La Noël de Paul
« No man ever lived a right life who had not been chastened by a woman’s love, strenghtened by her courage and guided by her direction. »
Il était beau, elle était belle ; et si Paul faisait admirer une tête brune, intelligente et expressive, Marguerite, avec une taille de nymphe, captivait de son œil gris affectueusement doux sous de longs cils frémissants.
Que de jaloux ne faisaient-ils pas sur leur passage !
Deux êtres qui s’en vont se souriant avec amour, parlant ce langage des âmes qu’on devine plutôt qu’on ne l’entend, brodant le rêve des rêves, à cet âge de la vie où n’apparaissent qu’horizons roses sous des promesses éternelles, – deux êtres marchant ainsi, unis dans une seule pensée qui les confond « ne sont-ils pas des parias ? – mais des parias qu’on envie ! »
Car instinctivement, sans se l’expliquer même, celui-là, qui traverse seul l’existence, entend alors pleurer au fond de son être, la voix si pénétrante du poète inconnu :
Jamais, ô Dieu ! jamais n’avoir connu l’ivresse
D’un mot redit tout bas avec plus de tendresse,
D’un œil furtif vers vous se tournant à moitié,
D’un bouquet à dessein près de vous oublié !
Quand votre front souffrant sur votre bras se penche,
N’avoir jamais senti une main fraîche et blanche
Passer dans vos cheveux, et tout bas, et bien doux,
Un accent attendri vous dire : « Qu’avez-vous ? »
* * *
Marguerite aimait-elle vraiment Paul ?...
Paul aimait-il vraiment Marguerite ?...
Rarement une femme ne se donne qu’à demi. Quand son intelligence et son cœur se sont ouverts à un sentiment qu’elle croit partagé, elle est tout entière à l’âme de son choix, – et c’est là, très souvent, le mot de ces larmes discrètes versées dans le silence des nuits, – de ces larmes qui mettent du feu au bord des paupières !
Marguerite aimait Paul.
Paul, lui... qui pouvait dire ?... car l’homme, généralement, n’aime guère plus d’une saison. Il va, il vient ; il se donne, il se reprend, selon son peu de discernement – en une si noble cause. La fortune ou la beauté sont les bases mobiles sur lesquelles s’appuient l’intensité ou la variabilité de ses sentiments.
Toutefois, sous le ciel gris de l’automne, quand la feuille détachée tournait sa danse folle sous votre regard, quand les arbres secouaient leurs rameaux défeuillés sur vos têtes, quand le vent, dans la ramure, faisait entendre sa note plaintive, ils allaient, lui la jeunesse, elle la bonté, ils allaient ! redisant l’hymne à nul autre pareil, quand on a vingt ans et qu’on croit les avoir toujours !
Sous le ciel épais de l’hiver, sous les rares rayons de soleil perçant la brume fréquente, sous la neige fouettant le visage, ils passaient, eux, les enviés, les enviables ! faisant gémir le sol durci de neige sous leurs pas d’amoureux inconscients ; – ou, enveloppés de chaudes fourrures, traînés par une paire de coursiers superbes, ils traversaient, rapides, les foules ! – semblant ignorer que le bonheur est fragile, qu’il tient au cœur comme tient le nid désert à la branche qui s’est desséchée ; – et qu’il dure ce que durent les frimas tardifs sous les premières caresses du printemps...
Oh ! qu’elle était heureuse, Marguerite, confiante en l’amour de Paul ! Comme tout lui semblait grand, beau, merveilleux ! Comme son compagnon lui-même grandissait chaque jour dans son admiration ! – et comme l’avenir lui promettait, à travers ses gazes de mystères toutes pleines des choses ineffables !
Pourtant un soir, un soir de bal, Marguerite laissa un affreux soupçon entrer dans son cœur.
Paul ne l’avait-il pas oubliée en un long tête à tête avec Stella, – Stella la blonde au front si pur, à la voix si charmeresse...
Et Stella, n’avait-elle pas été la belle de C... à la dernière saison des eaux... Paul ne l’avait-il pas un peu trop admirée alors, tandis qu’elle, Marguerite, dans un coin de verdure plus calme, loin du monde brillant et bruyant, elle ensoleillait de ses attentions dévouées, de sa sollicitude d’ange, les derniers jours d’une amie mourante !
Stella, là ! et si joyeuse peut-être de se revoir au bras de Paul...
Mais celui-ci l’avait dit à Marguerite, en la retrouvant un peu abattue :
– Stella est pour moi une bonne amie ; si je n’allais plus la revoir, j’en éprouverais quelques heures d’ennui, et voilà tout... Vous perdre, vous, Marguerite, j’en mourrais !...
Et c’était ce même soir que sous le coup d’émotions trop fortes, remuée à la fois par la crainte, l’espérance et l’amour, Marguerite s’était sentie prise d’un malaise physique subit étrange. Elle n’avait pas répondu un mot à Paul, son regard seul avait été d’une éloquence inexprimable ; car sa voix se serrait dans sa gorge, ses dents s’entre-choquaient : tous ses membres étaient glacés, un frisson violent la secouait sous sa pelisse si gracieuse pourtant !
Mais qu’importait ! Ce n’était rien ! – et dans huit jours on serait à la Noël !
Les invitations étaient lancées : la Noël était la date résolue pour les fiançailles.
* * *
Entendez-vous les joyeux tintements de la cloche à l’heure mystérieuse de la nuit !
Voyez-vous l’imposante cathédrale déployer ses riches banderolles, l’humble église du village allumer ses cierges jaunis autour d’un berceau !
Réjouissez-vous, petits et grands de la terre ; c’est le moment de la liberté, de la joie, du bonheur !
Noël ! ô mot que chacun a balbutié avec tant de grâce naïve aux premiers jours de sa vie !
Noël ! ô mot ancien et si suave toujours !
Noël ! ô mot si plein d’amour et de bonté ! qui fait ouvrir au riche son foyer et son cœur, – qui met un sourire sur la lèvre du pauvre, une espérance de consolation au fond de son âme !
Ô Noël ! qui unis dans une pensée de générosité commune tous les êtres de la terre ! Car tous voient se lever à ton aurore un monde de visions : – visions du passé pour les uns ; visions de l’avenir pour les autres ; mais à cette heure, pour tous, visions douces, pures comme l’aile des séraphins.
Ô Noël ! oui, tu es la fête de l’enfant ! tu es la fête de l’adolescent ! tu es la fête de l’homme mûr !
Réjouissez-vous, petits et grands de la terre : c’est le moment de la liberté, de la joie du bonheur !
....................
Dans une résidence somptueuse, au milieu d’une pièce immense, à demi-éclairée par la flamme vacillante de quelques bougies, sur un lit de fleurs, repose, cette nuit même et comme endormie, une femme ; – une femme grande et belle : – une jeune fille...
Son front est pâle ; sa lèvre blanche ; sa joue froide...
Agenouillé à ses côtés, écrasé, abîmé dans une douleur immense, un jeune homme trempe de ses larmes les cheveux flottants de la morte bien-aimée.
Il couvre de baisers ses mains où brillera à jamais dans la tombe l’anneau passé au doigt de la fiancée expirante...
Et elle n’est plus, Marguerite...
Pauvre Paul !... Il l’aimait !