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LE SIÈGE COMMENCE
LA nef aérienne s'abaissait progressivement au-dessus de la cité, où régnait le silence de l'anxiété tandis que le soleil déclinait et que les tours retentissaient des échos du vacarme de la Horde satanique, toujours en mouvement.
Les rues et les parcs de Halwyg étaient pleins de soldats fatigués qui campaient à ciel ouvert partout où ils le pouvaient. Les fleurs étaient piétinées, les buissons aux baies comestibles étaient dépouillés pour nourrir les guerriers aux yeux rougis de fatigue, contraints à rentrer dans la ville sous la pression des forces barbares. Ils n'avaient même plus la force de lever la tête lors du passage de la nef au-dessus d'eux. Elle alla atterrir sur le toit du palais du Roi Onald, dont les remparts étaient déserts ; mais presque aussitôt des gardes coiffés de casques en murex, protégés par des cuirasses de nacre, portant le bouclier rond de Lywm-an-Esh et armés de lances et d'épées s'élancèrent pour s'emparer des voyageurs, les prenant pour des ennemis. Toutefois, en voyant Rhalina et Corum, ils abaissèrent leurs armes, un peu rassurés. Plusieurs d'entre eux avaient déjà subi des blessures au cours d'engagements avec les barbares et tous donnaient l'impression qu'une nuit de repos ne suffirait pas à les remettre en état de combattre.
« Prince Corum », dit leur chef, « je vais avertir le Roi de votre arrivée.
— Je vous remercie. En attendant, j'aimerais que vos hommes s'occupent des gens que voici, sauvés des barbares de Lyr il y a un court moment.
— Ce sera fait, bien que les vivres soient rares. »
Corum y avait songé. « Le vaisseau du ciel que voici peut aller vous chercher de la nourriture, bien qu'il faille éviter de l'endommager. »
Le pilote tira un manuscrit de son justaucorps et le remit à Corum. « Prince Corum, voici la liste des substances dont notre cité a besoin pour tenter une fois encore de franchir le Mur Entre les Royaumes.
— S'il est possible d'invoquer Arkyn », répondit Corum, « je lui remettrai la liste, car c'est un dieu, et il en sait naturellement plus que nous sur ces choses. »
Dans la salle très simple d'Onald, toujours couverte de cartes du pays, ils trouvèrent le Roi, le visage assombri.
« Comment va votre nation, Roi Onald ? » demanda Jhary-a-Conel dès leur entrée.
« Ce n'est plus guère une nation. Nous avons été peu à peu repoussés, si bien que tout ce qu'il nous reste de population, ou à peu près, s'est rassemblé à Halwyg. » Il désigna une carte à grande échelle de Lywm-an-Esh et débita d'une voix creuse : « Le Comté d'Arluth-a-Cal, pris par les pirates marins de Bro-an-Mabden ; le Comté de Pengarde et son antique capitale, Enyn-an-Aldarn, incendiés, des flammes jusqu'au lac Calenyk, selon tous les comptes rendus. Il paraît que le Duché d'Oryn-nan-Calywn résiste encore dans les montagnes les plus au sud, de même que le Duché de Haun-a-Gwyragh… mais Bedwilralnan-Rywn est entièrement envahi, tout comme la Baronnie de Gal-a-Gorow. Quant au Duché de Palantyrn-an-Kenak, pas de nouvelles…
— Tombé », fit Corum.
« Ah !… Tombé…
— Ils se referment maintenant sur nous de toutes parts, semble-t-il », dit Jhary en étudiant attentivement la carte. « Ils ont pris tout le long des côtes, puis ils ont systématiquement rétréci le cercle… toute la Horde convergeant sur Halwyg-nan-Vake. Je n'aurais jamais cru les barbares capables de tactiques aussi évoluées… ou de les appliquer, même s'ils les avaient imaginées…
— Vous oubliez l'envoyé de Xiombarg », observa Corum. « Il a sans nul doute dressé les plans et a entraîné leurs troupes à les exécuter.
— Vous voulez parler de cet être en armure éclatante qui chevauche à la tête de l'armée de monstres ? » demanda le Roi Onald.
« Oui. Vous êtes renseigné sur lui ?
— Oui, mais rien qui nous avance beaucoup. On le prétend invulnérable. En tout cas, comme vous le supposez, il a pris une large part à l'organisation des armées barbares. Il est souvent aux côtés du Roi Lyr. J'ai entendu dire qu'il s'appelle Gaynor… le Prince Gaynor le Damné… »
Jhary hocha la tête. « Il se retrouve souvent dans ce genre de conflits. Il est condamné à servir le Chaos de toute éternité. Le voici donc devenu le laquais de la Reine Xiombarg ? C'est une position plus honorable que certaines autres qu'il a occupées dans le passé… ou dans le futur… comme on veut… »
Le Roi Onald jeta un regard étonné à Jhary et poursuivit : « Même sans l'aide du Chaos, ils nous écrasent à dix contre un. Grâce à la supériorité de nos armes et de notre stratégie, nous aurions pu leur résister durant des années – tout au moins les tenir à l'écart de nos côtes – mais ce Prince Gaynor les conseille en toute circonstance. Et ses avis sont excellents.
