- Salut, Ruy Blas ! réponds-je. - ,

Le Gros se gratouille l'entre-jambe.

- Il fait un vent à décorner un gendarme, observe-t-il.

- Dites-donc, proteste Morbleut, je n'apprécie pas beaucoup ce genre de plaisanterie!

-Mande pardon, s'excuse le Gros, effaré, je causais pour dire. Y avait aucune alluvion àvous!

- Je l'espère, mon ami, je l'espère. Mme Morbleut a toujours eu une vie privée irréprochable.

La rouquine se pointe.

- Monsieur le commissaire; hèle-t-elle. C'est pour vous le téléphone. Mais qu'est-ce qu'on entend mal alors! oh là là, ce qu'on entend mal!

- Avec un siphon pareil, ça n'a rien d'étonnant, explique le Mastar. Les nanas qui vont mettre des jupes gonflantes aujourd'hui, elles feront de la recette, je vous le dis !

Je vais cueillir lècombiné qui pendouille ~_-,au bout de son fil dans la cabine vitrée.

-Allo !

Une voix en pointillé me demande si je suis le commissaire San-Antonio. On pêche une syllabe sur deux avec cette tempête.

- Oui, oui, oui, oui! réponds-je, en espérant que mon interlocùteur parviendra à s'en farcir un.

- ...faut ...niez... suite!

- Il faut que je vienne de suite ?

- ...veau... ame.:. s'est pro...

- Je dois amener de l'Aspro ?

- Non! nouveau... s'est produit!

Je glapis.

- Un fait nouveau ? Vous dites qu'un fait -nouveau s'est produit ?

- Oui...

- Mais parlez, sapristi!

Le gars parle. En vain. Maintenant, notre conversation c'est de la purée de voyelles.- Je raccroche.

28 · votez BÈrurier.txt · 2011-07-24 17:38 · Bruno MOUILLOUD

- Allez, Gros, mugis-je, en route! Paraîtrait qu'il y a du nouveau.

- Quel nouveau ?

- Pas pu saisir ce que me racontait le gars. `Je fonce, tu me rejoindras avec ton D.C.4.

Et surtout, n'oublie pas de mettre la ceinture de sécurité. Avec ce vent, c'est plus prudent!

CHAPITRE X

Au commissariat, il y a la foule de l'avant-veille. On se bouscule au portillon. Mon arrivée fait taire tout le monde. Des journalistes me matent à la dérobée en riant sous Rolleiflex. Je file dans le bureau du commissaire local. Il n'a pas pris le temps de se raser, lui. Il ressemble à une poire moisie.

- C'est terrible, balbutie-t-il, terrible

- Que se passe-t-il, mon cher confrère ?

- Le candidat indépendant... Il est mort cette nuit!

Je trépigne.

- Comment ? Vous dites ? C'est une blague!

- Hélas, hélas, hélas ! .

- Qu'est-ce qui est arrivé ?

Il secoue sa pauvre tronche accablée.

-Attendez, l'un- des inspecteurs chargés de sa surveillance va vous le dire.. Il appelle:

- Martinet !

L'incriminé arrive d'un trait comme une hirondelle. Mais une hirondelle qui ne ferait pas le printemps, ça se lit sur sa bouteille catastrophée.

- Alors, vous vous êtes laissé pigeonner! clamé-je.

Il bredouille

- C'est-à-dire, monsieur le commissaire !

- C'est-à-dire quoi ? Racontez-moi un peu les faits!

- Eh bien, voilà... Après sa conférence, M. Lendoffé est allé prendre un verre à l'hôtel du Commerce et de la Hausse des Prix en compagnie d'un groupe d'amis. Ils ont sablé le champagne.,.

- Vous étiez dans la salle ?

- Oui, moi et Miradort. Toux s'est bien passé. Après, M. Lendoffé est rentré à son domicile. Il nous a ouvert la porte de la maison pour nous faire rentrer dans l'hall où moi et Miradort on dort !

- Pourquoi dites-vous qu'il vous a fait rentrer ?

- Il nous a ouvert la porte. Lui il rentrait sa bagnole dans son garage situé sous la maison et il remontait directement à sa chambre par un escalier de service.

Je bondis.

- Et vous ne l'avez pas escorté jusqu'au garage ?

- Mais si! se rebiffe Martinet. C'est moi qui lui ai ouvert la porte du garage et qui ai donné la lumière. Puis, je suis allé vérifier si la porte du fond était bien fermée; elle l'était. M. Lendoffé est entré avec la voiture, j'ai refermé la porte derrière lui et je suis retourné dans l'hall après avoir contourné la maison.. Moi et Miradort on a dormi Jusqu'au petit matin. Et la bonne est venue nous réveiller en criant que Monsieur n'était pas rentré ni que son lit n'avait pas été défait. On a fouillé partout. Et on a retrouvé M. Lendoffé dans son garage, mort asphyxié par les gaz d'échappement.

- Ah, vraiment!

- Le moteur de l'auto ne tournait plus, faute d'essence. Mais le garage était noir, de gaz. Pour y entrer, on a été obligé d'enfoncer la petite porte qui fait communiquer le garage aux appartements privés.

- Parce que la grande porte Mischler était fermée de l'intérieur ?

-Parfaitement, msieur le commissaire.

Je me tourne vers mon collègue du cru.

- Un médecin a-t-il examiné le cadavre ?

- Il est en train.

Je me cramponne le bol avec désespoir.

Un défunt de plus. Riche collection, n'est-ce pas, les gars ? Cette fois, l'enquète est sur la voie... de garage, précisément. Comme pour me confirmer ce funeste pressentiment, le tubophone retentit. C'est le Vieux qui m'appelle depuis Pantruche. Comment est-il déjà au courant de l'affaire ? Mystère et boule de gomme !

Il ne mâche pas ses mots, sans doute parce qu'il a omis d'amarrer son râtelier!

- Je vous avais demandé de me tenir au courant d'heure en heure, San-Antonio, et vous l'avez pas fait!

29 · votez B

Je plaide: Èrurier.txt · 2011-07-24 17:38 · Bruno MOUILLOUD

- Cette enquête se déroule à la campagne, monsieur le directeur, et il n'est pas commode d'avoir la communication avec Paris!

- Ta ta ta! fait-il, comme s'il s'adressait à Coccinelle! De plus, je viens d'apprendre par un coup de fil de Conrouge qu'un troisième candidat a été assassiné cette nuit! Vous rendez-vous compte des dimensions extravagantes de cette affaire, mon cher? A Paris, on ne parle que de ça. Le ministre de l'Intérieur est pendu à mon téléphone. Lui-même subit l'impatience de...

Là un coup de vent agite la ligne téléphonique et le nom se perd.) Le Dabe poursuit

- Si vous avez besoin de renfort, prenez-en! La police du territoire est à votre disposition. La troupe aussi, s'il le faut! Des résultats immédiats, voilà ce que je veux! Nous sommes

la risée du monde! Un pays dans lequel on

assassine impunément les candidats à la représentation populaire est en plein chaos.

Cela, le... (le nom est une fois de plus balayé par la tornade) ne l'admet pas. A partir de tout de suite, j'attends!

- Comme Charles !mugis-je en raccrochant de mon côté.

On a dû être vachement synchrone, lui et moi !

Je m'ébroue. Dans la vie, ne jamais se laisser abattre par les coups du sort. C'est pas la première fois que je me trouve dans une impasse et que le Vieux vient me faire tartir avec le prestige de la police et les menaces ministérielles !

-Bon, laissons la bête piquer sa crise, dis-je à la cantonade pour essayer de sauver la face. En route pour la maison Lendoffé ! --Venez avec moi, Martinet.

La demeure de M. Lendoffé est sise en bordure de la ville. Il y a les minoteries Lendoffé, puis un espace vert planté d'arbres tout neufs, à peine moins gros que des-crayons de charpentier, et une construction prétentiarde, avec le bas en meulière et le reste en briques, des tuiles de couleur, des fenêtres vernies et du mauvais goût coûteux un peu partout, se dresse orgueilleusement au milieu d'une pelouse.

Un perron, coiffé d'un auvent en tuiles - dorées avec colonnades de stuc, donne accès à la porte décorée de motifs en fer forgé représentant des épis de blé! Sous la construction,. face nord, se trouve le garage. Ce local est encore empuanti par les gaz d'échappement.

Les murs naguère blancs sons tout gris de fumée. -

Je vais examiner la petite porte dont la serrure disloquée pend minablement. Excepté ces deux portes, le garage ne comporte pas d'autres ouvertures. Il est éclairé, le jour, par un pan de mur en carreaux de verre, et la nuit par un hublot grillagé.

- Lorsque vous êtes entré, ce matin, la lumière électrique brillait-elle ? demandé-je àl'inspecteur Martinet.

Il secoue la tête.

- Je ne me souviens pas. Le garage était plein de fumée, comprenez-vous ? L'auto venait juste de s'arrêter...

Je questionne son collègue qui vient d'arriver. Miradort, lui, , est formel : l'électricité ne marchait pas.

- Certain ? fais-je.

- Certain, affirme-t-il avec force.

C'est important, ça, comprenez-vous, mes biches ? Car supposons que Lendoffé ait eu un malaise dans son garage et que les gaz d'échappement l'aient expédié -chez son chef de section suprême, eh ' bien, l'électricité aurait brillé ! Mais si elle était éteinte, cela signifie que quelqu'un l'a éteinte, do you sée ? Important. Capital même, ajouterait Karl Marx. Car le quelqu'un dont à propos duquel je vous cause ne pouvait qu'être l'assassin!

Il se tenait planqué dans le garage. Lorsque Lendoffé s'y est trouvé seul, il a surgi et l'a neutralisé. Puis -il a éteint et s'est débiné. C.Q.F.D. !

- Dites-moi, Martinet. Vous avez inspecté les lieux en entrant ici, m'avez-vous dit ?

- Oui, monsieur le commissaire.

- Personne ne s'y cachait, vous êtes certain ?

Il réprime un haussement d'épaules mais, moralement, me le vote à l'unanimité de ses deux omoplates.

- Impossible. Il n'y a que quelques bidons d'huile et un tuyau d'arrosage. Où se serait-il mis ?

- Et dans la voiture même de Lendoffé ?

- Ça n'est pas envisageable non plus, monsieur le commissaire.

- En sortant de sa réunion, il tenait un rouleau d'affiches et c'est moi-même qui les ai déposées sur la banquette arrière. Ensuite, il ne s'est plus arrêté avant son domicile.

30 · votez BÈrurier.txt · 2011-07-24 17:38 · Bruno MOUILLOUD

- Sauf pour vous ouvrir la porte du hall! Supposez que, pendant ce court instant, quelqu'un ait attendu derrière la haie. Lendoffé descend vous ouvrir et le quelqu'un se précipite à l'arrière de son auto...

Mais Martinet continue de branler le chef.

- Non. Certes, il est allé ouvrir la porte du hall; mais moi, pendant qu'il introduisait Miradort chez lui, j'ouvrais la porte du garage. L'auto se trouvait juste à l'angle de la maison. Dans le silence de la nuit j'aurais entendu s'ouvrir et se refermer la portière !

Et même... On ne peut pas imaginer qu'un assassin fasse tout ce micmac en quelques secondes et à quelques mètres des policiers chargés de la surveillance de la victime !

Pas mécontent d'avoir réfuté mes suppositions fallacieuses, ce petit travoudavebavallave !

- Où se trouvait le cadavre lorsque vous avez enfoncé la porte ?

- Entre l'auto et le mur.

- Voulez-vous reconstituer très exactement sa position ?

Il acquiesce, ouvre la portière avant gauche de la voiture, puis il s'accroupit bizarrement, le derrière contre le châssis de la voiture, la tête au bas du mur.

Je montre un rouleau d'affiches qui gît sur le sol, non loin du pseudo-cadavre.

- Elles se trouvaient là, les affiches

- Nous n'y avons pas touché.

Je vais pour continuer ma reconstitution. mais l'arrivée inopinée de deux surprenant personnages rompt l'atmosphère. Les quidams en question chantent à tue-tronche Les Matelassiers. Duo fascinant s'il en fut! Bérurier et Morbleut ! Une basse - dite noble -

et un baryton mirlitonnant.

S'ils n'ont pas éclusé deux bouteilles chacun de muscadet, je téléphone à Paul VI pour lui demander une place de brigadier-chef dans sa garde pontificale.

- Et alors ! tonne le Gravos qui vient d'achever le dernier couplet avant son compère, qu'est-ce que j'apprends ? Le dernier client s'est fait repasser ? Où qui sont, les enfoirés chargés de sa protection, que je leur apprends comment qu'on refait un noeud de cravate!

- Du calme, Béru! maussadé-je. Tu es déjà plein comme un boudin à ce qu'on dirait!

Le Gros a les gobilles qui font tilt.

- Moi! proteste-t-il. Demande à Popaul ce qu'on a éclusé : autant dire un pipi de fourmi.

- Exact, tranche Morbleut en ponctuant d'un formidable hoquet.

Je chuchote au Gros

- Tu avais bien besoin de nous flanquer ce vieux chpountz dans les lattes! Comme si nous n'avions pas assez d'ennuis...

Béru a l'amitié en fonte renforcée.

- Je te défends de traiter Popaul de chpountz, fait-il.

Il brandit un pouce dont la partie supérieure suffirait à cacher une tortue de mer.

- C't'un gars comme ça ! Il a des idées. Laisse-lui mener son brin d'enquête... et tu verras !

Je barris

- Taillez-vous tous les deux, espèces de poivrots, sinon je vous fais foutre au gnouf comme de vulgaires clodos que vous êtes!

Sa Majesté comprend que je ne suis pas d'humeur à tolérer ses turpitudes. Dignement, il prend le bras de l'adjudant.

- Viens, Popaul, mélangeons pas les torchons avec les serviettes!

- C'est tout incapables et consorts, réaffirme puissamment Morbleut.

Ouf ! Il est des moments où le Gros détend les nerfs, mais par contre il en est d'autres où il vous les roule en fines boulettes!

Lorsque les Gorets Réunis (plus connus sous la raison sociale de Compagnie Pieds-paquets) se sont évacués, je demande à voir le corps. On me drive par la porte du fond au rez-de-chaussée. Le cadavre est allongé sur une bâche, dans le petit salon. Un toubib en manches de chemise est assis devant un guéridon Louis XV. Il écrit des notes, fiévreusement.

Je me fais connaître et il dresse sa petite tête de théière sans couvercle. Il a un nez comme un bec verseur, des oreilles en forme d'anses et le crâne tout plat sur le dessus.

- Vos premières impressions, docteur ?

Il est affligé d'un petit tic qui, par moment, fait remonter son oeil droit jusqu'au milieu de son crâne.

- Cet homme, fait-il d'une voix d'eunuque frileux, a subi un traumatisme à la face. Le coup a été violent, mais pas assez cependant pour pouvoir provoquer la mort, ou même une fracture. Il n'a causé qu'un K.O. La victime est tombée. Son visage s'est trouvé à un mètre cinquante environ du pot d'échappement. Il n'a plus eu la force ensuite de se relever et il est mort.

31 · votez BÈrurier.txt · 2011-07-24 17:38 · Bruno MOUILLOUD

Je me penche sur ce pauvre Lendoffé. Une vilaine tache bleuâtre large comme une soucoupe lui marque le front, au-dessus du sourcil gauche.

