Elle était si petite, si étroite, si délicieusement tiède... Il dut faire appel à toute sa,volonté pour ne pas la pénétrer sauvagement quand il la sentit se referme sur lui.

— Rien qu'une seconde, promit-il, rien qu'un seconde, et ce sera bon à nouveau.

Mais il se trompait. Pas un instant, cela ne cessai d'être agréable. Elle le sentit briser la barrière dé son innocence, la remplir tout entière, et éprouva une joie indescriptible.

— Je t'aime. Elle s'arc-bouta pour venir à sa rencontre, pour l'accueillir.

Les mots qu'elle murmura lui parvinrent comme dans un brouillard, et il secoua la tête, comme s'il ne voulait pas les entendre. Mais elle était enroulée autour de lui, l'entraînant irrésistiblement au fond d'un puits sans fond de douceur et de générosité. Et il ne put rien faire d'autre que de s'y laisser couler; En revenant à la réalité, Brianna eut l'impression de traverser une fine couche de nuages blancs. Elle soupira profondément, laissant la pesanteur la ramener doucement dans le grand lit ancien, à la lueur rougeoyante et dorée des bougies vacillantes.

Elle savourait le bonheur de sentir Gray peser de tout son poids sur elle.

Elle pensa alors que rien, ni les livres qu'elle avait lus, ni les conversations avec des femmes de son entourage, ni ses propres rêveries, ne lui avaient laissé présager à quel point sentir le corps nu d'un homme collé contre le sien était simple et merveilleux.

Le corps d'un homme était une création surprenante, plus belle encore qu'elle ne l'avait imaginée.

Les bras longs et musclés étaient assez forts pour la soulever et assez doux pour la serrer comme une coquille d'œuf fragile, menaçant de se briser.

Les mains, aux paumes larges et aux doigts très longs, savaient parfaitement où la toucher et la caresser. Et puis, les épaules puissantes, le dos mince, les hanches étroites, les cuisses fermes et dures...

Dure, songea-t-elle en souriant. N'était-ce pas un miracle que cette chose si dure puisse être en même temps si douce ? Oh oui, vraiment, le corps d'un homme était une chose merveilleuse.

Gray savait que si elle continuait à le toucher ainsi, il n'allait pas tarder à devenir fou. Et si elle cessait, nul doute qu'il s'en plaindrait. Ces jolies mains fines qui lui avaient tant de fois servi le thé allaient et venaient sur lui avec la légèreté d'un murmure, explorant son corps comme pour en mémoriser chaque muscle et chaque courbe.

Il était encore en elle, et ne supportait pas l'idée de se retirer. Cependant, il le fallait, ne serait-ce que pour lui laisser le temps de se remettre. Il avait beau s'être efforcé de ne pas lui faire mal, elle ne devait pas se sentir très à l'aise.

Il était si heureux — et elle avait l'air si heureuse.

La nervosité qu'il avait ressentie tout à l'heure à l'idée de la prendre pour la première fois — sa première fois — avait laissé place à une sorte de béatitude languide.

Une de ses caresses le força à bouger, et il en profita pour se laisser rouler sur un coude afin de la contempler. Elle souriait. Gray n'aurait pu dire pourquoi il trouvait cela aussi touchant, aussi charmant. Les coins de sa bouche remontaient lé-

gèrement, ses yeux étaient d'un vert très doux et sa peau joliment rosée. Il pressa ses lèvres sur son front, ses tempes, ses joues, puis sa bouche.

—Brianna la belle.

—C'était très beau, dit-elle d'une voix rauque, encore imprégnée de passion. Grâce à toi, cela a été très beau pour moi.

—Comment te sens-tu ? Il lui demandait sans doute cela par gentillesse et

par curiosité.

— Un peu lasse. Aussitôt, elle se mit à rire. — Et invincible. Comment se fait-il qu'une chose aussi naturelle que celle-ci puisse faire tant de différence dans une vie ?

Gray fronça un instant les sourcils. Il était responsable de ce qui venait de se passer. Mais, après tout c'était une femme adulte et qui avait choisi librement de faire l'amour avec lui.

— Et comment ressens-tu cette différence ?

Elle lui fit un sourire, un sourire resplendissant, et lui caressa tendrement la joue.

— Je t'ai attendu si longtemps, Gray. Immédiatement,,un petit signal d'alarme s'alluma dans un coin de sa tête. En dépit de l'extraordinaire bien-être qu'il ressentait, une sorte de panneau se mit à clignoter. Intimité: attention, danger!

Brianna perçut un changement subtil, mais dis-tinct, dans son regard quand il lui prit la main et embrassa le creux de sa paume.

— Je t'écrase. Elle faillit dire « non, reste », mais il s'était déjà écarté.

— Nous n'avons pas bu de Champagne, dit-il en se levant, nullement gêné par sa nudité. Si tu allais prendre un bain, pendant que j'ouvre la bouteille ?

Après avoir été si bien, quand il était sur elle, en elle, Brianna se sentit tout à coup bizarre. Elle souleva maladroitement les draps et rougit en apercevant la lâche qui symbolisait la perte de son innocence.

Voyant sa réaction, Gray revint près du lit et lui releva doucement le menton.

—Je m'en occuperai, dit-il. Je sais changer des draps. J'ai appris à force de te regarder. Sais-tu combien de fois j'ai cru devenir fou en te regardant faire?

—Non... Une lueur de plaisir et de désir passa dans ses yeux verts. — C'est vrai?

Il se contenta de rire et l'embrassa sur le front.

— Qu'est-ce que j'ai bien pu faire pour mériter ça ?

Pour te mériter toi ?

Il se redressa, mais son regard s'était à nouveau adouci, ce qui rassura Brianna.

—Va prendre ton bain. J'ai envie de refaire l'amour avec toi, dit-il d'une voix rauque qui la ravit. Si tu veux bien.

—Oui, je veux bien.

Elle croisa pudiquement les bras sur ses seins avant de sortir du lit.

— J'aimerais même beaucoup. Je ne serai pas longue.

Elle disparut dans la salle de bains et Gray resta là, rêveur.

Il n'avait jamais eu aucune femme comme elle.

Non qu'il n'eût jamais connu de vierges auparavant

— ce qui était déjà un gigantesque cadeau. Mais Brianna lui donnait l'impression d'être unique.

Avec cette façon particulière qu'elle avait de réagir, d'hésiter et d'exciter son désir. Et puis cette confiance absolue, radieuse, qu'elle lui manifestait. Je t'aime, lui avait-elle dit. Ce n'était pas la peine de s'attarder là-dessus. Les femmes avaient souvent tendance à faire preuve d'un romantisme exacerbé dès qu'il s'agissait de sexe. Il était normal qu'une femme faisant sa première expérience sexuelle confonde le plaisir et l'amour. Usant volontiers de mots doux, elles en réclamaient en retour plus.

Gray le savait. Raison pour laquelle, d'ailleurs, ill faisait très attention à ceux qu'il prononçait.

Mais quelque chose d'étrange s'était produit en lui quand il l'avait entendue murmurer cette phrase pourtant si galvaudée. Une bouffée de désir mêlée de tendresse l'avait soudain envahi et, l'espace d'une] seconde,,une irrésistible et folle envie d'y croire. Et de lui dire ces mêmes mots à son tour.

Néanmoins, il n'était pas dupe. Même s'il était prêt à faire tout ce qui serait en son pouvoir pour ne pas lui faire de mal, pour la rendre heureuse tant qu'ils seraient ensemble, il y avait des limites à ce qu'il était! capable de lui donner. A elle comme à qui que ce soit. Profite de l'instant, se dit-il. Il n'y a que cela d'important. Et il comptait bien lui apprendre à en profiter aussi.

Brianna s'enroula dans la serviette de bain et se sentit toute drôle. Différente. C'était une chose qu'aucun! homme ne comprendrait sans doute jamais. Eux né perdaient rien quand ils se donnaient pour la première fois. Ils n'avaient à endurer aucun déchirement d'aucune sorte. Toutefois, ce n'était pas la douleur dont elle gardait le souvenir. Même la vague lourdeur qu'elle ressentait au bas du ventre n'évoquait rien à son esprit de violent ou d'agressif. Ce dont elle se souvenait était la façon dont ils s'étaient unis l'un ' l'autre. Avec infiniment de douceur et de simplicité

Elle se regarda dans le miroir recouvert de buée. Il 1 avait décidément quelque chose de plus chaleureux er elle. C'était bien le même visage entr'aper-

çu d'innombrables fois dans d'innombrables glaces, et pourtant elle y décelait une douceur encore jamais vue auparavant. Dans le regard, et autour de la bouche. Il n'; avait pas de doute. C'était l'amour.

L'amour qu'elle ressentait dans son cœur, l'amour dont elle venait d faire pour la première fois l'ex-périence avec son corps.

Peut-être était-ce tout simplement la première fois de sa vie qu'elle prenait si pleinement conscience d'elle-même. De sa chair et de son âme. Et puis le fait qu'elle soit plus âgée que la plupart ne faisait sans doute que rendre ce moment plus boulever-sant et plus précieux.

Gray la désirait. Brianna ferma les yeux pour mieux savourer la sensation délicieuse que cette pensée lui procurait. Un bel homme, plein d'esprit et bon, la désirait. ;

Toute sa vie, elle avait rêvé de rencontrer un tel homme. Et c'était finalement arrivé.

En revenant dans la chambre, elle remarqua qu'il avait mis des draps propres et avait étalé une de ses chemises de nuit en flanelle blanche au bout du lit. Vêtu seulement de son jean, il l'attendait. Le Champagne pétillait dans les verres et la lumière dansante des bougies se reflétait dans ses yeux.

— Je voudrais que tu la mettes, dit-il en voyant son regard se poser sur la chemise de nuit. J'ai eu envie de te la retirer dès le premier soir où je t'ai aperçue. Tu es apparue en haut de l'escalier, une chandelle à la main, un chien-loup à l'autre, et aussitôt ma tête s'est mise à

tourner.

Brianna souleva une manche d'un air hésitant. Elle aurait préféré une chemise de nuit en soie ou en dentelle, quelque chose susceptible d'échauffer le sang d'un homme. Elle n'a rien de très excitant.

—Tu te trompes.

N'ayant rien d'autre sous la main, et comme cela semblait lui faire plaisir, elle enfila la chemise de nuit par la tête et laissa tomber la serviette. Le grognement qu'il s'efforça d'étouffer lui arracha un petit sourire incertain.

— Brianna, quel tableau tu fais ! Viens là, s'il te plaît.

Elle s'avança, partagée entre l'envie de sourire et la nervosité, pour prendre le verre qu'il lui tendait.

Elle but une première gorgée, mais les bulles de champagne n'apportèrent guère d'apaisement à sa gorge desséchée. Gray la regardait, comme un ti-gre regarda un agneau juste avant de se jeter sur lui.

—Tu n'as pas dîné, remarqua-t-elle.

—Non. Idiot, ne lui fais pas peur, se dit-il, résistant à l'envie de la dévorer. Il but un peu de Champagne tout en continuant à la regarder, animé d'un ardent désir. 1

— J'étais justement en train de me dire que j'avais très faim. Et que nous pourrions dîner ici, tous les deux. Mais maintenant que... Il enroula une de ses mèches humides autour de soi

doigt.

— Tu veux bien attendre encore un peu ? Cette fois encore, ce serait simple, songea-t-elle. El cette fois encore, ce serait elle qui choisirait.

— Pour dîner, oui, dit-elle, la gorge brûlante. Mais pas pour être contre toi.

Et avec le plus grand naturel, elle se glissa dans ses bras.

13

Un coup de coude dans les côtes tira Brianna d'un lourd sommeil. La première chose qu'elle vit à l'issue de cette première nuit d'amour fut le plancher.

Si Gray la poussait encore d'un centimètre, elle se retrouverait par terre.

Parcourue d'un frisson, elle réalisa qu'elle n'avait plus le moindre bout de couverture ou de drap sur elle. Gray, en revanche, était soigneusement enroulé à ses côtés, comme un papillon dans son cocon.

Étendu en travers du lit, il dormait comme une souche. Elle eut beau le pousser en tirant sur la couverture, il ne bougea pas d'un pouce.

C'était ainsi. Cet homme n'avait manifestement pas l'habitude de partager.

Brianna serait volontiers restée encore un peu, ne serait-ce que par principe, le temps de reconquérir sa part de draps, mais le soleil entrait à flots par les fenêtres. Et de multiples tâches l'attendaient.

Les efforts qu'elle fit pour se lever sans le déranger s'avérèrent parfaitement inutiles. A la seconde où elle posa le pied par terre, il grogna, puis se retourna, accaparant cette fois toute la largeur du matelas. Malgré cela, une atmosphère romantique flottait encore dans la chambre. Les bougies s'étaient étouffées dans leur propre cire au cours de la nuit. Dans le seau en argent, la bouteille de Champagne était vide et le parfum des fleurs embaumait la pièce. Les rideaux ouverts laissaient entrer des rayons de soleil après, lai rayons de lune.

Gray avait su faire de ce moment un moment parfait. Avait tout fait pour qu'il le fût.

Mais ce matin, les choses n'étaient pas exactement comme Brianna l'avait imaginé. Dans son sommeil Gray ressemblait moins à un jeune homme innocent en train de rêver qu'à un homme fort content de lui Aucun mot doux ni geste tendre n'étaient venus saluer la première journée qu'ils allaient passer ensemble er tant qu'amants. Rien. Rien d'autre qu'un vague grognement et une bourrade pour l'envoyer promener.Cela faisait partie des humeurs diverses et variée de Grayson Thane, songea-t-elle en souriant. Peut-être même écri-rait-elle un jour un livre sur ce sujet.

Amusée, elle enfila sa chemise de nuit froissée et si dirigea vers l'escalier.

Une tasse de thé lui ferait du bien. Et puisque le ciel semblait clément, elle allait faire une grande lessive qu'elle mettrait à sécher en plein air.

Trouvant que la maison avait besoin d'être aérée Brianna ouvrit toutes les fenêtres sur son passage.

A travers celle du salon, elle aperçut Murphy, la moitié du corps enfouie sous le capot de sa voiture.

Elle le regarda un instant, tiraillée par des sentiments contradictoires, partagée entre la colère en l'affection indéfectible qu'elle lui portait. Le temps d'aller le rejoindre, sa colère avait déjà considérablement perdu du terrain.

— Je ne m'attendais pas à te voir, commença-t-elle à dire.

— Je t'avais promis de passer jeter un coup d'œil,répliqua-t-il en lui adressant un bref regard.

Elle se tenait debout devant lui, en chemise de nuit, les cheveux embroussaillés et pieds nus. A la différence de Gray, il n'en parut nullement troublé.

Pour lui, elle était Brianna, tout simplement, et il s'efforça de déceler un signe de mauvaise humeur ou de pardon sur son visage. Ne voyant ni l'un ni l'autre, il replongea sous le capot.

—Ton démarreur est dans un sale état, marmonna-t-il

—C'est ce qu'on m'a dit.

—Ce moteur est poussif comme un vieux cheval.

Je peux essayer de trouver des pièces pour rafisto-ler tout ça, mais, à mon avis, c'est de l'argent fichu en l'air.

—Si seulement elle pouvait tenir l'été, au moins jusqu'à l'automne... Brianna s'interrompit en l'entendant jurer dans sa barbe. Elle avait un mal fou à se montrer distante à son égard. Ils étaient amis depuis si longtemps. Et puis n'était-ce pas par amitié qu'il avait agi comme il l'avait fait?

— Murphy, je regrette... Il se redressa et se tourna vers elle pour la regarder droit dans les yeux.

—Moi aussi. Je ne voulais pas te faire de mal, Brie. Dieu m'en est témoin.

—Je le sais. Elle fit un pas vers lui et le prit dans ses bras.

—Je n'aurais pas dû être si dure avec toi. Jamais je n'aurais dû.

—Je dois avouer que tu m'as fichu la trouille, dit-il en la serrant contre lui. Je me suis fait du souci toute la nuit — de peur que tu refuses de me pardonner... et que tu ne veuilles plus jamais me faire de scones. Brianna éclata de rire, comme il l'espé-

rait. Secouant la tête, elle l'embrassa affectueusement tout près de l'oreille.

— J'étais furieuse de toute cette histoire, plus que contre toi. Je sais bien que tu as agi par gentillesse.

Et Maggie aussi. La tête appuyée sur son épaule, Brianna ferma les yeux.

—Mais ma mère, pourquoi a-t-elle fait ça ?

—Je n'en sais rien.

—Tu préfères ne rien dire, murmura-t-elle en s'écartant pour l'observer.

C'était un homme si séduisant, et si plein de bonté.

Lui demander de condamner ou de défendre sa mère n'était pas juste. Et puis elle avait envie de le voir retrouver son sourire.

— Dis-moi, Murphy, Rory t'a-t-il fait très mal ? Il soupira de dérision. Si typiquement masculin pensa Brianna.

—J'ai à peine senti le coup qu'il m'a donné.

D'ailleurs, il n'aurait même pas eu le temps de me toucher, s'il ne m'avait pas pris par surprise.

—J'en suis convaincue, commenta Brianna, la langue dans un coin de la joue. J'espère que tu lui a donné une bonne leçon, Murphy chéri ?

—Quand j'en ai eu fini avec lui, il avait le nez cassé et deux dents en moins.

—Tu es un véritable héros ! dit-elle en l'embrassant sur les deux joues. Je suis désolée qu'elle se soit servie de toi de cette manière. Il haussa les épaules.

—Je suis content d'avoir pu lui donner un coup de poing en pleine figure, crois-moi. Je l'ai toujours considéré comme un sale type.

—Oui, je sais, et Maggie aussi. Il semble que vous ayez vu quelque chose que je n'ai pas su voir, ou bien que j'ai vu quelque chose qui en fait n'existait pas.

—N'y pense plus, Brie. Tout ça remonte maintenant à des années. Il voulut lui tapoter l'épaule, mais se rappela qu'il avait les mains pleines de cambouis.

— Fais attention, tu vas te salir. D'ailleurs, qu'est-ce que tu fais là, pieds nus ?

— Je me réconcilie avec toi, répondit-elle d'un ton joyeux. Le bruit d'une voiture qui arrivait la fit se retourner. Reconnaissant Maggie, Brianna croisa les bras en faisant la moue.

— Tu l'as déjà prévenue, à ce que je vois.

— Ma foi, j'ai pensé qu'il valait mieux. Et il décida qu'il était plus sage et plus prudent de| battre en retraite sans perdre une seconde.

— Tu veux sans doute me parler, déclara Maggie d'emblée en se dirigeant vers sa sœur.

— En effet. Tu ne crois pas que j'avais le droit de savoir ?

—Que tu en aies le droit ou pas, ce n'est pas ce qui m'inquiétait. C'était toi.

—Je l'aimais, soupira Brianna.Et dans son soupir, on sentait qu'elle était grandement soulagée que toute cette histoire appartienne désormais au passé.

Je l'ai aimé plus longtemps que je ne l'aurais fait si j'avais su la vérité.

—Tu as probablement raison, et je t'en demande pardon. Mais j'étais incapable de te le dire.

Le regard de Maggie s'embruma de larmes, les mettant tous trois mal à l'aise.

— Je n'y arrivais pas. Tu étais si malheureuse, si triste... Elle fit un effort pour réprimer ses larmes.

—Je ne savais pas quoi faire.

—Nous avons pris cette décision tous les deux, ajouta Murphy. De toute façon, rien de ce que nous aurions pu dire ne te l'aurait ramené.

—Parce que tu crois que j'aurais encore voulu de lui ? rétorqua fièrement Brianna en se passant la main dans les cheveux. As-tu donc une si piètre opinion de moi ? Il a cru ce qu'elle lui a dit. Non, je ne l'aurais pas repris. Brianna soupira.

— Tu sais, Maggie, à ta place, j'aurais certainement fait la même chose.

Elle se frotta les mains l'une contre l'autre, puis tendit une main à sa sœur.

—Viens, je vais faire du thé. Tu as déjà pris ton petit déjeuner, Murphy?

—Pas vraiment.

—Je t'appellerai dès que ce sera prêt.

Serrant la main de Maggie dans la sienne, Brianna se retourna et aperçut Gray sur le seuil. Elle ne put s'empêcher de rougir, à la fois ravie et gênée de sentir son pouls s'accélérer. Toutefois, elle réussit à maîtriser sa voix et à le saluer le plus naturelle-ment du. monde.

— Bonjour, Grayson. J'allais justement préparer le petit déjeuner.

Tiens, tiens, elle voulait donc se comporter comme si de rien n'était, remarqua Gray. Et à son tour, il lui fit un petit signe de tête.

— On dirait que je vais avoir de la compagnie.

Bonjour, Maggie.

En remontant vers la maison, Maggie prit le temps de le toiser.

— Bonjour, Gray. Vous avez l'air... reposé.

—L'air d'Irlande me réussit... Il s'écarta légèrement pour la laisser passer.

—Bon, je vais voir ce que fabrique Murphy. Il le rejoignit au bout de l'allée et se pencha sur le capot.

—Alors, quel est le verdict ?

—Encore rien de définitif. Comprenant que ni l'un ni l'autre ne parlaient de la voiture, Gray enfonça ses pouces dans les poches de son jean en se balançant sur ses talons.

—Vous continuez à veiller sur elle? Je ne vous le reproche pas, mais je ne suis pas Rory.

—Je n'ai jamais dit rien de tel, répliqua Murphy en se grattant le menton.

