FIGARO, bas à Susanne, en s'en allant.

S'il échappe à l'explication!......

SUSANNE, bas.

Il est bien subtil!

FIGARO, bas.

Je l'ai tué!


SCÈNE VIII.

LA COMTESSE, LE COMTE, BÉGEARSS.

LE COMTE, d'un ton sérieux.

MADAME, nous sommes seuls.

BÉGEARSS, encore ému.

C'est moi qui parlerai. Je subirai cet interrogatoire. M'avez-vous vu, Monsieur, trahir la vérité dans quelque occasion que ce fût?

LE COMTE, sèchement.

Monsieur...... Je ne dis pas cela.

BÉGEARSS, tout-à-fait remis.

Quoique je sois loin d'approuver cette inquisition peu décente; l'honneur m'oblige à répéter ce que je disais à Madame, en répondant à sa consultation:

«Tout dépositaire de secrets ne doit jamais conserver de papiers s'ils peuvent compromettre un ami qui n'est plus, et qui les mit sous notre garde. Quelque chagrin qu'on ait à s'en défaire, et quelque intérêt même qu'on eût à les garder; le saint respect des morts doit avoir le pas devant tout.» (Il montre le Comte.) Un accident inopiné, ne peut-il pas en rendre un adversaire possesseur?

(Le Comte le tire par la manche pour qu'il ne pousse pas l'explication plus loin.)

BÉGEARSS.

Auriez-vous dit, Monsieur, autre chose en ma position? Qui cherche des conseils timides, ou le soutien d'une faiblesse honteuse, ne doit point s'adresser à moi! vous en avez des preuves l'un et l'autre, et vous sur-tout, Monsieur le Comte! (le Comte lui fait un signe.) Voilà sur la demande que m'a faite Madame, et sans chercher à pénétrer ce que contenaient ces papiers, ce qui m'a fait lui donner un conseil pour la sévère exécution duquel je l'ai vu manquer de courage; je n'ai pas hésité d'y substituer le mien, en combattant ses délais imprudens. Voilà quels étaient nos débats; mais, quelque chose qu'on en pense, je ne regretterai point ce que j'ai dit, ce que j'ai fait. (Il lève les bras.) Sainte amitié! tu n'es rien qu'un vain titre, si l'on ne remplit pas tes austères devoirs.—Permettez que je me retire.

LE COMTE exalté.

O le meilleur des hommes! Non vous ne nous quitterez pas.—Madame, il va nous appartenir de plus près; je lui donne ma Florestine.

LA COMTESSE, avec vivacité.

Monsieur, vous ne pouviez pas faire un plus digne emploi du pouvoir que la loi vous donne sur elle. Ce choix a mon assentiment si vous le jugez nécessaire, et le plutôt vaudra le mieux.

LE COMTE hésitant.

Eh bien!..... ce soir.... sans bruit..... votre aumônier........

LA COMTESSE, avec ardeur.

Eh bien! moi qui lui sers de mère, je vais la préparer à l'auguste cérémonie: mais laisserez-vous votre ami, seul généreux envers ce digne enfant? j'ai du plaisir à penser le contraire.

LE COMTE embarassé.

Ah! Madame..... croyez.....

LA COMTESSE, avec joie.

Oui, Monsieur je le crois. C'est aujourd'hui la fête de mon fils; ces deux évènemens réunis me rendent cette journée bien chère! (Elle sort.)


SCÈNE IX.

LE COMTE, BÉGEARSS.

LE COMTE, la regardant aller.

JE ne reviens pas de mon étonnement. Je m'attendais à des débats, à des objections sans nombre; et je la trouve juste, bonne, généreuse envers mon enfant! moi qui lui sers de mère, dit-elle..... Non, ce n'est point une méchante femme! elle a dans ses actions une dignité qui m'impose;....... un ton qui brise les reproches, quand on voudrait l'en accabler. Mais, mon ami, je m'en dois à moi-même, pour la surprise que j'ai montrée en voyant brûler ces papiers.

BÉGEARSS.

Quant à moi, je n'en ai point eu, voyant avec qui vous veniez. Ce reptile vous a sifflé que j'étais là pour trahir vos secrets? de si basses imputations n'atteignent point un homme de ma hauteur; je les vois ramper loin de moi. Mais, après tout Monsieur, que vous importaient ces papiers? n'aviez vous pas pris malgré moi tous ceux que vous vouliez garder? Ah! plût au ciel qu'elle m'eût consulté plutôt! vous n'auriez pas contre elle des preuves sans replique!

LE COMTE, avec douleur.

Oui, sans replique! (avec ardeur.) ôtons-les de mon sein: elles me brûlent la poitrine. (Il tire la lettre de son sein, et la met dans sa poche.)

BÉGEARSS continue avec douceur.

Je combattrais avec plus d'avantage en faveur du fils de la loi! car enfin il n'est pas comptable du triste sort qui l'a mis dans vos bras!

LE COMTE reprend sa fureur.

Lui, dans mes bras? jamais.

BÉGEARSS.

Il n'est point coupable non plus dans son amour pour Florestine; et cependant, tant qu'il reste près d'elle, puis-je m'unir à cette enfant qui, peut-être éprise elle-même ne cédera qu'à son respect pour vous? La délicatesse blessée.....

LE COMTE.

Mon ami, je t'entends! et ta réflexion me décide à le faire partir sur le champ. Oui, je serai moins malheureux, quand ce fatal objet ne blessera plus mes regards: mais comment entamer ce sujet avec-elle? voudra-t-elle s'en séparer? il faudra donc faire un éclat?

BÉGEARSS.

Un éclat!..... non..... mais le divorce accrédité chez cette nation hasardeuse, vous permettra d'user de ce moyen.

LE COMTE.

Moi, publier ma honte! quelques lâches l'ont fait! c'est le dernier dégré de l'avilissement du siècle. Que l'opprobre soit le partage de qui donne un pareil scandale, et des fripons qui le provoquent.

BÉGEARSS.