— Il a beaucoup d'expérience », fit Jhary en se frottant le menton.
« Combien de temps pouvez-vous tenir le siège ? » s'informa Rhalina.
Il haussa les épaules et contempla tristement sa ville surpeuplée, par la fenêtre. « Je l'ignore. Les soldats sont tous fatigués, nos murs ne sont pas tellement élevés et le Chaos combat pour Lyr…
— Hâtons-nous d'aller au temple essayer d'invoquer le Seigneur Arkyn ! » intervint Corum.
Ils allaient à cheval par les rues encombrées. Partout, des visages marqués par le désespoir. Des charrettes roulaient dans les larges avenues et des feux de bivouac brûlaient sur les pelouses. La moitié de l'armée portait des blessures. Les hommes étaient insuffisamment armés, insuffisamment protégés. Il semblait incroyable que Halwyg pût résister au premier assaut de Lyr.
Le siège ne durerait guère, songeait Corum en s'efforçant de fendre la foule à vive allure.
Ils parvinrent enfin au temple. Les terrains d'alentour étaient couverts de blessés qui dormaient. Aleryon-a-Nyvish, le prêtre, debout sur le seuil du sanctuaire, semblait les attendre.
Il les accueillit avec empressement. « Avez-vous trouvé des secours ?
— Peut-être », répondit Corum. « Mais il nous faut parler au Seigneur Arkyn. Peut-on l'invoquer ?
— Il désire vous voir. Il est arrivé depuis quelques instants. »
Ils entrèrent rapidement dans la pénombre fraîche. Des matelas, inoccupés pour le moment, recouvraient presque tout le dallage, destinés aux blessés et aux mourants.
La silhouette élégante qu'avait adoptée le Seigneur Arkyn sortit de l'ombre. « Comment s'est passé votre séjour dans le Royaume de Xiombarg ? »
Corum l'informa des événements. Arkyn en fut visiblement frappé. Il tendit la main. « Remettez-moi cette liste ! Je vais chercher les substances dont a besoin la Cité dans la Pyramide. Mais il me faudra un certain temps.
— Et, en attendant, le sort de deux cités assiégées reste incertain », observa Rhalina. « Gwlas-cor-Gwrys, dans le Royaume de Xiombarg, et, ici, Halwyg-nan-Vake. Le destin de l'une dépend de celui de l'autre.
— Ces incidences sont assez fréquentes dans la lutte entre la Loi et le Chaos », murmura Jhary.
« C'est exact », reconnut le Seigneur Arkyn. « Mais il faut tenter de conserver Halwyg jusqu'à mon retour. Même alors, nous n'aurons pas la certitude que Gwlas-cor-Gwrys aura tenu. Notre unique avantage est que la Reine Xiombarg doive maintenant disperser son attention sur deux batailles… l'une dans mon Royaume, l'autre dans le sien.
— Pourtant, son représentant, le Prince Gaynor, est ici et paraît lui faire honneur », souligna Corum.
« Si Gaynor était supprimé », fit Arkyn, « une grande partie de la supériorité des barbares disparaîtrait du même coup. Ce ne sont pas des tacticiens par nature, et sans lui une certaine confusion régnerait.
— Mais leur nombre seul constitue un énorme avantage », dit Jhary. « De plus, il y a les Armées du Chien et de l'Ours…
— D'accord, messire Jhary. Je soutiens néanmoins que votre ennemi essentiel est Gaynor le Damné.
— Mais il est indestructible.
— Il peut être éliminé par quelqu'un d'aussi fort que lui et d'aussi marqué par le destin. » Arkyn lança un coup d'œil significatif à Corum. « Mais il faudrait beaucoup de courage, et peut-être que tous les deux seraient éliminés… »
Corum inclina la tête. « Je réfléchirai à vos paroles, Seigneur Arkyn.
— Maintenant, je m'en vais. »
La silhouette élégante disparut, et ils restèrent seuls dans le temple.
Corum regarda tour à tour Rhalina et Jhary, qui détournèrent la tête. Ils savaient tous les deux ce que lui demandait le Seigneur Arkyn… la responsabilité dont il le chargeait.
Le Prince plissa le front et tripota le bandeau chamarré sur son œil, fléchissant en même temps les six doigts de la main greffée à son poignet gauche.
« Avec l'Œil de Rhynn et la Main de Kwll », dit-il, « avec les présents épouvantables de Shool, greffés presque tout autant à mon âme qu'à mon corps, je vais faire de mon mieux pour débarrasser ce Royaume du Prince Gaynor le Damné. »