École espagnole (230 tableaux). 255,192 fr. 50 c.
École italienne (128 tableaux). 236,006 50
Écoles flamandes (35 tableaux). 54,638 50
Marbres (50). 88,999 50
Total. 635,436 50

C'est pour réaliser un si mince produit, que s'est opérée la dispersion de ces oeuvres d'art, dont la réunion avait coûté tant de peines. Cette galerie dont M. Aguado était fier à juste titre, n'a eu qu'une existence passagère; mais elle laissera de longs souvenirs dans l'esprit des artistes, et ils nous sauront gré sans doute d'en avoir dressé l'acte de décès.


Beaux-Arts.--Salon de 1843.

(Voyez pag. 44 et 56.)

SALLE DES SCULPTURES.

Les maîtres sont absents, comme ceux de la peinture; il semble désormais qu'il soit de mauvais goût à un artiste éminent d'exposer au Louvre, et que la distinction de ses tableaux ou de ses statues doive être deux fois compromise, d'abord par les médiocrités au milieu desquelles le nouveau chef-d'oeuvre irait prendre place, puis par la vulgarité des regards bourgeois qui le viendraient niaisement contempler. On reprochait à l'un de nos grands poètes de ne plus écrire que pour un petit nombre d'élus ou d'initiés, de ne plus chanter en quelque sorte qu'à huit clos et dans le saint des saints. Nos grands artistes ont de même une pente visible à ne plus faire que de la peinture et de la sculpture intime; si parfois encore ils daignent révéler aux yeux du commun les nouveaux enfants de leur génie, il faut que le public se dérange, et se donne la peine de passer chez eux.

L'un demeure au Marais, et l'autre aux Incurables.

Où sont donc, cette année, MM. Etex et David? Pourquoi MM. Rudde, Jouffroy, Antonin Moyne et les autres n'ont-ils rien envoyé au Louvre? Ont-ils tant de commandes officielles, qu'ils n'aient pu trouver le loisir de faire pour le public la plus mince statuette! L'un, nous dit-on, couronne de lauriers un buste idéal de M. Victor Hugo, comme il ferait pour la tête de Raphaël ou de Shakspere; l'autre travaille pour le compte d'un riche bourgeois, qui veut avoir des aïeux de marbre. Par suite, la salle des sculptures offre un assez pauvre aspect; comme les portraits dans le salon carré et les deux galeries, ici les bustes abondent; les statues sont rares, les groupes encore plus; mais, en revanche, vous vous croiriez dans une école de dessin d'après la bosse, tant il y a de têtes sur les tables. Un buste devient un objet de mode; le portrait se fait bourgeois et mesquin, tout au moins l'on veut être moulé. Les artistes n'ont malheureusement pas le choix de leurs modèles. «Qui voudra te peindre, dit une ancienne épigramme, puisque personne ne peut te voir?» Mais en payant bien, aujourd'hui, quelque difforme que vous puissiez être, on se fera plaisir de vous peindre au naturel, même on vous enlaidira encore, si vous le désirez. Puis on vous enverra figurer au Salon, sur l'autorité de Boileau:

D'un pinceau délicat l'artifice agréable,

Du plus affreux objet fait un objet aimable. »

Les anciens étaient avares des portraits, dans la crainte qu'ils avaient de multiplier les ouvrages médiocres. Tout vainqueur aux jeux olympiques était honoré d'une statue; mais il fallait y avoir remporté trois couronnes, pour que cette statue fût iconique, c'est-à-dire pour qu'elle représentât l'athlète à qui on l'accordait.

La salle des sculptures offre pourtant quelques oeuvres distinguées, que nous; examinerons en détail, comme nous avons déjà fait pour les principales peintures du salon carré.

M. Simart.--La Philosophie, statue en marbre.--Nous devons d'abord remercier M. Simart de n'avoir point chargé son personnage allégorique de fastidieux attributs, et de nous avoir fait grâce, par exemple, du scalpel de l'analyse et du flambeau de la réflexion, ne craignant pas d'ailleurs que nous prissions sa Philosophie pour le Commerce ou la Navigation.

Par la simple méditation du visage, par l'inflexion pensive de la tête, par la pose expressive de la main sur la poitrine, l'artiste a su personnifier le [Grec], et donner une forme sensible à la réflexion psychologique. La pensée de M. Simart est austère; sa Philosophie n'est point la vierge mélodieuse de Sunnium, chantée par les poètes, qui font habiter volontiers la Sagesse dans la lyre; ce n'est point la muse platonicienne, douce et clémente, amie des beaux discours et des harmonieuses paroles, mais plutôt la sévère métaphysique allemande, la déesse un peu boudeuse de l'objectif et du subjectif, la Raison pure. La concentration intérieure est telle, que l'âme, tout entière au travail psychologique, semble se retirer des traits du visage et la vie s'y glacer: c'est une statue de la Réflexion plutôt que la Réflexion même. Nous exagérons à dessein notre critique pour la mieux préciser; la conception de M. Simart n'en est pas moins belle et profonde; nous reprochons seulement à l'artiste d'avoir comme attristé cette noble figure par l'exercice même de la pensée, au lieu d'avoir peint le reflet de la belle lumière intérieure qu'a célébrée Malebranche, de cette flamme divine qui ravit si puissamment les yeux de l'âme.

Peut-être devons-nous aussi trouver dans la statue de M. Simart une certaine exagération de régularité et de pureté classiques: toutes les lignes sont coupées à angles droits les traits du visage comme les draperies; il en résulte une sorte d'harmonie carrée qui nous semble dépasser l'antique proprement dit, et remonter jusqu'à l'Égypte. La statuaire grecque ne fit à son origine qu'imiter la momie égyptienne, et ses premières statues, ayant la moitié du corps enfermé dans une gaine, ressemblaient toutes aux images du Dieu Terme. On dirait de même, à voir la rigide façon dont la Philosophie est enveloppée, que l'artiste, dans son amour excessif de l'antique, a voulu faire un Hermes, une Isis voilée: la critique avait déjà reproché à son Oreste mourant une affectation de gravité et de stoïcisme; aujourd'hui, M. Simart nous semble toucher aux extrêmes limites de la simplicité, au-delà desquelles la statuaire devient de la géométrie pure.


(Salon de 1843.--Vue de la galerie de sculpture.)

La Philosophie de M. Simart, malgré toutes ces critiques, n'en est pas moins, à notre sens, une des plus remarquables oeuvres qui aient été exposées au Louvre depuis plusieurs années.