- Avec quel instrument cettè blessure a-t-elle été faite, docteur ? m'inquiété-je.

- Avec une brique, fait le toubib.

Il me passe une loupe.

- Regardez : on aperçoit nettement les particules de terre cuite sur toute la surface du traumatisme. Une brique, c'est bien là une arme de fortune.

Le décès est intervenu vers quelle heure -!

Il se gratte le nez.

- Entre minuit et une heure du matin, je suppose.

- Merci, docteur. Rédigez un rapport détaillé, ça remue en haut lieu et on va avoir besoin de matériel pour impressionner ces messieurs.

Je me tourne vers ma cohorte d'inspecteurs.

- Et maintenant, passons à la vie intime du défunt. Où en était-il ?

C'est ce futé de Martinet qui prend l'initiative.

- M. Lendoffé était veuf. Il vivait ici avec sa fille et son gendre, lequel est employé comme chef des mises en sac à la minoterie. Ils ont un bébé de seize mois. En plus, il y a une bonne. C'est tout!

On ne peut pas plus succinct. Je remercie d'un hochement de tronche et je vais voir la Famille. La fille est une belle gosse, blond-roux, avec des taches de rousseur coquines, des yeux pâles et de la forme là où ce qu'y en faut! Elle est prostrée.

- Je suppliais papa de retirer sa candidature, larmoie-t-elle. Quand cette série de meurtres a commencé, j'ai eu un funeste pressentiment.

Ses sanglots reprennent.

Je rassemble un gros paquet de tact et je murmure en dénichant des inflexions qui colleraient des vapeurs à une clé à mollette

- Vous assistiez à la réunion électorale d'hier soir.

- Non, à cause de mon bébé.

- Et votre- mari ?

- Il était en voyage, il vient de rentrer il y a un quart d'heure.

Bono! Le gendre en voyage pendant qu'on envoie son minotier de beau-dabe moudre le grain du Bon Dieu, j'aime assez!

- Où était-il ?

- A Paris.

- Pour affaire ?

- Oui.

Sur ces entrefesses, comme disait un marchand de thermomètres de mes relations, l'époux rentre. C'est un grand mince, assez beau gosse, avec des yeux et une veste de velours noirs. Il est brun, coiffé à la Robert Hossein, et ses traits sont tirés, soit par la mort de beau-papa, soit par la nouba qu'il a dû faire à Paname et peut-être par les deux !

Il a droit à ma carte.

Il la regarde d'un air entendu et acquiesce mollement pour me signifier qu'il est prêt àrépondre à mes questions.

- Vous vous trouviez à Paris cette nuit ? demandé-je sans laisser passer le moiûdre scepticisme.

- En effet.

- Quel hôtel ?

- Le George V. Merci.

Je lui demanderais bien des détails sur sa soirée, mais je suis trop gentleman pour le faire en présence de sa jeune femme.

- Et vous venez de rentrer, m'a-t-on dit ?

- A l'instant.

- Merci. Madame, réattaqué-je, en me retournant vers la fille rousse, avez-vous, entendu rentrer votre père ?

Elle secoue négativement la tête.

- J'ai le sommeil très profond. Je n'ai été réveillée que ce matin, par les cris d'Augustine. .

- La porte qui fait communiquer les appartements au garage comprend combien de clés ?

- Deux,. .

- Votre père en avait une...

- Les deux, monsieur le commissaire.

- Comment, les deux

Le gendre m'explique

32 · votez BÈrurier.txt · 2011-07-24 17:38 · Bruno MOUILLOUD

- Les récents événements avaient rendu mon beau-père prudent. Cette porte, dans le garage, aurait pu permettre à quelqu'un de s'introduire sans difficulté dans la maison.

Il la tenait continuellement close et ne sedessaisissait pas des clés.

- C'est ce qui explique que j'aie été obligé d'enfoncer la porte, comprenez-vous ?

termine Martinet. -

Je comprends. Allons voir Augustine.

- Vous voulez bien nous accompagner, monsieur... heu... ?

- Durond ! se présente le gendre.

CHAPITRE XI

stupeur!

O rage!

O cédar ! Deviner, qui je dégauchis à la cuisine ? Je ne vous le donne pas en mille, ce serait au-dessus du cours officiel, mais je vous le donne en neuf cent quatre-vingts!

Béru et Morbleut.

Ils sont assis à la grande table et ,sirotent deux cafés que vient de leur servir Augustine. Celle-ci est une grosse dondon dodue avec un chignon façon centre d'accueil pour: pigeons ramiers en voyage. Elle leur verse dans le caoua une forte rasade d'alcool.

- Que signifie ? m'insurgéje

- Faut que je t'e'splique, bredouille Béru. Comme on avait le blanc de ce matin qui nous restait sur la patate, on s'est dit qu'un café bien fort avec une larmichette d'ammoniaque dedans ce serait indiqué. Alors, mademoisellèqu'est la bonté même...

Je chope la bouteille pour la renifler. Ni mon pressentiment ni l'odeur qui se dégage de son goulot ne m'ont trahi : c'est bien du calvados.

- Tu appelles ça de l'ammoniaque ?

- Non; elle en avait pas. Faute de grives on est bien obligé de bouffer des merles, non!

Ne voulant pas faire d'esclandre devant le dénommé Durond qui m'escorte, je remets àplus tard une croisière dans la mer des Sarcasmes.

- Monsieur Durond, susurré-je, pouvez-vous me fournir l'emploi du temps de votre soirée d'hier ? -

Oh! ce sursaut, mes carpes! Il n'aime pas les sous-entendus, le gendre éploré. La suspicion sous-entendue dans la question lui fripe le visage comme du papier hygiénique.

D'un coup, d'un seul, ce beau garçon réussit à devenir moche comme trente-six derrières de singes collés après un bâton.

- Que voulez-vous dire ? miaule-t-il.

- Rien d'autre que ce que je dis, fais-je calmement. Je vous demande ce que vous avez fait hier soir à Paris.

Il crispe ses mâchoires de masseur de Bettes.

- Monsieur le commissaire, je ne vois pas en quoi mon emploi du temps peut vous intéresser.

Alors là, vous le connaissez le San-Antonio chéri, hein mes poules ? La patience, c'est pas mon fort.

- Que vous ne voyez pas, ça n'a aucune importance, tancé-je, du moment que moi je vois.

Un barrissement retentit. C'est Morbleut qui l'a poussé.

- Une lampe à souder, nom de D... ! hurle l'ancien adjudant. Donnez-moi une lampe à souder et je lui fais avouer tout ce que vous voudrez : le passé, le présent et l'avenir!

Sa Majesté l'apaise dune nouvelle rasade de calva.

- Alors, monsieur Durond ?

- Durond, dubé, du radada 1 chantonne Béru qui ne perd jamais une occasion de prouver l'étendue de sa culture.

Durond a un regard' désemparé autour de lui. Il n'aperçoit que des visages hostiles. Le plus hostile de tous étant celui d'Augustine qui n'a pas l'air de le porter dans son coeur.

- Dois-je parler devant la domestique ? demande-t-il dans un souffle.

Ce petit crâneur! Ça me fait plaisir de l'humilier.

- Préféreriez-vous parler devant votre épouse ? questionné-je innocemment.

- J'ai diné en plaisante compagnie, révèle-t-il.

-Vraiment ?

- Oui, vraiment.

- Le nom de la dame.

- Lulu.

- C'est maigre pour établir son curriculum.

33 · votez BÈrurier.txt · 2011-07-24 17:38 · Bruno MOUILLOUD

- C'est tout ce que je sais d'elle. Je l'ai rencontrée en fin d'après-midi dans un grand café du bois de Boulogne. Je l'ai invitée à dîner...

- où?

- Chez Lasserre..

- Et ensuite ?

- Nous sommes allés au Crazy Horse Saloon!

- Et ensuite ?

- Il était trois heures du matin, ensuite. Je pense qu'à partir de cet instant je peux me considérer comme étant hors de cause.

- Dites-le tout de même, fais-je.

- Nous sommes allés dans un hôtel près de l'Etoile. Je vous donnerai l'adresse exacte.

- Banco. C'est tout! Vous pouvez rejoindre madame et la consoler.

Avec humeur, il quitte la pièce et claque la porte violemment pour m'exprimer sa façon de penser.

- J'aime pas ce pompier! affirme Morbleut. Je vous parie ma retraite qu'il a fait le coup. Seulement; vous parlotez, vous perdez du temps; mon garçon. Avec une lampe à souder, vous dépensez un peu d'essence certes, mais vous économisez votre salive.

-Oh! vous, la Gestapo, écrasez ! tonné-je. J'attaque la grosse Augustine, bille en boule.

- Et vous, mon lapin ? Racontez-moi un peu votre soirée.

Elle bichait comme une huître dans de l'eau de mer, la servante. Son sourire satisfait s'estompe.

- Je suis été me coucher! dit-elle.

- Seule ? lance Béru.

- Dites donc, malappris! proteste Augustine. Je suis une honnête fille, je couche pas avec des hommes chez mes patrons!

- Vous n'avez rien entendu ?

- Rien de rien.

- Même pas l'arrivée de votre patron et des inspecteurs qui le... (J'allais dire qui le protégeaient!) qui l'escortaient?

- Si, j'ai vaguement entendu un bruit de voiture et des claquements de portières, mais c'était à travers mon sommeil.

- Donc,` rien à signaler?

- Rien.

- Ce matin vous vous êtes levée, comme d'habitude ?

- Oui et j'ai préparé le petit déjeuner -àMonsieur. Quand le café a eu passé, je suis allée appeler Monsieur. Ça n'a pas répondu. J'ai ouvert la porte : la chambre était vide.

Alors j'ai pris peur et j'ai couru chercher les détectives.

- Vous n'êtes pas descendue au garage?

- Pourquoi je serais descendue ?

- C'est tout pour l'instant, merci.

Nous quittons la troisième maison du crime. Morbleut qui a du plomb dans l'aile fait une embardée et s'écroule dans le gazon. C'est le Samaritain Béru qui le relève et le brosse à grandes claques sermonneuses.

- Voyons, Popaul, tu tiens plus le litre, ma parole !

- C'est cet ammoniaque qui m'a barbouillé, plaide Morbleut.

- Mais c'était pas de l'ammoniaque, c'était du calva! objecte Béru.

- Je te dis que c'était de l'ammoniaque, j'ai bien reconnu le goût.

Béru qui, lui, a récupéré, hausse les épaules et va installer son compère dans la voitûre en lui conseillant de piquer la petite ronflette réparatrice. Puis il me rejoint au garage où je procède à une seconde _ inspec~tion. Voulant se faire pardonner sa biture matinale, le Gros fait une lèche terrible. Il me pose des questions à propos de l'arme du crime... Lorsque je lui apprends qu'il s'agit d'une brique, il fronce ses puissants sourcils.

- Tu remarques rien, San-A. ?

-Quoi donc ?

-Les murs du garage sont en brique.

-Et alors ? .

-Peut-être qu'il s'est lui-même cogné le bol contre. Ça l'a estourbi...

-Il est mort et il a éteint l'électricité ?

Mais mon ironie n'endommage pas la sérénItë de l'Abominable.

- Ces affiches étaient là ? fait-il en me montrant le rouleau à terre.

- Il parait.

- Et elles se trouvaient dans la voiture?

- Yes, sir !

34 · votez BÈrurier.txt · 2011-07-24 17:38 · Bruno MOUILL

Le Mastar s'abîme dans un puits de pensées à ressort. OUD

- Je crois que j'ai tout pigé, mec. C'est marrant comment qu'un bon coup de blanc, le matin, suivi d'un bon café arrosé, ça te

met la comprenette sur sa rampe de lancement. - .

- Cause ! ordonné-je.

- Eh ben, voilà! Lendoffé, donc, rentre dans le garage après que Martinet y ait ouvert la lourde et la lumière. Exact ?

- Tout ce qu'il y a de...

- Bien. Martinet referme la lourde derrière lui. Pendant ce temps, Lendoffé se met au point mort, il se retourne, chope le rouleau d'affiches et le jette par la vitre baissée hors de sa tire.

- Et après ?

- Le rouleau est long. Il touche le mur et appuie sur le bouton de l'interrupteur. Voilà le garage qui s'éteint. Tu peux le contester,. gars. L'interrupteur il est juste au-dessus du rouleau d'affiches!

- C'est juste; ensuite ?

- Ensuite, Lendoffé sort de sa charrette au radar pour aller éclairer. Il calcule mal son coup et va se péter la vitrine contre le mur de brique. Ça l'expédie dans les vapes. Le v'là avec le nif à la hauteur du pot d'échappement. Mince de vulnérable !

- Vulnéraire, analphabète

- Vénérable si tu veux. Monsieur le jamaisdéputé respire et cette fois, c'est le grand départ...

Un silence. Il se gratte le sommet de la tête en passant la main entre la calotte et le ruban de son chapeau.

- Qu'en pense le grand Maître ?

- Tout ce que tu as dit me paraît bien, ma Grosse. En somme, ce serait un accident ?

- Ce serait! exulte le Mahousse. Et nous, ça nous fait un crime de moins à débrouiller, c'est autant de gagné, non ?

- Il y a une petite chose qui me tracasse.

- Quoi t'est-ce ?

- Le fait que Lendoffé n'ait pas arrêté le moulin de sa bagnole une fois rentré dans le garage. Voilà un type qui est arrivé, tu m'entends ? Arrivé ! De plus il décharge sa voiture. Et cela sans arrêter le moteur! Je tique, Béru !

- Eh ben, tique et fais pas ch... le marin ! grommelle l'empereur des glands.

Je suis là que je te déblaie le terrain. Je Fais des " 8 " avec mon cerveau pour essayer de dépanner monsieur le commissaire de mes trucs, et tout c'qu'il trouve à me remercier, c'est de dire qu'il tique !

Il me prend le bras.

- Tu veux que je te cause d'homme à homme, Gars

-Si tu y arrives, ma Biquette, je veux bien. Cette fois, c'est un accident.

-Pourquoi cette certitude ?

-Parce que cette fois, il s'agirait d'un crime en vase clos, et que - tu m'escuseras mais les crimes en vase clos, moi j'y crois pas. Dans les romans de la tata Grisbi, du RoiVicaire, de Si mais Non ou de la chicorée Leroux, je veux bien. Mais dans la réalité, ça

existe pas parce que c'est pas possible.

- Et les autres, Gros Malin ?

- Quels autres ?

- Les deux premiers meurtres. Là il s'agit bel et bien de meurtres et non d'accidents !

- D'ac, mais attention : c'est pas le vase clos ! Personne a vu sortir l'assassin, mais y avait des portes et des fenêtres. Les deux lourdes fermées de l'intérieur ! D'où ma contusion : accident ! Maintenant, si t'as envie de te casser le chou avec des histoires de comment t'est-ce que pourquoi il a pas arrêté son moteur, moi je préfère aller jouer à la belote.

Je lui claque l'épaule.

- Merci, Gros. Je vais accréditer la thèse de l'accident, ça fera' diversion. Et si c'est un meurtre j'aurai au moins les coudées plus franches pour travailler !

CHAPITRE XII

Je tube au Vieux les conclusions béruréennes après les avoir faites miennes. Mais le tondu les réfute. .