—Notre Brie est une femme solide. Mais même les gens solides peuvent souffrir si on ne les traite pas comme il faut.

—Je n'ai aucune intention de le faire. Gray fronça les sourcils. Vous comptez vous battre avec moi, Murphy?

— Pas pour le moment, dit-il en souriant. Je vous aime bien, Grayson. J'aimerais bien ne pas être obliger de vous briser les os.

— Ça vaut pour nous deux. Satisfait, Gray jeta un coup d'œil sur le moteur.

— Et si nous faisions le nécessaire pour enterre cette vieille guimbarde décemment ?

Murphy lâcha un soupir rempli d'espoir.

— Si seulement c'était possible. Et, dans une parfaite harmonie, ils plongèrent ensemble sous le capot.

Maggie attendit dans la cuisine que le café passe pendant que Conco avalait goulûment sa pâtée.

Brianna était allée s'habiller en hâte et, une fois son tablier sagement noué sur les reins, entreprit de couper des tranches de bacon.

— Je me suis levée tard. Par conséquent, il n'y a ni muffins, ni buns. Mais il y a du pain.

Maggie s'installa devant la table, sachant que sa sœur préférait ne pas la voir traîner dans ses jambes.

—Tu vas bien, Brianna ?

—Pourquoi n'irais-je pas bien? Tu voudras aussi des saucisses?

—Ça m'est égal. Brie... c'est ton premier homme, n'est-ce pas ?

Voyant que sa sœur avait reposé le couteau mais ne répondait rien, elle se leva.

—Tu pensais que je ne m'en apercevrais pas... rien qu'à vous voir ensemble? A la manière dont il te regarde? Maggie caressa son gros ventre d'un air absent tout en arpentant la cuisine. Il suffit de te voir.

—Pourquoi ? J'ai un écriteau autour .du cou qui dit

« femme perdue » ? lança froidement Brianna.

—Bon sang, tu sais très bien que ce n'est pas ce que je veux dire !

Exaspérée, Maggie s'arrêta pour lui faire face.

— N'importe qui ayant un peu de malice devinerait ce qu'il y a entre vous.

Et leur mère n'en manquait pas, songea Maggie.

Or, Maeve serait de retour dans quelques jours.

— Je ne cherche pas à me mêler de ce qui ne me regarde pas, ni à te donner des conseils si tu n'en veux pas. Je veux seulement savoir... savoir si tu vas bien.

Brianna sourit, et ses épaules se relâchèrent.

— Je vais merveilleusement bien, Maggie. Il a été très gentil avec moi. C'est un homme très doux et très gentil. Maggie caressa tendrement la joue de sa sœur et repoussa une mèche de cheveux sur son front.

— Tu es amoureuse de lui.

—Oui.

—Et lui?

—Il a l'habitude de vivre seul, d'aller et venir comme bon lui semble, sans aucune attache.

Maggie inclina la tête.

— Et tu espères changer ça?

Brianna s'éclaircis la gorge en se reconcentrant sur sa cuisine.

— Parce que tu crois que je n'y arriverai pas ?

—Ce que je crois, c'est qu'il serait vraiment stupide de ne pas t'aimer. Mais changer un homme n'est pas si simple. Cela demande beaucoup d'efforts pour un maigre résultat.

—Je ne tiens pas tant à le changer qu'à lui laisser la choix. S'il le désire, je peux lui offrir de fonder un foyer. Oh, mais il est trop tôt pour penser à cela.

Il m’a rendue heureuse. C'est suffisant pour l'instant.

Maggie espérait de tout son Cœur qu'elle disait vrai.

—Et pour maman, que vas-tu faire ?

—En ce qui concerne mon histoire avec Gray, je ne la laisserai certainement pas tout gâcher.

Les larmes aux yeux, Brianna se retourna pour jeter des pommés de terre coupées en petits dés dans la poêle.

— Pour le reste, je n'ai encore rien décidé. Mais m'en occuperai toute seule. Compris ?

— Compris, dit Maggie en revenant s'asseoir, le mains croisées sous son ventre gros de huit mois.

Au fait, hier, nous avons, eu des nouvelles du dé-

tective de New York.

— Alors ? Il l'a retrouvée ?

— C'est plus compliqué que nous le pensions. Il as retrouvé un frère — un policier à la retraite qui vil encore à New York.

— Eh bien, c'est un bon début.

— Le début de la fin, j'en ai peur. Cet homme d'abord refusé de reconnaître qu'il avait une sœur

.Quand le détective a insisté — il avait une photo-copie du certificat de naissance d'Amanda et d'autres papiers —, ce Dennis Dougherty a dit qu'il n'avait plus entendu parler d'Amanda depuis au moins vingt-cinq uns. Qu'il ne la considérait donc plus comme sa sœur, qu'elle s'était attiré des ennuis et avait disparu. Il ne savait pas où et se fichait pas mal de le savoir.

—C'est triste pour lui, murmura Brianna. Et les parents d'Amanda?

—Morts, tous les deux. Il y a aussi une sœur, ma-riée, qui habite l'ouest des Etats-Unis. Le type de Rogan l'a rencontrée également. Bien qu'apparemment plus sympathique, elle n'a pas pu l'aider vraiment.

—Tout de même, elle devrait savoir comment retrouver sa propre sœur, protesta Brianna.

—Apparemment, non. Il semble qu'il y ait eu une querelle de famille quand Amanda a annoncé qu'elle était enceinte et a refusé de révéler le nom du père. Maggie s'arrêta un instant en pinçant les lèvres.

—J'ignore si elle cherchait à protéger papa, ou elle-même, ou bien l'enfant qui allait naître. Mais d'après la sœur, la famille n'a pas apprécié. Us voulaient qu'Amanda quitte la ville et abandonne l'enfant après I accouchement. Elle a refusé et s'est contentée de partir. Si elle a repris contact avec ses parents par la suite, le frère n'en a rien dit et la sœur n'a pas l'air au courant.

—Donc, nous n'avons rien.

—En tout cas, pas grand-chose. Le détective a appris qu'à l'époque où Amanda était venue en Irlande, une amie l'accompagnait. Il est en train de la rechercher.

—Il va falloir faire preuve de patience, dit Brianna en posant la théière sur la table. Qu'est-ce que tu as

? Tu es toute pâle.

—Je suis juste un peu fatiguée. Depuis quelque temps, je ne dors plus aussi bien.

—Quand dois-tu revoir le médecin ?

—Cet après-midi, répondit Maggie en se servant une tasse de thé.

—Bien, je t'y emmènerai. Il ne faut plus que tu conduises.

Maggie soupira lourdement.

—Seigneur, on croirait entendre Rogan ! Il revient exprès de la galerie pour m'accompagner.

—Parfait. Tu vas rester avec moi jusqu'à ce qu'il vienne te chercher. Plus inquiète que contente de voir que sa sœur réagissait pas, Brianna alla prévenir les hommes que le petit déjeuner était prêt.

La journée se déroula agréablement. Tout en veillant affectueusement sur Maggie, Brianna accueillit un couple d'Américains qui avait séjourné chez elle deux ans plus tôt. Gray était parti chercher des pièces mécaniques avec Murphy. Le ciel était resté clair, l'air très doux. Dès qu'elle eut confié Maggie à Rogan, Brianna s'accorda une heure pour s'occuper de ses parterre d'herbes aromati-ques.

Le linge fraîchement lavé se balançait doucement sur la corde à linge, de la musique se déversait par les fenêtres grandes ouvertes, ses hôtes savouraient du gâteaux dans le salon et Conco paressait dans un carré de soleil à côté d'elle.

Elle n'aurait pu être plus heureuse.

En voyant son chien dresser les oreilles, elle tourna la tête et distingua un bruit de moteurs.

— C'est le camion de Murphy, dit-elle. L'autre, par contre, je ne le reconnais pas. Tu crois que c'est un nouveau client? Réjouie à cette idée, Brianna se releva, épousseta la terre de son tablier et revint devant la maison. Conco fila devant elle en jappant joyeusement.

Elle aperçut Gray et Murphy, souriant bêtement tous les deux, comme s'il y avait des jours, et non pas seulement quelques heures, qu'ils étaient partis. Son regard se posa alors sur un superbe cabrio-let bleu dernier modèle garé devant le camion de Murphy.

— Il me semblait bien avoir entendu deux voitures arriver, dit-elle en regardant autour d'elle d'un air perplexe. Ils sont déjà à l'intérieur ?

—Qui ça? demanda Gray.

—Les gens qui viennent d'arriver dans cette voilure. Tu as vu s'ils avaient des bagages? Je ferais mieux d'aller refaire du thé.

—C'est moi qui conduisais cette voiture, expliqua Gray. Et je prendrais volontiers du thé.

—Bon courage, mon vieux, souffla Murphy à voix basse. Moi, je n'ai pas le temps de boire du thé.

Mes vaches doivent commencer à se demander où je suis passé.

Après un dernier coup d'œil à Gray, il secoua la tête d'un air dubitatif et grimpa dans son camion.

—Qu'est-ce qui se passe ? demanda Brianna dès que Murphy fut parti. Qu'est-ce que vous complo-tez tous les deux? Et pourquoi conduis-tu cette voiture puisque tu en as déjà une ?

—Il fallait bien que quelqu'un la conduise. Et Murphy refuse de laisser quelqu'un d'autre que lui prendre son volant. Alors, comment la trouves-tu ?

—Elle a l'air très bien.

—Elle marche merveilleusement. Tu veux voir le moteur ?

—Non, je ne pense pas que ce soit la peine, dit-elle en fronçant les sourcils. Tu en avais assez de l'autre ?

—De l'autre quoi ?

—Voiture! s'exclama-t-elle en riant. Grayson, qu'est-ce que tu mijotes ?

—Et si tu allais t'asseoir dedans? Pour voir l'impression que ça fait? Encouragé par ses rires, il la prit par le bras et l'entraîna du côté du conducteur.

— Elle n'a que vingt mille miles au compteur.

Murphy l'avait prévenu que revenir avec une nouvelle voiture était risqué. Pour lui faire plaisir, Brianna s'installa sur le siège et posa les mains sur le volant.

—C'est très bien. On a l'impression d'être dans une voiture, déclara-t-elle avec un brin d'ironie.

—Mais elle te plaît ?

—Elle est très belle. Je suis sûre que tu auras beaucoup de plaisir à la conduire.

—Elle est à toi.

—A moi ? Comment ça, elle est à moi ?

—Ta vieille guimbarde était mûre pour la casse Murphy et moi avons décidé d'un commun accord que c'était sans espoir, alors, je t'ai acheté celle-ci.

Gray poussa un cri de surprise quand elle ouvrit la portière et l'attrapa fermement par le menton.

—Eh bien, tu peux la ramener là où tu l'as trouvée lança-t-elle d'une voix glaciale. Je ne suis pas prête à acheter une nouvelle voiture, et quand ce sera le cas je le déciderai toute seule !

—Tu n'as pas à l'acheter. C'est moi qui l'achète .

Enfin, qui l'ai achetée.

Il se redressa et lui opposa ce qui lui semblait et du simple bon sens.

—Tu avais besoin d'un moyen de transport fiable et je te l'ai procuré. Par conséquent, arrête de prendra cet air guindé.

—Guindé? C'est plutôt toi que je trouve arrogant Grayson Thane ! Partir ainsi acheter une voiture, sans même me prévenir. Je n'ai pas envie qu'on prenne ce genre de décision à ma place, pas plus que je n'ai besoin qu'on s'occupe de moi comme d'une enfant. Brianna se retenait de crier. Il voyait bien que, soi cet air de dignité outragée, elle s'efforçait de dignité sa colère, et il faillit sourire. Ce que, en homme avisé, il évita soigneusement de faire.

—Brianna, c'est un cadeau.

—Une boîte de chocolats est un cadeau.

—Non, une boîte de chocolats est un cliché rectifia-t-il avant de se reprendre aussitôt. Disons plutôt que c'est ma version à moi d'une boîte de chocolats.

Il avança d'un pas, la coinçant habilement entre lui et l'aile de la voiture.

— Tu veux que je m'inquiète chaque fois que tu pars au village ?

—Il n'y a aucune raison pour que tu t'inquiètes

—Bien sûr que si. Sans lui laisser le temps de se dérober, il l'enlaça.

— Je t'imagine au beau milieu de la route, avec le volant entre les mains.

— Tu n'as qu'à t'en prendre à ton imagination. Brianna tourna la tête, mais les lèvres de Gray effleurèrent son cou.

— Arrête... Ce n'est pas comme ça que tu me feras changer d'avis.

Pourtant, c'était exactement ce qu'il avait l'intention de faire.

— Brianna, ne me dis pas que tu es prête à investir plusieurs centaines de livres dans une cause perdue? Tu tiens vraiment à demander à ce pauvre Murphy de venir donner des coups de marteau sur ce tas de boue un jour sur deux, dans le seul but de préserver ton

orgueil? Elle voulut protester, mais sa bouche se plaqua sur la sienne.

— Allons, tu sais bien que non, murmura-t-il. Et puis ce n'est jamais qu'une voiture. Ce n'est qu'une chose. Elle commençait à avoir le vertige.

—Je ne peux pas accepter une chose comme celle-ci de ta part. Et vas-tu arrêter de te frotter contre moi comme ça? Il y a des gens au salon.

—J'ai attendu toute la journée de pouvoir me frotter contre toi. En fait, depuis le début de la journée, j'attends de pouvoir te remmener au lit. Tu sens si bon.

—C'est le romarin. Arrête... Je n'arrive plus à ré-

fléchir.

—Pourquoi réfléchir? Contente-toi de m embrasser. Allez, rien qu'un baiser.

Si la tête ne lui avait pas tourné à ce point, Brianna aurait probablement réagi. Mais sa bouche était dé-

jà sur la sienne, et elle entrouvrit les lèvres pour l'accueillir.

Gray l'embrassa lentement, profondément, et savoura le parfum d'herbes qui imprégnait ses mains lorsqu'elles vinrent encadrer son visage, ainsi que la douceur et la souplesse de son corps contre le sien. Pendant quelques secondes, il oublia qu'il l'avait embrassée afin de la convaincre et profita pleinement de l'instant.

—Ta bouche est si merveilleuse, chuchota-t-il en continuant à lui mordiller les lèvres. Je me demande comment j'ai réussi à en rester éloigné si longtemps.

—Tu cherches à me distraire.

—Et tu es distraite. Et moi aussi. Laissons tombe les raisons pratiques pour lesquelles je voulais te persuader de prendre cette satanée voiture. Je veux faire ça pour toi, Brianna. C'est très important pour moi. Je serais heureux que tu l'acceptes.

Brianna aurait pu faire preuve de fermeté, réfuté une à une toutes les raisons pratiques qu'il invoqua mais comment pouvait-on résister à une demande formulée avec autant de douceur, et à un tel regard

?

— Ce n'est pas bien de jouer comme ça avec mes sentiments.

— Je sais... L'air soudain agacé, il jura dans sa barbe.

— Oui, je sais. Je ferais mieux de m'en aller tout suite. De faire mes bagages et de filer d'ici.

Une nouvelle fois, il jura, sans la quitter des yeux.

D'ailleurs, le moment viendra où tu me reprocheras de ne pas l'avoir fait.

—Non, certainement pas, répliqua-t-elle en prenant soin de croiser les mains. Gray, pourquoi m'as-t' acheté cette voiture ?

—Parce que tu en avais besoin. Et que j'avais besoin de faire quelque chose pour toi. Ce n'est pas grave, Brie. Pour moi, l'argent n'est rien. Elle le considéra avec un sourire railleur.

— Oh, je sais. Tu roules sur l'or, n'est-ce pas? Et tu crois que ton argent m'intéresse? Que je tiens à toi parce que tu peux m'acheter des nouvelles voitures

.

Il ouvrit la bouche, puis la referma, prenant un air étrangement humble.

—Non, je ne le crois pas. Je crois que tu t'en fiche complètement.

—Très bien. Alors, les choses sont claires entra nous.

Cet homme avait tellement besoin qu'on l'aime, songea-t-elle, et il ne le savait même pas. Ce cadeau, il le lui avait fait pour lui, autant que pour elle. Et ça, elle pouvait le comprendre. Et l'accepter. Elle se retourna pour jeter un coup d'œil à la voiture.

— C'est très gentil à toi, et je ne t'ai pas remercié comme je l'aurais dû — mais ce n'est pas pour la chose en elle-même.

Gray se sentit tout à coup comme un petit garçon à qui on pardonne la bêtise qu'il vient de faire.

—Alors, tu vas la garder ?

—Oui, fit-elle en l'embrassant. Et je te remercie.

—Murphy me doit cinq livres, fit Gray avec un sourire triomphant.

—Tu avais parié ? Une lueur amusée brillait dans le regard de Gray. C'était bien là les hommes...

—Une idée à lui, se défendit-il aussitôt.

—Mmm... Bon, je vais aller m'assurer que mes clients ne manquent de rien et, ensuite, nous irons faire un tour en voiture.

Cette nuit-là, il vint la rejoindre dans sa chambre, ainsi qu'elle l'avait espéré. Et il recommença la nuit, suivante, tandis que les clients dormaient paisiblement à l'étage. L'auberge était complète, ce qui enchantait Brianna. Lorsqu'elle s'asseyait pour faire ses comptes, c'était d'un cœur léger. Bientôt, elle pourrait acheter le matériel nécessaire à la construction de sa serre.

Gray la trouva devant son bureau, emmitouflée dans sa robe de chambre, tapotant un crayon sur ses lèvres d'un air rêveur.

—Tu pensais à moi ? murmura-t-il en se penchant pour l'embrasser dans le cou.

—Si tu veux tout savoir, je me demandais si le sud était la meilleure exposition et s'il fallait ou non du verre traité.

—Si je comprends bien, je n'arrive qu'en deuxième position après ta serre.

Il fit le tour du bureau, et son regard tomba sur une lettre ouverte devant elle.

—Qu'est-ce que c'est? Une réponse de la compagnie minière?

—Oui, enfin. Ils ont consulté leurs registres. Ils nous enverront un millier de livres en échange des actions.

Gray recula, l'air perplexe.

— Un millier de livres? Pour dix mille actions? Ca

ne me paraît pas très équitable.

Brianna se contenta d'un sourire et se leva pour dénouer son chignon. Normalement, c'était un rituel qu'il appréciait, mais cette fois, il continua à fixer les papiers étalés sur le bureau.

— On voit que tu n'as pas connu papa, lui expliqua-t-elle. C'est bien plus que ce à quoi je m'attendais C'est même une petite fortune, si l'on considère que ses projets lui ont toujours coûté beaucoup plus d'argent qu'ils ne lui en ont rapporté.

—Un dixième de livre par action, marmonna Gray en prenant la lettre. Et combien disent-ils qu'il avait achetées?

—La moitié. Je ne me souviens pas qu'il ait jamais gagné autant. Je vais dire à Rogan de leur envoyer le certificat.

—Ne fais pas ça.

—Et pourquoi? demanda-t-elle en se figeant, lai brosse à la main.

—Rogan a-t-il pris des renseignements sur cette compagnie?

— Non, il a suffisamment à faire avec Maggie, sans parler de la galerie qui doit ouvrir la semaine prochaine. Je lui ai seulement demandé de garder le certificat.

—Laisse-moi appeler mon courtier. Écouté prendre quelques renseignements sur cette compagnie ne peut pas faire de mal. Quelques jours de plus ou de moins ne changeront rien.

—Non. Mais ça a l'air de t'embêter.

—Il suffit que je passe un coup de fil. Mon courtier adore s'occuper de ce genre de choses.

Reposant la lettre, il vint se placer derrière elle et lui prit la brosse des mains.

— Laisse-moi faire.

Lentement, il la fit pivoter vers le miroir et commença à lui brosser les cheveux.

— Tu ressembles à un tableau du Titien, murmura-t-il. Tout en ombres et en nuances.

Brianna se tenait immobile tout en le regardant dans la glace. Soudain, elle réalisa combien le fait de se laisser coiffer ainsi avait quelque chose de profondément intime, de sensuel. Ses doigts s'enfonçaient voluptueusement dans sa chevelure. Elle se sentit frémir.

En relevant la tête, son regard croisa celui de Gray dans le miroir. Une soudaine excitation s'empara d'elle en découvrant la lueur de désir qui brillait dans ses yeux.

— Non, pas encore, dit-il doucement quand elle voulut se tourner vers lui.

Il posa la brosse, puis écarta délicatement les cheveux de son visage.

— Regarde, murmura-t-il tout en commençant à dénouer la ceinture de sa robe de chambre. Tu ne t'es jamais demandé de quoi nous avions l'air ensemble ?

Cette idée lui sembla si surprenante, si excitante, qu'elle ne trouva rien à répondre. Sans la quitter des yeux une seconde, il lui retira sa robe de chambre.

— Moi, je le vois dans ma tête. Quelquefois, ça m'interrompt dans mon travail, mais ça ne me dé-

range pas. Ses mains s'attardèrent un instant sur ses seins avant d'entreprendre de déboutonner le col de sa chemise de nuit. Bouche bée, Brianna regarda ses mains douces et chaudes aller et venir sur elle. Ses jambes menaçaient de se dérober sous elle, et elle n'eut d'autre choix que de se laisser aller tout contre lui. Comme dans un rêve, elle vit sa chemise de nuit passer par-dessus la tête tandis qu'il déposait de minuscules baisers sur sa peau nue.

Une soudaine vague de plaisir l'envahit. Et sa respiration se transforma en un ronronnement consen-tant lorsque sa langue s'aventura dans son cou.