M. E.-M. Maindron.--Un jeune Berger piqué par un serpent; son chien lèche sa blessure.--Ce groupe, exposé en plâtre il y a quelques années, avait dès lors mérité d'unanimes éloges.--M. Maindron, comme chacun sait, est un sculpteur romantique. Les sculpteurs spiritualistes étaient déjà une chose assez rare, assez absurde même, au dire des amants positifs de la Vénus Callipyge; mais quel nom donner à l'audacieux qui ose introduire sous le marbre la rêverie mélancolique et le vague de la pensée? René n'est-il pas en sculpture un être impossible, une incompatibilité? Autant vaudrait essayer de rendre avec du plâtre ou du marbre la romance du Saale, les Méditations de Lamartine Nonobstant, M. Maindron semble avoir heureusement trouvé le côté vaporeux, si je puis dire, de la sculpture. Dans ses statues, tout est sacrifie à l'expression et à l'effet de la tête: l'artiste affectionne généralement les formes grêles, soit qu'il y trouve une distinction romantique, soit que cet appauvrissement de tout le corps lui paraisse devoir mieux faire ressortir la richesse de la tête; souvent même, sous cette constante préoccupation du sentiment de la figure, il néglige la correction de l'ensemble; ainsi, dans le groupe que nous examinons, la cuisse gauche du berger est projetée d'une façon malheureuse, la chute des épaules a trop de mollesse, et la nuque est étrangement aplatie; mais, en revanche, la tête de l'enfant est délicieuse: il y a dans ses paupières baissées, dans le pli de ses lèvres une douceur charmante, une tristesse gracieuse; on dirait qu'il éprouve plutôt une peine de coeur qu'une douleur physique, qu'il rêve plutôt qu'il ne souffre. La tête du chien est admirable de sentiment; elle a une expression beaucoup plus claire et plus précise que celle de son maître: il eut été difficile, en effet, de faire un chien romantique et rêveur, avant le vague à l'âme.--En somme la nouvelle composition de M. Maindron tient dignement ce que promettaient sa Velléda, son Christ, son saint Grégoire, toutes oeuvres déjà si remarquables par le goût, la science de l'ajustement, la distinction de la fantaisie, et surtout la constante vérité de l'idéalisation.

M. Protat.-Sara la baigneuse, bas-relief en plâtre.

«Elle bat d'un pied timide

L'onde humide,

Qui ride son clair tableau;

Du beau pied rougit l'albâtre;

La folâtre

Rit de la fraîcheur de l'eau.»

M. Protat nous parait avoir voulu rendre en détail les vers du poète, sans en perdre une syllabe, à peu près comme M. Niedermayer a essayé de mettre en musique certaines odes de Lamartine. Tandis que le traducteur compte ainsi les syllabes, l'idée lui échappe, et, avec toute son exactitude, il arrive enfin à un contre-sens. Par exemple, pourquoi s'appesantir sur les deux derniers vers:

«La folâtre

Rit de la fraîcheur de l'eau.»

Pourquoi changer ce rapide sourire en une gaieté prononcée, en un vif sentiment de joie? L'artiste n'a pensé qu'au rire de Sara; il a oublie la baigneuse,

«... La baigneuse blanche

Qui se penche,

Qui se penche pour se voir. »

On trouve, d'ailleurs, dans ce bas-relief, l'originalité et la fantaisie souvent un peu bizarre et chimérique des vignettes de Célestin Nanteuil; mais on y rencontre aussi les mêmes défauts, l'incorrection et la vulgarité.--Encore une critique de détail: les deux femmes qui s'en vont à gauche ont très-peu l'air de chanter leur chanson, et surtout de dire à Sara:

«Oh! La paresseuse fille,

Qui s'habille

Si tard un jour de moisson!»

M Dieudonné--Alexandre-le-grand tenant un lion, groupe en plâtre.--M. Dieudonné semble avoir adopté la fameuse maxime de Molière: «Je prends mon bien où je le trouve;» or, il le trouve partout. Ainsi, il a pris évidemment la tête du Spartacus et a combiné en un seul le deux lions de M. Barye et de Puget, empruntant la crinière de l'un et tout le reste de l'autre. Mais ce que nous reprocherons le plus amèrement à M. Dieudonné, c'est d'avoir, en l'imitant, gâté et affadi la belle tête du Spartacus.--Il y avait, dit-on, chez les Thébains une loi contre ceux qui enlaidissaient leurs originaux.

M. Dayand.--Diane chasseresse, groupe en plâtre.--Signalons encore un plagiat, car on ne saurait appeler autrement d'aussi voisines imitations. Qu'un poète s'avise d'imiter, qu'un prosateur entreprenne même de défaire à son bénéfice quatre tout petits vers:

«Oh! sur le vert platane,

Et le frais coudriers

Diane,

Et ses blancs lévriers!»

il se verra hué, moqué, sifflé, plumé d'étrange sorte; pourquoi donc un sculpteur se croirait-il davantage en droit d'emprunter à Jean Goujon la tête, la pose, l'embonpoint même de sa Diane chasseresse? la Diane des poètes aurait-elle seule le privilège d'inviolabilité? Nous ferons d'ailleurs à M. Dagand le même reproche qu'à M. Dieudonné: il s'en faut de beaucoup qu'il ait embelli son original; la tête de Diane s'est singulièrement épaissie, et, n'était son immortelle jeunesse, elle aurait bientôt un double menton.--Le cerf est bourré, le chien a l'air d'un épagneul de boudoir; est-ce là un de ces nobles lévriers que Jupiter choisit lui-même pour la soeur d'Apollon?

M. Molchneht.--La Vierge, groupe en marbre.--Copie fidèle de Murillo.--Nous croyons devoir signaler cette imitation; la statuaire choisit rarement ses modèles dans l'école espagnole.

M. Foyatier.--Sainte Cécile, statue en marbre.--L'illustre auteur du Spartacus reparaît après une longue absence; nous retrouvons dans la sainte Cécile une belle et savante exécution; les mains surtout sont ravissantes; néanmoins, pour M. Foyatier, c'est là une oeuvre de peu d'importance.

M. Debay.--Quatre figures allégoriques en plâtre, savoir: les Beaux-Arts, les Sciences, l'Industrie, le Commerce.--Les deux premières statues ont les yeux relevés à la chinoise, sans doute pour indiquer que les arts et les sciences sont venus de l'Orient? Il semble pourtant que la Chine ne méritait guère de fournir cette double personnification. Les jambes de l'Industrie sont démesurément grosses et nerveuses; aurait-on voulu signifier par la, comme autrefois l'auteur du Mercure, que l'Industrie devait avoir le jarret solide, pour courir, comme elle fait, d'un pôle à l'autre?--Ces quatre figures allégoriques ont le défaut commun de pouvoir changer de noms et d'attributs sans grande difficulté, de façon que le Commerce, troquant son caducée contre le compas, s'appellerait volontiers la Science, et réciproquement. Ce n'est pas ainsi que M. Simart a imaginé sa belle statue de la Philosophie.

(La suite à un autre numéro.)


MANUSCRITS DE NAPOLÉON.

(Suite.--Voyez p. 22 et 38.)

LETTRES SUR LA CORSE A M. L'ABBÉ RAYNAL.

SUITE DE LA LETTRE DEUXIÈME.

RAFFAELLO DA LECA (1455).--Dans cet intervalle, les patriotes ne restèrent pas oisifs, la faction aragonoise se joignit à eux, et ils coururent aux armes indignés de l'ineptie de la diète del Lago Benedetto, qui avoit cru qu'une compagnie de marchands pût être animée par d'autres mobiles que par l'amour du gain; Raffaëllo da Leca passe les monts, bat le général Batista Doria et le capitaine Francesco Fiorentino, et restreint l'Offizio aux seules villes de Bonifazio et de Calvi; mais, ayant, l'année d'après, eu le malheur de tomber dans les mains de l'Offizio, il termina par une mort ignominieuse une vie pleine de gloire. La rage inhumaine d'Antonio Calvo, alors général des troupes de l'Offizio, ne fut pas assouvie; il fit égorger sous ses yeux vingt-deux des plus zélés patriotes, avec plusieurs de leurs enfants. On craignoit les rejetons d'un sang qui avoit de tels pères à venger.

