Le nouveau professeur loge à l’Ecole, mais j’apprends par la rumeur publique qu’il est descendu au Café du Coq et du Beaujolais réunis, charmant établissement de village, lequel cumule les fonctions de palace, d’auberge, de bistrot, d’épicerie et de bureau de tabac. Bien entendu, le Gros ignore ma présence dans l’Ecole puisque aussi bien il se croit réellement appelé à de hautes fonctions pédagogiques.
Sa venue a fait sensation. Chacun se demande qui est cet olibrius au parler si pittoresque, aussi la salle des conférences dite « salle capitulaire » est-elle pleine à craquer lorsque, à 20 h 15 tapant, Sa Majesté opère une entrée de grand style. Auparavant, que je vous décrive les lieux.
Les murs sont garnis de boiseries gothiques et des bancs achèvent de donner à ce vaste local une ambiance de temple. Mais le culte qui va bientôt s’y célébrer n’aura rien de religieux, croyez-moi ! Sur une large estrade, se dresse la chaire du professeur. Elle est encadrée par deux tableaux noirs (qui maintenant sont verts) tandis qu’un écran réservé aux projections occupe le mur du fond.
Vous mordez le topo ? Bien. Donc, à l’heure prévue, l’exactitude étant la clé de sol des usages, l’inspecteur principal Alexandre-Benoît Bérurier (de Paris) pénètre dans la grande salle. Il s’est mis en frais : son complet bleu, sa chemise blanche, un nœud papillon noir, un porte-documents de crocodile sculpté dans du polyester. Le directeur l’accompagne. Il est un peu pâlichon, Alexandre-Benoît. Le froid, peut-être ? Nous nous levons à l’entrée des deux hommes. Le dirlo a le regard malicieux derrière ses lunettes cerclées d’or. J’ignore ce que le Vieux a pu lui bonnir, sans doute lui a-t-il expliqué que ces cours de savoir-vivre constitueront en fait un heureux dérivatif pour les élèves. Toujours est-il qu’affranchi ou pas, le patron de la boîte joue le jeu.
— Messieurs, attaque-t-il, de plus en plus le policier moderne est appelé à jouer un rôle important dans la société, c’est pourquoi l’Administration a décidé de pousser votre éducation jusqu’au raffinement, en vous proposant d’étudier les bonnes manières avec un professeur hautement compétent. J’ai le grand plaisir de vous présenter l’inspecteur principal Bérurier.
Je fais la claque, entraînant mes compagnons dans une ovation monstre qui redonne des couleurs au brave Béru. Il fait une courbette, sort un mouchoir de sa poche et s’en tamponne le nez, oubliant qu’il s’en est servi en cours de route pour nettoyer ses bougies. Le bout de son pif devient aussitôt d’un beau noir cambouis. Le Gros glisse alors le mouchoir dans la poche supérieure de son veston, ainsi qu’il l’a vu faire au cinoche par feu M. Jules Berry.
— Merci, merci, balbutie-t-il, n’en jetez plus, la cour est pleine !
— J’espère que ces cours vous seront profitables, ajoute le directeur, et que, grâce à l’inspecteur principal Bérurier, vous deviendrez les uns et les autres des gentlemen accomplis pour le plus grand prestige de la police française.
Là-dessus, discret, il se retire. Voilà donc la Béruroche au pied du mur. Dans mon coin je n’en perds pas une broque. C’est de la minute savoureuse, mes chéries. Ça se déguste, des instants pareils.
Le Gros nous défrime d’un œil lourd, vigilant.
Puis il monte sur l’estrade et jette son porte-documents sur le bureau.
Avant de s’asseoir il se cure l’oreille au moyen, d’une allumette, remet la bûchette dans sa boîte et prend la parole.
— Les gars, harangue-t-il, je préfère prévenir tout de suite que je suis bonne pomme, mais sévère à propos d’en ce qui concerne la discipline. La matière dont je suis chargé d’enseigner est délicate, je peux pas me permettre de tolérer. Vu ? Bon, vous pouvez le poser !
Nous nous asseyons. Mes condisciples échangent des regards stupéfaits. Béru s’en aperçoit et déclare avec virulence :
— Je sais : y a des certains parmi vous qui sont, du point de vue grade, mes supérieurs hiéraltiques ; seulement ici j’en ai rien à branler. Les choses étant ce caleçon, en ma qualité d’enseigneur j’exige le respect sans conditions.
Un des nôtres ne peut contenir son hilarité. C’est un grand rougeaud avec de la barbe. Bérurier le fustige d’un index impitoyable.
— Dites donc, le mec au piège à macaroni, l’interpelle-t-il, allongez-moi un peu votre blaze !
— Jean Kikine, m’sieur le professeur, je suis d’origine russe, le chambre le polisson.
— Et vous avez quel âge ?
— Trente et un ans !
— Mes compliments ! Au piquet, tout de suite ! enjoint Béru.
C’est l’hilarité. Mais la colère du Gros est une sorte de séisme. Il va déloger le barbu de son banc et le pousse vers le tableau noir.
— Les mains au dos ! précise-t-il. Et si ça se renouvellerait, je me verrais forcé de prendre des sections, compris ?
Le calme se trouvant rétabli, Sa Majesté essaie d’ouvrir son porte-documents. Hélas ! dans sa vigueur dévastatrice le malheureux bloque la fermeture à glissière de la serviette. Il a beau s’escrimer dessus, il ne gagne pas le moindre millimètre.
Comme il sent frémir les rires à fleur de classe, soucieux de sauver la face, il tire un couteau de sa poche et pourfend la serviette comme on éventre un lapin.
— La maroquinerie, de nos jours, elle est plus ce qu’elle était, commente-t-il. Voilà un porte-documents tout neuf que je m’ai acheté hier au tout-à-un-franc de mon quartier et déjà il déclare forfait !