Voir et sentir en même temps était fascinant. Incapable de faire un geste, Brianna jeta un regard étonna à la femme qui se reflétait dans la glace.

Cette femme, c'était elle, songea-t-elle dans un brouillard. Au même instant, elle sentit la caresse légère et irrésistible des ses mains qui se refermaient sur ses seins.

— Ta poitrine est si blanche, dit-il d'une voix rauque. Aussi blanche que l'ivoire, avec des pointe comme des pétales de rose.

La fixant de son regard noir, il frotta ses pouces sui les mamelons, la sentit trembler et l'entendit gein-dre de plaisir.

Contempler son corps onduler ainsi, la sentir s'alourdir langoureusement contre lui, s'abandonnant à ses caresses, lui fit un effet extraordinairement érotique. Quand sa main courut le long de son dos, chacun de ses muscles frémit sous sa paume. Le parfum qui émanait de ses cheveux mettait tous ses sens en émoi, tout comme ses longues jambes très blanche qui tremblaient dans la glace.

Il voulait lui donner plus qu'il n'avait jamais eu envie de donner à aucune autre femme. L'apaiser et la protéger, l'exciter et l'embraser. Et elle était si par faite, pensa-t-il en baisant à nouveau son cou, si outrageusement généreuse.

A la moindre caresse, toute la dignité glacée et les manières distantes derrière lesquelles elle se réfu-giait se mettaient à fondre.

— Brianna... Il avait de plus en plus de mal à respirer, mais attendit de croiser son regard flou.

— Regarde ce qui se passe en toi quand je te prends.

Elle voulut dire quelque chose, mais sa main se faufila entre ses cuisses humides. Quand elle murmura son nom, à moitié pour protester, à moitié surprise, il la caressa, doucement tout d'abord, puis de façon plus insistante. Le regard fou de dé-

sir.

Voir sa main prendre possession d'elle ainsi la troubla, la choqua, tout comme de sentir ses caresses lentes et insistantes éveiller peu à peu son dé-

sir. Elle remarqua qu'elle s'était mise à bouger avec lui, offerte, presque suppliante. Oubliant toute pu-deur, elle referma les bras autour de son cou, et commença a onduler au rythme de ses caresses.

Et elle se sentit soudain comme un papillon transpercé par une lance. Une lance acérée qui la faisait vibrer de plaisir. Tandis qu'elle tremblait de tout son Être, il la souleva dans ses bras et l'emporta sur le lit pour lui faire découvrir d'autres plaisirs.

14

— La galerie ouvre demain et il m'a interdit d'y mettre les pieds ! Le menton dans la main, Maggie contemplait le dos de Brianna.

— Et il m'a cantonnée dans ta cuisine pour que tu me surveilles. Patiemment, Brianna termina le gla-

çage des petits fours qu'elle avait préparés pour le thé. Elle avait huit clients, en comptant Gray et trois enfants particulièrement turbulents.

— Maggie, le médecin ne t'a-t-il pas dit de reste allongée le plus possible et que, comme le bébé est déjà très bas, tu risquais d'accoucher plus tôt que prévu ?

Qu'en sait-il? Je vais peut-être rester enceinte le restant de ma vie. Et si Sweeney croit pouvoir m'empêcher d'assister au vernissage demain, il sel trompe sacrement.

—Rogan n'a jamais dit ça. Il veut seulement que tu te reposes aujourd'hui.

—Cette galerie est aussi la mienne, grommela-t-elle. Elle avait mal au dos et des élancements dans le ventre. Sans doute le ragoût de mouton du déjeuner.

— Bien entendu, dit Brianna pour l'apaiser. Êt nous serons tous là pour le vernissage. L'annonce dans les journaux est superbe. Je suis sûre que ce serai un succès. Maggie se contenta de grogner.

—Où est le Yankee ?

—Il travaille. Il s'est enfermé à double tour pour échapper à la petite allemande qui n'arrête pas de venir dans sa chambre, dit-elle en souriant. Avec les enfants, il est adorable. Hier, il a joué avec elle toute la soirée, si bien qu'elle est folle de lui et ne peut plus se passer de lui.

— Et tu te dis qu'il ferait un père extraordinaire.

Brianna prit la mouche.

— Je n'ai pas dit cela. Mais c'est vrai. Si tu voyais comment il... Entendant la porte d'entrée s'ouvrir, elle ne termina pas sa phrase.

—Si ce sont encore des clients, je vais devoir cé-

der ma chambre et dormir dans le salon.

—Au lieu de changer tout le temps de lit, tu ferais mieux de dormir dans celui de Gray, commenta Maggie. Puis, reconnaissant la voix de sa mère dans l'entrée, elle fit un clin d'œil à sa sœur.

—Il ne manquait plus que ça! Moi qui espérais qu'elle changerait d'avis et resterait en France.

—Arrête, fit Brianna en s'empressant de sortir d'autres tasses à thé.

—Les grandes voyageuses sont de retour ! lança joyeusement Lottie en traînant Maeve dans la cuisine. Oh, quelle propriété magnifique vous avez là, Maggie ! Un vrai palais. Nous avons passé des vacances sublimes.

—Parlez pour vous, renifla Maeve en posant son sac sur le comptoir. Avec tous ces étrangers à moitié nus qui courent sur la plage dans tous les sens...

—Certains d'entre eux étaient fort bien bâtis, gloussa Lottie. Un Américain, un veuf charmant, a même fait la cour à Maeve.

—Un vil séducteur, oui... Maeve fit un geste dé-

daigneux de la main, mais ses joues s'empourprè-

rent légèrement.

— D'un genre qui ne m'intéresse nullement. En s'asseyant, elle décocha un regard peu tendre sa fille aînée.

—Tu es à point. Tu sauras bientôt quelles souffrances une mère endure en accouchant.

—Merci beaucoup.

—Allons, cette fille est robuste comme un cheval dit Lottie en tapotant la main de Maggie. Et assez jeune pour mettre au monde une dizaine d'enfants.

Maggie leva les yeux au ciel en se forçant à sourire.

— Je ne sais pas laquelle de vous deux me dé-

prime le plus.

—C'est bien, vous êtes revenues juste à temps pour l'ouverture de la galerie, lança Brianna, détournant habilement la conversation tout en servant le thé.

—Ha ! Pourquoi irais-je perdre mon temps dans un endroit consacré à l'art?

— Nous ne manquerons pas de venir, dit Lottie en jetant un regard appuyé à Maeve. Vous m'avez pourtant dit que vous seriez contente de voir le travail Maggie, et le reste. Maeve se tortilla sur son siège.

— Ce que j'ai dit, c'est que je m'étonnais qu'on fasse autant de foin pour de simples bouts de verre.

Et avant que Lottie puisse la contredire, elle tourna d'un air renfrogné vers Brianna.

—Je n'ai pas vu ta voiture devant la maison. Elle a fini par tomber en morceaux ?

—Il paraît qu'elle est irréparable. J'en ai une nouvelle, la bleue qui est garée devant.

— Une voiture neuve? Tu gâches de l'argent dans une voiture neuve ?

— C'est son argent, commença à dire Maggie,mais

Brianna lui intima le silence d'un bref coup d'œil.

— Elle n'est pas neuve. C'est une voiture d'occasion et je ne l'ai pas achetée... Elle prit son courage à deux mains avant de terminer. — C'est Grayson qui me l'a achetée.

Un lourd silence retomba un instant dans la cuisine Lottie considérait sa tasse, les lèvres pincées.

Maggie se préparait à voler à la défense de sa sœur en faisant un effort pour oublier les élancements qui lui déchiraient le ventre.

—Il te l'a achetée? répéta Maeve d'un air outré. Tu as accepté une chose pareille de la part d'un homme ? Ne te soucies-tu donc pas de ce que les gens vont dire ou penser?

—Je suppose qu'on pensera que c'est un geste gé-

néreux et qu'on dira de même. Brianna prit sa tasse. D'ici peu, ses mains allaient se mettre à trembler. Elle le savait, et la seule idée lui en était insupportable.

—Ce qu'ils vont penser, c'est que tu t'es vendue pour une voiture. Et tu l'as fait, n'est-ce pas ? C'est ce que tu as fait ?

—Non, répondit-elle avec un calme glacial. Cette voiture est un cadeau et je l'ai accepté comme tel.

Cela n'a aucun rapport avec le fait que nous soyons amants. Voilà. Elle l'avait dit. Elle avait l'estomac noué, ses mains tremblaient, mais elle l'avait dit.

Un cercle blême autour de la bouche, ses yeux bleus lançant des éclairs, Maeve se leva brusquement.

—Tu t'es prostituée !

—Absolument pas. Je me suis donnée à un homme auquel je tiens et que j'admire. Pour la première fois de ma vie, je me suis donnée à un homme, dit-elle, étonnée de voir ses mains rester parfaitement calmes. Bien que tu aies prétendu le contraire.

—Instantanément, le regard de Maeve glissa sur Maggie.

—Non, je ne lui ai rien dit, dit celle-ci d'une voix relativement posée. J'aurais sans doute dû, mais je ne l'ai pas fait.

—Peu importe comment je l'ai appris... Envahie par une sensation de froideur épouvantable, comme si tout son être n'était plus qu'un immense frisson, Brianna décida d'en finir.

— Tu t'es débrouillée pour gâcher le bonheur que j'aurais pu trouver avec Rory.

—Ce garçon ne valait rien, rétorqua Maeve. Ce n'était qu'un fils de fermier qui ne serait jamais devenu un homme. Avec lui, tu n'aurais jamais rien eu qu'une maison remplie d'enfants geignards.

—Je voulais des enfants. Je voulais une famille et un foyer, mais nous ne saurons jamais si j'aurais pu avoir cela avec lui. Tu y as veillé en racontant un mensonge ignoble à l'homme que j'aimais. Tu as fait ça pour moi, maman? Je ne le pense pas. J'aimerais pouvoir le croire. Ce que tu voulais, c'était me garder auprès de toi. Car qui se serait occupé de la maison si j'avais épousé Rory? Ça non plus, nous ne le saurons jamais.

—J'ai fait cela pour ton bien.

— Pour ton bien à toi, oui. Sentant ses jambes dé-

faillir, Maeve retourna s'asseoir.

—Alors, c'est ainsi que tu me récompenses de ce que j'ai fait pour toi? En t'adonnant au péché avec premier homme qui t'a tourné la tête ?

—En me donnant par amour au premier et seul homme qui m'ait jamais touchée.

—Et que feras-tu une fois qu'il t'aura mis un bébé dans le ventre et s'en ira en sifflotant ?

—C'est mon problème.

—Voilà qu'elle parle comme toi ! cracha Maeve en I fusillant Maggie du regard. Tu l'as dressée contre moi.

—Oh, ça, tu as réussi à le faire toute seule !

— Laisse Maggie en dehors de ça, coupa Brianna .

Et d'un geste protecteur, elle posa la main sur l'épaule de sa sœur. Cette histoire ne concerne que toi et moi,maman.

—Serait-il possible d'avoir un peu de...Tout souriant après un après-midi de travail bien rempli, Gray apparut sur le seuil de la cuisine et se figea en découvrant qu'il y avait du monde. Malgré la tension qu'il sentit régner dans la pièce, il afficha un sourire aimable et chaleureux.

— Mrs. Concannon, Mrs. Sullivan, je suis ravi de vous revoir. Maeve serra violemment des poings.

—Espèce de salaud ! Vous finirez en enfer, avec ma fille!

—Je t'interdis de parler comme ça chez moi ! La réponse cinglante de Brianna les surprit tous bien davantage que la prédiction diabolique de Maeve.

Gray, je te prie d'excuser la grossièreté de ma mère.

—Inutile de t'excuser à ma place.

—En effet, dit Gray en hochant la tête. C'est inutile. Vous pouvez me dire tout ce que vous voulez, Mrs. Concannon.

—Lui avez-vous promis l'amour, le mariage et une vie entière de dévotion pour la convaincre de s'allonger ? Vous croyez que j'ignore comment s'y prennent les hommes pour obtenir ce qu'ils veulent

?

— Il ne m'a rien promis, commença Brianna. Mais d'un simple regard, Gray la dissuada de pour suivre.

—Non, je ne lui ai fait aucune promesse. Brianna n'est pas quelqu'un à qui j'ai envie de mentir. De même que ce n'est pas quelqu'un que j'abandonnerais si j'apprenais à son sujet quelque chose qui ne me plaisait pas.

—Parce que, en plus, tu lui as raconté nos histoires de famille en détail? s'écria Maeve en pivotant vers Brianna. Condamner ton âme à l'enfer ne te suffit donc pas ?

—Vas-tu passer ta vie entière à vouer tés filles à l'enfer? tonna Maggie avant que sa sœur puisse réagir. Dois-tu à tout prix nous empêcher d'être heureuses parce que toi, tu n'as pas su l'être? Elle l'aime. Si tu arrivais à passer outre ton amertume, tu t'en rendrais compte, et rien d'autre n'aurait d'importance à tes yeux. Mais elle a été à ta merci toute sa vie, et tu ne supportes pas l'idée qu'elle trouve quelque chose ou quelqu'un pour ellemême.

—Maggie, ça suffit, murmura Brianna.

—Non, ça ne suffit pas ! Tu ne dis rien et tu ne diras jamais rien. Mais elle va l'entendre de ma bouche. Elle m'a détestée à la seconde même où je suis née, et elle s'est servie de toi. Pour elle, nous ne sommes pas ses filles, mais sa pénitence. L'as-tu entendue une fois, ne serait-ce qu'une seule fois, me souhaiter d'être heureuse avec Rogan, ou avec le bébé?

—Et pourquoi le ferais-je? répliqua Maeve, les lè-

vres tremblantes. Pour que tu me renvoies mes vœux, de bonheur en pleine figure ? Tu ne m'as jamais donné l'amour qu'une mère est en droit d'attendre.

—J'aurais pu, dit Maggie en se levant, le souffla court. Dieu sait si je l'ai voulu ! Et si Brianna a essayé! L'as-tu déjà remerciée de tout ce dont elle s'est privée pour ton propre bien-être? Non, tu n'as fait que gâcher la possibilité qu'elle a eue de fonder un foyer, une famille, comme elle le voulait.

Eh bien, tu ne recommenceras pas. Pas cette fois.

Et tu ne mettras plus les pieds chez elle pour parler de l'homme qu'elle' aime de cette manière.

—Je parle à mes enfants comme il me plaît.

— Arrêtez, toutes les deux! La voix de Brianna tomba comme un coup de fouet Elle était toute pâle, l'air glacial, et le tremblements qu'elle avait tenté de maîtriser avait repris de plus belle. Pourquoi devez-vous toujours vous affronte ainsi? Je refuse que vous vous serviez de moi pour vous faire du mal. J'ai des clients au salon. Je ne tiens pas à leur faire subir les rapports exécrables de ma famille. Maggie, retourne t'asseoir et calme-toi.

—Très bien, débrouille-toi toute seule, rétorquât-elle d'un air furieux. Je m'en vais.

Au moment où elle prononça ces mots, une douleur fulgurante lui déchira le ventre et elle dut s'agrippe au dossier de la chaise.

— Maggie! s'écria Brianna, affolée. Qu'est-ce qui tu as? C'est le bébé?

— C'est juste une contraction. Cependant, à sa grande surprise, l'intensité de douleur s'amplifia.

— Tu es toute blanche. Assieds-toi. Et ne discute pas. Lottie, infirmière à la retraite, se leva aussitôt.

—Combien de contractions avez-vous déjà eues, ma petite?

—Je ne sais pas. Ça n'a pas arrêté de tout l'après-midi La douleur commença à s'atténuer, et elle soupira de soulagement. Ce n'est rien, je vous assure. Je ne dois accoucher que dans deux semaines.

—Le médecin a dit que, maintenant, le bébé pouvait arriver à tout moment, lui rappela Brianna.

—Qu'en sait-il? Lottie s'approcha de Maggie pour lui masser les épaules.

—Vous avez mal ailleurs, ma jolie ?

—Aux reins, reconnut Maggie. J'ai eu mal toute la journée.

—Bon, alors, respirez calmement et détendez-vous. Non, plus de thé pour elle, ajouta-t-elle en voyant Brianna s'apprêter à la resservir. Nous allons voir ce qui se passe.

—Le travail n'a pas commencé, lui assura Maggie, paniquée à cette idée. J'ai dû mal digérer le repas de midi.

—Oui, c'est possible, dit Lottie, conciliante. Brie, vous n'avez pas servi de thé à ce jeune homme.

—Ça ne fait rien... Gray considéra toutes ces femmes tour à tour en se demandant quoi faire.

S'éclipser lui parut la meilleure solution. Je crois que je vais retourner travailler.

—Oh, j'adore vos livres, lança Lottie avec enthousiasme. J'en ai lu deux pendant les vacances. Je ne sais pas comment vous faites pour imaginer des histoires pareilles et les écrire si magnifiquement.

Et elle continua à papoter avec entrain de manière à capter leur attention à tous, jusqu'à ce que Maggie retienne à nouveau son souffle.

—Bon, il y a quatre minutes entre chaque contraction. Allez, respirez à fond, ma chérie. Voilà, très bien. Brie, je pense que vous devriez téléphoner à Rogan, Dites-lui de nous rejoindre à l'hôpital.

—Oh... Pendant quelques secondes, Brianna resta figée sur place. Je ferais peut-être mieux d'appeler le médecin.

—Non, inutile. Ne vous en faites pas, Maggie. J'ai aidé plus d'un bébé à venir au monde. Vous avez une valise prête, quelque part chez vous ?

— Oui, dans la chambre, dit-elle dans un souffle.

Une nouvelle contraction venait de passer. Curieusement, elle se sentait maintenant plus calme.

— Dans un placard.

— Ce jeune homme va aller la chercher. Ça ne vous ennuie pas, Grayson?

— Bien sûr que non. Il serait même ravi de le faire. Cela lui permettrait de sortir de là maison et de fuir la perspective terrifiante d'une naissance.

— J'y vais tout de suite.

— Ça va, Gray, je ne vais pas accoucher sur la table de la cuisine, observa Maggie en esquissant un petit sourire. L'air mal à l'aise, il lui sourit à son tour et fila sans plus attendre.

—Je vais chercher votre veste, Maggie, lui dit Lottie en jetant un regard réprobateur à Maeve. N'oublier pas de bien respirer.

—Merci, Lottie. Ça va aller.

—Vous avez peur. C'est normal. Mais ce qui vous arrive est tout à fait naturel. Seule une femme es capable de supporter ça et de comprendre. Dieu sa que si les hommes faisaient les enfants à notre place, il y aurait moins de monde sur la terre !Sa remarque fit sourire Maggie.

— J'ai juste un peu peur. Pas seulement d'avoir mal, mais de ne pas savoir quoi faire après.

—Vous le saurez très vite, Margaret Mary. Vous serez bientôt mère. Dieu vous bénisse.

Dès que Lottie sortit de la cuisine, Maggie ferma les yeux. Déjà, elle percevait des changements à l'intérieur de son corps. Elle imaginait sans peine l'énormité du bouleversement qui allait se produire dans sa vie. Oui, bientôt, elle serait mère. L'enfant qu'elle et Rogan avaient fait serait dans ses bras et non plus dans son ventre.

—Je t'aime, pensa-t-elle. Je te jure que je n'aurai pour toi que de l'amour. La douleur reprit, lui arrachant un nouveau petit cri plaintif. Elle ferma les yeux plus fort pour se concentrer sur sa respiration.

Comme dans un brouillard, elle sentit une main se poser sur la sienne. En ouvrant les yeux, elle aper-

çut le visage de sa mère, baigné de larmes, qui, pour la première fois de sa vie, exprimait une véritable compréhension.

— Je veux que tu sois heureuse, chuchota Maeve, avec ton enfant. Pendant quelques secondes au moins, plus rien ne les sépara. Maggie retourna sa main et agrippa celle de sa mère.

Quand Gray revint avec le sac, Lottie était en train d'aider Maggie à s'installer dans la voiture de Brianna. Tous les clients étaient sortis sur le seuil pour leur dire au revoir.

—Oh, merci d'avoir fait si vite, lui dit Brianna en prenant le sac. Rogan est en route pour l'hôpital, Il a raccroché avant même que j'aie pu lui dire au revoir. Le médecin a dit de l'amener immédiatement.

Je pars avec elle.

—Évidemment. Tout se passera bien, ne t'en fais pas.

—Oui, dit Brianna en mordillant l'ongle de son pouce. Mais je vais devoir abandonner mes clients.

—Ne t'inquiète de rien. Je m'en occupe.

—Tu ne peux pas leur faire la cuisine.

—Je les emmènerai tous au restaurant. Ne te fais pas de souci, Brie.

—Non, c'est stupide de ma part. Je suis si perturbée... Je suis vraiment désolée, Gray.

—Ce n'est pas la peine. Ne t'inquiète de rien en ce qui concerne la maison, dit-il en prenant son visage dans ses mains. Contente-toi d'aller aider ta sœur.

—D'accord. Pourrais-tu téléphoner à Mrs. O'Malley? Son numéro est dans le carnet. Elle viendrai s'occuper de ce qu'il y a à faire en attendant que je revienne. Et si tu pouvais appeler Murphy. Il sera content qu'on le prévienne. Et...

—Brie, va-t'en vite. J'appellerai tout le village je ta le promets. Bien qu'ils ne fussent pas seuls, il l'embrassa rapidement à pleine bouche.

—Demande à Rogan de m'envoyer un cigare.