Les larmes que leur sort fit verser à la nation se changèrent bientôt en haine; toutes les factions semblèrent n'être animées que par l'indignation et le désir de la vengeance, et chacun s'empressa d'offrir son bras aux familles de Leca et Della Rocca. Dans ce pressant danger, l'Offizio expédia Antonio Spinola... Antonio Spinola, de tous les hommes, étoit le plus dissimulé: ne connoissant d'autre loi que sa politique, nourri dès son enfance d'intrigues obscures, imbu des barbares maximes seigneuriales, le coeur inaccessible à la pitié; Antonio Spinola débarqua dans l'Île à la tête d'un corps de troupes cent fois moins redoutable que son génie malfaisant. Sa profonde dissimulation en imposa au peuple, et, par des manières étudiées, il vint à bout d'effacer les impressions sinistres des derniers événements, qu'il attribua aux passions particulières des ministres... Il assura que l'Offizio vouloit vivre en bonne intelligence avec les patriotes, et, dans la nécessité de prendre des mesures pour consolider l'harmonie, il invita les chefs Niolinchi et des autres Pièves à se transporter à Vico, où il étoit. Dans cet état de choses, ils tinrent conseil. Giocante di Leca, vieillard respecté, le Nestor du bon parti, se leva pour parler en ces termes:

«Mes infirmités, depuis bien des années, ne m'ont pas permis d'assister à vos conseils, et j'ignore les maximes que vous avez adoptées pour règle de votre conduite. Vos pères en avoient une qui étoit gravée dans leurs coeurs en traits ineffaçables; la vengeance étoit, selon eux, un devoir imposé par le ciel et par la nature... Si ces fureurs sublimes règnent encore dans vos coeurs, compatriotes, courons aux armes; mais, je le vois, cette amertume étoit réservée à mes vieux ans; les méchants triompheront!.. Vous délibérez, et vous avez à venger, l'un un père, l'autre un frère; celui-ci un neveu, et tous ensemble les maux qu'a soufferts la patrie... Mais que répondrez-vous à ces martyrs de la liberté, lorsqu'ils vous diront: Tu avois des bras, de la force, de la jeunesse, tu étois libre, et tu ne m'as pas vengé!...En recevant la vie, ne devîntes-vous pas les garants de la vie de vos pères? eh bien! ils l'ont tous perdue en défendant vos foyers, vos mères, vous-mêmes; ils l'ont pour la plupart perdue dans les supplices ou par le poignard de lâches assassins, et leur mémoire resterait sans vengeance? Sinuccello della Rocca mourut dans les prisons de Gênes; Vincentello périt comme un criminel; Raffaëllo, en qui l'on voyoit revivre ce courage inflexible, cet amour patriotique qui animoient vos pères, vous savez tous comment il mourut! Oh! défenseurs de la patrie! telle fut la récompense de vos vertus; mais que votre mort eut été cruelle pour vous, si vous eussiez prévu qu'elle n'auroit point de vengeurs. Citoyens, si le tonnerre du ciel n'écrase pas le, méchant, s'il ne venge pas l'innocence, c'est que l'homme fort et juste est destiné à remplir ce noble ministère.» Malgré la véhémence de Giocante, on décida que l'on consentiroit à un accommodement, si nécessaire dans ce temps de crise, et l'on résolut, de se rendre à Vico. «Hommes sans vertu! s'écria Giocante, si l'amour de la patrie, si les devoirs sacrés de la vengeance sont étouffés dans vos coeurs énervés... au moins veillez à la conservation de vos vies, ne laissez pas tous ces peuples sans défenseurs; écoutez un instant, et je cesse de vous importuner. Seul d'entre vos pères je me suis garanti des embûches des méchants; que cette considération vous fasse réfléchir sur ce que j'ai à vous dévoiler: aveugles, vous croyez que l'Offizio demande sincèrement la paix... la paix est sur leurs lèvres, votre supplice est dans leurs coeurs. Aucun de vous ne reviendra de Vico, vous périrez par votre faute... Eh! comment pourriez-vous en douter! Ne sont-ce pas les maximes qui ont toujours fait agir les enfants de Gênes?

«Sans religion, sans vertu, sans foi, sans pitié, n'ont-ils pas tout sacrifié à leurs projets?... Tout est vain; la politique de Spinola l'emporte... Triomphe! tu tiendras bientôt dans tes filets ces hommes foibles; ton génie, encore à demi illustre, va surpasser de beaucoup ceux des Montalto (1), des Lomelline(2), des Frégoso(3), des Grimaldi(4), des Calvo, et chargé de louanges et de lauriers par tes dignes compatriotes, tu vas offrir au monde le spectacle odieux du crime heureux, Spinola, perfide Spinola! O Dieu! n'est-il aucun d'entre vous qui, transporté d'une noble fureur, aille enfoncer son stylet dans le sein de ce traître avant qu'il ait consommé son crime!... Mon fils, où es-tu? Hélas! il périt en défendant son père... Raffaëllo, mon neveu, Raffaëllo, où es-tu? O souvenir déchirant! son sang arrose encore la terre qui vous porte... O vieillesse, tu ne m'as laissé qu'une prévoyance stérile et des larmes impuissantes! Jeunes gens, voyez mes cheveux, il sont blanchi dans le malheur; le malheur m'a appris à apprécier les hommes. Ah! si les âmes de ces infortunés qui périrent par la trahison de vos ennemis pouvoient revenir du sein de l'Éternel... Dieu! si les miracles sont indignes de ta puissance, celui-ci est digne de ta bonté!»

Le spectacle touchant de cet illustre vieillard prosterné à genoux ne fut pas capable de les détourner de leur fatale résolution; que peut la sagesse humaine lorsque la destinée doit s'accomplir!... Giocante, consterné, abandonna... l'île. Ces infortunés arrivés à Vico, se laissèrent séduire par les manières de Spinola, et, invités à un grand festin, ils furent assassinés au milieu du repas. Cent vingt-sept des plus beaux villages devinrent aussitôt la proie de Spinola; les flammes les consumèrent.

Giocante et Paolo della Rocca retournèrent dans l'Île. Les peuples, indignés, coururent en foule se ranger sous leurs drapeaux. Spinola mourut alors; il mourut de rage de voir tourner si mal des affaires pour lesquelles il s'était couvert d'infamie.

TOMMASINO DI CAMPO FREGOSO (1464).--Dans leur antipathie frénétique, les peuples élevèrent Tommasino di Campo Fregoso, et, par l'exaltation de ce seigneur génois, ils humilièrent plus sensiblement l'Offizio. Ainsi, Monsieur, après onze ans, l'Offizio vit toute sa puissance échouer au moment où il croyoit avoir, par un assassinat, assuré à jamais sa domination.

Les Génois, qui depuis tant d'années avoient médité notre destruction, faillirent périr eux-mêmes; et, déchirés par les diverses factions, ils ne trouvèrent point de meilleur expédient que de se réfugier dans le sein du duc de Milan; ils pouvoient dire avec Thémistocle: Nous périssions si nous n'eussions péri.