Il extrait de la pochette ainsi dépecée le manuel fatigué de sa comtesse.
— Tout est là-dedans ! assure le Triomphant en montrant l’ouvrage à ses élèves. Quand vous aurez appris les deux cents pages que voici, les gars, vous pourrez sortir sans votre bonne !
Il s’humecte un doigt, saute la préface du livre et casse celui-ci à une page déterminée.
— Kikine, retournez à vot’ place prendre des notes, fait-il au puni, ça me ferait tartir de vous priver de bonnes manières, vu qu’au moment de la distribution vous deviez être en train de faire de la plongée sous-marine !
Pendant que le barbu décervelé regagne son banc, bouleversé par la clémence du nouveau prof, le Gros remet de l’ordonnance dans son nœud qui chavirait, lisse le coin de sa paupière et poursuit :
— Dans la vie, les gars, faut que vous sachiez vous comporter ; pas qu’on dise de vous jamais que vous êtes des tartes, des lavedus, des mal-embouchés ou des casse-bonbons ; brèfle que vous acquérissiez un standinge. Le standinge, le rêve ça serait de l’avoir de naissance, ça facilite. Mais nous autres, qu’on est tous plus ou moins des fils de Garches ou des enfants de Puteaux, on est bien obligés de rattraper les générations perdues, et croyez-z’en un homme qui fraye avec la gentry, c’est pas fastoche. Il s’agit de tout reprendre à la base et de pas se coincer le bas du futal dans le pédalier !
Il ligote laborieusement un paragraphe de son livre en reniflant. Puis il le pose sur la table.
— On va donc prendre les choses par le début, c’est-à-dire par l’annonce de la naissance. Dès qu’elle a des doutes de polichinelle, la femme doit en causer au mari, même si elle se gaffe que c’est pas lui le dabe. Elle doit annoncer la nouvelle gentiment. Pas du tout dans le style « Ernest, tu sais pas ce qui m’arrive ! » très consterné mais au contraire sur le ton joyce…
Béru fait sa bouche en issue d’œuf et roucoule en prenant une petite voix d’eunuque frileux :
— » Nénesse, j’ai une bonne surprise pour toi ; devine… » Pour le coup, le gars se paume en conjonctures. Ça le prépare, comprenez-vous ? Il cherche, il suppose : “Tu m’as acheté une pipe neuve ?” qu’il demande, ou bien : “Ta vioque est malade ?” enfin brèfle il carbure sur ce qu’il rêve. S’il tombe juste, la dame doit se grouiller de lui cloquer un mimi ravageur. “Bravo, Nénesse, dix sur dix ! Je te promets qu’il te ressemblera, fignolé princesse comme tu me l’as fait, c’est impossible autrement !”
« S’il trouve pas, faut que la moukère l’aide un peu à phosphorer, qu’elle le mette sur la voie : “Tu te rappelles, Nénesse, le soir qu’on était allés voir la Sophia au Familia-Palace et que ça t’avait donné des idées en rentrant ?… Eh ben, imagine-toi, mon gros loup, que c’était comme qui dirait du film à épisodes”… Mais enfin, vu qu’apparemment vous n’êtes pas des dames, nous étendons pas sur ce chapitre et voyons plutôt la réaction du Jules. »
Béru inventorie sa serviette et en sort un pot de beaujolais.
— Le temps de m’arroser la meule et je continue ! avertit le digne pédagogue.
Il siffle une forte lampée au goulot, clape de la menteuse et exhale sa satisfaction.
— Ça fait du bien d’enseigner dans une région hospitalière où les richesses naturelles facilitent la vie de l’homme.
« J’ai donc dit qu’on allait étudier les réactions du jeune papa. Avant tout, ne pas rouscailler. Eviter même de dire « Merde », ce qui peinerait la pauv’ femme et risquerait d’avoir des conséquences sur la bouille du rejeton. On se demande souvent pourquoi les gens sont si tartes. La plupart du temps, ça provient de ce que madame leur maman s’est caillé le raisin en les attendant. Alors, avis : de la tendresse, du suave. “Chérie, t’es sûre de ne pas me faire une fausse joie au moins !” Voilà le ton. Ne pas paraître contrarié, même si on habite un tout petit studio, même si ça torpille les vacances ! Et éviter de faire allusion à la Suisse, je vous recommande. Les nanas savent que c’est en Helvétie qu’on trouve les magiciens de l’épingle à chapeau et l’idée pourrait leur venir d’un largage en piqué, ce qui vous chanstique une descendance. Les arbres généalogiques, c’est comme les noyers, faut éviter de les secouer avant que la coque mette les adjas. »
Il s’éponge la trogne, ce qui ne fait que la zébrer un peu plus de cambouis.
— Ça, messieurs, c’est pour le démarrage. Mais entre l’heureuse nouvelle et l’heureux événement (je soupçonne Béru d’avoir puisé la formule à même sa bible) y a une période où au cours de laquelle le mari doit se montrer prévenant avec sa bourgeoise. Comme l’a versifié le poète : la femme, c’est un violon sur lequel les bonshommes jouent avec leurs archets. Soit dit en passant, ma femme à moi, ce serait plutôt une contrebasse qu’un violon.
Sa Majesté tolère la vague hilarante qui secoue son auditoire. Il admet le rire lorsqu’il le provoque sciemment.
— Donc, faut jouer un chouette air à la future môman ! reprend-il. Ne pas marchander les délicates attentions, telles que le bouquet de roses pompon pour sa fête, l’esquimau à l’entracte, ou encore lui laisser la place assise dans l’autobus, même s’il y en aurait plus qu’une ! En cas d’engueulade ménagère — ça arrive dans les foyers les plus z’huppés — éviter les torgnoles et principalement les coups de pied dans le ventre. Autre chose encore : quand elle commence à prendre le format Tour-de-Nesle, ne pas lui virguler des sargasses, genre : « Mahame aurait pas avalé un noyau de cerise, des fois ! Ou bien : « Mahame se nourrit au gaz d’éclairage, je suppose ? » Ou z’encore : « Mets les poids de l’horloge dans tes poches, que tu vas t’envoler, mémère ». Je sais bien qu’on dit ça pour badiner, mais y a des rechigneuses que ça démoralise ; alors prudence !