- Vous espérez vraiment faire croire une telle foutaise aux journalistes ?

- Pourtant, monsieur le directeur...

35 · votez BÈrurier.txt · 2011-07-24 17:38 · Bruno MOUILLOUD

- Et le public, San-Antonio, pour qui le prenez-vous ? Maintenant tous les candidats de Bellecombe sont morts et vous allez essayer de noyer le poisson ! Je vous dis qu'il s'agit d'une série de meurtres dus à un fou sanguinaire ! Je veux l'assassin ! Car il existe bien au moins un assassin dans toutes ces affaires, oui ?

- Sans aucun doute, monsieur le directeur !

Il hurle à s'en faire péter le stradivarius

- Alors, trouvez-le ! Et vite !

Bing ! Il a raccroché. Donner sa démission en un pareil instant manquerait de panache. Ce serait la solution du foireux, donc pas la mienne. Et pourtant, j'aimerais l'écrire sur parchemin et la faire bouffer au Vieux !

Vers midi trente, alors que je vide scotch sur scotch dans un bistrot proche du commissariat, un inspecteur vient m'annoncer que Laplume a téléphoné de Paris. Il aurait trouvé une piste concernant la personne qui téléphonait au comte au moment de sa mort. Il rappellera dans l'après-midi. Ça me met un peu de baume sur le battant.

Bérurier et Môrbleut rappliquent. Ils paraissent fort surexcités. Morbleut, qui a cuvé sa première peinture, me semble parfaitement conditionné pour en prendre une deuxième Cette fois, ils attaquent à l'apéro de marque: Cinzano, priez pour eux !

- On a' une idée formide à te soumettre, annonce Sa Majesté !

- Pas possible ! béé-je. Deux dans la même journée et tu survis ?

- Moule avec tes alluvions, -c'est sérieux.

L'adjudant Morbleut fait chorus.

- Très sérieux, renchérit-il.

Béru lampe son verre, garde un instant le breuvage dans la bouche afin de le mieux Brumer. Ce faisant, il produit un bruit de bain de pieds. Puis il avale et déclare

- Tu connais la nouvelle ?

-Non, fais-je; ici, elles vont tellement vite que j'ai renoncé à les suivre.

- Les partis politiques ont décidé de ne plus présenter de candidat tant qu'on n'aura pas agrafé l'assassin!

- Je les comprends un peu. Comment le sais-tu ?

Il extrait de sa profonde une édition spéciale de La Pensée Belecombaise. Elle ne comporte qu'un feuillet, mais qui n'est pas gentil pour la police. Un titre gros comme le nom d'un aéroport écrit sur le toit de ses hangars me pète à la figure CITOYENS ! EN VOILA ASSEZ !

C'est toujours mauvais quand un titre commence par " Citoyens " à la une d'un canard !

Le texte qui suit n'est qu'un flacon de vitriol jeté à la face de la police. La Pensée Bellecombaise nous traite d'incapables, et de bien d'autres trucs..moins aimables. Elle annonce effectivement que les partis politiques, en signe de protestation, ont pris la décision de nie plus présenter de candidats avant la solution de l'affaire.

- Alors, où est votre fameuse idée dans tout cela ? demandé-je.

- Elle est de moi ! affirme Morbleut.

Béru se renfrogne.

- ~-- Sois pas scrétaire, Popaul ! On l'a eue ensemble !

- Ensemble, mais l'un après l'autre ! ricane Morbleut.

- Popaul, si tu me cherches tu vas ~ me trouver ! prophétise le Mahousse. Je suis pas le genre de gentèlemane qui tire les couvertures, mais cette fois je suis certain qu'on la eue ensemble, cette idée !

- Si vous me la disiez, tonnerre de Zeus ! trépigné-je.

- Eh bien, voilà ! font-ils en choeur.

Ils se taisent, se regardent en flics de faïence, et avec le même synchronisme murmurent

- Tu permets !

Et très vite, tandis que Morbleut s'offre une goulée d'oxygène, Béru me lâche

- Je vais me présenter, Mec !

- Te présenter où ?

- Aux élections. Et c'est Popaul ici présent qui sera mon adjoint !

Tandis que la commotion me fait l'effet d'une pincée de poivre moulu dans les narines; Sa Majesté poursuit.

- Faut qu'on en sorte, non ? Si c'est un fou qui a décidé de buter les candidats, il essaiera-de m'avoir. Seulement, pour avoir Béru, faut pas oublier de se lever de bonne heure et de mettre en guise de flanelle son guet antiballes !

Je refais surface tant bien que mal. D'une voix barboteuse j'articule

-Ainsi, tu vas te présenter...

-Ouï, môssieur.

-C'est génial, décide Morbleut. Et pour vous, pour nous tous gens de police, qu'elle publicité ! Quelle réhabilitation aux yeux du 36 · votez BÈrurier.txt · 2011-07-24 17:38 · Bruno MOUILLOUD

public ! Un inspecteur s'offre en holocauste' à la furie' du sinistre meurtrier !

- Un inspecteur PRINCIPAL !tonne Béru.

- Si tu veux, concède l'autre.

Mon premier instant de désarroi passé, j'examine la proposition saugrenue à tête - non pas reposée - mais lucide !

- Et pourquoi pas ! fais-je soudain. Faudra que tu retiennes la date d'aujourd'hui, Béru.

C'était ta grande journée phosphorescente ! Allons faire le nécessaire.

- Pour commencer, déclare le Gros, je vais chez l'imprimeur pour les affiches !

- Je t'aiderai à les rédiger, promet Popaul. J'ai toujours eu un beau style. Si' je te disais ,qu'au dernier endroit où j'étais, l'instituteur du pays lisait mes rapports à ses élèves pour les estimuler !

Bellecombais, Bellecombaises !

On n'est pas ce que vous croyez !

La preuve, c'est que moi, Bérurier Alexandre-Benoît, inspecteur principal, je lance un défi à l'assassin, de Bellecombe en me présentant à vos suffrages ! S'il veut m'empêcher de candider qu'il y vienne !

La politique, je m'ai toujours assis dessus, et sans coussins ! C'est pourquoi je me présente pour un parti nouveau, (moi et l'ex-adjudant Paul Morbleut mon adjoint, on est ses fondateurs et les membres virils : le P.A.F: parti Amélioré Français).

Ce soir, dans la salle des réunions, on vous définira notre programme. Venez nombreux, l'assassin y compris !

Et surtout : Votez BERURIER ! ! !

Je ne sais pas s'il existe des collectionneurs d'affiches. Je suppose que oui. Alors, qu'ils prennent le premier train venu pour se ruer à Bellecombe. L'affiche électorale de Béru est une pièce de collection dès sa sortie des presses ! D'ailleurs, la population se rue dessus.

L'effet ne se fait pas attendre. Moins d'une heure après que les murs de Bellecombe soient recouverts de cette prose intempestive, le bigophone retentit. C'est le Vieux !

Oh ! cette sortie de plein air, jolies mesdames ! Il s'en étrangle, le Tondu ! Il dit que nous sommes devenus fous. Que le ministère de l'Intérieur ne pourra pas survivre à une histoire pareille ! La police meurt de ridicule. Il va démissionner, écrire une lettre ouverte dans le "Figaro", que sais-je ! Que sait-il !

Il veut parler à Béru, mais il est impossible de mettre la main sur ce dernier. Il est entré en loge dans une quelconque arrièresalle de troquet avec son " adjoint " et dans la fièvre, les deux compères préparent leur réunion publique de la soirée.

J'exprime ma navrance au Vieux puis, quand il a déversé des torrents de bile et des bonbonnes de fiel, je raccroche en me demandant pourquoi je n'ai pas choisi de me faire marin, épicier, marchand de bagnoles ou poseur de passages cloutés au lieu d'entrer dans la Rousse ! Pour me changer les idées, je vais à l'enterrement de Monféal.

C'est vraiment de la cérémonie à grand spectacle, lés gars ! En ce moment, Bellecombe vit une période d'exception. Depuis l'arrivée des Allemands en 40 et leur départ en 44 on n'avait pas connu des heures pareilles ! Il faut trois corbillards pour charrier les fleurs, les couronnes, les palmes et autres babioles. Un ancien-quelque-chose-à-béret marche devant le convoi, portant sur un coussin tendu de satin, les décorations de feu Monféal ; à savoir : la médaille commémorative des abonnés à Rustica et la croix d'honneur des remerciements anticipés.

La fanfare de Bellecombe suit, drapeau en berne, en jouant " Si tu n'en veux pas je la remets dans mon linceul " variante d'une marche allègre. C'est l'unique morceau que connaisse la fanfare, mais elle l'interprète sur un rythme extrêmement lent afin de la transformer en marche funèbre. Viennent alors des enfants : de choeur, de Marie, de Pétain, naturels, des écoles, de p..., de troupe, trouvés, légitimes, de salauds, du Bon Dieu et même martyrs. Après, c'est le clergé, ayant à sa tête Monseigneur Transept, archevêque de Moinillon-sur-Crosse et ses vicaires. Puis enfin : la vedette! Monféal dans son beau corbillard des dimanches. La famille sous des voiles. Un oncle colonel soutient la veuve, malgré qu'elle eût déjà un produit de chez Scandal pour soutenir sa gorge et un notaire cacochyme pour soutenir ses intérêts. Il y a des larmes, à cause de la musique.

Les parents éloignés se sont rapprochés du char funèbre. Les notables du patelin leur filent le train, graves, en se faisant regarder par la foule (probablement parce qu'ils ne peuvent plus se voir !). Ce sont ensuite les amis. Ils vantent les mérites du mort de la maison à l'église. De l'église au cimetière ils parleront de ses défauts, et du cimetière au bistrot de la place de ses vices inavouables. Et enfin, la longue chenille ondulante des anonymes, des sans grade, des partis-sans-laisser-d'adresse, des diminués moraux, des augmentés sociaux, des vacanciers, des vaccinés, des humiliés, des curieux, de tous ceux enfin qui assistent aux sépultures parce qu'il fait bon enterrer son 37 · votez BÈrurier.txt · 2011-07-24 17:38 · Bruno MOUILLOUD

prochain. Et qui marchent gaiement, en parlant fort et de tout, sans savoir qu'ils vont mourir demain ! L'inspecteur Martinet (il est à fouetter celui-là ! ) s'est joint à moi.

Depuis l'affaire Lendoffé il me fait la cour pour essayer de se faire pardonner l'asphyxie de son client.

- Vous croyez que l'assassin est dans le cortège ? me demande-t-il.

- J'en suis absolument certain

- En somme, si on pouvait embarquer tout ce populo...

- Oui, mais on ne peut pas !

La cérémonie n'en finit plus. La Collégiale de Bellecombe est trop petite pour contenir tout le monde. Heureusement qu'il y a plein de bistrots tout autour. On n'y trouve pas d'eau bénite, mais le vin est de première qualité et ceci compense cela. Nous en éclusons un gorgeon, Martinet et moi. Il y a un brouhaha terrible autour de nous. On se croirait un jour de Commice agricole.

- Vous semblez songeur, monsieur le commissaire.

- Je le suis.

Vous savez à quoi je pense, mes chéries ? Non, pour une fois ça n'est pas à vos dessous affriolants. J'évoque les paroles du Gros, lorsque nous étions dans le garage. < Dans la réalité, les crimes en vase clos n'existent pas, parce qu'ils sont impossibles. > Il a pas le courant lumière dans le citron, Béru, et ça n'est pas le poids de son cerveau qui risque de fausser un pèse-lettres, mais parfois, il dit des choses sensées. Dans la vie, il n'y a que les c... qui soient capables d'en dire ! Les autres se mettent la calbombe en pas de vis ! Ils se tortillent la matière grise, ils brodent, ils blablatent, ils déforment. Le c..., lui, il dit ce qu'il pense vraiment et comme il pense juste il dit juste. N'entreprenez jamais rien de grave dans la vie sans avoir pris l'avis d'un c... ! C'est une grande règle que les grands hommes d'affaires connaissent et appliquent.

Vous pouvez le remarquer : ils ont toujours des tas de c... autour d'eux. Des c...

nobles, pour le standing de la maison ; des vieux c.., pour son honorabilité ; et une infinité de pauvres c... pour porter le coton, le chapeau et la chance ! Les plus futés s'assurent même la collaboration de sales c... afin de cristalliser sur eux le mauvais esprit qui finit toujours par s'insinuer dans une communauté. Le c... c'est le micro-organisme. Sans lui, l'univers serait en décomposition.

-Tu as des lunettes de soleil ? je demande à Martinet. Question quasi superflue : tous les inspecteurs en ont, ainsi que des gants beurre frais et des pochettes blanches.

J'arrache une page blanche à mon carnet et j'écris en lettres d'imprimerie BRAVO. BIEN Joué. MAIS MAINTENANT IL FAUT QU'ON DISCUTE. FIXEZ-MOI UN RENDEZ-VOUS EN

M'ECRIVANT MARTINET POSTE RESTANTE BELLECOMBE. DANS VOTRE INTERET FAITES VITE.

Je tends le feuillet à mon inspecteur. Il lit et me regarde sans piger.

- Qu'est-ce que ça veut dire, monsieur le commissaire ?

- A la sortie du cimetière, fais-je, il va y avoir une poignées-de-mains-party. En serrant la louche de la veuve, tu lui glisseras ce petit billet dans le creux de la paume.

- Mets tes lunettes avant, pour dissimuler un peu tes traits.

Il met un certain temps pour récupérer.

- Je ne comprends pas, excusez-moi, vous pensez que la veuve...

J'ai un soupir qui me vide les purgeurs.

- Je ne pense rien, j'essaie de m'en sortir... Ce que je fais est peut-être odieux, mais je suis décidé à tout mettre en oeuvre et d'aller jusqu'au bout de l'ignominie s'il le faut.

Les cloches nous signalent la sortie du cortège. Tout le monde s'empresse. Nous voilà repartis à travers les rues apparemment quiètes de Bellecombe. Le cimetière est loin, Les cimetières sont toujours loin. En France du moins. On aime bien reléguer ses soucis derrière la porte.

Larmes blabla d'un zig qui trémole. Il a une moustache blanche, la Légion d'honneur et un oeil de serre, c'est vous dire s'il fait sérieux.

On a droit à la vie édifiante de Monféal depuis l'école primaire. Tout y passe : ses bons points, sa première communion, son service héroïque pendant la' guerre lorsqu'il vendait aux maquisards des fausses cartes d'alimentation. On passe en revue ses dons de visionnaire : n'a-t-il pas crié " Vive de Gaulle ! " en 1944 Un prophète ! Et son action sociale

Président du cercle pongiste, il a ouvert une souscription pour doter le club d'un ping-pong de compétition. Son action humaine aussi est célébrée ; deux enfants ! Faut les faire ! Les faire et les nourrir, ce qui n'est pas à la portée de toutes les bourses !