L'Offizio céda les forteresses qu'il possédoit aux Milanais, qui firent de vains efforts pour accroître son autorité. Giocante di Leca, Paolo della Rocca, Sambucucco, Dajanda, Vinciguerra, Carlo della Rocca, Colombano, Giovan Paolo, Carlo da Casta, à différentes années et sous différents titres, furent à la tête du gouvernement; mais, après seize ans, convaincue qu'elle ne pouvoit rien gagner sur un peuple comme celui-là, la duchesse de Milan céda à Tommasino les forts qu'occupoient ses troupes. A force de patience et d'heureux succès, Tommasino parvint à supplanter tous ses rivaux. Giocante et Paolo étoient affaissés par l'âge; Carlo della Rocca et Colombano furent assassinés par ses plus intimes partisans; Carlo da Casta, battu, fut réduit au silence; il sut se faire un parent de Giovan Paolo. Tommasino, fils d'un Corse, joignoit à un grand nombre de parents, à une fortune considérable, les qualités qui captivent la multitude; mais, depuis, ayant oublié qu'il ne devoit sa fortune qu'au peuple, et voulant trancher du prince, on le chassa en criant é Genoves! Il comprit alors que ses affaires étoient désespérées; il céda à l'Offizio ses prétentions, et le recommanda à ses partisans.

(1: Christofaro da Montalto, un des ministres de la Maona, appelle en 1401 les principaux Corses à un pourparler; c'étoit un piège qu'il leur tendoit. Il en fit périr une partie, et retint les autres en otage.

(2: Andrea Lomellini, qui étoit à la tête de la compagnie de la Maona, en 1404, se montra digne de ses prédécesseurs par le barbare traitement qu'il fit éprouver à Attale.

(3: C'est, entre autres, de Galazzo di Campo Fregoso que vouloit parler Giocante: ayant appelé les caporaux pour se liguer avec eux contre les seigneurs, il les fit arrêter pour profiter de la consternation répandue parmi ceux de leur parti, et il se mit en campagne à la tête d'une armée.

(4: Bartholommeo Grimaldi, quelques années après, proposa une pareille entrevue. Un nommé Sozzarello seul fut assez dupe pour s'y rendre; il n'a plus reparu.

Gherardo, frère du seigneur de Piombino, séduisit nos insulaires par sa magnificence; mais, né dans les plaisirs. Gherardo ne put souffrir les incertitudes de la guerre, et il se retira chez son frère.

GIOVAN PAOLO (1487)--L'Offizio revint alors avec de plus fortes espérances, mais vingt ans n'avoient pas suffi pour calmer l'indignation qu'avoient inspirée ses forfaits; Giovan Paolo, mis à la tête des patriotes, courut aux armes. Giovan Paolo, enfant, avoit échappé au massacre de Vico; encore teint du sang de ses pères, il présenta pendant seize ans un front redoutable. L'Offizio consterné, réduit aux seuls ports de Calvi et de Bonifacio, fut plusieurs fois sur le point d'abandonner son entreprise; mais Giovan Paolo dut succomber lorsqu'il se trouva privé de ses principaux appuis. Son fils fut fait prisonnier en allant voir, à Vico, une femme qu'il aimoit. Rinuccio di Leca, son compagnon d'armes, avoit un fils prisonnier à Gênes; Fieschi, général des troupes de l'Offizio, passa en Corse, et proposa à Rinuccio une entrevue, afin de renouveler leur connoissance; car ils avoient été élevés ensemble à la cour de Milan. L'expérience avoit instruit Rinuccio; il refusa, craignant quelque piège. Alors Fieschi se présente seul à sa demeure et l'accable de mille marques d'une tendre amitié. «Tu t'es défié de moi, lui dit-il; les années ont effacé cette étroite liaison qui confondit nos premières affections et nos jeunes âmes; mais, dans mon âme, les impressions se conservent. Nous étions alors à l'aurore des passions; que de beaux tableaux nos jeunes imaginations nous traçoient dans l'avenir! quel plaisir pur nous goûtions! nous sentions tous les délices d'une amitié réciproque.

«--Fieschi, répondit Rinuccio, vous me rappelez des temps qui seront toujours chers à mon coeur, et qui ne s'effaceront jamais de ma mémoire; mais, devant voir en vous un ennemi qui, sans droit, ravage cette patrie infortunée, je ne voulois point y reconnoitre les traits qui, pendant dix ans, furent ceux de mon ami; votre confiance, votre âme noble est au-dessus de la mienne... Pardonnez, Fieschi, vous avez passé votre vie dans les délices de Gênes, et moi, depuis le moment où je vous quittai, je fus toujours dans les factions, dans les guerres, dans les inimitiés, qui nécessairement rendent l'homme farouche et ferment son coeur aux doux épanchements. J'ai vu le fils trahir le père; j'ai vu l'hospitalité, la sainte suspension des traités ne servir qu'a cacher les trames les plus horribles; votre nation nous en a donné tant d'exemples, que je vous fis un moment l'injustice de me souvenir moins de votre caractère que de votre patrie; mais il m'est bien doux de vous retrouver, et vous me voyez glorieux de la victoire que vous remportez sur moi. Puisque l'Offizio vous envoie commander ses armées, il a donc changé de système, il s'en trouvera mieux; les trahisons ne font qu'aigrir les âmes, et si elles préparent des triomphes, ils sont de courte durée.»

Tels étoient les discours qu'ils se tenoient; Fieschi étoit dans la fleur de l'âge, grand, beau; la sérénité, la douceur étoient peintes dans sa physionomie, et l'onction de son discours achevoit de lui captiver tous les coeurs. Il fit une douce impression sur celui de Rinuccio, qui se reprochoit de s'être laissé vaincre en générosité et d'avoir pu calomnier un vieil ami... Celui-ci attendit le moment avec impatience, il courut dans le camp de Fieschi; il y étoit attendu, les ordres étoient donnés pour le recevoir... et pour l'arrêter. Conduit dans une obscure prison, de là dans le château d'Evisa, il y passa quelques semaines, et, après que son premier mouvement dut être calmé, Fieschi se présenta à lui. «Il ne tient qu'à vous, lui dit-il, d'améliorer le sort de votre patrie et de votre famille; vous et votre fils vous vivrez dans les honneurs; vous goûterez les charmes de la paix et les avantages que doit vous procurer votre immense fortune. L'Offizio prendra pour base de son gouvernement le pacte del Lago Benedetto; devenez son appui, livrez-lui vos châteaux et faites abandonner par vos partisans l'armée de Giovan Paolo.»

Rinuccio étouffoit d'indignation, sa voix étoit éteinte; il ne répondit que par un regard terrible et un morne silence... Fieschi ne se découragea pas, il lui tint toute espèce de discours; il finit par s'attendrir; il lui dit qu'il ne faisoit dans cette affaire qu'obéir, qu'il n'étoit que l'instrument, qu'il plaignoit son malheur... «Fieschi, dit Rinuccio, je suis près de ma mort; car je comprends bien que n'ayant pu me gagner, il faudra se défaire de moi; mais souviens-toi que je porte à l'autre monde une conscience intacte; les miens pleureront et vengeront ma mémoire; les hommes de bien me citeront quelquefois; tu ne sens pas combien cette idée est consolante! Fieschi, tu vivras longtemps et heureux, ta mort sera lente; mais à ton convoi funèbre: «Joie à la société, s'écrieront les spectateurs, elle est délivrée d'un méchant homme!» Rinuccio avait pressenti juste; il ne tarda pas à mourir de faim et de misère.

Peu de temps après, Giovan Paolo dut céder à Ambrogio Négri, et sa catastrophe mérita une statue à ce vainqueur génois.