Le Gros agite un index plus considérable qu’une saucisse de Toulouse.
— Le bonheur d’enfanter, les gars, qu’on le veuille ou pas, c’est plus un bonheur pour l’homme que pour la femme. Se le répéter pendant que bobonne chiale sur ses jupes immettables. Le mari, au lieu de s’énerver, doit chercher les paroles consolateuses. Par exemple « C’est pas parce que t’as l’air d’héberger un zeppelin qu’il faut te mettre dans cet état, ma poule, tu la retrouveras, ta taille mannequin ! » Re-exemple : « C’est parce que t’as le tour de taille d’une pissotière à six places que tu fais cette tête-là, Bécassine ? T’as pas honte ? » Car, voyez-vous, les gars, c’t’une question de tempérament : y a des lymphatiques qu’il faut secouer gentiment. Le gentelmant doit toujours avoir pitié. Ainsi, lorsque la pauvrette a mal au cœur, bien se garder de la chambrer, lui tenir le front, j’implore de votre dignité. Et sans grincher. Je me rappelle un de mes potes que ça l’agaçait de voir mémère faire sa prière devant la tinette et qui, le grossier personnage, lui criait à tout-va des trucs comme « T’as pas bientôt fini de nous verser des acomptes ». Le zig dont je vous cause pour l’exemple était un goujat pas fréquentable. Par contre je peux vous en citer un autre, un monsieur très bien que j’ai connu à la cambrousse. Fallait voir le climat qu’il créait autour de madame ! Il faisait la vaisselle, mettait jouer des disques de Tino Rossi et lui portait le caoua au pieu.
« C’était d’autant plus délicat de sa part que le môme pouvait pas être de lui vu qu’il avait le kangourou en deuil à la suite d’un mauvais coup de manivelle d’auto.
« Bon, je crois m’avoir fait comprendre, hein ? Plus vous choyez la mère, plus l’enfant sera beau et vous fera honneur. Parce qu’enfin, les mecs, y a rien de plus débilitant que d’être le dabe d’un petit crevard fané, qui, avant d’avoir bu son premier godet de beaujolpif, a l’air de déjà trimbaler une cirrhose ! »
Il se tait, nous couvre de son regard altier.
— Des questions ? fait-il avec l’autorité d’un président d’assises tourné vers le jury.
Je fais claquer mes doigts comme un écolier réclamant la permission d’aller écrire à l’eau chaude le nom de sa bonne amie sur l’ardoise des vécés.
— Vous avez quéque chose à dire, mon petit ? demande avec bienveillance l’éducateur.
— Monsieur le professeur, attaqué-je en déguisant ma voix, vous venez de nous parler du comportement de l’homme avec son épouse enceinte, mais dans l’hypothèse où la future maman est fille mère, quelle attitude doit-on adopter ?
Il me défrime de loin et hoche la tête.
— Y me semble vous avoir vu quéque part, biaise-t-il. Vous n’auriez pas servi à la grande Cabane de Paris ?
— Non, monsieur le professeur, j’arrive de Pointe-à-Pitre !
— Si vous avez travaillé dans un cirque, c’est différent, je vous aurai donc vu chez Bouglione. Bon, pour en revenir à votre abjection, elle est valable et pour tout dire, ment-il, je m’y attendais.
Nouvelle lampée. Le niveau baisse dans la bouteille. Béru se torche les lèvres.
Voyez-vous, mes choutes, je crois que je viens de comprendre ce qui l’ennoblit, le gros Béru. Car, malgré son parler et ses manières, il y a en cet homme un je ne sais quoi qui force le respect et inspire la sympathie. Eh bien ! son charme provient de ce qu’il est vivant, réellement, authentiquement vivant. Nous déambulons de la belle aube au triste soir au milieu d’apprentis cadavres. Presque froids, ils sont ! Tièdes en tout cas. Résignés, figés, connaissant d’instinct la position cercueil. Ils pourraient recruter autant qu’ils voudraient, les pompistes funèbres, si d’aventure les clilles leur manquaient. Pas besoin de filet pour les capturer. Suffirait de mettre les bières à la verticale, portes ouvertes. Ils y entreraient d’autorité pas comme des rats dans une nasse, non — le rat, lui, il cherche à bouffer le morceau de frometon, mais délibérément, comme on se colle au pieu. L’heure du dodo tant attendue. Le nez pointé sur la ligne bleue du ciel, les pieds en flèche, fusées pour l’au-delà ! Cinq-quatre-trois-deux-un-zéro ! Oui, zéro, enfin ! Merci, monsieur Ségalo, ça c’est du meuble ! Du beau chêne qui fait de l’usage, de l’honorable sapin, avec la bonne quincaillerie Borniol par-dessus et par côtés. Moi, je vais vous dire, quand on va m’emmitoufler dans les planches, pas la peine de déguiser ma boîte-à-miettes en Croisé. Vous collez dessus la photo d’Hallyday, ou celle d’Albaladéjo, un portrait de Bardot, une vue de Napoli, le prospectus de Maserati, bref, n’importe quoi d’en couleurs, et qui vive, et qui pète, qui se déplace, qui réchauffe. Quoique le fin des fins, ça serait tout de même le portrait de mon Béru, en pied et en Kodacolor. Béru troué, maculé, violacé. Béru tendant ses bras au monde (mais le monde passe sans le voir !).
— Donc, fait-il, on va l’étudier, le cas de la fille mère.
Il souffle sur ses ongles dont le vernis n’est qu’imparfaitement écaillé.
