CHAPITRE VI

Berk et Gina absorbèrent un peu de nourriture. Il existait, dans une armoire, des rations alimentaires parfaitement équilibrées en protéines et en vitamines, sous forme de poudre en tablettes ou de liquide sirupeux. Sous une faible quantité, ces ingrédients fournissaient un très grand nombre de calories.

Puis, le premier, l’Allemand s’approcha d’un genre de vaste cocon en plastique sous lequel était installé un curieux appareillage : deux sièges surmontés d’une antenne parabolique.

Les deux atomistes avaient bien remarqué ce matériel, au moment où ils étaient entrés dans l’habitacle, mais ils ne s’étaient pas posé la question sur son utilité. D’ailleurs, ils agissaient un peu en automates, puisque Xlof les téléguidait de son palais, du moins leur donnait les impulsions électriques nécessaires, qui réglaient leurs mouvements, leurs décisions.

Gina resta perplexe devant l’œuf translucide.

— À quoi cela peut-il servir ?

— Aucune idée, avoua Berk avec sincérité. Mais nous le saurons très rapidement.

— Comment ça ?

Sans difficulté, le chimiste ouvrit la cuve étanche et s’infiltra à l’intérieur par une ouverture juste assez large pour permettre le passage d’un homme.

Il s’assit délibérément sur l’un des sièges.

— Que faites-vous ? s’étonna Gina.

— Vous le voyez, je m’installe. Il y a un second fauteuil, je vous le précise.

— Mais, Karl, pourquoi cette décision ?

— Parce que je la crois très utile, raisonnable. Pas vous ?

La laborantine hésita. À mesure que les secondes s’écoulaient, elle sentait que Berk avait raison.

— Si. Mais je pense soudain à James, à Anne.

L’Allemand fronça le sourcil. Il sortit quelques secondes de sa torpeur, de son engourdissement. Il se rappela qu’il avait été séparé de ses compagnons.

— Anne, James, répéta-t-il. Oui. Où sont-ils ? Puis une préoccupation plus importante accapara son esprit.

— Asseyez-vous, Gina.

Celle-ci obéit. Le chimiste se leva, referma avec étanchéité le cocon en plastique et reprit place sur le siège. Ses mains prirent celles de la jeune fille. Son regard s’adoucit. Des mots se pressaient à ses lèvres, mais il les retenait.

— Gina…, dit-il, dans un moment où, sans doute sur, Ast Xlof interrompait ses impulsions à destination du planétoïde.

— Eh bien, Karl ?

— Je suis heureux d’être avec vous. C’est idiot de vous l’apprendre dans un moment semblable, mais c’est le seul instant où je trouve du courage. Toujours, j’ai hésité. Maintenant…

Là-bas, au palais, Xlof dut lancer un faisceau d’ondes, car l’Allemand lâcha les mains de la jeune laborantine, comme si un serpent l’avait piqué.

Il changea de sujet.

— Respirez-vous convenablement malgré l’étanchéité du cocon ?

— Oui. Je suppose qu’il existe une ventilation à l’intérieur de la cloche transparente.

— Probablement.

Dans un laboratoire, le conseiller et son adjoint surveillaient les deux Terriens sur un écran. Xlof appuya sur un bouton. Aussitôt, l’antenne parabolique qui surmontait les deux sièges, à l’intérieur de la cuve en plastique, émit un rayonnement spécial.

— Phase six commencée, annonça triomphalement Sor.

— Nous n’avons plus qu’à attendre les résultats, dit le conseiller. Tout a très bien marché jusqu’ici. Je suis certain que l’expérience s’achèvera par un succès. Alors, nous entrerons dans l’ère supérieure.

Sur les visages des deux Astors passa un éclair de fierté. S’ils parvenaient au but espéré auquel ils travaillaient depuis longtemps, alors ils récolteraient la plus belle récompense de leur vie, celle qui couronne la carrière des grands savants.

Ils ignoraient que des événements très importants se préparaient. Cela, ni Xlof, ni Ulixe, ni Ruong et ses compagnons ne pouvaient le prévoir.

 

*
*  *

Dans l’espace, à des milliers de kilomètres d’altitude au-dessus de Spir, planait une étrange machine volante. Elle était sphérique, percée de hublots, et de grosses antennes hérissaient son enveloppe.

Elle restait immobile, et à l’intérieur, des créatures interrogeaient des écrans.

— Aucun doute, c’est Spir, le planétoïde, haleta Zem.

— Vous devez le reconnaître, père, dit Chur. Quant à moi, je ne le peux pas, puisque je suis né dans le cosmos.

— Exact, mon fils. Tu es un apatride. Mais je te promets que tu auras une nation bien à toi, une planète. Je t’en ai fait le serment.

Les deux, créatures observaient les écrans avec attention. Le plus jeune s’aperçut du trouble qu’éprouvait son aîné.