RINUCCIO DELLA ROCCA (1502).--Rinuccio della Rocca, formé à l'école de Giovan Paolo, hérita de ses projets. On voyoit revivre en lui les vertus inflexibles des anciens républicains. Il opéra six révolutions; souvent battu, jamais découragé, il sembloit avoir étouffé tous les sentiments pour les sacrifier tous à la patrie. Richesse, douceur de la vie, amour paternel, rien ne put arrêter en sa course cet indomptable ennemi de l'Offizio; le malheur qui le poursuivit dans ses vieux jours rend sa mémoire plus intéressante; vaincu, proscrit, errant sur les rochers, il fut inébranlable, et il mourut sans jamais rien faire d'indigne de lui.

OFFIZIO DE SAN-GIORGIO.--Ainsi, Monsieur, à force d'intrigues et d'assassinats, l'Offizio parvint à régner. Le sang de tant de martyrs ne servit qu'à teindre la pourpre des protecteurs de Saint-Georges. Paolo della Rocca, Giocante di Leca, Vinciguerra, Giovan Paolo, Rinuccio, ne brilloient plus à la tête de la nation: on avoit péri, on s'étoit exilé. L'Offizio, au comble de ses voeux, régna sans contradiction; une longue expérience lui avoit appris à connoître l'amour de ces peuples pour la justice et la liberté; il donna donc pour instruction à ses ministres de rendre la première avec exactitude, et leur accorda la seconde en prenant les conventions del Lago Benedetto pour pacte conventionnel de sa souveraineté, et après tant de calamités, les Corses vécurent heureux de leur tranquillité.

Ils commencèrent à perdre de vue l'idole chérie de l'indépendance, et au lieu de l'enthousiasme qui les transportoit autrefois aux noms sacrés de patrie et de liberté, des larmes seules exprimoient ce que ces noms chéris leur faisoient éprouver. La peste vint achever la dépopulation. En moins de deux ans, une grande partie de ceux qui avoient survécu à la liberté descendit dans la tombe. Dans l'état de faiblesse où l'on se trouvent, l'Offizio comprit qu'on ne pouvoit plus s'opposer à ses projets, et résolut de plier ces hommes indomptables sous le joug de la servitude; les conventions del Lago Benedetto tombèrent dans l'oubli... Ensanglantées, jonchées des cadavres de ses habitants, nos montagnes ne retentissoient alors que de gémissements. Les Corses voyoient l'esclavage s'avancer à grands pas, et dans leur grande foiblesse ils n'y trouvaient point de remède. Ainsi l'infortuné timonier prévoit le flot qui va l'engloutir, et le prévoit en vain. Le roi d'Alger, Lazzaro, Corse de nation, qui avoit conservé dans ce haut rang le même amour pour sa patrie, ne pouvant la délivrer, la vengeoit en détruisant le commerce de l'Offizio; mais rien ne pouvoit adoucir le sort des Corses. Ils vivoient sans espérance, lorsque Sampiero de Batelica, couvert de lauriers qu'il avoit conquis sous les drapeaux français, vint faire ressouvenir ses compatriotes que leurs oppresseurs étoient ces mêmes Génois qu'ils avoient tant de fois battus. Sa réputation, son éloquence, les ébranloient, et à l'arrivée de Thermes, que le roi Henri II expédia avec dix-sept compagnies de troupes pour en chasser l'Offizio, les Corses s'armèrent du poignard de la vengeance, et, réduits à la seule ville de Calvi, les protecteurs de Saint-Georges reconnurent, mais trop tard, que quelque accablés qu'ils fussent, ces intrépides insulaires pouvoient mourir, mais non vivre esclaves.

SAMPIERO DI BASTELICA.--Le sénat de Gênes, fidèle au plan qu'il s'étoit tracé, avoit sans cesse travaillé et contre l'Offizio et contre les Corses. Il voyoit avec plaisir s'entr'égorger des peuples qu'il vouloit soumettre, et s'affoiblir une compagnie qui lui donnoit ombrage; mais, dans ces circonstances, il sentit qu'il falloit la secourir puissamment, ou se résoudre à voir recueillir par les François le fruit de tant de peines et d'intrigues. Il offrit donc ses galères et ses troupes, et sollicita l'empereur Charles V, son protecteur, qui lui envoya aussitôt une armée et des vaisseaux. Vains préparatifs! Les Corses triomphèrent; le grand Andréa Doria vit périr dix mille hommes de ses troupes sous les murs de San Fiorenzo. L'immortel Sampiero battit les Génois sur les rives du Golo, à Petreta; mais s'étant brouillé avec de Thermes, le roi de France l'appela à sa cour. Dès ce moment nos affaires déclinèrent, et ne furent plus rétablies que par son retour. Après diverses vicissitudes, l'Offizio alloit être expulsé à jamais, lorsque par le traité de Cateau Cambresis, les François évacuèrent l'Île. Les Corses firent leur paix; les pactes conventionnels del Lago Benedetto furent renouvelés de part et d'autre; l'Offizio promit de gouverner conjointement avec la nation et de gouverner avec justice. Gouverner avec justice n'étoit pas ce que vouloit la politique du sénat qui, voyant les Corses sur le point de s'attacher sérieusement, d'oublier leur ressentiment et de céder à leur fatalité une portion de leur indépendance, voyoit se renverser tous ses projets. La circonstance d'ailleurs étoit favorable; il obligea les protecteurs de Saint-Georges à lui céder la possession de l'Île. Outré de ce changement qui s'étoit fait sans son consentement, le peuple soupire après l'arrivée de son libérateur Sampiero. Cet homme ardent avoit juré dans son coeur la ruine des tyrans et la délivrance de son pays. Voyant la France trahir ses promesses, il dédaigne les emplois que ses services militaires lui ont mérités, et parcourt les différents cabinets pour susciter des ennemis aux oppresseurs et des amis aux siens... Mais les rois de l'Europe ne connoissent de justice que leur intérêt, d'amis que les instruments de la politique. Il s'embarque pour l'Afrique; il est accueilli par le bey de Tunis, qui lui promit du secours; il gagne la confiance de Soliman, qui lui promet assistance. Soliman avoit l'âme noble et généreuse; il devint le protecteur de Sampiero et de ses infortunés compatriotes. Tout se dispose en leur faveur; bientôt le croissant humiliera jusque dans nos mers la croix ligurienne!--Gênes cependant suit d'un oeil inquiet les courses de son implacable ennemi, et ne pouvant l'apaiser, elle cherche à lui lier les mains par l'amour de ses enfants et par l'amour de sa femme, douces affections qui maîtrisent l'âme par le coeur, comme le sentiment par la tendresse... Sampiero aime tendrement sa femme Vannina, qu'il a laissée à Marseille avec ses enfants, ses papiers et quelques amis... C'est Vannina que les Génois entreprennent de séduire par l'espoir de lui restituer les biens immenses qu'elle a en Corse et de faire un sort si brillant à ses enfants, que son mari même s'en trouvera satisfait. Ainsi la patrie vivra tranquille sous leur gouvernement et elle vivra tranquille au milieu de ses terres, de ses parents, contente de la considération de ses enfants, et ne sera plus exposée à mener une vie errante en suivant les projets d'un époux furibond. Mais pour cela il faut aller à Gênes, donner aux Corses l'exemple de la soumission au nouveau gouvernement, et de la confiance dans le sénat. Vannina accepte: elle enlève tout, jusqu'aux papiers de son mari, et s'embarque avec ses enfants sur un navire génois. Ils étoient déjà arrivés à hauteur d'Antibes, lorsqu'ils sont atteints par un brigantin monté par les amis de Sampiero, qui s'emparent du bâtiment où est la perfide et la conduisent à Aix avec ses enfants.