— Mon livre en cause pas, reprend le Vaillant, vu que l’hypocrite qui l’a pondu a jugé qu’elle avait rien à fiche dans une encyclopédie des bonnes manières. Le fond de ma pensée, c’est que c’est dégueulasse, cet oubli volontaire. Une madame mariée qui se met à polichiner, où il est son mérite ? C’est dans la nature des choses, comme dit Chose. Mais une fille qui se retrouve avec un locataire parce qu’elle a trop dansé au bal ou trop éclusé de visqui dans une surprise-partouze, alors là c’est méritoire. J’ai jamais pigé pourquoi, dans la Société actuelle, mère et célibataire ça se contrariait. On continue de chiquer au choqué ! Je proteste !
Le Gros s’est dressé. Il s’avance au bord de l’estrade, un poing brandi.
— On peut faire reluire une frangine sans avoir envie de la marida, même si ça a les conséquences que je cause. Mais alors faut tolérer que la môme puisse larguer sa cargaison en haute mer, citoyens ! Au lieu de ça, on l’oblige à pouponner jusqu’à la gauche ! Et en plus on lui fait la gueule. Je sais des hostos où que les religieuses accoucheuses font les pires avanies aux filles mères. Ça les réjouit de les voir enfanter dans la douleur. Ça les délecte. Elles en prennent leur fade, les encornettes. Y aurait pas le bon Dieu qui les regarde, elles leur feraient des injonctions de poivre moulu, pour punir ces dévergondées, pour leur apprendre à ne pas vivre, à ces galeuses pas foutues de se dénicher un mari !
Le Gros se mouche une narine sur sa manche, essuie la manche à son pantalon en attendant d’essuyer le pantalon sur sa chaise. Il est beau, dans le courroux social.
— Si on s’y mettait tous, ça changerait peut-être, non ? véhémente-t-il. Si on décidait que fille mère c’est une situation privilégiée ? Si ça donnait droit à des tours de faveur, à des places bien placées, à des appartements, à des bons d’essence, à des voyages payés, à des décorations, au salut militaire, hein ? Si ça rendait le respect obligatoire, d’être vierge et grand-mère, nom de Dieu ! Si on en causait comme d’une qu’aurait palpé le tiercé dans l’ordre ! Si les vieilles bêcheuses chuchotaient « Vous savez que la petite des Untel est fille mère ? Vous parlez d’une chance qu’ont ces gens. Y leur arrive que des bonnes choses. C’est leur période de veine, déjà qu’ils ont gagné une maison au concours du Parisien Libéré… » Oui, si on prenait l’incident de cette manière, pour le coup, les demoiselles oseraient profiter de leur jeunesse ; elles risqueraient plus rien. Parées, elles seraient. Parce que enfin, le radada, c’est comme la bouftance, c’est une question d’heure, le corps qui réclame ! L’idée vient pas de traiter une gosseline de salope parce qu’elle se tape un sandwich. Pourquoi alors elle aurait pas le droit de se taper un Jules quand l’envie la tenaille ? On prend pas du plaisir pour son plaisir, je réfute ! C’est une nécessité. Qui sont-ce les truffes qui ont mis la honte sur la nécessité ? Je voudrais les connaître, leur verrouiller le calbar une bonne fois, pour leur montrer que ça ne sert à rien quand ça ne sert plus, le fignedé !
Il torche l’émotion qui sort de sa seconde narine.
— Dans l’immédiat, au jour d’aujourd’hui, on doit les aider par notre estime, les filles mères. Et pour commencer les appeler filles mamans, ce qui est plus tendre. Qu’est-ce que c’est, l’important, en somme : qu’elles soyent filles, ou qu’elles soyent mères ? Leur faire sentir notre respect, les gars. Vous me suivez ? Et même jouer les envieux. « Ce qu’vous en avez de la chance de pas avoir de mari ! Etre mère et libre, quel bonheur ! » Voilà le langage à leur tenir. Pas d’autres questions ?
Mes condisciples secouent gravement la tête. Plus personne ne se marre pour l’instant.
Bérurier se rassoit.
— Parfait.
Il étudie un instant son livre.
— Je voudrais vous causer maintenant du choix des prénoms. Ça paraît simple, mais à mon avis faut de la délicatesse, là comme ailleurs. Trop de parents profitent de leur nom de famille pour calembourer. Ils s’en tamponnent vu que par la suite c’est le môme qui aura l’air d’une crêpe et se farcira les déboires.
« Tenez, si vous vous appelleriez Filmaseur, prénommez jamais votre chiare Jean, surtout, non plus que si votre nom est Pétarde, Culasec, Barasse, ou Névudautre. J’ai connu un certain monsieur Térieur qui a eu deux jumeaux. Il les a appelés Alex et Alain, ça ne fait pas sérieux. C’est comme le dénommé Dupanié qui avait prénommé son fils Hans, ou comme mon copain Dondecourse que son vieux avait baptisé Guy. Un autre conseil, mes gars : quand votre nom est court, choisissez un prénom long. Ça corrige la brièveté, comprenez-vous ? Et lycée de Versailles : avec un nom long, un prénom court. Le gars dont le blaze est Troududecoiteplintu, Paul, Louis, Luc, ça lui suffit z’amplement. Il gagne rien à se farcir du pré-blaze composé, style Lucien-Maurice ou Maximilien-Shell. Re-autre chose : si vous portez un nom propre plutôt commun, voire Durand, Dupont, Martin, faut lui donner de l’audace avec un prénom vibrant : Gaétan, Horace, Gontran, Ghislaine, Magdeleine, Léonce, Aldebert, Rigobert, Romuald, Léandre, Fructueux, Pulchérie, Sabine ou Godefroy. Par contre, si vous trimbalez de l’appellation prétentiarde, mettons que vous vous appelez de La Broutille-en-Branche ou Palsambleu-Halahune, contentez-vous d’un modeste René, d’un gentil Georges ou d’un petit Emile. C’t’un conseil que je vous cloque. Evidemment, ceux qui ont eu droit à la facétie paternelle, comme ce polisson de Jean Kikine, ils ont plus qu’à encaisser avec bonne humeur. Mec trouble, comme disent les Arabes !
