Un bouton de rose, près de mon chemin matinal,
Dans un abri au bord des blés,
Courbait gracieusement sa tige épineuse,
Dans la rosée, un matin.
Avant que les ombres de l'aube deux fois aient fui,
Épanouie dans sa gloire cramoisie,
Et penchant richement sa tête emperlée,
Elle embaume le jeune matin.
Dans le buisson était un nid,
Un petit linot le couvait tendrement,
La rosée perlait froide sur sa poitrine,
Si tôt dans le jeune matin.
Il verra bientôt sa chère couvée,
L'orgueil et la joie du bois,
Parmi les fraîches feuilles vertes et humides
Éveiller le jeune matin.
Ainsi, cher oiseau, jeune et belle Jenny,
Sur les cordes tremblantes, ou de ta douce voix,
Tu chanteras pour repayer les tendres soins
Qui protègent ton jeune matin;
Ainsi, doux bouton de rose, jeune et brillant,
Tu brilleras somptueusement tout le jour,
Et tu pareras les rayons du soir de ce père
Qui a veillé sur ton jeune matin[578].
Ce sont là les pièces extrêmes dans cette direction, celles où il y a le moins de sentiment et le plus d'habileté technique. Le plus souvent quand il reprend un de ces motifs, il y ajoute quelque chose de lui. Le fond de la petite pièce suivante est bien peu de chose. Elle est cependant si délicatement travaillée qu'elle peut prendre sa place parmi les pièces modèles de ce genre.
Tandis que les alouettes de leurs petites ailes,
Battaient l'air pur,
Pour goûter l'haleine du printemps
Je sortis et marchai:
Gaiement l'œil d'or du soleil
Regardait par-dessus les hauts monts;
«Tel est ton matin, m'écriai-je,
Phillis, la jolie!»
Aux chansons insouciantes des oiseaux,
Heureux, je prenais ma part;
Et parmi ces fleurs sauvages
Le hasard me
conduisit.
Doucement, sous le jour qui s'ouvrait,
Les boutons de rose inclinaient la branche;
«Telle est ta fleur, dis-je,
Phillis, la jolie!»
Au fond d'une allée ombreuse
Des colombes s'aimaient;
J'aperçus le cruel faucon
Saisi dans un piège.
«Puisse la Fortune être aussi bonne,
Et réserver un destin semblable
À qui voudrait te faire injure,
Phillis, la jolie![579]»
La plupart du temps, quand il prend un de ces canevas tout faits, il commence par y broder quelques jolis détails, curieux par la finesse du travail. Mais cette habileté d'ouvrier ne va pas jusqu'à la fin, et la pièce se termine par une touche de sentiment naturel, sincère, et qui contraste avec la simple dextérité du début.
Oh! joli était ce buisson de roses,
Qui fleurit si loin des demeures des hommes;
Et jolie était celle, et ah! combien chère
Qu'il abritait du soleil couchant.
Ces boutons de rose, dans la rosée matinale,
Comme ils sont purs parmi les feuilles si vertes!
Mais plus pur était le vœu de l'amant
Qu'ils entendaient hier dans leur ombre.
Sous son dais rude et piquant,
Combien douce et belle est cette rose cramoisie!
Mais l'amour est une bien plus douce fleur
Dans le sentier épineux et fatigant de la vie.
Que ce ruisseau écarté, sauvage et murmurant,
Avec ma Chloris dans mes bras soit à moi,
Je ne désirerai ni ne mépriserai le monde
Résignant à la fois ses joies et ses peines[580].
Dans la pièce suivante, cette donnée, si commune, d'un amoureux s'adressant à un oiseau qui gémit, donnée analogue à celle du sonnet de Ronsard:
Que dis-tu? Que fais-tu, pensive
tourterelle,
Dessus cet arbre sec?—Las! passant, je lamente.—
Pourquoi lamentes-tu?—Pour ma compagne absente![581]
et qu'on retrouve dans des sonnets de Pétrarque[582], finit par disparaître presque complètement. La sensibilité vraie envahit le morceau et ne laisse plus place à l'habileté de l'artiste. Cela devient simple et touchant.
Oh! reste, doucement gazouillante alouette des bois, reste,
Ne quitte pas à cause de moi le rameau tremblant;
Un amant malheureux recherche ta chanson,
Ta plainte calmante et aimante.
Redis, redis ce tendre passage,
Pour que je puisse apprendre ton art touchant;
Car sûrement il fondrait le cœur de celle
Qui me tue en me dédaignant,
Dis-moi, ta petite compagne fut-elle cruelle?
T'a-t-elle écouté comme le vent insouciant?
Oh! rien que l'amour et le chagrin unis
Ne peut éveiller de telles notes de douleur.
Tu parles de chagrin immortel,
De douleur silencieuse et de sombre désespoir;
Par pitié, doux oiseau, tais-toi,
Ou mon pauvre cœur se brisera[583].
Il faut bien entendre que ce n'est là qu'un coin très secondaire et très artificiel de ses poésies amoureuses. Il suffit de noter que, même sur ce métier de travail purement littéraire qui n'était pas le sien, et pour ce fin ouvrage de ciselure de vers auxquels ses mains n'étaient pas faites, il a égalé ce qui a été fait de plus net et de plus brillant dans ce genre. Et il convient aussi de ne pas oublier que, sauf les quelques plus grands chantres de l'amour, les autres poètes, dont les pièces forment l'anthologie de cette passion, n'ont guère dépassé ce degré de goût exquis et de légère main-d'œuvre.
Il lui arrive quelquefois, comme pour ne laisser aucune corde qu'il n'ait touchée, d'être plus subtil, plus recherché, et en quelque sorte plus moderne. Ce n'est pas qu'il approche jamais des enveloppements presque indéchiffrables d'images, ou des finesses presque insaisissables de sentiment, qui charment certains artistes modernes, à la suite des gens de la Renaissance. Il n'a pas même l'idée de ces complexités, de ces quintessences. Il est loin de ceux qui saisissent les nuances d'un sentiment, en les isolant du sentiment lui-même; comme s'ils observaient les couleurs qui passent sur un visage, sans voir le visage. Il est à l'autre pôle des plus ténus et des plus sublimés des poètes, qui analysent des émotions si fines qu'elles sont impalpables, qui pèsent de l'impondérable dans de l'imperceptible, et ne semblent jamais avoir dans la main que de la poussière d'émotion. Il est bien loin aussi de ceux qui, placés aux limites de la passion, n'en étudient que les reflets lointains et les dernières colorations mourantes. Il reste toujours près du foyer ardent. Il pose fermement un sentiment plein, entier. S'il rend une phase plus fine d'émotion elle a encore pour cadre l'émotion générale dont elle dépend, qui la raffermit et la soutient. Il y a toujours sous ces teintes plus fugitives le ton franc et simple. La recherche ne l'écarte jamais beaucoup du sentier très clair et très droit qu'il suit d'ordinaire. Ainsi il imagine un compromis entre l'amour et l'amitié, mais ce sera quelque chose de bien peu compliqué, de très primitif, où ce qu'il y a d'un peu plus recherché dans le sentiment est à peine souligné par un peu plus de recherche dans les images.
Retourne-toi, encore, ô belle Eliza,
Un regard de bonté avant que nous ne nous quittions,
Prends pitié du désespéré qui t'aime!
Peux-tu briser son cœur fidèle?
Retourne-toi encore, ô belle Eliza;
Si ton cœur se refuse à aimer,
Par compassion cache la cruelle sentence,
Sous le bon déguisement de l'amitié.
T'ai-je donc offensée, ô bien-aimée?
Mon offense est de t'avoir aimée:
Peux-tu détruire pour jamais la paix
De celui qui mourrait joyeusement pour la tienne?
Tant que la vie battra dans ma poitrine,
Tu seras mêlée à chaque battement;
Retourne-toi encore, ô adorable fille,
Accorde-moi encore un doux sourire.
Ni
l'abeille au cœur de la fleur,
Dans l'éclat d'un midi soleilleux;
Ni la petite fée qui se joue
Sous la pleine lune d'été;
Ni le poète, au moment
Où la fantaisie s'allume en son œil,
Ne connaît le plaisir, ne ressent l'extase
Que ta présence me donne[584].
Ou bien; parlant d'une douleur d'amour, au lieu de se plaindre simplement comme il le fait d'ordinaire, il rendra une idée un peu plus complexe et analogue à celle que termine le beau vers:
Et vis de ta douleur, n'en pouvant pas guérir[585].
mais il n'ira pas au-delà; c'est à peu près la borne de son raffinement.
Où sont les joies que jadis je rencontrais le matin,
Et qui dansaient à la chanson matinale de l'alouette?
Où est la paix qui attendait mes promenades,
Le soir, parmi les bois sauvages?
Je ne suis plus le cours sinueux de cette rivière,
Regardant les douces fleurettes si belles;
Je ne suis plus les pas légers du Plaisir,
Mais le Chagrin et les Soucis aux tristes soupirs.
Est-ce que l'Été a abandonné nos vallées,
Et le sombre et morose Hiver est-il proche?
Non! Non! les abeilles, bourdonnant autour des éclatantes
roses,
Proclament que c'est maintenant l'orgueil de l'année.
Volontiers je voudrais cacher ce que je crains de découvrir,
Ce que depuis longtemps, trop longtemps, je sais trop bien;
Ce qui a causé ce désastre dans mon cœur
Est Jenny, la douce Jenny toute seule.
Le Temps ne peut me secourir, ma peine est immortelle,
L'Espoir n'ose pas m'apporter une consolation:
Allons, énamouré et épris de mon angoisse,
Je chercherai de la douceur dans ma souffrance[586].
Parfois cette sensation de modernité, qu'on découvre çà et là chez lui, ressort d'un mélange plus curieux de paysage et de sentiment. La pièce suivante, par exemple, doit son charme à ce que le paysage, au lieu d'être égal et bien assis comme les effets habituels de soleil ou de nuit, est un effet intermédiaire beaucoup plus rare chez lui. Ce vaste et vague horizon, peint d'un trait, dépasse les descriptions ordinaires. Cette ville aperçue dans la lumière du soir, et qui revient à chaque instant, donne un pittoresque et une couleur qui étaient rares alors. Le morceau entier est comme traversé et empourpré par un rayon du couchant. C'est une impression distinguée, dans le genre de celles qui ont été atteintes plus tard par les poètes, lorsque trouvant les grands effets rendus ils ont été obligés d'en chercher de plus fins et de plus rares.
Oh! savez-vous, qui est dans cette ville,
Sur laquelle vous voyez le soleil couchant?
La plus belle dame est dans cette ville
Sur laquelle brille le soleil couchant.
Peut-être là-bas, dans ce bois vert et brillant,
Elle erre, près de cet arbre touffu.
Heureuses fleurs, qui fleurissez autour d'elle,
Vous obtenez les regards de ses yeux!
Heureux oiseaux qui chantez autour d'elle,
Souhaitant la bienvenue à l'année fleurie!
Et doublement bienvenu soit le printemps
La saison chère à ma Lucy.
Sur la ville là-bas, le soleil étincelle,
Parmi les coteaux couverts de genêts;
Mes délices sont dans cette ville là-bas
Et mon plus cher trésor est la belle Lucy!
Sans ma bien-aimée, tous les charmes
Du paradis ne me fourniraient pas de joie;
Mais donnez-moi Lucy dans mes bras,
Et bienvenu soit le morne ciel des Lapons!
Ma caverne serait une chambre d'amoureux,
Bien que l'hiver furieux déchirât l'air;
Et elle serait une jolie petite fleur
Que j'y soignerais, que j'y abriterais!
Oh! douce est celle qui est dans cette ville,
Sur laquelle est descendu le soleil baissant;
Sur une plus jolie que celle qui est dans cette ville
N'ont jamais brillé ses rayons couchants.
Si le destin courroucé jure qu'il est mon ennemi,
Si je suis condamné à porter la souffrance,
Je quitterai sans peine tout le reste ici-bas,
Mais laissez-moi, laissez-moi ma Lucy bien-aimée.
Car, tant que le sang le plus précieux de la vie sera chaud,
Pas une de mes pensées ne s'éloignera d'elle,
Et elle, comme elle a la plus belle forme,
Possède le cœur le plus fidèle et le plus aimant.
Oh!
savez-vous qui est dans cette ville,
Sur laquelle vous voyez le soleil couchant?
La plus belle dame est dans cette ville
Sur laquelle brille le soleil couchant[587].
Il y a, dans cette allée un peu écartée de son œuvre, des pièces qui font penser à Henri Heine, à certains côtés de Henri Heine. On suppose, en effet, qu'il est mutile de marquer les différences; il n'a ni la saisissante étrangeté d'images, ni l'affinement d'une souffrance toujours à vif, ni l'exquise douceur amère du poète allemand. Ses abeilles n'ont pas voltigé sur les noires absinthes; leur miel est plus simple. Cependant, il y a chez lui un sentiment assez troublant et raffiné qui se trouve à un haut degré dans Heine. Celui-ci, au-delà de tous les poètes, a éprouvé la sensation d'emporter en soi le regard de la bien-aimée, le malaise d'être hanté par des yeux chers et cruels, ce qu'il y a de douloureux dans leur insistance implacable et caressante. «Tes grands yeux de violette je les vois briller devant moi, jour et nuit; c'est là ce qui fait mon tourment; que signifient ces énigmes douces et bleues[588]»? Il les retrouve partout. Les étoiles sont les chers et doux yeux de sa bien-aimée qui veillent sur lui, qui brillent et clignotent du haut de la voûte azurée[589]. Il a écrit sur eux ses plus beaux canzones, ses plus magnifiques stances[590] et des milliers de chansons qui ne périront pas[591]. Et, de fait, il n'y a guère de place où il n'en parle: «Ô les doux yeux de mon épousée, les yeux couleur de violette; c'est pour eux que je meurs[592]».—«Avec tes beaux yeux, tu m'as torturé, torturé, et tu me fais mourir[593]». Cette obsession et ce tourment du regard féminin, si caractéristique de Henri Heine, et que Pétrarque avait déjà connu quand il parlait de «ces beaux yeux qui tiennent toujours en mon cœur leurs étincelles allumées; c'est pourquoi je ne me lasse point de parler d'eux[594]» est bien le fait d'un raffiné. Cet appel de tout un être dans les yeux, cette faculté d'y attirer ce qu'il y a de plus précieux dans une âme et de résumer une personne en un regard, au point d'en souffrir, d'en mourir même, n'appartient qu'à des hommes qui vivent d'une pensée assez ardente pour fondre tout un être dans une expression intangible[595]. C'est l'indice d'un amour très spiritualisé et très intellectuel. Burns a éprouvé, presque à l'égal de Henri Heine, cette tyrannie du regard, et il y a certaines pièces de lui qu'on ne serait pas étonné de rencontrer dans le Retour ou le Nouveau Printemps. On peut citer une de ses premières pièces où déjà ce goût du regard se révèle. Elle est un peu longue, mais elle est aussi intéressante par une suite de comparaisons naturelles dont quelques-unes sont exquises et dont d'autres font penser à celles du Cantique des Cantiques.