L'assistance est pétrifiée par une gigantesque émotion. D'un seul coup, trois mille personnes se mettent à le regretter, Monféal. On le pleure, on le déplore, on le renifle, 38 · votez BÈrurier.txt · 2011-07-24 17:38 · Bruno MOUILLOUD

on le toussote, on lui rend un solennel et vibrant hommage, Le Moustachu en a son râtelier qui hoquette tout seul. Du coup, un vicaire décide une quête supplémentaire. C'était du grand homme, ce Monféal. Buter de la belle marchandise commak, c'est vraiment scandaleux. Mais l'homme au lampion bidon a confiance en la justice. Si la justice humaine ne parvenait pas à châtier le misérable, celle de Dieu s'occuperait de ses fesses ! Y a du chaudron làhaut qui se prépare. La maison Satan fait rentrer de l'anthracite ! L'orateur en paume son oeil de verre dans le gravier de l'allée. Il se baisse pour le ramasser, se trompe et finit par se carrer une capsule de Coca-Cola dans l'orbite.

Il continue. Rien ne peut l'arrêter. On l'a vacciné avec une aiguille de phono. C'est son jour de gloire. Il passe en soliste et c'est grisant. Et puis, dans un cimetière, personne n'ose lui crier " Ta Gueule ! " Alors, il en remet. Je demande qui c'est. Une dame-àruban-de-velours-autour-du-goitre me renseigne : il s'agit du vice-sous-président de l'Amicale des Compteurs à Gaz. Ça dure. Il fait comme le défunt : il s'éternise. Dans les rangs du clergé on chuchote pour savoir si une troisième quête s'impose. Le tiers état, lui, il a envie de rentrer chez lui. On en voit qui se débinent : des sournois ou des économiquements faibles qui n'ont pas suffisamment de calories pour tenir le coup.

Enfin, le monsieur s'arrête sur un " Ce n'est qu'un au-revoir, cher Monféal " qui ferait éclater en sanglots une pierre tombale.

Distribution d'eau bénite. Mais on est trop nombreux. Seuls, les premiers arrivés sont les premiers servis. L'enfant de choeur de goupillon n'a pas prévu une telle affluence.

L'évêque dit qu'on devrait rationner et limiter l'usage du goupillon à un quart de signe de croix par personne. Ça ferait mauvais genre aux dires de ses péones. Si bien qu'on est deux mille à goupillonner à sec. C'est de la bénédiction saharienne. L'évêque est mécontent, ça se voit à sa crosse en virgule. Il veut sermonner l'imprévoyant. Une religion qui se déshydrate c'est une religion décadente !

Après ça, on n'a plus qu'à faire descendre la bière. Puis, c'est le jeu du serrement de paumes. Toute la famille s'aligne : les arrière-petits-cousins, les soeurs de lait, les frères adultérins. Ils se mettent sur deux rangs pour aider. Ils tiennent à montrer qu'ils en étaient, des Monféal : de près, de loin, par la cuisse ou par correspondance.

Les reconnus, les réfutés, les admis, les brouillés. On affiche fin de vendetta pour cause de décès. Des qui ne se sont pas vus depuis des années à cause d'un mur mitoyen ou d'une faute d'orthographe dans la carte de bonne année, s'étreignent, s'effusionnent, se réhabilitent sous les regards rougis de l'assistance. Les mimis aux larmes miaulent dans l'air immobile. Une abeille qui ne sait pas qu'il s'agit d'une première classe se goinfre déjà de pollen à travers gerbes et couronnes. Ça fait son miel, cette histoire.

Je pousse Martinet dans le dos, comme un commandant de bord largue un parachutiste.

- A toi de jouer; fils !

Il chausse ses bésicles fumées. Il tord un peu ses lèvres pour prendre l'air plus terrifiant. Puis il s'avance vers the Monféal family.

- Condoléances, condoléances, condoléances, ricoche-t-il. Devant la veuve, il marque un temps. Moi je mate comme au téléobjectif le petit manège, Gros plan sur leurs deux paluches. Y a du monde qui s'impatiente, derrière Martinuche. Ils ont hatte de luî baiser le crêpe, à la femme de l'assassiné. L'inspecteur poursuit sa petite séance condoléante.

Y a dans la file une Gravosse qui barrit chaque fois que quelqu'un la lui serre, c'est pourtant pas la saison des engelures; notez qu'elle a peut-être un panaris perfide, l'apparentée

Mme Monféal a marqué un temps, elle aussi. Je distingue le bout de papelard, Elle le fait passer de sa main droite dans sa main gauche, celle qui déjà tenait son instrument de veuvage nûmber typo ; le mouchoir. Puis, avec beaucoup de maîtrise, elle se refarcit les phalanges suivantes. Elle bredouille des mercis, sème des larmes, émiette des soupirs et rauquifie un sanglot pour les gens huppés.

Moi, je coupe à la corvée et je me taille par la porte de service. Assis sur une vieille tombe, un vieux fossoyeur fait comme l'abeille : il casse la croûte. Il est tellement vieux que c'en est indécent, de faire ce métier. Peut-être a-t-il décidé que ça ne valait plus le coup de rentrer chez lui ?

CHAPITRE XIII

(Ou III bis pour les- gens superstitieux)

En fin de journée, nouvel appel véhément au Vieux. Je fais carrément répondre que je ne suis pas là. Je ne me sens pas- capable de supporter ses récriminations. Alors, dans 39 · votez BÈrurier.txt · 2011-07-24 17:38 · Bruno les poudrières il vaut mieux ne pas fumer, hein MOUILLOUD

Aucune nouvelle du Gros ni de Morbleut, Ils se préparent pour la soirée. Je passe faire un tour chez le comte Gaétan de Martillet-Fauceau, histoire de renifler l'atmosphère. Les deux vieux larbins ne quittent plus leur cuisine. On dirait deux taupes en chômage. Je demande au moisi s'il a eu des nouvelles de Mathieu Mathieu. Il branle sa petite tronche démantelée.

- Non, monsieur. Voyez, l'herbe de la pelouse pousse et je n'ai pas la force de la tondre.

- Il avait de la famille, ce Mathieu ?

- Je ne crois pas.

- Quel genre de type était-ce ?

Il paraît inquiet et son oeil gauche se met à tourner comme celui du petit Noir de Ya Bon Banania.

- Vous parlez de lui à l'imparfait ? demande-t-il.

- Je me demande pourquoi, m'excusé-je, car jusqu'ici il est seulement porté disparu. Je reprends ma question: c'était quel genre d'homme ?

- Oh ! un type assez simple et qui buvait de bons coups. Il habitait le pays depuis une quinzaine d'années.

- Ah bon, ça n'est pas un naturel de l'endroit ?

- Non: il est arrivé dans la région un jour et il s'y est fixé je ne sais trop comment ni pourquoi. Il a trouvé une masure à louer... Et il s'est mis à bricoler de droite et de gauche. Il faisait les jardins, réparait les barrières. L'homme à tout faire, quoi!

Je montre la cour romantique, cernée de murs gris Utrillo. La fontaine verdie, les pelouses, les massifs de rosiers composent un décor d'un charme suranné.

- Où se tenait-il, lorsque vous avez ouvert la fenêtre pour l'appeler, le jour du meurtre ?

Il me désigne un massif en arc de cercle près de la fontaine, c'est-à-dire à peu près au milieu de la cour.

-Là-bas.

- Il taillait des rosiers, dites-vous ?

- Oui.

Je me gratte l'oreille.

- Est-ce que Mathieu Mathieu est revenu ici après le meurtre ?

- Oui. D'ailleurs il ne nous a pas quittés le jour du crime. Puis. il est revenu tous les jours jusqu'aux funérailles. Ensuite nous ne l'avons plus revu.

Drôle d'animal, ce jardinier! J'aimerais le connaître !

Je remercie le vieux larbin et je vais rôder dans la cour. Je me place dans l'encorbellement des rosiers et je regarde la fenêtre de la bibliothèque où fut tué Gaétan. Il y a quelque chose qui ne tourne pas rond. J'examine les lieux. Je trouve une boite à casse-croûte par terre. Il y a encore des reliefs de nourriture collés contre les parois. La boîte est pleine de terre et de limaces. Mathieu Mathieu l'aura oubliée. Ça me choque. Tout me choque confusément et je n'arrive pas à me faire d'opinion sur la question. Cette incapacité aussi me choque. Habituellement, je phosphore mieux.

Je rentre dîner à Saint-Turluru. Les pensionnaires de l'hôtel m'assaillent de questions.

Je les envoie gentiment chez plumeau pour me consacrer à ma Fëlicie. Quand je vois M'man à côté d'eux, je peux mesurer sa discrétion. Elle me regarde avec ses bons yeux caressants.

- Ça va comme tu veux, mon grand ?

- Pas exactement. La bouteille à encre!

Elle dit, d'un ton léger

- Ça te fait souvent ça, au début, et puis les choses se décantent et tout devient clair pour toi!

Ça me ragaillardit.

- Est-ce vrai, demande-t-elle que M. Bérurier se présente aux élections ?

- C'est vrai, M'man. On est en pleine folie! Je m'en souviendrai, de ces vacances ! Du train où vont les choses, le Gros recevrait demain sa lettre de révocation que je n'en serais pas autrement surpris.

- Tu aurais dû essayer de le dissuader,

- Je l'ai fait, mais au fond de moi, je trouve que son initiative, pour insensée qu'elle paraisse, peut étre enrichissante sur le plan de l'enquête.

- Et s'il arrivait malheur à M. Bérurier ?

- C'est un risque à courir. Tiens, si tu veux, on se passe de dessert et je t'emmène à sa conférence publique. . Ça va valoir la gobille !

Du monde, il y en a partout. La place es noire. C'est à croire que, non seulement la 40 · votez BÈrurier.txt · 2011-07-24 17:38 · Bruno MOUILLOUD

ville mais le département tout entier s'est pressé ici pour voir et entendre ce téméraire policier qui, au risque de sa vie, affronte le meurtrier apolitique. Il a la une ~ de "

FranceSoir, Béru. C'est la gloire. On le représente, sur quatre colonnes, en profil de médaille avec

son adjoint, l'héroïque ex-adjudant Morbleut.

Je suis obligé de produire ma carte de poulaga pour nous frayer un passage jusque dans la salle. L'estrade est décorée de tricolore.

Derrière la table: deux chaises. Et sur la table deux bouteilles de brouilly avec un verre à la renverse sur le goulot. Cela sert à la fois de clochette et de carafe désaltérante.

L'atmosphère est survoltée. On chuchote, on retient son souffle. Pendant du cadre de scène,

les trois lettres servant d'emblème au nouveau' parti brillent dans ce que M. Léo Ferré appel~lerait leur corsage de néon: P: A. F.

Soudain, alors qu'on ne s'y attendait pas, une musique éclate. c'est l'air de la Légion

"Tiens ! Voilà du boudin ! " L'assistance se lève. On perçoit un hoquet en coulisse, puis l'adjudant Morbleut, beurré à souhait et revêtu de son ancien uniforme, paraît.' On l'applaudit; il salue, calme la frénésie populaire et déclare

- Mesdames, mesdemoiselles, messieurs et gendarmes ici présents, j'ai l'honneur, le très grand honneur, de vous présenter votre nouveau candidat. Vous serez galvanisés par son courage, séduits par son programme et vous voterez tous pour...

Il se racle la gorge et annonce

- Alexandre-Benoit... BERU-RIER !

Un tonnerre, mes enfants! Hitler à Munich c'était Amédée Butant au salon des poètes, à côté de cette vague qui déferle !

Un roulement de tambour et Béru-le-Valeureux paraît dans la lumière d'un habile projecteur. Il est nimbé d'héroïsme, mon Gravos. Sa bretelle lui pend toujours sur les talons et son chapeau (qu'il a conservé sur sa tête) continue à bâiller comme huître au soleil. Il fait quatre pas qui l'amènent au centre de l'estrade. Il se découvre pour un salut dartagnanesque. Mais le chapeau lui échappe des doigts et s'en va coiffer malencontreusement le chef ovoïde et rasibus d'un monsieur assis au tout premier rang. Le monsieur arrache le couvre-chef pestilentiel. Je frémis d'horreur. Le bitos à Béru mérite vraiment sa qualification de couvre-chef puisque c'est la tronche du Vieux qu'il est allé orner. Parfaitement: le Big Boss est là, plus pâle qu'une banquise effrayée, plus sévère qu'une condamnation à mort. Il a fait le voyage de Paris à Bellecombe pour venir juger sur place.

- Mais, Antoine, balbutie M'man, ne diraiton pas... ?

- On ne dirait pas, Mman, c'est bien le Vieux. Je t'annonce une partie d'enguirlandage qui comptera dans les annales.

- M'est avis que nous allons bientôt acheter une mercerie tous les deux. Tu tiendras la caisse et moi je mesurerai les élastiques.

Béru a levé ses deux bras en " V ". On l'acclame de plus belle. Il toussote élégamment puis démarre.

- Bellecombais, Bellecombaises... Si je viens me présenter devant vous pour ce dont au sujet de quoi vous êtes au courant, c'est pas parce que je suis métalo-man. C'est parce que j'estime que le régime de la dégonfle est pas payant et que si on devrait l'appliquer on serait plus digne d'être français.

Clameurs délirantes du public.

- Il ne se défend pas si mal, sourit la douce, la clémente Félicie.

Béru, encouragé, enfle sa voix de marchand de poissons à la criée.

- À cause qu'un tordu dont mon chef, ,le célèbre commissaire San-Antonio, tardera pas à lui mettre la main dessus joue les méchants, v'là les partis qui se déculottent. Ça prétend représenter le peup' français et ça se débine déjà dès qu'y a du danger!

Il est interrompu par un fracas d'acclamations. Il sait parler au peuple son simple et beau langage, le Mastar. Il trouve les mots et les formules que la grande foule pige illico.

- Silence! tonne Morbleut qui a besoin de se manifester. Il remplit un verre de brouilly et le pousse vers le président Béru.

- Tiens, mon gars, écluse ça!

Béru vide son verre d'un trait et l'exploit est applaudi ainsi qu'il convient. Ne se sentant plus, le Gros empoigne la bouteille et la brandit à la foule en signe d'offrande.

- Voilà avec quoi qu'on carbure, dans not' parti!

Il boit au goulot, se torche les lèvres de la manche et poursuit

- Moi, Bérurier, je le dis à l'assassin s'il se trouve dans cette salle: " Je t'attends 41 · votez BÈrurier.txt · 2011-07-24 17:38 · Bruno MOUILLOUD

mon pote et j'ai pas peur de toi! Viens essayer de me buter, j'suis ton homme.

Je renonce à vous décrire l'enthousiasme.

Sa Majesté reprend.

- Si que mon pote Morbleut et moi on a fondé le P. A. F. c'est à cause qu'on veut profiter de l'occasion pour donner notre point de vue sur les problèmes de l'heure...

Il ajoute, facétieux:

- Et même de la Seine-et-Eure !

On rit beaucoup.

Le Gros attaque la deuxième bouteille. La sueur coule sur sa trogne rubescente.

- Bellecombais, Bellecombaises, faut mater l'avenir dans les yeux et pas chercher à se jouer le Beau Vélo de Ravel. Y a des mesures qui s'imposent, comme dirait mon tailleur.

Je vas vous les enamourer les unes après l'autre !

Il tend son pouce.

- Commençons par le commencement: la classe ouvrière.

Applaudissements frénétiques car la formule fait toujours recette.

- Voilà comment que je vois les choses augmentation des salaires de quatre-vingts pour cent...

