possédaient pour entrer dans ce saint des saints minéral mais lui, Pitt, ne souhaitait qu'en sortir. Il se mit debout, gonfla son stab en soufflant dedans et marcha dans l'eau jusqu'à ce que le courant l'emporte. "Prends les cavernes une par une", se dit-il en éclairant l'eau devant lui. Il ne pouvait compter sur une vigilance de chaque instant. Il était trop faible pour lutter contre les rapides ou pour éviter les rochers. Il ne pouvait que rester calme et se laisser porter o˘ le courant l'emmènerait, fl lui sembla bientôt qu'il avait passé toute une vie à glisser d'une galerie à l'autre.

Le plafond des cavernes et des galeries s'éleva et s'abaissa avec une monotone régularité pendant les dix kilomètres suivants. Gr‚ce au ciel, la première cascade que rencontra Pitt était assez moyenne. L'eau s'écrasa contre son visage et il passa sous l'écume bouillonnante plusieurs fois avant de se retrouver à nouveau dans une eau calme.

Il put profiter d'un répit confortable lorsque la rivière se calma en traversant un long canyon dans une immense galerie. Puis, au bout d'une heure environ, le plafond s'abaissa peu à peu jusqu'à rejoindre la surface de l'eau. Il remplit ses poumons de tout l'air possible et plongea. Avec un bras valide seulement et sans l'aide de ses palmes, il avançait lentement.

Il dirigea le rayon de sa lampe vers le toit inégal et nagea sur le dos.

Ses poumons commencèrent à protester du manque d'oxygène mais il continua à

nager. Enfin la lampe éclaira une poche d'air. Il se précipita vers la surface et inhala de toutes ses forces l'air pur, sans pollution, enfermé

là depuis des millions d'années.

La petite caverne s'élargit et son plafond s'arrondit. La rivière faisait un large coude et avait formé là un récif de galets polis. Pitt nagea avec peine jusqu'à cet endroit sec pour s'y reposer un moment, fl éteignit la lampe pour économiser les piles.

Soudain, il la ralluma vivement. Ses yeux avaient aperçu quelque chose dans l'ombre avant que s'installe l'obscurité, fl y avait quelque chose là, à

moins de cinq mètres de lui, une forme noire avec une ligne droite, aberrante dans la géométrie naturelle des lieux.

Pitt ressentit un immense soulagement en reconnaissant les restes bosselés du Wallowing Windbag. Miraculeusement, l'aéroglisseur avait traversé

l'horrible torrent, avait passé les cataractes et atteint cet endroit après quarante kilomètres de dérive. Un dernier rayon d'espoir, fl tituba sur la plage de galets jusqu'à la coque de caoutchouc et l'examina sous le rayon de sa lampe.

Le moteur avait été arraché de son berceau. Deux des chambres à air étaient percées et à plat mais les six autres avaient tenu bon. Une partie de l'équipement avait disparu mais il restait quatre réservoirs d'air, la trousse de soins d'urgence, la balle de plastique avec la teinture de Duncan, une des rames de Giordino, deux lampes et le conteneur étanche de l'amiral Sandecker avec le café et les quatre sandwiches. Un miracle !

- On dirait que mes affaires remontent! dit Pitt d'une voix joyeuse qui résonna dans la caverne déserte.

D commença par la trousse de soins, fl désinfecta copieusement sa blessure, se débrouilla comme il put pour la recouvrir d'un pansement sous sa combinaison déchirée. Sachant qu'il ne servirait à rien de bander ses côtes cassées, il serra les dents et immobilisa son poignet comme il put.

Le café était presque chaud dans le thermos et il en but la moitié avant d'attaquer les sandwiches. Aucun steak flambé au cognac ne lui aurait paru meilleur que ces sandwiches au jambon italien, pensa-t-il, fl se promit de ne plus jamais faire de mauvaises plaisanteries quand il devrait, à

l'avenir, se contenter de sandwiches.

Après un bref repos, il retrouva une bonne partie de ses forces et se sentit assez en forme pour remettre en ordre l'équipement et ouvrir le sac de plastique de teinture de Duncan. D déversa dans la rivière la fluorescéine jaune avec l'aviveur optique. Sous le rayon de sa lampe, il regarda le produit colorer la rivière d'une teinte jaune et brillante que le courant emporta bientôt hors de sa vue.

- «a devrait les avertir de mon arrivée, pensa-t-il à voix haute.

fl poussa ce qui restait de l'aéroglisseur vers l'eau plus profonde. En faisant attention à ses blessures, il grimpa à bord comme il put et pagaya d'une seule main jusqu'au milieu du courant.

Le Wallowing Windbag partiellement dégonflé commença à se laisser entraîner vers l'aval. Pitt s'allongea confortablement et se mit à chantonner "En remontant une rivière paresseuse par un bel après-midi ensoleillé ".

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Informé minute par minute des événements par l'amiral Sandecker en Californie et par les agents Gaskill et Ragsdale depuis El Paso, le secrétaire d'Etat décida de passer outre le protocole diplomatique et d'appeler personnellement le président du Mexique. Il le mit au courant de l'incroyable vol et de la tentative de contrebande mis au point par les Zolar.

- C'est une histoire incroyable ! dit le Président.

- Mais vraie, monsieur, assura le secrétaire d'Etat.

- Je regrette vivement ce qui s'est passé et je vous promets la coopération pleine et entière de mon gouvernement au cours de l'enquête.

- Si vous le permettez, monsieur le Président, j'ai déjà une liste de requêtes à vous soumettre.

- Ecoutons ça.

En moins de deux heures, la frontière entre le Mexique et la Californie fut rouverte. Les officiers qui s'étaient fait rouler par les Zolar et avaient accepté de risquer leur situation à cause de promesses fallacieuses d'incroyables richesses, furent tous arrêtés.

Fernando Matos et le chef de la police RafaÎl Cortina furent les premières victimes de cette mesure et tombèrent dans les filets des enquêteurs mexicains.

En même temps, on ordonna aux navires de la marine mexicaine basés dans la mer de Cortez de prendre la mer.

Le lieutenant Carlos Hidalgo regarda d'un air dubitatif une mouette qui piaillait avant de porter son attention à la ligne droite de la mer le long de

l'horizon.

- Est-ce que nous cherchons quelque chose de spécial ou est-ce que nous patrouillons simplement? demanda-t-il au commandant du navire.

_ On cherche des corps, répondit le commandant Miguel Maderas.

Il baissa ses jumelles, révélant un visage rond et sympathique et de longs cheveux noirs épais. Il avait des dents larges et très blanches qui lui donnaient le sourire de Burt Lancaster. Il était plutôt petit, lourd et solide comme un roc.

Hidalgo était le vivant contraire de Maderas. Grand et mince avec un visage étroit, il avait l'air d'un cadavre bronzé.

- Des victimes d'un accident de navigation ?

_ Non, des plongeurs qui se seraient noyés dans une rivière souterraine.

Hidalgo fronça les sourcils, sceptique.

- Pas encore un de ces contes à dormir debout parlant de pêcheurs et de plongeurs nageant sous le désert pour ressortir dans le golfe?

- qui peut le dire? fit Maderas en haussant les épaules. Tout ce que je sais, c'est que le quartier général d'Ensenada a donné ordre à notre navire de patrouiller la partie nord du golfe, entre San Felipe et Puerto Penasco et de chercher des cadavres.

- C'est une zone bien vaste pour un seul patrouilleur.

- Deux autres patrouilleurs Classe P venant de Santa Rosalia vont se joindre à nous et on a alerté tous les bateaux de pêche du coin qui doivent signaler toute découverte de restes humains.

- Si les requins s'en chargent, murmura Hidalgo d'un ton pessimiste, il ne restera pas grand-chose à trouver.

Maderas s'adossa au bastingage, alluma une cigarette et regarda rêveusement vers la poupe de son navire. C'était un patrouilleur de mines américain de soixante-sept mètres qu'on avait modifié sans lui donner d'autre nom que le gros G-21 peint sur la proue. L'équipage l'avait méchamment baptisé

Porqueria (ordure) parce qu'un jour o˘ il avait eu une avarie en mer, il avait été ramené au port tiré par un bateau de pêche, suprême humiliation que l'équipage n'avait jamais oubliée.

Mais c'était un navire solide, répondant vite au gouvernail et stable même par grosse mer. Les équipages de plusieurs bateaux de pêche et de yachts privés devaient la vie à Maderas et au Porqueria.

En tant que second du navire, Hidalgo était chargé des opérations de recherches. quand il eut fini d'étudier la grande carte nautique du nord du golfe, il communiqua les données à l'homme de barre. Alors commença la partie la plus monotone du voyage consistant à parcourir une longue ligne droite puis à revenir sur ses pas comme on tond une pelouse.

Le premier sillon fut parcouru à huit heures du matin. A deux heures de l'après-midi, un guetteur installé à l'avant cria soudain :

- Un objet à la mer.

- quelle direction? demanda Hidalgo.

- Cent cinquante mètres à b‚bord de la proue.

Maderas ajusta ses jumelles et scruta l'eau bleu verd‚tre. Il repéra facilement le corps qui flottait sur le ventre et que les vagues soulevaient et abaissaient.

- Je l'ai. (Il alla jusqu'à la porte de la cabine de pilotage et fit signe au timonier.) Amenez-nous à côté du corps et faites venir un homme d'équipage pour le récupérer.

- Stoppez les moteurs dès que nous serons à cinquante mètres, dit-il ensuite à Hidalgo.

Le sillon d'écume ouvert par l'étrave se changea en quelques vaguelettes.

Le battement des deux moteurs diesel mourut et le patrouilleur s'approcha du corps roulé par les vagues. De son poste sur le haut du pont, Maderas aperçut les traits boursouflés et tordus, presque réduits en purée. "Pas étonnant que les requins ne l'aient pas trouvé appétissant", pensa-t-il.

Il regarda Hidalgo et sourit.

- Il ne nous a pas fallu une semaine, en fin de compte.

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- On a eu de la chance, marmonna Hidalgo.

