Deux ans après...

Ou bien:

Le jour du mariage...

Le reste sêopérait dans lêimaginaire du public. Donc, un peu plus tard, Irma étant de nouveau

essorée, nous partons. Salami fait la gueule, vu que je ne lêemmène pas, biscotte la fourrière des Britiches.

Je passe un accord avec le room-service pour quêon lui apporte de la bectance de qualité, car il est fine gueule, le bougre.

GRIMPE-LA EN DANSEUSE

î

Vous devriez profiter de mon absence pour vous mettre à la recherche de Bérurier, conseilléje. A quoi sert votre odorat si vous êtes infoutu de retrouver un type qui pue comme un abattoir en grève!

Ulcéré par ce dur propos, il me tourne le dos.

Mile Van Loy, cêest du bonheur à lêétat brut. Mémé disait des filles sympas quêelles étaient ´des bouquets de printemps ª. Jêai baigné pendant toute mon enfance dans ses lieux communs, maximes de couturière, adages de coquetier. Pas surprenant que jêaie réagi en me lançant dans les calembredaines turpides, les néologismes de rezde-chaussée, les jeux de mots crassouillards...

Nous suivons le littoral jusquêà Dunkerque et allons nous engouffrer dans ce fameux tunnel qui nêa pas interrompu lêinsularité de la grande Albion, quoi quêon en ait dit.

Le temps resplendit, assurerait ma marchande de radis préférée.

Je pilote dêune main gauche, réservant une main droite à la chattoune de ma compagne, pas la laisser refroidir. Cêest dingue comme elle mêinspire, la gentille Flamande. Si je mêécoutais, je ne retirerais mon b‚ton de maréchal de son écrin que pour le fourbir entre deux lancers de fumée.

Nous voici donc au pays du pudding levant. Direction London.

Avant toute chose, sêassurer dêun bivouac. Biscotte mes go˚ts de luxe, je prends une chambre au Dorchester. On faillit remettre le couvert, mais ne voulant pas que mes glandes soient plus desséchées que le Sahel saharien, nous ressortons immédiatement. Auparavant, je donne un coup de turlu à

Stendley Mallory.

Personne ne répond. Tu connais mes pulsions et impulsions? Sans lêombre dêune hésitance, je décide dêopérer une violation de domicile.

Laissant ma tire à lêhôtel, jêaffrète lêun de ces merveilleux taxis londoniens qui te font réaliser ton débarquement sur une autre planète.

î Tu veux bien mêattendre dans la voiture, ma tendre aimée? fais-je à ma gente enfourchée. Je nêen ai que pour un instant.

Le taxi-driver objecte quêil ne peut sêattarder dans cette artère à haute fréquentation.

î quêà cela ne tienne, gazouille la douce Irma, je vais en profiter pour acheter des slips dans le magasin que jêaperçois là-bas.

Décidément, ils achètent tous des calbutes, dans ce book!

Ainsi est fait et jêengouffre lêimmeubleê.

Il est cossu, dêune raideur victorienne sur les bords.

Le personnage qui mêintéresse occupe le troisième étage.

I.

Locution quêon ne peut utiliser sans posséder un permis de san-antoniaiser, en cours de validité.

122 GRIMPE-LA EN DANSEUSE

Par acquit de conscience, je sonne longuement, à deux reprises, avant de dégainer mon sésame.

Lêapparte o˘ je déboule est ravissant, exquise-ment meublé et décoré; il sent le parfum qui nêest pas vendu en bonbonne.

Tu piges illico quêil est occupé par un gay luron. Un minuscule living, une chambre davantage conçue pour la baise que pour la dorme, une salle de bains pourvue dêun bidet français à jet rotatif, une kitchenette dans laquelle tu ne peux guère accommoder que des sandouiches : cêest le pied-à-terre froufrou dans toute sa gr‚ce.

La première chose que jêavise dans le salon, c~est la cage à oiseau (au singulier) engourdie la veille dans la maison dêAstrid. Elle trône sur un bonheur-du-jour (voire de la semaine passée) en palissade (dirait le Mastard pour palissandre). Je nihune-hideuse : la recouvre dêun ch‚le indien jeté sur une banquette et lêemporte sans haut-de-forme de procès.

Mon absence ne sêest pas prolongée au-delà de quatre minutes et ma tendre Irma continue dêempletter.

Elle vient de se décider pour un adorable slip blanc agrémenté de fleurettes roses et hésite devant une culotte noire dont la qualité

dominante est dêêtre fendue entre les jambes.

î Puis-je te souffler mes coupables penchants et têoffrir la lingerie de mon choix?

Elle rosit, biscotte la vendeuse est une vieille peau dont la place serait davantage justifiée chez un marchand dêeczéma purulent...

Sans attendre la réponse de ma ćollègue ª, je me détermine pour un élégant sous-vêtement bleu ciel, muni de dentelle, et un remake des ´pantalonsª de grand-mère dont les jambes, pourvues de rubans, sêarrêtent au-dessus des genoux.

î Succès assuré! chuchoté-je à ma conquête. Avec cet équipement, je têassume dans la catégorie levrette à deux reprises non-stop!

Sans vouloir dilater des burnes ni des pectoraux, je peux te garantir quêelle piaffe dêimpatience, la petite Ostendaise. Cette gosseline, mêest avis quêelle a opéré un mauvais départ dans le sirop de mec. Lêa d˚

sêembourber un glandu inexpérimenté qui me lêaura b‚clée, style la petite trempette du b˚cheron à la b˚cheronne. Momitude du scieur de long!

Je cigle nos emplettes à lêeczémateuse revêche. Elle sait trop, la chère

‚me, quêelle peut revêtir toutes les suggestiveries de sa boutique, les seuls trucs quêelle se branchera dans lêarmoire à bidoche, cêest des trognons de choux ou des betteraves sucrières.

La vie est féroce pour certains, tu sais

Et pour certaines encore plus.

Alors, bon, nous quittons le magasin, Irma son paquet à la main, moi la cage, enveloppée du ch‚le, dans les bras. London est si lumineuse que nous décidons de gagner lêhôtel à pince.

La facilité avec laquelle jêai récupéré le larcin de Stendley Maliory me rend maussade au lieu de mêexciter. Je sais trop bien que rien nêest aisé

dans la vie et que ce qui se réalise facilement a 124 GRIMPE-LA EN DANSEUSE

quelque chose dêescamoté. Les victoires sans gloire nous laissent sur notre faim.

Bon, alors on marche.

Jêai longtemps cru préférer New York à London, avant de comprendre que je mettais à côté de la plaque. Il y a un je-ne-sais-quoi dans la capitale britannouille qui crée un trouble et génère le respect.

î

A quoi penses-tu? demandé-je à ma gentille, la voyant en méditation.

î

A ce que tu viens de mêacheter. Je voudrais te faire une séance dêessayage jêadore têexciter.

î

Cêest de la frénésie!

î

Je nêavais encore jamais éprouvé un tel désir.

î

Alors, on prend un cab?

î

Oh oui!

Je lève la main pour héler un sapin. Aussitôt, une grosse bagnole noire sêarrête à notre hauteur. Nous nous avançons jusquêau moment o˘ je constate quêil ne sêagit pas dêun bahut.

î

Excusez-moi, dis-je, cêest une méprise.

Un personnage qui se tenait à côté du conducteur descend du véhicule en souplesse et dépone la lourde arrière.

î

Montez! dit-il dêun ton que je te vas qualifier de tranchant.

î

Mais! riposté-je avec éloquence.

Cêest à cet instant que je remarque le revolver quêil dissimule sous une paire de gants.

Mon regard croise celui de lêhomme.

î

Voyons, fais-je dêun ton bon enfant, on ne tire pas sur quelquêun en plein Londres!

GRIMPE-LA EN DANSEUSE

125

î

Vous prenez le pari? demande froidement le gars dont les yeux sont aussi courtois que ceux dêun crotale (de Chavignol) ou dêun Croate de Belgrade.

î

quêest-ce qui se passe? demande la petite chérie qui, jusque-là, ne sêest aperçue de rien.

î

Prenez place!

Seulement, y a une chose que tu ne dois pas oublier : elle est flicarde î

Je ne monterai pas! déclare-t-elle résolument.

î

Si, et vite! intime notre tagoniste en lui enfonçant le mufle dêacier de sa seringue entre les côtes.

Ma collègue panique peut-être en apercevant lêénorme membre de Bérurier, par contre, un vilain qui la braque la laisse de marbre.

Négligeant mes points de suture, jêen profite pour filer un coup de boule dans le menton du bandit.

Il

sêécroule en l‚chant une rafale.

Cri déchirant dêIrma.

Je veux la retenir, mais le truand choit entre elle et moi.

Le mec au volant juge la partie trop mal engagée pour ses fesses et opère un démarrage dêale-La vie, cêest commak.

Tu crois que tout baigne et, en une pincée de secondes, tu es précipité

dans lêhorreur. Souviens-toi des Hiroshimiens, le 6 ao˚t 1945. Ils se trouvaient tranquillos en train de bouffer du riz Uncle Benês ou de baiser, et voilà que lêaigle américain leur pond un oeuf de sa façon, les précipitant dans lêenfer! Dieu sait quêils étaient charognards, les Japonouilles, mais cette bombe nous les a brusquement rendus fratemaux.

Ainsi de mégnace p‚teux. Satisfait et vibrionnant dans Oxford Street, ma cage sous le bras. Un vautour noir fond sur nous et lêunivers bascule.

Tout va à folle allure. Jêenjambe lêassaillant, écarte son arme en shootant dedans, me penche sur Irma. Elle a morflé les bastos dans le côté droit. Sa robe est déjà trempée de sang.

î

Jêai mal, balbutie-t-elle, très mal.

Puis sêévanouit.

Oh! ce sentiment dêimpuissance! Ce désespoir glacé

Effervescence autour de nous. Je vois une grappe de visages effarés : des Angliches, des Indiens, des Jaunes... Jêentends des coups de sifflet. La rumeur de la circulation. Des autobus àimpériale continuent de passer.

Je serre fort la main de ma tendre Belgette. Ámour, ne têen va pas!

exhorté-je muettement. Ne me quitte pas ! Je têen conjure, vis ! ª

A deux mètres de la petite flique, il y a lêarme du meurtrier, avec son groin camus. Un petit mec, genre jockey à la retraite, se penche pour la ramasser.

î

Don èt touch! aboyé-je.

Il

stoppe son geste.

Je décris une demi-volte pour voir o˘ en est notre agresseur.

Dans le fion, mon pote! Disparu!

-~ O˘ est passé le tueur? hurlé-je-t-il.

Le gars que je suppose indien fait un geste de la main. Je me détronche pour mater: ballepeau

Il

sêest fondu dans la foule.

Jêai un élan pour me lancer à sa recherche; àquoi bon? Tu parles quêil a d˚

mettre la surmu!

Anéanti, je glisse ma dextre dans lêéchancrure corsagère de ma compagne. Je détecte de la vie, mais ça breloque et sêaffaiblit.

La-dessus se pointe un drauper, puis une bagnole de poulets et enfin une ambulance.

Les bobbies sêactivent sans gueuler ni gesticuler : à la britiche ! On emporte ma gentille. Un perdreau aux manches zébrées de blanc se saisit délicatement du feu en le bichant par lêextrémité

de son canon et le glisse dans un sac en plastique. Exactement comme dans les films.

Les gonziers du service technique arrivent àleur tour, flashent à tout va, à tout vent.

Jusquêalors jêai lêair de compter pour du beurre. Personne ne mêa rien demandé. Mais dêautres chignoles radinent. Ces messieurs créent une sorte de no manês land dans une partie de la rue, quêils délimitent avec un ruban rouge.

Enfin, un officier de police survenu dans une grande limousine noire sur laquelle le roi George V a appris à conduire, daigne me prendre en considération, du moins sêoccupe-t-il de moi.

î Puis-je vous prier de décliner votre identité, sir? me dit-il.

Rivalisant dêimpassibilité, je dépose ma cage àoiseau sur le trottoir et produis ma brème officielle.

´Touché, coulé ! ª dirait mon cher Benloulou.

Mon terlocuteur est un bonhomme en fin de carrière, au visage brique, aux crins blanchouillards et aux yeux pervenche.

î Indeed! sêexclame-t-il.

î Tout ce quêil y a dêindeed, confirmé-je.

Dès lors, il se présente en bonnet difforme Śuperintendant Mac Mahon ! ª.

Me prie de carrosser en sa compagnie. Et nous voilà en décarrade dans la City.

î Navrante histoire, nêest-il pas? me déclare-

tîil.

î Dramatique, renchéris-je.

Ce gusman contrôle admirablement sa curiosité, comme tous les Britanniques lorsquêils sont anglais ; nêempêche que je suis con et for (je veux dire contraint et forcé) de lui l‚cher du lest... Le fais à ma manière, racontant à ce Rosbif violi sous le kebour quêen France nous sommes sur la trace de trafiquants de drogue très dangereux : il vient dêen avoir la preuve. Cette enquête mêa conduit en Belgiquerie (o˘ je suis entré en contact avec la sergente Irma Van Loy) puis nous a branchés sur lêAngleterre. Sêapercevant de cette filature, les crapules nous ont allumés illico-daredare.

î Vous auriez peut-être été bien inspirés en appelant le Yard, suggère de son ton placide le superintendant Mac Mahon.

Je lui rétorque que nous comptions le faire mais nêen avons pas eu le temps. A quoi bon zizaner?

Et cêest la routine flicarde qui me happe. Rapport, déclaration, la lyre...

Mon réflexe est de me rendre à lêhosto. B‚timent austère, avec encore du gothique dans sa façade. Des religieuses aussi joyeuses quêune épidémie de peste bubonique accueillent le public derrière une longue banque sculptée de têtes de lion. Je demande après miss Van Loy, hospitalisée quelques heures plus tôt.

î A quel titre? sêinquiète mother Gladys?

Jêestime plus ingénieux de lui présenter ma carte. Certes, elle est française, mais le mot ´ police ª est international. La brave soeur hèle un certain

GRIMPE-LA EN DANSEUSE

Thimoty, somptueux g‚teux en blouse verte (harmonisée à son teint) et lui enjoint de me piloter.

La ganache dêoutre-Manche mêentraîne jusquêaux ascenseurs datant dêOliver Cromwell ; je mêattends à voir lêimmense cage dêacier sêélever. Au lieu de, elle descend.

Nous parvenons à un long couloir peint gris foncé et cacaboudin. Le G‚toche verd‚tre me précède sur une cinquantaine de mètres linéaires, puis stoppe devant une très grande porte montée sur un rail, la fait coulisser.

A ce point de mon livre, je pige.

Tout!

Nous sommes à la morgue! Dieu sait que je ne suis pas une mauviette, mais devant cette brutale autant quêimplacable réalité, un vertige nauséeux mêempare. Pour un peu, je tomberais à genoux et me mettrais à gerber sur le carrelage.

HéroÔquement, jêaccompagne mon cicérone jusquêau bout. Le dabuche nêest pas pressé, prend même le temps de tirer de ses brailles un mouchoir vaste comme une nappe à pique-nique. Lui fait lêoffrande de résidus quêil contemple nostalgiquement avant de les empocher.

Enfin, il ouvre le compartiment numérô 8 et sêécarte.

Eh bien oui : elle est là. Chaste dans sa nudité de morte. Son flanc droit est percé de quatre trous dêun rouge quasiment noir!

Naguère, elle se donnait à moi avec passion. qui pouvait penser que, quelques heures plus tard, elle gésirait dans cet abominable récipient GRIMPE-LA EN DANSEUSE

131

de zinc, en attendant dêêtre la chose dêun médecin légisteê?

Je voudrais lui dire des mots dêamour, ou bien pleurer. Mais je me sens de pierre également. Aussi monolithique quêelle.

Il

va falloir apprendre la nouvelle à ses collègues; à ses parents, surtout. Elle est partie joyeuse, pimpante dans sa jolie robe estivale. Sur la plage dêOstende, les ćhevaux de la mer, arrivaient la tête la première ª.

î

That ès ail? me demande la ganache couleur chlorophylle.

î

Yes, sir: cêest tout!

Cêest pas pour enfoncer le clou, mais tu imagines mon retour à lêhôtel, lê

‚me bourrelée de chagrin, une cage à oiseau dans une main, des culottes pernicieuses dans lêautre?

Je pose mes deux paquets sur le lit et décroche le bigophone pour turluter à la Maison <(«a Renifle ª. Je retrouve quelques bribes dêénergie en reconnaissant le m‚le organe de Jérémie.

î

Putain, cêest toi ! Ton silence commençait à mêinquiéter, déclare mon cher ail-black.

î

Je suis à Londres; il faut que tu mêy rejoignes immédiatement, fais-je en écho. Commande le zinc réservé aux missions spéciales. Je têattends à lêhôtel Dorchester.

î

Tu ne veux pas me dire de quoi il retourne?

î

Si je jactais, je craquerais, balbutié-je. Arrive, je têen supplie.

Je raccroche.

Jêai juste la force dêaller bouclarès et de balancer mes tartines à travers la pièce. Cela fait, je me fous à plat ventre sur le lit.

Il avait raison, Béni : mon destin se met àschlinguer les cagoinces bouchés ! Il prévisait, le Gros, que quelque chose allait mêarriver; et à

lui idem par la même occase. Roncevaux, Roland sans Durandal Franchement, jêaurais d˚ rester près de Félicie!

Toujours cette sensation de présence.

Il a peur de quoi, lêhomme? De lêhomme, têas remarqué? Bien davantage que du serpent minute ou du grizzli. Lêhorrible homme des neiges! Lêhomme de loi, dêarmes, dêargent, de lettres, dêEtat, de paille, de peine, de la rue.

Primate aux pensées torves. Branleur, fourreur, sodomite.

Brutalement, je me livre à deux constatations: 10, je dormais; 2∞, je ne dors plus.

Je roule sur le côté. Seigneur, thank you very moche.

Jérémie Blanc est assis à mon chevet. Les jambes croisées, le regard inquiet...

î Je nêai jamais vu quelquêun en écraser de cette façon, à lêexception des opérés de frais. Jêai eu beau sonner, tu ne répondais pas ; cêest un gars de la réception qui est venu actionner le verrou avec un passe spécial.

î Tu es là depuis longtempsê?

î Dix minutes; tu avais une expression de total abandon, alors jêai compris quêil fallait te laisser récupérer.