On hurle. On s'époumone. Il calme. Il continue

- La télévision dans les usines. Y a pas de raison que les pauv' mecs qui se crèvent l'oignon devant une foreuse ou un tour, ratent la rémission d'un match de fote-balle si qu'il a lieu l'après-midi! C'est du kif pour le rugueby, le permis, l'athéisme, le pinge-ponge et consorts. Ensuite, la pause beaujolais deux fois par jour, avec service gratuit et dégustation de crus variés : juliénas, saint-amour, morgon, etc.

On délire.

- Après la classe ouvrière, la classe paysanne! clame-t-il en brandissant son index.

Voilà des zouaves, les nabus, qui se font tartir à longueur d'année sous le soleil ou les intenses-péries pour cultiver du blé ou des patates. D'accord ? Faut que ça finisse. A partir de dorénavant on doit leur distribuer le blé et la pomme de terre gratuitement ! Y

a pas de raison! Et leurs terres, me direz-vous ? Eh bien, leurs terres ils en feront des stades et des piscines vu que ça manque à la jeunesse.

Le Gros attend que l'ouragan acclamatoire se soit apaisé. Son médius boudiné rejoint son pouce et son index.

- Je vais vous causer maintenant des commerçants. Pour eux, c'est bien simple: plus d'impôts ! Le gouvernement nous chambre avec la baisse des prix, et c'est lui qui augmente les impôts, faudrait savoir ! Si je supprimerais l'impôt, les prix baissent, c'est recta! Et si les prix baissent, le commerce marche mieux. Donc on se farcit une époque d'abondance vite fait sur le gaz!

Une fois de plus, les beignes éclatent. Il sourit, heureux de cette liesse qu'il dispense.

- Merci, merci. Je vois à vos rédactions que vous êtes d'accord avec le P. A. F. Et vous avez raison. Le P. A. F. vous apportera le bonheur et la jouissance.

Son annulaire s'élève.

- Quatrièmement, la politique intérieure. Y a des urgences à prendre: donner leur anatomie à la Bretagne, à la Savoie, à l'Alsace. Rattacher tous les Pyrénées qu'ils soient Hauts, Basses ou Orientables à l'Espagne qu'est dans la m... Agrandir la Belgique amie qu'est en plein suif, en lui' offrant la Somme, le Nord, l'Aisne, la Meuse, la Moselle et la Meurthe-etMoselle! (Il lit sur un papier car sa mémoire n'aurait pu retenir ces précisions). Et puis, comme on est pote à tout casser avec les 'Chleux, et que ces pauvres diables sont coupés en deux, leur compenser ça en leur remettant la Lorraine et la Franche-Comté.

- Mais c'est pas tout. Pour éviter les zizanies avec le tunnel sous la Manche ou le pont en dessus, y a qu'à refiler le Pas-de-Calais aux English. Comme ça, l'Angleterre ne sera plus isolée et on cessera de se faire tartir avec le Ferry-Boîte. Une fois ces indispositions prises, on sera vraiment entre Français. Ce sera la belle vie de famille, croyez-moi !

Son auriculaire complète la main.

- Dernier point de mon programme: la politique estérieure : alliance avec tout le monde!

On peut bouffer le caviar en buvant du whisky, non ? Et pourquoi se monter le bourrichon avec les Chinois, je vous le demande ? Vous n'aimez pas le riz vous autres ?

Moi si ! En pilaf, et avec la blanquette de veau bonne femme, c'est royal. Traité de paix avec Monaco, je lésine pas. J'invite Nasser à venir passer ses vacances à Rambouillet pour arranger une fois pour toutes la question du Canal de Suède. Je fais placer un pipe-fine depuis le Sahara jusque dans la propriété de Ben Bella, parce qu'y a pas de raison qu'il engraisse la Shell. J'organise un concours de belote Khrouchtchev-Kennedy à la 42 · votez BÈrurier.txt · 2011-07-24 17:38 · Bruno MOUILLOUD

Brasserie Lippe. J'amène sa Santé Paul VI à Avignon, du coup les jambes et les bras lui en tombent et ça devient Paul-Tronc.

Il rit, on rit. Ça relaxe. Il est superbe, Bérurier. Un visionnaire. Il refait le monde à sa mesure. Il le pétrit comme une boulette de chewing-gum.

- Tout ce que je vous cause, c'est du grosso modo. Y a mieux à faire, je le sais. Et si vous m'élirez, je le ferai! Tout le monde aura sa part. On distribuera le petit verre de calvados dans les écoles maternelles en hiver. Y aura le claque obligatoire pour les collégiens. Les gendarmes (il se tourne vers son adjoint) toucheront double solde à Noël et pour le, 14 juillet.

Morbleut remercie d'une courbette et essuie une larme bienvenue.

- Suppression de la zone bleue ! On fera des routes, des autoroutes, des parkinges et des ponts. Le cinéma sera à l'oeil. Les transports idem. Brèfle, le P. A. F. c'est le salut !

Le P. A. F., Bellecombais, Bellecombaises, c'est tout ce qui reste pour vous raccrocher! Bientôt, il sera sur toutes les lèvres et dans tous les coeurs !

" Vive le P. A. F. ! Vive Bellecombe ! En avant!

il torche la deuxième bouteille dans une apothéose indescriptible.

CHAPITRE XIV

Je me dois d'aller saluer le Vieux. D'abord parce qu'on doit le respect A ses supérieurs, ensuite parce que je tiens à lui montrer que je ne me désintéresse pas de la question Bérurier.

Il est pensif. Il salue très bas M'man, puis il me dit en pressant mollement la superbe main garnie de cinq doigts en ordre de marche que je lui tends

-Il est bien évident, mon cher, que votre Bérurier est révoqué à partir de ce soir!

On a beau s'y attendre, une nouvelle pareille, ça vous cause une secousse, non ? Il me semble que je viens d'encaisser un direct au plexus.

- Ecoutez, monsieur le directeur.,.

Je regarde le visage consterné de Félicie, Je bredouille. Mon Gros, viré de la police !

Non, je ne peux pas l'admettre! Sans Béru, ce métier de chien ne voudrait plus rien dire. Il en est la joie, le sourire et donc un peu l'âme. C'est M'man qui parle.

- Monsieur le directeur, murmure-t-elle d'une voix nette. Vous allez dire que je me mêle de ce qui ne me regarde pas. Mais je pense que M. Bérurier a agi ainsi pour le bien de l'enquête. Si vous le désavouez en le révoquant, les journaux vont s'emparer de la chose, la monter en épingle et la police n'aura rien à y gagner.

Le Big Boss se tourne vers M'man, surpris. Les rares fois où ils se sont rencontrés, Félicie n'a pas moufté. C'est une timide. Elle, sortie de notre pavillon, elle se sent un peu dépassée par la vie. Il faut vraiment qu'elle porte une réelle et profonde sympathie au Mastar pour oser tenir tête à un personnage aussi considérable.

- La police, amère-t-il. Ne trouvez-vous point, chère madame qu'il l'a assez couverte de ridicule, ce soir ?

Félicie secoue la tête.

- M. Bérurier est un homme simple, monsieur le directeur. Sa candidature ressemble justement à une farce. Les rieurs sont donc de son côté. J'ai été frappée au cours de son discours par sa gentillesse et sa cocasserie naturelles. C'est un personnage qui sait se faire aimer parce qu'il possède une grande pureté sous ses dehors... mon Dieu, comment dire... rebutants!

Il est frappé, le Vieux.

- Madame, fait-il, je vous trouve bien indulgente.

Il se racle le gosier.

- Bon, mon cher San-Antonio, faisons donc un marché: vous me livrez le coupable dans les quarante-huit heures et j'oublie ce que j'ai dit à propos de votre vieux complice.

Il s'incline, fait un baise-pognes à M'man qui en rougit de confusion et se fond dans la nuit.

Je vais retrouver Sa Majesté. Epanouïe, qu'elle est! Radieuse et un peu pompette.

- Ça a vachement carburé, Mec! exulte le Gravos.

- Merveilleusement, conviens-je. Poujade n'a jamais fait mieux.

- Je crois que c'est dans le sac, comme on dit à la cour d'Angleterre.

- Qu'est-ce qui est dans le sac, Bébé rouge ?

- Mon érection à la Chambre.

Je bée.

- Ah! parce que tu comptes vraiment être député ?

- C'te c... ! explose La Tarte à la Crème. Non mais tu l'entends, Popaul ? fait-il en se 43 · votez BÈrurier.txt · 2011-07-24 17:38 · Bruno MOUILLOUD

tournant vers Morbleut. Et comment, que je vais être député! Et du train où ça va, mes choses étant ce qu'elles sont, j'arriverai peutêtre au grade de ministre. Dans la politique c'est pas comme dans la police, on prend de l'avancement à cause de sa grande gueule. Moi, je veux pas me vanter, Gars, mais pour ce qui est de l'organe, je l'ai, non ? Le blabla c'est un don, quoi !

- En attendant, coupé-je, prends garde tes plumes, Gros. N'oublie pas que l'assassin est dans l'ombre et te guette!

Il se marre puis, de son index en crochet, me fait signe de le suivre à l'écart. J'obéis.

- Ecoute, San-A,, sttaque-t.il en me soufflant au visage une haleine qui me fait penser à la coopérative vinicole de Juliénas, l'histoire du dingue j'y crois pas. Ma convention intime c'est que ces crimes sont des crimes normaux. D'abord, le dernier c'est pas un crime !

- C'est un ice-cream ? je plaisante, Mgr il fait bon badiner.

- Accident, je te l'ai causé déjà.

- Et les deux premiers ?

- D'accord, c' en sont, comme dirait Dalila, mais c'est pas un fou qui les a commis. Si j'avais cru à ce fou je me serais pas présenté, tu penses bien! J'ai qu'une peau et j'y tiens, mon pote ! T'imagines la Berthe, sans moi? Elle aurait plus personne à cocufier!

Je mets la main sur l'épaule de l'Enflure.

- A ta place j'accorderais une part de prudence à cette éventualité, Gros. Car suppose que tu te trompe !

Mais son siège est fait. Plaise à Dieu que ce fût un bain de siège!

- Si c'est ma santé qui te tourmente, tu peux faire relâche, mon pote: je prends mon huile de foie de morue tous les matins !

Ces choses essentielles étant dites, nous rentrons tous à Saint-Turluru pour le dodo réparateur.

Nous nous levons tôt, le lendemain. Je me sens réconforté sans que je puisse m'expliquer la raison de ce revirement. J'ai l'impression que cette période de marasme va finir.

Mon petit lutin personnel est au beau fixe et c'est lui qui me chuchote des promesses.

Béru chante à pleine voix. Il apparait au tournant de l'escalier,. rasé et chemisé de frais, avec un sourire d'Austerlitz entre les gencives.

Ça me fait plaisir, de voir que nous sommes sur la même longueur d'ondes.

- Tu me parais en pleine bourre, Gros ? fais-je en soufflant sur mon café brûlant.

- J'y suis, avoue-t-il. Ce matin, j'ai z'une conférence de presse au café de l'industrie et du Monument aux Morts réunis. Alors, j'ai repassé les grandes lignes de mon programme dont au sujet duquel j'ai pris la parole hier soir.

Je ne réponds rien. Il m'agace un peu, Béru.

Tandis qu'il prend son petit déjeuner, lard, jambonneau, oeufs au plat, fromage, le tout arrosé d'un kil de rouquin, je vais sortir la voiture. Puis je monte embràsser ma Félicie.

Quand je redescends, le Gravos essuie la lame de son couteau de poche au revers de sa cravate, glisse l'instrument de travail in hie pocket et se lève.

- Faudra que je m'achète un autre bada ce matin, décide-t-il en décrochant son auréole de feutre du portemanteau.

- Oui, encouragé-je, faudra.

Nous prenons place dans ma guinde et, fouette chauffeur! C'est la décarade en direction de Bellecombe.

- C'est ma Gravosse qui va se redresser quand je serai député, rêvasse l'Ignoble. Auprès des voisins, tu juges de l'effet ?

Je ne lui dis pas ce que je pense, primo parce que ça le fâcherait, et deuxio parce que mon attention est accaparée par les dangereuses évolutions d'un gamin qui, juché sur un vélo trop grand pour lui, décrit des embardées dans la côte.

Mon arrivée lui fait perdre les pédales, c'est le cas de le dire! Je me range le plus à droite possible et je stoppe. Mais le danger doit exercer une louche attraction sur l'individu, car le gamin désemparé fonce droit sur ma chignole. Il tente vainement un coup de guidon au dernier moment, accroche mon aile avant gauche et rebondit de côté. Sa roue avant décrit une succession de " 8 ", puis le vélo culbute à cinquante mètres de là.

Le gamin fait un vol plané et atterrit dans une haie de charmille. Le Gravos et moi nous sortons de la tire pour aller l'assister. Un regard suffit à nous rassurer : le garnement n'a que des égratignures. Il pleure pourtant, à cause de l'émotion.

- Si c'est pas z'honteux de rouler sur une vieille bécane sans freins, sermonne Sa Majesté députable. T'aurais pu te tuer, petit!

Il se tait pour sortir un calepin de sa poche. Un carnet tout neuf mais qui ne le demeurera pas longtemps, les poches de Béru n'étant pas le genre d'endroits où les objets 44 · votez BÈrurier.txt · 2

gardent leur virginité. 011-07-24 17:38 · Bruno MOUILLOUD

Il suçote la mine d'un crayon et écrit sur une page blanche des choses mystérieuses.

- Que fais-tu ? m'étonné-je.

- C'est un truc que je vais inclure dans mon programme : faire vérifier les freins des vélos de gosse!

Je console le gamin et lui refile deux laxatifs pour qu'il fasse poser des freins neufs à son tas de ferraille. Du coup, il essuie ses larmes puis il profite de ce que son mouchoir est humide pour étancher le sang qui coule de ses éraflures.

- Ça va aller, petit ?

- Oui, m'sieur, merci.

Nous nous dirigeons vers l'auto. Nous faisons deux pas et le truc imprévisible se produit. Une déflagration déchire le silence de la campagne. Une fumée noire! Des flammes! Ma bagnole vient d'exploser et elle flambe comme dans un film américain.

Je cours vers le brasier. Mais tout est inutile. Embrasement général. Quelqu'un a collé sous mes coussins une grenade incendiaire.

Le futur député est d'un vert de hareng amie. Ses lèvres décolorées frémissent.

-Qu'est-ce que ça veut dire ? bafouille-t-il.

- Ça veut dire que le fou dont tu nies l'existence a essayé de s'offrir ta peau, assuré-

je. Et comme il n'est pas à une existence près, il se payait la mienne par la même occase. Sans l'accident de ce morveux, on y avait chaud, mon pote!

- Tu tu tu tu.." commence le Gros.

- Tu joues au petit train ? ironisé-je.

- Tu..., tu crois _ que c'était moi qu'étais visé

- Je te le parie à mille contre un, Bébé Lune! Tu dois commencer à piger que dans ce patelin, le métier de candidat est de tout repos, De tout repos éternel!

Nous regardons griller ma charrette parmi un cercle' de terreux. On nous questionne.

- C'est de l'auto-allumage, renseigné-je avec la certitude de ne les pas leurrer.

La journée démarre bien. Moi qui étai optimiste !

- T'es assuré tous risques, au moins? grommelle l'Affreux,

- Oui, mon joufflu, Mais toi, tu devrais t'assurer sur la vie.