J'ai fait envers elle, envers vous, ce que l'honneur me prescrivait. Je ne suis point pour les moyens violens, sur-tout quand il s'agit d'un fils......

LE COMTE.

Dites d'un étranger, dont je vais hâter le départ.

BÉGEARSS.

N'oubliez pas cet insolent valet.

LE COMTE.

J'en suis trop las pour le garder. Toi, cours Ami, chez mon notaire; retire, avec mon reçu que voilà, mes trois millions d'or déposés. Alors tu peux à juste titre être généreux au contrat qu'il nous faut brusquer aujourd'hui... car te voilà bien possesseur..... (Il lui remet le reçu; le prend sous le bras, et ils sortent.) et ce soir, à minuit, sans bruit, dans la chapelle de Madame......

(On n'entend pas le reste.)

FIN DU TROISIÈME ACTE.


ACTE IV.

Le théâtre représente le même cabinet de la Comtesse.


SCÈNE PREMIÈRE.

FIGARO, seul, agité, regardant de côté et d'autre.

ELLE me dit: «viens à six heures au cabinet; c'est le plus sûr pour nous parler...» Je brusque tout dehors, et je rentre en sueur! Où est-elle? (Il se promène en s'essuyant.) Ah! parbleu, je ne suis pas fou! je les ai vu sortir d'ici, Monsieur le tenant sous le bras!... Eh bien! pour un échec, abandonnons-nous la partie?....... Un Orateur fuit-il lâchement la tribune, pour un argument tué sous lui? Mais, quel détestable endormeur! (Vivement.) Parvenir à brûler les lettres de Madame, pour qu'elle ne voye pas qu'il en manque; et se tirer d'un éclaircissement!...... C'est l'enfer concentré, tel que Milton nous l'a dépeint! (D'un ton badin.) J'avais raison tantôt, dans ma colère: Honoré Bégearss est le diable que les hébreux nommaient Légion; et, si l'on y regardait bien, on verrait le lutin avoir le pied fourchu, seule partie, disait ma mère, que les démons ne peuvent déguiser. (Il rit.) Ah! ah! ah! ma gaîté me revient; d'abord, parce que j'ai mis l'or du Mexique en sûreté chez Fal, ce qui nous donnera du temps; (Il frappe d'un billet sur sa main.) et puis... Docteur en toute hypocrisie! Vrai Major d'infernal Tartuffe! grâce au hasard qui régit tout, à ma tactique, à quelques louis semés; voici qui me promet une lettre de toi, où, dit-on, tu poses le masque, à ne rien laisser desirer! (Il ouvre le billet et dit:) Le coquin qui l'a lu en veut cinquante louis?... eh bien! il les aura, si la lettre les vaut; une année de mes gages sera bien employée, si je parviens à détromper un maître à qui nous devons tant..... Mais où es-tu, Susanne, pour en rire? O que piacere!..... A demain donc! car je ne vois pas que rien périclite ce soir... Et pourquoi perdre un temps? Je m'en suis toujours repenti.... (Très-vivement.) Point de délai; courons attacher le pétard; dormons dessus; la nuit porte conseil, et demain matin nous verrons qui des deux fera sauter l'autre.


SCÈNE II.

BÉGEARSS, FIGARO.

BÉGEARSS, raillant.

EEEH! c'est mons Figaro! La place est agréable, puisqu'on y retrouve Monsieur.

FIGARO, du même ton.

Ne fût-ce que pour avoir la joie de l'en chasser une autre fois.

BÉGEARSS.

De la rancune pour si peu? vous êtes bien bon d'y songer! chacun n'a-t-il pas sa manie?

FIGARO.

Et celle de Monsieur est de ne plaider qu'à huis-clos?

BÉGEARSS, lui frappant sur l'épaule.

Il n'est pas essentiel qu'un sage entende tout, quand il sait si bien deviner.

FIGARO.

Chacun se sert des petits talens que le ciel lui a départis.

BÉGEARSS.

Et l'Intrigant compte-t-il gagner beaucoup avec ceux qu'il nous montre ici?

FIGARO.

Ne mettant rien à la partie, j'ai tout gagné..... si je fais perdre l'autre.

BÉGEARSS, piqué.

On verra le jeu de Monsieur.

FIGARO.

Ce n'est pas de ces coups brillans qui éblouissent la gallerie. (Il prend un air niais.) Mais chacun pour soi; Dieu pour tous, comme a dit le roi Salomon.

BÉGEARSS, souriant.

Belle sentence! N'a-t-il pas dit aussi: Le soleil luit pour tout le monde?

FIGARO, fièrement.

Oui, en dardant sur le serpent prêt à mordre la main de son imprudent bienfaiteur! (Il sort.)


SCÈNE III.

BÉGEARSS, seul, le regardant aller.

IL ne farde plus ses desseins! Notre homme est fier? bon signe, il ne sait rien des miens; il aurait la mine bien longue s'il était instruit qu'à minuit... (Il cherche dans ses poches vivement.) Eh bien! qu'ai-je fait du papier? Le voici. (Il lit.) Reçu de M. Fal, notaire, les trois millions d'or spécifiés dans le bordereau, ci-dessus. A Paris, le..... ALMAVIVA.—C'est bon; je tiens la pupille et l'argent! Mais ce n'est point assez; cet homme est faible, il ne finira rien pour le reste de sa fortune. La Comtesse lui en impose; il la craint, l'aime encore........... Elle n'ira point au couvent, si je ne les mets aux prises, et ne le force à s'expliquer................. brutalement. (Il se promène.)—Diable! ne risquons pas ce soir un dénouement aussi scabreux! En précipitant trop les choses, on se précipite avec elles! Il sera temps demain, quand j'aurai bien serré le doux lien sacramentel qui va les enchaîner à moi? (Il appuie ses deux mains sur sa poitrine.) Eh bien! maudite joie, qui me gonfles le cœur! ne peux-tu donc te contenir?..... Elle m'étouffera, la fougueuse, ou me livrera comme un sot, si je ne la laisse un peu s'évaporer, pendant que je suis seul ici. Sainte et douce crédulité! l'époux te doit la magnifique dot! Pâle déesse de la nuit, il te devra bientôt sa froide épouse. (Il frotte ses mains de joie.) Bégearss! heureux Bégearss!... Pourquoi l'appelez-vous Bégearss? n'est-il donc pas plus d'à moitié le Seigneur Comte Almaviva? (D'un ton terrible.) Encore un pas, Bégearss! et tu l'es tout-à-fait.—Mais il te faut auparavant..... Ce Figaro pèse sur ma poitrine! car c'est lui qui l'a fait venir!... Le moindre trouble me perdait.... Ce valet là me portera malheur.... c'est le plus clairvoyant coquin!.... Allons, allons, qu'il parte avec son chevalier errant!