—D'accord. Bon, j'y vais. Et elle courut jusqu'à la voiture.

Gray la regarda s'éloigner, suivie de Lottie et Maeve ,La famille, songea-t-il en secouant la tête. Dieu merci, il n'avait pas ce souci-là.

En revanche, il se souciait de Brianna. L'après-mi-di avait laissé place au soir, puis le soir à la nuit.

Dès que Mrs. O'Malley était arrivée, une demi-heure à peine après son appel au secours, Gray était retourné dans sa chambre. Il n'en était ressorti que pour boire un whisky avec Murphy à la santé de Maggie et du bébé. Mais l'heure était déjà avancée, l'auberge était paisible, et Gray n'arrivait ni à travailler ni à dormir — deux activités auxquelles il avait toujours eu recours pour échapper à la réalité.

Il ne cessait de repasser dans sa tête la scène qui s'était déroulée dans la cuisine. Avait-il posé un problème à Brianna en la désirant, en allant jusqu'au bout de son désir? Il n'avait pris en considé-

ration ni sa famille, ni sa religion. Pensait-elle la même chose que sa mère?

Cette idée de damnation éternelle de l'âme le mettait extrêmement mal à l'aise. D'ailleurs, tout ce qui était éternel le mettait mal à l'aise, la damnation en tête. A moins que Maggie n'ait influencé Brianna.

Ce qui n'en était pas moins dérangeant. Tout ce discours sur l'amour... Pour lui, l'amour pouvait s'avérer aussi dangereux que d'être damné et il ne tenait à s'appesantir ni sur l'un ni sur l'autre.

Pourquoi les gens cherchaient-ils à compliquer les choses ? se demanda-t-il en allant dans la chambre de Brianna. Les complications étaient bonnes pour la fiction. Dans la vie réelle, il fallait prendre les choses comme elles venaient, sans se poser de questions.

Cependant, il était bien conscient que Brianna Concannon était devenue pour lui une complication. Ne s'était-il pas avoué qu'il la trouvait unique

? Agacé, il déboucha un petit flacon posé sur sa coiffeuse. Et s'enivra de son parfum.

Pour l'instant, il n'avait qu'une envie : être avec elle. Ensemble, ils se sentaient bien. A ce moment précis, dans cet endroit précis, ils se convenaient parfaitement.

Bien entendu, il pouvait s'en aller quand bon lui semblait. Rien ne l'en empêchait. En grognant, il referma le flacon. Mais son parfum continuait à le hanter.

Brianna ne l'aimait pas. Peut-être le croyait-elle, parce qu'il avait été son premier homme. C'était normal. Et peut-être s'était-il impliqué un peu plus avec elle qu'il ne l'avait fait avec aucune autre.

Parce qu'elle ne ressemblait à aucune autre. Ça aussi, c'était normal.

Néanmoins, lorsqu'il aurait terminé son livre, leur histoire devrait se terminer aussi. Il partirait. Redressant la tête, il se regarda dans le miroir. De ce côté-là, rien de nouveau, pensa-t-il. Il était toujours le même. Et quand il crut distinguer une vague lueur de panique dans ses yeux, il choisit de l'ignorer.

Grayson Thane le regardait. L'homme qu'il avait fabriqué lui-même à partir de rien. Un homme avec lequel il se sentait bien. Qui avançait dans la vie selon son gré. Libre, sans bagages ni regrets.

Certes, il avait quelques souvenirs. Mais il arrivait toujours à repousser les plus désagréables, et cela depuis de longues années. Un jour, il regarderait en arrière et repenserait à Brianna. Et ce serait très bien comme ça.

Pourquoi diable n'appelait-elle pas ?

Après un dernier coup d'œil, il se détourna du miroir, craignant de voir quelque chose qu'il préférait éviter. Il n'y avait d'ailleurs aucune raison qu'elle appelle, songea-t-il en passant en revue les livres sur l'étagère. C'était une affaire qui ne concernait qu'elle, ; une affaire de famille, dont il n'avait pas à se mêler, Dont il refusait de se mêler.

Il était seulement curieux de savoir comment! allaient Maggie et le bébé. Et s'il restait debout, c'était uniquement dans le but de satisfaire sa curiosité.

Se sentant déjà mieux, il sélectionna un livre s'allongea sur son lit et commença à lire.

Brianna le trouva là vers trois heures du matin titubant de joie et de fatigue, elle le découvrit endormi à même les couvertures, un livre ouvert sur la poitrine.

Sans faire de bruit, elle se déshabilla, plia ses vê-

tements sur une chaise et enfila sa chemise de nuit.

Puis elle passa dans la salle de bains pour se rafraîchir le visage. En voyant son air rayonnant dans le miroir elle sourit.

Elle revint dans la chambre, à pas de loup, et caressa Conco qui dormait roulé en boule au pied du lit. En soupirant, elle s'allongea auprès de Gray, sans prendre la peine de se glisser sous les couvertures, immédiatement, il se tourna vers elle, l'en-laça et enfouit la tête dans sa chevelure.

— Tu m'as manqué, murmura-t-il, la voix râpeuse et ensommeillée.

— Je suis là, dit-elle en se lovant tendrement contra lui. Rendors-toi.

— Sans toi, je n'arrive pas à dormir. Trop de mauvais rêves viennent me hanter quand tu n'es pas là.

— Chut... Maintenant, je suis là. Elle lui caressa les cheveux tout en sentant le sommeil la gagner.

Brusquement, Gray ouvrit les yeux, l'air troublé.

—Brie... Tu es là.

—Oui. Tu t'es endormi sur ton livre.

—Oh... Après s'être passé les mains sur le visage, il plissa les yeux pour mieux la voir dans la pénombre.

Et tout lui revint en mémoire.

—Et Maggie ?

—Elle va bien. Elle va merveilleusement bien. Oh, Gray, c'était magnifique à voir.

A nouveau tout excitée, Brianna se redressa et referma les bras autour de ses genoux repliés.

— Elle insultait Rogan, jurant ses grands dieux de se venger. Lui n'arrêtait pas de lui embrasser les mains et de lui dire de respirer. Puis elle a éclaté de rire en lui déclarant qu'elle l'aimait avant de recommencer à l'insulter. Je n'ai jamais vu un homme aussi affolé,

admiratif et amoureux à la fois. Brianna soupira une nouvelle fois, sans se rendre compte que des larmes mouillaient ses joues.

— Tout le monde était là, à discuter gaiement.

Quand ils ont voulu nous mettre dehors, Maggie a menacé de partir elle aussi. «Ma famille reste », a-t-elle dit. «Sinon, je m'en vais aussi.» Alors, nous sommes tous restés. Et c'était... merveilleux. Gray essuya les larmes de Brianna.

—Vas-tu enfin me dire ce que c'est?

—Un garçon, renifla-t-elle. Le plus beau petit gar-

çon qui soit. Il a des cheveux noirs, comme Rogan.

Et les yeux de Maggie. Pour l'instant, ils sont bleus, bien entendu, mais ils ont la forme de ceux de Maggie. Et il a hurlé de toutes ses forces, comme pour nous reprocher de l'avoir amené au milieu de ce chaos. Ses petits poings étaient tout crispés. Ils l'ont appelé Liam. Liam Matthew Sweeney. Ils m'ont laissée le tenir un instant. Elle laissa aller Sa tête sur l'épaule de Gray.

—Et il m'a regardée.

—Tu ne vas pas me dire qu'il t'a souri ?

—Non, dit-elle en riant. Mais il m'a regardée d'un petit air sérieux, comme s'il se demandait ce qu'il faisait ici. Je n'avais jamais tenu un si petit être dans mes bras. Une vie toute neuve... C'est quelque chose d'indescriptible, d'incomparable. J'aurais voulu que tu sois là.

A son grand étonnement, Gray réalisa qu'il l'aurai bien voulu aussi.

—Il fallait bien que quelqu'un garde le ranch. Ta Mrs. O'Malley est arrivée tout de suite.

—Dieu la bénisse. Je lui téléphonerai demain pour

la remercier et lui donner des nouvelles.

—Elle rie cuisine pas aussi bien que toi.

—Ah bon, tu trouves? répliqua Brianna avec sourire ravi. J'espère que tu ne lui en as rien dit.

—Tu sais bien que je suis la diplomatie même Il l'embrassa sur la tempe.

—Alors, c'est un garçon. Combien pèse-t-il?

—Trois kilos quatre cents.

—Et l'heure —tu te souviens de l'heure à laquelle il est né?

—Oh, il était une heure et demie.

—Zut! Apparemment, c'est l'Allemand qui va rafler la misé.

—Pardon?

—Il va rafler la mise. Nous avions parié sur le bé-

bé. Sur son sexe, son poids et l'heure de sa naissance. Je crois bien que c'est l'Allemand, Krause, qui été le plus perspicace.

— Un pari... Et qui a eu cette idée? Gray se passa la langue sur les dents.

— Murphy. Ce type est prêt à parier sur n'importe quoi.

—Et toi, qu'avais-tu parié?

—Une fille, de trois kilos six cents, à minuit pile

.Il l'embrassa à nouveau.

—Alors, où est mon cigare? I

—Rogan m'en a donné un pour toi. Il est dans mon

sac.

—J'irai le fumer au pub, demain. Il y aura bien quelqu'un pour offrir une tournée générale.

—Oh, tu peux parier là-dessus sans risque ! Brianna lui prit la main, entrecroisant ses doigts avec les siens.

—Grayson, à propos de cet après-midi... Ma mère...

—Tu n'es pas obligée de m'en reparler. Je suis arrivé au mauvais moment, c'est tout.

—Non, ce n'est pas tout, et ce serait absurde de faire semblant que c'est le cas.

—Bon, comme tu voudras.

Il savait qu'elle insisterait pour tout mettre à plat, décortiquer, mais ne supportait pas de voir sa belle humeur s'assombrir.

— Nous ne ferons pas semblant, reprit-il. Mais n'en parlons pas ce soir. Nous en reparlerons demain, autant que tu voudras. Cette nuit est une nuit à faire la fête, tu ne trouves pas ?

Un profond soulagement l'envahit. A vrai dire, elle avait eu assez d'émotions comme ça pour aujourd'hui.

—Oui, tu as raison.

—Je parie que tu n'as rien mangé.

—Non.

—Et si j'allais nous chercher le poulet froid qui reste du dîner? Nous mangerons au lit.

15

La semaine suivante, éviter tout sujet de conversation sérieux fut relativement facile. Gray s'était replongé dans son livre et Brianna partageait tout son temps entre ses clients et son nouveau neveu.

Dès qu'elle avait une minute de libre, elle trouvait une excuse pour filer chez sa sœur afin de s'occuper de la jeune maman et du bébé. Maggie, en to-tale admiration devant son fils, se plaignit à peine d'avoir raté l'ouverture de la galerie.

Gray devait reconnaître que l'enfant était très réus-si. A une ou deux reprises, il était allé jusqu'au cottage, histoire de se dégourdir les jambes et de se changer les idées. Le soir, juste avant le coucher du soleil, était le meilleur moment pour se promener, lorsque le ciel prenait cette luminosité intense, si particulière à l'Irlande. L'air était si clair qu'on voyait les collines

d'émeraude s'étendre à des kilomètres à la ronde.

Au loin, le ruban scintillant de la rivière que venait en frapper les derniers rayons de soleil faisait penser à

une épée d'argent. Il trouva Rogan en train d'enlever des mauvaises herbes dans le jardin, vêtu d'un tee-shirt et d'un vieux jean. Spectacle intéressant, pensa Gray. Pour un homme qui aurait pu s'offrir un bataillon de jardiniers...

— Salut, papa ! fit Gray avec un sourire radieux.

Rogan se retourna brusquement.

—Ah ! Un homme... enfin ! Avec toutes ces femmes, je me suis fait éjecter de la maison. Maggie, Brie, Cate, la sœur de Murphy, et quelques dames du village sont à l'intérieur. En train de papoter sur les bienfaits du lait maternel et de raconter leurs accouchements.

—Ouais, à mon avis, tu t'es plutôt enfui.

—Ce n'est pas tout à fait faux. Nous pourrions nous faufiler dans, la cuisine pour prendre une bière dans le frigo.

—Rester là me paraît plus prudent, dit Gray en arrachant à son tour une mauvaise herbe. D'ailleurs, je voulais te parler. Au sujet de ces actions de la Tri-quarter Mining.

—Ah oui, cette affaire m'est complètement sortie de l'esprit, avec tout ce qui s'est passé. Brie a finalement obtenu une réponse ?

—Elle a eu une réponse, oui, fit Gray en se grattant le menton. J'ai demandé à mon courtier de se renseigner un peu. C'est intéressant.

—Tu penses à investir?

—Non, et même si je le voulais, j'aurais du mal.

La Triquarter Mining n'existe pas. Ni au pays de Galles, ni nulle part. Rogan plissa le front.

—La compagnie a fait faillite ?

—Apparemment, il n'y a jamais eu de compagnie minière de ce nom. Ce qui veut dire que le certificat en ta possession est sans aucune valeur.

—C'est tout de même curieux que quelqu'un soit prêt à payer mille livres en échange. Peut-être est-ce une toute petite compagnie, qui n'apparaît pas sur les registres officiels.

—J'y ai pensé. Et mon courtier aussi. Il a eu la curiosité de creuser un peu et a même appelé le nu-méro qui figure sur la lettre.

—Et alors?

—Le numéro n'est pas attribué. Mais n'importe qui peut faire imprimer du papier à en-tête. De même que n'importe qui peut louer une boîte postale, comme celle à laquelle Brianna a adressé sa lettre.

—En effet. Mais ça n'explique pas le fait que quelqu'un veuille payer quelque chose qui n'existe pas., J'ai des choses à faire à Dublin. Brie ne me par-donnera sans doute pas de la priver de Maggie et de Liam, mais nous allons devoir partir à la fin de la semaine. Seulement pour quelques jours. J'en profiterai pour me renseigner de mon côté.

—Je pense que cette histoire vaut la peine d'allé faire, un petit tour au pays de Galles. Toi, tu es dé-

bordé, mais pas moi.

—Tu as l'intention d'y aller toi-même?

J'ai toujours aimé jouer les détectives. Quelle drôle de coïncidence tout de même ! Brie trouve le certificat, envoie sa lettre, et le cottage est cambriolé, bizarre, tu ne trouves pas ?

— Vas-tu mettre Brianna au courant de ce que tu comptes faire?

— En partie. Je pensais faire un saut à New York

,Brianna serait sans doute contente de passer un week-end à Manhattan. Rogan arqua les sourcils.

—J'imagine que oui — si tu arrives à la convaincre de laisser l'auberge en pleine saison.

—Je crois pouvoir arranger ça. Mais New York n'est pas à côté du pays de Galles.

— Nous ferons un petit détour en rentrant à Clare

.Je pensais y aller seul, mais si je dois rencontrer quel que ce soit d'officiel, j'aurai besoin d'elle —

ou de Maggie ou de leur mère. Il fit un grand sourire.

—Le choix de Brie s'impose, non?

—Quand partirez-vous ?

—Dans un jour ou deux.

—Eh bien, tu ne perds pas de temps, remarqua Rogan. Tu penses pouvoir persuader Brianna de partir aussi vite?

—Je vais déployer tout mon charme. J'en ai des tonnes en réserve.

— En tout cas, si tu trouves quoi que ce soit, pré-

viens-moi. Et moi, je vais faire ce que je peux de mon côté. Oh, et si tu as besoin d'armes supplé-

mentaires, tu peux toujours mentionner que plusieurs œuvres de Maggie sont exposées à la galerie de New York.

Des éclats de rire leur parvinrent. Les femmes sortirent, entourant Maggie qui tenait Liam serré dans ses bras. Toutes ces dames se penchèrent une dernière lois pour admirer le bébé, se congratulèrent et s'en allèrent en pédalant sur leurs bicyclettes.

— Profitons-en vite! dit Gray en prenant l'enfant des bras de Maggie.

Il adorait la façon dont Liam levait ses grands yeux bleus vers lui d'un air solennel.

—Alors, tu ne parles pas encore ? Rogan, je crois qu'il est temps que nous enlevions cet enfant du giron des femmes et que nous l'emmenions au pub boire une pinte.

—Il a eu sa dose pour ce soir, merci ! répliqua Maggie. Du bon lait maternel.

Gray caressa le bébé sous le menton. Brianna s'approcha pour embrasser Liam sur le front.

— Rogan, pour le dîner, tu n'auras qu'à faire ré-

chauffer le plat que j'ai apporté, dit-elle, inspectant sa tentative de jardinage. Il ne suffit pas d'enlever les mauvaises herbes qui dépassent. Il faut aussi arracher les racines. Il lui fit un grand sourire et l'embrassa sur la joue.

— Bien, madame. Brianna le repoussa en riant.

—Je m'en vais. Gray, redonne-leur le bébé. La famille Sweeney a vu assez de monde comme ça pour aujourd'hui. N'oublie pas de te reposer, ajouta-t-elle en se tournant vers Maggie.

—Je n'oublierai pas. Faites-lui en faire autant, ordonna-t-elle à Gray. Elle s'occupe de deux maisons à la fois depuis des jours. Gray prit Brianna par la main et ils traversèrent le jardin pour rejoindre la route. Il était temps de commencer à lui faire du charme pour obtenir d'elle ce qu'il voulait.

—Rogan vient de me dire qu'il devait retourner à Dublin pour quelques jours. Maggie et Liam irons avec lui.

—Oh, soupira Brianna, la voix pleine de regret il est vrai qu'ils ont une vie là-bas aussi. J'ai tendance l'oublier quand ils sont ici.

—Ils vont te manquer.

—C'est certain.

—Je dois partir faire un petit voyage, moi aussi.

— Un voyage? Brianna fit un gigantesque effort pour lutter contre la panique qui l'envahit tout à coup.

—Mais... où vas-tu?

—A New York. La première, tu te rappelles?

—Oui, pour ton film. Ça doit être très amusant dit-elle en parvenant à faire un petit sourire.

—Ça pourrait l'être. Si tu venais avec moi.

—Avec toi? Elle s'immobilisa au beau milieu de la route en le considérant d'un air interloqué.

—A New York?

—Juste quelques jours. Trois ou quatre. Sur ces mots, Gray la prit dans ses bras et l'entraîna dans une valse impromptue. Nous pourrions descendre au Plaza, comme Éloïse.

— Éloïse?

—Peu importe. Je t'expliquerai plus tard. Nous prendrons le Concorde, et nous serons là-bas avant même que tu t'en rendes compte. Nous pourrions passer à la galerie Worldwide, glissa-t-il habilement, faire tout ce que font les touristes, et manger dans de grands restaurants. Tu trouveras sûrement quelques menus intéressants.

— Mais je ne peux pas, je t'assure. La tête lui tournait, et ce n'était pas à cause de valse.

— L'auberge est...

— Mrs. O'Malley m'a dit qu'elle serait ravie de remplacer.

—De me...

—De te rendre service, prit-il soin de rectifier. Je veux que tu viennes avec moi, Brie. Ce film est important, mais, sans toi, ce ne sera pas drôle.

C'est un moment important pour moi. Je ne veux pas que ce soit seulement une obligation.

—Mais New York...

—On y sera en un clin d'oeil. Murphy est très content de garder Conco et Mrs. O'Malley ne demande pas mieux que de s'occuper de l'auberge.

—Parce que tu leur en as déjà parlé ? Elle essaya de le faire arrêter, mais Gray continua à la faire tourbillonner.

—Évidemment. Je me doutais que tu refuserais de partir tant que tout ne serait pas parfaitement organisé.

—Je ne peux pas partir...

—Brianna, fais-le pour moi.Sans hésiter, il sortit alors sa meilleure arme. La confiance. J'ai besoin que tu sois avec moi. Elle poussa un long et lent soupir.

—Grayson...

—Ça veut dire oui ?

— Je dois être folle, dit-elle dans Un grand éclat délire. Oui.

Deux jours plus tard, Brianna à bord du Concorde volait au dessus de l'Atlantique. Le cœur dans la gorge. Cette impression ne l'avait pas quittée depuis qu'elle avait fait sa valise. Elle allait à New York. Elle avait abandonné son. affaire entre les mains de quelqu'un. Quelqu'un de capable, certes, mais qui n'était pas elle.

Elle avait accepté de partir dans un autre pays. De traverser un océan avec un homme qui n'était pas de sa famille. Décidément, elle était devenue folle.

— Nerveuse? demanda Gray en lui prenant la main.

— Je n'aurais jamais dû faire ça. Je ne sais pas C’est qui m'a pris. Mais, bien entendu, elle le savait. Gray avait su s’y prendre pour la convaincre.

— Tu t'inquiètes de ce que va dire ta mère? La réaction de Maeve avait été épouvantable. Elle l'avait accablée d'injures, l'avait accusée de tous les maux de la terre et, une fois de plus, lui avait pré-

dit pire. Mais Brianna s'était résignée quant à ce que su mère pensait de Gray et de leur relation.

—Je me suis contentée de faire ma valise et de filer, murmura-t-elle.

—Pas exactement, fit-il en riant. Tu as fait moins une dizaine de listes, tu as préparé des repas pour au moins un mois que tu as mis au congélateur tu as fait le ménage de la cave au grenier... Gray s'ar-rêta soudain, voyant quelle n'avait plus seulement l'air nerveuse, mais littéralement terrorisée.

— Allons, ma chérie, détends-toi, tu n'as aucun raison d'avoir peur. New York n'est pas une ville aussi terrible qu'on le dit.