Il est silencieux, le Béru, Sa philosophie est survoltée vilain. To be or not to be, that is the question !

C'est ce qu'il est en train de se dire...

En français.,. Et à sa façon!

CHAPITRE XV

Je laisse le soin à Bérurier de commenter pour la presse et nos collègues les péripéties de l'attentat auquel la Providence nous a permis d'échapper et je me boucle dans le commissariat en donnant l'ordre aux gardes de ne laisser entrer personne.

- Laplume vous a déjà appelé deux fois ce matin, monsieur le commissaire, me prévient le secrétaire. Il a laissé un numéro où vous pouvez le joindre.

Je demande la communication. La voix empressée de l'inspecteur Laplume ne tarde pas à chatouiller ma trompe d'Eustache.

- Ça y est, m'sieur le commissaire. J'ai déniché l'auteur du coup de fil.

- Pas possible !

- Parole !

Il est radieux. Je dois convenir que s'il a vraiment retrouvé le correspondant du comte Gaétan de Martillet-Fauceau il a réussi un très bel exploit.

- Qui est-ce?

- Une femme. Une certaine Natacha Bannet, d'origine slave. Elle habite dans une pension de famille, boulevard de Port-Royal.

- Que fait-elle dans l'existence ?

- Rien à ma connaissance. C'est une belle fille de vingt-cinq ans, blonde, avec des yeux bleus plein la figure, et des cheveux blond cendré.

- Elle vit seule ?

- Oui.

- Où es-tu, toi ?

- Dans la même pension qu'elle. J'ai pris une chambre qui se trouve à deux portes de la sienne. J'attends vos instructions.

Je gamberge. Laplume nous croit coupés et il rabbine des " Allô ! Allô! " désemparés.

- Calme-toi, fils, je réfléchis. Tu vas essayer de lier connaissance avec elle!

Il manque de chaleur.

- Ça va être coton, m'sieur le commissaire! j'ai pas votre physique de théâtre. Les 45 · votez BÈrurier.txt · 2011-07-24 17:38 · Bruno MOUILLOUD

femmes ne me sautent pas dessus et quand il m'arrive de sauter sur elles, je reçois plus de beignes que d'encouragements.

- Très bien, surveille-la, j'arrive!

Voilà, ça m'a pris d'un coup. D'un seul! Je me suis entendu dire ça sans avoir eu besoin de le décider. A quoi cela correspond-il ? Au besoin d'aller renifler l'air de Paris.

Je note l'adresse de Laplume et je raccroche pour aussitôt, demander le numéro de la baraque Viens-Poupoule.

- Passez-moi Pinaud! dis-je au standardiste, après m'être nommé.

Des sonneries se mettent à rechercher le fossile. Enfin, sa voix enrhumée me parvient : à peine audible tellement il a le nez bouché et les sinus chanstiqués.

- Ah! c'est toi San-A. ? bavoche le débris. Figure-toi que je tiens une crève carabinée.

C'est au point que j'étais en train de me demander si je ne vais pas retourner me coucher...

- Tu retourneras te coucher un autre jour, vieillard, décidé-je. Saute dans une voiture et arrive à Bellecombe-sur-Moulx.

- Hein ? s'étrangle-t-il; mais j'ai 38,2 !

- Ça prouve que ton métabolisme basal fonctionne. Fais ce que je te dis, ça urge et c'est grave.

- Mais que se passe-t-il ? pleurniche le Délabré.

- Il se passe que les jours de Béru sont en danger. J'ai besoin d'un type avisé et fidèle pour assurer sa protection, tu piges ?

- Mais, je...

J'ai raccroché pour couper au récit de sa grippe et à ses doléances.

Il doit continuer de jacter, là-bas, à l'autre bout du fil. Je sais qu'il viendra et qu'il fera son boulot, l'Enrhumé. Chétif, rouscailleur, il a toujours un pied dans la tombe et un autre sur une peau de banane, mais il tient le choc, le père Pinuche.

- On a des nouvelles de Mathieu Mathieu? Demandé-je à la ronde.

- Toujours rien, me répond-on.

Je dïs à messieurs mes auxiliaires de me dégauchir coûte que coûte une photographie du personnage.

- Quand vous en aurez trouvé une, faites-la publier par toute la presse et envoyez un exemplaire aux sommiers.

On me dit d'ac. Je réponds O.K. Je frète une nouvelle tire et je fonce sur Paris, via Saint-Turluru.

Car je compte faire une halte à l'hôtel.

Le Vieux Donjon est en effervescence because le gag de ma tire incendiée. Je décoûvre une Félicie morte d'anxiété que je m'emploie à réconforter.

- Ça n'est pas moi qu'on visait, M'man, mais Béru. Les choses ont l'air de vouloir rigoler ce matin.

- Ah, tu trouves! s'exclame la bonne chérie.

- Mais oui; il faut que 'ça remue, c'est l'apathie qui est négative. Je vais à Paris pour une importante vérification. Toi, je vais te charger d'une enquête.

- Moi! s'étonne ma brave femme de mère.

- Ecoute, M'man. La bombe dans la voiture, on l'a glissée sous la banquette entre le moment où j'ai sorti l'auto du garage et celui où nous y avons pris place. Il ne s'est pas écoulé dix minutes entre ces deux opérations. Essaie de savoir qui rôdait dans le secteur, qui a pu s'en approcher.

- Tu ne penses pas qu'on a pu glisser cette bombe pendant la nuit ?

- Sûrement pas. Qui donc pouvait prévoir notre heure de départ de l'hôtel puisque, en me couchant, je l'ignorais moi-même ? Crois-moi : le truc s'est passé à ce moment-là.

- Pourquoi ne fais-tu pas enquêter par tes inspecteurs ? insiste-t-elle.

Je lui souris.

- Pour une raison bien simple, M'man. Ici, c'est la brousse. Les gens redoutent la police. Plus ils ont la conscience nette plus ils en ont peur. Lorsqu'un flic se met à les questionner ils jouent bouche-cousue. Avec toi, ils seront en confiance et ils parleront. Tu saisis ?

- Je ferai l'impossible, promet Félicie.

Elle a droit pour ces bonnes paroles à la super-grande-bise-filiale de son grand garçon.

Une plombe et demie plus tard me voilà dans la capitale.

Il s'agit d'une pension de famille discrète, un peu bourgeoise, sise au fond d'une cour qui, chose curieuse, me rappelle par son atmosphère celle de l'hôtel particulier du défunt comte. Au bureau, je découvre une digne personne aux cheveux gris bleuté, entièrement vêtue de mauve.

Je demande après M. Laplume et elle me l'appelle au tubophone intérieur. J'attends mon 46 · votez BÈrurier.txt · 2011-07-24 17:38 · Bruno MOUILLOUD

collaborateur dans un salon garni de meubles d'osier qui se plaignent véhémentement lorsqu'on les utilise.

Laplume surgit, en manches de chemise.

-Alors, mon gars? demandé-je, où en es-tu ?

- Au même point, penaude-t-il. J'ai bien essayé de faire des risettes à la dame, mais ça n'a pas rendu!

- Elle est sortie ?

- Non : elle écoute la radio dans sa chambre.

Je me balance un moment sur mon fauteuil, me demandant ce qu'il convient de faire.

Laplume me touche l'épaule d'un doigt furtif.

- La voilà, souffle-t-il.

Je vois passer une gamine dont le moins qu'on puisse dire c'est qu'on devrait l'éloigner des cardiaques. Belle à vous couper le souffle, à vous débrancher l'aorte, à vous mettre la moelle épinière. en serpentin 1 Oh ! cette personne, madoué !

Natacha Bannet, c'est une splendeur ambulante. Je me dresse, comme en état d'hypnose et je lui file le train.

Elle sort sur le boulevard avec le fils unique et préféré, de Félicie sur ses talons aiguilles. Paris sent Paris à ne plus en pouvoir. Il y a de la tendresse dans l'air.

Biscotte l'été la circulation automobile est faiblarde. C'est bon de musarder, avec les yeux braqués sur les mamelons d'une jolie fille. Ces mamelons-là valent ceux de Cavaillon, moi je vous le dis!

Elle descend le Port-Royal jusqu'au boulevard Saint-Michel, puis elle descend le boulevard Saint-Michel jusqu'au Dupont-Latin.

Je pénètre à sa suite dans l'établissement brouhahateux. Il reste quelques étudiants au Latin quarter pendant l'été et ils suffisent àmettre le chantier dans les brasseries du coin. Quelques beaux Noirs accompagnés de belles blondes (c'est dans la nature des choses) et quelques belles brunes avec quelques beaux blonds (les choses étant ce que vous savez) pérorent en des langues multiples et variées. Ma Natacha se carre dans un coin tranquille, derrière l'escalier, et se met àcommander une bouffe discrète, en rapport direct avec les conseils caloriques de " Elle ".

Par chance, je trouve une table à côté de la sienne'. J'ai une faim d'ogre, mais je me garde bien de commander du pantagruélique ça ne ferait pas sérieux. Dans la vie faut jamais perdre le côté psychologique de la question : Il est malséant de claper du bourguignon lorsqu'on veut faire du rentre-dedans à une soeur qui se martyrise l'estom'

avec le pamplemousse-jambon des régimeux. Je me farcis donc la pointure en dessus : crudités-grillade. Elle commande une demi-Evian, moi je me résous à un demi-pression.

C'est neuf, raisonnable, pro-hépatique sinon épatant.

Et le manège commence. La Natacha ne m'aperçoit pas tout de suite et c'est dommage pour elle. S'il est des spectacles qui justifient pleinement l'activité des frères Lissac, c'est bien votre serviteur en train de faire son oeil de velours !

La force de mon regard est telle, mon magnétisme si puissant que la belle souris finit par tourner sa jolie petite tête blonde de mon côté. Pas besoin de lui examiner le fond de l'iris pour comprendre que ça rend. Du coup, je me sens tout à fait bien et je pige ce qui me manquait à Bellecombe. C'était Paris ! Paris, son air capiteux, ses souris, son bruit, son odeur. Les vacances lénifiantes à SaintTurluru m'avaient sclérosé. Ici, je retrouve mon tonus, ma vérité, - mon allant. Je suis pareil à ces fleurs japonaises en papier qu'on jette dans un verre d'eau qu'elles finissent par emplir en un rien de temps. Je suis recroquevillé, comme un foie atteint de cirrhose, jetez-moi dans Paname et le miracle s'opère. Et comme ce matin il y a dans cet air de Pantruche une sorte d'espèce d'harmonie pré-établie, un marchand de billets de loterie radine. C'est le genre rat galeux avec des pellicules sur ses épaules. Il va de table en table. Ça ne carbure pas fort. Il fonce alors à celle

de Natacha et se met à lui brader son bazar à tout va. Natacha refuse. Elle voudrait bien que le type lui foute la paix. Mais il s'accroche, opérant à l'insistance. Une belle fille esseulée, c'est la proie idéale. Il se fait insinuant. Il va jusqu'à lui déposer d'autor un billet devant son assiette. Alors, le chevalier Bavard, celui qui remplace le beurre et la cantharide, se lève et fonce sur l'importun.

- Puisque mademoiselle vous dit qu'elle ne veut pas de billets! lui débité-je d'une voix impressionnante.

Il me regarde, bat de ses cils farineux et ronchonne.

- De quoi je me mêle!

Je lui cloque mille balles et je prends trois biffons sur sa planche à billets.

- Déguerpis!

Du coup il s'abstient de renauder et sort en essayant de récupérer sa dignité.

47 · votez BÈrurier.txt · 2011-07-24 17:3

- Merci, me virgule' la douce enfant. 8 · Bruno MOUILLOUD

Je lui souris et j'agite les trois billets devant elle.

- Voulez-vous parier que j'ai attrapé les numéros gagnants ?

- C'est bien possible!

- C'est toujours comme ça que la fortune arrive, il suffit de lire " Ici Paris " pour s'en convaincre. Si je gagne, on partage, d'accord?

Et voilà : c'est parti comme en 14, les gars!

Quatre minutes plus tard, nous buvons le café de conserve (c'est du Nescafé), et un quart d'heure après nous déambulons sur le Saint-Michel. Cette gosse, elle est belle et elle sent bon. Sa tiédeur ressemble à celle du printemps. Mince, voilà que je deviens lyrique!

faudra que je prenne un dépuratif!

Elle me dit qu'elle se prénomme Natacha, ce qui me surprend beaucoup. Elle est la fille d'un ancien diplomate russe, le duc Igor Bannetchkov mort récemment. Elle vit chichement de petites rentes et écrit un livre sur les conséquences de l'art moldovalaque dans l'emballage moderne.

- Beaucoup d'amis ? je demande.

- Non.

Elle a une petite pointe d'accent hérité de son papa. C'est délicieux, je vais le lui chercher jusqu'entre les dents, tellement il est doux. Elle se laisse faire. On -frète un bahut et on se fait conduire au bois de Boulogne. Les petits oiseaux et les sadiques s'ébattent à travers les fourrés. On trouve un coin àpeu près isolé (il n'y a que quarante-huit " voyeurs " embusqués pour nous mater) et c'est la roucoulade maison, avec affrontement de muqueuses et solo de jarretelles à quatre doigts.

Je la confidence, cette greluche. A-t-elle des amants ? Ce ne serait pas surprenant, vu son âge et son conditionnement physique. Elle répond qu'elle est libre pour l'instant, me révèle que je la chope juste après une rupture... Ça m'intéresse ; du coup je dresse également l'oreille.

- Comment un homme peut-il vous laisser ! m'insurgé-je. C'est proprement inimaginable !

- Il ne m'a pas laissée, c'est moi!

- Tout s'explique. n'allez pas me dire qu'il vous trompait, surtout; je ne saurais ni l'admettre ni le tolérer.

Elle devient grave, sa mâchoire se durcit, son regard se fixe.

- Non, c'est beaucoup plus grave.

- Par exemple! Racontez-moi tout, mon cher amour...

Les quarante-huit voyeurs sont maintenant cent douze à nous cerner, tels des Japs dans la brousse cingalaise pendant the last war. Ils retiennent leur respiration, espérant assister à une partie de chmitzblik-fouignouzé.

La gosse ne s'aperçoit de rien.

- J'ai appris que cet homme était communiste! fait-elle.

- Pardon ?

- Oui, vous avez parfaitement entendu, reprend-elle avec vivacité. Communiste. Je l'ignorais. Il portait beau, il était noble. Un comte, j'avais confiance, non ? Mais, hélas ! tout se perd. Vous imaginez ce drame shakespearien ? Moi, la fille du grand duc Bannetchkov, exilé en France, ruiné par les soviets, être la maîtresse d'un communiste!

J'ai cru que j'allais le tuer.

- Racontez-moi un peu ça, c'est passionnant. Je comprends votre calvaire, ma belle amie.

Et je partage votre juste courroux.

Elle capture une bête à Bon Dieu qui se fourvoyait sur la couture de son bas. Lui donne un baiser et lui rend sa liberté.

- Je l'avais connu à Paris. Pendant deux ans je l'ai aimé et j'étais sienne.

La formule surannée et exquise me fait gazouiller le trémolux internus.

Qu'en plein vingtième siècle une bergère vienne vous bonnir à propos d'un zig quelle est

" sienne ", y a de quoi se la ~ faire décaper à la lampe à souder et se la faire badigeonner au minium, non ?