Je lui propose ma main. Il sêen empare et la pétrit lentement, pour me communiquer sa force

134 GRIMPE-LA EN DANSEUSE

tranquille, son énergie. Je le contemple dans la lumière glauque filtrée par les voilages.

î

Cêest beau, un nègre, murmuré-je.

Il

sourit et attend, bien décidé à ne pas me presser. Je lêai souhaité. Il est là. A moi de commencer les tirs au but.

î

Tu es passé sous un tramway? ne peut-il sêempêcher de questionner en désignant mes plaies à la tête.

«a floconne tout seul. Au fond, je suis un narratif. Jêaurais peut-être réussi dans le journalisme?

Je lui raconte bien tout, chronologiquement, au Jéjé. Jêy vais à voix posée, lente comme le pas du paysan arpentant ses champs. Je lui bonnis la géante qui mêinvite à Ostende, la maison hantée, mon duel foiré avec le Teuton, mon coup de foudre (et de foutre) pour la malheureuse Irma, lêenlèvement du couple momifié, par mes potes. Lêidentité de lêhomme, te général Karl Hecht, mort dêune injection de strychnine il y a 53 ans. Le retour de La Pine et du Rouquemoute à Pantruche. Le Gros en proie à de funestes pressentiments refusant de me quitter. La nuit chez lêAsperge.

Lêarrivée du Rosbif venu sêemparer dêune cage à oiseau. Le basset qui se coule dans sa trottinette et manque se laisser fourriérer au pays du bacon levant. Le coup de fil dêun homme ‚gé, à lêaccent germanique.

Lêinexplicable disparition dêAlexandre-Benoît Bérurier. Les traces de pas géants dans la poudre de perlimpinpin. Mon départ pour London en compagnie de lêadorable

GRIMPE-LA EN DANSEUSE

135

sergente. La récupération aisée de la cage, suivie presque aussitôt de cette tentative de rapt au cours de laquelle notre petite consoeur a trouvé

la mort (écrirait une certaine presse à envelopper des oeufs ou à évacuer les Tampax forclos). Pour finir, mon S.O.S. à lui, Jérémie, et mon engloutissement dans un sommeil opaque.

î

Pauvre grand, soupire lêami en négatif, tu traverses une période plus noire que je ne le suis. 11 sêagit de courber le dos et de foncer.

Puis, changeant de ton

î

Tu ne mêas pas dit ce que contient cette fameuse cage.

î

Pour lêexcellente raison que je lêignore. Ses lotos pareils à des boules de billard sêélargissent jusquêà ressembler à des ballons de foot.

î

Tu viens de passer des heures en sa compagnie sans lêexaminer?

Je lui souris triste.

Manifestement, cêest pas la grande forme, comme me le faisait remarquer Salami.

î

Je têattendais.

Alors voilà. Cêest un oiseau, quoi. Une espèce qui vient des îles (je ne sais lesquelles; pas les britanniques, en tout cas).

Il

a des plumes de couleur à dominantes bleues, éteintes par le temps, qui furent probablement somptueuses. Ses pattes grêles sont fixées sur un perchoir doré. Blanc a glissé sa forte pattoune par la porte et palpe la bestiole. Il retire sa dextre, place la cage à lêenvers pour examiner le dessous o˘ figure une plaquette de cuivre. Je lêentends marmonner: î

Ludwig Kaul. Munich.

Il

me défrime.

î

que faisons-nous? On dépiaute le volatile?

î

On nêa guère le choix.

Docile, il lêarrache de son socle pour le déposer sur la table.

A la renverse, le pensionnaire de la petite loge grillée ne ressemble plus à grand-chose. La magie des objets est subordonnée à la manière dont ils nous sont présentés.

Le Bronzé-de-partout le scrute, centimètre carré par centimètre carré.

î

Tu cherches une ouverture?

î

Oui, mais en vain : on ne lui a même pas laissé de trou du cul.

Sêemparant de son stylo Montblancê, mon ami Vendredi sonde le zize à petits coups rapprochés.

î

Cêest plein, déconvient-il ; un corps de bois sur lequel furent collées de véritables plumes. Evidemment, ça évite les risques de décomposition.

î

Ce que vous ne trouvez pas à lêétalage figure peut-être à

lêintérieur, déclaré-je. Attends que je me passe un peu les nerfs!

Saisissant la cage, je la mets sur le tapis et lêécrase à coups de talon.

A vrai dire, ce nêest pas du travail dêorfèvre et je ne me sens pas très fier de ma prestation. Lêoiseau romantique nêest plus quêune épave dans une carcasse de fer saccagée, hérissée de petites tiges.

Je continue de mêacharner dessus, ivre de haine, comme si je le rendais responsable de la mort dêlrma. Et, au fond, nêest-ce pas un peu de cela quêil sêagit? Sans cette bestiole, elle vivrait encore, ma jolie policière!

Sonnerie du bigophone. Jérémie décroche.

î

Ne quittez pas!

1.

Publicité rigoureusement gratuite. San-Antonio, siI est à louer pour son oeuvre, nêest en tout cas pas à vendre.

Il

pose sa paluche en nageoire de tortue marine sur le combiné.

î

Le superintendant Mac Mahon, ça existe? me demande-t-il.

Jêempare le biniou.

î

Ici San-Antonio! mêannoncé-je sèchement.

Pas le moment quêil vienne me les briser, ce branleur plein de gin ou de whisky.

î

Navré de vous importuner, sir. Je voudrais faire appel à votre mémoire pour un détail

auriez-vous eu le réflexe de noter le numéro minéralogique de vos agresseurs?

î

Non, dis-je, mais peut-être y a-t-il eu des témoins qui...

Il

se permet de mêinterrompre.

î

Certes ! fait-il, mais la voiture était pourvue dêun système de

´retournementª. Sitôt que les choses ont dégénéré, le conducteur lêa actionné, si bien que les plaques se sont renversées pour présenter des faces complètement blanches. Depuis quelque temps ce procédé est utilisé

par nos truands.

î

Même dans ce domaine, la Grande-Bretagne est à lêavant-garde du progrès, proféré-je avec aigreur.

î

Ce sera tout, sir; pardonnez-moi.

Je raccroche puis éclate de rire. Un rire sauvage, mesquin, minable.

î

quêas-tu? sêinquiète le gentleman des bidonvilles sénégalais.

Je lui relate ma brève converse avec le Couperosé.

GRIMPE-LA EN DANSEUSE

139

Je le prends par lêépaule.

î

En me posant la question, ce gland mêa rappelé que j èavais la réponse ! Faut-il que mes blessures ainsi que ma peine fussent grandes pour que je lêeusse occultée. quand jêai réalisé que lêauto en question nêétait pas un taxi, machinalement jêai filé un coup de saveur sur son numéro. Tu veux bien noter?

î

Cêest parti, fait-il en sortant son stylo et son carnet (un des calepins de papa dont je lêapprovisionne, mon père en ayant laissé un stock inépuisable).

Je ferme les paupières, dont lêune est gonflée comme la capote dêun tilbury.

î

Vingt et un! dicté-je, kif un médium en transe. Plus loin, quatre.

Et dessous les lettres W

WC.

Un temps de récapitulation.

î

Cêest tout, grand?

î

Je suis absolument certain de ne pas me gourer.

Il

traduit sa pensée dêune formule magistrale qui lui est familière î

Têes chié, Antoine!

î

Tu trouves, toi, que je suis chié?

î

Et maintenant, on continue dêexplorer la cage? sêenquiert-il.

î

Tu parles!

Si quelque chose est dissimulé à lêintérieur, ça ne peut-être que dans le fond.

Je la ramasse et sors mon couteau, inséparable compagnon de mon existence mouvementée. Le

140 GRIMPE-LA EN DANSEUSE

premier ´ plancherª est fait de tôle mince recouverte de feutrine velouteuse. Je procède kif avec une boîte de conserve, à savoir que je plante le ya dans le plateau circulaire et découpe celui-ci sans me soucier des ébréchures.

Le Négus est en catalepsie; bientôt, ses gobilles vont lui pendre sur les joues. Ma besogne produit un léger bruit grinçant qui ajoute au suce-pince.

Voilà ! Le disque mal ébarbé cède, je lêenlève. Nous apercevons alors une épaisseur dêouate rose que jêentreprends de palper. Je sens sous mes doigts des trucs de formes différentes. En retire un au hasard, enveloppé de papier de soie. Je le tends au niac.

î

A toi lêhonneur, Burnes sombres!

Il

frémit en dégageant lêobjet, pousse un sifflement admiratif. 11 a, entre ses mains dêex-escaladeur de cocotiers, un bracelet composé de diamants gros comme des noisettes.

Soufflé, il le fait jouer à la lumière.

î

Tu as vu cette couvée de millions! balbutie-t-il.

Je plonge dans le coton à pleines paluches. En retire dix autres pacsifs.

Certains sont petits : les bagouzes. Dêautres plus volumineux : les colliers. Nous dénichons également des pendants dêoreilles et des broches.

Débarrassés de leur emballage, tous ces joyaux étincellent à la lumière du lustre. Mis en tas, ils font caverne dêAli Baba!

î

Tu as une explication quant à leur origine? demande Jéjé.

GRIMPE-LA EN DANSEUSE

141

î

Naturellement : il sêagit là dêun butin provenant de rapines nazies. Le général allemand, parti en même temps que Hess, pensait lêutiliser pour sêaménager un avenir confortable. Cêétait un homme cupide et utopique; comme si les braves Britiches allaient lui accorder un permis de séjourner ailleurs que dans une prison

î

Alors, ta version des faits, Homme blanc?

î

Des plus simplistes. Le coucou de lêofficier a été abattu, mais le général sêen est tiré. Il a pris sa fameuse cage et a tenté de fuir.

Seulement quelquêun lêa rejoint. qui? Mystère. Peut-être la fille quêon a retrouvée dans le conduit avec lui?

Íl a été amené ici. Probablement avait-il aussi des paquets de banknotes et en a-t-il proposé à la personne qui lêa pris en charge? Une fois dans cette maison, on lêy a tué pour le détrousser et on a emmuré son cadavre avec celui de la femme. Je pense que ma ìcopineî Astrid possédait des grands-parents pas très cathos.ª

î

Ceux-ci ne se sont doutés de rien, à propos de la cage, rêvasse le Noirpiot.

î

Sinon ils lêauraient explorée cinquante piges avant nous. Ils lêont conservée parce quêelle était charmante.

î

Jugeant normal quêun aviateur se baguenaude dans le ciel de guerre avec cet objet incongru?

î

Peut-être ont-ils cru à une mascotte ; cêétait la mode, chez les aviateurs, de voler munis dêun porte-bonheur souvent ahurissant.

Mon brave aminche acquiesce:

GRIMPE-LA EN DANSEUSE

î Probable, en effet. Mais alors, comment lêAnglais a-t-il connu lêexistence et lêinestimable valeur de cette volière?

î Excellente question à laquelle nous devrons trouver une réponse.

Lêinexorable compte-gouttes du temps, disait si joliment la marquise de Sévigné dans lêun de ses télégrammes à la comtesse de Ségur, nous laisse déductionner un bout, après quoi je murmure, me parlant à moi-même î quêallons-nous faire de ce tas de cailloux? Il est impossible de retrouver les malheureux juifs auxquels ils furent pris et qui sont sans doute morts depuis longtemps.

Jérémie rêvasse en tripotant les gemmes

î 11 y aurait de quoi construire un dispensaire dans un coin déshérité

dêAfrique, là o˘ les bébés ont les yeux bouffés par les mouches.

Il ajoute

î Car, enfin, cette fortune sort du néant...

Pourquoi suis-je aussitôt séduit par cette idée?

î Tope là, Blanche-Neige; on va sêy coller dès que nous en aurons terminé

avec cette affaire. Et nous ne laisserons personne créer une fondation de Ceci-Cela, plus ou moins poreuse, que des requins marloupins, façon Crotte-Joseph, écument à la grande louche!

La poignée de main que nous échangeons (dêailleurs on ne lêéchange pas, puisquêon la constitue) est de celles qui scellent.

Soudain miracle ! Je me sens délivré du mauvais sort qui mêaccablait. Un soleil miséricordieux se lève sur mon marasme.

GRIMPE-LA EN DANSEUSE

143

î

Nous allons prendre un coffre dans une banque londonienne avec signatures conjointes, poursuis-je. Le moment venu, nous négocierons la vente de ces pierres afin dêalimenter le financement de <(notreª

dispensaire.

î

Nous le baptiserons Śaint-Antoine ª, fait gravement le Bougne.

î

Ne commençons pas à mégalomaner; nous lêappellerons tout simplement

´lêHosto ª.

Comme il était tard, nous décidèrent de sauter le dîner et nous nous couchîmes sans tarder.

20

Dès le lendemain morninge, les bijoux sont placardés dans la salle des coffiots dêun sanctuaire à pèze comme il nêy en a quêen GrandeBretagne.

Lorsque tu pénètres dans ce temple de la sterlinge, tu redoutes dêavoir laissé ta braguette béante ou dêarborer du foutre sur ton bénoche. Des mecs à frime de cierge, noirement vêtus, consentent à nous louer une tirelire fortifiée, sise dans une crypte marmoréenne o˘ le moindre pet doit ressembler au roulement du tonnerre dans la jungle birmane.

Notre pactole, réuni dans un sanitary bag de salle de bains, retourne à

lêobscurité pour, je lêespère, une durée plus courte que celle venant de sêécouler.

Satisfaits, nous pénétrons dans un pub, histoire dêarroser cette victoire partielle.

Devant deux whiskies sans eau, servis en des petits verres, nous décidons dêune conférence au sommet.

î Notre conduite me paraît toute tracée, attaqué-je il faut retrouver la bagnole des meurtriers. Apparemment, rien de difficile à cela GRIMPE-LA EN DANSEUSE

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puisque nous avons son numéro. Seulement, si je me mets à sa recherche, je vais droit aux emmerdes, après ce qui est arrivé.

î Ben, y a moi ! objecte Saint-Vendredi. Moi : blanc comme un lis ! Je vais mêen occuper. Cela dit, on pourrait peut-être se cogner le tronc, mec? Je commence à prendre la crampe du nageur de fond. Tu boufferais pas chinetoque, pour changer?

î Si tu veux.

Y en a un qui mêa lêair chouettos à lêhôtel. Pas le genre dêendroit o˘ on te sert du rat crevé à la sauce piquante. Nous nous y rendons sans férir le coup. Ce que nous commandons, je ne te le raconte pas, jêaurais lêair de tirer à la ligne. Des machins appétissants, toujours est-il, dorés, onctueux et pas chérots. Cêest pour ça que le monde occidental est submergé

de restaus chinois qui, la plupart du temps, ne sont même pas asiatiques.

La briffe expédiée, nous nous séparons momentanément. Lêhomme des savanes part à la recherche de la tire, moi à celle de mon équilibre. Certes, jêai franchi, je le sens, le cap des tempêtes, encore me faut-il récupérer cette incomparable légèreté de lêêtre qui rend mon existence si riche et si harmonieuse.

Une main dans la poche de mon grimpant, jêarpente Oxford Street. Décision subconsciente me rends chez le dénommé Stendley, voir la frime quêil pousse après la disparition de sa cage à zoiseau. Et puis aussi bavarder de choses et autres. ´ De la discussion jaillit la lumière ! ª assurait papa. Cêest ce quêil est allé raconter un jour àdeux mecs qui se battaient.

Ben, il en a pris plein le portrait, mon géniteur, biscotte les adversaires, mécontents dêêtre interrompus par son prêche, lui ont ciré la gueule en grand. De lêincident datait son premier bridge (sur la rivière KwaÔ).

Jêarrive à la hauteur de lêimmeuble quêhabite Bébé rose. Mon coeur commence à se pignoler quand jêavise sa Morgan à proximité de la garçonnière.

Nous allons enfin lier connaissance, le mec et Bibi. Mon coup de sonnette mélodise dans lêescadrin...

Je perçois un bruit de pas, léger. On délourde et me voici face à face avec le chérubin. A lêintérieur, ça mouline de la musique nouvelle, de celle qui te fait saigner les tympans kif le tarbouif dêun boxeur inexpérimenté.

Le gars est assez joli garçon : plutôt grand, mince, vaguement rouquinant.

Il porte un bermuda bleu et un tee-shirt ample que ça imite le drapeau de lêUnion Jack.

î

Vous désirez? me demande-t-il.

Et ma pomme, dans la superbe langue quêemploie la Couine Elisabeth II lors de ses discours au Parlement

î

On mêenvoie chercher la cage!

Je lui annonce la chose benoîtement, avec amabilité, ponctuant dêun sourire pour parfumeur primé.

Là, la frime du minet sêétrécit et ses yeux déclenchent les antibrouillards.

î

Mais... je ne comprends pas..., articule-t-il avec ses molaires du fond.

î

que ne comprenez-vous pas, sir?

î

Jêai prévenu...

î

qui et de quoi?

Il

a la mine angoissée dêun gars contraint de traverser le désert de Nubie sur le tricycle de son petit frère.

î

Eh bien... mister Flow... Je lêai informé de la disparition de la cage. Dêailleurs il était déjà au courant. Ses hommes ont vu sortir dêici le type venu la voler!

Je lui délivre un hochement de tête sceptique qui met le comble à ses alarmes.

î

Vous me permettez dêentrer?

Ce disant, je le pousse à lêintérieur de son enculodrome avec deux doigts en fourche.

Il

se liquéfie, comme la glace vanille que tu as abandonnée en plein soleil pendant que tu bouffais la chatte de ta tire-crampeuse.

Mécolle de relourder soigneusement.

Ayant procédé, je fais front au jeune homme.

î

Voyez-vous, Stendley, soupiré-je, mister Flow trouve cette affaire pas catholique-anglicane du tout et mêenvoie pour lêélucider.

î

Mais je nêai rien fait! geint le minet, catastrophé.

î

On va voir...

î

Jêavais pour mission de la prendre dans la maison dêOstende et de la ramener ici.

î

Seulement elle a disparu avant que vous ne la remettiez à Flow.

î

Ce nêest pas ma faute!

148 GRIMPE-LA EN DANSEUSE

î

Vite dit! qui pouvait être au courant de lêintérêt quêelle présentait?

Je lêignore. Moi-même, je ne sais pas ce quêil y a dedans.

î

Ah non?

î

Parole!

Il

dérouille un monstre coup de genou dans les ballottines et sêécroule, puis, semblable au Trou vert, il verditê.