La nouvelle du crime de Vannina élève dans le coeur de l'impétueux Sampiero la tempête et l'indignation; il part, comme un trait, de Constantinople; les vents secondent son impatience. Il arrive enfin en présence de sa femme. Un silence farouche résiste obstinément à ses excuses et aux caresses de ses enfants. Le sentiment aigre de l'horreur a pétrifié sans retour l'âme de Sampiero. Quatre jours se passent dans cette immobilité, à la fin desquels ils arrivent dans leur maison de Marseille. Vannina, accablée de fatigue et d'angoisse, se livre un moment au sommeil; à ses pieds sont ses enfants, vis-à-vis est son mari, cet homme que l'Europe estime, en qui sa patrie espère, et qu'elle vient de trahir... Ce tableau remue un instant Sampiero, le feu de la compassion et de la tendresse semble se ranimer en lui. Le sommeil est l'image de l'innocence! Vannina se réveille, elle croit voir de l'émotion sur la physionomie de son mari; elle se précipite à ses pieds: elle en est repoussée avec effroi.

«Madame, lui dit avec dureté Sampiero, entre le crime et l'opprobre, il n'est de milieu que lu mort.»

L'infortunée et criminelle Vannina tombe sans connoissance. Les horreurs de la mort s'emparent, à son réveil, de son imagination: elle prend ses enfants dans ses bras. «Soyez mes intercesseurs; je veux la vie pour votre bien. Je ne me suis rendue criminelle que pour l'amour de vous!»

Le jeune Alphonse va alors se jeter dans les bras de son père, le prend par la main, l'entraîne auprès de sa mère, et là, embrassant ses genoux, il les baigne de larmes, n'a que la force de lui montrer du geste Vannina, qui, tremblante, égarée, retrouve cependant sa fierté à la vue de son mari, et lui dit avec courage: «Sampiero, le jour où je m'unis à vous, vous jurâtes de protéger ma foiblesse et de guider mes jeunes années; pourriez-vous donc souffrir aujourd'hui que de vils esclaves souillassent votre épouse? Et puisqu'il ne me reste plus que la mort pour refuge contre l'opprobre, la mort ne doit pas être plus avilissante que l'opprobre même... Oui, monsieur, je meurs avec joie, vos enfants auront pour les élever l'exemple de votre vie et l'horrible catastrophe de leur mère; mais Vannina, qui ne vous fut pas toujours si odieuse, mais votre épouse mourante ne demande de vous qu'une grâce, c'est de mourir de votre main!»

La fermeté que Vannina mit dans ce discours frappa Sampiero sans aller jusqu'au coeur. La compassion et la tendresse qu'elle eut dû exciter trouva une âme fermée désormais à la vie de sentiment....... Vannina mourut.......

Elle mourut par les mains de Sampiero.

Peu de temps après ce terrible événement, Sampiero débarque au golfe de Valinco, avec vingt-cinq hommes, et trouve bientôt une armée; il bat les ennemis à Vescovato, à Rostino, où Antonio Négri périt avec deux mille des siens. Après avoir été forcé de se retirer devant l'armée de Stéphano Doria, il la détruit par l'habileté de ses manoeuvres; il bat, à Borgo, les secours que le roi d'Espagne envoyoit à la république. Enfin, sous cet intrépide général, les Corses touchoient au moment d'être libres, mais, par un lâche assassinat, Gênes se délivra de cet implacable ennemi.

Dans la tombe d'Épaminondas s'ensevelit la prospérité de Thèbes; dans celle de Sampiero s'ensevelit le patriotisme et l'espérance des Corses. Son fils Alphonse, trop jeune pour soutenir son parti avec éclat, se retira en France après deux ans de guerre. Un grand nombre d'insulaires le suivirent et abandonnèrent une patrie qui désormais ne pouvoit plus vivre libre.

Les Génois ne trouvèrent plus de contradicteurs, leur politique leur réussit dans tous ses points. La Maona, les Adorne, les Fregoso s'étoient ruinés, et les Corses, affoiblis par leurs victoires mêmes, furent obligés de se soumettre; ils perdirent pour longtemps la liberté... Les infortunés! ils reconnoissent pour maîtres les meurtriers de Sinuccello, de Vincentello, de Sampiero, ceux qui ordonnèrent les massacres à Montalto, à Calvi, à Spinola.

(La suite à un prochain numéro.)


Chronique Musicale

THÉÂTRE-ITALIEN.

Les chants ont cessé! L'artiste italien est un oiseau voyageur qui perche à Paris six mois seulement, et, sitôt qu'avril parait, et que le soleil luit, prend son vol vers l'Angleterre. Madame Persiani même a, cette année, devancé ce terme fatal: il est vrai que le soleil lui en avait donné l'exemple. Depuis trois semaines bientôt elle sème dans les champs d'Albion ces fines et brillantes perles de son gosier, précieuse semence qui, jetée sur cette terre fertile, se convertit rapidement en guinées. Madame Grisi, Mario, Lablache, vont bientôt la rejoindre et partager sa riche moisson. Madame Viardot seule ne les suivra pas: l'Allemagne, l'harmonieuse Allemagne l'attend et l'appelle, et Vienne a déjà tressé les couronnes dont elle doit saluer son apparition.

La saison qui vient de finir a été intéressante sous plus d'un rapport. Mario qui, dans l'opéra sérieux, n'avait abordé jusqu'ici que le genre larmoyant et le style peu varié des compositeurs de la moderne Italie, a fait récemment un coup de tête. Il a tenté une invasion dans l'empire rossinien, et, dès la première marche, en a attaqué une des plus fortes citadelles: le rôle terrible d'Otello. L'entreprise était hasardeuse; il y a couru quelques dangers, et peut-être reçu plus d'une blessure; mais enfin il est entré dans la place, et fera, nous n'en doutons pas, tout ce qui sera nécessaire pour se maintenir dans sa glorieuse conquête.

Madame Grisi, Tamburini, Lablache, ont soutenu vaillamment leur ancienne réputation. C'est beaucoup, assurément, et il leur serait difficile de l'accroître.

Madame Viardot, rentrée au Théâtre-Italien après une absence de deux années, y a fait admirer aux connaisseurs, dans Semiramide, dans le Cantatrici Villane, dans Tancredi, dans la Gazza ladra, sa voix énergique et brillante, son exécution originale et hardie, son style savant et varié. Nous aurons lieu bientôt de nous occuper spécialement de cette cantatrice éminente, dans un prochain article consacré aux concerts du Conservatoire. Quels qu'aient été, en effet, ses succès dramatiques, le Conservatoire n'en a pas moins été le théâtre de ses plus beaux triomphes.


                  (Madame Grisi.)


                           (Lablache.)

Nous devons signaler l'apparition de deux cantatrices: l'une,--mademoiselle Nissen,--très jeune encore, et sur l'avenir de laquelle on a le droit de fonder les plus brillantes espérances; l'autre,--madame Brambilla,--inconnue à Paris avant le mois de novembre dernier, mais dont l'Italie avait depuis longtemps apprécié le chant simple, large, habilement nuancé et profondément expressif. Madame Brambilla est élève de madame Pasta, et la rappelle souvent. Quel éloge en pourrions-nous faire qui valût celui-là!