Sans la moindre révérence pour le cadavre, deux hommes d'équipage lancèrent une gaffe dans le corps flottant et le tirèrent jusqu'à une sorte de civière en c‚ble métallique enfoncée en dessous des vagues. Ils guidèrent le corps jusqu'à la civière qu'ils remontèrent sur le pont. L'horrible cadavre de chair battue avait à peine l'air humain. Maderas vit du coin de l'oil plusieurs de ses hommes aller vomir par-dessus le bastingage avant que le cadavre soit enfermé dans un sac approprié dont on remonta la fermeture éclair.

- Eh bien, dit Hidalgo, ce type nous a finalement fait une fleur.

- Ah ! Et laquelle? s'étonna Maderas.

- Il n'est pas resté assez longtemps dans l'eau pour sentir mauvais.

Trois heures plus tard, le patrouilleur entrait dans la rade de San Felipe et vint se ranger le long de l'Alhatnbra.

Comme l'avait supposé Pitt, après avoir atteint la plage sur le canot de sauvetage, Gordo Padilla et ses hommes étaient rentrés chez eux près de leur femme ou de leur petite amie pour fêter leur fuite réussie en faisant une sieste d'au moins trois jours. Puis, sous la protection de la police de Cortina, Padilla avait rassemblé tout le monde et regagné le ferry dans un petit bateau de pêche. Une fois à bord, ils avaient remis en marche les cheminées et écopé l'eau que le ferry avait embarquée lorsqu'Amaru avait ouvert les prises d'eau. quand la quille fut dégagée de la vase et les moteurs revenus à la vie, Padilla et son équipe avaient ramené VAlhambra à

San Felipe pour l'accoster au quai.

Pour Maderas et Hidalgo, du haut de leur pont, l'avant du ferry ressemblait au service d'urgence d'un hôpital.

Loren Smith, en short et maillot sans manches, était pleine d'ecchymoses et de sparadrap sur ses épaules nues, à la taille et aux jambes. Giordino, dans un fauteuil roulant, avait les deux jambes pl‚trées.

Rudi Gunn n'était pas là car on l'avait gardé à l'hôpital de Calexico. n allait beaucoup mieux malgré son estomac couvert de bleus, six doigts cassés et une fracture du cr‚ne, heureusement peu inquiétante.

L'amiral Sandecker et Peter Duncan, l'hydrologiste, étaient eux aussi sur le pont du ferry avec Shannon Kelsey, Miles Rodgers et une troupe de policiers accompagnés du coroner de Baja California Norte. Tous avaient l'air inquiet lorsque l'équipage du patrouilleur posa devant eux la civière sur laquelle reposait le corps qu'ils avaient repêché.

Avant que le coroner et ses assistants aient pu lever le corps pour le poser sur des tréteaux, Giordino approcha son fauteuil roulant de la civière.

- Je voudrais le voir, dit-il d'une voix tendue.

- Il n'est pas beau à voir, senor, prévint Hidalgo du pont de son patrouilleur.

Le coroner hésita. Il n'était pas s˚r que la loi l'autoris‚t à montrer un cadavre

à des étrangers.

Giordino lui lança un regard glacial.

- Vous voulez qu'on l'identifie, oui ou non?

Le coroner, un petit homme aux yeux de myope et aux cheveux gris, ne connaissait pas assez d'anglais pour comprendre Giordino mais il fit un signe à ses assistants qui ouvrirent la fermeture éclair.

Loren p‚lit et se détourna mais Sandecker s'approcha de Giordino.

- Est-ce que...

- Non, ce n'est pas Dirk. C'est cette espèce de psychopathe, Tupac Amaru.

- Seigneur! On dirait qu'il est passé dans une bétonneuse.

- En effet, dit Duncan en réprimant un frisson. Les rapides ont d˚ le lancer contre tous les rochers entre ici et Cerro El Capirote.

- Cet homme charmant a eu ce qu'il méritait, murmura Giordino.

- quelque part entre la caverne au trésor et le golfe, dit Duncan, la rivière doit se déchaîner.

- Vous n'avez pas vu d'autre corps? demanda Sandecker à Hidalgo.

- Non, senor. C'est le seul que nous ayons trouvé mais nous avons reçu l'ordre de continuer.

Sandecker se détourna d'Amaru.

- Si Dirk n'est pas ressorti dans le golfe, il doit être encore dans la rivière souterraine.

- Il a pu être déposé sur une plage ou sur un banc de sable, dit Shannon. n est peut-être encore vivant.

- Vous ne pouvez pas lancer une expédition dans la rivière pour le rechercher? demanda Rodgers à l'amiral. Sandecker fit non de la tête.

- Je n'enverrai pas une équipe d'hommes à une mort certaine.

- L'amiral a raison, confirma Giordino. Il doit y avoir des douzaines de cascades comme celle que Pitt et moi avons passée. Même avec un canot comme le Wallowing Windbag, il est douteux qu'on puisse parcourir sain et sauf un passage de cent kilomètres dans l'eau avec partout des rapides et des rochers.

- Et comme si ça ne suffisait pas, il faut traverser des cavernes immergées avant d'arriver dans le golfe. Sans une grande réserve d'air, la noyade est presque certaine.

- A votre avis, sur quelle distance a-t-il pu être poussé? lui demanda Sandecker.

- Depuis la caverne du trésor?

- Oui.

Duncan réfléchit un moment.

- Pitt pourrait avoir une chance s'il a pu trouver un endroit sec après cinq cents mètres. Nous pourrions attacher un plongeur à un c‚ble et le guider sans danger vers l'aval jusqu'à une telle distance puis le ramener à

contre-courant.

- Et s'il n'y a aucun signe de Pitt au bout du c‚ble? demanda Giordino.

Duncan haussa les épaules.

- Si son corps ne refait pas surface dans le golfe, nous ne le retrouverons jamais.

396

L'OR DES INCAS

- Y a-t-il un espoir pour Dirk? plaida Loren. Rien qu'un espoir?

Duncan regarda Giordino puis Sandecker avant de répondre. Tous les regards indiquaient qu'ils n'y croyaient plus et leurs visages étaient marqués par la douleur. Il se tourna vers Loren et dit gentiment :

- Je ne veux pas vous mentir, mademoiselle Smith. (Il semblait avoir du mal à prononcer les mots.) Les chances de Dirk sont à peu près celles de n'importe quel grand blessé tentant de rejoindre le lac Mead au large de Las Vegas après avoir été jeté dans le Colorado à l'entrée du Grand Canyon.

Loren eut l'impression de recevoir un coup dans l'estomac. Elle commença à

tituber. Giordino tendit la main et l'attrapa par le bras. La jeune femme murmura :

- Pour moi, Dirk ne mourra jamais.

- Les poissons me semblent bien timides, aujourd'hui, dit Joe Hagen à sa femme Claire.

Etendue à plat ventre sur le roof de la cabine du yacht, elle portait un bikini pourpre dont le haut était détaché et lisait un magazine. Elle repoussa ses lunettes de soleil sur le haut de sa tête et se mit à rire.

- Tu n'attraperais pas un poisson même s'il sautait dans le bateau.

- Attends, tu vas voir, fit-il en riant aussi.

- Le seul poisson que tu prendras au nord du golfe, ça sera une crevette, se

moqua-t-elle.

Les Hagen avaient près de soixante ans et se portaient assez bien. Comme chez la plupart des femmes de son ‚ge, le derrière de Claire avait pris de l'ampleur et sa taille était un peu molle mais son visage ne portait presque pas de rides et sa poitrine se tenait bien. Joe, lui, était un homme bien enveloppé qui menait une lutte perdue d'avance contre une panse qui avait tendance à s'arrondir. Ensemble ils dirigeaient une petite entreprise de voitures d'occasion à Anaheim, spécialisée dans la vente de voitures en bon état et d'un kilométrage

peu élevé.

Depuis que Joe avait acheté ce ketch de quinze mètres, baptisé le Premier Essai, à Newport Beach en Californie, ils laissaient de plus en plus la direction de leur affaire à leurs deux fils. Ils aimaient longer la côte et, après Cabo San Lucas, naviguer dans la mer de Cortez. lis passaient généralement un mois, l'automne, à visiter tous les petits ports pittoresques nichés au creux des plages.

C'était la première fois qu'ils montaient aussi loin au nord. Tout en gardant un oil paresseux à sa ligne, au cas o˘ un poisson s'intéresserait à

son app‚t, Joe surveillait le profondimètre. Son bateau avançait lentement au moteur, les voiles ferlées. De ce côté du golfe, les marées pouvaient varier jusqu'à sept mètres et il ne voulait pas risquer de heurter un banc de sable.

n se détendit, voyant que le stylet indiquait une dépression de plus de cinquante mètres. Un curieux fond, pensait-il. Au nord du golfe, il était uniformément peu profond, n'atteignant que rarement plus de dix mètres à

marée haute. Celui-ci était composé d'un mélange de sable et de limon. Le profondimètre in-LE PASSAGE DU CAUCHEMAR

397

diquait que cette dépression sous-marine, au contraire, était faite de roche dure et irrégulière.

- Ha ! Ha ! On se moque toujours des grands génies ! dit Joe en sentant une secousse sur sa ligne.

JJ actionna le moulinet pour faire remonter le fil et découvrit une cardine longue comme son bras accrochée à l'hameçon.

Claire s'abrita les yeux de la main.

- Oh ! D est trop joli pour qu'on le garde ! Pauvre bête ! Remets-le à

l'eau.

- C'est bizarre!

- qu'est-ce qui est bizarre?

- Toutes les autres cardines que j'ai prises avaient des taches noires sur un corps blanc. Celle-ci ressemble à un canari fluorescent !

Elle remit son soutien-gorge et s'approcha pour voir la prise de plus près.

- Ah ! Ben ça, c'est le bouquet ! fit Joe en levant la main et en étirant ses doigts tachés de jaune vif. Si je n'étais pas sain d'esprit, je dirais que ce poisson a été teint !

- Il brille au soleil comme s'il avait des paillettes à la place des écailles, dit Claire.

Joe regarda le flanc du bateau.