î

Vous nêêtes pas sérieux, mon garçon, fais-je en mêasseyant sur une délicate banquette Tudor que je réveillerai plus tard.

Laissons-le récupérer. Pour tromper la tante, je lui sifflote Roses de Picardie, un vieux truc qui produit toujours sa petite émotion.

Mister Mailory revient doucement, nêose parler ni broncher, des fois que ça redéclencherait la foudre...

î

Vous alliez souvent dans cette maison? ai-je lêidée saugrenue de demander.

î

Cêétait la seconde fois.

î

La première, à quelle occasion?

î

Je devais prendre une livraison.

î

De quoi?

î

De salamis italiens.

Ce mot, à cet instant, mêattendrit et mêétonne.

î

Il y en avait beaucoup?

î

Six. Des gros.

î

Vous aviez le droit de les passer en Angle-terre?

î

Le Marché commun, répond-il.

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149

Nous en sommes là de cette converse à b‚tons rompus quand le bigophone rameute. Le pédaleur de charme mêinterroge du regard. Je lui fais signe de ne pas répondre. Le ronfleur trémulse sept fois encore et cesse.

Je profite du silence revenu pour méditer derechef.

î

En somme, vous vous êtes rendu à deux reprises à Ostende?

î

Juste.

î

Sans jamais y rencontrer quelquêun?

î

Neyer.

î

quels sont vos moyens dêexistence?

î

Je mêoccupe dêune troupe de thé‚tre.

î

Dêamateurs?

î

Oui.

î

Et ça vous rapporte suffisamment pour vous assurer ce délicieux appartement?

î

Je mêarrange.

î

Un peu avec le cul, un peu en travaillant dans des combinaisons glauques?

Me penchant sur lui, je vocifère

î

O˘ habite mister Flow?

Effarouché, il pousse un cri de souris enfilée par un rat dêégout.

î

Vous ne le savez pas? sêétonne-t-il.

Sêagit de ne pas le laisser réfléchir : je mêagenouille et lui balance deux douzaines de baffes àune allure de ventilateur emballé. Mêarrête, hors dêhaleine.

î

Réponse? aboié-je.

î

106, Saint-James Street.

150

GRIMPE-LA EN DANSEUSE

Me vient alors aux lèvres une phrase de ma tante Pernet. Chaque fois que jêallais la visiter (sur lêordre exprès de papa) elle me tapotait la joue et murmurait ´ Bien sage ª.

Me reste plus quêà prendre la cordelière des rideaux (et non celle des Andes) pour le faire tenir tranquille.

quarante minutes plus tard, très exactement, je me présente au domicile de mister Flow. Maison de très grand standing, en briques noires; portes et fenêtres peintes en blanc, de même que leur encadrement. «a mêa lêair de baigner pour ce monsieur.

Je gravis un perron de huit marches, flanqué de deux candélabres en fer forgé, et mon index flirte avec la sonnette.

Une soubrette arrogante, aux cheveux cendrés et à la moustache retroussée façon Bismarck, mêouvre.

Sêenquiert.

Je dis.

Elle secoue la tête catégoriquement

î Monsieur ne reçoit que sur rendez-vous!

î Peut-être Monsieur fera-t-il exception pour un pauvre directeur de la Police parisienne, réponds-je sans mêémouvoir. Montrez-lui toujours ma carte, je vais prier pendant ce temps

21

La duègne de mes pensées revient rapidement. A sa roguerie sêest substituée une expression déférencielle. Nous gagnons le premier étage, quêà Londres on appelle the first floor, et lêadjudante de service mêintroduit (en aucun cas ce ne saurait être ´à charge de revanche ª).

Je te ci-joins un vaste bureau meublé dêacajou sombre.

Un étrange personnage boit du café à une petite table dite dêappoint. Un zigus ‚gé dêun demi-siècle, petit, trapu, avec des cheveux épais, mal teints en noir, dont les favoris révèlent quêils sont en réalité couleur queue de vache (en realiry show, naturellement). Presque pas de menton, une peau de caÔman, des yeux dêun bleu si clair que, dans lêombre, on les croit entièrement blancs. Il est vêtu dêun costume prince-de-galles, cravate en tricot noir, pochette très épanouie, de couleur verte.

Il se dresse pour mêaccueillir, sans grand enthousiasme. Me salue dêun vague hochement de tête, sêabstenant de me tendre la main, me 152

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désigne un canapé à quelques encablures de sa table.

î

Pas très bien compris, m‚chonne-t-il. Français et détective?

î

Directeur de la P.J. de Paris, confirmé-je.

î

Oui, et alors?

Pour un Anglais, on ne peut dire quêil possède des manières de gentleman î

Alors, que fait un détective, mister Flow? Il enquête!

î

Comprends pas!

î

On parie que si?

Je têai raconté ses gros sourcils? Il devrait les teindre également, mais non, il les laisse à leur rouss‚terie.

Voilà quêil se beurre délicatement un toast rond, le rompt en deux parties, tel un prêtre au moment de la communion et lêengloutit dêun seul gloupement. Sa mastication est celle dêun chien vorace, donc brève. Ce gazier connaîtra des problèmes avec son estomê avant lurette.

î

Pressé! grogne-t-il à travers sa déglutition. Dites ce que vous avez à dire.

î

Maison dêOstende, le parodié-je, cage àoiseau, petit gay à la Morgan, you see, signore?

î

Non!

î

Voiture à vous, numéro tournant, jeune femme assassinée ! «a ne vous revient toujours pas?

Ii

ne répond rien, boit une gorgée de café et va presser un timbre situé sur son burlingue.

Je le contemple; lui, non. Tu jurerais quêil a occulté ma présence.

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153

Sa dragonne à baffles réapparaît.

î Raccompagnez-le! quêil enjoint, le courtois, en me désignant avec un cigare sorti dêun coffret.

Je me lève, cinglé par lêaffront.

î Je ne pense pas que vous choisissiez la meilleure méthode, lui jeté-je en gagnant la porte.

Furax dêêtre traité en puant, je précède la woman of bad-room et dévale lêescalier, aveuglé par la rage.

Juste comme je parviens au rez, tu sais quoi?

Faut que je te raconte ça, cêest trop poilant ma tronche éclate ! Je ne dispose que dêune fraction de seconde pour mêen rendre compte. Des trilles lointains dêoiseaux de paradis passent, zéphir sonore.

Retiens, la nuit! quêil égosille, le grand motard à pendeloques.

Cêest inutile : la nuit, elle est bien là

Pour un bon moment!

La bagnole roule.

Et tout en roulant, tangue.

Mais à ce point, cêest pas une voiture

Des flammèches scintillent à lêintérieur de ma citrouille. Tiens, jêaime bien les citrouilles, dêabord cêest bon à claper, et puis cêest joli, de forme, de couleur. Je connais un artiste ami qui ne peint que ça. Des citrouilles, des courges, des potirons ! Il acharne. Cêest féerique.

154 GRIMPE-LA EN DANSEUSE

«a remue de plus en plus. Parfois, ça sêaccentue, et le véhicule bondit pour retomber à grandes claques ébranleuses.

Ćonnard!ª sêexclame mon subconscient, lequel ne me ménage pas. Ón te mène en bateau, fils ! ª

La voilà lêexpliquance : un barlu!

A chaque instant, on en croise dêautres, et cêest ce qui nous fait tangoter plus ou moins fortement selon lêimportance dudit. Certes, je distingue des ronflements de moteur, mais assourdis car jêai la pensarde dans un sac.

Śeigneur! élevé-je-t-il mon ‚me, dans quel tas de merde me suis-je encore fourré!ª

Car, vois-tu, les impulsifs de ma pire espèce sont souvent niqués par leur fougue. Jêaurais d˚, au lieu de foncer stupidement, prendre dêélémentaires précautions. Pour commencer, attendre le Black, lequel, précisément se mettait en quête du propriétaire de la tire des meurtriers. Mais non, cocorico, cêest moi ! Le coq gaulois de la basse-cour France. Fait aux pattes avec une facilité déconcertante. Un puceau, un idiot de village!

Bonjour Tout-le-Monde, ici San-Antonio, le ´ rosierª de la Rousse parisienne.

Poum! un coup de goume sur la coquille. Un grand sac. La Tamise.

Chanson de ma grand-mère

Sur les bords de la Tamise

Nous nous en irons tous les deux,

Goi2ter I èheure exquise

Du printemps qui grise...

GRIMPE-LA EN DANSEUSE

155

Je ne pense pas que lêheure qui va suivre sera tellement exquise pour ma pomme. Lorsque, connaissant sa qualité de flic, un vilain le fait estourbir dans sa propre maison, cêest quêil est fermement décidé à lêéliminer.

Avant de me sacquer, on mêa saucissonné.

Les bras le long du corps. Jêankyloseê.

Manière de gagner un peu dêaisance, dirait mon tailleur, je fais de formides efforts pour décoller mes mancherons.

Pas zaisé!

Cêest surtout aux épaules quêon a mis la sauce.

Je réfléchis. Mêexhorte : Ántoine, mon biquet, va falloir têen sortir. ª

Cette détermination mêagrée. Du bout des doigts, je caresse mon futal. Ma poche droite. Je sens un truc dur qui nêest pas mon sesque (comme dit Béni). Réfléchis. Identifie. Mon Opinel, le compagnon fidèle de tous les sujets de lêancien Dauphin de France. Le couteau le plus simple et le plus résistant quêon ait jamais inventé depuis lê‚ge de la pierre taillée.

Dès lors, une farouche résolution me bite mêen emparer.

Yes, but how?

De mes salsifis engourdis, je délimite son volume. Pas dêautre soluce que de trouer mon falzuche. Comment? Avec lêongle de mon pouce, dis-tu?

I.

Note pour Jean Dutourd:

Óui, Jean, on doit dire ((je mêankyloseª ; mais ça changerait quoi à ma carrière de saltimbanque? ª

156 GRIMPE-LA EN DANSEUSE

Têen as de bonnes, bonhomme. Tu croives que ça se pratique commak, toi?

Jêessaie.

Tu sais à quoi je pense?

Au moment o˘jêescrime, un gonzierme lit dans ses cagoinsses. Cêest un endroit de rêve pour savourer un bon Sana. Les sphincters relaxes, lêurètre attendant son tour, lêhomme en défécation mêapprécie en plein. Chier en me lisant fait partie des authentiques félicités de ce monde, lequel parcimone de ce côté-là!

Après un temps de grattouille menue, je réalise que mes ongles, coupés court, ne me sont pas dêune grande aide. Par contre, en saisissant lêétoffe entre le médius et lêindex, je peux faire pivoter quelque peu la poche.

Je suis certain que têas pigé. Je ne vais pas têécrire un documentaire la-dessus. De trémoussements en tractions digitales, je parviens à orienter lêouverture de la pocket et à y faire pénétrer ma pince de homard.

«a y est : je touche le corps renflé du ya, le cueille.

Têas gagné ´leª premier manche, gars, mais pas encore la guerre!

Comme ça que je mêadresse à moi.

Pas le style gnan-gnan, tu vois? Homme sain dans un corps sain, préceptait le maréchal Pétrin. Maintenant, sêagit de sortir la lame. Reusement, ce vieux couteau je le connais comme mon zob. Deux décennies et mèche que je le virgule dans ma vague avec ma vaisselle de fouille, mon tiregomme et mes clés. Il est souple et soumis, sêarticule fastoche. Malgré mes ongles soignés, je

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glisse lêextrémité de lêun dêeux sous la pointe, dans la rainure.

Je mêy reprends cent fois.

Plus? «a se peut.

Mais tu sais o˘ je finis par arriver? Oui : à mes fins!

Le voici à lêéquerre. Jêaccomplis des prodiges de contorsions et dêagilité, histoire de le bloquer avec ma cuisse. Dès lors (comme dit Jacques), je peux scier lêextrémité de mes liens.

Ténacité

Persévérance

Volonté!

que pourrais-je encore ajouter?

Plus rien, dis-tu? «a suffit?

Bon, laisse-moi têapprendre quêau bout de quatre minutes dêefforts, ma main est libérée!

Là, je vais changer de chapitre pour que tu aies le temps de mêadmirer.

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«a y est?

Ton bain de saint siège est fait? Tu lêas admis que je suis le first? Le better?

En ce cas je poursuis. Chien qui court après sa queue ! Remarque, moi je ne cours jamais après la mienne puisquêelle mêattend en subissant, trop souvent, lêinexorable loi de lêattraction terrestre.

Nêà mesure et fur que du temps passe, je guéris tout à la fois de mon étourdissement et de mes liens.

La canot tomobile ronfle toujours régulièrement, par contre, le mouvement du trafic fluvial se calme.

Pas besoin dêêtre grand éclair pour piger ce qui mêattend. Les scouts du père Flow naviguent vers un coin désert du fleuve nonchalant pour attacher deux gueuses de ciment à chaque bout de mon sac et me balancer dans la sauce. Ils doivent avoir un endroit à eux pour évacuer les gêneurs. La lenteur de la Tamise est propice à la formation dêétangs et autres bras morts.

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Jêattends à lêintérieur de mon suaire de grosse toile, non sans lêavoir fendu de haut en bas pour mêen dégager complètement le moment venu.

Mes noirs pressentiments mêont largué, et Dieu sait cependant que ma situation reste précaire.

Je ne veux pas te faire un cours à répétition sur les mérites de lêOpinel, nonobstant, il est bon que tu saches quêil est pourvu du cran dêarrêt le plus simple qui se puisse imaginer : une virole à faire pivoter à la naissance du manche et la lame est bloquée ! De couteau de poche rural, il se trouve promu poignard (si tant est quêil sêagisse là dêune promo).

Le ronron du moteur baisse de rythme. Je perçois des frôlements soyeux contre la coque. Aucun doute, le barlu pénètre dans une étendue de roseaux.

Tiens-toi prêt, mon Antoine, pense que la moindre fausse manoeuvre te serait fatale. Les gaz sont coupés. Lêembarcation continue de courir sur son tu sais quoi? Oui, erre!

Sêimmobilise.

Une b‚che isole lêhabitacle. Une main la fait coulisser. Deux mecs pénètrent dans le roof sans doute courbés biscotte la basseur du plaftard.

Lêun se place à ma tête, lêautre à mes pieds, ainsi quêil sied en pareille circonstance.

Alors là! là, mes chéries, vous ne seriez pas peu fiertesê.

160 GRIMPE-LA EN DANSEUSE

Au moment o˘ les forbans me soulèvent, mon corps décrit un arc de cercle consécutif à mon poids. Fatal!

Jêattends que ces messieurs mêaient évacué de lêhabitacle pour tenter mon va-tout. Voilà qui est fait. Vas-y, lêhomme! Souvent, papa mêappelait (<lêhomme ª, tellement il était fier dêavoir procréé un garçon.

La ruade du mec Sana est simiesque (dirait le Mastard pour sismique). Le julot me coltinant par les agacins est projeté en arrière, tandis que lêautre l‚che prise. Jêai si d˚ment préparé mentalement ma manoeuvre quêelle sêopère comme au cinoche àpartir de la vingt-troisième prise. Je jaillis du sac éventré kif Lazare de son linceul. Mon Opinel serré dans la main droite (à la voyou), jêai une détente dc Jaguar (pas le gros minet, la KiR à injection). Vlahouhou ! Le coup de ya est net, dêune telle violence que ce couteau pour casse-cro˚te tranche la gorge du type dêune portugaise à lêautre

Et tu sais quoi, Benoît? Le type en question nêest autre que le meurtrier de ma tendre Irma Tu ne vas pas prétendre que la justice immanente nêexiste pas!

Etrangement, au lieu de calmer ma rancune, la vue de lêégorgé ne fait que lêattiser.

î

Crève ! lui dis-je. Crève, et prends ton temps!

Ce louche réflexe vengeur libéré, je mêoccupe de lêautre gonzier.

En lêoccurrence dire que je mêoccupe de lui est un euphémisme, vu que lêindividu, en chutant àla renverse contre lêun des plots de ciment prévus GRIMPE-LA EN DANSEUSE

pour mon immersion, sêest éclaté la base du cr‚nibus. «a sêappelle faire philippine, non?

Je suppose que cêest nerveux. Toujours est-il que je mêassieds sur le plat-bord et me mets à rire comme un congrès de bossus. Je regarde gargouiller lêassassin de ma gentille consoeur. Il a les yeux exorbités et un r‚le caverneux sêéchappe de son larynx sectionné.

Me distingue-t-il encore?

î Têaurais d˚ rester devant ton verre de Guiness! lui lancé-je quand sêapaise ma rifouille.

Le tueur tué!

Fable!

Je fixe chacun des blocs aux cannes des malfrats et les virgule dans la tisane. Je pige pourquoi ils ont élu cette anse du fleuve cimetière aquatique : ils nêen finissent pas de couler. Leurs carcasses deviennent floues, sêestompent, puis disparaissent complètement. Les joncs serrent les rangs à nouveau. qui donc pourrait imaginer que deux cadavres reposent en ces profondeurs?

Des martins-pêcheurs font entendre leurs cris. Jêavise un vol triangulaire de canards sauvages.

Une harmonie universelle sêétale sur ce coin dêAngleterre qui me rappelle les traditionnelles gravures représentant des moines britannouilles pratiquant le lancer léger et accrochant leurs prises dans les arbres.

Jêétale le sac dont je me suis libéré sur la flaque de sang. Nêensuite je mets le moteur en marche.

Manoeuvre délicate, biscotte le foisonnement de plantes. Enfin, je mêextirpe de ce piège végétal

162 GRIMPE-LA EN DANSEUSE

et rallie le milieu du fleuve de Sa Grassouillette Majesté. Direction : London.

Ayant dégauchi une gapette marine à ancre dans le vide-poches, je mêen coiffe bas. Plus je passerai inaperçu, plus ce sera confortable pour ma pomme.

Je drive lentement.

La vraie campagne commence à donner des signes de fatigue et finit par le céder à la banlieue. Alors je vogue à la recherche dêun coinceteau peinard o˘ je pourrai abandonner mon barlu sans me faire repérer.

Jêavise un endroit rassérénant une ancienne usine désaffectée. Des murs de brique en ruine, un ponton de ferraille dont ne subsiste que lêarmature rouillée. Je mêéchoue près de cette désolance qui ressemble à Mmc Thatcher telle quêelle est probablement devenue depuis sa mise à pied.