Ce n'était pas New York qui la terrorisait, songea-t-elle en enfouissant la tête au creux de son épaule.

C'était Gray. Elle venait de comprendre qu'il n'y avait personne d'autre au monde pour qui elle aurait fait une chose pareille, en dehors de sa famille.

Et que sans qu'il s'en rendît compte, il était devenu indispensable à sa vie, faisait désormais partie d'elle, comme sa chair et son sang.

— Dis-moi qui est Éloïse.

Il garda sa main dans la sienne en la serrant tendrement.

— C'est une petite fille qui vit au Plaza avec nour-rice, son chien Weenie et sa tortue Skipperdee.

Brianna sourit, ferma les yeux et l'écouta raconte son histoire.

Une limousine les attendait à l'aéroport. Grâce Rogan et à Maggie, Brianna avait eu l'occasion de monter dans une limousine et ne se sentit donc pas complètement empruntée. Sur la banquette moelleuse, elle trouva un magnifique bouquet composé de trois douzaines de roses et une bouteille de dom-pérignon frappé.

—Grayson, murmura-t-elle, émerveillée, en respirant le parfum des roses.

—Tout ce que tu as à faire, c'est de t'amuser. Il dé-

boucha le Champagne en veillant à ne pas le faire mousser. Et moi, guide génial, je te montrerai tout ce qu'il y a à voir dans la Grosse Pomme.

—Pourquoi l'appelle-t-on ainsi ?

—Je n'en ai pas la moindre idée. Il lui tendit une flûte de Champagne et trinqua avec elle.

— Tu es la plus belle femme que j'aie jamais rencontrée.

Brianna rougit, chercha ses mots et passa finalement la main dans ses cheveux emmêlés après plusieurs heures de voyage.

— Je suis sûre que je suis tout à fait à mon avantage, dit-elle d'un air moqueur.

— Tu l'es encore plus avec ton tablier. Lorsqu'elle éclata de rire, il se pencha pour lui mordiller l'oreille.

—En fait, je me demandais si tu accepterais de le mettre, rien que pour moi.

—Je le mets tous les jours.

—Euh... je voulais dire sans rien d'autre. Cette fois, Brianna devint écarlate et jeta un coup d'œil inquiet vers le chauffeur qui se profilait derrière la vitre.

—Gray...

—Bon, d'accord, nous reparlerons de mes fantas-mes lubriques un peu plus tard. Que veux-tu faire en premier?

— Je... . S'imaginer dans sa cuisine, vêtue de son seul tablier, la fit bégayer.

— Du shopping, décida-t-il. Dès que nous serons installés à l'hôtel et que j'aurai passé un ou deux coups de fil, nous partirons nous promener.

—J'aimerais acheter quelques souvenirs. Et voir un magasin de jouets, tu sais, celui qui occupe tout un immeuble.

—F.A.O. Schwartz.

—Oui. J'y trouverai sans doute quelque chose de beau pour Liam, tu ne crois pas?

—Absolument. Mais je pensais plutôt t'emmène à l'angle de la Cinquième Avenue et de la 47e Rue.

—Qu'est-ce qu'il y a?

— Tu verras. Gray lui laissa à peine le temps de s'extasier devant le Plaza, le lobby qui respirait l'opulence avec ses tapis rouges et ses lustres scintillants, les uniformes impeccables du personnel, la magnificence des vasques de fleurs et les superbes vitrines remplies de joyaux plus étincelants les uns que les autres.

Ils prirent l'ascenseur jusqu'au dernier étage, et Brianna pénétra dans une suite somptueuse qui donnait sur l'îlot de verdure luxuriante de Central Parc. Lorsqu'elle sortit de la salle de bains où elle était allé se rafraîchir de la fatigue du voyage, Gray l'attendait, impatient de l'entraîner dans un nouveau tourbillon.

— Nous allons marcher. C'est la meilleure façon de découvrir New York. Il lui prit son sac pour le lui mettre en bandoulière. Porte-le comme ça, en laissant ta main dessus Tu as des chaussures confortables?

—Oui.

— Alors, tu es fin prête.Et sans lui laisser le temps de reprendre son souffle, il la poussa vers la porte.

— Cette ville est magnifique au printemps, lui dit-il tandis qu'ils descendaient la Cinquième Avenue. Il lui montra une multitude de choses, lui promit passer autant de temps qu'elle voudrait dans le grand magasin de jouets et se régala de la voir s'ébahir devant les vitrines et la foule chamarrée qui envahis sait les rues. Brianna était aux anges.

— Nous y voilà, fit Gray. Ils venaient d'arriver devant un bâtiment en angle dont les vitrines regor-geaient de bijoux et de pierres précieuses.

—Oh, qu'est-ce que c'est? demanda Brianna d'un air admiratif.

—Un bazar, ma chérie. Une vraie caverne d'Ali Baba, répondit-il en poussant la porte.

A l'intérieur, les clients se bousculaient parmi les allées dans un joyeux brouhaha. Partout, il y avait des diamants qui brillaient de mille feux dans leurs écrins, des pierres de toutes les couleurs miroitant comme un arc-en-ciel et des bijoux en or aux reflets chatoyants.

— Oh, quel endroit extraordinaire !Brianna prit un plaisir fou à explorer les allées avec lui. Elle avait l'impression d'être dans un autre monde. Vendeurs et acheteurs marchandaient les prix de colliers en rubis et de bagues ornées de saphirs. Que d'histoires elle aurait à raconter à son retour à Clare ! Ils s'arrêtèrent devant une vitrine et elle faillit suffoquer.

—Je doute de pouvoir trouver des souvenirs ici !

—Je m'en charge. Des perles, peut-être...Gray attira l'attention d'une vendeuse en se penchant pour examiner les bijoux.

—Oui, des perles seraient parfaites.

—Vous cherchez un cadeau ?

—Exactement. Montrez-moi celui-ci, dit-il en in-diquant un collier à trois rangs.

Il l'imaginait déjà au cou de Brianna. Les perles laiteuses conviendraient à merveille à la blancheur délicate de sa peau. D'une oreille distraite, il écouta la vendeuse lui vanter la beauté et la valeur incomparables du collier.

— Traditionnel, simple et élégant, dit-elle. Et, en plus, c'est une affaire.

Gray prit le collier, le soupesa et examina attentivement le fermoir.

—Qu'en penses-tu, Brianna?

—Il est splendide.

Essayez-le, s'empressa de dire la vendeuse. Vous verrez vous-même comme les perles se placent bien.

— Gray, non, je... En reculant d'un pas, elle se cogna contre un autre client.

— Tu ne peux pas faire ça... C'est ridicule.

—Quand un homme veut vous acheter un collier comme celui-ci, ma petite dame, il ne faut pas chiner. Surtout qu'il y a une remise de quarante pour cent.

—Oh, je suis sûr que vous pouvez encore faire petit effort, lança Gray d'un ton désinvolte.

Ce n'était pas pour l'argent, Il avait à peine jeté un coup d'œil sur la minuscule étiquette attachée au fermoir. Non, c'était uniquement pour le plaisir.

— Voyons ce que ça donne. Le regard rempli de détresse, Brianna le laissa lui passer le collier autour du cou. Il s'harmonisait parfaitement à son chemisier en simple coton.

L'envie la démangeait, mais elle s'empêcha de toucher les perles pour les caresser.

— Tu ne vas pas m'acheter un collier pareil !

— Mais si, dit-il en l'embrassant sans la moindre gêne. Laisse-moi me faire plaisir. Puis il se redressa et la considéra en plissant les yeux.

—Je crois que c'est ce que je cherchais. Il se tourna alors vers la vendeuse.

—Allez, faites un petit effort.

— Je ne peux quand même pas vous le donner ces perles sont toutes d'une qualité irréprochable, vous savez.

— Mmm... Regarde, dit-il à Brianna en tournant miroir vers elle. Garde-les une minute ou deux. A nouveau, il s'adressa à la vendeuse.

—Montrez-moi aussi cette broche, avec le cœur en diamant.

—Oh, c'est un bijou magnifique. Vous avez l'œil répliqua l'employée en posant la broche sur un plateau de velours noir. Il y a vingt-quatre petits brillants taillés. De première qualité.

—Joli... Brie, tu ne penses pas que ça plairait à Maggie? C'est un cadeau idéal pour une jeune maman.

—oh...Brianna eut du mal à ne pas rester la bouche ouverte.

Non seulement Gray voulait lui acheter ces perles, mais il voulait offrir des diamants à sa sœur !

—Elle l'adorerait sûrement. Le contraire serait surprenant. Mais tu ne peux quand même pas...

—Alors, quel prix me faites-vous pour les deux?

—Eh bien... Comme si on lui arrachait le cœur, la vendeuse sortit une calculette et commença à addi-tionner des chiffres. En voyant la somme qu'elle écrivit sur un bloc de papier, Brianna crut qu'elle allait s'étrangler.

— Gray, je t'en prie... Il lui fit signe de se taire.

—Vous pouvez sûrement mieux faire.

—Mais vous allez me tuer! rétorqua la femme.

—Je parie que vous pouvez supporter de souffrir encore un peu.

La vendeuse fit de nouveaux calculs tout en grommelant quelque chose sur la marge bénéfi-ciaire, et la qualité de la marchandise, puis annon-

ça un prix légèrement inférieur. Gray lui fit un clin d'œil et sortit son portefeuille.

—Faites-moi des paquets et faites-les porter au Plaza.

—Gray, non...

—Je regrette, dit-il en lui retirant le collier avant de le remettre à l'employée ravie. Tu les auras ce soir. Mais se promener avec ça autour du cou ne serait pas malin.

—Ce n'est pas ce que je voulais dire, tu le sais très bien.

—Vous avez un accent ravissant, fit la vendeuse, cherchant à la distraire.

Vous êtes irlandaise ?

— Oui. Je...

— C'est son premier voyage aux États-Unis. Je tiens à ce qu'elle s'en souvienne...

Il prit la main de Brianna et lui embrassa les doigts d'une manière qui fit soupirer l'employée pourtant blasée.

— J'y tiens énormément.

—Tu n'es pas obligé pour cela de m'acheter des choses.

—Tu ne demandes jamais rien.

—De quelle partie de l'Irlande êtes-vous ?

—Du comté de Gare, dit Brianna dans un murmure, comprenant qu'elle avait perdu la partie.

C'est l'ouest du pays.

— Ce doit être magnifique. Et vous pensez aller...En prenant la carte de crédit de Gray, le regard de la vendeuse tomba sur son nom, et elle manqua suffoquer.

—Grayson Thane ! Seigneur, je lis tous vos livres!

Je suis une de vos fidèles admiratrices. Oh, quand je vais raconter ça à mon mari ! C'est un de vos fans, lui aussi. Nous devons aller voir votre film la semaine prochaine. Je suis folle d'impatience.

Pourriez-vous, me signer un autographe ? Milt ne va pas en croire ses oreilles !

—Bien sûr. Marcia, c'est vous ? demanda Gray e: montrant une carte de visite posée sur le comptoir

—C'est moi. Vous vivez à New York? Il n'y jamais rien d'indiqué au dos de vos livres.

— Non, je ne vis pas à New York. Il lui rendit le bloc sur lequel il venait d'écrire un mot afin de la décourager de le presser davantage di questions.

— « A Marcia », lut-elle. « Joyau parmi les joyaux Amicalement, Grayson Thane. »

Elle lui jeta un regard rayonnant, mais pas au point toutefois d'oublier de lui faire signer le reçu de si carte de crédit.

— Revenez quand vous voulez. Et ne vous en faite pas, Mr; Thane, je ferai déposer les paquets à votre hôtel. J'espère que vous apprécierez le collier, madame. Et que vous vous plairez à New York.

Merci, Marcia. Mes amitiés à Milt. Content de lui, il se retourna vers Brianna.

—Tu veux voir d'autres choses? Médusée, elle se contenta de faire non de la tête.

—Pourquoi as-tu fait ça ? parvint-elle à dire lorsqu'ils eurent regagné la rue. Comment arrives-tu à m'empêcher de dire non quand je veux dire non?

—Ça me fait plaisir, fit-il d'un ton léger. Tu n'as pas faim ? Moi, je meurs de faim. Allons nous offrir un hot dog. Brianna l'obligea à s'arrêter un instant.

— Gray, c'est la plus belle chose que j'aie jamais eue de ma vie, déclara-t-elle d'un air solennel.

Avec toi.

— Tant mieux.

Il la prit par la main et l'entraîna jusqu'au coin de la rue, se disant qu'il l'avait suffisamment ama-douée pour qu'elle lui laisse acheter une robe parfaite pour assister à la première.

Brianna tenta de l'en dissuader. Elle perdit. Pour compenser, Gray céda quand elle insista pour payer elle-même les babioles qu'elle voulait rapporter en Irlande et l'aida à convertir les sommes en dollars. Son éblouissement devant le magasin de jouets l'amusa. Et son enthousiasme quand ils entrèrent dans un magasin spécialisé en articles de cuisine le fascina littéralement. Gray se fit un plaisir de porter tous les sacs et les boîtes jusqu'à l'hô-

tel. Puis il la convainquit de se mettre au lit où il lui fit longuement et langoureusement l'amour.

Ils allèrent dîner au restaurant Le Cirque et, dans un élan de romantisme teinté de nostalgie, il l'emmena danser au Rainbow Room, dont le décor in-temporel et le grand orchestre le charmèrent tout autant qu'elle. De retour à l'hôtel, il lui fit à nouveau l'amour, jusqu'à ce qu'elle s'endorme, épuisée, à ses côtés. Gray resta longtemps éveillé, à respirer le parfum

des roses qu'il avait offertes à Brianna, tout en caressant ses cheveux soyeux, écoutant sa respiration paisible et régulière.

Là, étendu dans la pénombre, il repensa aux multiples hôtels dans lesquels il avait dormi seul. A tous ces matins où il s'était réveillé seul, avec pour unique compagnons les personnages qu'il inventait dans s'a tête.

Et il se dit qu'il préférait que ce soit ainsi. Depuis toujours. Avec elle lovée contre lui, il ne parvenait plus très bien à retrouver cette sensation de profonde solitude qu'il aimait tant.

Mais cela reviendrait sûrement. Dès que leur histoire arriverait à son terme. Tout en rêvassant, Gray s'exhorta à ne pas trop penser à demain, et encore moins à hier.

Il vivait pour aujourd'hui. Et aujourd'hui n'était pas loin d'être parfait.

16

Le lendemain après-midi, Brianna était encore suffisamment éblouie par New York pour ne rien vouloir rater. Avoir l'air d'une touriste ne la dérangeait nullement. Elle n'arrêtait pas de photographier, la tête renversée en arrière, le sommet des gratte-ciel étourdissants, en poussant des cris admiratifs. Qu'y avait-il de mal à cela? Après tout, New York était un grand spectacle permanent, complexe et bruyant.

Confortablement installée dans la suite luxueuse, elle était plongée dans un guide, cochant tous les endroits qu'elle avait déjà vus.

Mais d'ici peu, elle allait devoir affronter un déjeuner d'affaires avec l'agent littéraire de Gray.

—Arlène est extraordinaire, lui assura-t-il lorsqu'ils furent de nouveau dans la rue. Elle va te plaire.

—Mais c'est un rendez-vous d'affaires, ce déjeuner. Je préfère t'attendre quelque part ou venir te rejoindre quand tu auras fini. Je pourrais aller à Saint-Patrick et... Elle eut beau essayer de le tirer par la manche pour le faire ralentir, il ne modifia en rien son allure.

— Je t'ai dit que je t'y emmènerais après le déjeuner.

Et il le ferait, elle le savait. Il était prêt à l'emmener partout. N'importe où. Ce matin, ils étaient montés au sommet de l'Empire State Building, avaient traversé Manhattan en métro et avaient pris leur petit déjeuner dans un deli. Tout ce qu'elle avait fait, tout ce qu'elle avait vu tournait dans sa tête comme un kaléidoscope géant, resplendissant de sons et de couleurs.

Et il lui avait promis plus encore. Mais la perspective de déjeuner avec un agent New|-yorkais, une femme manifestement formidable, l'affolait. Elle aurait d'ailleurs trouvé une excuse, quitte à inventer un mal de tête ou une fatigue passagère, si Gray n'avait pas paru si excité par cette idée.

Il déposa un billet dans la soucoupe d'un homme qui somnolait devant un immeuble. Il n'en oubliait jamais aucun. Quoiqu'indique le petit écriteau —

sans domicile fixe, au chômage, vétéran du Viet-nam tous ceux qui mendiaient avaient droit à son attention. Et à son portefeuille. Rien n'échappait à son attention. Il voyait toujours tous ,ces gestes de gentillesse étaient faits avec une spontanéité toute naturelle.

Lorsqu'ils arrivèrent devant le Four Season Brianna se sentit tout, à coup ridicule avec son petit! sac arborant love New York, dans lequel elle transportait des souvenirs.

— Ah, Mr. Thane... Il y a longtemps qu'on ne vous avait pas vu. Mrs. Winston est déjà là.

Le maître d'hôtel les conduisit aimablement jusqu'à leur table. En apercevant Gray, une femme se leva, Brianna remarqua tout d'abord un tailleur rouge vif, bordé d'un galon doré au col et aux manches, puis des cheveux courts très blonds et enfin le sourire radieux de la femme que Gray prit chaleureusement dans ses bras.

—Je suis content de te revoir, ma belle.

—Mon globe-trotter préféré ! s'exclama-t-elle de voix rauque, légèrement rocailleuse, Arlène Winston était toute petite, et dans une forme athlétique grâce à ses trois séances de gym-nastique hebdomadaires. Gray avait dit qu'elle était grand-mère, mais son visage n'était presque pas ridé et ses yeux d'un brun profond contrastaient avec son teint clair et ses traits mutins. Un bras autour de la taille de Gray, elle tendit la main à Brianna.

—Vous êtes Brianna. Bienvenue à New York. Notre Gray vous a-t-il fait passer un bon moment ?

—Oh, oui. C'est une ville merveilleuse. Je suis ravie de vous rencontrer, Mrs. Winston.

— Arlène, dit-elle en lui tapotant la main. Malgré ce geste amical, Brianna vit son regard implacable la toiser rapidement. Gray recula d'un pas, l'air rayonnant.

— N'est-elle pas magnifique ?

—Si, absolument. Asseyons-nous. J'espère que ça ne vous ennuie pas, j'ai commandé du Champagne.

Pour fêter quelque chose.

—Les Anglais? demanda Gray.

—Pas seulement, répondit Arlène en souriant.

Veux-tu que nous parlions affaires tout de suite ou bien préfères-tu attendre la fin du déjeuner ?

— Débarrassons-nous-en tout de suite. Obligeamment, Arlène sortit une liasse de fax de son attaché-case.

— Voici l'accord passé avec les Anglais.

—Quelle femme! commenta Gray en clignant de l'œil.

—Les autres offres de l'étranger sont là-dedans, ainsi que les contrats audio. Nous venons tout juste d'accrocher les gens du cinéma. Et j'ai ton contrat.

Le laissant examiner les papiers, elle se détourna et sourit à Brianna.

—Gray m'a dit que vous étiez un véritable cordon-bleu.

—II adore manger.

—Ça, c'est bien vrai. Vous tenez un Bed and Break-fast très agréable, d'après ce que j'ai entendu dire. Blackthorn, c'est bien ça ?

—Blackthorn Cottage, oui. Ce n'est pas très grand.

—Mais chaleureux, j'imagine... Arlène observait Brianna par-dessus son verre. Et calme.

—Très calme, absolument. Les gens viennent là-

bas pour le paysage.

—Qui est, paraît-il, tout à fait spectaculaire. Je ne suis jamais allée en Irlande, mais Gray a éveillé ma curiosité. Combien de personnes pouvez-vous recevoir?

—Oh, j'ai quatre chambres d'hôtes, par conséquent ça dépend de la taille des familles. A huit, c'est confortable, mais il arrive que j'aie douze personnes ou plus avec les enfants.

Et vous faites la cuisine pour tout ce monde vous tenez cette auberge toute seule ?

—C'est un peu comme de s'occuper d'une famille expliqua Brianna. La plupart des gens ne restent qu'une nuit ou deux. L'air de rien, Arlène fit parler Brianna, pesant chacune de ses paroles, jugeant chacune de ses inflexions .Gray était pour elle beaucoup plus qu'un client. Cet jeune femme était intéressante. Réservée, un peu nerveuse, mais visiblement très capable, songea-t-elle en continuant à lui poser des questions sur la campagne irlandaise.

Et puis elle était très soignée, avait d'excellentes manières et... Ah... Une fraction de seconde, le regard de Brianna se posa sur Gray. Et Arlène vit alors ce qu'elle voulait voir.

En détournant les yeux, Brianna remarqua son ai perplexe et fit un gros effort pour ne pas rougir.

—Grayson m'a dit que vous aviez des petits enfants.

—Oh, oui. Généralement, après une coupe Champagne, je commence immanquablement à sorti toutes leurs photos.

—J'aimerais beaucoup les voir. Vraiment. Ma sœur vient juste d'avoir un bébé... Aussitôt, sa voix, son regard, tout en elle se réchauffa.

— 'ai des photos de lui.

—Arlène, dit Gray en redressant la tête, tu es la reine des agents.

—Ne t'avise surtout pas de l'oublier ! répliqua-t-elle en lui tendant un crayon d'une main et en ap-pelant serveur de l'autre. Signe ce contrat et fêtons ça.