Sur les rives du Cessnock vit une fillette;
Si je pouvais décrire sa fortune et son visage;
Elle surpasse de loin toutes nos fillettes,
Et elle a deux yeux étincelants et malicieux.
Elle est plus douce que l'aube du matin,
Quand Phœbus commence à se montrer,
Et que les gouttes de rosée brillent sur les gazons;
Et elle a deux yeux étincelants et malicieux.
Elle est droite comme ce jeune frêne
Qui se dresse entre deux pentes couvertes de primevères,
Et boit le ruisseau, dans sa fraîche vigueur;
Et elle a deux yeux étincelants et malicieux.
Elle est sans tache comme l'épine épanouie,
Avec des fleurs si blanches et des feuilles si vertes,
Quand elle est pure dans la rosée matinale;
Et elle a deux yeux étincelants et malicieux.
Son air est comme le mai vernal,
Quand Phœbus brille sereinement, le soir,
Quand les oiseaux se réjouissent sur toutes les branches;
Et elle a deux yeux étincelants et malicieux.
Sa
chevelure est comme le brouillard floconneux
Qui gravit, le soir, le flanc des montagnes,
Quand les pluies qui ravivent les fleurs ont cessé;
Et elle a deux yeux étincelants et malicieux.
Son front est comme l'arc pluvieux,
Quand des rayons brillants s'interposent,
Et dorent le front de la montagne lointaine;
Et elle a deux yeux étincelants et malicieux.
Ses joues sont comme cette perle cramoisie,
L'orgueil du parterre de fleurs,
Qui commence à s'ouvrir sur sa tige épineuse;
Et elle a deux yeux étincelants et malicieux.
Sa gorge est comme la neige de la nuit,
Quand le matin se lève pâle et froid,
Tandis que les ruisseaux murmurants coulent cachés;
Et elle a deux yeux étincelants et malicieux.
Ses lèvres sont comme ces cerises mûres,
Que des murailles ensoleillées abritent de Borée,
Elles tentent le goût et charment la vue;
Et elle a deux yeux étincelants et malicieux.
Ses dents sont comme un troupeau de brebis
Aux toisons nouvellement lavées,
Qui montent lentement la colline rapide;
Et elle a deux yeux étincelants et malicieux.
Son haleine est comme la brise parfumée
Qui agite doucement les fèves en fleurs,
Quand Phœbus s'enfonce derrière les mers;
Et elle a deux yeux étincelants et malicieux.
Sa voix est comme la grive, le soir,
Qui chante sur les bords du Cessnock, cachée,
Tandis que sa compagne couve son nid dans le buisson;
Et elle a deux yeux étincelants et malicieux.
Mais ce n'est pas son air, sa forme, son visage,
Bien qu'ils égalent la reine fabuleuse de la beauté,
C'est l'esprit qui brille dans toutes ses grâces;
Et surtout dans ses yeux malicieux[596].
Une autre pièce a un refrain presque semblable:
Je vois un corps, je vois un visage,
Qu'on peut mettre avec les plus beaux;
Mais pour moi, la grâce enchanteresse y manque,
Le doux amour qui est dans son œil.
Ceci n'est
pas ma vraie fillette,
Toute jolie que soit cette fillette-ci;
Oh! je connais bien ma vraie fillette
À la tendresse qui est dans son œil.
Elle est belle, fleurissante, droite et grande,
Et depuis longtemps tient mon cœur captif,
Et toujours ce qui charme le plus mon âme,
C'est le doux amour qui est dans son œil[597].
On trouve chez lui des images comme celles-ci:
Son joli visage était aussi calme
Qu'un agneau sur l'herbe;
Le soleil du soir ne fut jamais si doux
Que l'était le regard des yeux de Phémie[598]
Ou comme cette autre qui, sous sa forme étroite, fait penser aux images à la fois précieuses, forcenées et passionnées de la Renaissance, si fréquentes chez Shakspeare[599]:
Sa chevelure d'or, sans rivale,
Descendait, ruisselait sur son cou neigeux,
Et ses deux yeux, comme des étoiles dans les cieux,
Sauveraient du naufrage un navire sombrant[600].
Celle-ci enfin n'est-elle pas tout à fait dans la manière de Henri Heine?
J'ai passé hier par un chemin malheureux,
Un chemin, j'en ai peur, dont je me repentirai;
J'ai reçu la mort de deux yeux doux,
Deux charmants yeux d'un joli bleu.
Ce ne fut pas ses brillantes boucles d'or,
Ses lèvres pareilles à des roses humides de rosée,
Son sein ému, blanc comme un lis;
Ce furent ses yeux si joliment bleus.
Elle parla, elle sourit, elle déroba mon cœur,
Elle charma mon âme; j'ignore comment;
Mais toujours le coup, la blessure mortelle
Venait de ses yeux si joliment bleus.
Si je peux lui parler, si je peux l'approcher,
Peut-être écoutera-t-elle mes vœux;
Si elle refuse, je devrai ma mort
À ses deux yeux si joliment bleus[601].
Ne fait-elle pas penser à cette tendre évocation de regards azurés du Nouveau Printemps? «Avec tes yeux bleus, tu me regardes fixement, et moi je deviens si rêveur que je ne puis parler. C'est à tes yeux bleus que je pense toujours; un océan de pensées bleues inonde mon cœur[602]». Et cette image-ci, juste et étrange à la fois, ne se rapproche-t-elle pas encore davantage des fantaisies de Heine?
Faut-il que j'aime toujours,
Et supporte le mépris qui est dans son œil?
Car il est noir, noir de jais, et il est comme un faucon,
Il ne veut pas vous laisser en repos[603].
C'est, avec une métaphore différente, la même impression que dans cet autre passage de Heine: «Dans son doux et pâle visage, grand et puissant, rayonne son œil semblable à un soleil noir; noir soleil, combien de fois tu m'as versé les flammes dévorantes de l'enthousiasme[604]». Mais encore un coup, ce ne sont là de Burns que des allées écartées de son jardin d'amour, où croissent quelques plantes plus rares. Celles qui foisonnent au cœur même du jardin, là où tombe franchement le soleil, sont plus simples.
Dans toutes les pièces amoureuses de Burns, il faut faire un groupe de celles où il a mélangé la poésie pastorale et la poésie amoureuse. Il y a là un coin absolument ravissant de fraîcheur, de naturel, et de réalité embellie. À vrai dire, les poètes ont de tout temps aimé à placer l'amour au milieu de riantes descriptions. Ils semblent percevoir confusément que cette passion est la même force par laquelle le monde palpite, et que, dans ses profondeurs, elle a des rapports avec la sève qui chaque année renouvelle la parure de la terre. Quand il a cessé d'exister ailleurs, le sentiment de la nature s'est encore conservé dans les poésies amoureuses. Nulle part, cette union n'a été plus constante que dans la littérature anglaise. Burns y a réussi autant qu'aucun autre. Tout naturellement, ses scènes d'amour se placent parmi les fleurs et les ombrages.
Ce n'était pas pour Burns un artifice de poète, un cadre factice. Ses jeunes amours avaient été des amours de paysan, tout faits de rendez-vous dans les champs, de travail côte à côte pendant les moissons, ou de rencontres sur les grands moors déserts où la solitude amène le bonjour et un bout de causerie. Ces intrigues campagnardes ont toujours un fond de paysage à peine indiqué.
La lune descendait à l'ouest,
Avec un visage pâle et effaré,
Quand mon beau gars, tisserand de l'ouest
Me reconduisit à travers le vallon[605].
Un thème inépuisable, parce qu'il correspondait à la réalité, sont ces rencontres, soit dans les blés où l'on se croise en ces étroits sentiers qui passent par les champs, soit dans les bruyères. Les épis hauts sont favorables:
En revenant par les orges, pauvre quelqu'un,
En revenant par les orges,
Elle a sali tout son jupon,
En revenant par les orges.
Oh! Jenny est toute mouillée, pauvre quelqu'un,
Jenny est rarement à sec;
Elle a sali tout son jupon,
En revenant par les orges.
Si quelqu'un rencontre quelqu'un,
En revenant par les orges;
Si quelqu'un embrasse quelqu'un,
Faut-il que quelqu'un crie?
Si quelqu'un rencontre quelqu'un,
En revenant par le vallon,
Si quelqu'un embrasse quelqu'un,
Faut-il qu'on le sache?[606]
Les moors sont aussi bien dangereux. Leurs longues étendues abandonnées sont tristes à traverser seule. On chemine de compagnie, afin que la route semble plus courte; semble, seulement, car il arrive qu'elle dure plus longtemps. Il faut qu'un moor soit bien maussade pour n'avoir pas un coin riant: on s'y repose, on devise, et il en résulte une autre jolie chanson.
Il y avait une fillette; on l'appelait Meg,
Et elle traversait le moor pour aller filer;
Il y avait un gars qui la suivait,
Et on l'appelait Duncan Davison.
Le moor était long, et Meg était ombrageuse,
Duncan ne pouvait obtenir sa faveur,
Car elle le frappait avec la quenouille,
Et le menaçait avec la bobine.
Comme ils traversaient légèrement le moor,
Voici un ruisseau clair et un vallon vert,
Sur la rive, ils se reposèrent,
Et toujours elle mettait la roue entre eux deux.
Mais Duncan jura un serment sacré
Que Meg serait une fiancée le lendemain,
Alors Meg prit tous ses ustensiles,
Et les jeta par dessus le ruisseau.
Nous bâtirons une maison, une petite, petite maison,
Et nous vivrons comme roi et reine,
Si joyeux et si gais serons-nous,
Quand tu seras assise à ton rouet, le soir.
Un homme peut boire et ne pas être gris;
Un homme peut se battre et ne pas être tué;
Un homme peut embrasser une jolie fille,
Et être bienvenu à recommencer[607].
Ces rencontres amènent des rendez-vous, tantôt parmi les hauteurs où les moutons sont répandus, tantôt au bord d'un ruisseau où les arbres sont épais, tantôt plus secrètement au bout du jardin. Quelques-unes de ces scènes ont une jolie saveur de poésie rustique, à moitié réelle et à moitié transformée, comme dans les meilleures pages de George Sand. Ce dialogue, entre un berger et son amoureuse, est bien dans cette note, et ce refrain, qui se répète comme le rappel des moutons vers le soir, évoque, mieux que ne le ferait une description, le paysage où le troupeau est épars:
Appelle les moutons sur la colline,
Appelle-les où croît la bruyère,
Appelle-les où court le ruisseau,
Ma jolie chérie.
Comme je
passais au bord de l'eau,
J'y ai rencontré mon gars berger;
Il m'a doucement enroulée dans son plaid,
Et il m'a appelée sa chérie.
«Veux-tu venir par le bord de l'eau,
Et voir les flots doucement glisser,
Sous les noisetiers tout grands ouverts?
La lune brille très claire.
Tu auras des robes et de beaux rubans,
Et des souliers en cuir de veau à tes pieds,
Et dans mes bras, tu te reposeras et dormiras,
Et tu seras ma chérie».
«Si vous tenez ce que vous promettez,
J'irai avec vous, mon gars berger,
Et vous pourrez m'enrouler dans votre plaid,
Et je serai votre chérie».
Tant que les eaux courront à la mer,
Tant que le jour brillera dans ce haut ciel,
Jusqu'à ce que la mort froide comme l'argile ferme mes yeux,
Vous serez mon chéri.
Appelle les moutons sur la colline,
Appelle-les où croît la bruyère,
Appelle-les où court le ruisseau,
Ma jolie chérie[608].
On voit, comme dans la pièce précédente, que les fillettes sont habituées à se défendre et savent poser leurs conditions. On s'étonnera moins de leur facilité à accepter ces promesses, si l'on se rappelle qu'il y avait toujours une sorte de sanction dans les décisions de la session ecclésiastique. On peut citer encore une autre chanson qui résume en quelque sorte tous ces rendez-vous rustiques; il y a une première strophe qui est belle, et, dans cette strophe, les deux vers sur ces bouleaux «lumineux de rosée» dans l'ombre suffiraient seuls à lui donner un rare prix.
Quand, au-dessus de la colline, l'étoile orientale
Annoncera l'instant de parquer les moutons, mon ami,
Et que les bœufs, du champ tracé de sillons,
S'en iront tristes et fatigués, Ô;
Là-bas, près du ruisseau, où les bouleaux parfumés
Pendent lumineux de rosée, mon ami,
Je te retrouverai sur la berge herbeuse,
Mon cher bien-aimé, Ô!
Dans la
plus sombre glen, à l'heure de minuit,
Je marcherai, sans avoir peur, Ô;
Si à travers cette glen, je vais vers toi,
Mon cher bien-aimé, Ô!
Si farouche, si farouche que soit la nuit,
Si lasse, si lasse que je sois, Ô,
Je te retrouverai sur la berge herbeuse,
Mon cher bien-aimé, Ô!
Le chasseur aime le soleil matinal
Pour faire lever les daims des montagnes, mon ami;
À midi, le pêcheur cherche la gorge
Pour y suivre le ruisseau, mon ami;
Donnez-moi l'heure du crépuscule gris,
Cela fait mon cœur joyeux, Ô,
De te retrouver sur la berge herbeuse,
Mon cher bien-aimé, Ô![609]
D'autres pièces du même genre sont peut-être plus fines, comme les deux suivantes, dont la seconde surtout est une perle.