- On dirait que dans ce coin, il n'y a pas de l'eau mais du jus de citron !

- C'est peut-être un bon coin pour pêcher.

- Tu as peut-être raison, ma grande.

Joe la contourna, passa à l'avant et jeta l'ancre.

- L'endroit en vaut un autre pour passer l'après-midi et essayer d'en attraper un gros.

59

Pas de repos pour ceux qui sont fatigués. Pitt passa quatre autres cataractes. Heureusement, aucune ne présenta la pente terrible et la hauteur de celle qui les avait presque tués, Giordino et lui. La plus haute faisait deux mètres. Le Wallo-wing Windbag partiellement dégonflé plongea bravement par-dessus la saillie et passa avec succès l'épreuve des rochers cachés sous le tourbillon d'écume et d'embruns avant de continuer son voyage vers l'oubli.

Plus brutaux furent les rapides bouillonnants. Ce n'est qu'après avoir dépassé leurs barrages, au prix d'un gros effort, que Pitt put se détendre un court instant dans les parties les plus calmes et sans obstacles qui suivirent. Avec tous ces coups, il avait l'impression que des diablotins armés de pics frappaient chacune de ses blessures. Mais la douleur avait au moins l'avantage d'aiguiser ses sens, n maudit la rivière, certain que le pire était à venir quand il perdrait son pari désespéré contre la mort.

La pagaie lui fut arrachée de la main mais sa perte ne fut pas grande. Avec 398

L'OR DES INCAS

cinquante kilos d'équipement dans un bateau presque dégonflé, plus son propre poids, il était inutile d'essayer de manouvrer pour éviter les rochers qui surgissaient dans l'obscurité, surtout en essayant de pagayer avec un seul bras, fl était trop faible pour faire plus que se tenir comme il le pouvait aux sangles fixées dans l'habitacle et laisser le courant le conduire o˘ il voulait.

Deux nouvelles cellules de flottaison se percèrent après un choc violent contre des rochers pointus et Pitt se retrouva allongé et presque recouvert d'eau dans ce qui n'était plus qu'un dinghy dégonflé. Malgré tout, il tenait la lampe fermement serrée dans sa main droite. Il avait vidé trois des réservoirs d'air et une bonne partie du quatrième en traversant plusieurs galeries immergées avant d'atteindre des cavernes au plafond haut o˘ il pouvait tenter de regonfler certaines

cellules du Windbag.

Pitt n'avait jamais souffert de claustrophobie. Dans ce vide noir apparemment sans fin, il e˚t pourtant été facile d'y céder. H évitait toute pensée de panique en chantant et en se parlant tout au long de son cheminement dans ces eaux inamicales. Il éclaira ses mains et ses pieds.

Ils étaient ridés comme de vieilles prunes après ces longues heures d'immersion.

- Avec toute cette flotte, je suis en tout cas tranquille, je ne risque pas la déshydratation, murmura-t-il aux rochers indifférents qui l'entouraient.

Il flotta au-dessus de plans d'eau transparents au fond desquels s'étendait un fond rocheux si profond que le rayon de sa lampe ne pouvait l'atteindre.

œœ imagina des touristes visitant les lieux. " quel dommage que personne ne puisse voir ces cavernes gothiques cristallines ", pensa-t-il. Peut-être que maintenant qu'on connaîtrait l'existence de la rivière, on pourrait creuser un tunnel qui permettrait d'amener des visiteurs étudier ces merveilles géologiques.

Il avait essayé d'économiser ses trois lampes mais, les unes après les autres, les piles avaient déclaré forfait et il les avait jetées par-dessus bord. Il estima que la dernière avait à peu près vingt minutes de vie avant qu'il ne soit replongé pour de bon dans l'obscurité de ce Styx.

Descendre des rapides en plein soleil, sous le ciel bleu, ça s'appelle du raf-ting en eau claire, réfléchit son esprit épuisé. Ici, on pourrait appeler ça du rafting en eau noire. L'idée lui parut amusante et il se mit à rire sans trop savoir pourquoi. Son rire résonna dans l'immense chambre de pierre, avec des échos fantomatiques. S'il n'avait pas su que cela venait de lui, il en aurait eu la chair de

poule.

Il ne semblait pas possible qu'il exist‚t autre chose que cette suite cauchemardesque de cavernes qui s'enchaînaient les unes aux autres dans un décor d'un autre monde. La " position " n'était plus qu'un mot vide de sens. Sa boussole ne servait plus à rien à cause de la quantité de minerai de fer contenu dans la roche. Il était si désorienté, si loin du monde de la surface qu'il se demandait s'il n'avait pas franchi le seuil de la folie. Il ne se sentait sain d'esprit que chaque fois que sa lampe reflétait les paysages stupéfiants qu'il traversait.

Il s'obligea à reprendre le contrôle en imaginant des jeux mentaux. œœ

essaya de mémoriser les détails de chaque caverne, de chaque galerie, de chaque tour-LE PASSAGE DU CAUCHEMAR

399

nant de la rivière afin de les décrire quand il aurait regagné le monde du soleil. Mais il y en avait tant que son esprit fatigué ne put engranger que quelques images particulièrement frappantes. Du reste, il comprit qu'il devait se concentrer sur le Windbag. Une autre cellule venait de céder et il entendait le sifflement de l'air s'échappant d'un trou. "quelle distance ai-je parcourue? se demanda-t-il, presque découragé. Et quelle distance dois-je encore parcourir jusqu'au bout de cette interminable rivière? " Son esprit embué avait du mal à se concentrer. Il devait se reprendre, n était au-delà de la faim. D n'imaginait plus de scènes de victuailles avec des steaks épais et des bouteilles de bière. Son corps battu et épuisé avait donné bien plus qu'il ne l'en aurait cru capable.

L'aéroglisseur ratatiné heurta le plafond de la caverne qui s'abaissait de nouveau. Le canot se mit à tournoyer, à se cogner contre la roche puis se détacha vers un des côtés du courant et s'immobilisa doucement sur un haut fond. Pitt reposait dans la mare que formait l'eau dans la coque, les jambes pendant par-dessus bord, trop épuisé pour se servir du dernier réservoir d'air, dégonfler le canot et lui faire traverser la galerie immergée s'étendant devant lui.

Il ne pouvait pas laisser tomber. Pas maintenant. Il restait trop de chemin à parcourir. Il prit plusieurs respirations profondes et avala un peu d'eau. Saisissant le thermos, il l'ouvrit et but le reste du café. La caféine lui redonna un peu de vigueur, li jeta le thermos vide dans la rivière et le regarda flotter contre les rochers, trop léger pour dériver vers le côté opposé.

La lampe était si faible qu'elle éclairait à peine, n l'éteignit pour économiser le tout petit reste d'énergie des piles. Il s'étendit sur le dos et tenta de percer l'obscurité suffocante.

Il n'avait plus mal nulle part. Ses nerfs ne portaient plus la douleur et tout son corps était comme engourdi. Il devait lui manquer plusieurs litres de sang. Mais il refusait d'envisager l'échec. Pendant quelques minutes, il se demanda s'il reverrait jamais le monde d'en haut. Le fidèle Wallowing Windbag l'avait amené jusqu'ici mais s'il perdait encore une seule cellule de flottaison, il faudrait l'abandonner et continuer sans lui. Il commença à concentrer son énergie en vue de l'effort qu'il allait devoir fournir.

quelque chose titilla son esprit. Il y avait une odeur... que disait-on des odeurs, déjà? Elles peuvent faire revivre des événements passés. Il respira profondément, essayant de ne pas la laisser s'échapper avant de savoir pourquoi elle lui était familière. Il se lécha les lèvres et reconnut un go˚t qui n'y était pas auparavant. Le sel ! D'un seul coup, il comprit.

L'odeur de la mer!

n avait enfin atteint le bout de la rivière souterraine qui se jetait dans le golfe.

Pitt ouvrit les yeux et leva la main presque à la hauteur de son nez. Il ne pouvait distinguer les détails mais une ombre vague qu'il n'aurait pas d˚

voir dans l'obscurité totale de son monde souterrain. Il regarda dans l'eau et aperçut un reflet sombre. La lumière filtrait par un passage, là-bas, devant.

D découvrit que la lumière était à portée de sa main et cela lui rendit l'immense espoir de survivre.

400

L'OR DES INCAS

H sortit du Wallowing Windbag et se dit qu'il n'avait que deux dangers à

envisager : la longueur du plongeon pour atteindre la surface et la décompression. H vérifia la jauge de pression du dernier réservoir d'air.

quatre cent vingt centimètres. Assez d'air pour nager environ trois cents mètres à condition de rester calme, de respirer normalement et de ne pas se fatiguer. Si l'air de la surface était plus loin que ça, il n'aurait pas besoin de se préoccuper du second problème, la décompression. Il serait noyé bien avant.

Des vérifications périodiques du profondimètre, au cours de son long voyage, lui avaient révélé que la pression dans la plupart des cavernes o˘

il y avait de l'air frais était à peine plus haute que la pression atmosphérique extérieure. Un souci, mais pas une grande peur. Et il avait rarement dépassé trente mètres de profondeur quand il avait plongé sous une saillie immergée divisant deux galeries respirables. S'il rencontrait la même situation, il devrait faire attention à remonter dix-huit mètres par minute au plus, pour éviter les malaises de

la décompression.

quels que soient les obstacles, il ne pouvait ni revenir en arrière ni rester o˘ il était. Il fallait continuer. C'était la seule décision à

prendre. Ce serait la dernière épreuve pour les quelques forces qui lui restaient. H décida qu'il aurait ces forces. Il n'était pas encore mort.

Pas tant qu'il resterait un tout petit peu d'oxygène dans son réservoir.

Après, il irait jusqu'au bout de ce que lui permettraient ses poumons avant d'éclater.

Il vérifia que les valves étaient ouvertes et le tuyau de basse pression bien branché à son stab. Ensuite il attacha sa bouteille et ferma la boucle à ouverture rapide. Une rapide respiration pour s'assurer que son détendeur fonctionnait bien

et il fut prêt.