SCÈNE IV.

BÉGEARSS, SUSANNE.

SUSANNE, accourant, fait un cri d'étonnement, de voir un autre que Figaro.

AH! (A part.) Ce n'est pas lui!

BÉGEARSS.

Quelle surprise! Et qu'attendais-tu donc?

SUSANNE, se remettant.

Personne. On se croit seule ici...

BÉGEARSS.

Puisque je t'y rencontre; un mot avant le comité.

SUSANNE.

Que parlez-vous de comité? réellement depuis deux ans on n'entend plus du tout la langue de ce pays!

BÉGEARSS, riant sardoniquement.

Hé! hé!... (Il pétrit dans sa boîte une prise de tabac, d'un air content de lui.) Ce comité, ma chère, est une conférence entre la Comtesse, son fils, notre jeune pupille et moi, sur le grand objet que tu sais.

SUSANNE.

Après la scène que j'ai vue, osez-vous encor l'espérer?

BÉGEARSS, bien fat.

Oser l'espérer!... Non. Mais seulement... Je l'épouse ce soir.

SUSANNE, vivement.

Malgré son amour pour Léon?

BÉGEARSS.

Bonne femme! qui me disais: Si vous faites cela, Monsieur....

SUSANNE.

Eh! qui eût pu l'imaginer?

BÉGEARSS, prenant son tabac en plusieurs fois.

Enfin, que dit-on? parle-t-on? Toi qui vis dans l'intérieur, qui a l'honneur des confidences; y pense-t-on du bien de moi? car c'est-là le point important.

SUSANNE.

L'important serait de savoir quel talisman vous employez pour dominer tous les esprits? Monsieur ne parle de vous qu'avec enthousiasme! ma maîtresse vous porte aux nues! son fils n'a d'espoir qu'en vous seul! notre pupille vous révère!...

BÉGEARSS, d'un ton bien fat, secouant le tabac de son jabot.

Et toi, Susanne, qu'en dis-tu?

SUSANNE.

Ma foi, monsieur, je vous admire! Au milieu du désordre affreux que vous entretenez ici, vous seul êtes calme et tranquille; il me semble entendre un génie qui fait tout mouvoir à son gré.

BÉGEARSS, bien fat.

Mon enfant, rien n'est plus aisé. D'abord il n'est que deux pivots sur qui roule tout dans le monde, la morale et la politique. La morale, tant soit peu mesquine, consiste à être juste et vrai; elle est, dit-on, la clef de quelques vertus routinières.

SUSANNE.

Quant à la politique?...

BÉGEARSS, avec chaleur.

Ah! c'est l'art de créer des faits, de dominer, en se jouant, les évènemens et les hommes; l'intérêt est son but; l'intrigue son moyen: toujours sobre de vérités, ses vastes et riches conceptions sont un prisme qui éblouit. Aussi profonde que l'Etna, elle brûle et gronde long-temps avant d'éclater au dehors; mais alors rien ne lui résiste: elle exige de hauts talens: le scrupule seul peut lui nuire; (En riant.) c'est le secret des négociateurs.

SUSANNE.

Si la morale ne vous échauffe pas, l'autre, en revanche, excite en vous un assez vif enthousiasme!

BÉGEARSS, averti, revient à lui.

Eh!... ce n'est pas elle; c'est toi!—Ta comparaison d'un génie.....—Le chevalier vient; laisse-nous.


SCÈNE V.

LÉON, BÉGEARSS.

LÉON.

MONSIEUR Bégearss, je suis au désespoir!

BÉGEARSS, d'un ton protecteur.

Qu'est-il arrivé, jeune ami?

LÉON.

Mon père vient de me signifier, avec une dureté!..... que j'eûsse à faire, sous deux jours, tous les apprêts de mon départ pour Malte: point d'autre train, dit-il, que Figaro, qui m'accompagne, et un valet qui courra devant nous.

BÉGEARSS.

Cette conduite est en effet bisarre, pour qui ne sait pas son secret; mais nous qui l'avons pénétré, notre devoir est de le plaindre. Ce voyage est le fruit d'une frayeur bien excusable! Malte et vos vœux ne sont que le prétexte; un amour qu'il redoute, est son véritable motif.

LÉON, avec douleur.

Mais, mon ami, puisque vous l'épousez?

BÉGEARSS, confidentiellement.

Si son frère le croit utile à suspendre un fâcheux départ!..... Je ne verrais qu'un seul moyen....

LÉON.

O mon ami! dites-le moi?

BÉGEARSS.

Ce serait que madame votre mère vainquît cette timidité qui l'empêche, avec lui, d'avoir une opinion à elle; car sa douceur vous nuit bien plus que ne ferait un caractère trop ferme.—Supposons, qu'on lui ait donné quelque prévention injuste; qui a le droit, comme une mère, de rappeler un père à la raison? Engagez la à le tenter,... non pas aujourd'hui, mais........ demain, et sans y mettre de faiblesse.

LÉON.

Mon ami vous avez raison: cette crainte est son vrai motif. Sans doute il n'y a que ma mère qui puisse le faire changer. La voici qui vient avec celle..... que je n'ose plus adorer. (Avec douleur.) O mon ami! rendez la bien heureuse.

