
TREIZE
Les hautes maisons rynnites, la Nouvelle Rynn
— Il doit y avoir une erreur, s’écria le Baron Etrando. Probablement un problème technique d’auspex. La loi martiale ? C’est… du jamais vu. Ridicule !
Maia pouvait à peine l’entendre au milieu du vacarme que faisait le reste des membres des hautes maisons. L’orateur avait demandé à plusieurs reprises d’avoir le calme, mais l’endroit était livré au chaos. Il y avait cent dix-huit nobles appartenant aux hautes maisons. Vingt-six d’entre eux faisaient partie de son cabinet et chacun semblait vouloir faire partager son sentiment d’horreur et de déni au même moment.
Jidan Etrando n’était qu’à trois sièges de Maia. Un peu plus, et ses paroles auraient été noyées dans la mer de vociférations.
— Il n’y a pas d’erreur, répliqua-t-elle. Les stations lunaires de détection sur Dantienne et Syphos l’ont confirmé avant qu’on perde le contact avec elles. L’ensemble du maillage orbital est prêt à l’affrontement. Ils viennent, cela ne fait aucun doute.
— Pourquoi ici ? demanda un jeune ministre assis dans une rangée derrière elle.
Maia se tourna à moitié et vit qu’il s’agissait de Bulo Dacera, sous-secrétaire attaché à l’extraction et l’exploitation minière.
— Ce sont des xenos, Bulo. Nous ne sommes pas censés les comprendre. La flotte va les arrêter avant qu’ils puissent débarquer.
Ceux qui étaient assez proches pour entendre se calmèrent et le silence s’installa jusqu’à ce que le bruit dans la confortable pièce s’éteigne pour n’être qu’un murmure.
L’orateur, dont le vieux corps tenait plus de la machine que de l’homme, et qui était connecté en continu sur les systèmes de données qui servaient aux hautes maisons rynnites, put enfin être entendu correctement.
— Au nom de l’Empereur, fulmina-t-il. Contrôlez-vous. Tous les sujets, même celui-là, doivent être traités en suivant l’étiquette que nous impose ce noble établissement.
Il tourna sa tête piquée de prothèses sensorielles.
— Si le gouverneur
désire prendre la parole,
ajouta-t-il, elle avancera jusqu’au pupitre de l’Aquila.
— Je vais prendre la parole, répondit formellement Maia.
Elle quitta son banc. Ses pas étaient mesurés, laissant paraître une confiance qu’en réalité elle n’avait pas. Les nouvelles concernant la Waaagh! l’avaient remuée. Du temps de sa mère, aucun conflit plus important qu’une révolte dans une prison n’était arrivé. La femme politique à la langue aiguisée et au cœur de glace qui avait enfanté Maia lui avait appris de nombreuses choses, la plupart du temps à la dure. Mais elle ne l’avait pas préparée pour qu’elle endosse la responsabilité d’une invasion xenos menaçant les vies de tous les hommes, femmes et enfants de la planète.
Maia s’accrochait
désespérément à sa foi. Mais une voix au fond de son cerveau lui
demandait sans
interruption comment l’Empereur pouvait laisser arriver cela à un
peuple qui l’aimait et qui l’honorait tant.
Elle s’arrêta derrière le pupitre et s’éclaircit la voix. Elle observa ensuite les nobles qui la regardaient, attendant avec impatience sur les bancs de part et d’autre de la salle.
Ils sont aussi terrifiés que moi, pensa-t-elle. Peut-être plus. Je me demande combien d’entre eux considèrent les événements comme une punition pour leurs péchés.
Il y avait déjà eu un incident avec les forces de l’ordre locales. Dix-huit ministres avaient tenté de partir illégalement à l’aide d’un vaisseau rapide. Si le capitaine Alvez n’avait pas imposé que toutes les navettes non militaires restent au sol, Maia soupçonnait qu’elle s’adresserait à présent à une pièce vide.
Elle se dit qu’elle n’aurait pas fui. Des situations comme celle-là représentaient exactement ce pour quoi les Crimson Fists étaient entraînés et ce à quoi ils excellaient. Repousser l’ennemi de l’humanité : telle était la raison même de leur existence. Pedro Kantor ne la laisserait pas tomber.
Un court moment, elle leva les yeux au ciel, observant au-delà du magnifique dôme de cristal. À travers ces panneaux, il était d’un bleu profond. Les soleils jumeaux étaient déjà à mi-chemin de l’horizon occidental, là où les eaux de l’océan médéen allaient les avaler pour la nuit.