Le plus malaisé est de pratiquer un trou dans la coque de mon embarcation afin quêelle coule (sage précaution en ce qui concerne mes empreintes de gitane). Une épave parmi dêautres, ça ne se remarque pas. Cêest ce que je me dis chaque fois que je vois une retransmission de séance à lêAssemblée nationale.

Nous f˚mes de retour à Ostende en fin dêaprès-midi. Je nêavais pas eu de mal à rejoindre le divin Jérémie, au retour de lêexpédition ci-avant décrite, car il attendait, embusqué près du domicile de Flow, dont il avait obtenu lêadresse gr‚ce au numéro de la voiture.

´î Tu aurais pu poireauter longtemps, fis-jet-il, si ma bonne étoile nêy avait mis du sien.ª

il me répondit avec simplicité quêil marchait áu pifª et savait pertinemment que jêapparaîtrais bientôt.

Son africanerie, se basant sur des présages de force 5, le lui certifiait.

Il avait eu des indices incontournables premièrement, un chien noir sodomisant un chien blanc; deuxièmement, une capote anglaise oblitérée gisant dans un square; troisièmement, la rencontre dêun homme-tronc tenant un parapluie. Toutes choses indiscutables dans le langage des śignes ª.

Jêespérais très fort récupérer Béni et Salami à notre hôtel. Hélas, ni lêun ni lêautre nêy étaient; le repas destiné à mon cher basset nêavait pas été

touché.

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GRIMPE-LA EN DANSEUSE

Dès lors, une intuition mauvaise se mit à faire des misères à mon muscle cardiaque. Ayant mesuré lêimpitoyableté des gens auxquels nous nous heurtions, je craignis quêil leur f˚t arrivé un turbin. Par ((turbin ª, jêentends : rien de bon.

Le regard éloquent de Jérémie mêindiqua quêil partageait mon appréhension.

î On ´yª va? dit-il seulement.

Jêacquiesçai.

Nous nous dirigèrent pédestrement vers cette satanée villa, pleine de mystères et de fantômes.

Nous parvenions en vue de ladite, quand nous aperçurent la voisine Mme Trousso-Déclez. Elle battait un méchant tapis à sa fenêtre, comme cela se faisait dans les maisons bourgeoises o˘ lêaspirateur nêavait pas encore droit de cité. Nous adressa un geste amitieux auquel je répondis par un autre.

La présence de Blanc à mon côté lêincertituda.

î Jêai du café tout frais! nous lança-t-elle. Venez donc en prendre une tasse.

A la vive stupeur de mon pote, jêacceptis et nous pénétr‚tes dans le vieux pavillon encaustiqué et ronronnant.

Je fis les présentations.

La chère Gwendoline déclara en serrant la dextre de Jérémie î Monsieur est noir, nêest-ce pas?

î En toute franchise, oui, admis-je, mais il ne mord pas, ne fait pas ses besoins sur les parquets et vous récite Le Songe de Jacques Attali sans rater un seul vers.

Pendant quêelle serva le caoua, je demandis GRIMPE-LA EN DANSEUSE

165

î

Auriez-vous aperçu mon chien, aujourdêhui?

î

Aujourdêhui, non, répondit ma vieille amie. Par contre, hier au soir, en fermant mes volets, je lêai vu rôder autour de la maison. Je lêai appelé, mais il a fait semblant de ne pas entendre.

î

Cêest un cyclothymique, lêexcusis-je.

Elle eut un hochement de tête rassurant : de toute évidence, elle ne sêoffusquait pas du côté lunatique de mon basset.

î

Vous avez entendu beaucoup de manifestations, ces derniers temps?

Ma question pouvait sembler grenue, posée àcette mémé qui, depuis plus de vingt piges, se farcissait les étranges bruits dêà côté. Mais cêétait mon inspiration énfouieª qui me la dictait. Aussitôt, lêancêtre sêaggravit et son beau regard p‚le o˘ la cécité allait bientôt faire loi, prit une expression soucieuse.

î

Curieux que vous me demandiez cela, murmura-t-elle.

î

Pourquoi?

î

Cêest une des rares fois en un quart de siècle quêil nêy a pas eu de bruit au cours de la nuit, non plus que ce matin. Sije vous avouais: ça me manque!

Elle ajouta, si bas que je devinai les mots plus que je les entendis î

Et ça me fait presque peur.

Ainsi est la vie : les phénomènes surnaturels nous effraient, mais ils nous troublent davantage encore quand ils cessent.

Nous ne tardirent pas à prendre congé de lêaimable douairière. Ce fut pour piquer droit sur la

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maison hantée (du moins lêétait-elle encore la veille).

Rien nêavait bougé, si ce nêest que je ne vis plus trace, au sol, de ma poudre de perlimpinpin.

Je la fis visiter entièrement à M. Blanc. Jamais la banalité de lêendroit ne sêétait révélée avec un tel réalisme. Souvent, on ne découvre les choses que lorsquêon les montre aux autres. Ce logis médiocre, pour gens médiocres, me parut affligeant à force de banalité.

Soudain, je poussis une exclamation dont mon compagnon me réclama la raison.

Je venais de penser à Stendley Mallory, le gay personnage transbahuteur de cage à oiseau. Je lêavais d˚ment ligoté dans sa chambre avant de la quitter, pour éviter quêil donne lêalerte. Ne risquait-il pas de mourir dêinanition?

Je narris ces préoccupations au Noirpiot, qui calma mes angoisses.

Il me persuada que lêanalité du boy devait sêexercer en compagnie dêautres follingues, lesquels se mettraient à sa recherche. Ces valeureux sujets (à

caution) de Sa Majestouille commenceraient par venir chez lui. Blanc me pariait un cocotier de son jardin familial contre un coquetier de notre cuisine, que le propriétaire de la Morgan était libre à lêheure o˘ je mêinquiétais pour sa personne.

Je ne demandais quêà être rassuré et le fus instantanément. Nous reprîmes nos recherches.

Jêentrepris une minutieuse relation de ma noye en compagnie du Gros.

GRIMPE-LA EN DANSEUSE

167

î

Nous étions couchés dans cette chambre, lui dis-je-t-il. La porte donnant sur le vestibule était fermée de lêintérieur.

11 mêécouta tout juste. Ses énormes lotos luisaient telle la menotte dêune étudiante, amidonnée par la semence de son love-friend.

Sêen fut ouvrir la lourde de la salle de bains. Comme cette dernière desservait les deux chambres, il la franchit pour déponer la porte donnant sur lêautre bed-room.

Revint peu après : un air de commisération attristait son beau visage, en comparaison duquel lêencre de Chine paraît de couleur pastel.

î

11 sera sorti par la seconde chambre, bougonna-t-il.

î

Si cela avait été le cas, jêaurais vu la trace de ses pas dans la poudre. Et puis la lourde était également fermée de lêintérieur.

î

Elle ne lêest plus!

î

Parce que ´quelquêunª lêa ouverte depuis lêautre nuit! gueulai-je.

Tu ne me prends pas pour un taré, jêespère?

Cet éclat remit les pendules à lêheure. Dêailleurs, par un fait exprès, celle du salon, en bas, se mit à carillonner.

Blanc retourna dans la salle dêeau et licebroqua à jet vigoureux, comme pour laisser davantage de place à ses pensées.

Il

revint en se rajustant.

î

Ecoute, murmura-t-il, je crois trop en Dieu pour croire au surnaturel. Tout ça, cêest du musichall, Antoine. Tu sais quoi? Ta putain de baraque, elle nêest pas hantée, elle est truquée 168 GRIMPE-LA EN DANSEUSE

Je haussis les épaules.

î

Prouve-le!

î

Je vais essayer. Tu devrais prendre lêair pendant que je résous ce casse-méninges. Je déteste quêon me regarde quand je réfléchis : ça brouille mes ondes.

î

Excusez-moi, monsieur Einstein, je ne vous avais pas reconnu, ricané-je en mêévacuant.

Sans sêémouvoir, le grand Jéjé sêassied sur la bergère o˘ je dormis lêautre nuit.

quant à moi, je pars mêoffrir un grand verre de gueuze dans un établissement proche.

24

En contemplant lêanimation dêalentour, je me prends à évoquer la petite policière flamande si l‚chement assassinée à Londres. Elle était courageuse et jolie, aimait la vie, aimait lêamour... Je lui propose cette virée chez les Rosbifs et son destin déclare forfait.

Allons, chiale pas, Antoine. Nous sommes tous, plus ou moins, le destin des autres! Lêexistence est un carrousel en folie. Il sêemballe, et beaucoup dêentre nous tombent, désarçonnés.

Irma se promenait sur cette place en souriant de toute sa beauté, de toute sa jeunesse. Les hommes la regardaient, certains la désiraient.

En fin de compte, cette drôle de bière a un go˚t de dégueulis consécutif à

une sévère gueule de bois. Je hèle le loufiat, lui demande de la remplacer par un verre de vin de Moselle. Le pinard, on connaît mieux, nous les Franchouilles. Bien s˚r, des buveurs de whiskies sont apparus, des siroteurs dêapéros qui rongent le marbre sur lequel ils tombent; mais la majorité des Gaulois préfère le jus de la treille.

GRIMPE-LA EN DANSEUSE

Lorsque jêai liché mon godet, jêen réclame un nouveau. Besoin dêeuphoriser.

Il branle quoi, le M‚churé, dans cette maison maudite?

Nêy tenant plus, je douille mes orgies et vais le rejoindre.

Crois-moi ou va te faire tétaniser la tige, mais il nêest plus là, mon aminche très estimable.

Je lêappelle.

Pas de réponse.

Je repars pour une visite express de la turne nobody.

´La magie, ça nêexiste quêau music-hall ª, prétendait-il il y a moins dêune demi-heure. IL AVAIT RAISON ! Il ne croit quêaux miracles divins, mon négro, pas du tout aux tours de passe-passe. Cêest une philosophie défendable.

Mon ‚me trempée dans mon corps dêairain mêintime de venir à bout de ces mystères à la graisse de télescope géant.

Je me dis

´Le siège de lêénigme se trouve dans ces deux chambres presque contigu~s.

Dieu mêest témoin que je les ai inventoriées, sondées, étudiées;ª

En pures pertes, comme dit Blanche.

Cent fois sur le métier remets ton ouvrage, a déclaré je ne sais pas quel bran leur de mes fesses.

Alors, je tire le lit. Dessous, le plancher est plein de limons mais sans secrets.

Déplace lêarmoire, Sana

Ballepeau. Je ne découvre quêun pan de tapisserie telle quêelle fut lorsquêon la posa.

GRIMPE-LA EN DANSEUSE

171

Le canapé, now.

Re mon cul!

Pas de trappe non plus sous le vieux tapis de la piaule.

Couillesque, non? dirait lêépouse du Président U.S. qui parle un peu de français.

Je traverse la salle de bains pour gagner la deuxième carrée. Jêy réitère mes investigances sans obtenir davantage de succès.

Ne reste que la bath-room, mais elle nêoffre pas grande possibilité de planque. Le lavabo est parfaitement scellé dans le mur, le bidet et la baignoire dans le plancher. quant à lêarmoire à pharmacie, elle est si étroite quêelle ne saurait cacher une issue clandestine.

quêy a-t-il encore à examiner? La douche au pommeau rouillé? Jêouvre son vieux rideau opaque, jauni, pisseux. Tout est lamentablement banal.

Je mêapprête à déclarer forfait lorsque mon attention est sollicitée par une vétille. Tu sais, faut vraiment être flic dêexception, tel Bibi, pour noter ce détail : lêappareillage de ce sanitaire ancien comporte, comme tous ceux de sa génération, deux robicos un pour lêeau froide, lêautre pour lêeau chaude. Il en existe un troisième, placé nettement plus bas, et qui paraît moins vétuste. Je le saisis, veux lêouvrir, en vain : il ne tourne pas. Un ustensile de cette nature, fixe, avoue que ça ne rime pas à grand-chose?

Encuriosé jusquêau rectum, je le cigogne avec acharnement. Et voilà quêen tirant vers le haut, il déclenche un bigntz inattendu. Le tub de faÔence se rabat kif une trappe (dêailleurs cêen est une) et je manque mêengloutir dans un trou noir. Sais-tu ce qui mêépargne le plongeon aux abysses, Narcisse? Uniquement ce prodigieux instinct de conservation, gr‚ce auquel je continue dêhonorer ma carte dêélecteur.

Pendant que je tripatouillais le faux robinet, de mon autre main je me tenais à lêun des vrais.

Ce geste mêa été salutaire au moment o˘ le socle a cédé. Il mêa permis une prise dêappui, légère mais suffisante pour soutenir mon bond arrière.

Debout au bord de lêexcavation, le guignol en chamade, je considère ´ le néant ª. Jêappelle ainsi cet abîme, vertigineux, exhalant des relents putrides.

Un grincement, suivi dêun claquement, le fond de la douche vient de reprendre sa place, tout seul comme un grand.

Ni vu, ni connu.

Plusieurs minutes sont nécessaires pour que je retrouve une pulsion sanguine digne de mes coroners (pardon coronaires, je me crois encore àLondres).

Eberluage complet de ton San-A. tuméfié.

Ainsi, il avait vu juste, le M‚churé. Cette crèche est truquée comme le galure dêun prestidigitateur!

Ayant repris un rythme cardiaque valable, je redéclenche la douche trafiquée.

Le trou.

La ténèbre.

î

Hooo! Hoooo! lancé-je à pleins poumons.

Si on était dans un roman policier, je dirais śeul le silence me répond ª. Dieu merci, tu es en train de te respirer une oeuvre littéreuse en parfait état de marche, dans laquelle il y a davantage de cul que de clichés.

Ma loupiote-stylo au mince faisceau ne me révèle que les parois de pierre dêun puits sans fin.

Terrible constatation ! Sêils ont valdingué làdedans, Bérurier et Blanc sont morts.

Comment auraient-ils survécu à pareille culbute? quand tu songes quêAlbert Jt~, le Roi-Chevalier que je te causais très naguère, sêest tué en alpinismant dans les Ardennes, montagnettes ressemblant à des taupinières, imagine ce que cela aurait donné dans les Alpes.

que dis-tu, mon Lulu?

«êaurait pas pu être pire?

Ah ben oui, cêest vrai.

Même en tombant dêune chaise, situ te tues, têes mort!

Le tub reprend sa place, une nouvelle fois. Mon époustouflance perdure, comme on dit puis dans les books aux miches bien torchées. Je perplexite sauvage. Et Salami? Lui, sêil est parvenu à pénétrer dans la baraque, en aucun cas il ne lui aura été possible dêactionner le système dêouverture.

Génie, mais chien!

Brusquement, jêabandonne le terrain et fonce en ville pour y faire des emplettes. Les magasins sont en train de fermer, toutefois jêai la bonne fortune de trouver une boutique de sport encore ouverte. Jêy achète une échelle dêalpiniste, deux fortes lampes aux batteries longue durée, un piolet à manche court, un rouleau de corde et une paire de gants en faux chamois.

Alors que je moule lêendroit, je me casse le pif (ça va achever mon traitement facial) sur AloÔs von de Kail, mon ci-devant antagoniste.

LêAllemand a le portrait d˚ment rectifié par la rouste que je lui ai flanquée.

GRIMPE-LA EN DANSEUSE

175

Nous restons un instant face à face, indécis, puis pouffons de rire en découvrant nos bouilles saccagées et nos regards ahuris.

Dieu sait, cependant, que je nêai pas le coeur àme marrer.

Les éclats de notre hilarité font se retourner les passants.

î Monsieur, finit-il par déclarer de sa bouche édentée, je suis heureux de pouvoir vous présenter mes excuses. Etant dêun tempérament excessif, je supporte difficilement les frasques de ma femme. Voilà pourquoi je réagis très mal.

La main quêil mêoffre ressemble à un chapelet de francforts. Je la presse śpongieusement ª.

î Désormais, me dit cet homme bafoué, je vous considère comme un ami et vous pouvez me demander tel service quêil vous plaira.

î Il en va de même en ce qui me concerne, réponds-je avec cette magnanimité

dont, à la maternelle déjà, je faisais montre.

î Consentiriez-vous à boire une bouteille de champagne avec moi?

î Avec joie, mais plus tard. Pour lêinstant, cher AloÔs, je suis aux prises avec des difficultés sans nombre.

Spontanément, mon nouvel allié propose de sêengager dans la légion San-Antoniaise

î Puis-je vous aider?

Mes yeux croisent les siens : ceux dêun bon type, en fait.

î Vous me tentez..., je murmure, rêveur.

Il me presse. Dans ma mouscaille de lêinstant, jêaccepterais lêassistance du nonce apostolique, sêil me lêoffrait.

î Je serais heureux de pouvoir mêemployer pour vous, certifie ce cousin issu de Germains.

Commak sêest faite notre alliance. Devant la pharmacie Gueulrance dont les gros bocaux àlêancienne nous nimbaient de clartés rouges et vertes.

En cours de route, jêai résumé à cet homme qui, très naguère, voulait ma mort, lêessentiel de nos tribulations, en passant toutefois sous silence le cadavre de son compatriote dans la cheminée. AloÔs poussait moult interjections dêorigine bavaroise.

Je le guida à la ´maison des mortsª (aurait dit DostoÔevski) et lêentraînis jusquêà la ´douche fatale ª. Actionnis le robinet du bas, ce qui lui découvrit lêorifice du puits.

A quoi bon te rapporter ses rudes exclamations de stupeur? Il se croyait dans un film de Fritz Lang, période ´Docteur Mabuse ª.

Mes fortes lampes en action nous permirent de voir le fond. Jêeus un élan de gratitude envers le Seigneur quand je constatis que ledit se terminait par une nappe dêeau. Gr‚ce à cet élément, on ne se fracassait pas la poire en tombant mais on pouvait, à tout le moins, sêy noyer, or, nul corps nêétait apparent.

î Vous comptez alerter les fire-men? me demanda mon équipier, pour qui le terme français de pompier ne concernait quêune caresse buccale.

î Plus tard, lui fis-je. Il me faut, auparavant, poursuivre ma mission.

A sa grande surprise, je me mis en slip puis attachis lêéchelle au tuyau de vidange du lavabo proximiteux. Auparavant, à lêaide de mon pic, jêavais bloqué le système de fermeture.

Mon récent ami me biglait avec des lotos qui le faisaient ressembler à

lêinspecteur Derrick, lequel pourrait très bien jouer le rôle dêune tête de cheval aux haricots rouges, en cas de force majeure.