Je repasserai par cette ville,
Et par ce jardin vert, de nouveau;
Je repasserai par cette ville,
Pour revoir ma jolie Jane de nouveau.
Personne ne saura, personne ne devinera
Pourquoi je reviens, de nouveau;
Sinon elle, ma jolie, ma fidèle fillette,
Et secrètement nous nous verrons de nouveau.
Elle passera auprès du chêne,
Quand l'heure du rendez-vous viendra de nouveau;
Et quand je vois sa forme charmante,
Ô sur ma foi! Elle m'est deux fois chère de nouveau.
Je repasserai par cette ville,
Et par ce jardin vert, de nouveau;
Je repasserai par cette ville,
Pour voir ma jolie Jane de nouveau[610].
Voici l'autre:
Comme je remontais par le bout de notre route,
Quand le jour devenait fatigué,
Oh! qui descendait à pas légers la rue,
Sinon la jolie Peg, ma chérie!
Son air si
doux, son corps si joli
Dont les proportions sont parfaites:
La Reine d'Amour n'a jamais marché
D'un mouvement plus enchanteur.
Les mains unies, nous prîmes les sables,
Le long de la rivière sinueuse.
Et, oh! cette heure et ce recoin dans les genêts,
Est-il possible que je les oublie?[611]
À vrai dire, ce ne sont pas là encore des morceaux où la nature intervienne beaucoup. Un seul mot, un trait, donne l'impression que l'on est en plein air. On sent qu'on se trouve sous le ciel et loin des maisons. Cela ne va guère au-delà, et ces amoureux rustiques n'y voient pas plus loin. Quand Burns parle pour lui-même, cette part de l'extérieur s'élargit et forme autour de la figure féminine un véritable cadre de verdures et de lumières.
Vois, la nature revêt de fleurs le gazon,
Et tout est jeune et doux comme toi;
Oh! veux-tu partager sa joie avec moi?
Dis que tu seras ma chérie, Ô!
Fillette aux blonds cheveux couleur de lin,
Jolie fillette, innocente fillette,
Veux-tu avec moi garder les troupeaux,
Veux-tu être ma chérie, Ô?
Les primevères des talus, le ruisseau sinueux,
Le coucou sur l'épine blanche comme le lait,
Les moutons joyeux, au prime matin,
Te diront la bienvenue, ma chérie, Ô.
Quand la bienfaisante averse d'été
A réjoui les petites fleurs languissantes,
Nous irons vers le bosquet de l'odorant chèvrefeuille des bois,
Au chaud midi, ma chérie, Ô!
Quand Cynthie éclaire, de son rayon d'argent,
Le faucheur fatigué qui retourne chez lui,
À travers les champs onduleux et jaunis, nous nous perdrons
Et parlerons d'amour, ma chérie, Ô!
Et quand la hurlante rafale d'hiver
Troublera le repos nocturne de ma fillette,
Te serrant sur mon cœur fidèle,
Je te rassurerai, ma chérie, Ô![612]
Parmi un grand nombre de pièces, il y en a trois qui sont peut-être ce qu'il a fait de plus achevé dans ce genre. Il faut les citer toutes trois pour donner une idée de la merveilleuse variété avec laquelle il traitait les sujets les plus semblables. La première, avec son riche coloris de coucher de soleil printanier fut composée sur le domaine de Ballochmyle; il a raconté lui-même dans quelles circonstances. Bien qu'on l'ait vue dans la biographie, nous la redonnons ici pour la rapprocher des autres.
C'était le soir, sous la rosée les champs étaient verts,
À chaque brin d'herbe pendaient des perles;
Le Zéphyr se jouait autour des fèves,
Et emportait avec lui leur parfum;
Dans chaque vallon le mauvis chantait,
Toute la Nature paraissait écouter,
Sauf là où les échos des bois verts résonnaient,
Parmi les pentes de Ballochmyle.
D'un pas négligent, j'avançais, j'errais,
Mon cœur se réjouissait de la joie de la nature,
Quand, rêvant dans une clairière solitaire,
J'entrevis, par hasard, une belle jeune fille:
Son regard était comme le regard du matin,
Son air, comme le sourire vernal de la nature,
La Perfection, en passant, murmurait:
«Regarde la fille de Ballochmyle.»
Doux est le matin de mai fleuri,
Et douce est la nuit dans le tiède automne,
Quand on erre dans le gai jardin,
Ou qu'on s'égare sur la lande solitaire;
Mais la femme est l'enfant chéri de la nature!
Dans la femme elle a rassemblé tous ses charmes;
Mais, même là, ses autres ouvrages sont éclipsés
Par la jolie fille de Ballochmyle.
Oh! que ne fut-elle une fille de campagne,
Et moi, l'heureux gars des champs!
Quoique abrité sous le plus humble toit
Qui s'éleva jamais sur les plaines Écossaises!
Sous le vent et la pluie du morose hiver,
Avec joie, avec bonheur, je travaillerais,
Et la nuit je presserais sur mon cœur,
La jolie fille de Ballochmyle.
Alors l'orgueil pourrait gravir les pentes glissantes
Où brillent bien haut la gloire et les honneurs;
Et la soif de l'or pourrait tenter l'abîme,
Ou descendre et fouiller les mines de l'Inde;
Donnez-moi la chaumière, sous le sapin,
Un troupeau à soigner, un sol à bêcher,
Et chaque jour aura des joies divines
Avec la jolie fille de Ballochmyle[613].
La seconde a été écrite, à quelques semaines de la précédente, probablement pour Mary des Hautes-Terres. Comme tout ce qu'il a fait pour elle, c'est une de ses œuvres les plus parfaites. Il est impossible de rendre, dans une traduction, la strophe caressante et fluide, qui coule avec la douceur et presque avec la musique d'une eau pure. C'est une de ses plus chastes et de ses plus poétiques inspirations.
Coule, doucement, doux Afton, entre tes rives vertes,
Coule doucement, je vais chanter une chanson à ta louange;
Ma Mary est endormie près de ton flot murmurant,
Coule doucement, doux Afton, ne trouble pas son rêve.
Toi, ramier, dont l'écho résonne dans le vallon,
Vous, merles, qui sifflez follement, dans cette gorge pleine
d'épines,
Toi, vanneau à la crête verte, retiens ton cri perçant,
Je vous en conjure, ne troublez pas ma bien-aimée qui dort.
Qu'elles sont hautes, doux Afton, les collines voisines,
Marquées au loin par le cours des clairs ruisseaux sinueux;
C'est là que, tous les jours, j'erre quand midi monte au ciel,
Contemplant mes troupeaux et la douce chaumière de ma Mary.
Qu'ils sont agréables tes bords, et les vertes vallées qui sont
plus bas,
Où les primevères sauvages éclosent dans les bois;
Là souvent, quand le doux crépuscule pleure sur la pelouse,
Les bouleaux parfumés nous ombragent, ma Mary et moi.
Qu'elle glisse amoureusement, Afton, ton onde de cristal,
Quand tu contournes la chaumière où ma Mary demeure;
Que joyeusement tes eaux baignent ses pieds neigeux,
Quand cueillant de douces fleurs, elle suit tes flots clairs!
Coule doucement, doux Afton, entre tes rives vertes,
Coule doucement, douce rivière, sujet de ma chanson,
Ma Mary est endormie près de ton flot murmurant,
Coule doucement, doux Afton, ne trouble pas son rêve[614].
Enfin, la dernière nous transporte dans un paysage différent, plus sauvage et plus grand. Elle se rapporte, probablement, à quelque incident de son premier voyage de Mauchline à Édimbourg.
Ces sauvages montagnes, aux flancs moussus, si hautes et si
vastes,
Qui nourrissent dans leur sein, la jeune Clyde,
Où les grouses mènent leurs volées se nourrir à travers la
bruyère,
Où le berger garde son troupeau, en jouant sur son roseau,
Où les grouses conduisent leurs volées se nourrir à travers la
bruyère,
Où le berger garde son troupeau en jouant sur son roseau.
Ni les
riches vallées de Gowrie, ni les bords soleilleux du Forth
N'ont pour moi les charmes de ces moors sauvages et moussus;
Car là, près d'un ruisseau clair, solitaire et écarté,
Vit une douce fillette, ma pensée et mon rêve,
Car là, près d'un ruisseau clair, solitaire et écarté,
Vit une douce fillette, ma pensée et mon rêve.
Parmi ces sauvages montagnes, sera toujours mon sentier,
Où chaque ruisseau qui tombe et écume a sa gorge étroite et
verte,
Car là, avec ma fillette, j'erre tout le jour,
Tandis qu'au-dessus de nous, inaperçues, passent les rapides heures
de l'amour,
Car là, avec ma fillette, j'erre tout le jour,
Tandis qu'au-dessus de nous, inaperçues, passent les rapides heures
de l'amour.
Elle n'est pas la plus jolie, bien qu'elle soit jolie,
De fine éducation sa part n'est que petite,
Ses parents sont aussi humbles qu'on peut être humble;
Mais j'aime la chère fillette, parce qu'elle m'aime;
Ses parents sont aussi humbles qu'on peut être humble,
Mais j'aime la chère fillette, parce qu'elle m'aime.
Quel homme ne se rend captif à la Beauté,
Quand elle a son armure de regards, de rougeurs et de soupirs?
Et quand l'esprit et l'élégance ont poli ses traits,
Ils éblouissent nos yeux, en volant à nos cœurs;
Et quand l'esprit et l'élégance ont poli ses traits,
Ils éblouissent nos yeux en volant à nos cœurs.
Mais la tendresse, la douce tendresse dans l'étincelle amoureuse
du regard,
À pour moi un éclat plus brillant que le diamant,
Et l'amour qui agite le cœur, lorsque je suis serré dans ses
bras,
Oh! tels sont les charmes vainqueurs de ma fillette!
Et l'amour qui agite le cœur, quand je suis dans ses bras,
Oh! tels sont les charmes vainqueurs de ma fillette![615]
Ne sont-ce pas là trois choses exquises? Quelle est celle qu'on pourrait sacrifier ou choisir? Et voici, à côté de ces pièces si simples, une autre plus complexe. La nature n'est plus seulement un cadre gracieux ou grandiose à la femme aimée, sans qu'elle participe aux sentiments exprimés. Elle devient une compagne dont la physionomie doit s'accorder avec la tristesse du poète, à laquelle elle doit prendre part.
Maintenant dans son manteau vert, la nature se pare
Et écoute les agneaux qui bêlent sur toutes les collines,
Tandis que les oiseaux gazouillent la bienvenue dans chaque bois
vert
Mais pour moi tout est sans délices, ma Nannie est au loin.
La perce-neige et la primevère ornent nos bois,
Les violettes se baignent dans la rosée du matin,
Elles attristent mon triste cœur, tant elles fleurissent
doucement,
Elles me rappellent ma Nannie—et Nannie est au loin.
Ô alouette,
qui t'élances des rosées de la prairie,
Pour avertir le berger que la grise aurore pointe,
Et toi, doux mauvis, qui salues la chute de la nuit,
Cessez par pitié, ma Nannie est au loin.
Viens, Automne, si pensif, vêtu de jaune et de gris,
Et calme-moi en m'annonçant le déclin de la nature.
Le sombre et morne hiver, les farouches tourbillons de neige
Seuls sont mes délices maintenant que Nannie est au loin[616].
Dans ce mélange de nature et d'amour, il y a surtout une chose qu'il excelle à rendre. Ce sont les rendez-vous et les promenades le soir, les heures passées à deux, dans les champs, sous les ombrages complices ou les regards de la lune indulgente.
Ô toi, reine brillante qui, sur la plaine,
Règnes au plus haut, d'un pouvoir suprême,
Souvent ton regard, nous suivant silencieusement,
Nous a observés, errant tendrement[617].
Rien dans son œuvre n'est plus exquis que ces scènes nocturnes, baignées de lumière argentée. Elles ont une grâce plus rêveuse que ses autres pièces, qui presque toujours ont quelque chose de très arrêté. Elles font penser à ces couples d'amoureux qu'on voit passer dans les champs, pendant les nuits d'été, tels que Jules Breton les a peints quelquefois. L'ombre, effaçant les précisions et les vulgarités du jour, les dégage des détails individuels; elle les généralise, pour ainsi dire, et ne leur laisse que le charme impersonnel et la signification anoblie et symbolique des attitudes. En effaçant les lignes arrêtées et les limites étroites, par lesquelles la lumière emprisonne durement les objets en eux-mêmes, elle les fond davantage avec ce qui les entoure. Elle en fait des images et comme des rêves de l'Amour humain, enveloppé par la Nature. Celui-ci même, sous cette forme plus vaporeuse et dans cette attitude, s'harmonise avec les choses et semble une des expressions de la tiédeur des nuits. C'est un des moments favoris des poètes, et Burns en a laissé la formule dans une strophe charmante:
Que d'autres aiment les cités,
Et à se montrer, à briller, dans le soleil de midi;
Donnez-moi la vallée solitaire,
Le crépuscule baigné de rosée, la lune qui monte,
Qui resplendit, rayonne, et fait ruisseler
Sa lumière d'argent à travers les branches;
Tandis qu'avec des chutes et des appels de voix,
La grive
amoureuse conclut sa chanson;
Là, chère Chloris, veux-tu errer,
Près des détours des ruisseaux, sous le feuillage des rives,
Et écouter mes vœux de foi et d'amour,
Et me dire que tu m'aimes mieux que tous?[618]
C'est pour lui un sujet inépuisable et cela n'est pas étonnant. C'était hors du village que les jeunes paysans écossais allaient retrouver leur maîtresse, le long des champs qu'ils se promenaient avec elle. Il est à présumer que c'est une habitude encore en vigueur en Écosse, et ailleurs. Burns l'avait pratiquée. En revenant de ces nuits précieuses, il les chantait, et les pièces qu'il leur a consacrées appartiennent surtout à la période de Mauchline, pendant qu'il était encore jeune fermier. En voici une des plus gracieuses et des plus purement poétiques:
Voici que les vents d'ouest et les fusils meurtriers
Ramènent l'agréable temps d'automne;
Le coq de marais s'enlève d'un vol bruyant
Parmi la bruyère fleurissante;
Voici que le grain, ondoyant largement sur la plaine,
Réjouit le fermier fatigué;
Et la lune brillante luit, tandis que j'erre la nuit,
Pour songer à ma charmeresse.