Brianna calcula qu'elle avait bu plus de Champagne depuis qu'elle connaissait Gray qu'au cours de sa vie entière. Tout en jouant avec son verre, elle consulta le menu et s'efforça de ne pas hurler en voyant les prix.

—Nous prenons un verre en fin d'après-midi avec Rosalie, dit Gray, faisant allusion au rendez-vous prévu avec son éditeur. Et ensuite, nous irons à la première. Tu seras là, j'espère ?

—Je ne manquerais cela pour rien au monde . Je vais prendre le poulet, ajouta Arlène en tendant le menu au garçon. Alors, comment avance ton livre?

—Très bien. Incroyablement bien. Les choses ne se sont jamais passées aussi bien. J'ai pratiquement terminé le premier brouillon.

—Si vite?

—Ça jaillit tout seul, dit-il en jetant un regard à Brianna. Comme par magie. C'est peut-être à cause de l'atmosphère. L'Irlande est un pays magique.

—Il travaille dur, renchérit Brianna. Il lui arrive de rester enfermé dans sa chambre des jours entiers.

Et si on le dérange, il aboie comme un terrier.

—- Et vous aboyez de la même façon ? voulut savoir Arlène.

-— Généralement, non, sourit Brianna comme Gray posait la main sur la sienne. Ma sœur m'a habituée à ce genre de comportement.

— Oh, oui, c'est vrai, c'est une artiste. Vous devez donc connaître leurs sautes d'humeur.

—, Oh, oui! s'exclama Brianna en éclatant de rire.

Je crois que les gens qui créent ont plus de difficultés que la plupart d'entre nous. Quand il est dans son univers, Gray a besoin de refermer la porte derrière lui.

—N'est-elle pas parfaite ?

—Oui, en effet, reconnut Arlène avec complai-sance. En femme patiente, elle attendit la fin du repas pour passer à l'étape suivante.

—Vous prendrez un dessert, Brianna ?

—J'en serais incapable, merci.

—Gray va en prendre un. Il a la chance de ne jamais prendre un gramme. Commande-toi quelque chose de bon, Gray. Brianna et moi allons faire un petit tour aux toilettes pour parler de toi en tête à tête.

Quand Arlène se leva, Brianna n'eut d'autre choix que d'en faire autant. En s'éloignant, elle jeta un regard troublé à Gray.

Les toilettes étaient aussi somptueuses que la salle de restaurant. Sur les lavabos, il y avait des flacons de parfum, des lotions, et même des produits de maquillage. Arlène s'assit face au grand miroir, croisa les jambes et fit signe à Brianna de venir la rejoindre.

— Vous êtes contente de venir assister à la première, ce soir ?

— Oui. C'est un moment important pour Gray. J'ai

déjà vu un film tiré d'un de ses livres. Le livre était, d'ailleurs beaucoup mieux.

—Ça, c'est gentil , Arlène rit en secouant la tête.

—Savez-vous que c'est la première fois que Gray amène une femme avec lui à l'un de nos rendez-vous ?

—Je...Brianna hésita, cherchant quoi répondre.

—Je trouve cela très significatif. Nos relations dé-

passent le cadre du travail, vous savez.

—Oui, je sais. Gray vous aime beaucoup. Il parle de vous comme si vous étiez sa famille.

—Mais je suis sa famille. Ou du moins ce qui s'en rapproche le plus. Je l'aime énormément. Quand il m'a dit qu'il vous amenait à New York, j'ai vraiment, été surprise. Je me suis demandé comment une petite gourde irlandaise avait réussi à mettre le grappin sur mon garçon.

Voyant la bouche de Brianna s'arrondir, et son regard devenir glacé, Arlène s'empressa de lever les mains devant elle.

—Ce n'était qu'une réaction de mère hyper-prote-

çtrice. Qui a disparu dès que je vous ai aperçue.

Pardonnez-moi.

—Bien entendu. Mais la voix de Brianna était guindée.

—Et voilà, vous êtes fâchée contre moi, et vous avez raison. Il y a plus de dix ans que je connais Gray, que je l'adore, que je m'inquiète pour lui, que je le harcèle et que je le réconforte. J'ai toujours espéré qu'il trouverait quelqu'un pour veiller sur lui, quelqu'un capable de le rendre heureux. Car il ne l'est pas.

—Je sais, murmura Brianna. Il est très seul.

—Il l'était jusqu'à présent. Vous avez vu comment il vous regarde ? On dirait presque qu'il est ivre.

Cela m'aurait d'ailleurs inquiétée si je n'avais vu comment vous-même le regardiez.

—Je l'aime, s'entendit dire Brianna.

—Oh, ça se voit, ma chère ! s'exclama Arlène en lui prenant la main. Vous a-t-il parlé de lui?

—Très peu. Il s'en empêche et prétend que ce n'est pas nécessaire.

—Il n'est pas du genre à se livrer. Je suis plus proche de lui que n'importe qui depuis de longues an-nées, pourtant je ne sais pratiquement rien de lui.

Une fois, après son premier succès, il avait un peu trop bu et m'a parlé plus qu'il ne l'aurait voulu.

Comment vous dire... on aurait dit un prêtre dans un confessionnal, vous comprenez ce que je veux dire ?

—Oui.

—Je ne sais qu'une chose. Il a eu une enfance très malheureuse et une existence difficile. Et malgré cela, ou peut-être à cause de cela, c'est un homme bon et généreux.

—Je le sais. Parfois même trop généreux. Comment faites-vous pour l'empêcher de vous acheter sans arrêt des choses ?

—J'y ai renoncé. Il en,a besoin. L'argent n'a pas d'importance pour Gray. Ce qu'il représente est vital à ses yeux, mais l'argent en soi n'est rien de plus qu'un moyen d'arriver à ses fins. Et, bien que vous ne me le demandiez pas, je vais vous donner un conseil : n'abandonnez pas, soyez patiente. Le seul endroit où Gray se sente chez lui, c'est là où il travaille. Il fait tout pour qu'il en soit ainsi. Je me demande s'il a réalisé que vous lui offriez un foyer en Irlande.

— Non... Brianna se détendit quelque peu et sourit. — Je ne crois pas. Et j'ai mis moi-même du temps avant de m'en rendre compte. Toutefois, son livre est presque fini.

— Mais pas vous. Et, désormais, vous avez une alliée à vos côtés, si jamais vous en ressentez le besoin.

Quelques heures plus tard, alors que Gray remontait la fermeture éclair de sa robe, Brianna repensa à ce que lui avait dit Arlène. C'était un geste d'amoureux, se dit-elle quand il lui déposa un baiser sur l'épaule. Un geste de mari. Elle lui sourit dans la glace.

— Grayson, tu es magnifique ! Il était effectivement superbe dans son costume noir, sans cravate.

Il possédait cette élégance naturelle qu'elle asso-ciait généralement aux vedettes de la chanson ou du cinéma.

—Mais en te voyant, qui pensera à me regarder?

—Toutes les femmes, non ?

—Quelle idée... Il lui passa le collier de perles autour du cou et sourit d'un air satisfait en faisant claquer le fermoir.

— C'est presque parfait.

Le bleu nuit de la robe mettait en valeur sa peau laiteuse. Le décolleté laissait deviner la naissance de ses seins et dénudait ses épaules. Ses cheveux dorés étaient relevés en chignon. Il joua un instant avec les mèches qui s'en échappaient autour de ses oreilles sur sa nuque.

Il la fit tourner lentement devant lui et Brianna se mit à rire.

— Tu as pourtant dit tout à l'heure que c'était parfait.

— C'est vrai. Il sortit un écrin de sa poche et souleva le couvercle

A l'intérieur, il y avait encore des perles fines, deux larmes d'un éclat lumineux montées sur un simple diamant.

—Gray...

—Chut. Il fixa lui-même les boucles d'oreilles.

D'un geste plein d'adresse et d'expérience, songea-t-elle malicieusement.

—Cette fois, c'est vraiment parfait.

—Quand les as-tu achetées ?

—Je les avais remarquées quand nous avons acheté le collier. Marcia était enchantée que je l'appelle pour lui demander de les faire apporter ici.

—Je m'en doute... Incapable de résister, elle leva la main pour caresser une des boucles d'oreilles. Tout ceci était bien vrai, et pourtant elle n'arrivait pas à y croire — Brianna Concannon se trouvait dans un hôtel de luxe à New York, portait des perles et des diamants et l'homme qu'elle aimait lui souriait.

— Je suppose qu'il est inutile que je te dise que tu n'aurais pas dû?

—Tout à fait inutile. Tu n'as qu'à dire merci.

—Merci...

—Tendrement, elle pressa sa joue contre la sienne.

Cette soirée est la tienne, Grayson, et tu as tout fait pour que je me sente comme une princesse.

—Tu n'as qu'à penser à ce dont nous aurons l'air si la presse prend la peine de faire des photos.

—Prend la peine? répéta-t-elle, attrapant son sac au vol comme il la poussait vers la porte. Mais c'est ton film. C'est toi qui l'as écrit.

—Non. En se dirigeant vers l'ascenseur, il se pencha pour la prendre par l'épaule. Cette splendide étrangère sentait toujours Brianna. Un parfum doux, tendre et subtil. Ce n'est pas mon film. C'est le film du réalisateur, du producteur, des acteurs.

Et celui du scénariste. Le romancier arrive très loin sur la liste, chérie.

—C'est ridicule. Cette histoire est la tienne, ce sont tes personnages...

—C'était. Il lui sourit. Elle s'indignait à sa place et il trouvait cela charmant.

— Tu aurais pu écrire le scénario toi-même.

— Ai-je l'air d'un masochiste ? Merci bien. Travailler en collaboration avec un éditeur est le maximum que je puisse accepter.

Ils prirent place dans la voiture qui se faufila dans la circulation.

—Je suis bien payé, mon nom apparaîtra à l'écran pendant quelques secondes et, si le film est un succès — or tout semble l'indiquer —,les ventes mon-teront en flèche.

—Tu n'as donc pas d'amour-propre ?

— Énormément. Mais pas pour ça.

On les prit en photo dès qu'ils s'arrêtèrent devant le cinéma. Brianna cligna des yeux, surprise par le flash et légèrement déconcertée. Gray ne lui avait-il pas assuré qu'on ne ferait pas attention à lui

? Néanmoins, dès son arrivée, on lui tendit un micro. Il répondit avec aisance à quelques questions, en éluda d'autres avec autant d'aisance, tout en tenant fermement la

main de Brianna.

Éblouie, elle regarda la foule qui les entourait. Partout, il y avait des gens qu'on ne voyait d'ordinaire que dans les magazines, au cinéma ou à la télévision. Gray la présenta à certains d'entre eux. Elle s'appliqua à faire les réponses les plus appropriées possibles et à retenir tous les noms et les visages afin de pouvoir tout raconter à son retour à Clare.

Lorsqu'ils furent installés à leurs places dans la

salle, Gray l'enlaça par l'épaule et se pencha pour murmurer quelque chose à son oreille.

—Impressionnée?

—Plutôt. J'ai l'impression d'être dans un film, pas d'être venue en voir un.

—C'est parce que des événements de ce genre n'ont aucun rapport avec la réalité. Attends de voir la soirée qui aura lieu ensuite.

Brianna soupira discrètement. Elle était loin de Clare. Vraiment très loin.

Cependant, elle n'eut guère le temps d'y penser.

Très vite, les lumières s'éteignirent et l'écran s'anima. L'espace d'une seconde, elle ressentit un délicieux frisson en voyant le nom de Gray apparaître sur l'écran et scintiller brièvement avant de disparaître.

—C'est merveilleux, dit-elle dans un souffle.

—Attendons de voir si le reste est aussi bien. Le film l'enthousiasma. Le fait d'avoir lu le livre et de connaître déjà l'intrigue ne la gêna nullement. Ici et là, elle reconnut des bouts de dialogues écrits par Gray. A un moment, il lui glissa un mouchoir dans la main pour qu'elle s'essuie les joues.

—Tu es vraiment bon public, Brie. Je me demande comment j'ai fait pour voir des films sans toi jusqu'à maintenant.

—Chut... Elle soupira, lui prit la main et la garda dans la sienne jusqu'à ce que le générique de fin défile sur l'écran et que les applaudissements jaillissent dans la salle.

—Je crois que c'est un succès.

—Personne ne voudra me croire, dit Brianna en sortant de l'ascenseur du Plaza quelques heures plus tard. Moi-même, j'ai du mal à y croire. J'ai dansé avec Tom Cruise...

Légèrement ivre et encore tout excitée, elle tour-noya sur elle-même en gloussant de joie.

—Tu t'imagines ?

—J'y suis bien obligé, fit Gray en ouvrant la porte.

Je l'ai vu de mes yeux. Visiblement, tu lui as beaucoup plu.

—Oh, il avait juste envie de parler de l'Irlande. Il adore y aller. C'est un homme charmant et follement amoureux de sa femme. Quand je pense qu'ils vont peut-être venir chez moi !

—Après cette soirée, je ne serais pas surpris de voir ton auberge se remplir de célébrités.

En bâillant, Gray retira ses chaussures.

—Tu as charmé tous les gens à qui tu as parlé. Les Américains raffolent de l'accent irlandais, Brianna retira son collier et caressa les rangs de perles avant de le ranger dans l'écrin.

— Je suis si fière de toi, Gray! Tout le monde a trouvé le film merveilleux, et on parle même des prochains Oscars. Elle lui fit un sourire radieux en retirant ses boucles d'oreilles.

—Tu te rends compte, si on te décernait un Oscar..!

—Il n'y a aucune raison. Je n'ai pas écrit le film.

—Eh bien ce n'est pas juste. On devrait t'en donner un, dit-elle en abaissant la fermeture éclair de sa robe.

Il sourit, enleva sa chemise, puis lui lança un regard par-dessus son épaule. Et se figea.

Brianna venait d'enlever sa robe et se tenait au milieu de la chambre dans la ravissante guêpière qu'il lui avait achetée pour mettre en dessous. Bleu nuit

. En soie et en dentelle.

Un désir soudain s'éveilla en lui quand il la vit se pencher pour détacher la jarretelle d'un de ses bas .

Ses jolies mains aux ongles impeccables descendirent le long de la cuisse, du genou et du mollet en roulant soigneusement le bas.

Brianna marmonna quelque chose qu'il ne compris pas, tant le sang bourdonnait à ses tempes. Une partie de son cerveau l'engageait à réprimer au plus vite cette ardente bouffée de désir. Une autre le poussait à agir comme il en mourait d'envie. Im-médiatement, rapidement et sans réfléchir. Après avoir enlevé ses bas, Brianna leva les bras pour retirer les épingles de son chignon. Gray serra les

poings en voyant ses cheveux blonds cascader sur sur épaules dénudées. Il s'entendait respirer. Trop vite trop fort. Tout à coup, il eut presque l'impression sentir la soie se déchirer sous ses mains, sa peau brûlante vibrer sous ses doigts et le goût de sa bouche douce et tiède contre la sienne. Il se força à lui tourner le dos. Il avait besoin d'un bref instant pour se reprendre. Pour se maîtriser.L'effrayer ne serait pas bien.

— Et ce sera tellement drôle de raconter tout ça..

Brianna reposa sa brosse à cheveux et fit une nouvelle pirouette en éclatant de rire.

— Je n'arrive pas à croire que nous sommes au milieu de la nuit et que je suis complètement ré-

veillée. Je me sens comme un enfant qui a mangé trop de bonbons. Je crois que je n'arriverai plus jamais à dormir.

Elle s'approcha de lui et le prit par la taille en se collant contre son dos.

—Oh, Gray, j'ai vraiment passé une merveilleuse soirée. Je ne sais pas comment te remercier.

— Tu n'as pas à le faire, dit-il d'une voix râpeuse tous les sens en alerte.

— Toi, tu as l'habitude de ce genre de choses. In-nocemment, elle déposa une série de petits baisers d'une de ses épaules à l'autre. Il dut serrer des dents pour s'empêcher de gémir.

— Tu ne peux pas savoir comme tout cela était merveilleux pour moi. Oh, mais tu es tout tendu!

Et instinctivement, elle commença à lui masser le dos et les épaules.

— Tu dois être épuisé, et moi qui reste là, à jacas-ser comme une pie! Si tu allais t'allonger? Je vais te masser pour dénouer les muscles de ton dos.

— Arrête ! Le mot était sorti comme un ordre.

Gray pivota sur lui-même et l'attrapa par les poignets en la dévisageant sans rien dire. Il avait l'air furieux. Non, se dit-elle, menaçant.

—Grayson, qu'est-ce qu'il y a ?

—Tu ne vois pas l'effet que tu me fais?

Elle secoua négativement la tête. Alors, il la serra de toutes ses forces contre lui et ses doigts s'enfoncèrent dans sa chair. Il vit l'étonnement dans ses yeux se transformer en panique. Et il craqua.

— Bon sang ! Sa bouche s'écrasa sur la sienne, avide, désespérée. Si elle l'avait repoussé, peut-être aurait-il réussi à retrouver son sang-froid. Mais au lieu de cela, elle lui caressa la joue, et il fut définitivement perdu.

— Rien qu'une fois, marmonna-t-il en l'entraînant sur le lit. Rien qu'une fois.

II n'avait plus rien de l'amant tendre et attentionné qu'elle avait connu. Telle une bête sauvage, ses mains se refermèrent sur elle, prêtes à déchirer, à posséder,tout son être était dur, sa bouche, ses mains, tout son corps. Pendant un instant, elle crut qu'il allait la briser en mille morceaux, comme du verre.

Elle sentit l'intensité de son désir et fut à la fois choquée, émoustillée et complètement terrifiée.

Elle gémit et tressaillit sous ses doigts qui pétris-saient impitoyablement ses cuisses. Sa vision se troubla, mais elle distingua son regard, luisant follement à la lumière tamisée de la lampe. Il voulait la voir se tordre sous lui, l'entendre crier et le supplier.

Et il y parvint. Il lui fit l'amour avec une telle violence qu'elle se tordit autant de douleur que de plaisir en criant son nom.

17

Il avait roulé sur le côté et regardait fixement le plafond. Il pouvait se traiter de tous les noms, cela ne changerait strictement rien à ce qu'il venait de faire.

Après avoir fait preuve de tant de prudence, de tant d'attention, il avait finalement craqué. En quelques secondes, il avait tout gâché.

Elle était roulée en boule contre lui, tremblante. Et il avait peur de la toucher.

—Je regrette, dit-il enfin, conscient de l'inutilité de ses excuses. Je ne voulais pas te traiter ainsi. J'ai perdu la tête.

—Perdu la tête, répéta-t-elle dans un murmure, étonnée de se sentir si alanguie et à la fois si pleine d'énergie.

—Je sais que s'excuser est un peu bizarre. Tu veux que j'aille te chercher quelque chose ? Un peu d'eau ? Gray ferma les yeux en se maudissant à nouveau. Attends, je vais t'apporter une chemise de nuit.

—Non, ce n'est pas la peine. Brianna se retourna vers lui. Elle nota qu'il fuyait son regard et gardait les yeux rivés au plafond. Grayson, tu ne m'as pas fait mal, tu sais.

—Bien sûr que si.

—Je ne suis pas si fragile que ça, dit-elle, légèrement agacée.

—Je t'ai traitée comme une... Il ne pouvait pas lui dire une chose pareille. Pas à elle. J'aurais dû être plus délicat.

—Tu l'as déjà été. Que tu doives faire un effort pour l'être me plaît. Et tant mieux si je t'ai poussé à l'oublier. Ses lèvres s'incurvèrent et elle balaya une mèche sur son front.

—Tu crois m'avoir fait peur?

—Je sais bien que je t'ai fait peur. J'ai agi sans en tenir compte, dit-il en s'asseyant.

— Mais pas du tout. Ça m'a plu. Je t'aime. Gray cligna des yeux et pressa la main qu'elle venait de poser sur la sienne.

—Brianna, commença-t-il, sans avoir la moindre idée de ce qu'il allait dire ensuite.

—Ne t'en fais pas. Je n'ai pas besoin que tu me fasses des déclarations d'amour.

—Tu sais, souvent, les gens confondent le sexe et l'amour.

—Tu as sans doute raison. Mais crois-tu vraiment que je serais ici avec toi, si je ne t'aimais pas ? Les mots, c'était son domaine. Une dizaine d'excuses raisonnables lui vinrent instantanément a l'esprit.

— Non, avoua-t-il finalement, optant pour la fran-chise. Je ne le crois pas. Ce qui est encore pire. Il se leva pour enfiler son pantalon.

— Je n'aurais jamais dû laisser les choses aller si loin. J'aurais dû prévoir. C'est de ma faute.

— Ce n'est de la faute de personne... Brianna lui tendit la main pour qu'il vienne se rasseoir près d'elle au lieu de faire les cent pas.

— Tu ne devrais pas être triste de te savoir aimé,, Grayson, Pourtant, c'était le cas. Cela le rendait triste, le paniquait et, en même temps, lui redonnait une sorte d'espoir.

— Brie, je ne peux pas te donner ce que tu voudrais et devrais avoir. Avec moi, il n'y a pas d'avenir. Pas de maison à la campagne, pas d'enfants dans la cour. Ce n'est pas ma destinée.

—Mais, je ne te demande pas ça.

—C'est pourtant bien ce que tu veux.

—Ce que je veux, oui, mais pas ce à quoi je m'attends, répliqua-t-elle avec un sourire soudain lointain. J'ai déjà été rejetée. Et je sais ce que c'est que d'aimer quelqu'un et de ne pas être aimée en retour, du moins pas autant qu'on le voudrait. D'un bref regard, elle l'empêcha de l'interrompre. J'ai beau avoir très envie de continuer avec toi, Grayson, je survivrai sans toi.