Peinte sur la surface intérieure du plus grand et du plus central des panneaux, se trouvait une image de l’Empereur. Il observait l’assemblée avec un visage qu’elle avait toujours considéré comme sérieux, mais aimant, des cheveux noirs entourant sa peau dorée.
Donnez-moi la force, supplia-t-elle silencieusement.
— Chers membres des maisons, commença-t-elle, la voix amplifiée par le micro dissimulé dans la tête d’aigle qui décorait le pupitre. Nous faisons actuellement face à quelque chose que nous n’avons jamais connu autrement que par la lecture des archives. Personne ne pensait les peaux-vertes assez fous pour revenir ici. Mais c’est le cas. Et je comprends vos peurs. Mais je ne les partage pas, mentit-elle effrontément. Nous sommes les dirigeants, continua-t-elle, et nous devons agir en tant que tel. C’est nous que l’homme du commun va prendre comme exemple. Les Crimson Fists sont ici en force. Il n’y a probablement rien de plus rassurant.
Sur un banc, à sa gauche, Edouardo Corda semblait désapprouver la dernière déclaration. Ses cheveux étaient encore un peu mouillés.
Les autres faces tournées vers elle étaient pâles et humides de sueur froide. Malgré ses paroles, toutes reflétaient leur terreur. Seul le vicomte Isopho semblait garder une certaine contenance. Cela ne la surprenait pas. Jeune homme, il avait rejeté la tradition familiale pour rester dans la Garde rynnite deux fois plus longtemps qu’il le devait, pour finalement être obligé de la quitter à la mort de son père. Selon les dires, il avait été un bon officier et la Garde conservait un certain respect pour lui, ce qui n’était pas le cas pour les autres nobles.
Je devrais garder Nilo à portée, pensa Maia. Son point de vue pourrait être utile si…
— La Garde rynnite aussi, continua-t-elle, m’a assurée qu’elle nous protégerait. Des forces supplémentaires partent en ce moment même de Plaines de Targis. Une fois qu’elles seront arrivées, elles aideront à la protection de la ville. Les gens des faubourgs sont déplacés pour être mis à l’abri derrière les murs extérieurs alors même que nous discutons. Nous ne nous attendons pas à un long siège, si les orks arrivent à passer malgré tout. Néanmoins, des réserves d’urgence sont envoyées par la mer et la route et tous les biens destinés à l’exportation ont été ramenés du port spatial.
Ces faits mis en avant, les ministres semblèrent se calmer un peu, leurs esprits se focalisant sur les détails plutôt que sur la vision de l’immonde horde de xenos venant piller tout ce qui leur était si précieux. Une femme, la comtesse Maragretto, gémit depuis l’un des derniers rangs sur la droite à la mention d’un siège, mais elle réussit à se reprendre.
— Ayez confiance en nos protecteurs, leur dit Maia. Ils ont fait le vœu de défendre cette planète et ils le feront. Ayez aussi confiance dans les représentants de la Civitas, et, par extension, dans l’Adeptus Arbites qui les supervise. Eux aussi l’ont juré solennellement devant l’Empereur : ils ne permettront pas que notre société sombre dans la panique et l’autodestruction. Et faites confiance aux fabuleux Space Marines des Crimson Fists par-dessus tout, à l’exception de l’Empereur Lui-même. Là se trouve notre meilleur espoir. Ils mettront un terme à ce cauchemar. Ils sont déjà en train de le faire et ma foi en eux est absolue. Que votre foi soit comme la mienne et nous serons récompensés.
Elle fixa ses interlocuteurs, cherchant d’autres mots qui pourraient les préparer au combat, mais il n’y avait pas grand-chose à dire de plus pour le moment. Ils n’auraient qu’à observer et attendre alors que d’autres allaient combattre pour eux l’ennemi.
— Je cède à présent la parole à quiconque voudrait ajouter quelque chose.
Elle se recula du pupitre et, avec la même grâce mesurée, retourna à son banc.
Lorsqu’elle fut assise, l’orateur déclara d’une voix rauque.
— Levez la main, vous qui voulez vous adresser à cette noble assemblée.
Immédiatement, une centaine de bras se levèrent dans les airs et la salle explosa à nouveau d’un vacarme de hurlements lancés dans une abjecte panique.