Mais Peggy, ma chérie, le soir est clair,
Nombreuses volent les hirondelles effleurantes;
Le ciel est bleu, les champs au loin
Sont tous jaunes ou d'un vert pâli.
Viens errer, heureux, par notre gai chemin,
Voir les charmes de la nature,
Le blé frémissant, l'épine en fruits,
Et toutes les créatures heureuses!
Nous marcherons lentement, nous causerons doucement,
Jusqu'à ce que la lune brille clairement,
Je presserai ta taille, et te serrant tendrement,
Je jurerai combien je t'aime chèrement.
Ni les pluies printanières, aux fleurs écloses;
Ni l'automne, au fermier,
Ne peuvent être aussi chers que tu l'es pour moi,
Ma belle, ma douce charmeresse![619]
Toutefois, avec Burns, la réalité ne perd jamais ses droits. Au lendemain des soirées où les couples ont passé dans un vaporeux éloignement, il arrive qu'on aperçoit, à la lisière des champs, des endroits où les épis renversés vous rappellent que ces ombres poétiques étaient après tout des êtres humains. Chez certains poètes, comme Lamartine, le clair de lune ne se dissipe jamais et la rêverie persiste. Mais, dans Burns, il y a toujours un endroit où les blés sont couchés.
Les sillons de blé et les sillons d'orge
Les sillons de blé sont beaux!
Je n'oublierai pas cette nuit heureuse
Avec Annie, parmi les sillons.
C'était la nuit du premier août,
Quand les sillons de blé sont beaux,
Sous la lumière pure de la lune,
Je m'en allai vers Annie;
Le temps s'envola à notre insu,
Si bien qu'entre le tard et le tôt,
En la pressant un peu, elle consentit
À m'accompagner à travers les orges.
Le ciel était bleu, le vent paisible,
La lune clairement brillait,
Je la fis asseoir, elle le voulut bien,
Parmi les sillons d'orge.
Je savais que son cœur était à moi,
Et moi, je l'aimais très sincèrement;
Je l'embrassai mainte et mainte fois,
Parmi les sillons d'orge.
Je l'emprisonnai dans une étreinte passionnée,
Comme son cœur battait!
Béni soit cet heureux endroit
Parmi les sillons d'orge!
Mais, par la lune et les étoiles si belles,
Qui si clairement brillaient sur cette heure,
Elle bénira toujours cette nuit heureuse
Parmi les sillons d'orge.
J'ai été gai avec de chers camarades,
J'ai été joyeux en buvant,
J'ai été content en amassant du bien,
J'ai été heureux en songeant.
Mais tous les plaisirs que j'ai jamais vus,
Quand on les doublerait trois fois,
Cette heureuse nuit les valait tous,
Parmi les sillons d'orge.
Les sillons de blé et les sillons d'orge
Les sillons de blé sont beaux!
Je n'oublierai pas cette nuit heureuse
Avec Annie, parmi les sillons![620]
Malgré ces rappels de réalité, toutes ces pièces sont charmantes. En littérature anglaise, je ne vois de supérieur en ce genre, parce qu'ils sont d'une inspiration plus élevée, que deux morceaux. Le premier est l'incomparable passage qui se trouve à la fin du Marchand de Venise, quand les sons de la musique arrivent dans le calme de la nuit, et que, dans cette atmosphère doucement ébranlée d'harmonie, les âmes des deux amants s'élèvent jusqu'à la musique des sphères[621]. Le second est cette merveilleuse et chaste vision d'Edgar Poe, lorsqu'il aperçoit Helen, vêtue de blanc, dans le jardin enchanté, tandis que de l'orbe plein de la lune, une lumière de perle tombait sur les faces d'un millier de roses tournées vers le ciel[622]. Les pièces nocturnes de Burns n'ont pas la profondeur, le charme vaporeux, et le mystère de ces admirables morceaux. Elles n'en forment pas moins une des plus jolies évocations de l'amour, aux heures bleuâtres et argentées qui semblent être surtout les siennes.
Cela suffirait déjà pour faire de lui un poète d'amour distingué, mais on peut dire que ce ne sont là que des exceptions, des criques retirées et tranquilles, dans le grand courant de son œuvre. Ce qui est bien à lui, ce n'est ni la finesse, ni la recherche; c'est la passion sincère et vraie; c'est la simplicité, l'ardeur, l'impétuosité du désir, l'émotion contenue dans une forme si atténuée, si réduite, qu'elle n'existe pour ainsi dire plus et ne s'interpose pas. Elle est comme brûlée par la flamme intérieure. Là, il est incomparable, direct, fort, et d'une simplicité merveilleuse. Il n'y a pas de luxe d'image; il n'y a pas de recherche d'esprit; il n'y a pas de déploiement poétique, pas d'élégance, pas de profondeur; il y a de la passion pure. Elle brûle clair, tant elle est dégagée de tout autre élément. C'est ici vraiment le cœur de son œuvre, le véritable amas de ces fins et brillants coquillages qui sont bien à lui. Ils ont des teintes diverses, plus claires ou plus sombres, ils contiennent des échos différents, selon qu'ils ont été laissés sur le rivage par des jours de gaieté ou des jours de tristesse; mais ils ont tous le même caractère de netteté. On peut ramasser au hasard, on est à peu près sûr d'avoir dans la main quelque chose de précieux, un petit chef-d'œuvre.
Dans les teintes claires de l'amour, voici des pièces légères, des minauderies, des gentillesses enjouées et badines, de petits compliments, des déclarations sans importance, jetées en passant. Ces mignardises câlines elles-mêmes sont simples.
Jolie petite chose, fine petite chose,
Adorable petite chose, si tu étais à moi,
Je te
porterais dans mon sein,
De peur de perdre mon bijou.
Songeusement, je regarde, et je languis,
Ce joli visage qui est tien;
Et mon cœur tressaille d'angoisse,
De peur que ma petite chose ne soit pas mienne.
Esprit et Grâce, et Amour, et Beauté,
En une constellation brillent;
T'adorer est mon devoir,
Déesse de cette âme qui est mienne!
Jolie petite chose, fine petite chose,
Adorable petite chose, si tu étais à moi,
Je te porterais dans mon sein,
De peur de perdre mon bijou![623]
Et celle-ci encore:
Ô! mets ta main dans la mienne, fillette;
Dans la mienne, fillette; dans la mienne, fillette;
Et jure sur cette blanche main, fillette,
Que tu seras à moi.
J'ai été l'esclave du despotique amour,
Souvent il m'a bien fait souffrir;
Mais maintenant il me fera mourir,
Si tu n'es pas à moi.
Mainte fillette a jadis troublé mon repos,
Que, pour un court moment, je préférais;
Mais tu es reine dans mon cœur,
Pour y rester toujours.
Oh! mets la main dans la mienne, fillette;
Dans la mienne, fillette; dans la mienne, fillette;
Et jure sur cette blanche main mignonne
Que tu seras à moi[624].
Parfois ce sont, dans le même genre, de simples cajoleries, quelques mots caressants mis autour d'un baiser et se jouant avec lui. C'est plus simple et plus net que le compte embrouillé des baisers de Catulle[625].
Je t'embrasserai encore, encore,
Je t'embrasserai de nouveau,
Je t'embrasserai encore, encore,
Ma jolie Peggy Alison.
Tous soucis
et toutes craintes, quand tu es près,
Je les défie. Ô!
Les jeunes rois sur leurs jeunes trônes
Sont moins heureux que moi. Ô!
Quand dans mes bras, avec tous tes charmes,
Je serre mon trésor infini. Ô!
Je ne demande pour ma part du ciel
Que le plaisir de pareils moments. Ô!
Et par tes yeux si doucement bleus,
Je jure que je suis à toi pour jamais. Ô!
Et sur tes lèvres, je scelle mon vœu,
Et je ne le briserai jamais. Ô!
Je t'embrasserai encore, encore,
Je t'embrasserai de nouveau,
Je t'embrasserai encore, encore,
Ma jolie Peggy Alison[626].
Veut-on de la simplicité dans la grâce attendrie? quelques paroles à moitié ou tout à fait émues? En voici encore, où tantôt la délicatesse domine comme dans la première des pièces qui suivent, et où tantôt la tendresse la restreint et la remplace presque, ne lui laissant qu'une petite place, comme dans celles qui viennent ensuite.
Ô jolie Polly Stewart,
Ô charmante Polly Stewart!
Il n'y a pas une fleur qui fleurit en Mai,
Qui soit à moitié aussi belle que toi!
La fleur fleurit, puis se fane et tombe,
Et l'art ne peut la raviver;
Mais, par la vertu et la candeur, toujours jeune
Restera Polly Stewart!
Puisse celui dont les bras posséderont tes charmes,
Avoir un cœur loyal et sincère;
Qu'il lui soit donné de connaître le Paradis,
Qu'il possède en Polly Stewart!
Ô adorable Polly Stewart,
Ô charmante Polly Stewart!
Il n'y a pas une fleur qui fleurit en Mai,
Qui soit à moitié aussi jolie que toi![627]
Quoi de plus simple que cette strophe?
Quand la cruelle destinée nous séparerait,
Aussi loin que du pôle à l'équateur,
Sa chère
pensée autour de mon cœur
S'enroulerait tendrement.
Que les montagnes se dressent, et les déserts hurlent,
Et les océans rugissent entre nous,
Cependant, plus chère que mon âme immortelle,
J'aimerais encore ma Jane[628].
Celle-ci fut une de ses toutes premières chansons; elle fut écrite au commencement de son séjour à Mauchline:
Ô Mary, sois à ta fenêtre,
C'est l'heure convoitée et convenue!
Laisse-moi voir ces sourires et ces regards,
Qui font mépriser le trésor de l'avare:
Avec quelle joie je supporterais la poussière,
Peinant en esclave du matin au soir,
Si je pouvais m'assurer la riche récompense,
La jolie Mary Morison!
Hier soir, quand, au son tremblant des cordes,
La danse traversait la salle éclairée,
Vers toi ma pensée prit son vol.
Je restai assis, mais sans voir, ni entendre,
Bien que celle-ci fût jolie, et celle-là brillante,
Et celle-ci l'orgueil de la ville,
Je soupirais et disais au milieu d'elles toutes:
«Vous n'êtes pas Mary Morison!»
Ô Mary, peux-tu briser le repos
De celui qui, pour loi, mourrait avec joie?
Et peux-tu bien briser son cœur
Dont la seule faute est de t'aimer?
Si tu ne veux pas rendre amour pour amour,
Du moins, montre-moi de la pitié;
Une pensée sans douceur ne saurait être
La pensée de Mary Morison[629].
Et celle-ci, dont les derniers vers sont si simples, est au contraire de ses dernières années:
Le jour revient, et mon cœur est en flamme,
Le jour béni où nous nous rencontrâmes;
Quoique l'âpre hiver se fatiguât en tempêtes,
Jamais soleil d'été ne m'a paru si doux.
Plus que les trésors qui chargent les mers
Et traversent la ligne enflammée,
Plus que les robes royales, les couronnes et les globes,
Le ciel m'a accordé;—car il t'a faite mienne.
Tant que le
jour et la nuit amèneront des délices,
Tant que la nature donnera des plaisirs,
Tant que les joies passeront sur mon esprit,
Pour toi et toi seule, je vivrai.
Quand le sombre ennemi de la vie ici-bas
Viendra entre nous deux nous séparer,
La main de fer qui brisera notre lien
Brisera mon bonheur, brisera mon cœur![630]
Et voici encore de la simplicité dans la mélancolie et dans la tristesse; des regrets tels qu'ils naissent dans les cœurs simples et s'exhalent sur des lèvres qui ignorent la recherche. Ils passent naturellement de l'âme dans la voix, ne prenant que peu de mots pour s'exprimer et se changeant presque involontairement en son, comme ces chagrins secrets qui se prolongent en soupirs.
J'ai été aussi joyeux sur cette colline
Que les agneaux qui jouaient devant moi;
Chacune de mes pensées était aussi insouciante et libre
Que la brise qui passait sur mon front.
Maintenant, ni ébats, ni jeux,
Ni gaîté, ni chanson ne peuvent plus me plaire;
Leslie est si jolie et si timide!
Le souci et l'angoisse m'ont saisi!
Lourde, lourde est la tâche
De déclarer un amour sans espoir:
Tremblant, je n'ose que regarder,
Soupirant, muet, désespéré.
Si elle ne soulage pas les tourments
Qui remplissent ma poitrine,
Sous la motte de gazon vert,
J'irai bientôt demeurer[631].
Ces deux derniers vers sont, dans le texte, d'une tristesse inexprimable. On trouve les mêmes qualités dans cet autre morceau:
Mon cœur est triste,—je n'ose pas le dire,
Mon cœur est triste pour l'amour de quelqu'un,
Je veillerais une nuit d'hiver,
Pour l'amour de quelqu'un.
Oh hon! pour quelqu'un,
Oh hon! pour quelqu'un,
J'errerais autour du monde
Pour l'amour de quelqu'un.
Vous Pouvoirs qui souriez aux amours vertueux.
Oh! doucement, souriez à quelqu'un!
De tout
danger, gardez-le libre,
Rendez-moi sauf mon quelqu'un.
Oh hon! pour quelqu'un
Oh hey! pour quelqu'un,
Je ferais—que ne ferais-je pas?
Pour l'amour de quelqu'un[632].
Et celle-ci encore d'une si grande naïveté de plaint, et par cela même si touchante:
Est-ce là ta foi, ta tendresse, ta bonté,
Nous quitter ainsi cruellement, ma Katy?
Est-ce là ta récompense envers ton ami fidèle,
Envers un cœur souffrant et brisé, ma Katy?
Peux-tu me quitter ainsi, ma Katy?
Peux-tu me quitter ainsi, ma Katy?
Tu connais bien que mon cœur souffre.
Peux-tu me quitter ainsi, par pitié?
Adieu, que jamais ces chagrins ne déchirent
Ce cœur inconstant qui est tien, ma Katy?