Sans le masque de plongée perdu, sa vision allait se brouiller mais il n'avait qu'à nager vers la lumière, fl referma les dents sur l'embout de son détendeur, rassembla son énergie et compta jusqu'à trois.

Il était temps de partir et il plongea pour la dernière fois. En agitant doucement ses pieds nus, il se dit qu'il vendrait bien son ‚me pour retrouver ses palmes perdues. Le haut fond s'abaissait, s'abaissait devant lui. n passa trente mètres, puis quarante. En passant cinquante mètres, il commença à s'inquiéter. quand on plonge avec des bouteilles d'air comprimé, il y a une barrière invisible entre soixante et quatre-vingts mètres. Au-delà, le plongeur commence à ressentir l'ivresse et perd le contrôle de ses facultés mentales.

Sa bouteille crissait bizarrement chaque fois qu'elle frottait contre le rocher au-dessus de lui. Il avait jeté sa ceinture plombée lorsqu'il avait frôlé la mort après la grande chute. Sa combinaison de plongée en néoprène était très abîmée. Pour ces deux raisons, il plongeait en flottabilité

positive. H se plia en deux et s'enfonça plus profondément encore pour éviter le contact des rochers.

Il se demanda si ce rocher plongeant avait une fin. Il était à soixante-quinze mètres quand il atteignit enfin l'extrémité de la saillie.

Maintenant, la pente remontait doucement. Ce n'était pas la situation idéale, n aurait préféré une reLE PASSAGE DU CAUCHEMAR

401

montée directe vers la surface pour diminuer la distance et économiser le peu d'air qui lui restait.

Peu à peu la lumière se faisait plus brillante au point qu'il put lire les chiffres de sa montre de plongée sans l'aide du rayon mourant de la lampe.

Les aiguilles du cadran orange indiquaient cinq heures. Etait-ce le matin ou l'après-midi? Depuis combien de temps avait-il plongé dans la rivière?

Il ne se rappelait pas s'il y avait dix minutes ou cinquante. Son esprit était trop paresseux pour chercher la réponse.

L'eau transparente, vert émeraude de la rivière devint plus opaque et plus bleue. Le courant faiblissait et sa remontée s'en ralentit. E perçut un lointain miroitement au-dessus de lui. Enfin, la surface apparut.

Il était dans le golfe. Il avait passé l'embouchure de la rivière et nageait maintenant dans la mer de Cortez. Pitt leva les yeux et aperçut une ombre au loin. Un dernier coup d'oil à la jauge de pression d'air.

L'aiguille oscillait sur le zéro, n avait épuisé presque toute sa réserve.

Plutôt que de respirer ce qui restait en une seule fois, il l'utilisa pour gonfler partiellement son gilet afin de remonter doucement à la surface si jamais il s'évanouissait par manque d'oxygène.

Une dernière inhalation qui n'envoya qu'une petite bouffée d'air dans ses poumons et il se détendit, exhalant à petits coups pour compenser la baisse de pression à mesure qu'il remontait des profondeurs. Le chuintement des bulles d'air quittant le détendeur diminua tandis que ses poumons se vidaient.

La surface paraissait si proche qu'il lui semblait pouvoir la toucher en levant le bras quand ses poumons commencèrent à le br˚ler. Ce n'était qu'une illusion. Les vagues étaient au moins à vingt mètres de lui.

D accéléra le battement de ses pieds, alors qu'une énorme bande élastique se serrait autour de sa poitrine. Bientôt le monde ne fut plus pour lui qu'un immense désir d'air. Sa vision commençait à s'obscurcir.

Pitt se sentit empêtré dans quelque chose qui entravait son ascension. Sa vision brouillée sans le masque de plongée, il eut du mal à distinguer ce qui le gênait. Instinctivement, il se débattit maladroitement pour tenter de se libérer. Un grondement éclata dans sa tête, comme s'il hurlait pour protester. Mais à cet instant précis, juste avant que l'obscurité

n'envahisse sa conscience, il sentit qu'on tirait son corps vers la surface.

- Cette fois, j'en ai pris un gros ! cria joyeusement Joe.

- C'est un macaire? demanda Claire, très excitée en voyant la canne de son mari se plier en forme de point d'interrogation.

- Il ne se bat pas très fort pour un macaire, haleta Joe en tournant le moulinet. On dirait plutôt un poids mort.

- Tu l'as peut-être tué en le remontant?

- Prends la gaffe. Il est presque à la surface.

Claire saisit la longue gaffe à deux crochets et la pointa le long du flanc du bateau, comme une lance.

402

L'OR DES INCAS

LE PASSAGE DU CAUCHEMAR

403

- Je vois quelque chose ! cria-t-elle. C'est gros et c'est noir. Puis elle poussa un cri d'horreur.

Pitt était à deux doigts de l'évanouissement quand sa tête passa la surface dans un creux entre les vagues. Il cracha son embout et respira longuement.

Le reflet du soleil sur l'eau heurta ses yeux qui n'avaient pas vu la lumière depuis près de deux jours, fl loucha avec bonheur devant ce soudain kaléidoscope de couleurs.

Le soulagement, la joie de vivre, la fierté d'avoir accompli quelque chose d'extraordinaire, tout cela l'envahit en même temps.

Le cri d'une femme lui perça les tympans et il leva les yeux, étonné

d'apercevoir la coque bleue d'un yacht s'élever devant lui et deux personnes le dévisager d'en haut, p‚les comme des morts. C'est alors qu'il réalisa qu'il s'était pris dans une ligne de pêche. quelque chose lui frappa la jambe. Saisissant la ligne, il retira de l'eau un petit thon, pas plus long que son pied. Un énorme hameçon traversait la bouche de la pauvre bête,

Pitt coinça doucement le poisson sous son bras et le dégagea de l'hameçon de sa main valide. Puis il le regarda dans les yeux.

- Regarde, Toto, dit-il gaiement, on retourne au Kans‚s !

60

Le commandant Maderas et son équipage avaient quitté San Felipe et repris les recherches quand ils reçurent l'appel des Hagen.

- Monsieur, dit le radio, je viens de recevoir un message urgent du yacht Premier Essai.

- qu'est-ce qu'il dit?

- Le skipper, un Américain du nom de Joseph Hagen, dit qu'il a remonté

un homme pendant qu'il péchait. Maderas fronça les sourcils.

- Il veut sans doute dire qu'il a pris un cadavre dans ses lignes?

- Non, monsieur, il a été très clair. L'homme est vivant. Maderas n'y comprenait rien.

- «a ne doit pas être celui que nous cherchons. Pas quand on a vu l'autre.

Est-ce qu'un bateau a fait connaître qu'il y avait un homme d'équipage à la mer?

- Non, monsieur, je n'ai rien capté de semblable.

- quelle est la position du Premier Essai?

- Douze milles nautiques au nord-ouest d'ici.

Maderas entra dans la cabine de pilotage et fit signe à Hidalgo.

- Prenez le cap nord-ouest et cherchez un yacht américain. Vous, appelez ce Joseph Hagen, dit-il au radio, et t‚chez d'avoir plus de détails sur l'homme

qu'ils ont sorti de l'eau. Dites-lui de rester o˘ il est en ce moment. Nous l'y retrouverons dans environ trente-cinq minutes.

Hidalgo leva les yeux de ses cartes et le regarda.

- qu'en pensez-vous? Maderas sourit.

- En tant que bon catholique, je dois croire à ce que me dit l'Eglise des miracles. Mais celui-là, il faut que je le voie pour y croire !

La flotte de yachts et les nombreux bateaux de pêche mexicains qui naviguent dans la mer de Cortez ont leur propre réseau d'informations, n se fait beaucoup de plaisanteries dans la communauté des propriétaires de bateaux, un peu comme les sessions téléphoniques de voisinage d'autrefois.

Les bavardages vont de la météo aux invitations à des sauteries à bord, en passant par les dernières nouvelles des familles ou même des propositions de ventes, d'achats ou d'échanges.

La nouvelle se répandit dans tout le golfe : les propriétaires du Premier Essai avaient attrapé un homme au bout de leur ligne de pêche. Elle fut encore embellie avant de passer sur les ondes de Baja. Les derniers marins qui se branchèrent sur le réseau entendirent raconter que les Hagen avaient péché une baleine géante et trouvé un homme vivant dans ses entrailles.

Certaines des plus grosses embarcations possédaient des radios capables de joindre des stations aux Etats-Unis. Bientôt des rapports partirent de Baja et atteignirent Washington.

Le message radio des Hagen fut entendu par une station de la marine mexicaine à La Paz. L'opérateur radio de service demanda confirmation mais Hagen était trop occupé à discuter avec les autres propriétaires de yachts pour répondre. Pensant alors qu'il s'agissait d'une de ces réceptions bien arrosées entre plaisanciers, il nota le fait sur son registre et se concentra sur les signaux officiels de la marine.

quand il quitta son poste, vingt minutes plus tard, il mentionna le fait à

l'officier en chef de la station.

- «a paraît un peu dingue, expliqua-t-il. L'émission était en anglais, n s'agit sans doute d'une blague d'un gringo ivre à la radio.

- Mieux vaut envoyer un patrouilleur voir sur place, dit l'officier. Je vais informer le quartier général de la Hotte du Nord et voir qui nous avons dans ce coin-là.

n ne fut pas nécessaire d'informer le quartier général de la Flotte.

Maderas l'avait déjà alerté. D fonçait à toute vitesse vers le Premier Essai. Le quartier général avait aussi reçu un signal inattendu du chef des opérations navales mexicaines ordonnant au commandant d'intensifier les recherches et de faire tout son possible pour réussir l'opération de sauvetage.

404

L'OR DES INCAS

LE PASSAGE DU CAUCHEMAR

405

L'amiral Ricardo Alvarez déjeunait avec sa femme au Club des Officiers quand son aide de camp lui apporta les deux dépêches.

- Un homme sauvé par un pêcheur, dit hautainement Alvarez. qu'est-ce que c'est que cette idiotie?

- C'est le message retransmis par le commandant Maderas, du G-21, répondit le jeune officier.