BÉGEARSS, caressant.

En lui parlant tous les jours de son frère.


SCÈNE VI.

LA COMTESSE, FLORESTINE, BÉGEARSS, SUSANNE, LÉON.

LA COMTESSE coëffée, parée, portant une robe rouge et noire, et son bouquet de même couleur.

SUSANNE, donne mes diamans?

(Susanne va les chercher.)

BÉGEARSS, affectant de la dignité.

Madame, et vous Mademoiselle, je vous laisse avec cet ami; je confirme d'avance tout ce qu'il va vous dire. Hélas! ne pensez point au bonheur que j'aurais de vous appartenir à tous; votre repos doit seul vous occuper. Je n'y veux concourir que sous la forme que vous adopterez: mais, soit que Mademoiselle accepte ou non mes offres, recevez ma déclaration, que toute la fortune dont je viens d'hériter lui est destinée de ma part, dans un contrat, ou par un testament; je vais en faire dresser les actes: Mademoiselle choisira. Après ce que je viens de dire, il ne conviendrait pas que ma présence ici gênât un parti qu'elle doit prendre en toute liberté: mais, quel qu'il soit, ô mes amis, sachez qu'il est sacré pour moi: je l'adopte sans restriction. (Il salue profondément et sort.)


SCÈNE VII.

LA COMTESSE, LÉON, FLORESTINE.

LA COMTESSE le regarde aller.

C'EST un ange envoyé du ciel pour réparer tous nos malheurs.

LÉON, avec une douleur ardente.

O Florestine! il faut céder: ne pouvant être l'un à l'autre, nos premiers élans de douleur nous avaient fait jurer de n'être jamais à personne; j'accomplirai ce serment pour nous deux. Ce n'est pas tout-à-fait vous perdre, puisque je retrouve une sœur où j'espérais posséder une épouse. Nous pourrons encore nous aimer.


SCÈNE VIII.

LA COMTESSE, LÉON, FLORESTINE, SUSANNE.

SUSANNE apporte l'écrin.

LA COMTESSE, en parlant, met ses boucles d'oreilles, ses bagues, son bracelet, sans rien regarder.

FLORESTINE! épouse Bégearss; ses procédés l'en rendent digne; et puisque cet hymen fait le bonheur de ton parain, il faut l'achever aujourd'hui.

(Susanne sort et emporte l'écrin.)


SCÈNE IX.

LA COMTESSE, LÉON, FLORESTINE.

LA COMTESSE à Léon.

NOUS, mon fils, ne sachons jamais ce que nous devons ignorer. Tu pleures, Florestine!

FLORESTINE, pleurant.

Ayez pitié de moi, Madame! Eh! comment soutenir autant d'assauts dans un seul jour? A peine j'apprends qui je suis, qu'il faut renoncer à moi-même, et me livrer... Je meurs de douleur et d'effroi. Dénuée d'objections contre M. Bégearss, je sens mon cœur à l'agonie, en pensant qu'il peut devenir... Cependant il le faut; il faut me sacrifier au bien de ce frère chéri; à son bonheur, que je ne puis plus faire. Vous dites que je pleure! Ah! je fais plus pour lui que si je lui donnais ma vie! Maman, ayez pitié de nous! bénissez vos enfans! ils sont bien malheureux! (Elle se jette à genoux; Léon en fait autant.)

LA COMTESSE leur imposant les mains.

Je vous bénis, mes chers enfans. Ma Florestine je t'adopte. Si tu savais à quel point tu m'es chère! Tu seras heureuse, ma fille, et du bonheur de la vertu; celui-là peut dédommager des autres. (Ils se relèvent.)

FLORESTINE.

Mais croyez-vous, Madame, que mon dévouement le ramène à Léon, à son fils? car il ne faut pas se flatter: son injuste prévention va quelquefois jusqu'à la haine.

LA COMTESSE.

Chère fille, j'en ai l'espoir.

LÉON.

C'est l'avis de M. Bégearss: il me l'a dit; mais il m'a dit aussi qu'il n'y a que maman qui puisse opérer ce miracle; Aurez-vous donc la force de lui parler en ma faveur?

LA COMTESSE.

Je l'ai tenté souvent, mon fils, mais sans aucun fruit apparent.

LÉON.

O ma digne mère! c'est votre douceur qui m'a nui. La crainte de le contrarier vous a trop empêché d'user de la juste influence que vous donnent votre vertu et le respect profond dont vous êtes entourée. Si vous lui parliez avec force, il ne vous résisterait pas.

LA COMTESSE.

Vous le croyez, mon fils? je vais l'essayer devant vous. Vos reproches m'affligent presqu'autant que son injustice. Mais, pour que vous ne gêniez pas le bien que je dirai de vous, mettez-vous dans mon cabinet; vous m'entendrez, de-là, plaider une cause si juste: vous n'accuserez plus une mère de manquer d'énergie, quand il faut défendre son fils! (Elle sonne.) Florestine, la décence ne te permet pas de rester: vas t'enfermer; demande au ciel qu'il m'accorde quelque succès, et rende enfin la paix à ma famille désolée.

(Florestine sort.)


SCÈNE X.

SUSANNE, LA COMTESSE, LÉON.

SUSANNE.

QUE veut Madame? elle a sonné.

LA COMTESSE.

Prie Monsieur, de ma part, de passer un moment ici.

SUSANNE, effrayée.

Madame! vous me faites trembler! Ciel! que va-t-il donc se passer? Quoi! Monsieur, qui ne vient jamais... sans...

LA COMTESSE.

Fais ce que je te dis, Susanne, et ne prends nul souci du reste.

(Susanne sort, en levant les bras au ciel, de terreur.)


SCÈNE XI.

LA COMTESSE, LÉON.

LA COMTESSE.

VOUS allez voir, mon fils, si votre mère est faible en défendant vos intérêts! Mais laissez-moi me recueillir, me préparer, par la prière, à cet important plaidoyer.