—Je ne veux pas te faire de mal, Brianna. Je tiens à toi. Beaucoup. Elle leva un sourcil.

— Je le sais. Je sais aussi que tu es inquiet parce que tu tiens à moi plus que tu n'as jamais tenu à personne.

Il ouvrit la bouche, la referma et secoua la tête.

— Oui, c'est vrai. C'est nouveau pour moi. Je te donnerais beaucoup plus, si je le pouvais. Je suis désolé d'avoir été si peu délicat ce soir. Mais tu es la première femme... sans expérience que je connaisse, j'ai pourtant essayé de ne pas te brusquer.

Intriguée, elle pencha la tête.

—Tu devais être aussi nerveux que moi, la première fois.

—Plus, admit-il en lui baisant la main. Beaucoup plus, crois-moi. Toutes les femmes que j'ai rencontrées connaissaient les règles et les ficelles de l'amour. Des femmes expérimentées ou des professionnelles, et toi...

—Des professionnelles? s'exclama-t-elle en écarquillant les yeux. Tu as déjà payé une femme pour coucher avec elle ? Gray la dévisagea un instant. Il devait avoir les idées très embrouillées pour avoir dit une chose pareille.

—C'était il y a très longtemps. En tout cas...

—Pourquoi as-tu eu besoin de faire cela? Un homme aussi séduisant que toi, avec ta sensibilité

?

—Écoute, c'était vraiment il y a très longtemps.

Dans une autre vie. Inutile de me regarder ainsi.

Quand on a seize ans, qu'on est seul et à la rue, rien n'est gratuit. Pas même le sexe.

Pourquoi étais-tu seul et à la rue à seize ans ?

Gray se releva. Elle vit une lueur de honte et de colère passer dans ses yeux.

—Je ne tiens pas à parler de ça.

—Pourquoi?

—Seigneur! s'écria-t-il en se passant la main dans les cheveux. Parce qu'il est tard et qu'il faut dormir.

—Grayson, est-ce donc si difficile de me parler?

Tu sais pratiquement tout de moi, les bonnes choses comme les mauvaises. Tu crois que j'aurais une moins bonne opinion de toi si je savais ? Il n'en était pas sûr et, de toute façon, il s'en moquait.

— Brianna, c'est sans importance. Tout ça n'a rien à voir avec ce que je suis maintenant, ni avec nous.

Ses yeux verts se voilèrent, et elle se leva pour aller mettre la chemise de nuit qu'elle avait refusée un instant plus tôt.

— Après tout, ça ne me regarde pas.

—Décidément, tu es douée! s'écria-t-il furieux, en mettant les mains dans ses poches.

—Je ne vois pas de quoi tu veux parler.

—Tu le sais parfaitement. Tu t'arranges pour ne faire culpabiliser, tu prends ton air glacé et, ainsi, tu obtiens ce que tu veux...

—Je viens de te dire que ça ne me regardait pas. Si tu te sens coupable, je n'y suis pour rien.

—Très bien, marmonna-t-il en poussant un soupir, vaincu. Tu veux tout savoir? Alors, assieds-toi, je vais te raconter une histoire. Gray alla chercher dans le tiroir les cigarettes qu'il avait toujours avec lui et ne fumait qu'en travaillant.

—La première chose dont je me souvienne, c'est de l'odeur. Une odeur de poubelle et de mégots froids, dit-il en regardant monter les volutes de fumée au plafond. Et de l'herbe. Pas celle qu'on tond, celle qu'on fume. Tu n'en as probablement jamais fumé de ta vie.

Non, jamais. Brianna avait les mains posées sur les genoux, les yeux sur lui.

— Eh bien, c'est mon premier vrai souvenir. Je me rappelle aussi des bruits. Des voix qui crient, la musique à plein volume et des gens en train de faire l'amour dans la pièce d'à côté. Je me souviens que j'avais faim, je ne pouvais sortir de ma chambre parce qu'elle m'avait une fois de plus enfermé.

La plupart du temps, elle était défoncée et ne se souvenait pas toujours qu'elle avait un enfant qui avait besoin de manger.

D'un pas nonchalant, il alla chercher un cendrier, puis s'appuya contre la commode. En parler n'était finalement pas si difficile. C'était presque comme s'il inventait une scène dans sa tête. Presque,

— Un jour, elle m'a raconté quelle était partie de chez elle à seize ans. Pour échapper à l'autorité de ses parents. Ils étaient coincés, disait-elle. Quand ils ont découvert qu'elle fumait du hasch et qu'elle amenait des garçons dans sa chambre, ils sont devenus fous. Alors, un matin, elle est partie en stop et s'est retrouvée à San Francisco. Elle a joué les hippies pendant

quelque temps, et puis elle a fini par tomber dans l'enfer de la drogue, qu'elle se procurait en men-diant ou en se vendant au premier venu.

Il venait d'expliquer à Brianna que sa mère était une prostituée, une droguée, et s'attendait à une réaction scandalisée de sa part. Voyant qu'elle le considérait toujours d'un regard glacé, sur ses gardes, il haussa les épaules et continua.

— Elle devait avoir dix-huit ans quand elle s'est retrouvée enceinte de moi. Je crois qu'elle n'a jamais su exactement qui était le père. Toujours est-il qu'elle a décidé de me garder.

Gray tapota la cendre de sa cigarette et s'arrêta pour laisser le temps à Brianna de faire un commentaire. Mais elle resta assise sur le lit, les mains croisées, sans rien dire.

— D'aussi loin que mes souvenirs remontent, ma vie avec elle ne fût pas gaie. Elle passait d'un homme à l'autre, s'adonnant à des drogues de plus en plus dures. Elle me malmenait un peu, mais ne me frappait pas vraiment cela lui aurait demandé trop d'efforts, et un peu plus d'intérêt pour moi.

Quand elle était dans la rue ou qu'elle avait rendez-vous avec son dealer, elle m'enfermait à double tour. Nous vivions dans la crasse, et il faisait un froid de canard. Le thermomètre peut descendre très bas à San Francisco. C'est à cause de ça qu'un jour le feu a pris. Un habitant de l'immeuble a fait tomber un radiateur électrique. J'avais cinq ans, j'étais tout seul et enfermé dans ma chambre.

—Oh, mon Dieu ! s'exclama Brianna en mettant la main devant sa bouche.

—Je me suis réveillé en suffoquant, reprit-il de la même voix détachée. La pièce était pleine de fu-mée. J'entends encore les sirènes et les cris. J'ai hurlé et tapé contre la porte. Je n'arrivais plus à respirer, j'étais mort de peur. Je me suis allongé par terre en pleurant. Soudain, un pompier a enfoncé la porte et m'a emporté dans ses bras. Je ne me souviens pas comment nous sommes arrivés dehors, ni même d'avoir vu des flammes. Juste de la fumée.

Je me suis réveillé à l'hôpital. Une assistante so-ciale était là. Une jolie fille aux yeux bleus et aux mains douces. Il y avait aussi un flic. Il me faisait peur, car on m'avait appris dès mon plus jeune âge à me méfier de la police. Ils m'ont demandé si je savais où se trouvait ma mère. Je n'en savais rien.

Au moment où j'ai pu quitter l'hôpital, j'étais déjà embarqué dans le système. On m'a placé dans un foyer pour enfants, le temps de la rechercher. Mais ils ne l'ont jamais retrouvée. Je ne l'ai jamais revue.

—Ta mère n'est jamais venue te chercher ?

—Non. Ce n'était d'ailleurs pas plus mal. Le foyer était propre et on mangeait bien. Mais c'était très strict, ce dont je n'avais pas l'habitude. On me mettait dans des familles d'accueil, mais je m'arran-geais pour que ça ne marche jamais. Je n'avais pas envie de devenir le faux enfant de qui que ce soit, aussi gentils qu'étaient les gens. Certains étaient vraiment de braves gens, mais j'étais ce qu'ils appelaient un rebelle. Et ça me convenait très bien.

Être un semeur de troubles me donnait une identité. J'étais un gros dur avec une grande gueule et un sale caractère. J'adorais la bagarre, parce que j'étais costaud, rapide, et que j'avais souvent le dessus.

— Mais à l'école, au foyer... on était gentil avec toi

?

Une lueur moqueuse passa dans le regard de Gray.

— Oh, tout le monde était formidable. Dans ce genre d'endroits, on n'est rien d'autre qu'une statis-tique, un numéro. Bref, un problème. Et ils ont des tas d'autres numéros et de problèmes à s'occuper.

Certains se donnaient vraiment de là peine. Mais ils étaient pour moi l'ennemi, avec toutes leurs questions, leurs tests, leur règlement et leur disci-pline. Si bien qu'à seize ans, suivant l'exemple de ma mère, je me suis enfui. J'ai vécu dans la rue, en me débrouillant. Je n'ai jamais touché à la drogue, je ne me suis jamais vendu, mais il n'y a pas grand-chose d'autre que je n'aie pas fait. Gray s'éloigna de la commode et commença à marcher de long en large dans la chambre.

— J'ai volé, triché, trempé dans pas mal d'escroqueries. Un jour, un type que j'avais arnaqué m'a fichu une bonne dérouillée. Quand j'ai repris connaissance, la bouche en sang et plusieurs côtes cassées, je me suis dit qu'il devait exister un meilleur moyen de gagner ma vie. Alors, j'ai débarqué à New York où j'ai vendu des montres dans la rue, pratiqué le bonneteau.

Et j'ai commencé à écrire. Au foyer, j'avais reçu une éducation correcte. J'aimais bien écrire. Mais à seize ans, le gros dur que j'étais se refusait à l'admettre. A dix-huit ans, ça m'a finalement paru possible. Ce qui n'allait pas, en revanche, c'était que j'étais comme elle. J'ai donc décidé de devenir quelqu'un d'autre. Il s'interrompit un instant.

— J'ai changé de nom. Et de manière d'être. J'ai trouvé un job légal de serveur dans un café de Greenwich Village. Petit à petit, j'ai cessé d'être la petite crapule que j’étais pour devenir Grayson Thane. Et je ne regarde jamais en arrière, parce que ça ne sert à rien.

—Parce que ça te fait mal, corrigea doucement Brianna. Que ça te met en colère.

—Peut-être. Mais surtout parce que ça n'a rien voir avec ce que je suis maintenant. Elle se leva pour lui faire face.

— J'aime ce que tu es maintenant. Et elle éprouva un petit pincement au cœur sachant bien qu'il refusait ce qu'elle était prête à lui donner.

—Est-ce si douloureux de savoir ça, d'entendre que je suis désolée pour cet enfant, cet adolescent et que j'admire l'homme qu'il est devenu?

—Brianna, le passé ne compte pas. Pas pour moi insista-t-il. Pour toi, c'est différent. Ton passé remonte à des siècles. Tu baignes dans l'histoire, la tradition.C'est ce qui t'a formée. Pour cette raison, l'avenir est tout aussi important. Tu peux faire des projets à long terme. Pas moi. Je ne peux pas. Et je ne le veux pas .Pour moi, il n'y a que le présent. Il n'y a que l'instant qui compte.

Pensait-il qu'elle n'était pas capable de le comprendre, après tout ce qu'il venait de lui raconter?

Elle ne comprenait que trop bien ce petit, garçon meurtri, terrifié par le passé et l'avenir, qui s'accro-chait désespérément à ce qu'il pouvait retenir du présent.

—Eh bien, pour l'instant, nous sommes ensemble dit-elle en prenant doucement son visage entre ses mains. Grayson, je ne peux pas arrêter de t'aimer pour te faire plaisir. C'est comme ça. Mon cœur t'appartient, et je ne peux pas le reprendre. Même si je le voulais, je n'y arriverais pas. Cela ne veut pas dire que tu doives le prendre, mais tu serais bête de ne pas le faire. Ça ne te coûte rien.

— Je ne veux pas te faire de mal, Brianna, dit-il en refermant les doigts sur ses poignets. Je ne veux pas .

— Je sais. Toutefois, il lui en ferait sans doute.

Elle se demandait pourquoi il ne se rendait pas compte qu'il s'en ferait à lui aussi.

—Alors, contentons-nous de l'instant présent. Mais dis-moi une chose, ajouta-t-elle en effleurant ses lèvres. Quel était ton nom ?

—Diable, tu ne renonces pas facilement !

—Non. Le sourire de Brianna était à nouveau radieux, rempli de confiance.

—Logan, marmonna-t-il. Michael Logan. Elle éclata de rire.

—Un nom irlandais! J'aurais dû m'en douter. Tu as tellement de bagout, tellement de charme...

—Michael Logan n'était qu'un petit voleur minable à l'esprit borné qui ne valait pas un clou.

Brianna soupira.

— Michael Logan était un enfant négligé et bouleversé qui avait soif d'amour et de tendresse. Tu as tort de le haïr à ce point. Mais laissons-le en paix.

Puis, d'un geste qui le désarma, elle se pressa tout contre lui et posa la tête sur son épaule. Ses mains remontèrent le long de son dos, douces et caressantes. Elle aurait dû être dégoûtée par ce qu'elle venait d'entendre, révoltée par la façon dont il l'avait traitée au lit. Pourtant, elle était là, le serrant dans ses bras et lui offrant un amour d'une profondeur infinie.

—Je ne sais pas quoi faire de toi.

—Ne fais rien, dit-elle en effleurant son épaule d'un baiser. Tu m'as fait vivre les plus beaux mois de toute ma vie. Et tu te souviendras de moi, Grayson. Tout au long de ta vie.

Gray poussa un long soupir. Il ne pouvait le nier.

Pour la première fois de sa vie, il abandonnerait une partie de lui-même lorsqu'il s'en irait.

Le lendemain matin, il se sentait mal à l'aise. Ils prirent le petit déjeuner dans le salon de la suite dont les fenêtres donnaient sur Central Park. Il attendit qu'elle lui jette à la figure ce qu'il lui avait raconté la veille. Il avait enfreint la loi, avait couché avec des prostituées et s'était vautré dans les égouts des rues.

Mais elle était assise face à lui, fraîche comme une rose, parlant avec un bel enthousiasme de la visite qu'ils devaient faire à la Worldwide Gallery avant de partir à l'aéroport.

— Tu ne manges pas? Tu ne te sens pas bien?

—Si, si, dit-il en coupant un des pancakes dont il croyait avoir eu envie. Je crois que ta cuisine ne manque. Il n'aurait su mieux dire. Le regard inquiet de Brianna laissa place à un sourire ravi.

— Tu la retrouveras dès demain. Je te préparerai quelque chose de spécial.

Pour toute réponse, Gray émit un vague grognement. Il avait repoussé le moment de lui parler du voyage au pays de Galles afin de ne pas lui gâcher son séjour à New York.

—- Au fait, Brie, nous allons faire un petit détour avant de retourner en Irlande.

—Oh? Tu as un rendez-vous quelque part! demanda-t-elle en reposant sa tasse.

—Pas exactement. Nous allons nous arrêter pays de Galles.

—Au pays de Galles?

—Ça concerne ce paquet d'actions. Tu te souvient que j'avais demandé à mon courtier de se renseigne

—Oui. Il a découvert quelque chose?

—La Triquarter Mining n'existe pas.

— Mais bien sûr que si ! J'ai le certificat. Et une lettre.

Cette compagnie minière n'existe nulle part. Le numéro de téléphone qui figure sur l'en-tête est un faux numéro,

—Comment est-ce possible ? Ils m'ont offert millier de livres.

— Ton père s'est fait arnaquer, Brie. J'ai l'habitude de ce genre d'escrocs. Ils prennent une boîte postale trouvent un nom de compagnie bidon, imprime quelques prospectus et ils envoient un faux certificat à des gens naïfs en mal d'investir. Ils en-caissent leurs argent et, ensuite, ils s'évaporent dans la nature. Brianna resta silencieuse un instant.

Elle imaginait sans peine son père tomber dans ce genre de piège . Tous les projets qu'il avait faits au cours de sa vie s'étaient soldés par des échecs. A vrai dire, elle s'était même attendue à une affaire de ce genre dès qu'elle avait trouvé le certificat.

—Oui, je comprends bien, dit-elle enfin. Mais comment expliques-tu qu'ils m'aient répondu et proposé de l'argent ?

—Je ne l'explique pas... Quoiqu'il eût quelques petites idées sur la question,C'est pourquoi nous allons au pays de Galles. Rogan a pris des dispositions pour que son avion nous prenne à Londres et nous y emmène. Il nous ramènera à l'aéroport de Shannon quand nous voudrons.

—Je vois, dit-elle prudemment eh reposant sa fourchette et son couteau. Tu en as discuté avec lui, parce que c'est un homme, et vous avez tout arrangé tous les deux. Derrière mon dos.

—Je voulais seulement te rendre service. Je te rappelle qu'on a cambriolé ta maison. Tu ne fais pas le rapport? Brianna lui jeta un regard glacial.

—Non, mais tu vas sans doute m'aider à,le faire.

—Tu as écrit à cette compagnie et, peu de temps après, quelqu'un est venu fouiller la maison, A toute vitesse, en dépit du bon sens. Peu après, quelqu'un est venu épier sous tes fenêtres. Depuis combien de temps vis-tu dans cette maison ?

—J'y ai vécu toute ma vie.

— Et quelque chose de ce genre s'est-il déjà produit?

—Non, mais... Non. Jamais.

—Par conséquent, il suffit de relier les points. Je veux voir de quoi a l'air l'ensemble.

—Tu aurais pu m'en parler avant. Au lieu de ne rien me dire.

—Ce n'est qu'une théorie. Et puis tu avais l'esprit assez occupé comme ça, entre ta mère, Maggie, le bébé, moi... Sans parler de la femme que ton père a connue et que vous essayez de retrouver. Je ne voulais pas te charger d'un nouveau problème.

—Tu as essayé de me protéger.

—Évidemment que j'ai essayé de te protéger. Je n'aime pas te voir t'inquiéter. Je... Gray s'arrêta net, stupéfait par ce qu'il avait été sur le point de dire.

Mentalement, et physiquement, il battit en retraite.

Prudemment.

— Je tiens à toi, reprit-il.

—Bon, excuse-moi de l'avoir mal pris. Mais, je t'es prie, Gray, ne me cache pas les choses comme ça.

—Je ne le ferai plus, promit-il en lui caressant la joue, le cœur battant. Brianna...

—Oui?

Rien, fit-il en laissant retomber sa main. Nous ferions mieux de nous dépêcher un peu si nous vou-lons avoir le temps de passer à la galerie.

Quand ils arrivèrent au pays de Galles, il pleuvait, était tard, aussi allèrent-ils directement s'installe dans le petit hôtel sinistre où Gray avait réservé uni chambre. L'impression que Brianna eut de la ville Rhondda se limita à des rangées de maisons grises serrées les unes contre les autres, sous un ciel maussade, le long d'une route luisante de pluie. Pendant dîner, elle mangea à peine, et ils al-lèrent se coucher,épuisés.

Gray s'était attendu à l'entendre se plaindre. Il chambre était loin d'être extraordinaire et le vol aval été quelque peu mouvementé, même pour lui.

Mais le lendemain matin, Brianna ne dit rien, s'habilla et lui demanda simplement par quoi ils allaient commence.

— Je me suis dit qu'on pourrait passer à la poste on verra bien où ça nous mène.

Pendant qu'il la regardait faire son chignon, avec des gestes adroits et précis, il nota qu'elle avait des cernes sous les yeux.

— Tu es fatiguée.

— Un peu. Sans doute à cause du décalage horaire.

Et puis il me tarde de rentrer à la maison. Je ne peux pas obliger Mrs. O'Malley à rester trop longtemps... Elle se détourna du miroir.

Et toi, tu as envie de te remettre au travail. Ça se voit.

—Tu lis en moi comme dans un livre! fit-il en lui prenant les mains. Quand mon roman sera terminé, je disposerai d'un peu de temps avant de me lancer dans cette tournée de promotion. Nous pourrions partir quelque part. Où tu voudras. En Grèce, ou dans le sud du Pacifique. Ou aux Antilles. Ça te plairait? Un endroit avec des palmiers, de grandes plages, une mer toute bleue et plein de soleil.

—C'est tentant. Lui qui se targuait de ne jamais faire de projets, songea-t-elle, voilà qu'il se mettait subitement à en faire. Elle estima plus sage de ne pas le lui faire remarquer.

— Mais ce ne sera pas facile de repartir de sitôt.

Elle lui serra brièvement la main avant de la lâcher pour prendre son sac.

— Si tu es prêt, nous pouvons y aller.

Ils trouvèrent la poste sans difficulté, mais l'employée à laquelle ils s'adressèrent resta insensible nu charme de Gray. Elle ne pouvait donner les noms des gens qui louaient des boîtes postales, lui dit-elle sèchement. Si eux-mêmes souhaitaient en prendre une, elle ne révélerait leur nom à personne non plus.

Quand Gray mentionna la Triquarter Mining, il n'eut droit qu'à un vague haussement d'épaules., Ce nom ne lui disait rien.

—Raté, dit-il au moment où ils ressortirent.

—Tu ne pensais quand même pas que ce serait si simple.

—On ne sait jamais. Le hasard fait parfois bien les choses. Nous allons nous renseigner auprès des compagnies minières.

—Ne ferait-on pas mieux d'aller raconter tout ce qu'on sait aux autorités locales ?