Monsieur le professeur de bonnes manières déboutonne son gilet, puis sa chemise, et se met à grattouiller avec fureur un bide astrakanesque. Ayant fait, il examine le bout de ses ongles et les nettoie en les frottant dans ses cheveux.
— Autrefois, reprend-il, on filait aux nouveau-nés une tripotée de prénoms. Le zig qui voulait étaler sa raison sociale en entier devait en transporter sur le porte-bagages. Maintenant c’est classe, on donne juste le triste nécessaire, deux ou trois pas plus. Mais le rigolo c’est que chez les princes on continue de leur en accrocher une vraie guirlande ! Pourtant, des princes y en a plus tellement, hein ? Et la gourance est pas redoutable. Enfin, je veux pas m’en mêler, ces gens, l’Armée du saloche les guette et si on les laisserait pas jouer avec ce qui leur reste de traditions, on serait des vrais peigne-zizis ! La haute lignée est en baisse, les gars. Plus la peine de la taquiner. Depuis qu’on y a élagué le cigare, au Louis XVI, le sang bleu continue de rougir. Les princesses se tapent des manars et les rois épousent des shampooineuses. Tenez, moi qui vous cause, je me farcis présentement une bergère majuscule et pourtant, y avait même pas l’eau courante dans la gentilhommière à papa !
Il vide sa boutanche de beaujolais d’un gosier péremptoire, paupières baissées, aux prises avec des délices internes.
— Y a pas, parenthèse-t-il en contemplant son flacon vide, avec ce nectar, on a les muqueuses qui font leurs petites folles !
Il clape deux ou trois fois et continue pour son auditoire passionné :
— Donc, le môme arrive au monde. De deux choses l’une : c’est un garçon ou c’est une fille. Il peut arriver que ce point soit pas éclaircissable et que le pauvret ait de l’indécision dans le rez-de-chaussée.
« Faut lui donner sa chance d’opter à sa majorité. Pas qu’un jour on ait besoin d’écrire sur une enveloppe : Monsieur Jules Durand et son mari. En conséquence, mouillez-vous et appelez-le Claude ou Dominique pour éviter de l’influencer et lui laisser carte blanche !
« Matons les choses en face. Vous v’là à la maternité. Vous venez de griller deux paquets de gitanes filtre en priant le barbu pour que ça soye un gars et la sage-dame vous annonce que c’est une fifille. Liquidez votre désappointement d’urgence, sinon vot’ dame qui guette sur votre frime risque de se payer une grève du lait illimitée. La santé du mioche avant tout ! Consolez-vous en disant que l’enfant ne fera pas de service militaire.
« Si on vous révèle que vous avez des jumeaux, rouspétez pas ; vous serez pas le premier d’avoir fait l’amour avec un papier carbone et puis ça peut les aider dans la vie, surtout s’ils feraient du music-halle plus tard.
« Et des fois que vous auriez réussi des quintuplés, vous évanouissez pas : votre fortune est faite. Sans perdre de temps, vous vous donnez un coup de peigne et vous attendez la télévision et les journalistes. Pas d’affolement, préparez bien vos réponses. C’est vous qu’allez subir l’assaut, vu que ni la môman ni les lardons sont en mesure de microter. Prenez l’air d’en avoir deux (d’ailleurs après un événement pareil il viendrait à personne l’idée de contester que vous en ayez pas deux au moins !) et surtout évitez de bredouiller : “J’sais pas ce qu’a pu se produire”. Ils aiment pas, les journalisses. De toute manière ils arrangeraient, alors, soyez-leur z’agréables et inventez pour eux, ça leur évitera du boulot et ils vous en seront reconnaissants. Vous dites par exemple : “J’avais beaucoup z’étudié le traité du Docteur Godemouth sur la stimulation des zormones dans la sidérurgie moderne”, ou un truc de ce genre, quoi. Bien savant, bien compliqué. Et vous enchaînez : “Selon les calculs dont auxquels j’ai longuement procédé, il m’a t’apparu avec certitude qu’en fréquentant bobonne le surlendemain de la pleine lune, entre dix heures du soir et la colonne Vendôme, j’avais des chances de réussir des quintuplés”. Vous mordez ? Le coup de la préméditation, jamais pris au dépourvu. Le zig qui drive le destin comme sa 2 chevaux Citron. Le public espère toujours qu’il existe un mariole capable de dire merde au futur et de le manier à sa convenance.
« Autre cas qui peut se produire, les gars : Madame votre épouse a donné le jour à un petit Noir, alors que vous, vous avez la blancheur Persil. »
J’interromps un instant le cours du Gros pour ouvrir une parenthèse, mes amis. A propos de la blancheur Persil. Certains locdus s’imaginent que parce que je cite des noms de produits, je bouffe dans la gamelle du tonton à Jean Jacques (1). Je proteste. J’ai jamais reçu un fif de quiconque pour vanter ses denrées. Le jour où je serai à vendre, je mettrai des annonces dans les baveux. Y a de très rares reconnaissants cependant qui m’envoient un petit échantillon gentil. M. Banania un jour, y a longtemps. Dernièrement, M. Opinel, les couteaux. Et puis Mme Cinzano, bien sûr, pour le nouvel an. Plus un porte-clés de je me rappelle pas qui et un porte-mine Waterman. C’est tout. En quelque quatre-vingts bouquins c’est pas rentable, convenez ? Si je me réfère à des noms commerciaux, c’est parce que nous vivons au milieu d’un univers publicitaire qu’il est stupide d’ignorer, qui fait partie intégrante de notre existence, qui nous saute aux yeux à chaque pas ! Pourquoi on serait bien vu en chantant les louanges de M. Pompidou et mal considéré parce qu’on cause de Lustucru ? Hein, je demande ? Tous les deux marquent notre quotidien, surtout Lustucru d’ailleurs. Si de causer de Gibbs, de Lévitan, de Persil, de Cinzano, de la gaine Scandale ou d’Astra ça fait de la pube à ces boîtes tant mieux pour elles. Je leur fais cadeau ! Ça tombe de moi. C’est à l’œil. Y a qu’à ramasser avec une petite pelle et une balayette, comme derrière le fion des bourrins. Vu ? Continue, mon Béru, ton œuvre salvatrice.