(Léon entre au cabinet de sa mère.)


SCÈNE XII.

LA COMTESSE, seule, un genou sur son fauteuil.

CE moment me semble terrible, comme le jugement dernier! Mon sang est prêt à s'arrêter... O mon Dieu! donnez-moi la force de frapper au cœur d'un époux? (Plus bas.) Vous seul connaissez les motifs qui m'ont toujours fermé la bouche! Ah! s'il ne s'agissait du bonheur de mon fils; vous savez, ô mon Dieu! si j'oserais dire un seul mot pour moi! Mais enfin, s'il est vrai qu'une faute pleurée vingt ans, ait obtenu de vous un pardon généreux, comme un sage ami m'en assure: ô mon Dieu! donnez-moi la force de frapper au cœur d'un époux!


SCÈNE XIII.

LA COMTESSE, LE COMTE, LÉON caché.

LE COMTE, sèchement.

MADAME, on dit que vous me demandez?

LA COMTESSE, timidement.

J'ai cru, Monsieur, que nous serions plus libres dans ce cabinet que chez vous.

LE COMTE.

M'y voilà, Madame; parlez.

LA COMTESSE, tremblante.

Asseyons-nous, Monsieur, je vous conjure, et prêtez-moi votre attention.

LE COMTE, impatient.

Non, j'entendrai debout; vous savez qu'en parlant je ne saurais tenir en place.

LA COMTESSE s'asseyant, avec un soupir, et parlant bas.

Il s'agit de mon fils... Monsieur.

LE COMTE, brusquement.

De votre fils, Madame?

LA COMTESSE.

Et quel autre intérêt pourrait vaincre ma répugnance à engager un entretien que vous ne recherchez jamais? Mais je viens de le voir dans un état à faire compassion: l'esprit troublé, le cœur serré de l'ordre que vous lui donnez de partir sur-le-champ; sur-tout du ton de dureté qui accompagne cet exil. Eh! comment a-t-il encouru la disgrâce d'un p... d'un homme si juste? Depuis qu'un exécrable duel nous a ravi notre autre fils....

LE COMTE, les mains sur le visage, avec un air de douleur.

Ah!...

LA COMTESSE.

Celui-ci, qui jamais ne dût connaître le chagrin, a redoublé de soins et d'attentions pour adoucir l'amertume des nôtres!

LE COMTE, se promenant doucement.

Ah!...

LA COMTESSE.

Le caractère emporté de son frère, son désordre, ses goûts et sa conduite déréglée nous en donnaient souvent de bien cruels. Le ciel sévère, mais sage en ses décrets, en nous privant de cet enfant, nous en a peut-être épargné de plus cuisans pour l'avenir.

LE COMTE, avec douleur.

Ah!... Ah!...

LA COMTESSE.

Mais, enfin, celui qui nous reste a-t-il jamais manqué à ses devoirs? Jamais le plus léger reproche fût-il mérité de sa part? Exemple des hommes de son âge, il a l'estime universelle: il est aimé, recherché, consulté. Son p...protecteur naturel, mon époux seul, paraît avoir les yeux fermés sur un mérite transcendant, dont l'éclat frappe tout le monde.

LE COMTE se promène, plus vîte sans parler.

LA COMTESSE, prenant courage de son silence, continue d'un ton plus ferme, et l'élève par degrés.

En tout autre sujet, Monsieur, je tiendrais à fort grand honneur de vous soumettre mon avis, de modeler mes sentimens, ma faible opinion sur la vôtre; mais il s'agit... d'un fils...

LE COMTE s'agite en marchant.

LA COMTESSE.

Quand il avait un frère aîné; l'orgueil d'un très-grand nom le condamnant au célibat, l'ordre de Malte était son sort. Le préjugé semblait alors couvrir l'injustice de ce partage entre deux fils (Timidement.) égaux en droits.

LE COMTE s'agite plus fort. (A part, d'un ton étouffé.)

Egaux en droits!.....

LA COMTESSE, un peu plus fort.

Mais depuis deux années qu'un accident affreux.... les lui a tous transmis; n'est-il pas étonnant que vous n'ayez rien entrepris pour le relever de ses vœux? Il est de notoriété que vous n'avez quitté l'Espagne que pour dénaturer vos biens, par la vente, ou par des échanges. Si c'est pour l'en priver, Monsieur, la haine ne va pas plus loin! Puis, vous le chassez de chez vous, et semblez lui fermer la maison p.....par vous habitée! Permettez-moi de vous le dire; un traitement aussi étrange est sans excuse aux yeux de la raison. Qu'a-t-il fait pour le mériter?

LE COMTE, s'arrête; d'un ton terrible.

Ce qu'il a fait!

LA COMTESSE, effrayée.

Je voudrais bien, Monsieur, ne pas vous offenser!

LE COMTE, plus fort.

Ce qu'il a fait, Madame! Et c'est vous qui le demandez?

LA COMTESSE, en désordre.

Monsieur, Monsieur! vous m'effrayez beaucoup!

LE COMTE, avec fureur.

Puisque vous avez provoqué l'explosion du ressentiment qu'un respect humain enchaînait, vous entendrez son arrêt et le vôtre.

LA COMTESSE, plus troublée.

Ah, Monsieur! Ah, Monsieur!....

LE COMTE.

Vous demandez ce qu'il a fait?

LA COMTESSE, levant les bras.

Non, Monsieur, ne me dites rien!

LE COMTE, hors de lui.

Rappelez-vous, femme perfide, ce que vous avez fait vous-même! et comment, recevant un adultère dans vos bras, vous avez mis dans ma maison cet enfant étranger, que vous osez nommer mon fils.

LA COMTESSE, au désespoir, veut se lever.

Laissez-moi m'enfuir, je vous prie.

LE COMTE, la clouant sur son fauteuil.

Non, vous ne fuirez pas; vous n'échapperez point à la conviction qui vous presse. (Lui montrant sa lettre.) Connaissez-vous cette écriture? Elle est tracée de votre main coupable! et ces caractères sanglans qui lui servirent de réponse...