- Dans combien de temps Maderas sera-t-il près du yacht?

- D'une minute à l'autre, maintenant.

- Je me demande pourquoi les Opérations navales sont tellement intéressées par le sauvetage d'un vague touriste perdu en mer?

- Le Président lui-même a fait savoir qu'il s'intéressait à ce sauvetage, répondit l'aide de camp.

L'amiral lança à son épouse un regard amer.

- Je savais bien que ce bon dieu d'Accord sur le Libre Commerce nord-américain était une erreur. Maintenant, il va falloir lécher les pieds des Américains chaque fois qu'un d'entre eux tombera dans le golfe !

Ainsi, il y avait plus de questions que de réponses lorsque Pitt fut transféré du Premier Essai sur le patrouilleur qui vint se ranger près de lui. n était sur le pont, soutenu par Hagen qui lui avait fait ôter sa combinaison de plongée en haillons et lui avait prêté un short et une chemise de golf. Claire avait changé le bandage de son épaule et mis quelques sparadraps sur les vilaines coupures de son front.

Il serra la main de Joseph Hagen.

- Je suppose que je suis le plus gros poisson que vous ayez jamais péché?

- «a me fera quelque chose à raconter à mes petits-enfants, répondit Hagen en riant.

Pitt embrassa la joue de Claire.

- N'oubliez pas de m'envoyer votre recette de rago˚t de poisson. Je n'ai jamais rien go˚té d'aussi bon.

- Je crois bien que vous l'avez aimé! dit-elle. Vous en avez bien mangé

quatre assiettes !

- Je serai toujours votre débiteur. Vous m'avez sauvé la vie. Merci !

On aida Pitt à grimper dans un petit canot qui le conduisit au patrouilleur. Dès qu'il fut sur le pont, il fut accueilli par Maderas et Hidalgo qui l'escortèrent jusqu'à l'infirmerie o˘ le médecin du bord devait l'examiner. Avant de passer l'écoutille, il fit un dernier signe de la main aux Hagen. Joe et Claire se tenaient par la taille. Joe lança à sa femme un regard étonné.

- Je n'ai pas attrapé plus de cinq poissons dans toute ma vie et tu es la plus mauvaise cuisinière qui soit. qu'est-ce qu'il a voulu dire avec son

"délicieux rago˚t de poissons"?

Claire soupira.

- Le pauvre garçon ! H était si blessé et il avait si faim que je n'ai pas eu le

courage de lui dire que je lui servais une boîte de soupe de poisson relevée avec un peu de cognac !

A Guaymas, Curtis Starger apprit qu'on avait retrouvé Pitt vivant. D. était à la recherche de l'hacienda utilisée par les Zolar. n reçut l'appel sur son appareil portable Iridium de Motorola, depuis son bureau de Calexico.

Lors d'un déploiement tout à fait inhabituel de travail en équipes, les autorités mexicaines de police avaient autorisé Starger et les gens des Douanes à fouiller les immeubles et les terres o˘ ils pouvaient trouver des preuves complémentaires pour inculper la famille de voleurs d'ouvres d'art.

quand Starger et ses agents arrivèrent, l'aérodrome et le domaine ne présentaient aucun signe de vie. L'hacienda était vide et le pilote de l'avion privé de Joseph Zolar avait décidé qu'il était temps de donner sa démission. U avait tranquillement passé la grille du domaine, pris l'autobus pour gagner la ville o˘ il avait trouvé une place à bord d'un avion pour Houston, au Texas, o˘ il habitait.

La fouille de l'hacienda ne donna rien d'intéressant. Les pièces avaient été vidées de tout ce qui aurait pu incriminer la famille. L'avion abandonné sur le tar-mac s'avéra plus intéressant. Starger y trouva quatre effigies de bois naÔvement sculptées avec des visages peints, un peu enfantins.

- qu'est-ce que tu dis de ça? demanda Starger à l'un de ses agents, spécialiste d'art ancien du Sud-Ouest.

- On dirait des idoles religieuses indiennes.

- C'est du cotonnier?

L'agent ôta ses lunettes de soleil et examina les idoles de près.

- Oui, je crois pouvoir affirmer qu'elles sont en cotonnier. Starger caressa doucement l'une des statuettes.

- quelque chose me dit que ce sont les idoles sacrées que cherche Pitt.

On raconta les événements à Rudi Gunn sur son lit d'hôpital. Une infirmière entra dans la chambre, suivie par un des agents de Starger.

- Monsieur Gunn, je suis l'agent Anthony Di Maggio, du service des Douanes.

J'ai pensé que ça vous ferait plaisir d'apprendre qu'on a repêché Dirk Pitt vivant dans le golfe, il y a une demi-heure.

Gunn ferma les yeux et poussa un long soupir de soulagement.

- Je savais qu'il réussirait !

- Un sacré courage, d'après ce qu'on m'a raconté, n paraît qu'il a parcouru plus de cent kilomètres à la nage dans une rivière souterraine.

- Personne d'autre n'aurait pu le faire.

- J'espère que ces bonnes nouvelles vous aideront à vous montrer plus coopératif, dit l'infirmière en lui présentant un thermomètre.

- Ce n'est pas un bon malade? demanda Di Maggio.

- J'en ai soigné de meilleurs.

- Est-ce que quelqu'un va enfin me donner un pyjama, fit Gunn d'un ton 406

L'OR DES INCAS

exaspéré, au lieu de cette brassière attachée dans le dos et courte comme une chemise de nuit?

- Les vêtements d'hôpital ont une bonne raison d'être faits comme ça, répondit l'infirmière sans se démonter.

- Ah oui? Et pourquoi, s'il vous plaît?

- Je ferais mieux de vous laisser, fit Di Maggio en battant en retraite.

Bonne chance et prompt rétablissement.

- Merci de m'avoir donné des nouvelles de Pitt, dit sincèrement Gunn.

- Je vous en prie.

- Maintenant, reposez-vous, ordonna l'infirmière. Je reviens dans une heure avec vos médicaments.

Fidèle à sa parole, l'infirmière revint juste une heure après. Mais le lit était vide. Gunn s'était envolé, vêtu seulement de sa courte brassière et d'une couverture.

Curieusement, les gens de YAlhambra furent les derniers informés. Loren et Sandecker discutaient avec les enquêteurs de la police mexicaine à côté de la Pierce Arrow quand la nouvelle du sauvetage de Pitt leur fut communiquée par le propriétaire d'un puissant et luxueux bateau accosté près de la proche station d'essence. Il cria pour attirer leur attention.

- Hello du ferry !

Miles Rodgers se tenait sur le pont près de la cabine de pilotage, discutant

avec Shannon et Duncan. Il se pencha sur le bastingage.

- qu'est-ce qu'il y a? cria-t-il.

- Ils ont trouvé votre copain.

Les mots se répercutèrent jusqu'au pont automobile et Sandecker se précipita

sur le pont supérieur.

- Répétez ça? hurla-t-il.

- Des plaisanciers sur un ketch ont repêché un type, cria le skipper du yacht. Les autorités mexicaines disent que c'est celui que vous cherchiez.

Tout le monde était sur le pont, maintenant. Et tous avaient peur de poser la question dont ils craignaient la réponse. Giordino poussa son fauteuil roulant et grimpa la rampe de chargement, comme s'il conduisait un dragster. Craintivement, il cria vers le puissant yacht :

- Il est vivant?

- Les Mexicains disent qu'il n'était pas en grande forme mais que tout s'est arrangé quand la femme du plaisancier l'a bourré de soupe de poisson.

- Pitt est vivant! souffla Shannon. Duncan secoua la tête, incrédule.

- Je n'arrive pas à croire qu'il ait réussi à atteindre le golfe !

- Moi, si, murmura Loren, le visage dans ses mains pour cacher ses larmes.

Je savais qu'il ne pouvait pas mourir.

Toute dignité, tout orgueil l'abandonnèrent. Elle se pencha et prit Giordino dans ses bras. Ses joues étaient mouillées et rouges sous son nouveau bronzage.

LE PASSAGE DU CAUCHEMAR

407

On oublia les enquêteurs mexicains. Tout le monde se mit à crier et à

s'embrasser. Sandecker, normalement taciturne et réservé, cria un "Youpi"

sonore et courut vers le poste de pilotage. Là, il téléphona au Commandement de la Flotte mexicaine pour demander plus de détails.

Duncan s'absorba furieusement dans ses cartes hydrographiques du système d'eau sous le désert, impatient d'apprendre quelles données Pitt avait pu rassembler pendant son incroyable voyage dans la rivière souterraine.

Shannon et Miles ouvrirent, pour fêter l'événement, une bouteille de Champagne à bon marché trouvée dans le réfrigérateur de la cuisine et distribuèrent les verres à la ronde. On sentait Miles pleinement heureux de la nouvelle mais les yeux de Shannon paraissaient particulièrement pensifs.

Elle regarda ouvertement Loren, ressentant une curieuse envie qu'elle n'aurait jamais pensé éprouver. Elle réalisa peu à peu qu'elle s'était peut-être trompée en ne montrant pas plus de compassion envers Pitt.

- Ce sacré bonhomme est comme une pièce truquée qui tombe toujours du bon côté ! dit Giordino en tentant de contrôler son émotion. Loren le regarda sans ciller.

- Est-ce que Dirk t'a dit qu'il m'a demandé de l'épouser?

- Non, mais ça ne m'étonne pas. Il a une haute idée de toi.

- Mais tu ne penses pas que ce soit une bonne idée, n'est-ce pas? Giordino secoua lentement la tête.

- Pardonne-moi si je dis qu'une union entre vous ne serait pas un lit de rosés.

- Nous sommes trop têtus et trop indépendants pour vivre ensemble, c'est ce que tu veux dire?

- Oui, c'est ça. Vous êtes tous les deux comme des trains express roulant sur des voies parallèles. De temps en temps, ils se rencontrent dans une gare mais la plupart du temps, ils n'ont pas la même destination.

Elle lui serra la main.

- Merci d'avoir été aussi honnête.