— D’accord, un baby de couleur ça déprime sur le moment, mais faut s’hâter de surmonter votre déception. En vous doublant avec un Noir, vot’ dame a apporté sa contribution à l’unification des races, en somme. Un jour viendra où qu’il n’y aura plus de Blancs, ni de Noirs ni de Jaunes mais une seule couleur grisâtre, selon moi. Ce qui va tout niveler, c’est les moyens de transport. Jusqu’avant la dernière rouste, on peut dire que chacun restait chez lui, à mitonner dans sa couleur. Grâce à la locomotion, de plus en plus y aura du frottement et du mélange. Les racisses essaient de freiner le monde en s’accouplant avec des personnes de leur teinte comme on assortit l’étoffe des rideaux avec le papier de la tapisserie. Et remarquez-le, c’est surtout ceux-là qui grimpent la négresse quand ils vont au clandé. Ils empêcheront rien. Quand vous brassez des œufs et de l’huile, ça fait une mayonnaise. Le monde monte en mayonnaise.
Bérurier gamberge un instant et hoche sa noble hure.
— Mais reprenons. Vous v’là père. Faut maintenant annoncer la chose aux parents et connaissances. A partir de triplés, inutile, y a un entrefilet gratuit dans la presse. A quadruplés, on a droit à sa photo. A quintuplés, je vous l’ai dit, votre faire-part est à la une de tous les journaux du monde ! Mais enfin, comme la chose est pas fréquente, voyons le teste d’un faire-part courant.
Parvenu à ce point délicat de l’encyclopédie des bonnes manières, il reprend sa bible et la compulse fiévreusement.
— Vous avez vos cahiers ? demande-t-il par-dessus le livre.
— Oui, m’sieur ! répondons-nous en chœur.
— Jockey ! Alors écrivez…
Il se met à ânonner (il a des dispositions pour) :
ler octobre 1910.
105, rue de Rivoli.
Il abaisse l’ouvrage.
— Bien entendu, vous remplacez De La Descente par vot’ nom et vous êtes pas forcés d’appeler la gosse Marie-Micheline, avertit le Gros. Quant à la date, elle est facultative idème que l’adresse. Je pense que vous l’avez compris ? Mais entre nous, je trouve la formule un peu sec, hein ? Y a plus mignon que ça à trouver. Bougez pas.
Il ferme les yeux derrière sa main et s’abîme dans de la songerie, mondaine.
— J’ai z’eu vu des faire-part où que c’était le lardon qui s’annonçait, reprend l’informé. Ça se mijotait à peu près commak : « Coucou, me v’là. Je m’appelle Riri et je suis le fils à M’sieur et Mahame Tricard-Déteint. »
« Ça a son mérite comme formule ; mais moi je vais vous donner mon aperçu : une naissance, c’est un événement joyeux ; donc, il faut l’annoncer joyeusement. Pas de chichis, du débonnaire !
Il refoule son encyclopédie.
— En tant que moi-même, j’aurais un mouflet, je ferais le faire-part que voici.
Il se pince le haut du nez, très fort, comme on pince un tube de dentifrice vide pour en exprimer l’ultime moelle. D’une voix d’hypnose il récite :
« A force d’emmener Popaul au cirque ; à force de se faire le coup du stylo sans capuchon et du serin en cage, les Bérurier ont fini par gagner le canard et sont heureux de vous dire que le caneton en question s’appelle Jules-Félix. »
Il respire largement et promène sur son auditoire un regard ennobli par l’effort cérébral.
— Vous pouvez vous inspirer, les gars. Avec un carton commak on vous accusera jamais de chiquer au crâneur. C’est simple, cordial et de bon goût ; moderne pour tout dire !
Il regarde son livre, épine dorsale de son enseignement.
— Turellement, y a pas que les cartons qu’on envoie, y a aussi ceux qu’on reçoit. Là-dessus, l’exemple de réponse, c’est « Souhaits de prospérité au bébé et nos félicitations aux heureux parents ».
« Encore une fois, ce que je déplore, c’est le manque de chaleur. »
L’Ineffable ricane :
— Souhaits de prospérité au bébé ! Tu parles, Charles, avec la Bombe H sculptée main, la prospérité qu’il peut espérer, le pauvre biquet ! Son berceau sur un arsenal anatomique ! Y a de quoi mobiliser la fée Marjolaine pour l’asperger à la lotion de trèfle à quat’ feuilles !
Il toussote aristocratiquement du bout des muqueuses dans le tuyau de son poing.
— Je comprends pas que dans des manuels comme çui-là, approuvé par la Noblesse, le Clergé et la Société de chasse de Saint-Firmin on donne des exemples de bafouille aussi guindés. « Nos félicitations aux heureux parents ! » pouffe le Gros. Faut vraiment avoir l’usine à phosphore en grève.
Il nous braque d’un index décidé :
— Prenez note !
Nous nous couchons sur nos cahiers, la langue traînante.
— Exemple de lettre-réponse, lance-t-il.
