CHAPITRE IX
Finalement il y eut assez peu de missions à longue distance. Une dizaine de jours plus tard la nouvelle tomba. Le 6021 allait lancer ses troupes. Pour la première fois la Task-Force procédait à un débarquement sur une planète ennemie !
Les pilotes d’Intercepteurs perdirent la vedette et n’en furent pas mécontents. Dans les niveaux inférieurs c’était le bouillonnement. On faisait des exercices de sorties avec les gros Transports qui allaient larguer les blindés et les troupes au sol.
Personne ne savait à quoi ressemblait un débarquement. Le 6021 n’en avait jamais eu l’occasion. Même à l’entraînement. On s’attendait à de la casse…
Padge fit un briefing pour expliquer que la tâche des Intercepteurs serait d’empêcher les Géos de venir faire un massacre de Transports. Il fallait leur interdire les abords de la planète et aussi barrer la route à des renforts, bien entendu.
Deux jours plus tard ils apprirent que le 6021 serait déplacé après le débarquement pour manœuvrer avec la Task-Force, ce qui imposerait aux Intercepteurs de se poser sur le sol de la planète pour prendre les alertes d’interdiction…
Les Saucisses allaient être équipées de nouveaux propulseurs d’appoint pour pouvoir descendre en atmosphère et surtout en pesanteur standard. Les redécollages seraient impossible et des Tracteurs allaient être modifiés à leur tour pour venir les chercher au sol et les ramener dans l’espace ou les propulseurs normaux des Intercepteurs seraient réactivés. Salement compliqué ! Du bricolage, même.
Les premiers jours, néanmoins, les missions s’effectuèrent à partir du Porteur qui préparait ainsi le débarquement.
Tout de suite les combats furent féroces. L’ennemi savait ce qui était en jeu. Maintenant il défendait son territoire et sa mentalité changeait. Le 122 faisait trois ou quatre sorties par jour. Mais les pertes n’étaient pas considérables. Un type et une fille du B et du C furent portés disparus.
Dji ajouta une victoire à son tableau de chasse : neuf ! Elle n’en paraissait pas fière pour autant.
Son visage se creusait à nouveau avec la fatigue. Elle souriait moins. Comme eux tous… Gurvan n’avait toujours rien descendu et était de plus en plus désabusé. L’éternel N°2.
Un matin de très bonne heure ils décollèrent en catastrophe au-devant d’une formation de Raiders avec son escorte de Géos. Le combat se déroula très près du Porteur qui tentait de s’éloigner.
L’alerte avait été donnée trop tard, la paire d’Intercepteurs qui montait la garde avait été abattue.
Gurvan ne lâcha pas son N°1 d’une semelle et n’eut même pas l’occasion de tirer. Il avait l’impression d’être exclusivement un bouclier arrière pour son N°1, sans avoir sa chance de remporter une victoire. Et pas de raison que ça change puisqu’on leur serinait de ne jamais lâcher leur leader. Discipliné, il obéissait, se disant qu’il exploserait sans avoir jamais descendu un Géo.
Au retour il manquait trois Saucisses mais les Raiders n’étaient pas passés.
Gurvan alla tout de suite au mess boire un pot de bélak. Ils ne reprenaient pas l’alerte avant une heure. Dji se pointa dix minutes plus tard et vint s’attabler devant lui, un pot à la main.
— Vous avez été tirés de près, elle fit après un instant. Ce n’était pas une question et il hocha la tête.
Elle avait du voir ça.
— Pourquoi tu n’as pas bougé ?
Il leva la tête.
— On était en virage serré, ils allaient forcément nous perdre très vite. Pas le temps de lâcher plus d’une rafale.
— Et alors ? Ils savent tirer, et tu étais leur première cible. Elle avait parlé un peu sèchement et il fut surpris. Il haussa les épaules avec lassitude.
— Je suis là pour suivre mon N°1, non ? C’est ce que je fais.
— Non !
Ça avait claqué.
— …Tu te suicides. En outre c’est un manquement aux ordres. Tu dois prévenir ton leader de ce qui se passe derrière et qu’il ne peut pas voir, et tu dois dégager immédiatement.
C’était la première fois qu’elle lui parlait en employant ce ton. Son ton d’officier-pilote. Il accusa durement le coup.
Il se raidit et jeta, réglementairement :
— Je n’ai pas eu le temps, je le regrette, mademoiselle.
Il crut qu’elle allait le frapper.
— Ne recommence jamais ça, sinon je demande ta mutation au A et je te prends comme N°2. Je te ferai dégager à temps, moi !
Elle se leva et partit sans avoir touché à son bélak. Il était blême…
C’est deux jours plus tard que le débarquement eut lieu. Une véritable flotte sortit des halls des niveaux inférieurs du 6021 et se dirigea vers le point de rassemblement avec les flottes des autres Porteurs.
Quand la 122 jaillit, en protection, les pilotes découvrirent une fantastique armada qui faisait route vers une planète toute proche. Une planète d’un brun foncé. Une planète vivable ! La première de leur vie…
Des Intercepteurs ennemis furent signalés sur le flanc gauche mais furent engagés par les Escadres des autres Porteurs. Padge les fit patrouiller le long de l’immense formation jusqu’aux abords de la planète. Ils n’avaient pas encore leurs nouveaux propulseurs d’appoint, pas question pour eux de se poser.
Pendant deux jours ils sillonnèrent les abords en participant à quelques combats vite achevés.
Curieusement les Géos étaient assez rares. A bord, des bulletins d’informations étaient régulièrement diffusés, les tenant au courant de ce qui se passait au sol. Apparemment ça se bagarrait dur. Les troupes s’étaient posées en trois endroits, sur deux continents, et tentaient de prendre en tenaille les forces ennemies.
L’alerte sonna alors qu’ils terminaient de déjeuner. Ils cavalèrent tout de suite pour s’habiller. Les Saucisses avaient été équipées dans la nuit avec les propulseurs d’appoint pour la descente en atmosphère, qui ressemblaient comme des frères aux précédents, si ce n’est qu’ils étaient placés sous le ventre des Saucisses, entre les patins. Et pour cause, leurs tuyères de sustentation éjectaient vers le dessous, pour combattre la pesanteur.
En s’habillant rapidement, Gurvan songea à ce que lui avait dit Sank, la veille eau soir. Ils avaient dîné seuls, ce qu’il préférait. Surtout pas envie de voir Dji après sa sortie de l’autre jour ! Elle l’avait d’ailleurs évité, elle aussi.
D’après Sank, les décollages du sol seraient tangents. Ils n’avaient aucune expérience et la poussée était difficile à maîtriser, disait-on, en atmosphère. En outre il faudrait probablement faire plusieurs retours au sol et le propulseur d’appoint ne permettait qu’une seule manœuvre. Des Escadres de Tracteurs avaient donc été désignées, après modification des engins, pour ramener également les Intercepteurs. En principe on débarquerait des propulseurs pour rééquiper les Saucisses sur place. Le grand bricolage.
— Je ne sais pas si tu imagines le bordel des jonctions dans l’espace, entre Tracteurs et Saucisses, pour descendre ensuite en atmosphère. Tout ça sent l’improvisation, ce qui m’épate. En général tout est très étudié.
Sank faisait parti de l’Escadre de Tracteurs modifiés. Il était plutôt content de découvrir un nouveau domaine de vol mais n’était pas très chaud pour ces manœuvres.
Le casque à bout de bras, Gurvan courut vers le sas et se heurta à un autre pilote qu’il ne reconnut pas immédiatement. Dji.
— Salopard ! elle lâcha au passage. Il resta comme un idiot, la regardant cavaler vers la droite ou étaient les appareils du A.
Gonflée… C’est elle qui lui avait volé dans les plumes et elle le traitait de salopard ? Il sentit la rogne monter. Pour qui elle se prenait, cette fille !
Tremblant de colère, il s’installa dans sa Saucisse, laissant les deux auxiliaires le harnacher, les yeux fixés sur Dji, là-bas, qui baissait le toit de son poste – Elle tourna la tête de son côté, comme si elle avait senti son regard, et leva un poing.
La vache, la petite vache ! Il allait… Il se calma d’un seul coup en se retrouvant devant son écran activé. Le dessin du propulseur d’appoint apparaissait sur le coin gauche avec les symboles lumineux des séquences à lancer pour son usage. Il se plongea dans les tâches à accomplir.
Padge annonça le cap dès qu’ils furent sortis. Gurvan avait rejoint Jary dont il était à nouveau le N°2 et regardait les autres paires se former.
Finalement la petite formation de Raiders qu’ils étaient censés intercepter fut accrochée par une autre Escadre.
— Briscard Autorité à tous, on se pose au sol. Le C d’abord, le A ensuite. Le B couvre la manœuvre.
Djakar accusa réception le premier et les emmena sur le côté. Ils virent les Saucisses plonger les unes après les autres vers le sol lointain, suivant un guidage radio qui les faisait descendre en direction du point précis ou on les attendait.
Deux d’entre elles zigzaguèrent un instant et allèrent se percuter…
— Gardez constamment le contrôle de la sustentation !
La voix de Padge, calme comme toujours, résonna dans le poste. C’était totalement nouveau, cette histoire de sustentation et ils nageaient un peu. Deux copains perdus !
Quand ce fut au tour de Gurvan, il entama la procédure, laissant la main sur les contrôles de l’appoint. Quatre touches simples.
Très vite la Saucisse se mit à trembler. Elle semblait vaciller. Gurvan retrouva des impressions de Porteur. Instinctivement il augmenta les valeurs de débit. Ça se calma immédiatement. Pourvu qu’il y ait assez d’énergie ? Ce truc en consommait à une vitesse invraisemblable. Manifestement pas au point. En tout cas la Saucisse descendait sur une trajectoire correcte, d’après le guidage.
Il vit apparaître l’atmosphère et fut abasourdi. Tout était bleu autour de lui. Il était fasciné. Alors c’était ça, le ciel ?
Un couineur se fit entendre et le sortit de ce rêve. Le niveau d’énergie diminuait trop vite ! Il diminua le débit. La Saucisse parut glisser plus vite vers le sol, mais comme portée. Il avait tendance à quitter l’axe idéal de descente et corrigea aux tuyères latérales au lieu d’utiliser les commandes du propulseur d’appoint.
Ça marcha. Presque tout de suite il vit que le sol était là, à peine à deux mille mètres en dessous. Il attendit encore une dizaine de secondes et remit la sauce ; Son appareil ralentit et il entendit pour la première fois un grondement épouvantable. Il comprit immédiatement que l’atmosphère restituait le son beaucoup mieux que l’air dans son poste, en espace.
Le poser fut un peu brutal mais les patins encaissèrent les g et sa colonne vertébrale aussi… Il largua le propulseur ventral, désormais vide, qui glissa au sol, dessous.
Le toit ouvert il se redressa et, enlevant lentement son casque, il respira.
Une chaleur terrible, ici. Ils étaient posés dans une savane à l’herbe jaune et sèche. Un vent léger et chaud soufflait, paraissant encore élever la température. Des quantités d’odeurs lui parvenaient. Il retrouvait brutalement celles des serres de son enfance, dans le Materédu. En plus puissantes…
Les yeux à demi fermés il resta longtemps immobile.
— Hé ! Gurv, tu descends ou quoi ?
En bas Rom s’agitait, le casque au bout du bras.
Les Saucisses étaient posées n’importe où et il se dit que ça n’allait pas. C’était un sacré bordel, tout ça. Pas sérieux, surtout.
Une échelle métallique reposait sur le flanc de la Saucisse et un gars en tenue de combat lui faisait signe impatiemment. Pour la première fois il remarqua les éclairs, au loin. Ils étaient en zone opérationnelle et une bataille avait lieu, à l’horizon. Il se souvint de ce terme qu’il avait appris, autrefois, sans bien en imaginer le sens.
Fantastique. Tout ça était fantastique. Il avait envie de se mettre nu, malgré la chaleur, pour « sentir » avec sa peau l’air de cette planète. Ses yeux lui faisaient mal avec cette lumière intense mais il ne voulait pas remettre son casque à la visière filtrante.
— T’arrives ou quoi ? Rom s’impatientait. Il commença à descendre l’échelle tant bien que mal.
— Padge nous attend là-bas, il fit en tendant le bras. Tu sais qui s’est planté ?
— Non.
— Des gars du C.
— Oui, ça je l’avais vu.
— Vachement pointue la descente, hein ? Il ne répondit pas, suivant son copain qui reprit :
— Ouais, forcément toi t’as pas trouvé ça dur.
— Pourquoi tu dis cette connerie ?
— Ben… le pilotage, quoi.
Padge leur fit un topo rapide sur le décollage. Des Tracteurs n’allaient pas tarder à se ramener et resteraient à leur disposition en cas d’alerte. Si rien ne se produisait ils resteraient là jusqu’au lendemain.
Sur la gauche, un petit véhicule à effet de sol était surmonté de l’antenne classique du radio guidage.
— Il y a plusieurs sites comme celui-ci. N’essayez pas de revenir systématiquement ici. Prenez le premier guidage qui se présente, disait Padge qui s’épongea le front. On va vous donner à boire, n’hésitez pas. Nous n’avons pas l’habitude de ces chaleurs sèches. Si quelqu’un se sent trop mal, pas question de décoller. Voilà, c’est tout, restez à l’ombre aux alentours.
Gurvan s’éloigna pour s’asseoir seul. Il voulait gouter le plaisir d’être là. Des insectes volaient au ras de l’herbe. Il n’avait jamais vu une herbe aussi grossière et aussi jaune. Dans les serres elle était très verte et tellement plus fine. Presque transparente, parfois.
Il finit par s’endormir et fut réveillé par le grondement de six Tracteurs qui vinrent se poser tout près des Saucisses. Il ne connaissait pas les gars.
Peu avant la nuit une alerte arriva. Padge les rassembla, montrant un tableau de mission.
— Trois paires du B, vont décollez. Des Géos attaquent des Transports en approche. Gurvan fonça vers son appareil, mal à l’aise avec ses bottes de combinaison. Un Tracteur était déjà en train d’allumer son propulseur près de la Saucisse. Le sien, probablement. Un type des troupes au sol retira l’échelle dès qu’il fut debout dans le poste et il se harnacha seul. Tous les systèmes activés, il attendit le signal du Tracteur qui le contacta.
— Prêt ?
— On y va.
Le Tracteur quitta le sol et disparut, juste au dessus de la Saucisse qui fut secouée par le flux des propulseurs de sustentation.
Gurvan avait ouvert les trappes, se demandant si les crochets résisteraient… Avec les tremblements de la coque, l’accrochage fut laborieux. Puis le gars mit la puissance et ce fut terrible. La Saucisse était bombardée de particules et vibrait horriblement. Gurv avait placé ses doigts sur la mise en action de son propulseur pour ne pas perdre une seconde, hors de l’attraction. Le sol commença à descendre. Mais les vibrations paraissaient de plus en plus fortes ! Il ne quittait plus des yeux l’affichage automatique de l’altitude.
A dix mille mètres le Tracteur commença un déplacement longitudinal, allumant son propulseur de poussée. Gurvan se dit qu’il aurait peut-être mieux valu qu’il soit en marche plus tôt. Il sentait confusément qu’un décollage devait se faire avec une vitesse horizontale.
29000 mètres… le taux de montée semblait plus faible, soudain. Il eut une seconde d’hésitation et pressa le démarrage de son propulseur.
Trois secondes plus tard il y eut une détonation sourde. Par réflexe il sélectionna la libération des crochets et enfonça la puissance. Dans l’écran arrière il aperçut le Tracteur qui tombait en tournoyant…
Préoccupé par son pilotage il le quitta des yeux. La pesanteur se faisait encore sentir mais il se mit en orbite sans trop de difficulté.
— Briscards Bleu 4, en espace, il annonça pour le contrôle au sol. Comment est le Tracteur ?
La réponse tarda à venir.
— Il s’est crashé. Panne d’alimentation, apparemment.
La voix de Padge, qui reprit :
— Comment ça s’est passé ?
— Tout vibre beaucoup trop. La Saucisse a l’air de l’avoir supporté mais j’entame une vérification générale.
— Rien à dire sur la montée ?
Il hésita vaguement puis se lança :
— L’impression qu’il faudrait décoller avec une vitesse sur trajectoire.
— On va y réfléchir. Les autres vous rejoignent… sauf Bleu 3. Il s’est crashé avec son Tracteur.
Bleu 3 c’était Vitch, son n°1. Un gars qu’il ne connaissait pas très bien. Quelle vacherie d’y rester comme ça… Il s’éloigna un peu pour attendre les autres tout en contrôlant sa machine. Tout avait l’air en ordre.
Ils furent là moins de cinq minutes plus tard, menés par Rom, le plus ancien N°1 en titre, faisant donc fonction de chef de Patrouille pour la première fois. Sa voix trahissait sa joie.
Ils tombèrent sur les Géos avant de découvrir les Transports amenant les renforts. Huit appareils en formation serrées. Des mecs expérimentés, visiblement.
— Bleu 4 tu nous suis, ordonna Rom.
Gurvan avait vaguement espéré être seul et tenter sa chance, enfin, mais obéit sans faire de commentaires.
Rom les engagea en une spirale comme aimait le faire Rahl, autrefois. Et ça marcha. Dès la première passe la formation ennemie éclata. Une paire fut même disloquée. La suite fut une succession de tirs dans tous les sens. Gurvan avait envie de dire de se calmer mais ce n’était pas à lui de donner des ordres. Ce serait vache pour Rom. Pourtant il remarqua pour la première fois qu’il était capable de combattre, piloter et regarder autour de lui.
Au bout d’une demi-heure d’évolutions serrées, de dégagements in extremis, il était toujours derrière la paire de Rom et les Géos s’éloignèrent. Inutile d’essayer de les suivre bien longtemps, ils allaient trop vite. Ils vérifièrent simplement que ce n’était pas une manœuvre. De toute façon les Transports étaient à l’abri, maintenant. La mission était remplie. Sans victoire, mais sans perte.
— Bon, on revient, Briscards.
Un peu d’anxiété dans le ton de Rom. Ils appréhendaient tous le retour avec les Tracteurs puisqu’ils n’avaient plus les ventraux.
Ils passèrent du côté au soleil de la planète et attendirent les Tracteurs au-dessus d’un continent ou les troupes se battaient. Rom annonça leur position et les engins s’amenèrent rapidement. Ils étaient en orbite d’attente. Rom donna l’ordre de descente, plaçant Gurvan en premier. Il voulait probablement donner confiance aux autres. Gurv en fut un peu étonné.
— Gurvan est là ? interrogea la radio. La voix de Sank !
— Salut. Tu es dans le coin, Sank ?
— Pas loin. C’est notre Escadron qui vous a pris en charge. T’en fais pas, mon gars, on a eu le temps de mettre au point une petite technique. Ça va coller.
Gurvan sourit, réconforté. Si Sank avait cru bon d’ajouter cette précision, c’est qu’effectivement ils avaient jugé la méthode initiale trop acrobatique et avaient surement trouvé la parade. En effet la descente sous son Tracteur se fit bien différemment. Ils entamèrent une longue pente accentuée, à assez grande vitesse, puis sur l’axe de radioguidage automatique de la balise-sol et ne ralentirent qu’à moins de mille mètres du sol ou le Tracteur vint lâcher la Saucisse doucement. Du travail d’expert !
— Impeccable, Briscards, il envoya à destination des autres, qui attendaient pour voir comment ça se passait.
Le toit ouvert il entendit une succession de détonations et tourna la tête, surpris.
— Descendez de là, vous… vous allez vous faire griller !
C’est à ce moment-là seulement qu’il prit conscience de ce qui se passait. Le véhicule de contrôle brulait et des tirs thermiques jaillissaient de partout ! Le Tracteur encaissa et s’effondra sur le côté. Il rebrancha la radio immédiatement.
— Rom… restez en orbite ! Ça se bagarre ici.
Je te préviendrai. Puis il se laissa glisser de la coque de la Saucisse jusqu’au sol. Le choc fut plutôt rude mais il récupéra, content de ne pas s’être bousillé une cheville.
— Amène-toi, je te couvre…
Un grand gaillard, en tenue des troupes de choc, lui faisait signe trente mètres à droite, sortant à demi de derrière un rocher. Il épaulait un gros thermique d’assaut. Gurvan ne réfléchit pas et se rua en avant. D’instinct, il faisait des crochets comme il avait vu sur les enregistrements qu’on leur passait à bord.
Il lui sembla que de la poussière volait près de lui, à plusieurs reprises. Un plongeon et il se retrouva avec l’autre gars, le visage barbouillé et sillonné de traces laissées par la transpiration, comme des passages de larmes.
— De justesse, mon gars. Mais tu cours pas mal pour un navigant. Il devait avoir une tête particulière, tous les inconnus l’appelaient « mon gars ».
— On peut savoir ce qui se passe, ici ?
— Une contre-attaque de commandos. C’est la quatrième fois qu’ils nous font le coup depuis deux jours. Mais cette fois ils y mettent le paquet. Je suppose que c’est vos engins qu’ils visent. Ils savent bien qu’ils représentent notre soutien logistique.
Pour la première fois Gurvan remarqua l’insigne de chef de Section sur l’épaule du soldat.
— J’ai dit aux autres d’attendre là-haut.
— Une sacrée bonne idée, mon gars. On va pouvoir manœuvrer. Je voulais rester ici pour protéger tes copains et ça laissait la liberté d’action aux salopards.
Il plaça devant sa bouche un minuscule micro et commença à donner ses ordres. Gurvan regarda autour de lui. Un corps était effondré, à deux ou trois mètres en retrait. Il s’y glissa pour s’emparer d’un thermique d’assaut que le mort avait lâché.
— Ramasse aussi ses batteries de recharge, gueula l’autre type. La ceinture autour de ses épaules.
Gurvan chercha des yeux et défit la large ceinture comportant des alvéoles. Puis il revint à l’abri du rocher.
Le chef de Section lui montra comment utiliser le thermique et le recharger.
— Tu as 45 secondes de tir par batterie. Si tu arrives à lâcher de très courtes rafales tu en as pour un moment avec ça. OK ? Faut que je m’occupe de mes gars. Tu peux rester là.
Gurv hocha la tête, encore trop effaré par ce qui se passait aux alentours pour poser des questions. Resté seul, il commença par regarder en levant prudemment la tête pour se faire une idée. Il n’était pas vraiment effrayé, ne se rendait absolument pas compte des risques. Ça changea quand il eut fait un tour d’horizon.
Partout ou il portait le regard, c’étaient des éclairs de Thermique. L’ennemi semblait avoir encerclé la zone de poser et on distinguait des dizaines de cadavres… Il aperçut le grand gaillard qui se faufilait sur la droite et plongea quand les rayons convergèrent soudain de son côté. Il était bloqué...
Gurvan repéra d’où partaient les rafales et remonta son arme. Le système de visée était rudimentaire, il s’y adapta tout de suite. Il aligna un trou, assez loin, d’où partaient au ras du sol des rayons émiettant le petit rocher derrière lequel se trouvait le chef de Section.
Quand il pressa la mise à feu, il y eut un chuintement discret. Il s’était efforcé de tirer très brièvement et il aperçut l’impact, là-bas, avant le trou. Il rectifia immédiatement et tira de nouveau. Il eut l’impression d’avoir fait mouche mais ne vit rien apparaître. Enfin le feu cessa.
Il passa alors à un autre tireur, invisible lui aussi, à part le départ de son thermique. C’est fou ce que ces types se camouflaient bien. On ne voyait aucune silhouette !
Cette fois il lâcha une rafale un peu plus longue, en balayant. Ça marcha encore… Plus loin, le chef de Section lui fit un signe de la main, que Gurvan ne comprit pas et se redressa pour cavaler vers un autre abri. Difficile de deviner ou il pouvait bien aller. Gurvan poursuivit le tir, en continu, pour le protéger pendant qu’il était à découvert. Puis il s’accroupit pour remplacer la batterie désormais vide. Il était occupé quand la chaleur monta brutalement autour de lui.
Relevant la tête il vit le sommet du rocher qui l’abritait couronné de feu ! Du coup il plongea au sol, ne sachant plus que faire. Presque tout de suite il eut très chaud au visage. On le tirait en oblique…
D’instinct il rabattit la visière de son casque et recula autant que possible. Un petit filet de roche liquide descendait le long du rocher et se solidifiait au sol.
Il chercha des yeux un autre abri… Rien à proximité. Impossible de rester ici, pourtant. Il allait se faire griller !
Le feu se ralentit une seconde et il se retrouva en train de courir comme un fou, sans savoir ou ! Il avait quitté les rochers par réflexe dès que ça avait été possible et songea que c’était une connerie. Des impacts se rapprochaient, sur le sol ! Il entama des crochets en désespoir de cause.
C’est comme ça qu’il vit le véhicule du contrôle, en flammes tout à l’heure. Tout l’avant avait brulé mais l’arrière semblait intact. Et, à l’arrière se trouvait un thermique lourd, derrière un blindage de protection.
Il obliqua et plongea…
Juste à temps, les impacts se rapprochaient de ses pieds. Il reprit son souffle et regarda l’arme lourde, au-dessus de sa tête. Pas l’air abîmée… Il y avait une boucle qui apparaissait à l’arrière de son thermique de combat. Il la tira, révélant une lanière qu’il passa à son épaule pour suspendre l’arme. Puis il se hissa doucement derrière le blindage.
Deux cadavres effondrés… Il les poussa sans y penser et s’assit à la place du tireur. Apparemment ça fonctionnait comme les armes plus petites. Il prit les commandes, espérant seulement qu’il y avait assez d’énergie dans la batterie parce qu’il serait incapable de réalimenter l’engin.
Juste devant ses yeux une lunette de visée grossissante lui permit de distinguer le sol avec un luxe de détails inouï. Il commença à faire tourner le blindage avec les pieds, il ne devait plus y avoir d’alimentation pour le système mécanique.
Un type en tenue jaune… Il eut un instant d’hésitation puis reconnut l’uniforme ennemi et il fit feu. L’éclair fut brutal.
Là-bas le gars semblait avoir disparu. Quand la poussière se dissipa, Gurvan distingua un tas noir sur le sol et eut un haut-le-cœur ! Saloperie de combat…
Deux éclairs vinrent frapper le blindage, venant de la gauche. Il se secoua et fit pivoter le thermique lourd. Au tir suivant il avait repéré l’endroit qu’il arrosa de petites rafales.
La suite fut confuse dans sa mémoire. Il se souvint qu’il avait tiré, tiré. Se revoyait faisant pivoter la tourelle dans tous les sens, arrosant partout. Appréhendant l’épuisement de la réserve d’énergie...
Et puis le chef de Section fut là, à côté, lui frappant l’épaule…
— Eh, ça va, ça suffit. Tu vas toucher mes gars !
— Hein ?
Il ne comprenait pas bien, abruti de fatigue.
— Ils ont décroché et on m’envoie du renfort Tu peux arrêter. Un des miens va prendre la suite. Il le regarda un moment.
— Ils sont tous comme toi dans l’Interception ?
— Quoi ?
— Je veux dire… ils se bagarrent autant ? Je vous croyais plus délicats, dans vos engins bien à l’abri. Les repas chaud, les douches matin et soir, ça ne prépare pas aux combats au sol. Gurvan se reprenait et haussa les épaules.
— J’avais l’impression que c’était pas le moment de se poser trop de questions.
L’autre rit et lui frappa l’épaule.
— Content que tu aies été là, mon petit sergent. Dans cinq minutes on va t’apporter à boire, tu dois crever de soif ?
— Oui, plutôt… Dites, c’est toujours aussi violent, vos combats, par ici ?
— Oh ! là, c’était pas tellement méchant, ils n’avaient pas d’armes lourdes. C’est leur nombre et la surprise qui leur a permis d’approcher autant.
Allez, repose-toi.
— Je peux faire descendre les autres ?
— Ah, c’est vrai qu’il y a tes copains. Sans contrôle ils y arriveront ? Je ne sais pas quand on recevra un nouveau véhicule.
— Je m’arrangerai avec ma Saucisse… Je veux dire mon S04.
— Comme tu veux. On va t’aider à grimper à bord. Quatre minutes plus tard Gurvan activait les systèmes pour établir la liaison.
— Bleu Leader de Bleu 4.
La réponse tarda un peu. Puis la voix de Rom arriva impatiente :
— J’écoute, Bleu 4. Qu’est-ce que tu foutais ?
— Ça colle, maintenant. Mais le contrôle a été détruit par une attaque de commandos. Je vous guide du sol avec mon appareil, OK ?
— D’accord. Passe une émission continue sur le 2.
— Reçu.
Le premier Tracteur, tenant une Saucisse, apparut au bout d’un moment, loin dans le ciel, et Gurvan la suivit des yeux sur son écran.
— Éloignez-vous encore un peu au nord et virez doucement pour approcher à moins de mille mètres.
Du coup il pensa au pilote de son Tracteur qu’il avait oublié depuis le début. L’engin était HS mais le gars ? Pourvu qu’il s’en soit tiré…
Le couple Tracteur-Saucisse était sur une bonne pente et il le fit virer assez loin. Manifestement la vitesse horizontale donnait plus de sécurité aux posers.
Gurvan reconnut la tignasse de Rom quand le toit du poste se souleva, une fois les deux engins au sol. Il appela alors le couple suivant.