- qu'est-ce que je connais aux mariages? dit-il en riant. Je ne suis jamais resté plus de deux semaines avec la même femme. Loren regarda Giordino au fond des yeux.

- Il y a quelque chose que tu ne me dis pas.

- Les femmes ont le nez creux pour ça.

- qui était-ce? demanda Loren en hésitant.

- Elle s'appelait Summer, répondit franchement Giordino. Elle est morte en mer il y a quinze ans, au large d'HawaÔ.

- L'affaire du tourbillon du Pacifique, je me rappelle qu'il m'en a parlé.

- Il a tout fait pour la sauver, mais en vain.

- Et il ne l'a jamais oubliée, dit Loren. Giordino fit oui de la tête.

- Il n'en parle jamais mais il a souvent un regard rêveur quand il voit une femme qui lui ressemble.

408

L'OR DES INCAS

LE PASSAGE DU CAUCHEMAR

409

- Oui, je lui ai vu cette expression rêveuse plus d'une fois, dit Loren d'une

voix triste.

- Il ne peut pas passer sa vie à regretter un fantôme, dit Giordino. Nous avons tous l'image d'un amour perdu mais il faut l'oublier un jour ou l'autre.

Loren n'avait jamais vu Giordino, d'ordinaire si prompt à plaisanter, faire preuve d'autant de sagesse.

- As-tu toi aussi un fantôme? Il la regarda en souriant.

- Un été, j'avais dix-neuf ans, j'ai vu une fille faire du vélo sur un trottoir à Balboa Island, en Californie du Sud. Elle portait un petit short blanc et une blouse vert p‚le nouée à la taille. Ses cheveux blonds étaient attachés en queue de cheval et ses bras et ses jambes bronzés avaient une belle teinte acajou. J'étais trop loin pour voir la couleur de ses yeux mais j'imagine qu'ils étaient bleus. Elle semblait libre, heureuse de vivre et je suis s˚r qu'elle avait le sens de l'humour. Il ne se passe pas un jour sans que je ne revoie son image.

- Et tu ne l'as pas suivie? demanda Loren, surprise.

- Crois-moi si tu veux, j'étais très timide, à l'époque. J'ai arpenté le même trottoir tous les jours pendant un mois, espérant l'apercevoir à

nouveau. Mais elle ne s'est jamais montrée. Elle était sans doute en vacances avec ses parents. Elle a d˚ rentrer chez elle avant que nos chemins se croisent.

- C'est triste, dit Loren.

- Oh, je ne suis pas s˚r. On se serait peut-être mariés, dit Giordino en riant soudain, on aurait eu dix gosses et en fin de compte, on se serait sans doute détestés.

- Pour moi, Pitt est comme ton amour perdu. Une illusion à laquelle je ne peux jamais me rattacher tout à fait.

- Il changera, assura Giordino avec gentillesse. Tous les hommes s'adoucissent avec l'‚ge.

Loren sourit et secoua légèrement la tête.

- Pas les Dirk Pitt de ce monde. Ils sont poussés par un désir intérieur de résoudre les mystères et de relever les défis de l'inconnu. La dernière chose qu'ils souhaitent, c'est de vieillir auprès d'une femme et d'enfants et de mourir dans une maison de retraite.

61

Le petit port de San Felipe était en fête et ses quais noirs de monde, n y régnait une atmosphère de fièvre quand le patrouilleur approcha la digue et entra dans le port. Maderas se tourna vers Pitt.

- Une belle réception, hein?

Pitt fronça les sourcils sous la forte lumière.

- C'est une fête locale?

- Non, c'est la nouvelle de votre remarquable équipée sous la terre qui les a rassemblés.

- Vous plaisantez ! dit Pitt, vraiment surpris.

- Non, senor. A cause de votre découverte d'une rivière sous le désert, vous êtes devenu un héros pour tous les fermiers et les rancheros d'ici jusqu'à l'Arizona. Tous ces gens luttent pour survivre sur une terre aride et dure. (Il montra deux camions d'o˘ l'on déchargeait du matériel de télévision.) Ce qui fait que vous allez être à la une, le héros du jour.

- Oh ! Mon Dieu ! gémit Pitt. Tout ce que je demande, c'est un bon lit o˘

je pourrai dormir trois jours d'affilée.

Moralement et physiquement, Pitt allait beaucoup mieux depuis qu'il avait parlé par la radio du bord avec l'amiral Sandecker et appris que Loren, Rudi et Al étaient vivants et bien-portants malgré leurs blessures.

Sandecker lui avait aussi raconté la mort de Cyrus Sarason après l'intervention de Billy Yuma et l'arrestation de Zolar et d'Oxley - ainsi que la récupération du trésor de Huascar - par Gaskill et Ragsdale avec l'aide de Henry et Micki Moore.

Pitt se dit stoÔquement que le petit peuple avait de l'espoir, après tout.

Il ne fallut que dix minutes, qui parurent des heures, pour que le Porqueri

‚ soit à nouveau amarré le long de YAlhambra pour la seconde fois ce jour-là. Un grand calicot traversait le pont supérieur du ferry-boat o˘ l'on pouvait lire, en lettres encore humides de peinture, " BON RETOUR D'ENTRE

LES MORTS ".

Sur le pont intérieur, un orchestre mariachi mexicain jouait et chantait un morceau qui parut vaguement familier à Pitt. Il se pencha sur le bastingage du patrouilleur, écouta attentivement et soudain éclata de rire. Mais immédiatement, il se plia en deux. L'éclat de rire avait réveillé un éclair de douleur dans sa cage thoracique. Giordino venait de lui jouer une bonne blague.

- Vous connaissez le morceau que joue l'orchestre? demanda Maderas, un peu inquiet de la souffrance qui se mêlait au sourire ravi sur les traits de Pitt.

- Je reconnais l'air mais pas les paroles, haleta Pitt. Ils chantent en espagnol.

Miralos andando

Véalos andando

Lleva a tu novia favorita, tu companero real

B‚jate a la represa, dije la represa

J˚ntate con ese gentiô andando,

Oiga la m˚sica y la canciôn

Es simplemente magnffico camarada,

Esperando en la represa

Esperando par el Roberto E. Lee.

- Miralos andando, répéta Maderas, embarrassé. que veulent-ils dire? "Allez au barrage" ?

410

L'OR DES INCAS

LE PASSAGE DU CAUCHEMAR

411

- La digue, devina Pitt. Les premiers mots sont " allez jusqu' à la digue

".

Tandis que sonnaient les trompettes, que grattaient les guitares et que sept voix d'hommes chantaient la version mariachi de "En attendant le Robert E. Lee", Loren, au milieu de la foule qui avait envahi le ferry, faisait de grands signes des bras. Elle vit Pitt scruter le ferry jusqu'à

ce qu'il l'aperçoive et lui

rende joyeusement son salut.

Elle découvrit le pansement autour de sa tête, le bras gauche en écharpe et le pl‚tre autour du poignet gauche. Dans le short et la chemise de golf empruntés, il détonnait au milieu des uniformes de la marine mexicaine. Au premier coup d'oeil, il paraissait étonnamment en forme pour un homme qui venait de traverser l'enfer, le purgatoire et les abîmes obscurs des profondeurs. Mais Loren savait combien Pitt était doué pour donner le change et dissimuler la fatigue et la souffrance. Elle les lisait dans ses yeux.

Pitt aperçut l'amiral Sandecker debout près du fauteuil roulant de Giordino. H repéra aussi Gordo Padilla qui tenait par la taille sa femme Rosa. Jésus, Gato et ce mécanicien dont il ne se rappelait jamais le nom étaient là aussi, brandissant des bouteilles. Puis on abaissa la passerelle et Pitt serra la main de Maderas et

d'Hidalgo.

- Merci, messieurs, et remerciez votre toubib pour moi. n m'a bien réparé

et il a fait un boulot magnifique.

- C'est nous qui vous sommes redevables, senor Pitt, dit Hidalgo. Mon père et ma mère ont un petit ranch non loin d'ici qui va enfin leur rapporter quelque chose quand on aura creusé des puits jusqu'à votre rivière.

- S'il vous plaît, dit Pitt, promettez-moi quelque chose.

- Avec plaisir, si c'est en mon pouvoir.

- Ne laissez jamais personne donner mon nom à cette fichue rivière, fit Pitt

en souriant.

n s'éloigna et traversa le pont du ferry dans une véritable marée humaine.

Loren courut à sa rencontre, s'arrêta près de lui et mit doucement ses bras autour du cou de Pitt en prenant soin de ne pas s'appuyer sur ses blessures. Elle l'embrassa, les lèvres tremblantes, les yeux pleins de larmes, et sourit.

- Bienvenue chez toi, marin, dit-elle.

Puis ce fut la ruée. Les journalistes et les cameramen des deux côtés de la frontière entourèrent Pitt tandis qu'il accueillait Sandecker et Giordino.

- Je pensais que, cette fois-ci, tu reviendrais avec une pierre tombale autour du cou, dit Giordino avec un sourire large comme une enseigne au néon d'un bar

de Las Vegas.

- Si je n'avais pas retrouvé le Wallowing Windbag, répondit Pitt en souriant

aussi, je ne serais pas ici.

- J'espère que vous réalisez que vous devenez un peu vieux pour aller nager dans les cavernes, fit Sandecker, faussement sévère. Pitt leva son bras valide comme pour faire un serment.

- Avec votre aide, amiral, si vous me voyez ne serait-ce que regarder une caverne souterraine, je vous autorise à me fusiller sur-le-champ.

Puis Shannon s'approcha et planta un long baiser sur ses lèvres, ce qui rendit Loren folle de rage. quand elle le rel‚cha, elle dit :

- Vous m'avez manqué.

Avant qu'il puisse répondre, Miles Rodgers et Peter Duncan serraient sa main valide.

- Vous êtes un rude gaillard ! dit Rodgers.

- J'ai cogné l'ordinateur et perdu toutes vos données, dit Pitt à Duncan.

J'en suis vraiment désolé.