Tu pourras trouver qui t'aimera chèrement,
Mais pas un amour comme le mien, ma Katy![633]
Au milieu de ces gerbes de pièces amoureuses, celles qui ont été dédiées à Clarinda forment une javelle à part. Aucunes n'offrent d'une façon plus frappante ce merveilleux mélange de passion et de simplicité, qui fait son originalité dans la troupe si nombreuse des poètes de l'amour. Elles ont été citées dans la biographie et il est superflu de les redonner ici. Qu'on se rappelle les vers sur cette nuit de Décembre qui fut plus douce qu'aucun des matins de mai[634], sur le rivage où il errera solitaire au milieu des cris d'oiseaux de mer[635], et surtout cette navrante pièce sur le dernier baiser, le baiser d'adieu éternel qui semble déchirer les lèvres qui se le donnent et les retient cependant éperdues et prises dans son amère douceur[636]. Les simples et douloureux couplets sont désormais dans la littérature anglaise la plainte définitive des cœurs brisés. Qu'on relise ces pièces pour voir avec quels simples moyens on peut rendre ses plus puissantes émotions et la plus ardente passion.
Et cependant, ce n'est pas encore là le terme extrême. Il a été plus loin, aussi difficile que cela puisse sembler. Parfois il est plus bref encore. Il semble qu'il n'y ait plus rien. Les pièces sont dépouillées du moindre contenu intellectuel, elles sont vides. Tout s'en est retiré, images, idées, couleur. Que leur reste-t-il donc? La passion. Elles tremblent d'une flamme invisible. L'effet est insaisissable et pénétrant. Cela ne peut se comparer qu'à l'émotion que le frémissement de la voix donne à des mots insignifiants. Et ces pièces si simples ne se laissent pas lire sans contraindre la voix à changer d'expression à chaque vers, et sans parfois la charger d'attendrissement. Qu'on prenne, par exemple, la pièce suivante:
Oh! veux-tu venir avec moi, douce Tibbie Dunbar!
Oh! veux-tu venir avec moi, douce Tibbie Dunbar?
Veux-tu partir sur un cheval ou dans une voiture,
Ou marcher à mes côtés, oh! douce Tibbie Dunbar.
Peu m'importe ton père, tes terres et ton argent,
Peu m'importe ta race haute et seigneuriale!
Dis seulement que tu veux m'avoir pour heur ou malheur,
Et viens dans ton petit manteau, douce Tibbie Dunbar![637]
Ce n'est rien, et, dans l'original, cela est ravissant. Presque tout l'effet est dû à l'habile répétition et au retour caressant du nom propre. Sans doute, il est difficile de se rendre compte du charme qu'a ce retour. Tout est dans l'inflexion musicale et sa douceur. Il faut pour cela se mettre en mémoire des effets analogues, se répéter la musique de certaines syllabes, se souvenir de certains vers de nos propres poètes, rendus mélodieux par un nom de femme, se dire, avec Ronsard:
Marie, qui voudrait retourner votre nom?
Il trouverait aimer[638].
ou avec André Chénier:
Ô Camille! l'amour aime la solitude,
Ce qui n'est point Camille est un ennui pour moi...
Camille est un besoin dont rien ne me soulage;
Rien à mes yeux n'est beau que de sa seule image,
Sur l'herbe, sur la soie, au village, à la ville,
Partout, reine ou bergère, elle est toujours Camille[639].
ou avec Victor Hugo:
Thérèse la duchesse à qui je donnerais,
Si j'étais roi, Paris, si j'étais Dieu, le monde,
Quand elle ne serait que Thérèse la blonde;
Cette belle Thérèse, aux yeux de diamant[640].
Et l'on arrive alors, non pas à saisir le charme de cette jolie petite pièce, mais à se rendre compte du genre de charme qu'elle peut avoir, car elle est dans sa langue originale beaucoup plus accomplie que les exemples que nous avons donnés en français. En voici une autre du même genre et peut-être plus simple encore:
Et oh! mon Eppie
Mon bijou, mon Eppie,
Qui ne serait heureux
Avec Eppie Adair?
Par l'amour, la beauté,
Par la loi, le devoir!
Je jure d'être fidèle à
Mon Eppie Adair!
Et oh! mon Eppie,
Mon bijou, mon Eppie,
Qui ne serait heureux,
Avec Eppie Adair?
Que le plaisir m'exile,
Que le déshonneur me souille,
Si jamais je te trahis,
Mon Eppie Adair![641]
Ici encore, on peut dire que la pièce se compose de la répétition d'un nom. Les vers intermédiaires ne servent qu'à le faire prononcer avec des inflexions différentes. Mais la pièce est si harmonieuse, les sonorités des rimes accompagnent et font valoir si bien celle du nom propre, que celui-ci prend une valeur musicale et poétique qui se passe de sens. Il revient avec persistance et avec une grâce chaque fois accrue, comme ce nom que les amants redisent machinalement et avec délices. Il finit par prendre la douceur qui ravissait le héros du poème de Tennyson quand, en se promenant dans le jardin, près du château, il entendait les oiseaux qui disaient: «Maud! Maud! Maud»! Et c'était pour lui la plus divine des musiques[642].
Il en est de même pour la passion. Dans la pièce suivante, tout le geste d'énergie farouche et désespérée, l'accent brusque et sombre de la voix qui accompagnent un adieu, est rendu par les vers courts et hachés qui terminent les strophes et surtout la seconde.
Si j'avais une caverne sur un rivage lointain et sauvage,
Où les vents hurlent sur les bonds rugissants des vagues,
J'y pleurerais mes chagrins,
J'y chercherais mon repos perdu,
Jusqu'à ce que la peine ferme mes yeux,
Pour ne plus m'éveiller.
La plus
fausse des femmes, oses-tu déclarer
Que les chers vœux donnés sont légers comme l'air?
Va-t-en à ton nouvel amant,
Ris de ton parjure,
Et cherche dans ton cœur
Quelle paix tu y trouves![643]
Et je ne crois pas qu'il soit possible de mettre plus de passion en moins de mots que dans ces deux pièces que nous citons encore. La première est un pur cri, mais si simple, si franc, si sincère, qu'il devient poignant. Ce sont toujours les mêmes mots, comme dans la réalité, mais qui reviennent avec un appel de plus en plus désespéré.
Reste, ma charmeresse, peux-tu me quitter?
Cruelle, cruelle, de me tromper!
Tu sais combien tu me tortures,
Cruelle charmeresse, peux-tu t'en aller?
Cruelle charmeresse, peux-tu t'en aller?
Par mon amour si mal récompensé,
Par ta foi tendrement promise,
Par les tourments des amants dédaignés,
Ne me quitte pas, ne me quitte pas ainsi!
Ne me quitte pas, ne me quitte pas ainsi![644]
La seconde est une plainte mélancolique de jeune fille délaissée. Elle est faite aussi avec le retour des mêmes paroles, la répétition de la même phrase, une modulation triste qui se recommence. L'effet en est navrant. Il est impossible de lire, dans l'original, cette pièce, qui ne contient pas une image et qui est presque sans pensée, sans que, vers la fin, et par une inexprimable émotion qui est on ne sait où, la voix ne s'altère. C'est une des plus merveilleuses choses que Burns ait écrites. Au-delà d'une pièce de ce genre, la poésie cesse et il n'y a plus que l'émotion purement musicale.
Tu m'as quittée pour jamais, Jamie,
Tu m'as quittée pour jamais;
Tu m'as quittée pour jamais, Jamie,
Tu m'as quittée pour jamais.
Souvent tu m'as promis que la mort
Seule nous séparerait;
Maintenant, tu as quitté ta fillette pour toujours,
Je ne dois jamais te revoir, Jamie,
Je ne te reverrai jamais.
Tu m'as
abandonnée, Jamie,
Tu m'as abandonnée;
Tu m'as abandonnée, Jamie,
Tu m'as abandonnée.
Tu peux en aimer une autre,
Tandis que mon cœur se brise.
Bientôt je fermerai mes yeux las
Pour ne plus me réveiller, Jamie,
Pour ne plus me réveiller![645]
Cette abondance de pièces, semées dans toutes les directions, suffirait à faire de Burns un des plus variés et des plus copieux poètes de l'amour. Mais il convient de ne pas oublier que la portion la plus élevée, la plus riche de sa poésie amoureuse ne figure pas ici, nous voulons dire ses pièces personnelles qui marquent les crises de sa vie. À celles qui viennent d'être données, il faut en ajouter bien d'autres: ses premières chansons d'amour. Derrière les collines où le Lugar coule[646], ses vers à Anna Park, si brutalement luxurieux[647]; la série des morceaux à Jane Lorimer, d'un si joli coloris de désir[648]; les strophes à sa petite garde-malade Jessy Lewars[649], sans parler des poèmes inspirés par Clarinda. Il faut se remettre en mémoire les chansons à Jane Armour: De tous les points d'où souffle le vent, J'ai une femme à moi, Si j'étais sur la colline du Parnasse[650]; et surtout les pièces écrites au moment de leur séparation et dans lesquelles vit quelque chose du désespoir des Nuits[651]. Enfin au-dessus de tout cela, pour la hauteur de l'inspiration, la pureté du sentiment, pour le désintéressement qu'on trouve rarement dans ses vers d'amour, il faut placer les poésies à Mary Campbell. Il faut mettre, au sommet, ce cri de remords et de douleur par lequel, tandis que l'étoile attardée qui aime à saluer le matin ramenait l'anniversaire des adieux, prosterné à terre, il implorait la chère ombre disparue de baisser les yeux vers lui, de sa place de repos bienheureux, et d'accueillir les gémissements qui déchiraient sa poitrine[652]. Et cet autre sanglot, peut-être plus poignant encore, lorsque semblant renoncer à l'espoir d'une réunion future, il épanche une douleur que le temps renouvelle, et pense que ce cœur dont il a été aimé se dissout maintenant en poussière silencieuse[653]. Ce sont des accents qui élèvent sa gloire. Grâce à eux il a atteint au rang des plus douloureux et partant des plus divins chantres de la divine et douloureuse passion; il est parmi ceux qui ont su aimer les mortes et saigner d'un souvenir. Les vers à Mary Campbell se sont envolés jusqu'à la sphère où chantent les élégies célestes, les canzones à Laure, le Crucifix, les Vers à Graziella[654]. Il y a dans la couronne de Burns deux feuilles du laurier de Pétrarque et de Lamartine, mais deux feuilles seulement.[Lien vers la Table des matières.]
II.
LA COMÉDIE DE L'AMOUR.
Nous n'en avons pas fini avec l'amour dans Burns. Il n'en a pas représenté que la face sentimentale et poétique, mais aussi les côtés risibles, prosaïques et grotesques. Sa faculté d'observation, qui n'était gênée par aucune pensée d'harmonie littéraire dans son œuvre, s'est exercée là comme ailleurs. Il a vu et rendu tout un aspect de la vie amoureuse, que les poètes ne perçoivent pas, ou réservent pour leurs conversations. Il en a saisi les comédies aussi bien que les adorations, et il y a, dans ce chapitre, tout un coin familier, amusant, risible, tout un défilé de caractères et de scènes populaires. Après les grâces et les charmes de l'amour, voici toutes ses ruses, ses méchants tours, ses tromperies, ses calculs, ses artifices, ses situations ridicules et piteuses. Rien n'y manque. Prières de jeunes gars qui viennent le soir frapper à la fenêtre et demandent à être introduits, réflexions de fillettes qu'on veut marier à de vieux richards, conseils de vieilles commères aux jeunesses qui interrogent leur expérience des hommes et des choses, épousailles grotesques, disputes d'époux, allégresses de veufs, épisodes de toute espèce, de toute forme et de tout sel, fin, moyen et gros. Tout cela est crayonné vivement, comme une suite de caricatures prises sur le fait. C'est la comédie entière de l'amour, avec toutes ses péripéties et ses vicissitudes drôlatiques. Elle embrasse, elle aussi, toutes les situations, et on pourrait reconstituer avec ces pièces risibles, une vie entière d'amour, à partir des premières rencontres.
C'était, on l'a vu, l'usage des jeunes paysans écossais que d'aller le soir faire leur cour, parfois à une distance de plusieurs milles. Cette coutume, dont le côté pur et gracieux a été poétisé dans la chanson de Ma Nannie Ô!, se retrouve ici avec ce qu'elle devait avoir souvent de plus prosaïque et de plus réel. On entend les dialogues qui devaient souvent s'échanger à travers le volet.
«Qui est là, à la porte de ma chambre?»
«Oh! qui est là, sinon Findlay?»
«Passez votre chemin, vous n'entrerez pas ici!»
«En vérité, j'entrerai,» dit Findlay.
«Qui vous rend si semblable à un voleur?»
«Oh! venez voir,» dit Findlay.
«Avant le matin, vous aurez fait un malheur,»
«En vérité, je le ferai,» dit Findlay.
«Si je me lève et vous laisse entrer,»
«Laissez-moi entrer,» dit Findlay.
«Vous me tiendrez éveillée avec votre bruit.»
«En vérité, je le ferai,» dit Findlay.
«Si dans ma chambre vous restiez,»
«Laissez-moi rester,» dit Findlay.
«J'ai peur que vous n'y restiez jusqu'au matin,»
«En vérité, je le ferai,» dit Findlay.
«Si vous restez ici cette nuit,»
«J'y resterai,» dit Findlay,
«J'ai peur que vous ne retrouviez le chemin»
«En vérité, je le ferai,» dit Findlay.
«Ce qui pourra se passer dans cette chambre,»
«Laissons-le passer,» dit Findlay,
«Il faut le taire jusqu'à votre dernière heure,»
«En vérité, je le tairai,» dit Findlay[655].
Quelques-unes de celles qu'on sollicite ainsi sont avisées; elles tiennent la dragée haute, connaissant, sans doute, par pur instinct de femme, la vérité du conseil de Méphistophélès aux belles «qu'il ne faut accorder un baiser que la bague au doigt».
Fillette, quand votre mère n'est pas à la maison,
Puis-je prendre la hardiesse
De venir à la fenêtre de votre chambre
Et d'entrer pour me garder du froid?
De venir à la
fenêtre de votre chambre?
Et quand il fait froid et humide
De me réchauffer sur votre doux sein?
Douce fillette, puis-je faire cela?
