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— Qui êtes-vous ?

— Vous n’auriez pas dû quitter votre chambre.

— Il m’est arrivé quelque chose ?

— On peut dire ça comme ça, oui.

— Il va falloir me réopérer ?

— Rassurez-vous, vous êtes guérie.

— Quand puis-je quitter l’hôpital ?

— L’hôpital ? Vous n’êtes pas à l’hôpital. Vous êtes à la basilique, c’est-à-dire chez moi.

— Vous êtes prêtre ?

— Pas exactement.

Silence.

— Vous souvenez-vous du jour qui a précédé votre opération ?

— Pourquoi ? Je suis censée avoir perdu la mémoire ?

— Répondez.

— Oui, je m’en souviens.

— En ce cas, vous pouvez comprendre pourquoi vous vous trouvez ici.

— Vous êtes de la police ? J’ai fait quelque chose d’interdit par la loi ?

— Vous trouvez que j’ai l’air d’un flic ?

— On ne sait jamais. Ils se déguisent, parfois. Où suis-je ?

— Je vous l’ai déjà dit : à la basilique. Vous posez la mauvaise question. Vous auriez dû demander : « Quand suis-je ? »

— J’ai été opérée le 8 mai au matin. J’ai sans doute dormi longtemps, mais je suppose que nous sommes encore le 8 mai.

— Le 8 mai de quelle année ?

— 1995. C’est le cinquantième anniversaire de l’armistice.

— De l’armistice ?

— La Seconde Guerre mondiale.

— Cela me dit quelque chose. Hélas, je suis au regret de vous révéler la vérité. Nous ne sommes pas le 8 mai 1995. Nous sommes le 27 mai 2580.

— J’avais raison d’avoir peur de l’anesthésie.

— Je suis très sérieux. Je comprends que le choc soit violent pour vous, mais vous ne nous avez pas laissé le choix. C’est à cause de Pompéi.

— Pompéi ! Hier, j’ai parlé de Pompéi.

— Oui, sauf que ce n’était pas hier. C’était il y a 585 années et 19 jours.

— Et combien d’heures ?

— Il est 18 h 15. C’était donc il y a 585 années, 19 jours, 2 heures et 8 minutes.

— Et combien de secondes ?

— Ce n’est pas une plaisanterie. Pompéi non plus.

— Vous êtes archéologue ?

— Il n’y a plus d’archéologues.

— Y a-t-il encore des anesthésistes ? J’aurais deux mots à leur dire.

— Voulez-vous bien oublier votre petite personne, pour une fois dans votre vie ?

— Vous, alors, vous êtes gonflé.

— Je vous parle de Pompéi. Pompéi est plus importante que vous.

— C’est une question de point de vue.

— Pompéi nous a paru plus importante que les milliers de personnes qui y vivaient. À plus forte raison, Pompéi nous paraît plus importante que vous.

— J’avais raison ! C’est vous qui avez déclenché l’éruption !

— L’année dernière, oui.

— L’année dernière, donc en 2579… Je vois que la manie des anniversaires ne s’est pas perdue.

— Ce n’était pas par souci d’anniversaire que nous avions choisi l’an 79 après Jésus-Christ. Nous avons voulu rendre Pompéi éternelle au moment où nous l’avons trouvée au faîte de son développement artistique. Dès l’an 80, on annonçait un arrivage de peintres d’un genre nouveau qui allaient réaliser de fâcheux palimpsestes sur des chefs-d’œuvre. Nous sommes intervenus juste à temps.

— Et moi, on allait me peindre un palimpseste sur la figure ?

— Non. Mais vous avez été la première à soupçonner la vérité au sujet de Pompéi.

— Et si vous m’aviez laissée en 1995, vous croyez que j’aurais changé le cours des choses ?

— Écoutez-moi cette prétentieuse.

— Je regrette : si vous m’avez arrachée à mon époque, c’est que je gênais vos plans.

— À parler franc, il nous serait impossible de préciser la raison pour laquelle nous vous avons convoquée.

— « Convoquée » ! Je vois que les litotes n’ont pas perdu leur pouvoir.

— Vous provoquiez une incertitude. Nous n’aimons pas l’incertitude.

— Nous, nous ! C’est un nous majestatif ?

— Je parle au nom des scientifiques de la basilique.

— Comment vous appelez-vous ?

— Celsius.

— Vous êtes suédois ?

— Il n’y a plus de Suédois.

— Cela m’étonne. Ce pays m’avait l’air solide.

— Il n’y a plus de pays. Il n’y a plus que deux orientations : le Levant et le Ponant. Je suis Ponantais.

— Et moi ?

— Vous, vous n’êtes rien. Vous n’avez pas changé.

— Ils sont aimables, les Ponantais.

— Votre façon de parler est un peu désuète.

— Mettez-vous à ma place !

— Je ne la trouve pas enviable.

— Nous sommes enfin d’accord sur un point. Dites-moi, Celsius, c’est vous qui êtes chargé de me surveiller ?

— C’est moi qui suis chargé de m’occuper de vous, oui.

— C’est ce que je disais. Puis-je vous demander de m’apporter des vêtements ? Je suis toute nue, pour le cas où vous ne l’auriez pas remarqué.

— Cela ne me dérange pas.

— Moi, cela me dérange.

— Je ne sais pas si j’ai des vêtements pour vous.

— Une couverture, alors.

— Je n’ai pas de couverture non plus.

— Du papier journal ?

— La presse est supprimée depuis longtemps.

— Mais faites quelque chose, enfin ! Je ne peux pas rester nue.

— Je vais voir ce que je trouve.