- Pas de problème, fit Duncan avec un large sourire. Maintenant que vous avez prouvé que la rivière coule du Trou de Satan jusqu'au golfe en passant par Cerro El Capirote, nous pourrons tracer sa course avec des systèmes d'images so-niques géophysiques et des instruments de transmission.

Soudain, ignoré par la foule, un vieux taxi fatigué de Mexicali s'arrêta dans un nuage de fumée. Un homme en sortit qui traversa h‚tivement le quai et le pont du ferry, vêtu d'une couverture, n baissa la tête et fendit la foule jusqu'à Pitt.

- Rudi ! s'écria Pitt. D'o˘ arrives-tu?

Comme pour une scène bien minutée de cinéma, les doigts cassés de Gunn l

‚chèrent la couverture qui tomba sur le pont, le laissant là, debout, vêtu d'une courte brassière d'hôpital.

- J'ai échappé aux griffes d'une infirmière diabolique pour venir t'accueillir ici, dit-il sans le moindre embarras.

- Tu es en bonne voie de guérison?

- Je serai de retour à mon bureau de la NUMA avant toi. Pitt se tourna et fit signe à Rodgers.

- Miles? Avez-vous votre appareil?

- Un bon photographe ne sort jamais sans son appareil, cria Rodgers au-dessus du bruit de la foule.

- Prenez une photo des trois pauvres éclopés de Cerro El Capirote.

- Plus une pauvre chienne battue, ajouta Loren en se joignant au groupe.

Rodgers prit trois clichés avant que les reporters prennent le relais.

- Monsieur Pitt ! (Un des reporters approcha un micro de sa bouche.) que pouvez-vous nous dire de la rivière souterraine, s'il vous plaît?

- Seulement qu'elle existe, répondit-il gentiment, et qu'elle est très humide.

- quelle est sa largeur, à votre avis?

Il réfléchit un moment, passa le bras autour de la taille de Loren et la pressa contre lui.

- Je dirais deux tiers de celle du Rio Grande.

- Tant que ça?

- Facilement !

- Comment vous sentez-vous après avoir traversé ces cavernes souterraines sur plus de cent kilomètres?

Pitt s'énervait toujours quand un reporter demandait à une mère ou un père 412

L'OR DES INCAS

de famille ce qu'ils ressentaient après l'incendie de leur maison et la mort de tous leurs enfants, ou à un témoin ce qu'il ressentait après avoir vu quelqu'un tomber d'un avion sans parachute.

- Comment je me sens? Pour l'instant, je pense que ma vessie va éclater si je ne trouve pas tout de suite les toilettes.

…PILOGUE

Le retour

4 novembre 1998 San Felipe, Basse-Californie.

62

Deux jours plus tard, quand tous les témoignages eurent été communiqués aux enquêteurs mexicains, tous furent libres de quitter le pays. Ils se rassemblèrent sur le quai pour se dire adieu.

Le Dr Duncan fut le premier à partir. L'hydrologiste fila de bonne heure, le matin, et avait disparu avant que quiconque s'aperçoive de son absence.

D avait devant lui une année laborieuse en tant que directeur du Projet Hydraulique du Sonoran, comme il allait s'appeler. L'eau de la rivière allait être une bénédiction pour le Sud-Ouest perpétuellement affligé de sécheresse. L'eau, sève de toute civilisation, créerait des emplois pour les habitants du désert. La construction d'aqueducs et de pipelines allait transporter l'eau aux villes et aux villages et l'on transformerait le lac asséché en un plan d'eau aussi vaste que celui du lac Powell. Ensuite, on réaliserait les projets miniers pour recueillir toutes les richesses minérales que Pitt avait découvertes pendant son odyssée souterraine et l'on ouvrirait un centre touristique sous la terre.

Le Dr Shannon Kelsey avait été invitée par le gouvernement du Pérou pour continuer ses recherches dans les ruines des cités chachapoyas. Là o˘ elle allait, Miles Rodgers suivait.

- J'espère que nous nous reverrons, dit Rodgers en serrant la main de Pitt.

- Seulement si vous me promettez de vous tenir éloigné des puits sacrificiels, répondit Pitt avec chaleur.

- Vous pouvez compter sur moi, assura Rodgers en riant. Pitt regarda Shannon dans les yeux. Il y vit autant de détermination et d'effronterie que d'habitude.

- Je vous souhaite ce qu'il y a de mieux.

Elle vit en lui le seul homme qu'elle n'ait jamais pu faire plier à sa volonté.

416

L'OR DES INCAS

Elle ressentait pour lui une sorte d'affection qu'elle ne pouvait expliquer. Pour faire enrager Loren, Shannon embrassa longuement les lèvres de Pitt.

- A bientôt, grand homme. Ne m'oubliez pas.

Pitt hocha la tête.

- Même si je le voulais, je ne le pourrais pas, dit-il en souriant.

quand Shannon et Miles furent partis pour l'aéroport de San Diego dans une voiture de location, un hélicoptère de la NUMA apparut dans le soleil et vint se poser sur le pont de YAlhambra. Le pilote laissa tourner le réacteur et sauta par la porte de la soute. Il chercha des yeux Sandecker et s'approcha de lui.

- Bonjour, amiral. Vous êtes prêt à partir ou dois-je arrêter le réacteur?

- Non, laissez-le tourner. O˘ en est le jet de la NUMA?

- Il vous attend sur le terrain des Marines de Yuma pour vous ramener avec les autres à Washington.

- Très bien, nous montons tout de suite. (Il se tourna vers Pitt.) Alors vous

partez en congé de maladie?

- Loren et moi allons rejoindre un club de voitures anciennes et faire le tour

de l'Arizona.

- Je vous attends dans une semaine !

Il se tourna vers Loren et posa un baiser léger sur sa joue.

- Vous êtes membre du Congrès. Ne le laissez pas faire de bêtises et veillez à ce qu'il rentre en un seul morceau, prêt à se remettre au travail.

- Ne vous inquiétez pas, amiral, fit Loren en souriant. Mes électeurs souhaitent eux aussi que je sois en pleine forme pour reprendre mes activités.

- Et moi? dit Giordino. Aurai-je droit à quelques jours de repos pour récupérer?

- On peut très bien s'asseoir derrière un bureau dans un fauteuil roulant.

(Sandecker eut un sourire diabolique.) Pour Rudi, c'est différent. Je crois que je vais l'envoyer un mois aux Bermudes.

- quel grand homme ! dit Gunn en essayant de cacher son envie de rire.

Bien s˚r, c'était une comédie habituelle. Sandecker considérait Pitt et Giordino comme ses fils. Entre eux, rien ne se passait qui ne f˚t marqué du sceau d'un mutuel et profond respect. L'amiral savait bien que, dès qu'ils se sentiraient en bonne santé, ils assiégeraient son bureau pour qu'on leur donne un nouveau projet

océanographique à diriger.

Deux dockers soulevèrent le fauteuil de Giordino et le hissèrent dans l'hélicoptère. Il avait fallu enlever un siège pour lui permettre d'allonger ses

jambes pl‚trées.

Put passa la tête par la porte de l'appareil et chatouilla les orteils dépassant

du pl‚tre.

- Essaie de ne pas perdre cet hélicoptère comme tous les autres.

- Ce n'est pas un problème, répondit Giordino. On m'en donne un chaque fois que j'achète quinze litres d'essence. Gunn posa la main sur l'épaule de Pitt.

- On s'est bien amusés, dit-il. Il faudrait qu'on recommence un de ces jours.

L'OR DES INCAS

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Pitt fit une grimace horrifiée.

- Plutôt mourir!

Sandecker serra légèrement Pitt entre ses bras.

- Reposez-vous et prenez la vie comme elle vient, dit-il à voix basse pour ne pas être entendu des autres malgré le bruit des rotors. Je vous verrai quand je vous verrai.

- Je ferai en sorte que ce soit bientôt.

Loren et Pitt restèrent sur le pont du ferry-boat et firent de grands signes d'adieu jusqu'à ce que l'appareil vire au nord-est au-dessus des eaux du golfe, n se tourna vers elle.

- Eh bien, nous voilà seuls.

- Je meurs de faim, dit-elle en souriant. Si nous allions à Mexicali pour trouver un bon restaurant mexicain ?

- Maintenant que tu en parles, j'ai une envie folle d'un huevos rancheros.

- Je suppose que je dois conduire? Pitt leva la main.

- J'ai encore un bras valide.

Mais Loren ne voulut pas en entendre parler. Pitt, sur le quai, la guida pour sortir la Pierce Arrow et sa caravane du compartiment de la soute.

Avant de monter en voiture, Pitt jeta un dernier regard aux moteurs à

balanciers du vieux steamer à aubes. Il aurait bien voulu lui faire traverser le canal de Panama et remonter le Potomac jusqu'à Washington.

Mais cela ne devait pas se faire. Il couvrit le vieux ferry d'un regard malheureux et s'apprêtait à se glisser sur le siège du passager quand une voiture s'arrêta près de lui. Curtis Starger en descendit. Il leur fit un signe.

- Je suis content d'avoir pu arriver avant votre départ. Dave Gaskill m'a demandé de vous remettre ceci.

Il tendit à Pitt un paquet fait d'une couverture indienne. Incapable de le prendre à deux mains, il demanda l'aide de Loren. Elle prit la couverture et la déplia.

quatre visages peints sur de gros b‚tons de prière les regardèrent.

- Les idoles sacrées des Montolos ! dit Pitt. O˘ les avez-vous trouvées?

- On les a reprises dans l'avion privé de Joseph Zolar, à Guaymas.

- J'étais s˚r que les idoles étaient entre ses sales pattes.

- On les a identifiées avec certitude comme étant les idoles volées aux Montolos d'après l'inventaire d'un collectionneur que nous avons trouvé au même endroit, expliqua Starger.

- Voilà qui va rendre les Montolos très heureux. Starger lui adressa un petit sourire blagueur.

- Je suppose qu'on peut compter sur vous pour les leur remettre? Pitt gloussa et pencha la tête en regardant la camionnette Travelodge de Starger.

- Je suppose qu'elles n'ont pas autant de valeur que l'or que vous trimbalez dans la remorque?