— C'est ce que nous ferons, mais en temps voulu

.De bureau en bureau, ils répétèrent la même question, inlassablement, et obtinrent chaque fois la même réponse. Personne à Rhondda n'avait jamais entendu parler de la Triquarter Mining.

Au bout de quatre heures, Brianna en savait plus sur les mines de charbon et l'économie galloise qu'elle ne pourrait sans doute s'en souvenir. Mais rien sur la Triquarter.

—Tu as besoin de manger quelque chose, décida Gray.

—Je ne dirais pas non.

—Bon, nous allons nous restaurer et réfléchir encore une fois à tout ça. Essayons ici, fit-il en l'entraînant vers un petit pub.

En sentant l'odeur familière, Brianna eut plus encore envie d'être de retour chez elle. Ils s'installè-

rent à une table et Gray se concentra immédiatement sur le menu.

— Mmm... Du shepherd's pie. Il n'est sûrement pas

aussi fameux que le tien, mais on verra bien. Ça te tente?

— Ce sera parfait. Avec du thé.

Gray passa la commande et se pencha en avant.

—Bien, nous allons nous livrer à quelques suppo-sitions. C'est un de mes points forts. Imaginons que quelqu'un ait monté cette arnaque, que ça ait marché et même au-delà de ses espérances. Il a pu décider de se lancer dans une autre combine, ou bien de rentre dans la légalité et démarrer une affaire parfaitement légale qui se soit avérée encore plus payante que l'escroquerie. Dès lors, il deve-nait plus prudent de faire disparaître toutes traces compromettantes, et s'appliquer à les effacer.

—Tout ceci est un peu compliqué pour moi reconnut Brianna en se frottant la tempe.

Gray avala une grosse bouchée du plat qu'on venait de leur apporter.

— Rien à voir avec le tien, il n'y a pas de doute lâ-

cha-t-il avant de poursuivre. Mais il reste ces certificats d'actions, et il faut à tout prix les récupérer, quitte à offrir de l'argent en échange. Oh, pas grand-chose, juste de quoi ne pas éveiller les soup-

çons ou donner envie aux victimes de chercher à se renseigner davantage.

—Tu as l'air de savoir très bien comment tout cela fonctionne.

—Oui. D'ailleurs, si je ne m'étais pas lancé dans l'écriture...

Il laissa sa phrase en suspens et haussa les épaules, jugeant inutile de s'appesantir là-dessus.

— Nous allons encore procéder à une ou deux vé-

rifications, et ensuite, nous irons voir la police.

Brianna acquiesça d'un signe de tête, soulagée à l'idée de remettre toute cette histoire entre les mains des autorités. Demain matin, elle serait de retour chez elle. Penchée sur sa tasse de thé, elle se mit à rêver à son jardin, à Conco qui se précipite-rait pour l'accueillir et au plaisir qu'elle aurait à retrouver sa cuisine.

— Tu as fini ?

—Pardon? Gray lui sourit.

—Tu rêvassais?

—Je pensais à la maison. Mes rosiers doivent être en fleurs.

—Demain, à cette heure-ci, tu seras dans ton jardin, lui promit-il en comptant quelques billets qu'il déposa sur la table. En sortant, il la prit par l'épaule.

—Si nous attrapons un bus, nous aurons plus vite fait de traverser la ville. Mais je peux louer une voilure, si tu préfères.

—Ne sois pas ridicule. Prenons le bus.

— Alors, allons... Attends une seconde.

Brusquement, il lui fit faire demi-tour et la poussa vers l'entrée du pub qu'ils venaient de quitter.

—Tiens, tiens, voilà qui est intéressant, murmural-il. Tu ne trouves pas cela fascinant?

—Quoi ? Tu m'écrases.

—Pardon. Sans te faire voir, jette un coup d'œil discret de l'autre côté de la rue, dit-il, le regard brillant. Tu vois cet homme, là-bas ? Celui qui a un parapluie noir et marche vers la poste ?

— Oui, effectivement, dit Brianna au bout d'un instant. Je vois un homme avec un parapluie noir.

Et alors ?

—Il ne te rappelle rien? Si mes souvenirs son bons, il y a environ deux mois, tu nous as fait du saumon... et un diplomate.

—Je me demande comment tu fais pour retenir tout ça. Elle se pencha un peu plus en plissant les yeux, Il me paraît tout à fait quelconque. On dirait un juriste.,, ou un banquier.

—Bravo! En tout cas, c'est ce qu'il nous a dit, notre banquier londonien à la retraite.

—Mr. Smythe-White ! s'exclama Brianna.Tout lui revint d'un coup, et elle éclata de rire.

—C'est curieux, non ? Mais pourquoi nous ca-chons nous de lui ?

—Justement parce que c'est curieux. C'est même extrêmement curieux que ce monsieur, qui a passer une nuit chez toi, et qui était comme par hasard en promenade le jour où tout a été mis sens dessus dessous dans la maison, soit ici, au pays de Galles,en train de se diriger vers la poste. Tu veux parier qu'il a une boîte postale ?

— Oh ! s'écria-t-elle en se plaquant à nouvel contre la porte. Seigneur, qu'allons-nous faire ?

Attendre un peu. Et puis le suivre.

18

Ils n'eurent pas très longtemps à attendre. Cinq minutes à peine après être entré à la poste, Smythe-White en ressortit. Il jeta un coup d'œil à droite, puis à gauche, et remonta prestement la rue en balançant son parapluie.

—Zut, elle a vendu la mèche.

—Comment?

—Viens vite, dit Gray en lui prenant la main et en s'élançant à la poursuite du vieux monsieur. L'employée de la poste a dû lui dire que nous étions venus poser des questions.

—Comment le sais-tu ?

—Tout à coup, il a l'air très pressé.

Gray fit traverser Brianna en zigzag entre un camion et une voiture. Elle sentit son cœur s'accélé-

rer en entendant retentir les klaxons. Alerté, Mr.

Smythe-White se retourna, les aperçut et se mit à courir.

—Reste ici, ordonna Gray.

—Pas question. Et elle s'élança en courant derrière lui. Ils n'eurent bien entendu aucun mal à rattraper le vieil homme. Comprenant qu'il ne leur échappe-rait pas, il s'arrêta devant une pharmacie, hors d'haleine. Il sortit un mouchoir blanc pour s'essuyer le front, puis se retourna en écarquillant les yeux derrière ses lunettes étincelantes.

— Miss Concannon, Mr. Thane, quelle bonne surprise!

Malin, il trouva le moyen de leur sourire aimablement tout en portant la main à son cœur.

—Décidément, le monde est petit. Vous êtes en vacances au pays de Galles ?

—Pas plus que vous, rétorqua Gray. Il faut qu'on parle affaires, mon vieux. Voulez-vous le faire ici, ou préférez-vous aller au commissariat du coin ?

Mr. Smythe-White papillonna des yeux d’un air

innocent. D'un geste machinal, il retira ses lunettes pour les essuyer.

— Affaires? Je crains de ne pas bien vous suivre.

S'agit-il de ce regrettable incident qui a eu lieu à

votre auberge, Miss Concannon ? Comme je vous l'ai dit, on ne m'a rien pris et je n'ai à me plaindre de rien.

— Ce n'est pas surprenant, puisque c'est vous même qui en êtes l'auteur. Étiez-vous vraiment obligé de répandre toutes mes réserves par terre ?

—Pardon?

—Bien, ce sera donc le commissariat, fit Gray en agrippant Smythe-White par le bras.

—Écoutez, je n'ai pas le temps de jouer aux devi-nettes pour l'instant, bien que je sois ravi de vous avoir rencontrés, rétorqua-t-il en essayant de se dégager, en vain, de l'emprise de Gray. Comme vous l'avez sans doute remarqué, je suis pressé. Un rendez-vous que j'avais oublié. Je suis affreusement en retard.

— Voulez-vous récupérer ce certificat, oui ou non?

, Gray eut le plaisir de voir le vieil homme se figer en se mettant à réfléchir d'un air malicieux.

—Je regrette, je ne comprends pas de quoi vous parlez.

—Vous comprenez très bien, et nous aussi. Un escroc est un escroc, sous toutes les latitudes et dans toutes les langues. J'ignore quelle est la peine en-courue pour les fraudes et les contrefaçons au Royaume-Uni, mais je sais que, dans mon pays, elles peuvent être très lourdes. De plus. Vous vous êtes servi de la poste, Smythe-White. Ce qui a probablement été une erreur. Une fois qu'on a mis un timbre sur un document et qu'on l'a mis dans la boîte, la fraude se transforme en fraude postale. Ce qui est nettement plus embêtant.

— Allons, inutile de proférer des menaces... Le vieil homme sourit, toutefois son front était maintenant perlé de sueur. Nous sommes des gens raisonnables. Et cette histoire est ridicule. Nous pouvons la résoudre facilement, de manière à satisfaire tout un chacun.

—Très bien, parlons-en tout de suite.

—Nous pourrions peut-être le faire autour d'un verre. Je serais ravi de vous offrir un verre à tous les deux. Il y a un pub, là, juste au coin de la rue.

C'est tranquille. Nous serons au calme pour discuter.

—Pourquoi pas? Brie?

—Il me semble que nous ferions mieux de...

—De parler. Et Gray lui prit la main, tout en continuant à tenir fermement le bras de Smythe-White.

—Depuis combien de temps trempez-vous dans ce genre de combines ? demanda-t-il en marchant.

—Oh, avant même que vous soyez né, je suppose.

Mais je me suis retiré. Complètement, définitivement. Il y a tout juste deux ans, ma femme et moi avons acheté un petit magasin d'antiquités dans le Surrey.

—Je croyais que votre femme était morte, s'étonna Brianna.

—Oh, non, pas du tout. Iris est en pleine forme.

Elle m'a aidé à mettre fin à ces petites affaires.

Nous allons très bien tous les deux. En plus du magasin, nous avons des intérêts dans plusieurs entreprises. Toutes parfaitement légales, rassurez-vous. Gentleman jusqu'au bout des ongles, Smythe-White tira une chaise pour Brianna en arrivant au pub.

—J'espère, ma chère, que vous n'êtes pas trop choquée.

—Au point où j'en suis, plus rien ne me choque.

—Si nous prenions une Harp ? proposa-t-il, jouant les hôtes gracieux. Bon, comme je vous l'ai dit, nous nous sommes livrés à quelques petites escroqueries. Au départ, il s'agissait seulement de con-trebande de tabac et d'alcool. Mais nous avons fini par nous lasser. Et nous avons décidé de prendre notre retraite. Enfin, façon de parler. Cette histoire d'actions a été une de nos dernières aventures.

Mon Iris a toujours adoré les antiquités. Par conséquent, avec nos bénéfices, nous avons acheté cette petite boutique. Il fit un clin d'œil et sourit d'un air timide.Mais c'est sans doute de mauvais goût de vous raconter tout cela.

—Oh, surtout, que cela ne vous arrête pas! répliqua Gray en se calant sur sa chaise.

—Imaginez un peu notre surprise quand nous avons reçu votre lettre. Nous avions complètement, oublié cette histoire. J'avoue qu'Iris et moi avons un peu paniqué. Si quelqu'un faisait le rapport avec le passé, la réputation de notre magasin risquait d'en souffrir. Sans parler des poursuites lé-

gales...

—Vous auriez pu choisir d'ignorer cette lettre, dit alors Gray.

—Nous y avons pensé. Mais quand Brianna a écrit une seconde fois, nous avons décidé qu'il fallait faire quelque chose.

—C'est exactement ce que tu avais dit, murmura Brianna en se tournant vers Gray. Exactement.

—Qu'est-ce que tu veux, je suis doué, dit-il tout bas| en lui tapotant la main. Et alors, vous êtes ve-nu à Blackthorn Cottage afin de vous rendre compte par vous-même de la situation.

—Oui. Iris n'a pas pu m'accompagner car nous attendions un lot ravissant de Chippendale. Je dois admettre que l'idée ne me déplaisait pas. En partie par nostalgie, mais aussi par goût de l'aventure.

Votre auberge m'a littéralement enchanté, mais je me suis fait un peu de souci en apprenant que vous étiez liée à Rogan Sweeney. Après tout, c'est un homme important, et perspicace. Aussi... dès que l'occasion s'est présentée, j'ai essayé de retrouver le certificat.

Il posa sa main sur celle de Brianna et la serra avec bienveillance.

— Je suis sincèrement désolé pour les dégâts que je vous ai occasionnés. Mais je ne savais pas combien de temps je serais seul, voyez-vous. Si j'avais réussi à remettre la main sur ce maudit certificat, nous aurions pu mettre un terme à cette malheureuse histoire. Mais...

—J'avais confié le certificat à Rogan, expliqua Brianna. Pour plus de sûreté.

—Ah, je me doutais de quelque chose comme ça.

Je dois dire que j'ai trouvé bizarre qu'il ne donne aucune suite.

—Sa femme était sur le point d'avoir un bébé, il était occupé par l'ouverture d'une nouvelle galerie...Brianna réalisa tout à coup qu'elle était en train d'excuser son beau-frère. Et puis je pouvais m'en occuper moi-même.

—C'est bien ce que j ai compris quelques heures après mon arrivée chez vous. Une âme organisée représente toujours Un danger pour quelqu'un dans ma partie. Je suis revenu une fois, dans l'espoir de faire une nouvelle tentative. Mais, entre votre chien et le héros installé chez vous à demeure, j'ai préféré filer en vitesse. Brianna releva le menton.

—Vous étiez sous ma fenêtre.

—Sans aucune intention irrespectueuse, ma chère, croyez-moi. Je suis assez vieux pour être votre père et très heureusement marié. Il renifla légèrement, comme s'il se sentait insulté.

Mais je vous ai proposé de racheter les actions, et l'offre tient toujours.

A une demi-livre l'action, lui rappela, Gray d'un ton sec.

—Le double de ce que Tom Concannon les a payées. J'ai les papiers, si vous désirez une preuve.

—Oh, je suis sûr qu'un filou de votre espèce pourrait fournir sans mal tous les documents nécessaires. Smythe-White laissa échapper un long soupir désolé.

— Vous n'avez aucun droit de m'accuser de ce genre de conduite.

— Je pense que votre conduite intéresserait beaucoup la police.

Les yeux posés sur Gray, le vieil homme but une gorgée de bière.

—A quoi cela servirait-il, maintenant? Deux personnes du troisième âge, qui paient leurs impôts et s'aiment tendrement, envoyés en prison pour des bêtises qui appartiennent au passé...

—Vous avez trompé des gens, rétorqua Brianna

.Vous avez trompé mon père.

—Votre père a eu exactement ce pour quoi il payé, Miss Concannon. Un rêve. A la fin de notre petite transaction, il est reparti heureux, et regonflé d'espoir.Il lui sourit gentiment.

— Il ne cherchait rien d'autre, je vous assure.

Sachant que c'était la vérité, Brianna ne trouva rien à dire.

—Tout de même, ce n'est pas bien, se contentât-elle de remarquer.

—Mais nous nous sommes rachetés. Changer de vie demande beaucoup d'efforts, vous savez. Il faut du travail, de la patience et une solide détermina-tion. A ces paroles, Brianna releva les yeux. Si 'ce qu'il disait était sincère, il y avait deux personnes à cette table qui avaient fait ces efforts. Condamne-rait-elle Gray pour ce qu'il avait été autrefois ? Aurait-elle voulu le voir replonger à cause d'une erreur du passé ?

—Je n'ai aucune envie que vous ou votre femme alliez en prison, Mr. Smythe-White.

—Il connaît les règles du jeu, coupa Gray en serrant la main de Brianna. Si on veut jouer, il faut aussi payer. Nous pouvons peut-être nous passer des autorités, mais la courtoisie vaut largement plus de mille livres.

—Comme je vous l'ai déjà expliqué...

—Ces actions ne valent rien, je sais. Mais le certificat, en revanche, vaut bien, disons, dix mille livres,

Dix mille livres? s'écria Smythe-White en sa levant, l'air offusqué. Mais c'est du chantage. C'est du vol. C'est...

— Une livre par action, reprit Gray. Ça me paraît tout à fait raisonnable, si l'on considère ce que vous avez à perdre. Ce n'est nullement du chantage. Ce n'est que justice. Or la justice ne se négo-cie pas.

Tout pâle, le vieil homme sortit son mouchoir pour s'éponger le front avant de se rasseoir.

—Jeune homme, vous voulez m'arracher le cœur.

—Non, seulement votre chéquier. Qui est assez garni pour le supporter. Vous avez fait beaucoup de tort à Brie, et donné pas mal d'inquiétude. Je ne crois pas que vous vous rendiez bien compte de ce que sa maison représente pour elle. Vous l'avez fait pleurer.

—Oh, vraiment, je suis désolé, dit Smythe-White en agitant son mouchoir. Sincèrement désolé. Je ne sais pas ce que va en penser Iris.

—Si elle est maligne, je pense qu'elle vous dira de payer et de vous estimer heureux.

Le vieil homme soupira, puis remit son mouchoir dans sa poche.

—Dix mille livres... Vous êtes dur, Mr. Thane.

—Herbert, je crois que je peux vous appeler Herbert, car vous et moi savons que je suis en ce moment votre meilleur ami.

—C'est malheureusement vrai, fit le vieil homme en hochant la tête.

Changeant de tactique, il posa un regard rempli d'espoir sur Brianna.

—Je vous ai causé des soucis, et je le regrette.

Mais nous allons tout arranger. Peut-être pourrions-nous effacer la dette en vous offrant quelque chose ? Un petit voyage? Ou des meubles pour votre auberge? Nous avons quelques très belles piè-

ces à la boutique.

—C'est hors de question, dit Gray avant même que Brianna trouve quelque chose à répondre.

—Vous êtes dur, répéta Smythe-White en laissant retomber ses épaules. Eh bien, je suppose que je n'ai pas le choix. Je vais vous faire un chèque.

—Il vaudrait mieux du liquide. A nouveau, il soupira.

—Oui, bien entendu. Eh bien, c'est d'accord. Je vais faire le nécessaire. Vous vous doutez bien que je ne transporte pas une pareille somme sur moi.

— Naturellement. Mais vous pouvez vous la procurer d'ici à demain.

— Tout de même, il me faudrait un ou deux jours de plus.

Devant le regard impitoyable de Gray, il se rendit.

— Je vais télégraphier à Iris de m'envoyer l'argent

.Ça ne devrait pas être trop difficile de l'avoir demain.

— Ça ne devrait pas, non.

Smythe-White sourit d'un air las.

— Si vous voulez bien m'excuser un instant, il faut que j'aille aux toilettes.

Il se leva en secouant la tête et s'éloigna vers le fond du pub.

—Je ne comprends pas, souffla Brianna à l'oreille de Gray dès qu'il fut parti. Je n'ai rien dit parce que tu n'arrêtais pas de me donner de grands coups de pied sous la table, mais...

—Je t'ai frôlée, corrigea-t-il. Je t'ai seulement frô-

lée.

—Tu parles, je vais sûrement boiter pendant une semaine. Je ne comprends pas pourquoi tu lui demandes de payer une somme aussi énorme. Ça ne me parait pas juste.

—C'est parfaitement juste. Ton père voulait du rêve, et il l'a eu. Et ce vieux Herbert sait pertinemment qu'en jouant à ces petits jeux on risque toujours de perdre. Je ne pense pas que tu tiennes plus que moi à ce qu'on le jette en prison.

—Non, évidemment pas. Mais prendre son argent ainsi...

— II a bien pris celui de ton père, et ces cinq cents livres auraient sûrement été très utiles à ta famille.

— Bien sûr, mais...

—Brianna, qu'en aurait pensé ton père? Vaincue, elle posa son menton sur sa main.

—Il aurait pensé que c'était une énorme plaisanterie.

—Exactement. Gray jeta un coup d'œil en direction des toilettes.

— Il met trop de temps. Attends une minute.

Brianna considéra son verre d'un air renfrogné.

Puis ses lèvres esquissèrent un sourire. C'était vraiment une énorme plaisanterie. Que son père n'aurait pas manqué d'apprécier.

En redressant la tête, elle aperçut Gray sortir des toilettes et se précipiter vers le bar d'un air furieux.

Il eut une brève conversation avec le barman avant de venir la rejoindre.

—Alors?

—Oh, il a filé. Par la fenêtre. Le vieux filou...

—Filé ? répéta-t-elle en fermant les yeux. Moi qui commençais à le croire et à le trouver sympathique!

—C'est justement ce qu'un artiste de l'escroquerie est supposé faire. Mais je crois que nous lui avons quand même extirpé la vérité.

Qu'allons-nous faire? Je n'ai pas envie d'aller au commissariat. Je ne supporterais pas de vivre en imaginant ce petit homme et sa femme en prison.

Une idée lui traversa soudain l'esprit, et elle écarquilla les yeux.

—Seigneur ! Tu crois qu'il a vraiment une femme

?

—Probablement. Gray but un peu de bière tout en réfléchissant. Pour l'instant, il ne nous reste plus qu'à rentrer à Clare et à le laisser mijoter. Nous verrons bien. Le retrouver ne devrait pas être très difficile.

—Comment ferons-nous ?

Sous le regard stupéfait de Brianna, Gray sortit un portefeuille de sa poche.

— Je le lui ai subtilisé quand nous étions dans la rue. Ça pourra servir, expliqua-t-il tandis qu'elle le regardait d'un air ahuri. Malgré toutes ces années, je n'ai pas trop perdu la main. Je devrais avoir honte, je sais. Ne me regarde pas comme ça, il n'y a là-dedans

que quelques billets et une carte d'identité.

Calmement, Gray retira les billets et les fourra dans sa poche.