Mes fripons,
Alors la clarinette farceuse vous a joué un petit tour, à ce que j’apprends ? Enfin, vaut mieux ça qu’une jambe cassée ! J’espère que ce petit luron sera aussi bath que sa môman et moins salingue que son papa ! Si l’idée vous vient de remettre le couvert pour lui fignoler une sœurette, faites-moi signe, je prends la mise en chantier à ma charge !
Il se masse le durillon de comptoir.
— Vous sentez comme c’est plus gentil ?
Nous répondons « Oh ! oui, m’sieur » d’une seule voix. Ça le transporte.
— Dans la vie, mes amis, nous philosophe-t-il, faut jamais perdre l’occasion de se montrer aimable, voire même un brin blagueur avec autrui et autruite. Le moche de l’existence vient de ce que les gens rigolent insuffisamment. C’est eux qui fabriquent leur mauvais temps. Remarquez-les ! Dans la rue, au restaurant, au cinoche, partout, on voit que des gueules sinistres, qu’on dirait en deuil. Pourquoi ils sont contractés et mécontents, les copains ? Pourquoi ils promènent leur peau comme si elle serait déjà une charogne becquetée par la vermine, hein ? Pourquoi ils profitent pas du soleil et du vin rouge pendant qu’ils se tiennent encore droits sur leurs cannes ? Y a des moments, j’en arrive à me demander si vidangeur c’est un métier lucratif, quand je tapisse ces méchantes bouilles de constipés.
« Ou alors c’est la bile, non ?Peut-être qu’ils bouffent pas assez d’artichauts. Mais y a sûrement un vice à la base ! Et maintenant, achevons cette première leçon en causant du baptême. »
Il ouvre une parenthèse à double battant.
— S’il y aurait parmi vous des zigs pas catholiques, je leur donne la permission de mettre les bouts, vu que c’est un chapitre particulier des convenances. Notez que moi, ça m’intéresserait d’avoir des tuyaux sur le ramadier des arbis, ou sur la circonscription des juifs.
Personne ne bronchant, il affiche une mine satisfaite.
— Bien. Je plonge. Les parrains et marraines sont des gens choisis par les parents pour les remplacer auprès de leurs enfants le cas échéant, dit mon livre. Conséquemment, ils ont droit de leur filer des taloches ou des coups de latte dans le valseur. Par contre, ils ont aussi des devoirs envers z’eux, entre autres, je ligote toujours sur mon manuel, celui d’aller au-devant de leurs besoins ! Ah ! une chose que les gens oublient : un parrain et sa filleule ou un filleul et sa marraine ont pas le droit de se marida ensemble sans une dispense de l’Eglise.
Le Gros s’accoude à sa table, le front soucieux.
— Donc, faut pas choisir des parrains-marraines trop jeunes ! Moi, pour me citer en exemple, les gars, je me rappelle de ma marraine comme si ça serait d’hier. Une nièce à maman qu’avait un pétard large comme une porte de grange et une de ces paires de caissons étanches qu’elle pouvait se filer au jus sans crainte de se noyer. Tout mouflet, j’étais déjà porté sur le gras-double. Aussi, quand la marraine se pointait à la casbah, je me grouillais d’aller batifoler sur ses genoux. Vue imprenable sur son décolleté. Ah ! dis donc, si vous auriez vu ce duo de flotteurs, les potes ! Un jour ç’a été plus fort que moi : j’ai passé la paluche entre les deux en clamant comme quoi je voulais attraper une mouche téméraire qui s’était fourvoyée. Du flanc, œuf corse ! On a dit que j’étais bien serviable et tout pour mon âge ! Tu parles ! La marraine, elle gloussait que je la chatouillais, mais j’ai idée que ça devait pas lui déplaire tellement cette promenade dans son bustier ! A un moment je m’ai mis à crier « La v’là ». C’était la pointe d’un de ses roberts que je cramponnais. Drôle de bouton moleté, je vous le dis ! Malgré mes six ou sept berges je me promettais bien de lui faire sa fête, à marraine, quand je serais en état de marche. A mon tour je lui aurais refilé un petit cadeau pas cher. Seulement, la vie, vous savez ce que c’est ? Mes vieux et elle se sont brouillés pour une question d’héritage. La pendule à grand-père qu’a foutu le merdier lorsqu’il est allé brouter les pâquerettes, pépé. Une chouette pendule décorée main avec un balancier incrusté de pierres plus ou moins précieuses. C’est marraine qu’a fini par la griffer, l’horloge artistique, p’t’être qu’elle avait pas l’heure chez elle ! Je lui cherche pas d’escuses mais ça se pourrait, non ?
« Toujours est-il que mon projet de môme est tombé à l’eau. Quand je l’ai revue, marraine, c’était devenu une douairière plissée soleil. Elle avait tellement maigri que ses compresseurs lui pendaient sur l’estom’. J’ai eu beau me cramponner au souvenir, le cœur n’y était plus. Pour escalader une frangine faut pas que de la nostalgie, les gars. Tout ça pour vous dire que les marraines on n’a pas intérêt à les choisir trop jeunettes. Ne pas les prendre trop vioques, non plus, par contre. Si vous choisissez un vieux parrain, il risque de déclarer forfait avant que le filleul soye élevé et alors c’est le môme qu’est obligé, pour le coup, de lui offrir des fleurs à la Toussaint. L’idéal, donc, c’est de prendre des parrains entre deux âges. Ah ! autre chose : ne jamais choisir quelqu’un avec qui vous pagnotez, J’ai un cousin, quand il a eu un lardon, il s’est dépêché de proclamer marraine une amie à lui qu’il calçait à tout-va. Conclusion, un jour, sa bonne femme les a coiffés en flagrant du lit et le môme a jamais plus revu sa marraine. Le dargif et le cérémonial de famille, ça ne va pas ensemble. Confondez jamais bidet et fonts baptismaux car, un jour ou l’autre, c’est le gamin qu’en pâtit ! »
Bérurier se tait un instant. Il mâchouille à vide et demande :
— Quelqu’un aurait-y une petite boutanche de pinard à mon service, j’ai pas prévu assez de munitions pour ce premier cours et j’ai la menteuse qui chauffe tellement que je crains de couler une bielle.