î Vous nêavez pas peur? questionna-t-il.

î Bien s˚r que si, répondis-je, mais o˘ serait le charme?

Je mêassis, les jambes pendant dans le vide, fixis lêune des lampes autour de mon cou et mêemparis de lêéchelle après avoir pris le rouleau de corde en bandoulière.

Mon dernier regard à AloÔs me permissit de réaliser à quel point il appréciait mon sang-froid. Jêen fus dopé.

Ces menus barreaux de fil de fer scièrent la plante de mes pinceaux. Leur étroitesse freinait ma descente. In petto, comme on dit en italien, jêadressis un salut admiratif aux courageux alpinistes qui défient le vide avec cet accessoire si fragile dêapparence.

Je me demandais sêil serait suffisamment long pour permettre dêaccéder au fond.

Il sêen fallut dêun mètre. Du bout des orteils, je pris contact avec une eau glacée, idéale pour accompagner le Ricard, mais impropre au bain.

Je prias en aparté (se dit apartheid quand tu habites lêAfrique du Sud) le Seigneur de ne pas jouer au Bel indifférent avec moive, et l‚cha tout.

Ploff!

178 GRIMPE-LA EN DANSEUSE

Jêeus de la baille jusquêà la ceinture et me mis à exécuter un solo de castagnettes avec les dents.

î «a va? demanda mon ci-devant duelleur, dans un français dont je renonce à

reproduire lêaccent avec des lettres.

î Un pneu vieux! répondis-je, voulant dire ón ne peut mieux ª.

Ces civilités échangées, jêexamina le puits à la recherche de la Vérité.

Avisis une vo˚te pareille à une bouche noire. Elle était basse, lêeau montait à moins dêun mètre de sa courbure. Soutenant ma lumière afin quêelle ne soit pas immergée, jêavancis.

Peut-on appeler cela une grotte?

La réponse est oui, à lêunanimité.

Le claquement de mes chaules se fait de plus en plus bruyant.

Je voudrais héler, manifester mon arrivée dêune manière ou dêune autre, mais le froid de cette tisane me paralyse les éponges, les muscles, les testicules. Malgré ces légers handicaps, je continue ma progression.

Chemin faisant, je me pose des questions. Comment et quand les occupants du pavillon ont-ils eu connaissance de ce puits? La grand-mère Mina et son vieux branleur savaient-ils quêil existait? Probablement pas, sinon le pépé

ne se serait pas crevé lêoigne à confectionner un faux conduit pour planquer le cadavre du général allemand et de la gonzesse qui lêaccompagnait.

Cependant, la trappe est, de toute évidence, plus récente que lêinstallation sanitaire.

GRIMPE-LA EN DANSEUSE 179

Voilà que le souterrain sêélargit. Lêeau dans laquelle jêévolue passe par-dessus un muret et choit dans une excavation profonde, en bouillonnant.

Jêy braque mon projo.

quelle secousse ! Kif un courant électrac me vrillant de part en part.

Jêaperçois, en contrebas, une masse sombre sur de grosses pierres Jérémie Il

est à plat ventre.

Je lêappelle. Il ne remue pas, ne profère aucun son. Ce qui sêest passé, je ne le pige que trop bien. Demeuré seul, il a procédé à une inspection minutieuse des lieux, a découvert le gag de la douche et a culbuté. Puis, comme moi, mais àt‚tons, il a suivi le tunnel. Nêayant aucune lumière pour se guider, le cher négro a fait philippine et basculé dans le vide. Béni a s˚rement d˚ agir de même. Mes potes ont été piégés par le souterrain.

que dois-je faire? Revenir au puits et crier àlêAllemand dêaller quérir du secours?

Bien s˚r, ce serait la sagesse.

Seulement, tu le connais ton Sana, Armand? Fougueux, toujours, et, la plupart du temps, intrépide!

Je détortille mon rouleau de corde, attache lêune de ses extrémités à une aspérité rocheuse semblable à une dent de cachalot.

Descente de ton héros au sourire si doux et àla queue si raide.

que me réserve-t-elle? Je nêose y penser. Je dévale en me h‚tant le plus lentement possible pour retarder la réalité si elle doit être affreuse.

180 GRIMPE-LA EN DANSEUSE

Mêy voici.

La carcasse du Négus est à moitié immergée du bas, mais, têheureusement, sa frite est à lêair libre.

Ma main pétrifiée se porte à sa jugulaire.

Tu veux que je te dise, Elise?

Sak~atê.

Pardon : ça bat

26

Des bosses, jêen ai rencontré. Des bosses de chameaux, de dromadaires, de

´bossus ª. Jêai vu des plaies et des bosses. Je connais le Bosphore, la Bosnie. Jêai dansé la bossa-nova. Jêai lu Bossuet. Jêai visité Boston. Jêai actionné des bossoirs sur des bateaux. Jêétais à la reprise de Bobosse dêAndré Roussin. Moi-même, je suis un formidable bosseur, malgré tout ça, je nêai JAMAIS contemplé une aussi grosse bosse que celle de Jéjé. Une tronche à impériale, ça lui constitue. Tu croirais ces monstres de la nature figurant dans des books médicaux. Ses tifs à ressorts nêont pas pu extenser assez et son cuir chevelu ressemble àune courge béante, éclatée sous lêeffet du m˚rissement.

Je mêagenouille à son côté, lui caresse le visage.

î

Blanche-Neige, chuchoté-je, tu mêentends?

Il

balbutie quelque chose. Je crois déceler ´Fais pas chier! ª

182 GRIMPE-LA EN DANSEUSE

Loin de me formaliser, sa rebufferie me réjouit. 11 vit! Excepté Toulouse-Lautrec à son père accouru auprès de son lit de mort, les agonisants ne sêexpriment pas aussi cr˚ment

Tu as quelque chose de cassé?

î

Le petit doigt de la main gauche et la colonne vertébrale.

î

Tu sens tes pieds?

î

Je me les suis lavés hier matin.

î

Si tu déconnes, cêest que tu fonctionnes. Je vais tenter de te remettre droit. Tu y es?

Le saisissant à deux bras, je lui restitue la verticale.

î

Ne me l‚che pas, geint-il, je dois avoir une hanche zinguée Homme dêaction dont la détermination nêest plus à démontrer, je coltine mon Black jusquêà une sorte de plate-forme à lêabri de la baille. Lêy dépose avec précaution. Puis réfléchis. La sagesse serait dêaller quérir de lêaide en retournant au puits pour alerter le Teuton.

Je mêy résous lorsquêil se produit un brassement de flotte. Tu sais quoi?

LêAloÔs qui se radine. Je braque la luce sur sa poire à poils blonds. Lui aussi sêest mis en slip. Aveuglé, il cligne des spots comme un hibou insomniaque réveillé par le chant du coq.

î

Besoin dêassistance? il demande.

1.

Le père de Toulouse-Lautrec sanglotait à son chevet, regrettant la rigueur avec laquelle il avait traité son fils. Cêest alors que le mourant murmura : (<Vieux con ª, puis sêéteignit.

GRIMPE-LA EN DANSEUSE

183

Loin de le remercier, je lêagonise.

î

Vous êtes complètement frappadingue! glapis-je. qui va aller réclamer du secours, maintenant que nous sommes tous dans cette gadoue?

Putain, ce que cêest con, un Boche!

Sa frime devient marmoréenne dans la lumière crue.

î

Monsieur, dit-il, vous me rendrez raison de vos insultes î

Cêest ça, fais-je. Un nouveau duel, mais àla française!

î

Cêest-à-dire?

î

On se place côte à côte et on se fait secouer le panoche par deux gonzesses. Celui qui défia-que le plus loin est déclaré vainqueur!

Sa bouille interloquée mêhilarite.

î

Allez, concilié-je, on ne va pas passer nos existences en querelles dêAllemands ! Je salue votre courage et vous prie de pardonner mon mouvement dêhumeur!

Il

se détend, mêaccorde un sourire indulgent.

î

Vous autres, Français, êtes plus légers que des plumes dêoiseau, déclare-t-il.

î

«a ne nous empêche pas de gagner les guerres par nations interposées, réponds-je. Mais nous continuerons cette conversation plus tard, dans lêhypothèse o˘ nous pourrons sortir de ce merdier! Je propose que vous demeuriez auprès de mon ami blessé pendant que je poursuivrai cette exploration.

Sans attendre son acquiescement, je poursuis mon cheminement, en avançant sur le côté de la

184 GRIMPE-LA EN DANSEUSE

grotte pour avoir pied. Le froid est si vif que mes chaules renouvellent leur récital sévillan.

Now, dirait un Britannique parlant couramment lêanglais, laisse-moi te donner une idée plus précise des lieux.

Lêendroit est aussi grand que lêintérieur de la Pyramide du Louvre. Au fond de cette pièce dêeau insane, la galerie continue.

Je contourne lêétang pour joindre lêissue.

î

«a va? crie lêAllemand.

î

Je me crois sur la Croisette ! réponds-je.

Avec la même intrépidité, je poursuis dans le tunnel qui sêoffre.

A peine y ai-je parcouru cinquante mètres quêun énorme bruit retentit, terrifiant, féroce.

Le guignol chamadeur, je mêimmobilise.

«a produit une sorte de déferlement. Tu connais la pointe du Raz? Non? Eh bien, ça

Rien de plus insoutenable que le bruit quand il est paroxystique. Je me demande comment les très jeunes peuvent encaisser dans les portugaises des assauts de décibels capables de faire péter les ampoules électriques.

Pourtant, malgré le malaise que me provoque cette charge sonore, je fonce courageusement vers sa source.

In-di-cible

Dêautant quêil est réverbéré par le souterrain, kif le son dans un instrument à vent.

Les paluches plaquées sur les baffles, je monte en ligne.

Au bout de peu, se présente une autre grotte beaucoup moins grande que la précédente. Elle

GRIMPE-LA EN DANSEUSE

est le point de jonction du premier déversement dans lequel je patauge, et dêun second, terriblement impétueux, qui se rue sur ´le mien ª.

Les deux faisant alliance, se muent en un torrent fracassant, qui se précipite contre les barreaux dêune grille. Ce rush produit ´les bruits infernaux ª qui ´ hantentª la maison. Tonnerre dêapocalypse, variant au gré

du débit. Car le deuxième cours dêeau est très irrégulier. Dêun instant à

lêautre, il sêenfle ou sêaffaisse, passant de la fureur à la sagesse, selon des śautes dêhumeurª imprévisibles.

Jêattends, affolé par ce grondement aux phases capricieuses. Le faisceau du projo que je porte au cou illumine lêeau en folie, ses gerbes intenses. Il y a de la féerie, comme toujours dans les spectacles aquatiques.

Puis, le deuxième torrent, celui que jêappellerais ´le fou ª, se tarit doucement, devient sage ruisseau, et enfin modeste écoulement.

Mon ouÔe, délivrée, sêemplit dêune félicité nouvelle.

Alors, à pas entravés, jêavance vers la grille.

Bien quêelle soit placée en un point surélevé du souterrain, elle baigne dans lêeau. Une montagne dêalluvions, stoppées par ses barreaux, se sont agglutinées là sur plus dêun mètre. Je lêescalade, ayant lêintention de franchir lêobstacle car il ne monte pas jusquêà la vo˚te.

Tout cela est limoneux. Aussi glissé-je et tombé-je à plat ventre sur une masse molle. Je cherche un point dêappui pour me remettre debout. Mes mains préhensiles se saisissent dêun

186 GRIMPE-LA EN DANSEUSE

truc spongieux qui, sans que je le voie mêécoeure. Parvenant à braquer la lumière sur ´la chose ª, je ressens lêune des plus insoutenables émotions de ma vie.

Surtout, ne crois pas que jêen rajoute, ma bute. Tu pigeras tout et mieux quand je têaurai révélé

que le monticule sur lequel je suis juché se compose de cadavres en putréfaction.

Hein?

Têas tes vapes? Tu souhaites que je marque une pause?

Comme tu veux, darlinge! Cêest toi qui choises.

27

Pétrifié par une horreur que nêimporte quel écrivaillon qualifierait de sans nom, je demeure un certain temps (pour le moins) avec le cerveau court-juté.

Ce que je vis là (Médicis), rendrait dément le membre le plus sensé de lêInstitut. Je mêenfonce dans cette p‚te de macchabées décomposés. Dêo˘

proviennent ces anciens vivants? qui a constitué ce charnier?

«a sêemberlife sous ma coiffe. Les légistes qui sêoccuperont de cette trouvaille ne pourront plus bouffer de gras-double avant lêannée prochaine.

Je promène mon projo portable sur cette abomination. Apparemment, tous les défunts ne sont pas tombés de la dernière pluie.

Alors, soulevé par le dégo˚t, je mêarrache àcette sanie dêhumainerie, saute contre la grille, lêescalade, la franchis. Une fois de lêautre côté, je mêimmerge jusquêà la ceinture pour me dessouil1er un minimum. Mais dans lêétat o˘je me trouve, il me faudrait un bain dêacide sulfurique pour redevenir clean.

Seigneur! quelle aventure! Je ne devrais lêécrire quêavec des points dêexclamation

«a donnerait à peu près ceci

î! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! (! ! ! ! ! ! !),! ! ! ! ! ! ! !?

Ce serait plus éloquent et conforme à ce que jêéprouve.

Un bouquin entier! Faut pas craindre. Têas des gonziers de la plume qui osent. Tiens, Machin (son blase mêéchappe), nêa-t-il pas pondu un roman sans utiliser un seul éª? Je me demande, en grande sincérité, à quoi ça rime une telle gageure? Pourquoi jouer au malin en bannissant la plus importante des voyelles? Il a voulu construire un jeu de patience dêun genre nouveau, ciê crivain d ms couilis? Je pige pas très bien sa trajectoire.

quand on songe combien cêest duraille de sêexprimer avec tout lêalphabet!

Et têas des croquants qui saluent lêexploit ! Si jêétais con, moi aussi, je relèverais le défi. Pondrais un polar en nêutilisant que les voyelles. Le signerais ´.A. A..O.JOª Tu mettrais des mois à le décrypter. Mais ensuite tu te sentirais mieux armé, plus intelligent. Faudrait procéder de même avec les classiques. Montaigne sans ´jª; Voltaire sans áª; Victor Hugo sans ú ª. Putain, ce pied!

En attendant, jêai repris mon cheminement dans lêeau qui vient de baigner ces cadavres en pourrissement.

Je patauge lourdement. Une peur dont jêarrive pas à me dépêtrer : hideuse, poisseuse, fétide, est collée à mon individu.

Mes pensées tournent en ronflant dans ma tronche. Je ne sais plus ce que je fais, ni o˘ je me rends. Une détermination surhumaine mêanime fuir lêabomination. Retrouver lêair pur.

Alors je marche, marche. Le plus rapidement possible. Parfois, le cours dêeau souterrain décrit une grande courbe. A dêautres moments je mêenfonce jusquêà la poitrine dans une dépression de son lit. Je tombe dans la baille. Ma lumière sêéteint. Elle nêa pas résisté à ce second plongeon.

Voyage au bout de la nuit, quêil écrivait le grand méchant Céline. Mêy voici. Trempé, claquant des dents. Mais avançant tel les soldats de lêEmpereur dans lêimmensité russe.

Au bout dêune plombe (à vue de pif), le vacarme se renouvelle. Nêai que le temps de me plaquer contre la paroi; un déferlement de flotte est sur le point de mêentraîner. «a dure ; je suis épuisé, transi. Ma volonté de survie subsiste cependant. Je VEUX mêen sortir. Co˚te que co˚te.

Enfin, le flot diminue, ses hurlements infernaux cessent. Je reprends ma progression.

Je pourrais têen filer encore des pages, car mon calvaire se poursuit longtemps. Mais à quoi bon se complaire dans une description montée sur boucle ? Ce qui têimporte, à toi, gentil lecteur qui as le fion dans un fauteuil ou sur une banquette de train, cêest la suite. Car il nêexiste quêune chose qui soit passionnante dans lêexistence lêaprès. Le présent ne fait que têen donner le go˚t.

190

GRIMPE-LA EN DANSEUSE

Or, donc, ayant marché comme un damné (et je pèse mes mots), la récompense mêarrive sous la forme dêun demi-cercle de lumière perdu dans les ténèbres.

qui a parlé de la carotte brandie devant le nez de lê‚ne? Ce glandu de La Fontaine? Mêétonnerait pas de lui. Jêai spontanément eu horreur des moralistes. La seule excuse du pauvre Jean, cêest dêavoir écrit ses bêteries en vers, ça les a rendues plus aisées à mémoriser; en prose, son oeuvre e˚t été veau, vache, cochon, couvée! Mais je piétine du narratif en un pareil instant! quel autre moudu fais-je!

La lumière, te répété-je.

Et la plus noble qui soit : celle du dehors.

Je bande mon énergie. Dêailleurs que banderais-je dêautre dans un tel dénuement? La bistougne, tu sais, ça va avec la santé. Dans la détresse, elle nêest plus une compagne valable, ni avalable.

Je titube, chancelle, exténue.

La clarté grandit. Cependant, dirait Doreille, furet à mesure que jêavance, me rends compte quêil fait nuit.

Pourquoi mêen étonnerais-je? Il en est lêheure.

Mais achiung : pas nêimporte quelle nuit. Celle-là est de juillet, cêest-à-dire presque boréale. Je commence à distinguer la mer sous ses chevaux dêécume lancés à la recherche du casino...

Oui, la mer, au loin. que je vois danser. Je mêen branle quêelle soit du Nord, toutes les mers sont les nôtres.

GRIMPE-LA EN DANSEUSE

191

Une énergie nouvelle me porte. Jêai de la flotte jusquêaux cuisses, pourtant je parviens à courir. Lêair du large! Lêair marin! La douceur angevine!

Lêeau monstrueuse de lêimmonde tunnel scintille malgré la sanie quêelle charrie. Elle prend un air dêinnocence. Tu paries que les amoureux du clair de lune viennent se débiter des fadaises sur ses rives?

Je mate alentour. Constate que je suis à quelque distance de la ville, dans un univers de dunes sages. Ne peux rassasier mes soufflets dêoxygène.

D.q.S. quelle virée en enfer!

La lune p‚le semble errer dans un ciel de velours sombre, écrirait Cunégonde Manchakhouil qui est juryste au Fémina Vie Heureuse.