- Touchant, éructé-je, infiniment touchant ! Votre vie est un roman! Comme c'est beau, comme c'est grand, comme cèst généreux ! .

Les sadiques du Bois opèrent une progression de vingt centimètres dans notre direction.

Elle continue.

- Il y a dix jours, mon ami m'a adressé une affiche électorale. Il y avait sa photographie sous la faucille et le marteau. Comment ne suis-je pas morte à cet instant ?

je me le demanderai toute ma vie. Ah ! l'organisme est plus résistant qu'on ne croit !

- Certes, conviens-je. Qu'avez-vous fait?

- J'ai rompu.

- Au téléphone ?

48 · votez BÈrurier.txt · 2011-07-24 17:38 · Bruno MOUILLOUD

- Oui.- Il ne méritait même pas une lettre d'adieu. Je lui ai dit que je lui interdisais de me revoir, que je n'avais pour lui que haine et mépris

- Une tranche de vie, susurré-je. Du Bernstein mâtiné de Georges Ohnet !

- N'est-ce pas:

Vite Une larme extrêmement belle perle à ses cils. Elle agite ses ramasse-miettes. La larme tombe dans l'herbe, goutte de rosée prématurée ! (Oh la la, il va falloir que je prenne de l'aspirine, ça ne tourne pas rond).

- Et comment cette espèce de comte a-t-il réagi ?

- Le désespoir! Il me suppliait au téléphone ! Il jurait que si je rompais il se suicidait.

: Il a ouvert un tiroir et m'a dit qu'il saisissait un revolver.

J'ai la respiration qui se prend les jambes dans la cordelière de ma stupeur.

- Ensuite, ma tendre beauté ?

J'ai raccroché! J'ai horreur de ces scènes déprimantes.

- Il s'est suicidé ? croassé-je.

Elle hausse les épaules.

- Pensez-vous, les hommes sont bien trop lâches !

Je fais un louable effort pour retrouver mon rythme respiratoire.

- Dites-moi, merveilleuse Natacha, enchantement des yeux, exaltation du coeur, vous qui humiliez les roses et faites pâlir le matin, vous arrive-t-il de lire les journaux ?

-Bien sûr, fait-elle : je lis " Art ", " Cancan

" et " Minute ".

- Je veux parler des quotidiens!

-Non, s'insurge la belle blonde. Sûrement pas. Je hais cette presse à scandale qui nous fait tant de mal!

- Et le coup de téléphone dont vous parlez, vous l'avez passé un matin de la semaine dernière ? Le mardi, très exactement ?

Ses yeux s'exorbitent. Sa bouche bée. Sa poitrine se soulève. Ses sourcils s'arquent.

- Oui, comment le savez-vous... ?

- J'ai oublié de vous signaler que j'avais des dons de visionnaire.

- A ce point, c'est stupéfiant!

Elle se renverse sur la pelouse et regarde le ciel bleu où des nuages légers font la brise buissonnière.

- En effet, c'est bien mardi de la semaine passée. Vous êtes un être fantastique, balbutie-t-elle en passant sa langue mutine sur ses lèvres charnues. Je lui refile the big galoche.

La cohorte de mateurs pousse un soupir et se rapproche.

- Je n'ai qu'un défaut, fais-je. Je suis chef de cellule dans mon quartier!

Elle s'ébroue, se lève, me gifle et s'enfuit.

Je la laisse faire. Je n'ai plus rien à lui dire et je sais où la retrouver. Les sadiques, désorientés, se dispersent dans la nature.

CHAPITRE XVI

Je me rabats sur le burlingue. Chaque fois que je reste une quinzaine sans y venir, je suis, en arrivant, surpris par son odeur bizarre. Ça renifle l'administration. Le vieux bois, le vieux drap, le vieux papier. Tous les vieux papelards, notez bien, n'ont pas la même odeur. Cela tient moins à la qualité du papier qu'au texte qu'on y a imprimé.

Ainsi à papier égal, un paquet de vieux faire-part n'a pas la même odeur qu'un même paquet de convocations. Comprenne qui peut! Le registre d'archives ne sent pas comme le registre d'épicier.

Je distribue des saluts et des bons mots.

Puis je grimpe aux sommiers, Le préposé me dit qu'il vient justement de recevoir à l'instant par une estafette la photo d'un quidam, celle d'un certain Mathieu Mathieu. Je cramponne l'image. Elle représente un groupe de pêcheurs à la ligne photographiés devant une guirlande de truites. A l'arrière-plan, on distingue un visage chafouin. Quelqu'un des services bellecombais l'a serti d'un trait de crayon gras.

- On peut agrandir cette gueule, fais-je. Il faudrait la grimper au labo.

Mais le père Cataplasme, le roi des sommiers, surnommé Simmons à cause de ce titre, secoue son crâne d'oeuf qui ressemble à un suppositoire monté sur roulement à billes.

- Pas la peine, avec une loupe on va s'arranger.

Il prend l'instrument d'optique annoncé et se livre à un examen minutieux. Ce type-là, croyez-moi (et si vous ne me croyez pas allez vous faire badigeonner le grand zygomatique au mercurochrome) ce type-là répété-je, car vous n'avez pas de mémoire, a un cerveau qui 49 · votez BÈrurier.txt · 2011-07-24 17:38 · Bruno MOUILLOUD

ridiculiserait les machines électroniques de chez I.B.M.

- Je reconnais le monsieur, murmure-t-il par-dessous sa moustache de vieux rat.

- Pas possible. Vous connaissez Mathieu Mathieu ?

- C'est pas son nom... Le prénom, oui... Mathieu, justement. Mathieu Mathias, ça y est!

Et je peux même vous dire qu'il est recherché par la police... Quoique non, maintenant il y a prescription... Attendez, nous allons voir ça... Il me semble qu'il avait tué sa femme alors qu'il se trouvait en état d'ivresse...

Il compulse son fourbi à la lettre " M ". Ses doigts menus feuillettent des fiches à une allure de rotative en folie.

- Nous disons, Mathias... MA... THI... AS ! Ça y est !

Il cramponne un rectangle de bristol auquel est épinglée une photographie. Pas d'erreur, avec dix ou douze années de moins sur les côtelettes, c'est bien le même bonhomme que sur la photographie des pêcheurs réunis.

Il lit : Mathias Mathieu, né le 18 janvier 1905 à Bézezy-le-Fignedé (Seine-et-Eure), domicilié impasse du Professeur Grodu, à Asnières. Marié à Le Gougnafié Solange. Tourneur sur jugulaires. A tué sa femme le 23 avril 1953 au cours d'une crise d'éthylisme. A disparu. Recherché par le parquet de la Seine.

Je rends le carton au père Cataplasme.

- Merci. C'est tout ce que je voulais savoir.

Eh bien, on dirait que les choses ont l'air de se précipiter, non ?

Ragaillardi, je grimpe chez le Vieux.

Les mains au dos, le front plissé, la rosette éclatante et l'oeil troublé, le Boss arpente la moquette de son burlingue.

- A votre avis, mon bon ami (car je suis en train de redevenir son bon ami). A votre avis, répète-t-il (car il sait que vous avez la mémoire qui roule sur la jante) ce serait donc le jardinier qui aurait tué le comte de Martillet-Fauceau ?

Je branle le chef.

- Pas forcément, monsieur le directeur...

Il fronce les sourcils.

- Comment, pas forcément ?

- J'ai l'impression que le comte s'est suicidé. Ecoutez, je vais vous donner ma version des événements. Gaétan de Martillet-Fauceau reçoit un coup de fil délirant de cette folle Natacha qui lui signifie que tout est terminé entre eux. Il la supplie. Elle est intransigeante. Il est comte avant tout. Son esprit descendant de Croisé reprend le dessus. Il menâce de se suicider. Elle rit et lui raccroche au nez. Alors, il se tire...

- Trois balles dans le coeur! plaisante le Boss.

- Parfaitement. N'oubliez pas qu'il était penché au-dessus de la table supportant le téléphone. Pour tourner l'arme contre sa poitrine il a dû prendre appui avec le bras sur ladite table. Son doigt s'est crispé... Les trois balles sont parties... Il est tombé...

- Mais il...

- Je sais, interrompé-je : il tenait le combiné de sa main droite et il n'était pas gaucher. Mais à mon avis, c'est là que Mathieu Mathias est intervenu. Alerté par les détonations le jardinier est entré. Personne n'apparaissant, il s'est livré à une mise en scène pour une raison que j'ignore encore mais qu'il nous expliquera, j'espère, si on lui remet la main dessus.

- C'est insensé! s'écrie le Tondu. En général, ce sont les crimes qu'on essaie de camoufler en suicide, et non pas les suicides qu'on travestit en meurtre!

- En général, c'est vrai, monsieur le directeur; mais il est des exceptions pour confirmer la règle. Je sens que Mathieu est l'une de ces exceptions.

- Soit, après-?

- Après, il a repris son travail et a attendu. Le valet de chambre a donné l'alarme et Mathieu est allé quérir le docteur.

Le Boss est de plus en plus sceptique. Il se renfrogne et son nez pompe un air qui lui reste sur les éponges.

- Pourquoi a-t-il disparu ?

Je me marre.

- Ça y est, j'ai trouvé. Voilà ce qui s'est passé, patron. Mathieu fait le jardin. Trois détonations éclatent. Il entre, voit son patron mort et comprend qu'il s'est suicidé.

Dans le tiroir où le comte rangeait son revolver il y a quelque chose qui excite la convoitise de Mathieu : de l'argent! Il l'empoche. Mais il craint d'éveiller les soupçons en donnant l'alarme. Alors il veut faire croire au vol. Il colle l'appareil téléphonique dans la main du comte. Puis il emporte le fric, le cache dans sa gamelle et enterre celle-ci dans les rosiers. La suite, nous la connaissons : il va chez le docteur, il répond aux questions des enquèteurs, etc. Le lendemain, il revient déterrer sa gamelle, 50 · votez BÈrurier.tx

puis il disparaît. t · 2011-07-24 17:38 · Bruno MOUILLOUD

-Après avoir tué son chien

- Oui. N'oubliez pas que Mathieu est un ivrogne. Une brute qui a jadis trucidé son épouse. Son chien voulait le suivre. C'était trop risqué. Alors, il a éventré la pauvre bête d'un coup de fourche et il est parti. Sans doute est-il allé s'installer dans un quelconque village, comme il le fit il y a plus de dix ans: Peut-être, plaisanté-je, se fait-il appeler Mathias Mathias maintenant ? Nous le retrouverons, patron. Et vous verrez que j'ai vu juste.

Le Vieux sourit.

- Après tout, c'est possible. Ma conviction à moi est qu'il a assassiné le comte.

Il fait claquer ses doigts.

- Mais dites donc, j'y pense, et les autres candidats ?

- Ça n'a rien à voir avec Mathieu, monsieur le directeur. D'ailleurs le troisième est mort accidentellement.

Il hausse les épaules.

- Et le second s'est tranché la gorge en se rasant?

- Non. D'après moi, seul le deuxième meurtre est vraiment un meurtre.

Le Boss hausse les épaules.

- Un suicide, un meurtre, un accident? C'est bien ça ?

-Exactement, patron.

-Vous aurez du mal à faire accepter ça aux journalistes!

- J'aurai des preuves!

- Dieu vous entende. Mais il me semble que vous oubliez un détail important.

- Lequel ?

Il s'assied à son bureau et caresse du bout des doigts les dorures de son sous-main de cuir repoussé.

-L'attentat dont vous fûtes victimes ce matin, Bérurier et vous!

Je fais la grimace. C'est pourtant vrai. Je n'y pensais plus. Ma parole, il va me flanquer le cafard, ce vieux bonze. Je préfère m'en aller.

CHAPITRE XVII

Je vérifie l'alibi du gendre de feu Lendoffé avant de reprendre la route de Bellecombe.

De ce côté-ci, pas de problème : inscrivez pas de chance et effacez le tableau. Le bambocheur . a bel et bien passé l'autre nuit à Pantruche, en galante compagnie comme il m'en a fait l'aveu.

Deux heures plus tard, je débouche sur la place de la mairie de Bellecombe. Elle est noire de monde. Pas la mairie, la place.

Juché sur un tonneau, Diogène triomphant, coiffé d'un canotier chevaleresque et flanqué de Morbleut et d'un Pinuche plus cachenézé que jamais, Béru prononce une allocution qui soulève les foules.

- Ce matin z'encore, l'assassin a essayé de m'avoir. Mais, je vous l'ai annoncé, pas plus tard qu'hier soir, Bérurier, on ne se le fait pas si vite! Me revoilà plus que jamais, mes amis. Et moi, Béru, je vous l'annonce. Quand c'est que je serai votre député, jamais les affaires seront allées aussi mieux et jamais Bellecombe sera été si bellecombais !

On le porte en triomphe, Pinuche rit à travers son rhume.

Je fends là populace pour arriver jusqu'à lui.

- Il n'y a pas eu de bobo, pendant mon absence, Vieillard ?

- Penses-tu! proteste Pinaud. C'est fou ce qu'il est aimé, notre Gros!

Il renifle à plusieurs reprises et dit en toussotant dans le creux de sa main.

- Par exemple, je me demande pourquoi il s'est adjoint un adjoint pareil! Il n'avait qu'à me faire signe, je lui aurais volontiers rendu ce service!

Morbleut qui a l'oreille fine pour un ancien gendarme devient écarlate.

- Vous, le poisson-chat, fait-il au débris, je vous abstiens de ce genre de réflexions.

Je suis l'ami intime d'Alexandre et...

- L'ami intime d'Alexandre, c'est moi, certifie le brave et doux Pinuche. Demandez plutôt au commissaire San-Antonio.

- Vous faites erreur l'un et l'autre, riposté-je ; de tous temps, Bérurier n'a eu qu'un ami : moi.

Je les laisse en pleine angoisse pour rabatsur le commissariat.

- Qui a-t-on tué, aujourd'hui ? demandé-je à la cantonade. (Ce qui m'est d'autant plus facile que Bellecombe est chef-lieu de canton).

Les inspecteurs présents haussent les épaules.

-Personne encore. A propos, monsieur le commissaire, on vous a déniché une photographie 51 · votez BÈrurier.txt · 2011-07-24 17:38 · Bruno MOUILLOUD

de Mathieu Mathieu. Pas très fameuse ; ça n'était d'ailleurs pas, lui qu'on photographiait, mais...

- Je suis au courant, merci, tranché-je. Mathieu Mathieu s'appelle en réalité Mathieu Mathias, et il a assassiné sa femme voilà dix ans. Messieurs, vous allez drainer toute la Normandie, c'est le pays qui lui a donné le jour et je crois pouvoirvous dire qu'il s'y tient. Il a dû se réfugier dans un petit bled quelconque. A mon avis, vous le retrouverez sans trop de mal!

Il y a du-remue-ménage dans la basse-cour. Ces messieurs enfilent leurs vestons.

- Celui qui mettra la main dessus aura sa photo dans la presse, assuré-je.

Il faut toujours stimuler les hommes. On dirait un lâcher de pigeons! Me voici seul dans le commissariat. Le soleil retrouvé entre à flots à travers les barreaux. Il s'en fout des barreaux, le soleil. Je me prends la tête dans les mains. Je suis bien, je ne pense pas, ou' à peine... J'évoque la môme Natacha, si belle et si dingue... Un beau morceau.