LA COMTESSE, anéantie.

Je vais mourir! je vais mourir!

LE COMTE, avec force.

Non, non; vous entendrez les traits que j'en ai soulignés! (Il lit avec égarement.) «Malheureux insensé! notre sort est rempli; votre crime, le mien reçoit sa punition. Aujourd'hui, jour de Saint-Léon, patron de ce lieu, et le vôtre, je viens de mettre au monde un fils, mon opprobre et mon désespoir...» (Il parle.) Et cet enfant est né le jour de Saint-Léon, plus de dix mois après mon départ pour la Vera Crux!

(Pendant qu'il lit très-fort, on entend la Comtesse, égarée, dire des mots coupés qui partent du délire.)

LA COMTESSE, priant, les mains jointes.

Grand dieu! tu ne permets donc pas que le crime le plus caché demeure toujours impuni!

LE COMTE.

...Et de la main du corrupteur. (Il lit.) «L'ami qui vous rendra ceci, quand je ne serai plus, est sûr.»

LA COMTESSE, priant.

Frappes, mon Dieu! car je l'ai mérité!

LE COMTE lit.

»Si la mort d'un infortuné vous inspirait un reste de pitié; parmi les noms qu'on va donner à ce fils, héritier d'un autre.....

LA COMTESSE, priant.

Accepte l'horreur que j'éprouve, en expiation de ma faute!

LE COMTE lit.

»Puis-je espérer que le nom de Léon... (Il parle.) Et ce fils s'appelle Léon!

LA COMTESSE, égarée, les yeux fermés.

O Dieu! mon crime fut bien grand, s'il égala ma punition! Que ta volonté s'accomplisse!

LE COMTE, plus fort.

Et, couverte de cet opprobre, vous osez me demander compte de mon éloignement pour lui?

LA COMTESSE, priant toujours.

Qui suis-je, pour m'y opposer, lorsque ton bras s'appesantit?

LE COMTE.

Et, lorsque vous plaidez pour l'enfant de ce malheureux, vous avez au bras mon portrait!

LA COMTESSE, en le détachant, le regarde.

Monsieur, Monsieur, je le rendrai; je sais que je n'en suis pas digne. (Dans le plus grand égarement.) Ciel! que m'arrive-t-il? Ah! je perds la raison! Ma conscience troublée fait naître des fantômes!—Réprobation anticipée!... Je vois ce qui n'existe pas... Ce n'est plus vous; c'est lui qui me fait signe de le suivre, d'aller le rejoindre au tombeau!

LE COMTE, effrayé.

Comment? Eh bien! Non, ce n'est pas...

LA COMTESSE, en délire.

Ombre terrible! éloigne toi!

LE COMTE crie avec douleur.

Ce n'est pas ce que vous croyez!

LA COMTESSE jette le bracelet par terre.

Attends... Oui, je t'obéirai...

LE COMTE, plus troublé.

Madame, écoutez-moi...

LA COMTESSE.

J'irai... Je t'obéis... Je meurs... (Elle reste évanouie.)

LE COMTE, effrayé, ramasse le bracelet.

J'ai passé la mesure... Elle se trouve mal... Ah! Dieu! Courons lui chercher du secours! (Il sort, il s'enfuit.)

(Les convulsions de la douleur font glisser la Comtesse à terre.)


SCÈNE XIV.

LÉON accourant; LA COMTESSE évanouie.

LÉON, avec force.

O ma mère!... ma mère! c'est moi qui te donne la mort! (Il l'enlève et la remet sur son fauteuil, évanouie.) Que ne suis-je parti, sans rien exiger de personne? j'aurais prévenu ces horreurs!


SCÈNE XV.

LE COMTE, SUSANNE, LÉON, LA COMTESSE évanouie.

LE COMTE, en rentrant s'écrie.

ET son fils!

LÉON, égaré.

Elle est morte! Ah! je ne lui survivrai pas! (Il l'embrasse en criant.)

LE COMTE, effrayé.

Des sels! des sels! Susanne! un million si vous la sauvez!

LÉON.

O malheureuse mère!

SUSANNE.

Madame, aspirez ce flacon. Soutenez-la, Monsieur; je vais tâcher de la dessèrer.

LE COMTE, égaré.

Romps tout, arrache tout! Ah! j'aurais dû la ménager!

LÉON, criant avec délire.

Elle est morte! elle est morte!


SCÈNE XVI.

LE COMTE, SUSANNE, LÉON, LA COMTESSE évanouie, FIGARO, accourant.

FIGARO.

ET qui, morte? Madame? Appaisez donc ces cris! c'est vous qui la ferez mourir! (Il lui prend le bras.) Non, elle ne l'est pas; ce n'est qu'une suffocation; le sang qui monte avec violence. Sans perdre temps, il faut la soulager. Je vais chercher ce qu'il lui faut.

LE COMTE, hors de lui.

Des ailes, Figaro! ma fortune est à toi.

FIGARO, vivement.

J'ai bien besoin de vos promesses lorsque Madame est en péril! (Il sort en courant.)


SCÈNE XVII.

LE COMTE, LÉON, LA COMTESSE évanouie, SUSANNE.

LÉON, lui tenant le flacon sous le nez.

SI l'on pouvait la faire respirer! O Dieu! rends-moi ma malheureuse mère!.... La voici qui revient....

SUSANNE, pleurant.

Madame! allons, Madame!....

LA COMTESSE, revenant à elle.

Ah! qu'on a de peine à mourir!

LÉON, égaré.

Non Maman; vous ne mourrez pas!

La Comtesse, égarée.

O Ciel! entre mes juges! entre mon époux et mon fils! Tout est connu... et criminelle envers tous deux... (Elle se jette à terre et se prosterne.) Vengez-vous l'un et l'autre! il n'est plus de pardon pour moi! (Avec horreur.) Mère coupable! épouse indigne! un instant nous a tous perdus. J'ai mis l'horreur dans ma famille! J'allumai la guerre intestine entre le père et les enfans! Ciel juste! il fallait bien que ce crime fût découvert! Puisse ma mort expier mon forfait!