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Starger fit à Pitt un clin d'oeil signifiant " vous ne me la ferez pas ".

- «a c'est drôle ! De toute façon, tous les objets d'art sont répertoriés.

- Je vous promets de passer rendre les idoles au village montolo en regagnant la frontière.

- Ni Dave Gaskill ni moi n'en avons douté une seconde.

- Comment vont les Zolar?

- Ils sont en taule avec toutes les inculpations possibles, du vol et de la contrebande d'objets d'art jusqu'au meurtre. Vous serez heureux d'apprendre qu'on leur a refusé une libération sous caution. On était trop s˚r qu'ils en profiteraient pour quitter le pays.

- Votre équipe a fait du bon boulot.

- Gr‚ce à votre aide, monsieur Pitt. Si jamais les Douanes peuvent vous faire une fleur, sauf bien s˚r introduire quelque chose illégalement dans ce pays, n'hésitez pas à nous appeler.

- Je m'en souviendrai, merci.

Billy Yuma dessellait son cheval après sa ronde quotidienne auprès de son petit troupeau. H s'arrêta pour regarder le paysage rocailleux de cactus, de mesquites, et de tamaris éparpillés entre les rochers qui constituaient son domaine dans le désert de Sonoran. Il vit approcher un nuage de poussière qui, peu à peu, se transforma en une très vieille automobile tirant une remorque, les deux véhicules peints en vert foncé, presque noir.

Sa curiosité augmenta en constatant que la voiture et sa caravane s'arrêtaient devant sa maison. Il sortit du corral au moment o˘ la porte de la voiture s'ouvrait et que Pitt en sortait.

- Le chaud soleil sur vous, mon ami, dit Yuma pour l'accueillir.

- Le ciel clair soit sur vous, Billy, répondit Pitt. Yuma serra vigoureusement la main de son visiteur.

- Je suis vraiment heureux de vous voir. On m'avait dit que vous étiez mort dans l'obscurité.

- Presque, mais pas tout à fait, dit Pitt en montrant son bras en écharpe.

Je voulais vous remercier d'être entré dans la montagne et d'avoir sauvé la vie de

mes amis.

- Les hommes méchants devaient mourir, dit Yuma avec philosophie. Je suis heureux d'être arrivé à temps.

Pitt tendit à Yuma les idoles enveloppées dans leur couverture.

- J'ai apporté quelque chose pour vous et votre tribu. Yuma défit presque tendrement le haut de la couverture comme s'il s'agissait d'un bébé. Il contempla un long moment, sans rien dire, le visage des quatre déités. Puis il dit, les larmes aux yeux :

- Vous avez rendu son ‚me à mon peuple, nos rêves, notre religion.

Maintenant, nos enfants vont pouvoir être initiés et devenir des hommes et des

femmes.

- On m'a dit que ceux qui les ont volées avaient entendu des bruits étranges, comme des pleurs d'enfants.

- Elles pleuraient pour rentrer chez elles !

- Je croyais que les Indiens ne pleuraient jamais?

Yuma sourit en réalisant avec bonheur ce qu'il tenait dans ses bras.

- Ne croyez pas cela. En fait, ils n'aiment pas qu'on les voie pleurer, c'est tout.

Bill présenta Loren à sa femme Polly qui insista pour les garder à dîner.

Lo-ren lui avoua que Pitt adorait les huevos rancheros, aussi Polly en confectionna-t-elle en quantité suffisante pour nourrir cinq personnes.

Pendant le repas, tous les amis et parents de Yuma vinrent chez lui pour contempler avec révérence les idoles de cotonnier. Les hommes serrèrent la main de Pitt et les femmes firent cadeau à Loren de petits objets artisanaux. La scène était très émouvante et Loren pleura sans honte.

Pitt et Yuma sentaient qu'ils étaient très semblables, en fait. Ni l'un ni l'autre n'avait guère d'illusions. Pitt lui adressa un sourire.

- C'est un honneur de vous avoir pour ami, Billy.

- Vous serez toujours le bienvenu ici.

- quand on aura amené l'eau à la surface, dit Pitt, je veillerai à ce que votre village figure en tête de la liste pour la recevoir.

Yuma ôta de son cou une amulette sur une lanière de cuir et la tendit à

Pitt.

- Voilà quelque chose qui vous rappellera notre amitié. Pitt regarda l'amulette. C'était une reproduction en cuivre du Demonio de los Muertos de Cerro El Capirote, ornée de turquoises.

- «a a trop de valeur, je ne peux pas l'accepter ! Yuma secoua la tête.

- J'avais juré de la porter jusqu'à ce que nos idoles sacrées nous soient rendues. Maintenant, qu'elle vous porte bonheur.

- Merci.

Avant de quitter le canyon Ometepec, Pitt emmena Loren jusqu'à la tombe de Patty Lou Cutting. Elle s'agenouilla et lut l'inscription gravée sur la tombe.

- quelles paroles magnifiques, dit-elle, émue. Ont-elles une histoire?

- Personne ne semble la connaître. Les Indiens disent qu'elle a été

enterrée par des inconnus, pendant la nuit.

- Elle était si jeune ! Dix ans seulement !

- Oui, dit Pitt. Elle repose dans un lieu bien solitaire pour une petite fille de dix ans.

- quand nous rentrerons à Washington, nous essaierons de savoir si on trouve quelque chose sur elle.

Les fleurs du désert avaient fleuri puis séché, aussi Loren fit-elle une couronne des branches d'un buisson et la posa sur la tombe.

Ils restèrent un long moment à contempler le désert. Les couleurs, inondées par le soleil couchant, étaient vives et extraordinaires, rehaussées encore par la clarté de l'air de novembre.

Tout le village s'aligna le long de la route pour leur dire adieu tandis que Lo-420

L'OR DES INCAS

ren conduisait la Pierce Arrow vers la grand-route. En passant les vitesses, elle jeta à Pitt un regard rêveur.

- Tu trouveras peut-être ça drôle, mais je pense que ce petit village serait idéal pour une lune de miel tranquille.

- Est-ce que tu essaies de me rappeler que je t'ai un jour demandée en mariage? demanda Pitt en serrant une des mains de la jeune femme posées sur le volant.

- Je suis prête à l'oublier comme un instant de folie de ta part.

- Est-ce un refus?

- Ne fais pas l'idiot. Il faut bien que l'un de nous garde la tête froide.

Tu es trop honnête pour faire machine arrière.

- J'étais sérieux.

quittant la route des yeux, elle lui sourit tendrement.

- Je sais bien que tu l'étais mais soyons réalistes. Notre problème, c'est que nous sommes de bons copains mais que nous n'avons pas besoin l'un de l'autre. Si nous vivions tous les deux dans une petite maison avec une haie autour, les meubles seraient couverts de poussière parce que ni l'un ni l'autre ne serions jamais là. On ne mélange pas l'huile et l'eau. Ta vie, c'est la mer, la mienne, le Congrès. Nous n'aurions jamais de relation proche, aimante. Tu n'es pas d'accord?

- Je dois avouer que ton dossier tient la route.

- Je propose que nous continuions comme nous l'avons toujours fait. Pas d'objection?

Pitt prit son temps pour répondre. Loren se dit qu'il cachait rudement bien son soulagement. Il regarda par le pare-brise la route qui s'étirait devant eux.

- Tu sais quoi, madame le député?

- Non, quoi?

- Pour une politicienne, tu es une femme incroyablement honnête et attirante.

- Et pour un ingénieur de marine, dit-elle d'une voix rauque d'émotion, tu es si facile à aimer !

Pitt eut un petit sourire et ses yeux verts s'emplirent de malice.

- Combien jusqu'à Washington?

- Environ cinq mille kilomètres, pourquoi?

Il retira l'écharpe qui tenait son bras et lui entoura les épaules.

- Réfléchis un peu. Nous avons cinq mille kilomètres pour trouver à quel point il est facile de m'aimer.

POSTFACE

Les murs de la salle d'attente, devant le bureau personnel de Sandecker, dans l'immeuble du quartier général de la NUMA, sont couverts de photographies représentant tous les gens huppés, riches et célèbres que fréquente l'amiral. On y reconnaît cinq présidents des Etats-Unis, de nombreux chefs militaires, des chefs d'Etat, des membres du Congrès, des savants célèbres et toute une brochette de vedettes de cinéma. Tous regardent l'objectif avec un sourire de circonstance.

Toutes ces photos sont encadrées simplement, en bois noir. Toutes, sauf celle qui est accrochée exactement au centre de toutes les autres. Celle-là

est dans un cadre en or.

Sur cette photo, Sandecker se tient au milieu d'un groupe étrange de gens qui ont l'air de sortir d'une sorte d'accident spectaculaire. Un homme trapu aux cheveux bouclés est assis dans un fauteuil roulant. Il a les jambes pl‚trées dirigées vers le photographe. A côté de lui, on voit un petit homme avec des lunettes à monture d'écaillé, la tête bandée et les doigts pl‚trés. Celui-là porte ce qui paraît être une courte brassière d'hôpital délacée. Puis il y a une jolie femme en short avec un maillot sans manches qui pourrait s'être tout juste échappée d'un foyer pour femmes battues. A côté d'elle se tient un homme grand au front bandé, un bras en écharpe. Il a les yeux pleins de malice d'un aventurier et penche la tête en un grand éclat de rire.

Si, après avoir été introduit dans le bureau de l'amiral, vous lui demandez par hasard qui sont les étranges personnages figurant sur la photo au cadre d'or, préparez-vous à rester là, à l'écouter attentivement pendant au moins une heure.

C'est une longue histoire et Sandecker adore raconter comment le Rio Pitt a été baptisé.

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Cet ouvrage a été réalisé par la SOCI…T… NOUVELLE FIRMIN-DIDOT

Mesnil-sur-l 'Estrée

pour le compte des …ditions Grasset

en mars 1995

Imprimé en France Dépôt légal : avril 1995 . N∞ d'édition : 9722 - N∞

d'impression ; 30210 ISBN : 2-246-50161-X