Deux opéras nouveaux seulement, pendant les six mois qui viennent de s'écouler, ont été ajoutés au riche répertoire du Théâtre-Italien. Tous deux sont de M. Donizetti, l'universel et infatigable fournisseur de toutes les scènes italiennes de l'Europe. Linda di Chamounix ayant été presque complètement éclipsée par son frère cadet. Don Pasquale, c'est de ce nouveau venu, plus heureux et beaucoup plus brillant, que nous préférons nous occuper.

Don Pasquale a une perruque blonde, un habit marron à larges basques,--mode de 1842,--un pantalon à sous-pieds et des bottes vernies; mais, quoi qu'il fasse, et en dépit de sa moderne mascarade, ce n'est qu'un revenant qu'on a oublié d'enterrer, et qui, depuis un demi-siècle, erre comme une âme en peine sur tous les théâtres d'Italie. Il s'est longtemps appelé ser Marc Antonio, et a joui sous ce nom d'une grande célébrité. Faut-il vous raconter sa très lamentable histoire? Il est riche, mais il a trois ennemis formidables et impitoyables: la goutte, un neveu et un médecin. Son médecin se moque de lui, cela est de règle. Son neveu est amoureux, cela est de règle encore. Pourquoi est-on neveu, si ce n'est pour être amoureux d'une femme jolie et pauvre, et faire enrager son oncle, qui veut une nièce riche et laide? Don Pasquale est comme tous les oncles, et, telle est sa colère quand son neveu lui a déclaré formellement sa résolution, qu'il imagine, pour punir ce neveu rebelle et impertinent, de se marier, lui, don Pasquale, avec sa goutte, sa perruque et ses soixante-dix ans.. Mais c'est alors qu'il tombe de Carybde en Scylla, c'est-à-dire de neveu en médecin.

«Trouvez-moi une femme tout de suite, dit-il au docteur.

--Volontiers, dit le docteur.»

Et il lui amène une femme en effet, une femme affublée d'un voile noir et d'une robe de pensionnaire, et abondamment pourvue de tous les ridicules qui accompagnent ordinairement cette robe-là. Son oeil est baissé, sa démarche guindée, ses propos d'une ineffable niaiserie. Elle a horreur du bal, du spectacle, et surtout du sexe masculin. Quel goutteux de soixante-dix ans résisterait à une amorce si habilement préparée?

«Voilà bien à point mon affaire!» s'écrie-t-il avec enthousiasme.»

Et il l'épouse. Mais, l'acte signé, Norina change aussitôt de manières et de ton et de langage. Sa taille se déploie, sa tête se redresse, son oeil lance des éclairs, sa parole devient brève et impérieuse; elle dit: Je veux! et ce qu'elle veut, c'est toujours et partout le contraire de ce que veut son mari.

Elle change l'ameublement, elle prend des valets, des laquais, des servantes. On vous a dit que don Pasquale était riche, d'où vous devez conclure qu'il est avare.--Elle s'entoure de marchandes de modes et de couturières; elle achète une voiture et des chevaux... Hélas! qu'est-ce que tout cela au prix de ce qu'il me reste à dire? Dès qu'une femme a pris son mari pour victime et qu'elle est une fois en train, ne savez-vous pas jusqu'où elle peut aller? Bref, le bonhomme est trop heureux quand on veut bien lui apprendre, au troisième acte, que son mariage n'était qu'un mariage pour rire, une simple apparence de mariage, et qu'il peut se débarrasser immédiatement de son épousée du matin en la cédant à son neveu. Tout finit à la satisfaction générale, et Norina, au moment où le rideau va tomber, s'avance sur la pointe du pied, et dit au public d'un air malin et d'un ton narquois:

La morale est qu'il ne faut pas se marier quand on est vieux.

Belle découverte, et à laquelle on était bien loin de s'attendre!


(Théâtre-Italien.--Une scène de Don Pasquale, deuxième acte.)

La musique de M. Donizetti... Mais à quoi bon cette critique rétrospective de chants qu'on ne peut plus entendre et d'accords qui ont cessé de résonner? Qui quitte sa place la perd. Laissons donc de côté pour six mois, s'il vous plaît, la musique italienne. Voici venir M. Balle et la musique anglaise. Déjà la partition est sur le pupitre, et M. Girard met de la colophane à son archet. Écoutons... Quoi! rien encore? Eh bien! ce sera pour la semaine prochaine ou pour quelque autre. Et, en attendant, daignez permettre, ô lecteur, que nous vous invitions à un petit voyage impromptu. Il s'agit de passer la Seine, d'escalader le pays latin, et de quitter un moment le théâtre pour la Sorbonne. Le spectacle y sera moins brillant peut-être, mais vous n'y prendrez pas pour cela moins d'intérêt.


L'ORPHÉON.

C'est le nom qu'a donné Wilhem aux réunions générales des élèves des écoles de chant fondées et entretenues par la ville de Paris, dont il a organisé l'enseignement, et qu'il a dirigées jusqu'à sa mort.

L'institution des classes gratuites de chant élémentaire remonte à l'année 1819. Ce fut M. le baron de Gérando qui, le premier, en eut l'idée. Il appartenait à cette association de citoyens éclairés, qui, sous la Restauration, s'étaient imposé la noble tâche de répandre les bienfaits de l'instruction dans les classes ouvrières, de donner gratuitement la science aux hommes de bonne volonté qui en sentaient le besoin, mais qui n'avaient pas le moyen le la paver. Leur but était surtout de moraliser le peuple en l'instruisant, et la musique parut à M. de Gérando l'une des voies les plus directe; et les plus sûres pour y atteindre.

«Dans les champs, disait-il en soumettant sa proposition à ses collègues, dans les ateliers de nos villes, ne rencontrons-nous pas chaque jour des ouvriers, des laboureurs qui, au milieu de leurs pénibles et monotones travaux, chantent aussi, et qui, loin de négliger leur ouvrage, le font, en chantant, avec plus d'ardeur et de gaieté? Ils ne rêvent, pour cela, ni aux concerts, ni à l'Opéra; mais, au lieu de retours sombres et amers, peut-être, sur la dureté de leur condition, ils sentent soulager le poids de leurs fat igues. Ces simples accords sont comme une lueur jetée dans les sillons de la vie humaine. Ceux d'entre nous qui ont visité l'Allemagne, ont été surpris de voir toute la part qu'a une musique simple aux divertissements populaires et aux plaisirs de famille, dans les conditions les plus pauvres, et ont observé combien son influence est salutaire sur les moeurs... La musique, qui, aux yeux de quelques-uns, n'est que le délassement du riche, est un utile auxiliaire pour les efforts d'une vie laborieuse. Non-seulement elle soutient et délasse, mais elle règle les mouvements; en les rendant plus harmonieux, elle les rend plus faciles. Il est un grand nombre d'arts dans lesquels les mouvements de l'ouvrier ont besoin d'une grande régularité; dans tous les arts ils sont d'autant moins fatigants qu'ils sont mieux cadencés... «L'harmonie est une sorte de lien entre l'ordre moral et la vie animale; elle est un langage qui enseigne les sentiments doux et bienveillants; elle porte la sérénité dans l'esprit, elle accoutume à goûter tout ce qui est ordonné: l'arrangement, la propreté, l'économie semblent, en quelque sorte, marcher à sa suite.