Allons, ne têattarde pas, Saint-Antoine, mon ami. Pense à ton brave Jérémie blessé, à ton nouvel allié allemand, qui se morfondent au fond dêune caverne insalubre

Soudain, un sanglot imprévisible mêéchappe

je songe à Béru englouti. Probablement gisaitil dans le monceau de cadavres que jêai escaladé. qui sait si je ne lêai pas foulé aux pieds, cet être fruste mais admirable? Ce qui mêépouvante, cêest de ne plus le śentir ª.

Je suis toujours en contact plus ou moins occulte avec les gens que jêaime, comme si des liens mystérieux me maintenaient attaché à eux, nonobstant lêéloignement.

En cet instant, toute ćommunicationª est rompue.

192 GRIMPE-LA EN DANSEUSE

A mon bonheur dêêtre délivré, succède une sensation de rupture définitive.

î

O Béru, balbutié-je, mon vieux Béru! Car les grandes douleurs ne sont pas fatalement muettes!

28

Nêheureusement, la nuit est tiède comme lêentrejambe dêune femme adultère.

Marchant dêun pas raide, je. cesse bientôt de claquer du bec et de frissonner.

Me pose des questions. Entre autres celle-ci que vont penser les gens qui me rencontreront vêtu dêun seul slip détrempé, avec mon cr‚ne ravaudé, en partie rasé et mon physique de thé‚tre endoloré? Comment opérerai-je mon retour au palace dans cet accoutrement? Les flics, cêest couru, mêintercepteront!

Et puis cette autre, encore que vais-je entreprendre pour récupérer mon Noirpiot blessé et le brave AloÔs? Seul, il nêy faut pas songer. Jêai besoin dêassistance. Mais à qui la demander? A mes confrères belges?

Seulement, aller à la Police, cêest allumer la mèche de la big affaire!

Beaucoup trop tôt, à mon avis, ma découverte va déclencher un patacaisse dont on parlera sur les cinq continents, voire sur les océans o˘ on reçoit parfaitement les infos.

194 GRIMPE-LA EN DANSEUSE

En attendant, jêarque en direction de la ville dont les éclairages composent un halo dans le firmament.

Soudain, les dunes franchies, jêavise une maisonnette isolée dans le paysage sans arbres. De la lumière brille aux fenêtres.

´Vérole à cul, me dis-je familièrement, ce serait bien Satan si je ne trouvais là ne serait-ce quêun vieux sac à me foutre sur le r‚ble...ª

Taudis, tôt fait.

Me dirige vers cette humble chaumine, quêon causait jadis, et toc-toc-qui-est-là

Une voix épaisse comme de la brandade de morue demande quelque chose en flamand. Probablement pour sêenquérir de ´qui-je-suis-quêest-ce-que-je-veux ª.

î Un naufragé! réponds-je en allemand, langue qui me semble plus adaptée aux circonstances.

On délourde.

Jêai alors devant moi une personne de sexe éminemment féminin, si je mêen réfère au tablier de sapeur qui tapisse son pubis et aux monstrueux nichemards en ballottage sur son ventre de bouddha.

Nêestimes-tu pas cocasse, Anastase, que je vienne implorer de la vêture auprès dêune personne entièrement nue? Si, hein?

Je commence à raconter un naufrage imaginaire à lêhabitante, quand un faible aboiement

GRIMPE-LA EN DANSEUSE

195

retentit. Je décris un arc de ciel (ou de cercle) et quêaperçois-je?

Tu as deviné! Eh ben oui, mon pote: Salami

En animal (je ne puis dire én personne ª), mais dans quel état ! li est couvert de plaies et porte une attelle rudimentaire à la patte avant gauche. Me voyant, il conjugue ses forces pour tenter de se mettre debout.

Impossible ! Le malheureux cador retombe sur le flanc en gémissant.

Tu me verrais précipiter, tomber à genoux devant lui, palper sa truffe tiédasse en lui prodiguant moult paroles de tendresse et de réconfort.

î

que vous est-il arrivé, ami précieux? Dans quel racheux état vous récupéré-je après mêêtre rongé dêinquiétude!

Son fouet bat le sol en signe de contentement. Moi aussi, jêai tendance à

remuer la queue lorsque je suis heureux.

î

Je vais vous transporter en ville o˘ nous nous mettrons en quête du meilleur vétérinaire. Votre patte est cassée?

A sa manière habituelle, il me dit quêil lêignore. En fait il a été

cruellement mordu par un gros rat, dêo˘ la raison de son pansement.

î

Un rat! exclamé-je-t-il; il en est donc dans ces dunes?

î

Non, rectifie le basset: il mêa attaqué dans le souterrain.

î

Vous connaissez le souterrain! quêy faisiez-vous?

î

Jêy cherchais votre idiot de Bérurier; ne mêaviez-vous pas donné

pour mission de le retrouver?

196

GRIMPE-LA EN DANSEUSE

A cet instant, une voix retentit derrière des rideaux dissimulant un lit.

Une voix grasse, enrhumée, pleine de projets dêexpectoration î Hé! la Gravosse! Sêtê ramènes pas ton michier dêurgence, jêréponds plus dêrien. Avêc la crève dont jêai attrapée, jêai Iêmandrin qui surchauffe à

trop 1ê maintênir à la force du poignet.

Jêabasourde!

Béni! Mais, Seigneur, cêest trop 100 much! que vais-je faire pour Vous revaloir tant de gr‚ces?

Je fonce au plumard et arrache à demi la cretonne fanée qui le masque.

Ma joie nêest pas fausse. Il est bel et bien là, le Mammouth : habillé de ses seuls poils de nature, le m‚t de cocagne dressé. Ce dernier vacille gentiment comme celui dêun drapeau dans le vent. Sa Majesté tourne la tête vers moi.

î quêest-ce cêest cêtêouistiti? grommelle cet être dêénergie. Non, mais gênez-vous pas, lêami Si vous voudriez Iê portrait en pied dêma bite, vênêavez quêà prendre unê photo!

î Béni mon vieux complice!

î Cêest la mère Hortense quêson vieux con plisse, confondez pas!

Je me tais en voyant son regard mécontent.

Salami jappe. Je me retourne.

î Il a perdu lêesprit,, me révèle le cador. Je lêai retrouvé ainsi dans le souterrain, parmi un monceau de cadavres. Le spectacle était abominable.

Le brave animal me narre son épopée. Obéissant à mon ordre de mettre le museau sur le Mastard, il a fouinassé dans toute la région, étendant GRIMPE-LA EN DANSEUSE

197

ses recherches de plus en plus loin. Il désespérait de les voir aboutir lorsque, se désaltérant à un ruisseau douteux, à quelques kilomètres dêOstende, il a vu un veston dêhomme dans un remous. Il a plongé, sêen est saisi et a reconnu la tenace odeur du Gros.

Alors, courageusement, mon clébard a remonté lêétrange cours dêeau, parcourant en sens inverse le chemin que je viens de faire. Il a marché de la sorte jusquêà la grille de retenue des macchabées, est passé à travers les barreaux. Une fois de lêautre côté, a perçu des gémissements : ceux dêAlexandre-Benoît. Celui-ci, choqué, cabossé, suffoquant, a nez en moins pu se cramponner àSalami. Le digne hound lui a apporté les soins quêil pouvait fournir. Lorsque Béni en a été capable, il lêa guidé à la grille.

Cent fois, le Mastard a essayé de lêescalader mais, trop faible, il ne parvenait pas à se hisser jusquêà son sommet. Cêest la Providence qui lêa tiré dêaffaire.

A un certain moment, lêapport grondant du second ruisseau a été si impétueux que notre ami fut propulsé jusquêau haut de la barrière de fer. A demi noyé, Bérurier a tout de même réussi à la franchir. Mais las! le flot furieux avait une telle force que mon pauvre chien faillit périr dans cette précipitation féroce.

Il leur fallut des heures pour quitter lêeffroyable tunnel.

Le destin les ayant à la chouette, leur errance les amena jusquêà la maison dans la dune, habitée par la mère 1-lortense, ravie de lêaubaine.

198 GRIMPE-LA EN DANSEUSE

î

Voyons, Gros, murmuré-je, tu ne vas pas prétendre que je suis un inconnu pour toi. Après tout ce quêon a vécu, durant des années!

Il

se dresse sur son séant, me scrute loyalement, puis branlant le chef:

î

Jêvas vous dire. Votê frime mêdit fectivêment quéquê chose; y sêpeuve quêon sê soye vus alieurs; nanmoins du fichtre Dieu si jêmêrappelle zêo˘. Toujours zêest-il que jêvoudrais finir ma‚me ici présente dans dêbonnes conditions. Jêy ai déjà fait la minouche gloutonne ainsi quêIe pouce dans lêoeil dêbronze, maintênant désormais, faut quêon va passer nêaux choses sérieuses. «a vous ennuirerait dêtirer lêrideau, cêtê pêtite princesse a pêtêêteê pas enville dêsêdonner en spectacê quand on y écarquille la moniche pouê lêentrée triomphalesque du gladiateur!

Je souscris à ses désirs et boucle les amants en leur alcôve odorante.

La troussée se déchaîne, si forte que tu croirais une retransmission de la Tétralogie de Wagner.

Je têen épargnerai la description, à toi qui connais par coeur les saillies du Taureau de SaintLocdu. Bien s˚r, les hurlements de sa partenaire sous lêassaut dêun membre légendaire, dont la faculté de médecine de Paris sêest assuré le prélèvement post mortem, font-ils vibrer les vitres du logis.

Certes, le vieux sommier de la veuve nêa jamais été surmené pareillement et grince comme un rafiot par gros temps. Mais ce serait basse complaisance de la part dêun écrivain de ma trempe que de sêétendre sur le sujet.

GRIMPE-LA EN DANSEUSE

199

Dominant ses plaies, bosses, voire dêéventuelles fractures, mon chien est parvenu à gagner le lit et à se dresser contre. Par lêéchancrure des rideaux, il contemple la démesure du Démoniaque et en retire de la perplexité.

î

Excellente prestation, nêest-ce pas? murmuré-je.

î

Bestiale! me répond-il.

Jêéprouve derechef un sentiment dêabandon. Pense à mes deux compères prisonniers du souterrain, sous la villa maudite. Je ne peux les y laisser pourrir davantage sous prétexte que ce goret de Béru sêessore les glandes.

î

Vous me faites chier, tous, hommes et bêtes, déclaré-je en me dirigeant vers la lourde.

29

Salami arrive à me suivre, émettant une plainte à chaque pas. Il garde une patte repliée, ce qui semble toujours tristounet chez un chien.

Vêtu dêun bleu de travail ayant appartenu au défunt de la baiseuse des dunes, jêavance dêun pas déterminé, un gros rouleau de cordage à la main.

Nous nous déplaçons en silence jusquêà la ville en endormance.

Des beffrois égrènent des coups que je nêai pas la présence dêesprit de compter, mais à quoi bon, puisque jêai une montre.

Nous allons, dans une mornitude blafarde.

De retour à la casa, je trouve les choses dans lêétat o˘ je les ai laissées. Le réceptacle de la douche, parfaitement bloqué, révèle le puits.

Je mêempare de la deuxième lampe électrique à forte batterie, gardée en réserve, et me tourne vers le cador.

î Cher Salami, proféré-je, je pars pour récupérer mes compagnons. Si, au petit jour, je ne

GRIMPE-LA EN DANSEUSE

201

suis pas revenu, je compte sur vous pour donner lêalerte. Votre vaste intelligence vous en fournira les moyens.

La-dessus : seconde descente aux enfers du Bayard version fin de millénaire.

Arrivé à la base de lêéchelle dêalpiniste, je fixe ma corde de renfort à

celle-ci et glisse jusquêà lêeau froide. Mêengage dans le souterrain de naguère.

î Héééé ooooooh! hurlé-je à pleins soufflets, façon tyrolienne.

î Héééé ooooooh! me lance un organe marqué de lêaccent allemandê.

Bon ! Ils sont toujours là. Loué en soit le Seigneur.

A nouveau, cêest la patouille dans la flotte glacée. Mais, cette fois-ci, la perspective dêapporter la délivrance à mes amis me gonfle dêune farouche énergie.

Combien de temps mets-je à les rejoindre?

Lêignore.

Et comme tu têen branles le panais à deux mains2, je ne me perdrai pas en supputations stériles.

Le fait est que je réalise notre jonction. La lumière dont je suis porteur, davantage peut-être que ma présence, les requinque.

1.

Faut-il que celui-ci soit prononcé pour se manifester à lêaide de deux interjections!

2.

Sauf situ lêas court.

202 GRIMPE-LA EN DANSEUSE

î Courage! leur fais-je, ça va être la fin de cette rude épreuve. Un grand coup de collier et, bientôt, nous viderons les bouteilles de notre réfrigérateur de chambre.

On sêorganise pour coltiner le Noirpiot, AloÔs et moi.

Cheminement faisant, je leur relate le dénouement heureux de mon expédition.

De retour dans le puits, jêaide le Deutsch àgrimper en pommier, ce qui nêest pas évident. Il a beau jouer au golf, ce mangeur de choucroute reste avec son gros cul plombé, et je suis obligé de le pousser par en dessous avec ma tête jusquêà ce quêil atteigne lêéchelle. Après quoi je me laisse à

nouveau filer dans la baille, fixe solidement la corde au torse du Négusman et remonte jusquêà la salle de bains.

î A présent, nous allons te haler, le Frizou et moi, lancé-je; fais-toi léger!

î Têinquiète pas, je viens de licebroquer! ricane le ail-black.

Tu nous verrais, dans ma suite du Miramar, tous les quatre (Salami en est, oeuf corse). Trempés, égrotants, claquant du r‚telier, contusionnés de partout.

Le bal des Epaves!

On sêen tamponne, des tapis, des sièges recouverts de velours frappé!

Le frigo est mis à sac. Chacun se biche son élixir préféré : AloÔs boit de la bière danoise, Jéjé

du rhum, moi de la vodka, et mon pauvre chien bouffe des gaufrettes salées.

Ensuite de quoi, nous décidons de prendre le bain du siècle.

Le Chleuh rejoint sa base et donc sa Teutonne bien-aimée. Je fais couler celui de mon pote. Lui prépare des trucs chauds et veloutés, pleins de baumes odorants, de mousse arachnéenne. Lêaide à sêy allonger.

î Merveilleux, balbutie-t-il dêun ton de bonheur indicible.

Pendant quêil macère, je mêoffre une douche sauvage : mille aiguilles me criblent la viande, br˚lantes au début, tièdes, puis glacées ensuite. Je pourrais tituler cette soirée abasourdissante

´Histoire dêeau ª. Ne parviens pas à mêarracher à cette flotte domestiquée après mes tribulations dans la fange et la pourriture.

Le visage offert à cette averse bienfaisante, les yeux clos, je me mets à

penser très fort à ma Féloche. Comme elle doit morfondre, sans nouvelles du Prince.

Sais-tu que cêest un beau fumier, ce monarque de son coeur?

Saisi dêun je-ne-sais-quoi, mais violent, je sors de mon averse, enfile un peigne noir, je veux dire : un peignoir, et fonce au turluphone.

Je vais y en casser une savoureuse.

A lêautre bout, son bigophe ne sonne quêune fois, une seule. Preuve quêelle ne dormait pas, malgré lêheure industrielle.

î Antoine! dit-elle.

Puis éclate en sanglots.

204

GRIMPE-LA EN DANSEUSE

Je manque mourir de honte.

Comment ai-je pu la laisser plusieurs jours sans nouvelles, ma vieille chérie dêamour?

Maudit sois-tu, fils indigne

Le meilleur de tous les êtres, celui dont tu peux être assuré quêil ne te trahira jamais, têattend àchaque seconde de sa noble existence, espère un mot, un signe de toi. Et au lieu de lui accorder cette aumône, tu suis ta route frelatée sans daigner te pencher sur sa pathétique tendresse.

Ce que je lui exprime, cêest du hors antenne. Pas publiable. Mon coeur au ralenti, you see? Le trop-plein dê‚me.

Nêà mesure que je dévide, dêautres mots affluent. Y a quêà laisser se dérouler le moulinet, un gros poisson dêamour est ferré à lêautre bout. Je laisse du mou pour me donner lêoccasion de tout lui dire.

«a se poursuit pendant une plombe, cette scène dêexpiation.

Je perçois un bruit, me retourne. Jérémie est derrière moi, tout nu, avec sa toison à ressorts et sa big chopine façon poste à essence.

Elle pleure en mêécoutant, la vigie des cocotiers.

Putain, cêest si larmouillard, ce que je débite?

Le M‚churé fait deux pas de plus et tend la main pour que je lui remette le combiné.

î Maman Félicie, cêest Jérémie! il bredoche. Votre grand connard de garçon me fait chialer. Il vous aime, vous savez. Vous représentez lêessentiel de sa vie.

Il bonnit encore. On baigne dans une émotion intarissable (dêOlonne).

Musicale, il me semble. Y

GRIMPE-LA EN DANSEUSE

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aurait de quoi se montrer gêné par tant dêimpuderie. Mais non, au contraire, elle fait du bien àentendre.

Il

se tait brusquement, à cause dêun cri que vient de pousser mêman.

î

quêy a-t-il? mêinquiété-je.

Elle paraît dans tous ses états, ma vieille.

Alors, il me rend lêappareil.

î

Cêest re-moi, mêman, quêest-ce que tu as?

Elle suffoque comme lorsquêon a trop de choses importantes à dégorger et quêon nêarrive pas à trouver le bon bout.

î

Voyons, ma chérie, ressaisis-toi! je supplille.

Elle finit par se calmer un peu.

î

Je me demande ce qui sêest passé, fait-elle à voix basse. En parlant à M. Blanc, jêai eu une sorte de vision. Pourtant, ce nêest pas mon genre, tu me connais? Cêest la première fois quêune telle chose se produit.

î

Dis-moi...

Elle marque un silence troublé par sa respiration oppressée.

î

Cêest tellement fou ! soupire-t-elle dêun ton effarouché.

î

On ne peut rester sensé toute sa vie sans une défaillance de temps à autre, plaisanté-je. Raconte, ma poule.

Encouragée, vaincue, elle parle.

Ce quêelle me dit?

Je te préviens, Lucien, tu vas en prendre plein les socquettes.

206 GRIMPE-LA EN DANSEUSE

î Je vais avoir du mal à reconstituer cela, murmure-t-elle. Jêai vu brusquement une villa avec des briques rouges et des faÔences autour des fenêtres.

La molette de mon anus se bloque. Ce quêelle énonce, ma chère vieille, cêest le pavillon dêAstrid, non?