Jeune homme, si vous avez la bonté,
Quand la ménagère n'est pas à la maison,
De venir à la fenêtre de ma chambre
Quand je suis couchée seule,
Pour vous réchauffer sur mon sein,
Remarquez bien ce que je vous dis,
Le chemin jusqu'à moi passe par l'église,
Jeune homme, entendez-vous cela?[656]
Malheureusement, elles n'ont pas toutes aussi bonne tête. La voix derrière le volet est parfois si tendre et si persuasive. En hiver, il est dur de laisser le pauvre garçon, qui vient de si loin à travers les moors, se morfondre sous les rafales; en été, les sillons d'orge sont bien tentants; en toute saison, ces heures de nuit sont mauvaises conseillères. Que ce soit lui qui entre ou elle qui sorte, cela, dit-on, revient au même.
Oh! siffle, et je viendrai vers toi, mon gars,
Oh! siffle, et je viendrai vers toi, mon gars.
Quand père et mère en deviendraient fous,
Oh! siffle, et je viendrai vers toi, mon gars.
Mais fais bien attention quand tu viens me faire la cour,
Et ne viens pas à moi à moins que la porte de derrière ne soit
entr'ouverte,
Puis franchis la barrière, que personne ne te voie,
Et viens comme si tu ne venais pas chez moi.
À l'église, au marché, partout où nous nous rencontrons,
Passe près de moi comme si tu t'en souciais comme d'une mouche,
Mais glisse un regard de ton doux œil noir;
Cependant aie l'air de ne pas me regarder.
Jure et proteste toujours que tu ne te soucies pas de moi,
Et, quelquefois, tu peux légèrement rabaisser ma beauté, un peu
Mais n'en courtise pas une autre, même en plaisantant,
De peur qu'elle ne détache ta fantaisie de moi.
Oh! siffle, et je viendrai vers toi, mon gars,
Oh! siffle, et je viendrai vers toi, mon gars,
Quand père et mère en deviendraient fous,
Oh! siffle, et je viendrai vers toi, mon gars[657].
Il n'y a pas que ces entrevues nocturnes qui soient dangereuses. En mille autres occasions, il y a des rencontres funestes. Et ici la vie de la campagne paraît dans son jour vrai, avec la facilité, ou plutôt la naïveté, de mœurs qui se cache sous sa prétendue innocence. Tantôt, c'est en faisant ensemble la moisson, cette saison des meules.
Robin a fauché à la moisson,
Et j'ai fauché avec lui;
Je n'avais pas de faucille,
Et pourtant, je l'ai suivi.
Robin me promit
De me nourrir l'hiver;
Il n'avait rien que trois
Plumes d'oie et un sifflet[658].
Les marchés et les foires sont aussi des endroits dangereux, surtout quand on y va en croupe avec Duncan Gray. Il suffit que la selle soit vieille et que la sous-ventrière casse, pour qu'il se produise des chutes malheureuses, auxquelles la lune, qui regarde par-dessus les collines, semble prendre grand plaisir.
Malheur sur vous, Duncan Gray,
Ha, ha, la sous-ventrière!
Malheur sur vous, Duncan Gray
Ha, ha, la sous-ventrière!
Quand les autres vont s'amuser,
Je reste assise tout le jour,
À remuer le berceau avec mon pied,
À cause de la sous-ventrière.
Claire était la lune d'août,
Ha, ha, la sous-ventrière!
Brillante au-dessus de toutes les collines,
Ha, ha, la sous-ventrière!
La sous-ventrière cassa, la bête tomba,
Je perdis mon bonnet et mes deux souliers,
Ah! Duncan, vous êtes un mauvais gars,
Maudite soit cette mauvaise sous-ventrière!
Mais, Duncan, si vous tenez votre serment,
Ha, ha, la sous-ventrière!
Je vous bénirai à mon dernier souffle,
Ha, ha, la sous-ventrière!
La bête encore nous portera tous deux,
Le vieux maître John réparera le mal,
Et raccommodera la sous-ventrière[659].
Parfois enfin, on va à la ville porter du fil à tisser. Là encore, que d'embûches! Ces tisserands sont bien subtils à attraper le cœur des fillettes.
Mon cœur était jadis aussi joyeux et libre
Que les jours d'été étaient longs,
Mais un tisserand de l'ouest, un joli gars,
M'a fait changer ma chanson.
Chez le tisserand, si vous allez, jolies fillettes,
Chez le tisserand, si vous allez,
Je vous avertis, n'allez jamais la nuit,
Si vous allez chez le tisserand....
Ma mère m'a envoyé à la ville
Pour faire ourdir un tissu de plaid;
Mais que cet ourdissage m'a fait lasse, lasse,
M'a causé de soupirs, de sanglots!
Un beau gars tisserand de l'ouest
Travaillait assis à son métier,
Il a pris mon cœur comme dans un filet
Dans les bouts de fil et les nœuds.
Ce qui fut dit ou ce qui fut fait,
La honte me prenne si je le dis,
Mais, oh! j'ai peur que le pays bientôt
Ne le sache aussi bien que moi[660].
Hélas! le pays, en effet, ne tarde pas à tout savoir. Les chuchotements viennent, puis les reproches et les railleries, avec des expressions goguenardes et grossières. Ces duretés se font jour, avec ce manque de pitié qui est commun aux paysans et aux enfants, et qui donne à leurs remarques quelque chose de si direct et de si cruel. Cela se termine par une de ces plaisanteries brutales, sur lesquelles le groupe se disperse avec des éclats de rire, en laissant la pauvre fillette confuse et pleurante.
Vous vous êtes couchée de travers, fillette,
Vous vous êtes couchée de travers.
Vous vous êtes couchée dans un autre lit,
Et avec un homme étranger.
Vos joues rosées sont devenues si pâles,
Vous êtes plus verte que l'herbe, fillette,
Votre jupon est plus court d'une main,
Bien qu'on ne l'ait pas raccourci d'un pouce, fillette.
Ô, fillette, vous avez fait la sotte,
Vous éprouverez le mépris, fillette,
Car la soupe que vous prenez le soir,
Vous la rendez avant le matin, fillette.
Oh! jadis,
vous dansiez sur les collines,
Et à travers les bois, vous chantiez, fillette,
Mais, en saccageant une ruche d'abeilles,
Vous vous êtes fait piquer, fillette[661].
Comme cela est inévitable, les comédies du mariage fournissent des scènes nombreuses. L'argent, la dot, en est le grand ressort. Nul n'était mieux disposé à railler ce point particulier que l'ancien président du Club des Célibataires de Tarbolton. On se souvient que le premier sujet de discussion avait été de savoir s'il vaut mieux épouser une femme riche et sans charmes qu'une femme aimable et sans fortune[662]. Burns était sévère pour les mariages d'argent. Aussi, est-il intarissable sur les situations comiques et divertissantes que ces marchés matrimoniaux peuvent amener.
Voici d'abord les avisés qui pensent que la beauté passe et que la dot demeure. On sait les sages conseils que le père Maurice donne à Germain au début de la Mare au Diable. C'était aussi l'avis de quelques madrés paysans écossais. Il y en a plus d'un qui met, sans vergogne, son cœur à nu.
Au diable votre sorcellerie de la beauté tremblante,
Ce petit morceau de beauté que vous serrez dans vos bras!
Oh! donnez-moi une fillette qui a des acres de charmes,
Oh! donnez-moi une fillette avec de bonnes fermes.
Donc, hey pour la fillette avec une dot,
Donc, hey pour la fillette avec une dot,
Donc, hey pour la fillette avec une dot,
Les jolies guinées jaunes pour moi!
Votre beauté est une fleur qui fleurit le matin,
Fanée d'autant plus vite qu'elle a fleuri plus tôt;
Mais les charmes délicieux des jolies Collines vertes,
Chaque printemps les vêtit à neuf de jolies brebis blanches.
Et même quand votre beauté a exaucé vos vœux:
La plus brillante beauté peut fatiguer, quand on l'a possédée;
Mais les doux jaunets chéris, avec l'empreinte de Georges,
Plus longtemps vous les avez, et plus vous les caressez[663].
Mais ces beaux calculs ne réussissent pas toujours. À matois, matoise et demie. Il y a de fines mouches qui savent bien à qui ces déclarations s'adressent, et l'une d'elles dit dans une jolie chanson:
Oh! mon amoureux fait grand cas de ma
beauté,
Et mon amoureux fait grand cas de ma famille;
Mais mon
amoureux ne sait pas que je sais fort bien
Que ma dot est le joyau qui a des charmes pour lui.
C'est pour la pomme qu'il veut nourrir l'arbre,
C'est pour le miel qu'il veut soigner l'abeille;
Mon gars est tombé si amoureux de l'argent,
Qu'il ne peut pas lui rester un peu d'amour pour moi[664].
Les hommes sont après tout maîtres de se marier comme il leur semble bon. Ceux qui apprécient à la vergée la beauté de leur future et qui épousent des prairies et des bois sont clairsemés en somme. Qu'il leur advienne ce qui voudra! Quand le mariage leur rapporterait un peu plus de bois qu'ils n'y comptaient, c'est une faible erreur de calcul. Ils ont simplement la large mesure. Mais il se rencontre de braves garçons qui, avec de bons bras, sont prêts à nourrir une belle fille. Ceux-ci sont encore les plus nombreux. Aussi les pièces qui roulent sur la recherche de la dot sont-elles assez rares du côté masculin.
Mais que le côté féminin en est riche! Que les femmes sont bien plus à plaindre! À la merci du premier venu auquel il plaît à leur famille de les accorder! Quel défilé de pauvres filles qu'on veut faire marier à contre cœur. Les parents sont partout les mêmes. Ils sont pour le bonheur en terre et les gendres fonciers.
Combien cruels sont les parents
Qui n'estiment que la richesse,
Et à un riche lourdaud
Sacrifient la pauvre femme!
Cependant, la fille malheureuse
N'a que le choix de la lutte:
Fuir la haine d'un père despotique,
Devenir une épouse malheureuse[665].
Et la chanson continue en comparant la pauvrette à une colombe poursuivie par un faucon. Elle fuit un moment, essaye ses ailes, et désespérant d'échapper, tombe aux pieds du fauconnier qui représente le mari. Sur ce thème, à moitié comique et à moitié douloureux, Burns est intarissable. Il y a à grouper, autour de ce seul point, une quinzaine de chansons avec lesquelles on constituerait toutes les phases de cette aventure commune, depuis les premières instances des parents jusqu'au moment où les résultats ordinaires de pareils mariages commencent à poindre. Les hésitations, les combats, les refus, les chagrins des pauvrettes y sont tout au long. Elles demandent conseil tout autour d'elles et ce sont de petites scènes charmantes de naïveté et de malice.
L'une d'elles va trouver sa sœur: son cœur se brise, elle ne veut pas irriter ses parents, mais que fera-t-elle de Tam Glen? Avec un aussi brave garçon ne pourrait-elle pas supporter la pauvreté, et que lui importe de se rouler dans les richesses si elle n'épouse pas Tam Glen? Il y a un propriétaire voisin qui se vante et parle toujours de son argent, mais quand dansera-t-il comme Tam Glen? Sa mère lui répète de se défier des jeunes hommes qui ne flattent que pour tromper, mais qui peut penser cela de Tam Glen? D'ailleurs, à la Toussaint, elle a mouillé sa manche gauche à un ruisseau et l'a suspendue devant le feu pour qu'à minuit celui qu'elle doit épouser vînt la retourner. Et qui est venu? sinon une apparition qui portait les culottes grises de Tam Glen?
«Viens, conseille-moi, chère sœurette,
vite,
Je te donnerai une belle poule noire,
Si tu m'avises d'épouser
Le gars que je préfère, Tam Glen.»[666]
Elles ne reçoivent pas toujours la réponse dont elles sont désireuses. Elles s'adressent quelquefois à des commères avisées, quelque dame bien ridée qui sait que «de bon conseil ne sort jamais de mal».
Oh! fillette étourdie, la vie est un
combat;
Même pour les plus heureux, la lutte est dure;
On combat mieux les mains pleines,
Et les soucis qui ont faim sont de durs soucis.
Mais l'un dépense et l'autre épargne,
Et les mauvaises têtes veulent avoir leur gré;
Selon que vous aurez brassé, ma jolie fille,
Souvenez-vous que vous tirerez la bière[667].
La petite aura beau répéter qu'elle ne donnerait pas un regard de Robin pour la grange et l'étable d'un autre, que l'argent ni l'or n'ont jamais acheté un cœur loyal, que le fardeau que l'amour porte est léger, que le contentement et la tendresse apportent la paix et la joie, et que les reines n'ont rien de plus sur leur trône, les avertissements de la vieille voisine la renvoient pensive.
Que faire? Quelques-unes, les plus décidées, refusent nettement et envoient promener ces prétendants laids et vieux dont toute la séduction est dans leurs sacs d'écus. Elles leur disent leur fait comme des filles qui ont la langue leste et dont la main le serait aussi. Il y en a une entre autres qui ne va pas par quatre chemins. C'est assurément une vaillante fille, qui sait ce qu'elle veut et ce qu'elle ne veut pas, et qui ne manque ni d'esprit ni de fierté.
La rose
rouge-sang peut fleurir à Noël,
Les lis d'été éclore dans la neige,
Le froid peut geler la plus profonde mer,
Mais un vieil homme ne me mènera jamais.
Me mener moi, et moi si jeune,
Avec son cœur faux et sa langue flatteuse;
C'est une chose que vous ne verrez jamais,
Car un vieil homme ne me mènera jamais.
Malgré toute sa farine et tout son grain,
Malgré tout son bœuf frais et son bœuf salé,
Malgré tout son or et son argent blanc,
Un vieil homme ne me mènera jamais.
Son bien peut lui acheter vaches et brebis,
Son bien peut lui acheter vallons et collines,
Mais il ne m'aura jamais, ni à fonds, ni à bail,
Un vieil homme ne me mènera jamais.
Il se traîne, cassé en deux, comme il peut,
Avec sa bouche sans dents et sa vieille tête chauve,
La pluie tombe de ses yeux rouges et chassieux;
Ce vieil homme ne me mènera jamais[668].
Si le vieil homme ne se le tient pas pour dit, c'est qu'il est sourd, outre le reste. Mais toutes n'ont pas aussi bonne tête et cette clarté de langue qui ne permet pas de se méprendre sur ce qu'elles pensent. Il y a de petites niaises qui probablement s'imaginent, comme l'ingénue de Molière, que les familles se perpétuent par l'oreille. On les marie, sans qu'elles sachent ce qu'on leur fait faire. Le lendemain, elles pleurnichent sottement.