Comme personne ne bronche, il soupire.
— Je veux pas vous vexer, les gars, mais vous manquez d’organisation. Moi, à douze ans, les jours d’hiver j’emportais ma topette de gnole à l’école, ce qui fait que j’ai jamais tombé malade.
Il chasse sa réprobation d’un haussement d’épaules.
— Encore quèques indications sur le baptême et j’arrête les frais.
« A mon avis, faut jamais attendre pour baptiser un lardon. Une supposition que le gosse soye fragile des éponges et qu’il dessoude avant d’être chrétien, hein ? Du coup le saint Pierre fait la sourde oreille pour ce qui est de délourder la porte, là-haut. La religion catholique est formelle sur ce point : les gus pas baptisés n’ont pas leur ticket d’admission au Paradis. C’est vous dire s’il doit y avoir de la bousculade dans les environs, vu que sur l’ensemble des hommes, les cathos ne représentent qu’une petite partie. Je me demande, les autres, ce qu’ils maquillent, hein ? Une éternité à se branler les cloches, c’est longuet. Mais ce n’est pas seulement pour cette raison que je préconise un baptême rapidos, c’est à cause que la maman est pas encore sortie de clinique, ce qui permet au papa de se payer une bringue carabinée sans faire glapir bobonne !
« Le séjour d’une dame, en clinique, dépend de sa situation sociable. Plus une jeune maman est riche, plus il lui faut du temps pour se rétablir. Moi, ma mère, elle s’est levée le jour même de ma naissance pour faire son ménage, mais par contre, la châtelaine de notre bled mettait quinze bons jours à surmonter. Le sang bleu est moins résistant. De le transmettre, ça éprouve ; c’est du produit contrôlé, quoi, faut comprendre ! Chose curieuse, c’est le contraire chez les hommes. Mon médecin me causait : un bras cassé de manar, faut compter trois mois, biscotte la Sécurité qui prend en charge, tandis qu’un bras cassé de patron en quinze jours il est recollé. Notez qu’un patron est plus riche en calcium, fatalement. »
Le Gros est satisfait de nos énergiques hochements de tête.
— A l’église, poursuit-il, c’est la marraine qui tient le bébé pendant que le curé le sale et l’onguente. Mais le parrain l’aide à cramponner le gros cierge et m’est avis qu’il pourrait profiter de l’occase pour lui faire le coup du petit doigt à tête chercheuse. Dans la vie faut savoir utiliser les circonstances !
« Après la cérémonie, je recommande au parrain de bien arroser le curé. Pas avec la flotte, mais avec de l’artiche. Je sais bien que le Cérébos n’est pas onéreux mais faut songer à la main-d’œuvre. Dites-vous que ce brave cureton, au lieu de faire pleurer le môme (un baptisé pleure toujours, c’est d’ailleurs ce dont pourquoi on le tient au-dessus d’un récipient), il aurait le temps de faire une quête. Son manque à gagner, faut lui revaloir à cet homme. Y a des radins qui se croient quittes en lui refilant une boîte de dragées Martial, c’est abusif comme procédé, surtout quand ils glissent quelques dragées farces dans la boîte. Une fois, on a fait ça, dans un baptême, avec mon ami Alfred le coiffeur. Moi, pas méchant, j’avais seulement mis des dragées au poivre dans le ballotin du révérend. Mais c’t’impertinent d’Alfred, ça lui suffisait pas, vu qu’il est très extrémisse d’idées. Il a collé dans le paquet une poignée de dragées aphrodisiaques.
« Rigolez pas, c’est traître comme blague. Surtout à un jeune prêtre qu’avait encore la paille d’emballage du séminaire sous sa soutane ! Paraît qu’à la suite de cette gaminerie, on lui a retiré le catéchisme des petites filles. De quoi briser un apostolat, je vous dis. »
Il a un vilain enrouement, Béru. Il s’est trop donné pour une première fois, le Généreux.
— Une dernière chose, graillonne-t-il. Est-ce qu’on peut chanter des chansons de salle de garde a un baptême ? Y en a qui disent « non », y en a d’autres qui disent « oui à condition que ça soye dulcoré ». Je vas vous répondre, les gars. On peut !
« On peut, vu que le bambino est trop petit pour piger. Pourquoi se gêner alors ? Quand on est grande personne, les occasions de pousser une goualante sont trop rares. Et puis, pour un baptême, une chanson salée me paraît au contraire tout indiquée ! »
Cette fois il se tait. Exténué, sublime !
C’est plus fort que nous : nous nous levons afin de l’acclamer. Il salue, de ses bras en V. Il remercie de la hure. Il bredouille des « c’est bien, c’est bien » avortés.
Les applaudissements montent, crépitent, s’enflent dans la vaste salle. Galvanisé, Béru s’écrie alors :
— Moi, Bérurier, je dis un grand merci à cette foule de jeunes que je vois rassemblée devant moi. Vive l’Ecole nationale supérieure de police ! Vive la police tout court ! Et vivent les étudiants !
Dans un indescriptible délire, tous les élèves rassemblés entonnent alors l’hymne fameux :
Vivent les étudiants, ma mère,
Vivent les étudiants !
Ils ont des femmes et pas d’enfants,
Vivent les étudiants !
Tout frissonnant de gloire, le Gros ramasse sa serviette écossée, sa bouteille vide et son manuel. Il se retire à reculons, la cravate dénouée, l’œil extasié, le front violet, la braguette béante. Exécutant des courbettes émues à gauche, à droite, au centre ! Superbe, triomphant, bon jusqu’à la liquéfaction. Magnifié par ce grand savoir qu’il vient de répandre a giorno sans pourtant s’en dépouiller.