LE COMTE, au désespoir.

Non, revenez à vous! votre douleur a déchiré mon âme! Asseyons-la. Léon!.... Mon Fils! (Léon fait un grand mouvement.) Susanne, asseyons-la.

(Ils la remettent sur le fauteuil.)


SCÈNE XVIII.

LES PÉCÉDENS, FIGARO.

FIGARO, accourant.

ELLE a repris sa connaissance?

SUSANNE.

Ah Dieu! j'étouffe aussi. (Elle se dessère.)

LE COMTE crie.

Figaro! vos secours!

FIGARO, étouffé.

Un moment, calmez-vous. Son état n'est plus si pressant. Moi qui étais dehors, grand Dieu! je suis rentré bien à propos!.... Elle m'avait fort effrayé! Allons, Madame, du courage!

LA COMTESSE, priant, renversée.

Dieu de bonté! fais que je meure!

LÉON, en l'asseyant mieux.

Non, Maman, vous ne mourrez pas, et nous réparerons nos torts. Monsieur! vous que je n'outragerai plus en vous donnant un autre nom, reprenez vos titres, vos biens; je n'y avais nul droit: hélas! je l'ignorais. Mais, par pitié, n'écrasez point d'un déshonneur public cette infortunée qui fut vôtre.... Une erreur expiée par vingt années de larmes, est-elle encore un crime, alors qu'en fait justice? Ma mère et moi, nous nous bannissons de chez vous.

LE COMTE, exalté.

Jamais! vous n'en sortirez point.

LÉON.

Un couvent sera sa retraite; et moi, sous mon nom de Léon, sous le simple habit d'un soldat, je défendrai la liberté de notre nouvelle Patrie. Inconnu, je mourrai pour elle, ou je la servirai en zêlé citoyen.

(Susanne pleure dans un coin; Figaro est absorbé dans l'autre.)

LA COMTESSE, péniblement.

Léon! mon cher enfant! ton courage me rend la vie! Je puis encore la supporter, puisque mon fils a la vertu de ne pas détester sa mère. Cette fierté dans le malheur sera ton noble patrimoine. Il m'épousa sans biens; n'exigeons rien de lui. Le travail de mes mains soutiendra ma faible existence; et toi, tu serviras l'Etat.

LE COMTE, avec désespoir.

Non, Rosine! jamais. C'est moi qui suis le vrai coupable! de combien de vertus je privais ma triste vieillesse!....

LA COMTESSE.

Vous en serez enveloppé.—Florestine et Bégearss vous restent. Floresta, votre fille, l'enfant chéri de votre cœur!.....

LE COMTE, étonné.

Comment?..... d'où savez-vous?.... qui vous l'a dit?.....

LA COMTESSE.

Monsieur donnez-lui tous vos biens, mon fils et moi n'y mettrons point d'obstacle; son bonheur nous consolera. Mais, avant de nous séparer, que j'obtienne au moins une grace! Apprenez-moi comment vous êtes possesseur d'une terrible lettre que je croyais brûlée avec les autres? Quelqu'un m'a-t-il trahie?

FIGARO, s'écriant.

Oui! l'infâme Bégearss: je l'ai surpris tantôt qui la remettait à Monsieur.

LE COMTE, parlant vîte.

Non, je la dois au seul hasard. Ce matin, lui et moi, pour un tout autre objet, nous examinions votre écrin, sans nous douter qu'il eût un double fond. Dans le débat et sous ses doigts, le secret s'est ouvert soudain, à son très-grand étonnement. Il a cru le coffre brisé!

FIGARO, criant plus fort.

Son étonnement d'un secret? Monstre! C'est lui qui l'a fait faire!

LE COMTE.

Est-il possible?

LA COMTESSE.

Il est trop vrai!

LE COMTE.

Des papiers frappent nos regards; il en ignorait l'existence, et, quand j'ai voulu les lui lire, il a refusé de les voir.

SUSANNE, s'écriant.

Il les a lus cent fois avec Madame!

LE COMTE.

Est-il vrai? Les connaissait-il?

LA COMTESSE.

Ce fut lui qui me les remit, qui les apporta de l'armée, lorsqu'un infortuné mourut.

LE COMTE.

Cet ami sûr, instruit de tout?.....

FIGARO, LA COMTESSE, SUSANNE, ensemble, criant.

C'est lui!

LE COMTE.

O scélératesse infernale! avec quel art il m'avait engagé! A présent je sais tout.

FIGARO.

Vous le croyez!

LE COMTE.

Je connais son affreux projet. Mais, pour en être plus certain, déchirons le voile en entier. Par qui savez-vous donc ce qui touche ma Florestine?

LA COMTESSE, vîte.

Lui seul m'en a fait confidence.

LÉON, vîte.

Il me l'a dit sous le secret.

SUSANNE, vîte.

Il me l'a dit aussi.

LE COMTE, avec horreur.

O monstre! Et moi j'allais la lui donner! mettre ma fortune en ses mains!

FIGARO, vivement.

Plus d'un tiers y serait déjà, si je n'avais porté, sans vous le dire, vos trois millions d'or en dépôt chez M. Fal: vous alliez l'en rendre le maître, heureusement je m'en suis douté. Je vous ai donné son reçu....

LE COMTE, vivement.

Le scélérat vient de me l'enlever, pour en aller toucher la somme.

FIGARO, désolé.

O proscription sur moi! Si l'argent est remis, tout ce que j'ai fait est perdu! Je cours chez M. Fal. Dieu veuille qu'il ne soit pas trop tard!

LE COMTE, à Figaro.

Le traître n'y peut être encore.

FIGARO.

S'il a perdu un temps, nous le tenons. J'y cours. (Il veut sortir.)

LE COMTE, vivement, l'arrête.