Oh! savez-vous ce que grand'mère m'a fait,
Ce que grand'mère a fait, ce que grand'mère m'a fait,
Oh! savez-vous ce que grand'mère m'a fait,
M'a fait jeudi soir, gars?
Elle m'a mise dans un lit doux,
Dans un lit doux, dans un lit doux,
Elle m'a mise dans un lit doux,
Et m'a souhaité bonsoir, gars.
Et savez-vous ce que le curé a fait,
Le curé a fait, le curé a fait.
Et savez-vous ce que le curé a fait,
Pour quelques gros sous, gars?
Il a lâché sur moi un long homme,
Un gros homme, un fort homme,
Il a lâché sur moi un long homme,
Qui aurait pu m'effrayer, gars.
Et je
n'étais qu'une jeune créature,
Une jeune créature, une jeune créature,
Et je n'étais qu'une jeune créature,
Avec personne pour me plaindre, gars.
C'est l'église qui est à blâmer,
Qui est à blâmer, qui est à blâmer,
D'effrayer une jeune créature,
Et de lâcher un homme sur moi, gars[669].
Si le long homme n'est pas, quelque jour, allongé encore, il passera, comme on dit, par une belle porte. La chanson n'est pas longue à changer. La niaiserie, sur ces choses, n'est chez les femmes que de surface; la plus innocente est prompte à se délurer. Alors le dépit vient, et les reproches, dont on se fait une provision d'excuses pour soi-même. À ce compte, les défauts s'accumulent vite sur le mari; les prétextes vont du même train. Telle fillette qui, peut-être a eu les étonnements de celle qu'on vient d'entendre, parle maintenant d'un autre ton.
Que peut faire une jeunesse, que fera une jeunesse,
Que peut faire une jeunesse, avec un vieil homme?
Malheur aux écus qui ont poussé ma mère
À vendre sa Jenny pour de l'argent et des terres;
Malheur aux écus qui ont poussé ma mère
À vendre sa Jenny pour de l'argent et des terres.
Il est toujours à se plaindre du matin au soir,
Il tousse, et il boîte, toute la longue journée;
Il est caduc, il est engourdi, son sang est gelé;
Ah! triste est la nuit avec un vieil homme vermoulu,
Il est caduc, il est engourdi, son sang est gelé,
Ah! triste est la nuit avec un vieil homme vermoulu.
Il gronde et il grogne, il s'agite et il bougonne,
Il n'est jamais content, quoi que je fasse.
Il est hargneux et jaloux de tous les jeunes gens.
Ah! malheur sur le jour où j'ai rencontré un vieil homme!
Il est hargneux et jaloux de tous les jeunes gens,
Ah! malheur sur le jour où j'ai rencontré un vieil homme!
Ma vieille tante Katie prend pitié de moi,
Je vais essayer de suivre son plan.
Je le tracasserai, je le harasserai, tant qu'il perde l'âme,
Alors, son vieux cuivre me procurera une poële neuve;
Je le tracasserai, je le harasserai tant qu'il perde l'âme,
Alors son vieux cuivre me procurera une poële neuve[670].
Mais il faut se garder de croire que toutes les filles d'Écosse aient été mariées par contrainte. Si on en pousse quelques-unes au mariage, les autres y vont bien d'elles-mêmes. Il n'en manque pas de fines et de futées, qui savent chercher et trouver un mari toutes seules. Ce sont alors de jolis jeux de coquetterie. Les demoiselles de la ville ne leur en remontreraient pas sur ce chapitre. Ce manège est heureusement exposé dans une chanson qui est une vraie petite comédie. Les refus prétendus du commencement, la niaiserie de l'amoureux qui les prend pour argent comptant et cherche à se consoler ailleurs, le dépit de la fillette, la confiance qu'elle a dans un de ses regards, sa façon si féminine d'achever sa rivale en demandant de ses nouvelles, la brusque volte-face de l'amoureux qui du coup perd la tête et se tuera si elle ne l'accepte. Elle le fait, mais à cause de lui et par grâce; la rusée a l'air de faire un sacrifice.
En mai dernier, un bel amoureux descendit le long du vallon
Et me fatigua, m'obséda avec son amour,
Je dis qu'il n'y avait rien que je haïsse comme les hommes.
Le diable l'emporte de m'avoir crue, de m'avoir crue,
Le diable l'emporte de m'avoir crue.
Il parla des dards de mes jolis yeux noirs,
Et jura qu'il se mourrait d'amour pour moi,
Je dis qu'il pouvait mourir quand il lui plairait,
Le Seigneur me pardonne d'avoir menti, d'avoir menti,
Le Seigneur me pardonne d'avoir menti.
Et cependant, il offrait une ferme bien garnie et le mariage aussitôt. Elle pensait bien qu'elle pouvait avoir de pires offres. C'est alors que le benêt s'en va trouver la noire cousine Bess.
Mais, la semaine suivante, tourmentée de soucis,
J'allai à la foire de Dalgarnock.
Et qui était là, sinon mon bel amoureux volage?
J'ouvris les yeux comme si je voyais un sorcier, un sorcier,
J'ouvris les yeux comme si je voyais un sorcier.
Mais, par-dessus mon épaule gauche, je lui lançai un regard,
De peur que les voisins ne disent que j'étais hardie.
Mon amoureux dansa comme s'il avait été gris,
Et jura que j'étais sa chère fillette, sa chère fillette,
Et jura que j'étais sa chère fillette.
Je m'informai de ma cousine, tout doucement et
tranquillement,
Si elle avait recouvré l'ouïe,
Et comment ses souliers neufs allaient à ses vieux pieds
tortus.
Mais, cieux, comme il se mit à jurer, à jurer,
Mais, cieux, comme il se mit à jurer!
Il me pria, pour l'amour de Dieu, d'être sa femme,
Sinon, je le tuerais de chagrin;
Aussi, pour préserver la vie du pauvre garçon,
Je crois que
je dois l'épouser demain, demain,
Je crois que je dois l'épouser demain[671].
C'est un sujet analogue dans la chanson de Duncan Gray. Mais, tandis que la précédente est toute faite d'observations, celle-ci est faite de grosse gaîté, le récit est interrompu par un grand éclat de rire qui éclate à chaque instant, se répercute de strophe en strophe, devient contagieux, et secoue toute la pièce d'une lourde et joviale hilarité.
Duncan Gray est venu ici faire sa cour,
Ha! ha! la jolie cour,
Une belle nuit de Noël, quand nous étions gris,
Ha! ha! la jolie cour.
Maggie rejeta la tête en l'air,
Le regarda de côté et de haut,
Et lui dit de se tenir coi,
Ha! ha! la jolie cour!
Duncan flatta, et Duncan pria,
Ha! ha! la jolie cour;
May fut sourde comme Ailsa Craig[672],
Ha! ha! la jolie cour.
Duncan sortit et rentra de gros soupirs,
Pleura, eut les yeux rouges et troublés,
Parla de sauter dans une cascade,
Ha! ha! la jolie cour!
L'arrivée de ce pauvre amoureux transi, dans la bagarre joyeuse d'une nuit de Noël, son attitude gauche, et celle sottement dédaigneuse de Maggie sont bien amusantes. Mais, malgré son air contrit, Duncan Gray n'est pas une bête.
Le Temps et la Chance sont comme les flots,
Ha! ha! la jolie cour,
L'amour dédaigné est dur à supporter,
Ha! ha! la jolie cour.
Irai-je comme un sot, dit-il,
Pour une chipie hautaine, mourir?
Elle peut aller... en France, je m'en moque!
Ha! ha! la jolie cour.
Comment cela se fit, que les docteurs le disent;
Ha! ha! la jolie cour,
Meg dépérit à mesure qu'il guérissait,
Ha! ha! la jolie cour.
Elle sent une peine en sa poitrine,
Elle pousse des soupirs pour se soulager,
Et, oh! ses yeux disent de telles choses;
Ha! ha! la jolie cour.
Duncan
était un gars de pitié,
Ha! ha! la jolie cour,
Maggie était en mauvais cas
Ha! ha! la jolie cour!
Duncan ne voulut pas causer sa mort,
La pitié en lui étouffa la colère.
Maintenant, ils sont contents et heureux,
Ha! ha! la jolie cour![673]
Le jour des épousailles lui-même ne passe pas inaperçu. C'était souvent un jour de lourde joie et d'ivresse. On en a quelques aperçus.
La dernière belle noce où je fus,
C'était le jour de la Toussaint,
Il y avait abondance de boire et de rire,
Et beaucoup de joie et de jeu.
Et les cloches sonnaient, et les vieilles femmes chantaient,
Et les jeunes dansaient dans la salle,
L'épouse alla au lit, avec son sot mari,
Au milieu de toutes ses commères[674].
Il y a aussi le jour de noces de Meg du moulin, qui aimait bien une goutte de whiskey le matin. Tout le monde semble y avoir été gris. On remporta à bras le fiancé, on remporta le clerc dans une voiture.
Oh! savez-vous comment Meg du moulin fut mise
au lit?
Et savez-vous comment Meg du moulin fut mise au lit?
Le futur était si gris qu'il tomba tout d'un tas à côté.
Et voilà comment Meg du moulin fut mise au lit![675]
Comme il est à prévoir, la vie conjugale réunit tout un groupe de ces chansons. En général, elle n'est pas représentée en brillantes couleurs. Du côté attrayant, à peine une petite chanson, pleine de crânerie et de belle humeur, fredonne-t-elle la joie d'un homme tout fier d'avoir une femme à soi et décidée à défendre son bien. Elle est très enlevée et très jolie; on a vu à quel propos elle a été composée[676].
J'ai pris une femme pour moi seul,
Je ne partagerai avec personne,
Personne ne me fera cocu,
Je ne ferai cocu personne.
J'ai un penny à dépenser
Qui ne doit rien à personne;
Je n'ai rien à pouvoir prêter,
Je n'emprunterai de personne.
De personne
je ne suis le maître,
Je ne serai esclave de personne.
J'ai une brave épée écossaise,
Je n'accepte de coups de personne.
Je serai libre et joyeux,
Je ne serai triste pour personne.
Si personne n'a souci de moi,
Je n'aurai souci de personne[677].
Pour le reste, c'est un concert de lamentations, toutes placées d'ailleurs, dans la bouche des hommes. Le titre d'une chanson Je voudrais ne m'être jamais marié[678], pourrait servir d'épigraphe à l'ensemble. Quels tracas de toutes parts! Des inquiétudes, des soucis, des enfants qui demandent à manger. Et les femmes! Une collection de commères, de maritornes, de viragos acariâtres, hargneuses et malfaisantes qui criaillent, disputaillent et braillent, au jour la journée. Elles font de leurs pauvres hommes de vrais martyrs[679]. Une d'elles boit et casse sa quenouille sur la tête de son mari[680]. Une autre reproche au sien, depuis sept longues années de n'être plus qu'un vieux sans sève. Et lui, doucement, répond qu'il a vu le jour, et elle aussi, où elle n'était pas si revêche. Cette querelle de vieux époux, tombés en sénilité, est comme la contre-partie et la caricature de la chanson de John Anderson. Les enfants arrivent en criant que le canard, en passant entre les jambes du vieux grand-père, l'a fait tomber.
Les enfants sortirent avec de grands cris,
«Le canard a fait tomber grand-père, Ô!»
«Le diable le ramasse, cria la grand'mère restue,
Il n'a jamais été qu'un clampin, Ô!
Il clampine en sortant, il clampine en entrant,
Il clampine, matin et soir, Ô;
Voilà sept longues années que je couche près de lui,
Et ce n'est plus qu'un vieux sans sève, Ô.»
«Ô veux-tu te taire, ma vieille femme restue,
Ô veux-tu te taire, Nansie, Ô!
J'ai vu le jour et toi aussi,
Où tu n'étais pas si fière, Ô;
J'ai vu le jour où tu mettais du beurre dans mon potage,
Où tu me caressais, soir et matin, Ô;
Mais «je ne puis plus» est venu me trouver,
Et ah! je m'en ressens durement, Ô.»[681]
Il y a dans ces deux strophes l'histoire de bien des vieux ménages où le mari caduc et brisé répond aux railleries de la femme encore verte par des rappels de souvenirs et semble insinuer qu'il y a quelque ingratitude de sa part à lui reprocher l'état où il est. Il ne fait pas toujours bon de tenir tête à ces gaillardes; plus d'un ne s'y fie pas. L'un des maris nous prend à moitié dans sa confidence, mais il a peur et s'arrête à mi-chemin. Il y a, dans cette chanson de deux strophes, toute une scène de comédie. Il faudrait l'analyser, mot à mot, dans l'original, pour voir ce qu'il y tient, dans un si court espace, de colère, de peur, de malice et de drôlerie. Il y a surtout à la fin une bouffée de fureur où l'homme s'oublie et va dire brutalement ce qu'il a sur le cœur. Mais avec quelle prestesse il rentre ses paroles et comme il se calme tout à coup! On le voit prendre l'air détaché de quelqu'un qui ne pense à rien et siffle pour se distraire.
Quand Maggy commença à être mon souci,
Le ciel, pensais-je, était dans son air,
Maintenant, nous sommes mariés; n'en demandez pas plus:
Sifflons sur le reste.
Meg était douce et Meg était charmante,
La jolie Meg était l'enfant de la nature;
De plus sages que moi ont été attrapés:
Sifflons sur le reste.
Comment nous vivons, Meg et moi,
Comme nous nous aimons et nous entendons,
Je me soucie peu que beaucoup le sachent:
Sifflons sur le reste.
Que je voudrais la voir viande à vers,
Servie dans un plat de linceul,
Je pourrais l'écrire, mais Meg le verrait:
Sifflons sur le reste[682].
Ce sentiment se trouve exprimé d'une façon bien originale dans une sorte de chanson qui fait penser à certains morceaux où Shakspeare emprunte aux vieux refrains populaires. Elle a le charme presque inexplicable que donne aux ballades ou chansons populaires un vers, une image, un nom de plante qui semble n'avoir aucun rapport avec elles, et qui cependant fait leur attrait. Il est vrai qu'ici on peut trouver un faible lien de pensée entre la ritournelle et le thème, si on considère la rue comme une plante de malheur qui prospère, tandis que le gai et honnête thym dépérit.