Elle continue

î Jêai vu arriver une grosse voiture haute sur roues. Un couple en est sorti. Un homme très blond, une femme très grande.

Je stupéfie crescendo. Cêest Astrid, avec son gazier, qui me casse des boutanches de bourgogne sur la coiffe, quêelle narre.

î Ils ont sorti un tapis du coffre de lêauto et lêont coltiné dans la maison, continue ma mère très aimée. Ils sont montés au premier étage avec leur charge et se sont rendus dans une salle de bains.

Nous nous défrimons, le gars Jéjé et moi, nous demandant si cêest du lard ou du cochon, dirait puis ma grand-mère.

A nêy pas croire, nêest-ce pas, Grégoire? Ne vadrouillerions-nous point dans la quatrième dimension? Ptêêtre même la cinquième, si chère à

Beethoven!

î Et après? je blagadoche dêune intonation misérabonde.

Le ton de ma chérie sêaffermit. Mêest avis quêelle sort de son hypnose passagère.

î Je... je ne sais plus très bien. Je vois encore une douche avec son rideau déchiré.

Cêest vrai quêil y avait un fort accroc à celui de la villa ´Look ª.

Félicie émet un petit rire frêle.

GRIMPE-LA EN DANSEUSE

207

î Voilà, ajoute-t-elle, soulagée : cêest terminé. Tout est normal à

présent. Mais quelle sale impression ! Je nêaimerais pas devenir médium.

Ce tubophone avec diffuseur incorporé est commode, têas pas besoin de résumer ta converse pour affranchir un tiers.

î Tu permets ? demande le Noirpiot en cueillant le combiné dans ma dextre.

Il rassure

î Ne vous tourmentez pas, madame Félicie; cêest à cause de moi que vous avez eu ces visions. Ma jeune soeur, Cadillac V 12, est médium, et une partie de sa voyance mêa été impartie quand elle a eu atteint la puberté.

Ce don, chez moi, nêest pas direct, mais passe par le truchement dêune personne réceptive, comme vous... Je vous explique : ce que vous avez décrit, cêest moi qui le percevais sans être conscient et jêen ai imprégné

votre esprit. Dans mon village, au bord du fleuve Sénégal, on appelle ce phénomène le Jaka Tau. Il est réservé à des êtres dotés dêune extrême sensibilité. Si nous nêavions pas communiqué à cet instant, jamais il ne se serait produit sur vous.

Je bigle mon pote, impressionné jusque dans ma périphérie testiculaire.

Ainsi, non seulement lêhomme de race noire est lêancêtre de lêhumanité, mais il détient, de surcroît, les dons les plus mystérieux.

Bonsoir, maman.

Retourne te coucher.

Dors bien et fais de beaux rêves : ton grand têadore!

30

Jérémie et Salami voulaient mêaccompagner, mais jêai véhémentement refusé.

Pécloteurs comme je les voyais, ça mêaurait meurtri les burnes de les faire remonter en première ligne. Je leur ai expliqué que je ne retournais pas à

la villa pour réaliser un remake de la bataille de Verdun, mais pour

´guigner ª. Et ce, sur la foi ´dêune vision ª. De quoi débiter des ronds de pine avec un coutelas de boucher ! Je sombrais dans le Nostradamus de fTete foraine!

Cependant, cartésien ou pas, je mêy suis rendu.

Maintenant que je la connaissais de combles en souterrains, elle était devenue, pour moi, la concrétisation du ´maléfice ª. Je me disais que, même si on la rasait, elle demeurerait une sorte de bastion maudit. que si le Diable existait et siégeait quelque part, ce ne pouvait être que dans ce pavillon dêapparence innocente.

Lêair de la nuit fraîchissait; les bouffées quêil véhiculait puaient le cadavre en décomposition.

GRIMPE-LA EN DANSEUSE

209

Du moins ´mon subconscientª en détectait-il lêignominie.

Il nêy avait plus de circulation, et même en stationnement, les bagnoles parcimoniaient. Aucune ne se trouvait aux abords de la villa ´Look ª.

Je me suis blotti dans un renfoncement pour la contempler sans être remarqué. Close et noire, seul brillait au clair de lune lêéventail de verre surmontant lêentrée.

Au bout dêun long temps dêinertie,jêai éternué. «êa été un déclic : dêun pas mécanique, jêai traversé la chaussée afin de pénétrer dans la maison.

Je la savais par coeur et nêavais pas besoin de loupiote pour mêy diriger.

Le salon.

Un fauteuil Voltaire dont les bras perdaient leur cloutage mêaccueillit. Je mêy installai, me relaxant un max. Nonobstant la sinistresse pomponnée de lêendroit, je mêy sentis bien. Jêavais besoin dêopérer un survol complet de cette histoire. En la démarrant au moment o˘ le général Karl Hecht fut amené ici avec sa cage à oiseau, pour y être trucidé. A cette époque, le vacarme du torrent épisodique ne se produisait pas. Plus jêy pense, plus je suis convaincu que le grand-père dêAstrid ignorait la présence du puits, sinon il ne se serait pas fait éclater les varices en créant une sépulture dans un faux conduit! A propos du puits : pourquoi son orifice est-il situé

au niveau dêun premier étage au lieu du sous-sol ? Emplacement complètement illogique, non?

«a coince, y a pas!

210 GRIMPE-LA EN DANSEUSE

Mais casse la tienne, dirait mon amnésique de Béru. Le fugueur teuton arrive ici. Fut-il guidé ou accompagné par la femme découverte avec lui?

Jêai déjà dit quelque part quêil devait, outre sa cage truquée, trimbaler sur soi un beau pactole de sterlings ou de dollars, ce qui a provoqué son assassinat. Sêil avait eu ballepeau, le couple de grands-parents lêaurait balancé à la Kommandantur; seulement les deux rapaces ont voulu griffer le magot!

Ensuite?

Ben la guerre sêachève. Pépère devient hémi ou para (plutôt) plégique. Le temps sêécoule. Les deux ancêtres clabotent près des deux cadavres emmurés.

Blanche, leur fille, après un mariage plus ou moins raté, vient sêinstaller ici. Dans quelles conditions? Pour y mener quelle existence? Comment a-t-elle élevé Astrid? Mystère

quand on commence à se poser des questions, par salves, on est vite submergé.

Jêinterromps mes gambergeries un instant pour tendre lêoreille aux bruits urbi et orbi. Silence. Pourtant, il mêavait semblé... Mais oui : on gratte à la porte. Je vais déponer. Rien face à moi. Je baisse les yeux : Salami !

Il est tout bancroche, mais présent! Il souffre et pousse de courtes plaintes inescamotables.

î Vous ici ! thé‚tralisé-je. Au lieu de vous reposer!

Le cador entre sans mêaccorder le moindre regard, gagne le salon. Cêest fantastique, lêodorat de ces animaux, pour nous, juste capables de détecter des odeurs de pets ou de soupe aux

GRIMPE-LA EN DANSEUSE

choux. Nous sommes, comparés à eux, des infirmes de lêodorat.

Il se couche près de mon fauteuil et, exténué, sêendort.

Brave toutou, si courageux, si pugnace! Du bout des doigts jêeffleure son pelage rêche, un tantinet huileux. Il émet un soupir dêaise dans son sommeil, tandis que je reprends le cours de mon récapitulatif.

Ce qui me trouble, au sujet de cette foutue baraque, cêest le puits. Il nêa pas été foré áprèsª sa construction, cela aurait été impossible. Donc, on a b‚ti le pavillon par-dessus! Elle date de quand, cette crèche? A vue de pif et compte tenu de son architecture, je la situerais début de siècle.

qui lêa fait b‚tir? Va falloir tirer la chose au clerc, dirait un de mes amis notaire ~.

qui a eu lêidée dêen faire une fosse commune? Autre chose : pourquoi cette espèce de torrent

qui gonfle par instants a-t-il surgi voici environ vingt ans, quêest-ce qui le rend sporadique, dêo˘ provient-il?

Attends, Fernand, cêest pas terminé, oh! que non. Dans mon coffre à idées, cêest aussi tumultueux que dans les profondeurs mystérieuses de cette maison. quêest-ce que la bande organisée de Londres trafique avec la quiète (en apparence) villa ´Lookª? Comment a-t-elle appris ce que contenait la cage à oiseau qui poireautait dans cette pièce depuis un demi-siècle?

212 GRIMPE-LA EN DANSEUSE

Y a de quoi phosphorer, tu ne trouves pas?

Alors, je gamberge.

Et quand on gamberge trop longtemps dans le noir, on finit par sêendormir, têas remarqué?

DEUXI»ME PARTIE INCOMPARABLE

31

Elle allait, le coup de pédale aérien. Sa jupette, soulevée par le vent de la vitesse, découvrait ses longues cuisses musclées. Ses lèvres charnues, retroussées par lêeffort, lui composaient une expression mi-amusée, mi-douloureuse.

Les côtes sont plutôt rares, dans la périphérie de Bruxelles; cependant, certaines déclivités innocentes constituaient des ćoupe-pattesª qui la forçaient à se mettre en danseuse pour les escalader.

Comme elle atteignait le haut dêune petite pente, elle sêaperçut quêun chien la suivait avec difficulté. Un basset-hound aux trois couleurs réglementaires blanc, noir et fauve. Outre sa morphologie ´rase-mottes ª, lêanimal souffrait dêun handicap supplémentaire : il portait un fort pansement à la patte avant gauche, qui lui ôtait sa vélocité de chasseur.

La Belle stoppa au sommet de la rampe pour attendre le blessé. Celui-ci semblait au bord de lêexténuement; il se coucha sur le talus dès quêil lêeut rejointe.

GRIMPE-LA EN DANSEUSE

215

î Mais je te reconnais! sêexclama la jeune femme. Tu es le chien de SanAntonio!

Le clebs fouetta lêherbe de sa queue.

Du coup, elle descendit de vélo pour sêapprocher. Lui caressa la tête des oreilles au museau. Il fut sensible à cette marque dêintérêt et lui octroya un coup de langue sur la main.

î Comment diable te trouves-tu ici? murmura-t-elle, passablement troublée.

Salami nêeut pas envie de se perdre en explications. Il reprit sa posture abandonnée.

La cycliste regarda autour dêelle, quêtant une inspiration.

Tu pourrais tenir dans le panier à provisions de mon porte-bagages?

questionna-t-elle.

Il acquiesça dêun bref jappement. Lors, elle bloqua sa bécane contre un panneau de signalisation et vint se saisir de lêanimal.

Bien quêil y mît du sien, son installation dans la corbeille ne fut pas une mince affaire. II souffrait beaucoup et poussait des gémissements dès que sa patte blessée heurtait un quelconque obstacle. Astrid, heureusement, agissait avec douceur.

Lorsquêil fut en place, elle enfourcha la selle de cuir, opération qui captiva le basset, lequel, un instant, eut une vision charmante qui le fit saliver.

Cahin-caha, ils partirent. La bicyclette bleueê décrivit quelques embardées avant dêacquérir sa vitesse dêéquilibre.

quand elle eut atteint la bonne allure, le danger de chute devint inexistant. Salami oublia ses

216 GRIMPE-LA EN DANSEUSE

maux pour se laisser emporter par la griserie du moment. Il faisait doux, sa compagne sentait bon. II sêabandonna à la félicité de la promenade jusquêà passer un léger coup de langue dans lêentre-fesses de la pédaleuse de charme qui en gloussa de plaisir.

Ils achevèrent leur randonnée une heure plus tard.

La jeune femme habitait non loin du Bois de la Cambre, une maison particulière de belle allure, dont le grand jardin était cerné dêune grille aux piques belliqueuses. Elle cala sa bicyclette contre le perron et saisit le basset à bras-le-corps pour le descendre. Ce faisant, elle constata que son passager bandait démesurément, nêen fut ni flattée ni dégo˚tée. La promiscuité des hommes et de leurs frères ínférieursª engendre fatalement des phénomènes de nature.

quand ils eurent gravi les marches, un serviteur à la peau bistre vint annoncer quêun ´ monsieurª lêespérait au salon. Elle sêy rendit immédiatement et son plaisir fut grand dêy découvrir San-Antonio.

Nonobstant la désagréable péripétie ayant mis fin à leur brève liaison, elle conservait de ce fringant policier français un souvenir troublant. Pas mal de sa personne, plein dêun charme enjoué, il faisait lêamour avec un brio difficile à oublier.

î Je ne me rappelais pas vous avoir laissé mon adresse, fit-elle en lui offrant sa bouche charnue.

GRIMPE-LA EN DANSEUSE

217

Il

nêeut quêà se hisser sur la pointe des pieds pour la cueillir.

î

Chère belle ‚me, répondit le galant, il nêest guère difficile de retrouver une personne dont on possède lêidentité, surtout lorsquêon exerce ma profession.

Puis il sêenquit, montrant Salami

î

Comment se fait-il que mon chien soit avec vous?

î

Il me suivait. Comme il était blessé, je lêai pris sur le porte-bagages de ma bicyclette.

Elle regardait son front suturé.

î

Votre blessure se cicatrise?

î

Celle de la chair, oui, mais pas celle de lêamour-propre, repartit le héros.

î

Oh, oh! Envisageriez-vous une quelconque vengeance?

î

Nourrir des sentiments aussi mesquins, se récria le chef de la Police, grand Dieu non ! Je souhaite simplement exprimer à votre ami le point de vue dêun homme agressé par surprise. Mais rien ne presse.

Ils se dévisagèrent un instant avec complaisance.

Elle murmura

î

Vous avez prolongé votre séjour en Belgique?

î

Votre pays a du charme.

î

Vous comptez y rester un certain temps?

î

Jusquêà ce que jêaie élucidé les mystères de votre maison familiale dêOstende, chère Astrid.

Le visage de la jeune femme devint grave. SanAntonio nota quêune forte veine grossissait sur sa

tempe droite tandis quêune expression dêépuisement défaisait ses traits.

î

Vous parlez de ces fameux bruits? demande-t-elle.

î

Dêeux et du reste, jeta San-A. avec désinvolture.

î

Du reste?

î

De TOUT le reste.

II

continuait de sourire.

î

Vous me permettez de mêasseoir, darling? Je viens de vivre des péripéties exténuantes.

Elle fit le geste qui convenait à pareille requête et prit dans une boîte de cristal une dragée quêelle offrit au chien. Son visiteur prit place dans un énorme fauteuil de cuir faisant songer à un hippopotame somnolent.

î

Je fais un métier éprouvant, reprit-il. Parfois, je lêassimile à

celui dêun défricheur de brousse se frayant un passage dans la sylve àcoups de machette.

Salami exténué, se prit à ronfler près dêun important porte-parapluies dêinspiration chinoise. Son bruit était cocasse.

î

que puis-je vous proposer? demanda la longue fille.

î

La botte! répondit-il du tac au tac, car la fatigue me donne envie de baiser.

Sa réponse la sidéra. Jusquêalors il se comportait avec elle de manière certes hardie, mais sans se départir de ses façons enjouées.

Astrid le considéra dêun oeil incertain.

î

Je vous trouve bizarre, finit-elle par murmurer. Auriez-vous bu?

î

Non, rassurez-vous : jêai toute ma tête, comme disent les bonnes gens. Puis-je vous poser une première question?

î

Pourquoi première?

î

Parce quêelle sera probablement suivie de beaucoup dêautres.

Jêaimerais savoir ce qui vous a incitée à me faire venir à Ostende?

î

Je tenais à vous montrer ma maison hantée.

î

Cela sêappelle jouer avec le feu, ma chère.

î

Je ne comprends pas...

San-Antonio lissa entre le pouce et lêindex le pli tranchant de son pantalon.

î

En réalité, reprit-il, quand vous avez su ma profession, la peur vous a saisie. Vous nêavez pas cru à la fortuité de notre rencontre et avez pensé que les polices européennes sêintéressaient àvous. Alors vous avez joué le tout pour le tout en mêamenant dans votre foutue bicoque. La maison hantée! qui donc vous aurait soupçonnée par la suite : cêest VOUS qui me lêaviez montrée!

Elle détourna les yeux et répéta

î

Je ne comprends pas.

î

Cela va être votre système de défense, ma grande?

Elle lui décocha un regard venimeux qui sêéteignit instantanément.

î

En somme, de quoi mêaccusez-vous?

î

Très bonne question. Disons que, pour commencer, je vous accuse de tout. Ce sera àlêinstruction de répartir les charges entre vous et vos complices.

Elle sêécria

GRIMPE-LA EN DANSEUSE

11 cessa de sourire et déclara dêun ton plein dêune violence mal contenue î Le nombre de gens assassinés dans le cours dêeau souterrain ne va pas être facile à déterminer, vu leur état de putréfaction!

Il se produisit un affaissement chez la femme. Pendant un moment, elle fut absente de la conversation.

î La peine de mort nêexiste pas en Belgique, reprit-il. Jêai été lêun des premiers à la combattre. Mais devant des gens comme vous ou Dutroux, je sens croître en moi des incertitudes.

En manière de réaction, elle se pencha et, sêemparant dêun contacteur de TV

posé sur une tàble basse, lêactionna. San-Antonio la considéra avec surprise. Elle pianotait rapidement le minuscule clavier.

Soudain, il se produisit une faible explosion. Le Français se crut happé

par un séisme. Le siège opulent dans lequel il sêétait assis se mit à

gonfler exagérément, au point de devenir un monstre qui lêécrasait, le tordait, lêétouffait littéralement.

Il poussa des cris qui se perdirent dans lêinfernal malaxage. Le souffle lui manqua.

Son ultime impression fut quêil était digéré par quelque abominable estomac.

Malgré ces bruits, Salami dormait toujours profondément, exhalant parfois des soupirs.

Astrid sonna le valet de couleur.

quand il apparut, elle lui dit, montrant le fauteuil-tortionnaire, que lorsque će serait fini ª, il devrait remettre le siège en état et rouler le mort dans le ´tapis de transport ª.

Lêancillaire acquiesça.

32

Bérurier allait de sa démarche plantigradeuse, escorté de la mère Hortense aux bas tire-bouchonnés. Lêhôtesse marchait avec la gr‚ce dêun train de chalands trop lourdement chargés. Elle ronchonnait en flamand, dialecte rigoureusement inconnu du Gros.

A la fin, il se retourna et lêapostropha en ces termes î

ècoute-moive, la mère. quêtu prisses ton panard dans ton jargon,jêveuille bien ; mais quêtu mêfisses la converse en belge dêautêfois, jêpeuvê pas suivê.