Faudra que j'aille lui rendre visite pour lui dire que je lui ai menti. Pour lui raconter l'histoire navrante de son comte, aussi. Si, comme j'en suis convaincu, Gaétan s'est suicidé, son sacrifice ne doit pas être inutile.

La porte s'ouvre sur un Martinet fringué façon mylord, et plus radieux qu'un projecteur de D.C.A. Il porte un complet de couleur gris clair, une chemise pervenche et une cravate jaune canari. (Elle serait même jaune serin, seulement je ne veux pas le vexer.) Il brandit une enveloppe qu'il agite sous mes yeux.

- Elle a répondu, monsieur le commissaire!

Ça me fait du bien partout, plus où je n'osé pas vous dire !

Je sors un morceau de papier sur lequel est écrite cette phrase sibylline

-Je vais à l'église Sainte-génuflexion tous les soirs à sept heures.

C'est une invitation déguisée à ouvrir les négociations.

- Voilà qui est parfait, mon garçon, dis-je au Martinet déguisé en canari.

- Quelle va être la suite des opérations ? s'informe le bathouze.

- Naturellement, tu vas y aller. Et tu lui demanderas seulement combien elle paierait une preuve...

- Une preuve de quoi ? demande cet insatiable.

-Ne précise pas, car le terrain est glissant. Si elle te pose la question dis-lui que tu préfères ne pas répondre.

C'est une question de psychologie; j'espère que tu n'en manques pas. Tu dois essayer d'apprendre quelque chose que tu ignores en faisant croire à la dame que tu ne l'ignores pas. That is the rule of the game, you sée ?

Il doit parler couramment le japonais, car il opine.

Je mate ma tocante. Elle raconte cinq heures vingt-cinq comme une grande.

- Il te reste trente-cinq broquilles pour mettre tes lunettes noires et aller là-bas.

Rendez-vous ici dès que tu auras largué la dame; mes voeux t'escortent.

Il fonce. Y a de la langueur dans l'air. J'aimerais bien me charger moi-même de cette petite veuve; malheureusement, elle me connaît. J'ai l'impression que je saurais lui tirer les vers du nez. C'est bête d'opérer, avec elle par canari interposé. Ça ressemble aux manipulations atomiques. Votre main fait les gestes, mais ce sont des pinces et des rouages qui les accomplissent.

Le trio de l'élite - Béru, Pinaud, Morbleut - fait une entrée fracassante dans le commissariat. Dehors, la foule gronde.

- Qu'est-ce qui vous arrive, les pieds-nickelés ? m'inquiété-je.

Le Gros hausse les épaules avec importance.

- La popularité, ça ne s'explique pas, fait-il.

Effectivement, dehors, les masses scandent sur l'air des lampions

- Bérurier, au balcon! Bérurier, au balcon!

- Ils veulent sans arrêt que je leur cause, explique-t-il. Ils aiment les paroles, y a pas!

Déjà tribun, il encadre sa personne abondante dans l'ouverture de la croisée. C'est un seul cri, un " Ah! " pareil à quelque monstrueux orgasme. La foule en érection se libère à la vue du Gros. Elle se donne à ce tendre goret si courageux.

Les bras levés, le bitos en auréole, Sa Majesté balance quelques mots gentils.

- Y a pas de problèmes, mes gars! Hurle-t-il de sa, voix de stentor... Ça nage dans le beurre ! Et puisque vous êtes là, tous en choeur, on va chanter les Trois Orfèvres, histoire de se dérouiller le larynx.

La foule, galvanisée, entonne cet hymne glorieux. Après quoi, elle consent à se disperser. Béru essuie son front ruisselant.

- Y a pas, murmure-t-il. La politique, c'est épuisant. Faut toujours parler, chanter, serrer des paluches et faire la bise aux petits enfants. T't'à l'heure, on s'est arrêté 52 · votez BÈrurier.txt · 2011-07-24 17:38 · Bruno MOUILLOUD

devant la mairie d'où ce que sortait une noce. Je m'ai fait la mariée, le marié, les grands-parents, la belledoche et le cousin sous-officier qui jouait les garçons d'honneur. On est obligé de tapiner, quoi.

je leur ai plu, aux Belle-doches.

- Et pas de nouveaux attentats ?

- Tu rigoles!

-Pourtant ce matin ... .

Le Gravos se penche sur mon bureau.

- J'ai bien réfléchi, gars. Pourquoi ce serait été pour-moi, la bombe ? Après tout, c'est dans ta chignole qu'on l'a carrée. C'est peutêtre toi, qu'on visait, Ça impressionne, ce genre de remarque.

Il a peut-être raison après tout !.

Qui sait ?

Deux plombes plus tard, alors que le soir descend doucement sur Bellecombe, Martinet revient. Il a la bouche fleurie d'un beau sourire pour réclame laxative.

- ça carbure, mon petit ? le questionné-je.

Il cligne de l'oeil polissonnement. Le triomphe le rend audacieux.

- A fond, monsieur le commissaire.

- Raconte!

Petit raclement de gosier. . Il commence.

- La dame était dans l'église, près d'un confessionnal. Je l'ai abordée en allant m'agenouiller sur un prie-Dieu à ses côtés. Elle m'a alors demandé de but en blanc ce que je lui voulais.

- Et après, mon enfant ? Dites-moi tout, ne me cachez rien,. ricané-je.

- Je lui ai sorti ce que vous m'avez dit de lui dire. Elle m'a écouté sans broncher.

Puis elle a murmuré, sans paraître tellement- s'émouvoir : " Qu'entendez-vous par preuves? " " C'est une surprise ", ai-je répondu.

J'acquiesce.

- Très bien, Martinet. Un garçon aussi intelligent que moi n'aurait pas fait mieux.

Il se rengorge et poursuit

- Elle m'a demandé ce que je voulais. " Le plus possible ", ai-je répondu.

Il n'est `pas bête, cet inspecteur, vous en conviendrez. Il a l'art et la manière de contourner l'obstacle qui me bottent. Il fera son chemin si les petits copains ne le mangent pas en route.

- Mais encore ? " a-t-elle insisté.

" Combien pouvez-vous m'offrir ? ai-je dit d'une voix tout ce qu'il y a de méchante. Elle a répondu qu'elle allait réfléchir et m'a demandé où elle pouvait me joindre... J'ai ré-

pondu qu'elle n'avait qu'à me flanquer un télégramme poste restante. J'ai ajouté que si demain à midi ,je n'avais pas de nouvelles elle le regretterait toute sa vie et qu'elle devait songer à ses enfants.

- Merveilleux ! approuvé-je; ça fait toujours bien dans ce genre de conversation, c'est comme une citation de Britannicus! Et après, mon enfant ?

- Elle a promis et..:

Il se tait car le bigophone appelle au secours. Je décroche. On me demande si je suis moi, ce que je ne songe pas à nier un seul instant.

- Ici Mme Monféal, fait une voix de femme.

J'avale ma salive avec peine.

- Oh! parfaitement, chère madame... Qu'est-ce qui me vaut le plaisir de vous entendre ?

- Je suis aux prises avec un individu tout ce qu'il y a de douteux qui essaie d'exercer sur moi un chantage monstrueux...

- Allons donc, expiré-je, déçu jusqu'à la ligne de flottaison.

Le gars Martinet qui ne se gaffe de rien se fait les ongles avec désinvolture et une lime à ongles. Il est agacé par l'interruption car il a hâte de poursuivre son récit.

- Si, murmure la veuve; ce voyou m'a glissé un mot dans la main le jour de l'enterrement, au cimetière, vous jugez de son audace!

- En effet! Pourquoi ne m'avez-vous pas prévenu ?

- Je me' demandais ce qu'il voulait. Je...

Je pensais qu'il savait peut-être des choses importantes à propos de l'assassinat de mon mari et qu'en vous prévenant prématurément je risquais de le mettre en fuite...

Il me dit qu'il a une preuve. Une preuve de quoi, je n'ai pas pu le lui faire préciser...

Vous croyez que c'est le fou, monsieur le commissaire ?

- Ça n'est pas exclu, lamenté-je. Non, ça n'est pas exclu.

- Son nom est Martinet. Ce doit être son véritable patronyme puisque le courrier lui parvient poste restante...

53 · votez BÈrurier.txt · 2011-07-24 17:38 · Bruno MOUILLOUD

- Je vais m'en occuper tout de suite. Mes hommages, madame.

Je raccroche.

- Bon, dit le beau Martinet qui fait le printemps (ou du moins le rayon hommes des Galeries), où en étions-nous ?

- Je ne m'en souviens plus, balbutie le valeureux San-Antonio, l'homme qui remplace la table de multiplication et la poudre à éternuer; non je ne sais plus où nous en ETIONS, mais par contre, je peux te dire où nous en SOMMES ! A zéro, mon pote! C'est la mère Monféal qui vient de me raconter votre conversation. Nous nous sommes réjouis trop vite, faut l'admettre.

Il en bave des ronds de chapeau bordés de velours, le pauvre biquet! Lui qui se prenait déjà pour le commissaire Maigret amélioré Sherlock, il doit déchanter.

- Ça ne fait rien, le consolé-je, dans notre métier c'est ainsi : il faut donner beaucoup de gnons à tort et à travers avant de toucher l'adversaire.

CHAPITRE XVIII

Une qui est heureuse de voir rappliquer le ravissant San-A. c'est Félïcie, sa brave femme de mère!

- Mon grand! exulte-t-elle, j'étais inquiète.

- Quelle idée, M'man...

- Je ne sais pas... Comme ça.

- Tu as du nouveau ?

Elle redevient grave.

- Je n'ose pas, fait-elle.

- Tu n'oses pas quoi ?

- Te dire les résultats de mes recherches.

Je l'ai jamais vue comme ça, M'man, Si elle se met à prendre des airs Deuxième Burlingue c'est la fin de tout. D'habitude elle n'est pas chichiteuse.

- Pourquoi ?

- Parce que j'ai peur de me tromper, Antoine.

Ce qui implique qu'elle a découvert quelque chose.

- Vas-y toujours. Tout ce que tu dis ne sera pas retenu contre toi, on n'est pas aux States.

- Eh bien, voilà... Quand tu as été parti, j'ai réfléchi Je me suis dit que notre hôtel est sur le chemin de l'église et que l'affaire de la voiture s'est produite avant l'heure de la messe.

- Je ne pige pas.

- Je suis allée bavarder avec les enfants de choeur, comprends-tu ?

Je fais claquer mes doigts et je donne une bisouille enthousiaste à Félicie.

- Géniale. Je sais maintenant de qui je tiens ces dons exceptionnels qui m'ont valu un tel renom.

- Sois modeste, Antoine, recommande-t-elle doucement en s'efforçant de ne pas rire. Donc, j'ai vu les deux enfants de choeur, je les ai questionnés, et l'un d'eux m'a dit qu'il avait vu quelqu'un refermer la portière de ta voiture...

- Mais c'est merveilleux! qui ?

- Jeanot!

- Quel Jeanot, qui est Jeanot ?

- Le plongeur de notre hôtel.

Elle me saisit l'avant-bras et le pétrit.

- Mais je crains qu'il n'ait menti; peut-on se fier au témoignage d'un gamin ? C'est si grave, comprends-tu ?

- T'inquiètes pas, Mman, j'ai du doigté.

Et c'est vrai, les gars, je connais au moins douze mille dames qui vous le confirmeront.

M'man demeure inquiète. Elle est si bonne, Félicie, qu'elle a peur pour le susdénommé Jeanot.

- Et puis, reprend-elle, Jeanot,, a peut-être regardé ta voiture sans rien y faire de mal...

- Mais oui, ne te tourmente pas, je saurai l'interviewer en souplesse.

Nouvelle bise sédative sur le front de ma bonne vieille. Puis je vais draguer du côté de la cuistance. Le taulier est dans tous ses états. Il prépare du veau à la crème pour changer. Avec émincé de champignons de Paris cultivés à Fouilly-les-Truffes. Son assistant qui lui sert de gâte-sauces (il les gâte vraiment), de plongeur, de chauffeur (c'est lui qui va chercher le charbon du piano à la cave) et de souffre-douleurs, est à 54 · votez BÈrurier.txt · 2011-07-24 17:38 · Bruno MOUILL

ses côtés, qui touille avec promptitude une béchamel. OUD

Je le bigle droit dans les cocards et je constate que ses yeux se dérobent comme une strip-teaseuse. " Tiens, tiens! " me dis-je en aparté, car je parle couramment cette langue!

Le taulier s'efforce d'afficher une bonne humeur qu'il est loin d'éprouver.

- Besoin de quèque chose, m'sieur le commissaire ?

-Oui, je voulais vous demander de me prêter Jeanot dix minutes. J'ai un truc lourd à charger et il me faut un coup de main.

Le patron du Vieux Donjon réprime une grimace.

- Ça urge ?

- Ça urge, rétorqué-je paisiblement.

- Bon, fait alors le braiseur de fils de vaches, laisse ta béchamel, Jeanot, et dégrouilletoi!

Me voilà donc parti, avec sur les talons, un Jeanot qui en mène moins large qu'un filet de sole.

J'ai idée que l'enquête astucieuse de ma brave femme de mère ne va pas tarder àporter ses fruits.

- Où on va ? coasse le Jeanot (il croasserait bien, mais il n'a pas la force de rouler les " r ").

C'est un garçon costaud, d'une vingt-troizaine d'années, avec un front mince comme un ruban de machine à écrire, des yeux éteints et une grosse bouche saliveuse. M'est avis que toute sa vie il sera plongeur. Et encore, pas dans les services du commandant Cousteau, moi je vous le dis!

- Dans ma chambre, réponds-je brièvement.

Nous y grimpons. Lorsque je le fais entrer il cherche d'instinct une malle ou un objet lourd qui viendrait à l'appui du prétexte que j'ai pris pour le réquisitionner. Mais nibe de nibe !

Je referme ma lourde, je donne un tour de clé et, je me mets à jouer avec. Ça lui file le masque, à ce pauvre gars. J'utilise la clé comme le canon d'un revolver et l'appuie sur sa large poitrine de laveur de vaisselle. Il recule. Je le refoule impitoyablement jusqu'au fauteuil Voltaire et l'oblige à s'y asseoir.

- Tu as quel âge, mon petit Jeanot ? attaqué-je suavement.

- Vingt-quatre, bafouille-t-il.

- Donc, t'es majeur et vacciné. Un truc comme celui de ce matin ça va chercher dans les cinq ans de taule. A moins que tu aies déjà subi des condamnations?

Il a la salive en plâtre de Paris. Il peut plus l'avaler : elle lui reste collée au plafond.

- Mais, je...

- TU?

Il est hagard (d'Austerlitz) et son tiroir du bas est pris d'un léger tremblement.

- Eh bien, vas-y! tu allais dire quelque chose...

- Non, je...

J'ai pitié. Jeanot, il est pas crétin, mais son intellect s'est moins développé que ses biceps.

- Le petit machin-chose que tu as collé ce matin sous la banquette de ma charrette, qui te l'avait donné ?

Les cloches de Bâle et les cloches d'Aragon doivent carillonner dans sa bonbonnière. Il a le regard fixe et une morve d'écolier se met à filer de son nez blême.