Un vieil homme vivait dans les coteaux de Kellyburn,
Hey, et la rue croît bien avec le thym;
Et il avait une femme qui était la peste de sa vie;
Et le thym est flétri et la rue est en fleur.
Un jour que
le vieil homme remontait la longue glen,
Hey, et la rue croît bien avec le thym,
Il rencontra le diable, qui lui dit: «comment vas-tu?»
Et le thym est flétri et la rue est en fleur.
Je possède une méchante femme, Monsieur, et c'est là ma
peine,
Hey, et la rue croît bien avec le thym,
Car, sauf votre respect, près d'elle vous êtes un saint;
Et le thym est flétri et la rue est en fleur.
«Je ne te prendrai ni ton poulain ni ton veau,
Hey, et la rue croît bien avec le thym,
Mais donne-moi ta femme, homme, car je veux l'avoir;
Et le thym est flétri et la rue est en fleur.
«Oh! vous êtes bienvenu, volontiers» dit le vieil homme
joyeux,
Hey, et la rue croît bien avec le thym;
Mais si vous faites la paire avec elle, vous êtes pire que votre
nom,
Et le thym est flétri et la rue est en fleur.
Le diable a pris la vieille femme sur son dos;
Hey, et la rue croît bien avec le thym;
Et, comme un pauvre colporteur, il a emporté son paquet,
Et le thym est flétri et la rue est en fleur.
Il l'a emportée chez lui, à la porte de son étable,
Hey, et la rue croît bien avec le thym;
Et il lui a dit d'entrer, comme chienne et catin;
Et le thym est flétri et la rue est en fleur.
Et soudainement il fit que cinquante diables choisis
Hey, et la rue croît bien avec le thym,
Vinrent la garder, en un claquement de main;
Et le thym est flétri et la rue est en fleur.
La mégère se rua sur eux comme un ours sauvage,
Hey, et la rue croît bien avec le thym,
Ceux qu'elle attrapait n'y revenaient plus;
Et le thym est flétri et la rue est en fleur.
Un petit démon enfumé passa la tête par-dessus le mur,
Hey, et la rue croît bien avec le thym,
«Oh, au secours, maître, au secours; ou elle va nous démolir
tous»,
Et le thym est flétri et la rue est en fleur.
Et le diable jura par le fil de son coutelas,
Hey, et la rue croît bien avec le thym,
Qu'il plaignait l'homme qui était lié à une femme,
Et le thym est flétri et la rue est en fleur.
Et le diable jura par l'église et la cloche,
Hey, et la rue croît bien avec le thym,
Et remercia le ciel d'être en enfer et non en mariage,
Et le thym est flétri et la rue est en fleur.
Puis Satan
s'est remis en route avec son paquet,
Hey, et la rue croît bien avec le thym;
Et il l'a rapportée à son vieux mari,
Et le thym est flétri et la rue est en fleur.
«Je suis démon depuis déjà un bout de temps,
Hey, et la rue croît bien avec le thym,
Mais je n'ai jamais été en enfer avant d'avoir connu femme,»
Et le thym est flétri et la rue est en fleur[683].
Aussi quel soupir de délivrance lorsque la mort, voulant donner à ces pauvres gens quelques années de tranquillité, vient leur enlever leur femme. Ils ressemblent tous au veuf de Béranger[684]. Ils ont des regrets pleins de satisfaction. L'un d'eux, modéré dans sa libération, dit avec douceur et un certain reste de crainte:
J'épousai une femme acariâtre,
Un quatorzième jour de novembre,
Elle m'avait rendu las de la vie,
Par sa langue déréglée.
Longtemps j'ai porté le joug pesant,
Et j'ai connu mainte angoisse;
Mais, cela soit dit à mon soulagement,
Maintenant sa vie est finie[685].
Une belle tombe recouvre son corps, dit-il, mais sûrement, son âme n'est pas en enfer, car le diable ne pourrait la supporter. Un autre qui a un peu moins de décorum exprime les mêmes sentiments en termes plus pittoresques:
Enfin ses pieds, je chantai de le voir,
Partirent en avant, derrière la colline,
Et avant que j'épouse une autre
Je gigoterai au bout d'une corde[686].
Après cette allégresse unanime, il se fait une séparation entre ces époux libérés. Ils penchent vers l'un ou l'autre des deux raisonnements qui s'offrent aux veufs, quand ils commencent à se remettre de leur première joie: si on n'a pas été heureux, il faut essayer de l'être; ou si on a été malheureux, il faut éviter de le redevenir. Les uns, les plus sages, ne démordent plus de cette seconde conclusion. Comme le mari de tout à l'heure, ils préfèrent avoir une corde au cou qu'une femme. On ne saurait les en blâmer. D'autres, hommes de beaucoup d'audace et de peu de découragement, tentent un nouvel essai. Quelquefois, ils ne s'en trouvent pas mal, soit que leurs premiers déboires les aient rendus aisés à satisfaire, soit que la fortune malicieuse se serve d'eux comme des numéros gagnants qui, aux loteries, entraînent les autres.
Oh! j'ai pris plaisir à remettre des dents aux peignes à
lin,
Et j'ai pris plaisir à faire des cuillers;
Et j'ai pris plaisir à rétamer des chaudrons,
Et à embrasser ma Katie quand tout était fini.
Oh! tout le long jour, je frappe avec mon marteau,
Et tout le long jour, je siffle et je chante,
Et toute la longue nuit, je caresse ma commère,
Et toute la longue nuit, je suis heureux comme un roi.
Amèrement, en chagrin, je goûtais mes gains,
Quand j'épousai Bess pour lui donner un esclave.
Heureuse l'heure où elle s'est refroidie dans ses linges;
Béni l'oiselet qui chante sur sa tombe.
Viens dans mes bras, ma Katie, ma Katie,
Viens dans mes bras et embrasse-moi encore,
Gris ou sobre, toujours à ta santé, ma Katie,
Et béni le jour où je me remariai[687].
Le tableau ne serait pas complet s'il y manquait l'adultère. Ce serait comme une forêt où il n'y aurait pas de lierre autour des arbres. La Réforme a bien essayé de faire le silence sur cette faute, et, à lire les littératures protestantes, on s'imaginerait qu'elle n'existe pas. Dans l'œuvre immense de Shakspeare, il n'y a guère qu'un adultère, celui des filles du roi Lear et d'Edmund, comme si ces créatures monstrueuses ne pouvaient aimer qu'entre elles. Dans le roman anglais contemporain, on découvre à peine quelques timides aspirations vers les amours illégitimes; et si, dans la poésie, la belle reine Guinevra a trompé le bon roi Arthur pour le brave chevalier Lancelot[688], ce sont des personnages si immatériels et si distants que c'est un adultère tout idéal. Pour voir ce qui lui manque de chair, qu'on le compare à celui de Françoise de Rimini[689]. Mais il faut bien entendre que cette décence est une convention littéraire et une pure tenture. La vie est partout la même, et l'adultère est chose trop humaine pour faire défaut à une race bien constituée. Si les nations du midi en ont fait un des grands ressorts du drame et de la poésie, c'est qu'il est, en effet, un des maîtres actes de la vie, et qu'elles ont des littératures plus sincères. Aussi, dès qu'en Angleterre on rencontre des poètes sans préoccupation morale ou théologique, cet épisode reprend la place qui lui revient dans toute représentation fidèle de la comédie humaine. Burns était trop dégagé d'entraves de ce côté, pour ne pas avoir toute sa liberté. Il reprend, dans le vieux fonds de joyeuseté populaire, cet éternel sujet, et il le traite avec le sans-gêne, la franchise, et la gaîté des vieux fabliaux gaulois.
Était-ce ma faute?—Était-ce ma faute?
Était-ce ma faute? Elle me l'a demandé;
Elle me guettait sur le bord de la grand'route,
Et elle m'a conduit par le petit sentier;
Et comme je ne voulais pas entrer,
Elle m'a appelé poltron;
Quand même l'église et l'état auraient été sur le chemin,
Je suis descendu de cheval quand elle me l'a dit.
Si adroitement, elle m'a fait entrer,
Et m'a recommandé de ne pas faire de bruit:
«Car notre vieil homme rude et dur
Est de l'autre côté de la rivière».
Celui qui dira que j'ai eu tort
Quand je l'ai embrassée et caressée,
Qu'on le plante à ma place,
Et qu'il dise ensuite si j'étais le fauteur?
Pouvais-je honnêtement, pouvais-je honnêtement,
Pouvais-je honnêtement la refuser?
J'aurais été un homme à blâmer
De la traiter sans douceur.
Il l'écorchait avec le peigne à chanvre,
Il la meurtrissait rouge et bleu.
Quand un tel mari n'était pas à la maison,
Quelle est la femme qui ne l'aurait excusée?
J'essuyai longtemps ses yeux si bleus,
Et je maudis le brutal chenapan;
Et je sais bien que sa bouche avenante
Était comme du sucre candi.
C'était vers le crépuscule, je crois,
Que je m'arrêtai le lundi.
Je ressortis dans la rosée du mardi,
Pour aller boire du cognac chez le joyeux Willie[690].
Ce ne sont là que les situations saillantes et les hauts-reliefs de la vie. Dans les intervalles, dans les situations de détail, dans les recoins de sentiment, s'intercalent des chansons qui complètent cette scène déjà si variée. Ce sont parfois de simples riens, jetés en l'air, au hasard, tels que ceux qu'on fredonne sans penser, en suivant une route. Et cependant ils contiennent leur petit grain d'observation ou de gaîté. En voici un exemple dans quelques couplets qui semblent tout blancs de farine:
Hey, le meunier poudreux,
Et son habit poudreux,
Il gagne un shelling,
Avant de dépenser un liard.
Poudreux était l'habit,
Poudreuse était la couleur,
Poudreux était le baiser
Que me donna le meunier.
Hey, le meunier poudreux,
Et son sac poudreux,
Béni soit le métier
Qui remplit la bourse poudreuse,
Amène l'argent poudreux;
Je donnerais ma robe
Pour le meunier poudreux[691].
Il y en a de ces refrains, d'éparpillés de tous côtés. C'est la jolie Peg de Ramsay: la rafale du soir est froide sur la mare, l'aurore est morose quand les arbres sont nus à Noël, les collines et les vallons sont perdus dans la neige; mais, la jolie Peg de Ramsay a toujours à moudre à son moulin[692]. C'est le joueur de cornemuse venu du Comté de Fife et qui a joué à la cousine Kate un air que personne ne lui demandait[693]. Ce sont les filles à qui on annonce qu'il vient d'arriver un bateau tout chargé de maris[694]. C'est une commère qui avoue ses fredaines.
Comment ça va-t-il, commère?
Comment allez-vous?
Une pinte du meilleur
Et deux pintes avec?
Comment ça va-t-il commère,
Et comment vont les affaires?
Combien d'enfants avez-vous?
La commère dit: «J'en ai cinq».
«Et sont-ils tous de Johnny?»
«Oh! pour ça, non, dit-elle,
Deux d'entre eux ont été faits
Quand Johnny n'était pas là.
Les chats aiment bien le lait,
Les chiens aiment le potage,
Les gars
aiment les fillettes,
Et les fillettes, les gars.
Nous étions tous endormis, endormis, endormis,
Nous étions tous endormis à la maison[695].
Parfois, ce sont de légers épisodes d'une nuance un peu différente de ceux qu'on a déjà vus et qui se groupent autour d'une même situation. Ainsi, parmi les jeunes filles qui vont trouver les commères pour consulter leur expérience, il y en a une qui désire savoir de quelle couleur sont les hommes en qui on peut avoir confiance. Ce n'est rien: quatre strophes de quatre vers. Cependant la scène y est tout entière et fort jolie. On voit arriver la fillette tout occupée, comme il sied à son âge, de cette obscure question. Comme elle ignore encore que ce problème est du domaine de la méthode expérimentale, elle fait appel à l'autorité. Elle vient timidement consulter une vieille matrone qui a fait sur ce sujet des études comparées. Dans quelle incertitude d'esprit, dans quelle confusion de couleurs, la pauvrette doit s'en aller!
«Dites-moi, dame, dites-moi, dame,
Et nulle ne peut mieux le dire,
De quelle couleur doit être l'homme,
Pour aimer vraiment une femme?»
La vieille femme s'agita en tous sens,
Se mit à rire et répondit:
«J'ai appris une chanson dans Annandale:
Pour ma lady, un homme noir;
Mais pour une fillette des champs comme toi,
Ma petite, je te le dis sincèrement,
Je me suis accommodée de cheveux blancs,
Et les bruns font fort bien l'affaire.
Il y a beaucoup d'amour dans les cheveux noir de corbeau,
Les blonds ne deviennent jamais gris,
Il y a «de l'embrasse et serre-moi» dans les bruns,
Et de vraies merveilles dans les roux[696]».
Ce n'est pas tout. Il y a, au fond des anciennes chansons écossaises, une veine de plaisanteries gaillardes et grivoises, parfois un peu grasses, mais pleines de gaîté et de bonhomie. Elles rappellent singulièrement notre gauloiserie. C'est le même rire goguenard, bon enfant et réjoui, sur les mêmes sujets qu'on devine. Ce sont de ces histoires ou ces plaisanteries salées qu'on se raconte avec un clin d'œil et un coup de coude. Elles sont plus drues et plus gaies dans les chansons écossaises que dans celles des Anglais. Peut-être un fonds de joyeuseté celtique, peut-être l'influence française, en sont-elles la cause? Même à ce filon extrême Burns a emprunté; il en rapporte des modèles de grosse drôlerie populaire. Il a repris cette note de temps plus francs et de plaisanterie plus libre, et l'a rajeunie, tout en lui conservant, avec un bonheur parfait, sa verve, sa saveur, sa naïveté, son rire sans arrière-pensée, je ne sais quelle bonne jovialité contagieuse et rabelaisienne. Les critiques anglais ne paraissent pas beaucoup priser ce coin curieux de son génie. Pourtant, il est à noter et, pour qui ne fait pas carême en littérature, il est à goûter. Quoi de plus joli et de plus gai dans ce vieux genre que l'histoire du petit tailleur?