Vivre en couple est pour Félix un sacerdoce, presque un devoir sacré. « Si tu savais le nombre de femmes qui s’ennuient dans leur solitude » dit-il d’un air apitoyé. Alors il arrive et l’élue n’a plus la moindre chance de s’ennuyer. Car s’il se dévoue pour elle, elle-même a désormais fort à faire pour satisfaire les désirs et les exigences de son compagnon. Et ce n’est pas un amant effacé et soumis qui lui tombe ainsi du ciel.
La vie de la femme élue se trouve bouleversée au point de lui laisser pour longtemps des souvenirs ineffaçables tant en bien (on peut l’espérer) qu’en désagréments. Et je m’interroge à quel point ces souvenirs pourraient peser sur des futures décisions s’il se présentait à elle une occasion nouvelle de vie commune.
Le bon côté pourrait être ce que Félix lui-même en dit : « Je lui ai révélé le plaisir ». Est-ce autre chose qu’une vantardise ? Aucune partie adverse ne m’a confié son avis.
L’envers du décor prend souvent racine dans une jalousie contre l’ancien mari (même décédé) et contre les enfants de celui-ci s’ils ont la mauvaise idée d’exister. Scènes de ménage, bouderies, fâcheries et réconciliations apportent rapidement une attraction et une tragédie sans temps mort. Comme les anciennes connaissances passées au crible de critères sélectifs se trouvent vite écartées, les habitudes précédentes, jugées tristes et ternes, subissent un lifting radical et décapant.
Félix n’apporte donc pas que sa personne mais aussi un chambardement complet de la vie. Sa compagne reçoit une nouvelle existence pour ainsi dire clé en main et se trouve entraînée dans une pièce de théâtre à rebondissements multiples. Sans faire un pli, elle se trouve habillée pour l’hiver, le printemps, l’été et même l’automne. La durée du spectacle dépend surtout de la résistance des deux partenaires. En général plus de six mois, rarement plus de trois ans. Mais la fin ressemble à celle de tous les spectacles ; le retour au réel se fait avec une certaine gueule de bois. Et Félix, après un déménagement et une courte période en célibataire, se trouve disponible pour de nouvelles aventures.
La sincérité est une question incontournable. Les deux ou trois premières aventures pouvaient en laisser l’illusion. À la recherche d’une âme sœur, tout le monde n’a pas la chance de trouver dès le premier essai. Mais après la cinquième, le bénéfice du doute est sérieusement hypothéqué. Et cela se répète encore tant de fois qu’il faut désespérer de voir ce cycle infernal s’arrêter par autre chose que la vieillesse, la maladie ou la fin de l’acteur.