«Je ne dirai point l'avantage qu'on en pourrait tirer (des exercices de chant proposés) dans les cérémonies religieuses: je ne ferai point sentir avec quelle utilité ils pourraient, dans les heures de repos, remplacer des plaisirs souvent funestes à la santé et aux bonnes moeurs. Qui ne les préférerait aux jeux de hasard, aux cris du cabaret? Du moins ils ne ruineraient aucune bourse et n'exciteraient aucune rixe; et si, en même temps qu'on s'occupe de rédiger des livres populaires, des hommes de bien et des gens d'esprit s'occupaient aussi de composer des chants populaires, combien de sentiments utiles ne pourrait-on pas propager ainsi, ou entretenir d'une manière insensible?»

La proposition de M. le baron de Gérando fut adoptée par la Société pour l'instruction élémentaire, et la musique devint l'une des branches de l'enseignement gratuit qu'on organisait.

Appliquer les procédés de l'enseignement mutuel à la musique vocale, n'était pas un problème facile à résoudre. Comment donner à deux cents élevés une leçon simultanée?--En leur faisant travailler le même exercice--Cela irait tout seul, et serait parfait, si tous avaient commencé en même temps et se trouvaient de la même force; mais il n'en est rien. Dans ces écoles, où l'on appelle tout le monde, chaque jour amène un nouveau venu. Ailleurs, à mesure qu'une classe nouvelle se forme, on lui assigne un local spécial et une heure particulière. Mais, dans les écoles gratuites, on ne pouvait disposer que d'une heure et d'une salle pour toutes les classes à la fois. D'ailleurs l'enseignement mutuel ne procède point par masses, mais par groupes échelonnés, selon le degré d'instruction de chaque élève. Ce n'était donc pas une seule leçon qu'il fallait donner, mais vingt leçons, si la classe était divisée en vingt groupes, vingt leçons dans le même moment et dans le même lieu, sans que l'une fit tort à l'autre.

La difficulté, comme on voit, était grande, et pour la vaincre, il fallait mieux qu'un homme ordinaire. On cherchait cet homme, lorsqu'un jour M. de Gérando rencontra Béranger. Il lui exposa l'intention de la Société, son plan et l'obstacle qui l'arrêtait tout court. «J'ai votre affaire.» dit le chansonnier.


(Grande Salle de la Sorbonne--Séance générale de l'Orphéon)

Dès cette époque, en effet, Wilhem et Béranger étaient de vieux amis, et l'expérience a fait voir depuis combien Wilhem était propre aux fonctions qu'on allait lui déférer.

Wilhem comprit tout d'abord l'importance de la noble mission qu'on lui offrait: il l'accepta sans hésitation; il s'y livra tout entier, et ses efforts ne tardèrent pas à produire les plus heureux résultats. Il serait trop long sans doute d'entrer ici dans le détail de ses procédés analytiques, de décrire toutes ses inventions ingénieuses, d'expliquer tous les moyens qu'il emploie pour simplifier le travail de l'élève, pour lui aplanir les premières difficultés, pour parler à ses yeux et à son imagination avant de parler à ses oreilles, pour lui rendre en quelque sorte les sons palpables et visibles, et faire du tact et de la vue deux auxiliaires du sens auditif. On peut trouver tout cela dans le Manuel musical qu'il a publié, et qu'aucun musicien, amateur ou artiste, ne lira sans intérêt, sans plaisir et sans fruit. Qu'il nous suffise de dire que le but a été atteint, que le succès a dépassé toutes les espérances. Entrez 'aujourd'hui dans une des écoles primaires organisées par l'administration municipale de la ville de Paris, vous y verrez deux cents enfants,--enfants du peuple, et c'est ce qui double le charme de ce spectacle,--distribués par groupes progressifs, chacun desquels se livre, sous la direction de son moniteur, à des exercices musicaux différents, et si bien combinés, que pas un ne gêne les autres, que tout marche à la fois sans confusion et sans encombre. Puis, quand vous arriverez aux groupes les plus avancés, vous y trouverez avec surprise des exécutants de trois pieds de haut qui parcourront sans hésiter tous les intervalles, qui liront indifféremment sur toutes les clefs, qui écriront un chant sous votre dictée, ou qui en improviseront un eux-mêmes, en nommant à mesure toutes les notes qui en devront représenter les intonations; pour qui, en un mot, l'écriture des sons appréciables n'aura pas plus de mystères que celle des sons articulés.

Il y a maintenant dans Paris près de cent écoles où la méthode de Wilhem est en vigueur, et ce n'est pas exagérer peut-être que de porter à dix mille le nombre des élèves.

De temps en temps, les moniteurs de ces écoles se réunissent pour exécuter par grandes masses des morceaux d'ensemble choisis ou composés expressément dans ce but. Ce sont, comme nous l'avons dit en commençant, ces réunions, partielles ou générales, qu'on nomme orphéon dans le langage universitaire.

Il y a eu dimanche dernier, dans la salle de la Sorbonne et sous la direction de M. Hubert, le digne successeur de Wilhem, une séance solennelle de l'Orphéon. Il y avait la six cents, sept cents exécutants peut-être, inspirés par le même souffle et animés du même esprit. Un choeur de Berton, un hymnode Gossec, deux marches instrumentales de Mozart et de Chérubini, disposées en vocalise, et plusieurs morceaux écrits par Wilhem, y ont été exécutés avec une exactitude, une précision, et surtout une délicatesse de nuances qu'on chercherait en vain dans nos établissements musicaux les plus richement dotés par le gouvernement ou par le public, au Théâtre-Italien, par exemple, ou à l'Académie Royale de Musique. Là, cependant, il n'y a pas d'orchestre qui guide les chanteurs et soutienne leurs intonations;. On n'y emploie aucun autre aide instrumental que le diapason, qui détermine le point de départ. Mais combien la voix humaine toute seule, avec les effets qui lui sont propres, avec ses vibrations pleines et douces, avec son harmonie calme et solennelle, est plus puissante que tout cet attirail instrumental qui encombre nos théâtres! Comme elle pénètre! comme elle remue! De quel repos délicieux elle fait jouir les oreilles, et quel bien elle fait à l'âme!

Une seconde séance aura lieu demain, 2 avril, et le meilleur conseil que nous puissions donner à nos lecteurs, c'est de ne rien négliger pour y être admis.


La Vengeance des Trépassés

NOUVELLE

§ Ier.--Le Couvent.

«Tranquillisez-vous, madame, dit le docteur à l'abbesse: cette chère enfant est en pleine convalescence; demain ou après elle pourra aller et venir comme à l'ordinaire et reprendre la suite de ses pieux exercices.--Vous croyez, docteur?--J'en suis sûr, madame: la fièvre a disparu; il ne reste qu'un peu d'irritation nerveuse et la faiblesse naturelle après huit jours de diète.--Allons, je m'en vais transmettre sur-le-champ cette bonne nouvelle à son oncle l'archevêque. Son Éminence sera ravie, car ce vertueux prélat vous chérit comme si vous étiez sa fille; n'est-ce pas, Léonor? --Il est vrai, madame.»

Ce dialogue avait lieu le soir, dans la cellule et au pied du lit de la novice. Tout à coup une voix jeune et sonore, une voix d'homme, chanta sous la fenêtre: