CHAPITRE II

Le géant débonnaire s’étira et bâilla, puis s’excusa.

— J’ai mal dormi cette nuit. Sans être particulièrement inconfortables, vos hôtels ne sont pas équipés pour des gens tels que moi.

Je le concevais sans peine ! Je me demandais dans quel lit on avait allongé un homme de près de trois mètres. Mais je jugeai la réflexion saugrenue. Il venait de l’affirmer, nous allions connaître des ennuis… Bien sûr, j’en avais l’habitude. Dans le métier que j’ai choisi, ça n’arrête pas. Mais là, vraiment… Je ne voyais vraiment pas comment j’allais me tirer d’affaire. Bien sûr, l’ambassade d’Altaïr ferait l’impossible pour me repêcher… mais j’aurais aimé qu’on me repêchât vivant autant que possible. Et, comme ce cher Gabiel n’avait pas hésité à donner l’ordre qu’on me fracasse le crâne sur le trottoir de béton, je ne pouvais espérer beaucoup de compréhension de la part des policiers de Planète Mère. Tout avait changé ici depuis mon départ. Pour autant que je puisse en juger, nous étions sous un « régime fort ». Et j’ai toujours tenu en horreur ces régimes-là, de quelque bord qu’ils soient.

J’allais répliquer quand il reprit doucement (c’est-à-dire dans un vrai meuglement) :

— Je me demande comment vous allez vous en tirer.

Comme cynisme, on ne faisait pas mieux. C’était lui qui avait projeté les policiers sur le trottoir roulant, non ? Je le lui rappelai en quelques mots.

D’un air embarrassé, il souleva un peu sa toque, se gratta le front et répondit :

— Hé ! oui, hé ! oui. J’ai exagéré, d’accord. Mais ça ne change rien aux faits, n’est-ce pas ?

— Ce qui veut dire ?

Il avait l’air surpris. Il me toisa, menton baissé, et murmura :

— Mais… vous le savez bien, Morrair ? Pour moi, la question ne se pose pas. Toutes les polices de Planète Mère seraient incapables de m’appréhender… et ils le savent.

— Comme c’est commode, fis-je, furieux.

Je n’étais pas très logique, je l’avoue. Ce géant-là paraissait sûr de l’impunité, mais cela n’empêchait pas qu’il m’avait sauvé la vie. Aucune illusion en moi : les séides de Gabiel m’eussent jeté par-dessus la balustrade… et pas sur le trottoir roulant !

Soudain, je pris conscience du temps qui passait. Je regardai Jal. Les yeux de la jeune femme erraient du géant jusqu’à moi, puis se reportaient sur le géant.

— On réfléchira tout à l’heure, décrétai-je. Pour le moment, l’essentiel, c’est de filer… s’il n’est pas trop tard. Gabiel et les siens sont en train de téléphoner aux services compétents, et je vous parie ce que vous voudrez que, avant même que nous soyons au pied du Coliséum, les voitures des flics seront là… Je…

Bouche bée, je me tus. Je ne croyais pas si bien dire ! En bas, sur l’avenue, on entendait le célèbre klaxon sur trois tons : do… mi… la… Horrible. Celui que le gouvernement avait réservé aux véhicules de la police.

— Trop tard ! fis-je.

Le géant riait.

— Pourquoi ? Écoutez, citoyen d’Altaïr… et vous, jeune femme. J’aimerais vous rencontrer de nouveau et discuter avec vous. Où et à quelle heure puis-je vous retrouver ?

Avec un petit rire amer, je répondis :

— En prison, sans le moindre doute.

Il me souriait gentiment.

— Pourtant, en admettant qu’on ne vous arrête pas ?

Je tendis mon bras en oblique vers l’entrée du Coliséum. La voiture de police s’arrêtait devant la porte. Dans moins d’une minute les policiers seraient sur la terrasse.

— Quelle heure, et où ? répéta-t-il.

C’est Jal qui répondit :

— 10 heures, ce soir, sur le quai 24, juste devant la porte de la coopérative.

— Parfait !

Les policiers étaient dans l’ascenseur ! Vingt secondes encore, et ils surgiraient… Je me penchai au-dessus de la balustrade et je fis la grimace. Impossible de descendre. D’ailleurs, ils auraient pris plaisir à me faire dégringoler.

Brusquement, une sorte d’étau me saisit, me souleva… Je commençais à me débattre quand, d’un seul coup, l’étreinte se relâcha. Je partis en planant au-dessus de la balustrade.

Derrière moi, j’entendis un rire en tonnerre. Et paf ! Je m’affalai à plat ventre sur le trottoir roulant express.

— Ouille ! fit Jal.

Elle avait atterri sur un jeune homme qui rêvassait, debout, mains aux poches. Ils dégringolèrent tous deux sur moi.

Quand nous nous relevâmes, nous étions déjà loin : l’express file à soixante-dix à l’heure. Le jeune homme nous regardait, l’air ahuri.

* *
*

Les trottoirs roulants, sur Planète Mère, ne servaient qu’aux basses classes. Est-il besoin que je le dise ? Au cours de mes pérégrinations à travers l’espace, je n’ai jamais rencontré aucun peuple, humain ou non, où les niveaux sociaux ne sont pas nettement différenciés. Partout, j’ai retrouvé, sous diverses dénominations, les dirigeants (politiques, militaires ou religieux) et les exécutants… et, entre ces extrêmes, les intermédiaires (bourgeoisie de commerçants, fonctionnaires, etc.), cette classe-tampon que l’on croit écrasée au cours des bouleversements sociaux et qui, paradoxalement, après une brève éclipse, renaît toujours de ses cendres.

Les dirigeants disposaient de véhicules officiels (ils étaient légion !), les intermédiaires d’engins personnels. Les exécutants, la basse-classe, utilisaient les trottoirs roulants.

Cette digression, un peu longue, pour expliquer le genre de voyageurs parmi lesquels nous avaient projetés les bras puissants de l’Étranger.

* *
*

— Ben, mon vieux ! fit le jeune homme sur lequel Jal s’était abattue.

Il dévisageait la jeune femme, sifflait avec admiration.

— Vaut certes mieux vous recevoir plutôt qu’un hélico en détresse, constata-t-il.

Devant nous, derrière nous et sur les trottoirs latéraux qui, roulant à vitesse réduite, permettaient de quitter l’express pour revenir dans la rue, après un bref instant de surprise, on nous négligeait. Il y avait toujours eu des casse-cou qui, à la suite de paris, se lançaient sur l’express, d’une fenêtre ou de l’une des passerelles qui dominaient l’avenue. Personne n’avait remarqué que nous venions de la terrasse du Coliséum.

Deux hélicos passèrent au-dessus de nous, se stabilisèrent, se mirent à la verticale du trottoir roulant. Un peu pâle, je regardai Jal. Elle m’adressa un clin d’œil. Pour cette fois, nous avions gagné… de justesse !

En effet, les deux engins commençaient leur surveillance juste au moment où nous venions de passer. Dix secondes trop tard.

J’imaginais les consignes transmises par l’audiovisio du bord, après un calcul effectué par l’ordinateur du centre de police : « Alerte à tous les hélicos de service !… Portez-vous au-dessus des trottoirs roulants, sur une circonférence de X mètres de rayon autour de la place du Coliséum… Avertissez le centre dès que vous repérerez un homme et une femme dont nous transmettons maintenant le signalement. »

Le rayon indiqué, X mètres, correspondait à la distance maximale qu’avait pu parcourir le trottoir roulant depuis que nous avions quitté le Coliséum.

Il y avait heureusement un « trou » dans le filet. Cette distance X était celle où nous étions arrivés, en effet, au moment où l’appel avait été lancé. Mais cet appel avait été beaucoup trop long. Les hélicos avaient aussitôt obéi et s’étaient mis en place. Ils nous avaient survolés. Mais, à ce moment-là, les policiers qui les occupaient ignoraient encore qu’ils étaient chargés de repérer un homme et une femme, et surtout, ils ne possédaient pas encore notre signalement !

J’étais prêt à parier qu’ils ne nous avaient même pas remarqués, ignorant l’objet de leur mission !

Le jeune gars sur lequel Jal était tombée s’était tourné vers les appareils dont nous nous éloignions, et il grogna, maussade :

— Qu’est-ce qu’ils ont encore inventé ?

Jal l’étudia avec intérêt, parut sur le point de lui parler, mais se ravisa et, de nouveau, me fit un clin d’œil. Cette fois, plus explicite, elle montrait les ruelles perpendiculaires à l’avenue qui défilaient à une dizaine de mètres.

Compris. Elle avait raison. Sur le trottoir roulant, nous finirions par être repérés.

— Allons-y, dis-je.

Je sautai sur le premier trottoir intermédiaire. Mais j’avais perdu l’habitude et je faillis dégringoler. Je me cramponnai à Jal qui avait sauté près de moi. Un soutien bien agréable, ma foi !

Elle fit claquer sa langue avec impatience, mais j’eus le temps de reprendre mon équilibre avant de m’élancer successivement sur les deux autres trottoirs, puis sur la chaussée.

— Venez ! ordonna-t-elle.

Elle m’entraînait dans une ruelle. Je commençais à grimacer. Je n’ai jamais aimé jouer au sous-ordre passif, et moins encore sous une autorité féminine. Cela a nui à ma carrière dans mes débuts et c’est pourquoi je préfère travailler en franc-tireur.

Le plus rageant, c’est qu’elle s’immobilisa dans la ruelle et me retint par la manche.

— Qu’est-ce qu’il y a ? grognai-je.

On eût cru qu’elle m’auscultait du regard : jambes, ventre, torse, épaules, bras, tête, tout y passa.

— Et alors ?

— Vous avez pourtant l’air tout à fait normal, murmura-t-elle, étonnée.

Je lui ris au nez.

— Et je le suis, mon enfant. En douteriez-vous ?

Elle s’écartait de moi. Son visage témoignait d’une défiance que rien ne semblait justifier.

— Vos réactions ne sont pas celles d’un homme de Planète Mère, fit-elle d’une voix un peu rauque. Au Coliséum, déjà, cela m’avait frappée. Sur les trottoirs roulants, c’est indéniable. Vous réagissez comme si vous n’étiez pas accoutumé à la pesanteur de ce globe. Vous…

J’avais compris, et cela me rendit furieux. Déjà, au Coliséum, elle avait paru méprisante, voire hostile, quand elle avait imaginé que j’étais né sur Altaïr. Elle supposait que je n’étais pas de sa race. Pour certains, cela n’avait aucune importance. Pour elle, cela semblait en avoir beaucoup.

Avec une certaine brutalité, je lui dis :

— Écoute, ma belle. Que tu le croies ou non, je suis né sur Planète Mère, et mes parents étaient de ta race. Mais j’ai passé le plus clair de mon temps à bourlinguer d’un monde à l’autre, et il n’y en a pas deux sur lesquels la pesanteur est identique. En deux jours, je n’ai pas eu le temps de me réaccoutumer. Voilà pour l’explication. Maintenant, je vais te dire. Tu n’es pas à l’aise près de moi et il est probable que tu ne le seras jamais. D’autre part, si nous restons ensemble, on nous repérera plus aisément que si nous allons chacun de notre côté. Aussi, pour heureux que je sois d’avoir fait la connaissance d’une belle raciste, permets que je te tire ma révérence. Adieu, Jal.

Je m’éloignai vers le bout de la ruelle. Elle ne chercha pas à me retenir.

* *
*

… Mais je n’allai pas loin. Je n’avais pas fait dix pas que Jal cria. Non à mon intention. C’était un cri de désespoir. Je me retournai d’un bond et je jurai à voix basse.

Un hélico de la police descendait sur nous !

Seul le bruissement des pales trahissait sa présence. Voilà beau temps que les moteurs étaient silencieux. Le train d’atterrissage s’engageait entre les façades des immeubles.

Jal se mit à courir vers l’extrémité la plus proche de la ruelle, c’est-à-dire vers l’avenue aux trottoirs roulants… Exactement ce qu’il ne fallait pas faire ! En quelques bonds, je la rattrapai et, bien qu’elle se débattît, je la ramenai sous l’hélico.

— Traître ! gronda-t-elle. Ah ! je le savais, que…

— Tais-toi, petite sotte, répondis-je avec colère. Deux pas de plus et ils tiraient sur toi.

J’ajoutai, histoire de fouetter son orgueil :

— Qu’est-ce qu’on t’a appris à l’école ? Il n’y a pas la moindre ouverture à la partie inférieure des hélicos. Tant que nous serons dessous, dans cette étroite ruelle, ils ne pourront pas tirer sur nous.

Déjà plus calme, elle murmura :

— Ils vont continuer à descendre !

— Ça me surprendrait, dis-je. Le pilote n’est pas fou.

Et j’avais vu juste. Certes, le train d’atterrissage était passé entre les façades, ainsi que le corps de l’appareil. Mais le rotor, lui, ne passerait pas. C’était évident. Les pales étaient trop longues, beaucoup trop longues.

— Qu’est-ce que je t’avais dit ? fis-je, triomphant.

L’hélico avait cessé de descendre. Il se maintenait à une dizaine de mètres au-dessus de nous.

Sans y prendre garde, j’avais passé mon bras sur les épaules de Jal et je la serrais contre moi. Elle frissonnait, visage levé vers l’appareil dont l’ombre s’allongeait démesurément dans la ruelle.

— Ils ne peuvent rien contre nous, repris-je, sinon s’éloigner de façon à nous avoir dans leur ligne de tir. Et nous les suivrons, voilà tout.

Je savais que nous étions perdus, mais je tenais à ce qu’elle cesse de trembler. Elle récupérait très vite, car soudain, elle s’arracha à mon étreinte, s’écarta un peu. Un pli barrait son joli front.

— Nous disposons à peine de deux minutes, fit-elle.

— Ah ! bah.

— Inutile de me raconter des boniments. Vous savez comme moi que cet hélico est en train d’alerter les autres par audiovisio. Ils vont surgir aux deux extrémités de la ruelle. Un éclair de paralyseur et ils nous tiennent.

C’était évident, mais je la croyais trop apeurée pour raisonner. Apparemment, elle avait repris le contrôle de ses nerfs.

— Il n’y a qu’une solution, ajouta-t-elle.

Bien sûr. J’y avais pensé. Mais cette solution-là ne menait nulle part. Peut-être, si une porte n’était pas fermée à clé, pourrions-nous entrer dans l’une des maisons qui bordaient la ruelle. Et après ? Seuls des Basse-Classe pouvaient loger dans une voie si étroite. Or, les habitations des Basse-Classe ne doivent comporter aucun moyen de communication avec la terrasse qui les surmonte. De cette façon, toutes les terrasses de la ville sont à la disposition des classes privilégiées ainsi, bien entendu, que des forces officielles.

— Eh bien ? grondait Jal… Qu’attendez-vous ? Préférez-vous qu’ils vous paralysent avec leurs engins ?

Elle s’était écartée de moi et se tenait sous un auvent étroit, près d’une porte semblable aux autres… une porte de Basse-Classe, au panneau nu, sans aucune de ces moulures décoratives qu’affectionnent dirigeants et intermédiaires.

Aucune de ces moulures ? Non, certes, mais… Et moi qui croyais Jal mentalement diminuée par la peur ! Elle avait noté un petit détail qui m’avait échappé. Sur le côté, surgissant de la muraille, à peine visible, un minuscule bouton. Une sonnette. Or, les Basse-Classe n’y avaient pas droit. Quand on avait besoin d’eux, on frappait avec violence à leur porte, voilà tout.

Une porte de Basse-Classe et, pourtant, une sonnette ! C’était bizarre. J’appuyai sur le bouton. Quelques secondes s’écoulèrent, puis un long déclic retentit, démasquant un minuscule orifice au centre du panneau. Il n’y avait personne derrière la porte, mais désormais, où qu’il soit, et même très loin de là, le maître du logis nous voyait et nous entendait.

— Que désirez-vous ? demanda une voix calme.

Cette voix avait prononcé la lettre « r » interdite… D’emblée, elle me fut sympathique. J’hésitai pourtant un peu, mais Jal eut, près de moi, un gémissement : un nouvel hélico apparaissait au bout de la ruelle. Il ne pouvait encore nous voir car nous étions abrités sous l’auvent.

— Nous cherchons un refuge, dis-je, la gorge serrée.

— Ah ! bah ? Votre nom ?

— Morrair, citoyen d’Altaïr.

Je regrettai aussitôt mes deux réponses. La peur de la police était profondément ancrée dans l’esprit des habitants de Planète Mère… mais quel prétexte invoquer pour qu’on ouvre cette porte ?

L’hélico prenait l’axe de la ruelle et s’inclinait vers nous ! Quelques secondes encore et les policiers nous apercevraient et tireraient.

— Écoutez, repris-je très vite… Je vous expliquerai…

La porte s’ouvrit. Je fonçai, entraînant Jal. On eût cru une scène de cinéma réglée à la seconde : derrière nous, j’entendis crépiter le jet d’un fulgurant sur le revêtement du sol. Cela m’arracha une grimace. Jusqu’alors, j’avais supposé que les policiers se contenteraient de nous paralyser… Ils avaient reçu l’ordre de nous abattre.

Pourtant, ils n’ignoraient pas que j’appartenais, en principe, au personnel diplomatique d’Altaïr. Bizarre. L’ordre venait assurément de très, très haut.

Derrière nous, la porte s’était refermée. Nous nous trouvions dans une grande salle mal éclairée par quelques plafonniers et dans laquelle étaient entassées des centaines de caisses.

La voix reprit, sans que je puisse déterminer d’où elle provenait :

— Est-ce pour vous que l’alerte générale a été déclenchée ?

— Oui, répondis-je.

Jal me serra le bras pour me recommander la prudence, mais parce que celui qui nous parlait n’avalait pas les « r », j’avais décidé d’être franc. De toute façon, nous ne pouvions nous en tirer qu’avec son aide sans réserves.

— Et on tire sur nous avec des fulgurants réglés à plein régime, ajoutai-je. Dans quelques minutes, les flics feront sauter votre porte.

Espérant que ça le déciderait à nous donner un coup de main, j’ajoutai :

— Et vous les connaissez ! S’ils nous trouvent ici, vous pouvez faire votre deuil de la marchandise que vous entreposez !

— Aucune importance, répliqua-t-il avec flegme.

Il y eut un silence que je mis à profit pour m’approcher des caisses. L’attitude du propriétaire de la voix me paraissait de plus en plus étrange. Jal et moi, nous étions dans un petit entrepôt, pas de doute. Donc, notre correspondant était un intermédiaire. Vous avez connu, vous, un intermédiaire qui foule aux pieds les ordres des chefs, donne asile à des rebelles et, mieux encore, se moque de perdre sa marchandise ? Moi pas.

Sur chaque caisse, il y avait une étiquette de plastique indestructible portant un numéro d’ordre et un nom :

82.A.1. – J.-M. Stanos.

Je sifflotai doucement. Les intermédiaires étaient classés en une cinquantaine de catégories suivant la nature de leur trafic. Celui-ci était en catégorie 1, malheureusement, j’avais oublié ce que cela signifiait. En revanche, le A indiquait qu’il était l’un des plus importants dans sa sphère d’activité.

Quelqu’un cria, dans la ruelle. Jal frissonnait. Les flics avaient sans doute posé leurs hélicos sur l’avenue et se précipitaient à la curée.

Notre correspondant dut le comprendre car il reprit :

— Passez dans le réduit, au fond… Il y a une trappe et une échelle. Descendez et enfuyez-vous.

— Ouais ? grognai-je, interdit. Fuir ? Mais où et comment ?

— Par les anciens égouts de la ville répondit-il très vite. On ne les utilise plus depuis longtemps, mais les souterrains sont toujours là. Il y a des centaines d’issues… vous en trouverez certainement une. Hâtez-vous… Bonne chance !

J’entraînai Jal. Nous disposions de quelques minutes avant que les policiers aient repéré la porte par laquelle nous leur avions échappé.

Il y avait, en effet, un réduit au fond de l’entrepôt, et une trappe que je soulevai. Une échelle métallique s’enfonçait dans un puits obscur… Une forte odeur de moisissure…

— Descends, Jal, ordonnai-je. Je rabattrai la trappe : cela nous donnera un peu de temps.

* *
*

… Je n’ai jamais su si les marchandises de l’intermédiaire 82.A.1. avaient été détruites par les policiers en colère.

Jal et moi, nous avons marché au hasard, à la lueur de nos lampes électriques, dans un labyrinthe de boyaux abandonnés dont, parfois, les parois s’étaient éboulées.

Puis nous avons aperçu une échelle de métal rouillée. J’ai grimpé, Jal m’a suivi. Nous avons débouché dans la cave d’un immeuble en ruine, circonstance qui me fit supposer, à juste titre, que nous étions dans Vieille-Cité.

Là, nous avons pris la décision de nous séparer, tout en nous donnant rendez-vous à 10 heures du soir, sur le quai 24, devant la porte de la coopérative. Vous vous en souvenez peut-être, c’était là que nous attendait l’Étranger.

Or, moi, je désirais le retrouver à tout prix. L’étonnant, c’était que Jal semblait y tenir autant que moi, ce qui n’était pas peu dire !