Son égérie du moment lui décocha au clair de lune un franc sourire auquel manquaient dix-huit dents.

î

Tu fas fite! traduisit-elle. Je, plus vingt ans!

î

Personnê lêrêgrette mieux quêmoive, assura le chéri de ces Gorgones. Tu dêvais têêtê girondê quand ton pétrousquin traînait pas suê

tes talons! Maintênant, faut têrassembler à deux pognes les 222 GRIMPE-LA EN DANSEUSE

plis dêIa babasse pour pouvoir têencastrer convênabêment.

Elle baragouina de lêinaudible. Il nêy prit pas garde.

î

Jêsais pas cêdont jêai eu, soliloqua Alexandre-Benoît, mais jêai resté des heures sans mêsouviendê dê rien. quand lêgrand est vênu dans ta cambuse, jêlêai point rêconnu! Un monde, non? Des années quêon sêpratique.

Cêtêaprève quêça mêest rêvênu.

Ils cheminèrent ainsi jusquêà la ville. Béni fila au Miramar o˘ il apprit des employés lêabsence de son valeureux chef. quant à Jérémie, il gisait encore, épuisé. Après un temps de désappointement, suivi dêun autre (à

peine plus long) de réflexion, il se dirigea vers <(la maison hantée ª.

Il

vit un 4x4 stationné devant la grille. Le véhicule avait son hayon ouvert. LêHénorme coula un regard à lêintérieur et aperçut Salami endormi.

Un méchant détail fit se cabrer le puissant auxiliaire de San-Antonio : une pièce de fonte se trouvait attachée au collier du chien.

î

De Zeus! grommela Sa Majesté; ça sêraitil-t-il quêon veuille noyer cêpauvêanimal?

Son coeur décrivit une volte de manège équestre dans sa poitrine.

î

ècoute-moive, la vieille, chuchota-t-il galamment à sa conquête.

Faut quê jêallasse mêrendê compte de cêqui sêpasse à lêintérieur. Toive, tu vas faire 1ê pet dehors. Si jêtardasserais trop à reviendre, va préviendre les flics et dis-leur quêa une oubliette dans la douche dêla salle dêbains.

Têtêrappellêras?

GRIMPE-LA EN DANSEUSE

Elle assura ´quêoui ª. Ce gros type brusquement débarqué dans sa vie, sa chaumière et sa chatte, la subjuguait avec son énorme paf et sa volonté

inflexible et genouflexible.

Dès lors, Bérurier sêattaqua à la porte dêentrée qui nêavait rien à lui refuser. Après un délai des plus courts, il put pénétrer dans lêétrange pavillon.

La cage dêescadrin était éclairée et des voix lui parvenaient dêen haut.

Le bon Mammouth se félicita de ce que les marches fussent en grès. li largua les godasses prêtées par la veuve, dêénormes ribouis ayant appartenu à son défunt époux, et monta précautionneusement à lêétage. La porte de la première chambre béait, de même que celle qui la séparait de la salle dêeau.

Il risqua un regard et aperçut un couple accroupi devant un tapis roulé.

Muni dêun canif, lêhomme tranchait les cordes qui le liaient.

quand il eut achevé, il déroula la carpette, aidé de la fille. Au centre, un corps. Alexandre-Benoît reconnut San-Antonio. Il éprouva un vertige, et un cri immense, quêil nêarrivait pas à extérioriser, gonfla sa poitrine.

Comme il se ruait vers lui, lêhomme, un personnage grand et blond, au regard dêalbinos, actionna une manette en forme de robinet et le récipient sêécarta pour découvrir un puits.

Le rush inopiné du gros homme le stupéfia.

Sa compagne décrivit un demi-tour en portant la main à la poche de sa veste dêété quêalourdissait un revolver. Le Taureau fou la chargea avant 224 GRIMPE-LA EN DANSEUSE

quêelle nêait eu le temps de le dégager. Ce qui sêopéra alors ne pourrait être décrit que par un ralenti cinématographique.

En décomposant le mouvement, on se serait aperçu que le Soudard la télescopait plein cadre et la renversait. Simultanément, le compagnon de la fille manoeuvrait la fermeture du puits. Celleci s~opérait assez rapidement. A cet instant, Astrid avait la tête au-dessus du trou. Il se produisit un craquement hideux : sa boîte cr‚nienne éclata sèchement, et jêai trop de talent, crois-moi, pour te sortir la piètre métaphore de la coque de noix.

Lorsque le bac de la douche se remit en place, seul le tronc de la femme subsistait, sa tête sectionnée était allée rejoindre les trépassés du charnier.

î Dêaccord, murmura ce Dodu, a mêsurait vingt-cinq centimètes dêtrop. Mais quand même...

Anéanti, son compagnon fixait le corps sanglant avec des yeux fous.

î Têas gagné Iê canard, hein, mon pourri ? fit Bérurier dêun ton mort.

Dêun élan imprévisible, il lança son pied droit dans les bourses du blondinê qui exhala une plainte pareille à un r‚le et fléchit sur ses genoux. Sa Majesté ne lui laissa pas le loisir de récupérer. Il continua de shooter dans les génitoires de lêautre à grands coups appliqués, faits pour détruire.

1.

Mon pauvre Antoine, va! Si tu savais combien je têévoque la mémoire!

GRIMPE-LA EN DANSEUSE

225

Sa victime gisait depuis longtemps sans connaissance quêil cognait toujours.

Il

lêaurait réduit à lêétat de cataplasme, dêabord et dêectoplasme ensuite, si une voix faible nêavait murmuré: î

Le finis pas tout de suite, Gros. Jêai des choses à lui demander!

î

Sana! hurla le Touffu en sêabattant sur son ami.

Alors, un peu comme dans Aragon, la Diane belge sonna.

Les perdreaux dêAlbert II, prévenus par Hortense en alarme, arrivaient, toutes sirènes hurlantes.

DE TOUT UN PEU

Cêétait le titre dêune rubrique lue jadis dans je ne sais plus quel baveux.

Elle aurait mieux fait de se tituler : ´ De rien de rien ª, car on nêy lisait pas grand-chose, et moins que ça. Je le reprends pour te conclure ce book si plein de bruit et de fureur.

Note, je pourrais y aller au délayage. Te dégauchir encore une douzaine de chapitres extensibles en dilatant le bidule subsistant. Nêà quoi bon? Dans un polar de ce niveau, quand têas eu droit au pourquoi du truc, ne te reste plus quêà passer les serviettes chaudes, kif à la fin dêun repas chinetoque, et à préparer ta bite pour aller tirer une péteuse.

Pour têen reviendre, trois jours après les péripéties que tu as suivies, nous sommes réunis au Bistrot Saint-Honoré, rue Gomboust, o˘ je savoure, moi si tellement amateur, les meilleurs oeufs en meurette du monde et de sa périphérie. Le patron remue son gabarit de colosse dans une cuisine de quinze mètres carrés quêil transforme en palais de lêEnchanteur Merlin, tandis que la gentille Babeth,

GRIMPE-LA EN DANSEUSE

227

sa dame, distribue ses sourires et ses pots de julienas à la ronde.

Jêai rassemblé dans ce lieu délicat les protagonistes de mon historiette : Jérémie, Pinuche, Mathias, Béru, sans oublier le merveilleux Salami dévolu chef de table. Sa serviette passée dans son collier, il mange sans gloutonnerie une solide entrecôte accompagnée de spaghettis spécialement cuits à son intention.

Tous les six, éclopés ou pas, nous dégustons la jaffe bourguignonne dont les fumets ensorcellent...

Le Rouquin et la Vieillasse sont les seuls à se sentir dans leur assiette.

Le Noirpiot, Béni, ma pomme, péclotons, profondément affectés par lêabasourdissante aventure que nous venons de vivre. Les récentes nuits ont été animées ; la ´ maison de lêau-delà ª, comme lêa baptisée un journaliste bruxellois, mêaura marqué pour le restant de mes jours. Battrais-je le mémorable record de Mathusalem (969 ans), que je me rappellerai cette grille de retenue dans les profondeurs du cours dêeau de lêenfer, avec les cadavres accumulés par le courant, pressés, décomposés, formant une monstrueuse p‚te dont jêéprouve toujours le contact sous mes pieds et le long de mes jambes. Aux dernières nouvelles, les auxiliaires de la police ostendaise auraient déjà dénombré plus de cent cinquante corps.!

Un frisson me parcourt, écrirait-on dans les livres chargés de détremper les petites culottes des lycéennes dêavant Mai 68.

GRIMPE-LA EN DANSEUSE

î

Tu as froid? sêinquiète La Pinasse auquel rien nêéchappe concernant la maladie.

î

Non, cêest la volupté! Ces oeufs sont proprement fabuleux.

î

Jêai enfin découvert qui était la femme emmurée avec le général allemand ! sêexclame le Rouquemoute.

î

que ne le disais-tu-t-il

î

Jêai mis deux types très áff˚tésª sur sa piste. Il sêagit dêune certaine Liselotte Stupfer, maîtresse et collaboratrice du général Karl Hecht. Elle avait le grade de lieutenant. On lêa portée disparue à la suite dêun raid américain qui a rasé son quartier! Les empreintes du cadavre momifié, et surtout sa denture, ont été révélatrices de son identité.

î

Voilà un nouveau point éclairci, fait le Noir.

î

Vêsêavez cêdont jêai appris? intervient brusquement sa Majesté-à-Grosse-Panse (entre autres).

Nos regards le pressant, il déclare

î

Un savant russe aurait inventé lêmoilien dêcorresponde aêvêc les sourds-muets en y filant unê cordê à violon dans lêcul, fixée à un ballonnet gonflable. Au plus tu gonfles, au plus lêsourdingue chope les sons dans lêrecteur.

Nous convenons unanimement de lêintérêt br˚lant de cette information. Puis ayant consommé lêun de mes deux zêoeufs nappés de sauce au vin rouge, je biche le micro

î

Vous savez, Pinuche et Mathias, que nous connaissons maintenant lêorigine des bruits surnaturels?

GRIMPE-LA EN DANSEUSE

229

î

Un cours dêeau? fait lêhomme qui se teint en blond avec un pot de minium.

î

Exact, mais ils ne sont perceptibles que depuis une vingtaine dêannées. Or le torrent existait déjà il y a des millénaires.

î

Pigé, fait le Flamboyant! Un glissement de terrain?

î

Têes vraiment lêOracle des Temps Nouveaux, applaudis-je. Cêest lorsque les Travaux publics belges ont construit lêautoroute OstendeColomb-Béchar que lêaffaissement du sol sêest produit. Seulement il a eu lieu lêété, en période aride, et lêon a simplement comblé la dépression avec de la terre de remblai. Lorsque le cours dêeau a repris force et volume, il sêest frayé un lit qui lêa conduit au puits de la villa ´ Look ª. Il faut préciser, quêil est enrichi, plusieurs fois en vingt-quatre heures, du trop-plein des huîtrières, dêo˘ le brutal gonflement de son flux. Et si la vieille voisine nêa rien entendu lêautre nuit, cêest uniquement parce que la sécheresse actuelle a tari son débit momentanément Comme Mathias mêécoute avec un intérêt risquant de le faire claper froid, je me h‚te de préciser:

î

Je tiens ces infos de la Police belge qui a mis le paquet sitôt la découverte du charnier!

î

Abordons ce dernier, propose La Pine en train de se br˚ler les doigts et le gosier avec des escarguinches de Bourgogne plus gros que les testicules de Béru.

î

Pour pouvoir en parler, il faut, auparavant, évoquer ce que jêappellerais le puits clandestin.

230 GRIMPE-LA EN DANSEUSE

Son forage remonte à la guerre de 14-18. A la première occupation allemande, des résistants flamands connaissant lêexistence du ruisseau souterrain, lêavaient creusé à lêintérieur dêun castel, rasé ensuite par un l‚cher de ´marmites alliées ª. lis lêavaient rendu indétectable en situant son orifice à la hauteur dêun premier étage. Par un caprice des bombardements, seul le conduit était resté intact... Nos confrères dêoutre-quiévrain (ne manquerait pas dêécrire un moudu mou de la) vont sêemployer à

déterminer ce qui sêest alors passé. Mon sentiment est que le propriétaire du terrain, sitôt que ce lui fut possible, b‚tit un pavilion autour du puits aux cadavres pour en préserver le secret. Si, par la suite, le nouvel acquéreur, cêest-à-dire le grand-père dêAstrid, avait connu sa présence, il nêaurait pas eu à fabriquer la gaine destinée à servir de tombeau aux deux déserteurs nazis.

Ńous avons appris que la feue Blanche avait modernisé la salle de bains désuète, vingt ans auparavant; il est évident que cêest au cours des travaux quêon a découvert le puits. Plus tard, sa fille a réalisé ìla douche-oublietteî.ª

Nos mastications, à des rythmes différents, composent un concert de mandibules en comparaison duquel ceux de Karajan ne seraient que déchaînements de crécelles...

Le gars Jéjé, lêhomme qui descend des cocotiers, comme dêautres du générai Grant, abandonne un moment son petit salé aux lentilles.

î Terminons-en, fait-il avec une brusquerie inaccoutumière. II serait bon de savoir comment cette maison est devenue un dépotoir à macchabées.

GRIMPE-LA EN DANSEUSE

231

î La fatalité, ajouté-je en sauçant mon plat pour en récupérer le meilleur.

Nous allons être affranchis de tout, mais pour cela, il faut que lêalbinos émerge de la semoule dans laquelle Monseigneur Groduchibre lêa plongé. Par les étranges domestiques de la décapitée, nous avons déjà une idée de ses activités. La gredine appartenait à une bande internationale. Elle en dirigeait la branche continentale, la ´maison mèreª étant à Londres. Sa maison dêOstende constituait un parfait cimetière pour leurs victimes. qui pouvait se méfier de ce pavillon hanté que personne nêosait approcher?

Á propos des grosses traces dans ma poudre de perlimpinpin, je crois avoir lêexplicance. Le soir o˘ nous avons dormi à la villa, le Mammouth et moi, quelquêun sêy trouvait qui nêa pas eu le temps de se placarder et a attendu que nous soyons endormis pour se carapater. Soucieux de ne pas laisser ses empreintes, ii a chaussé de vieilles godasses de mareyeur décorant un dessus de commode. Concernant la fumée grise, façon conclave négatif? Un signal que lêhomme a émis pour signifier à ses complices qui lêattendaient, de ne pas approcher. Ce devait être un membre de la ´branche britannouille ª. Les gens de cette murder orgunization utilisaient cette maison avec discernement, soit pour se débarrasser de quelquêun, soit pour y déposer des ´marchandises en transit ª, comme les saucissons de cette petite frappe de Mailory, qui contenaient de la drogue.

´ Jêai dans mon caberluche, la certitude bien ancrée que nous avons découvert une sacrée termitière, mes amis. Nos confrères britanniques, 232 GRIMPE-LA EN DANSEUSE

belges, allemands et dêautres lieux aussi huppés, vont avoir du pain sur la planche à surf! ª

î Cela dit, murmure Jérémiade à mon oreille, je me demande comment, au bout de cinquante piges et mèche, ces Anglais ont découvert le secret de la cage à oiseau?

î Un mystère que nous ne percerons probablement jamais, conviens-je-t-il à

regret.

Et puis notre tortore sêachève. Je file au rade pour douiller la Zabeth.

Comme elle est occupée avec des étrangers qui ne sont pas dêici, je biche un hebdo abandonné au bout du comptoir.

Je te lêai toujours affirmé, que ma vie est un roman, le plus cornediable de tous ceux que jêaurais pondus...

Tu sais quoi, Benoît?

Faut vraiment têy dire?

Jêouvre ce baveux à une page sur laquelle sêétale la photographie du général Karl Hecht; un historien anglais vient dêécrire un énorme book sur lui, déjà best-seller au Royaume-Uni. Le gars sêest livré à une super-enquête et raconte toute la saga du copain de Rudolf Hess. Cêest marie, un historien. Je vois mon pote Decaux, par exemple : ii retrouve un préservatif usagé de lêarchiduc Maximilien et il te reconstitue la dynastie des Habsbourg. Tous des Sheriock!

LêEnglish, un certain Dressbitt, a retracé lêéquipée de Hecht et de sa sufragette. Lêavion abattu au-dessus dêOstende, les deux passagers qui sêarrachent des décombres (emportant la cage-coffre-fort) pour, il suppose, trouver refuge chez lêhabitant. Il décrit lêoiseau rare, Dressbitt, GRIMPE-LA EN DANSEUSE

233

en publie même la photo parue dans un catalogue réservé aux boîtes à

musique. Côté Rosbifs, quelquêun de la bande ligote le book, reconnaît lêobjet (lequel ne musiquait plus, car on avait remplacé son mouvement par les joyaux), et les Anglais sêen emparent sans prévenir Astrid, bien entendu.

Têas compris, Baffi? Depuis trois semaines, la vérité est narrée noir sur blanc et points sur les í ª

Salami est venu me rejoindre au rade et se dresse sur ses antérieurs.

î

Vous vous rendez compte? lui fais-je en brandissant le magazine devant son museau.

Il

renfrogne, puis me dit dans notre ´langageª: î

Hé! Mollo, le grand, ne vous excitez pas je ne sais pas ENCORE lire CONCLUETTE

Ce même après-midi, à 18 heures de relevée, Bérurier se présenta à lêhôtel Guillaume II o˘ il avait rendez-vous avec le couple von de KaH, de passage à Paris. AloÔs étant allé sêacheter des cigares, le Gros en profita pour sodomiser son épouse avec beaucoup de mal et de beurre (il restait celui des toasts).

Le mari revint avant que les partenaires fussent désunis. Sêensuivit une rude bataille de palefreniers, portant dommages à leurs physiques respectifs ! Après quoi, leur sympathie instinctive reprit le dessus et ils se réconcilièrent au cours dêune partouze homérique qui devait, pour toujours, sceller leur amitié et disloquer le fondement de Frau von de Kail.

SAN.ANTONI~

åUV9ES

COM PLETES

A NOUVEAU DISPONIBLES

Les 25 tomes

des OEuvres Complètes

de San-Antonio

en cours de publication

A paraître

Le tome XXVI

(en 1997)

Grimpe-la en danseuse: roman d'une haute tenue morale et littéraire dans lequel l'auteur assure la concordance des temps et met un préservatif pour baiser
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