Mais, Figaro! que le fatal secret dont ce moment vient de t'instruire, reste enseveli dans ton sein?

FIGARO, avec une grande sensibilité.

Mon maître! il a vingt ans qu'il est dans ce sein-là, et dix que je travaille à empêcher qu'un monstre n'en abuse! Attendez sur-tout mon retour, avant de prendre aucun parti.

LE COMTE, vivement.

Penserait-il se disculper?

FIGARO.

Il fera tout pour le tenter; (Il tire une lettre de sa poche.) mais voici le préservatif. Lisez le contenu de cette épouvantable lettre; le secret de l'enfer est là. Vous me saurez bon gré d'avoir tout fait pour me la procurer. (Il lui remet la lettre de Bégearss.) Susanne! des goûtes à ta maîtresse! Tu sais comment je les prépare! (Il lui donne un flacon.) Passez là sur sa chaise longue; et le plus grand calme autour d'elle. Monsieur, au moins, ne recommencez pas; elle s'éteindrait dans nos mains!

LE COMTE, exalté.

Recommencer! Je me ferais horreur!

FIGARO, à la Comtesse.

Vous l'entendez, Madame? le voilà dans son caractère! et c'est mon maître que j'entends. Ah! je l'ai toujours dit de lui: la colère, chez les bons cœurs, n'est qu'un besoin pressant de pardonner! (Il s'enfuit.)

(Le Comte et Léon la prennent sous les bras; ils sortent tous.)

FIN DU QUATRIÈME ACTE.


ACTE V.

Le Théâtre représente le grand salon du premier acte.


SCÈNE PREMIÈRE.

LE COMTE, LA COMTESSE, LÉON, SUSANNE.

(La Comtesse, sans rouge, dans le plus grand désordre de parure.)

LÉON, soutenant sa mère.

IL fait trop chaud, maman, dans l'appartement intérieur. Susanne, avance une bergère. (On l'assied.)

LE COMTE attendri, arrangeant les coussins.

Êtes-vous bien assise? Eh quoi! pleurer encore?

LA COMTESSE accablée.

Ah! laissez-moi verser des larmes de soulagement! ces récits affreux m'ont brisée! cette infâme lettre, sur-tout....

LE COMTE délirant.

Marié en Irlande, il épousait ma fille! et tout mon bien placé sur la banque de Londres, eût fait vivre un repaire affreux, jusqu'à la mort du dernier de nous tous!... Et qui sait, grand Dieu! quels moyens?...

LA COMTESSE.

Homme infortuné! calmez-vous! Mais il est temps de faire descendre Florestine; elle avait le cœur si serré de ce qui devait lui arriver! Vas la chercher Susanne, et ne l'instruis de rien.

LE COMTE, avec dignité.

Ce que j'ai dit à Figaro, Susanne, était pour vous, comme pour lui?

SUSANNE.

Monsieur, celle qui vit madame pleurer, prier pendant vingt ans, a trop gémi de ses douleurs, pour rien faire qui les accroisse! (Elle sort.)


SCÈNE II.

LE COMTE, LA COMTESSE, LÉON.

LE COMTE, avec un vif sentiment.

AH! Rosine! séchez vos pleurs; et maudit soit qui vous affligera!

LA COMTESSE.

Mon fils! embrasse les genoux de ton généreux protecteur; et rends-lui grace pour ta mère. (Il veut se mettre à genoux.)

LE COMTE le relève.

Oublions le passé, Léon. Gardons-en le silence, et n'émouvons plus votre mère. Figaro demande un grand calme. Ah! respectons, sur-tout, la jeunesse de Florentine, en lui cachant soigneusement les causes de cet accident!


SCÈNE III.

FLORESTINE, SUSANNE, LES PÉCÉDENS.

FLORESTINE, accourant.

MON Dieu! Maman, qu'avez-vous donc?

LA COMTESSE.

Rien que d'agréable à t'apprendre; et ton parain va t'en instruire.

LE COMTE.

Hélas! ma Florestine! je frémis du péril où j'allais plonger ta jeunesse. Grace au Ciel, qui dévoile tout, tu n'épouseras point Bégearss! Non; tu ne seras point la femme du plus épouvantable ingrat!...

FLORESTINE.

Ah! Ciel! Léon!...

LÉON.

Ma sœur, il nous a tous joués!

FLORESTINE, au Comte.

Sa Sœur!

LE COMTE.

Il nous trompait. Il trompait les uns par les autres; et tu étais le prix de ses horribles perfidies. Je vais le chasser de chez moi.

LA COMTESSE.

L'instinct de ta frayeur te servait mieux que nos lumières. Aimable enfant! rends grâce au Ciel, qui te sauve d'un tel danger!

LÉON.

Ma sœur, il nous a tous joués!

FLORESTINE, au Comte.

Monsieur, il m'appèle sa sœur!

LA COMTESSE, exaltée.

Oui Floresta, tu es à nous. C'est-là notre secret chéri. Voilà ton père; voilà ton frère; et moi je suis ta mère pour la vie. Ah! garde-toi de l'oublier jamais! (Elle tend la main au Comte.) Almaviva! pas-vrai qu'elle est ma fille?

LE COMTE, exalté.

Et lui, mon fils; voilà nos deux enfans. (Tous se serrent dans les bras l'un de l'autre.)


SCÈNE IV.

FIGARO, M. FAL, Notaire, LES PÉCÉDENS.

FIGARO, accourant et jettant son manteau.

MALÉDICTION! Il a le porte-feuille. J'ai vu le traître l'emporter, quand je suis entré chez Monsieur.

LE COMTE.

O Monsieur Fal! vous vous êtes pressé!

M. FAL, vivement.

Non, Monsieur, au contraire. Il est resté plus d'une heure avec moi: m'a fait achever le contrat, y insérer la donation qu'il fait. Puis il m'a remis mon reçu, au bas duquel était le vôtre; en me disant que la somme est à lui; qu'elle est un fruit d'hérédité; qu'il vous l'a remise en confiance....

LE COMTE.