— Tu es ému, père ?

— Oui. Je ne peux pas mesurer exactement le temps depuis lequel j’ai quitté Ast, mais cela fait sûrement des années, des dizaines d’années. Et revoir ma planète natale constitue pour moi une épreuve difficile.

— Je connais votre histoire, avoua Chur. Celle de ma mère, aussi. Je connais tous les sentiments qui vous animent, et je les partage, parce que c’est mon devoir, et parce que je pense comme vous.

Zem concentra brusquement son attention sur un détail particulier qui surgissait nettement sur son écran de contrôle.

— Regarde !

Il tendait le doigt vers une curieuse habitation, demi-sphérique, aux parois transparentes, à travers lesquelles on devinait des êtres vivants.

— Kine ! appela Zem.

Une femme surgit dans la cabine encombrée d’instruments.

— Kine ! Spir est habité.

— Tu divagues ! Avant notre départ, le planétoïde n’était qu’un vaste désert de poussière.

— Sans doute. Mais maintenant…

La mère de Chur aperçut l’habitacle que Xlof avait déposé par morceaux sur Spir, et assemblé uniquement par télécommandes, sans quitter ses laboratoires sur Ast. Elle s’étonna, inquiète :

— Des bipèdes sont à l’intérieur d’un cocon. Or, ils nous ressemblent vaguement, et ce ne sont pas des Astors.

Les trois passagers du vaisseau sphérique avaient une peau légèrement blanchâtre. Ils possédaient de longs poils sur tout le corps, des poils grisâtres, soyeux. Seules, leurs faces en étaient dépourvues et ces visages d’albinos, aux larges oreilles, au museau proéminent, avaient l’apparence des grands singes terrestres. Des Astors poilus, et à la peau blanche, si l’on préférait.

— On file sur Ast ? suggéra Chur.

— Non, refusa Zem. Ce serait trop dangereux. Nous ignorons ce qui a pu se passer sur notre planète depuis notre départ. Maintenant que nous touchons au but, agissons avec méfiance. Ne l’oublions jamais : nous sommes reniés par nos semblables. D’ailleurs, comment leur faire admettre que nous appartenions jadis à leur société ? Non seulement nous revenons porteurs de mutations physiologiques, mais à bord d’un vaisseau qui n’est pas de notre construction.

— Sans les Kortiens, père…

— Oui, approuva Zem, pensif. Sans eux, nous serions perdus dans l’espace, et jamais nous n’aurions pu revenir dans notre système planétaire. Nous leur devons la vie. Payerons-nous un jour notre dette ?

Impulsif, Chur aimait les décisions rapides :

— On se pose sur Spir ?

— Oui. Je veux absolument élucider le mystère de l’astéroïde. Peut-être Ast est-il occupé par une race venue du cosmos, et sur Spir, nous découvrons l’une de leurs bases avancées.

L’inquiétude augmenta chez Kine. Depuis des années, elle vivait dans l’incertitude du lendemain, dans l’angoisse. Le fait de quitter à jamais sa planète avait bouleversé son existence et son caractère. Maintenant, aigrie, ulcérée, elle était prête à livrer le dernier combat.

— Serions-nous déjà détectés ? s’alarma-t-elle.

— Impossible, affirma Zem. Nos écrans protecteurs déjouent tous les systèmes de détection.

— C’est vrai, reconnut la mère de Chur. Les Kortiens sont parvenus à une civilisation très avancée, peut-être supérieure à celle des Astors.

— En certains domaines sûrement, assura Zem. Cela, malgré leur taille exiguë, la moitié de la nôtre. Ils ont été obligés de nous céder l’un de leurs plus grands astronefs.

— Alors ? s’impatienta le jeune Astor. On se pose ?

— D’accord, fils.

Le véhicule sphérique perdit de son immobilité. Il tourna sur lui-même à une vitesse fantastique, puis il perdit de l’altitude. Le sol du planétoïde se rapprocha.

L’engin atterrit à quelques centaines de mètres de l’habitacle où Berk et Gina subissaient un rayonnement intensif. Une colline rocheuse masquait le vaisseau aux regards venus de l’abri transparent.

Immédiatement, Zem nota le phénomène sur ses appareils de contrôle. La rotation de Spir semblait ralentie.

— Troublant ! marmonna l’ancien Astor. L’astéroïde tournait plus rapidement que cela avant notre départ. Ce ralentissement aurait-il une cause naturelle ou bien…

— À quoi pensez-vous, père ? Zem haussa les épaules.

— C’est idiot. Je me demande qui aurait intérêt à ce que Spir tournât moins vite sur lui-même. Qui et pourquoi ?

La perspicacité de Chur s’aiguisa. Ses parents étaient des savants, et il avait non seulement hérité de leur bagage scientifique, mais il avait travaillé. De plus, son passage sur Kort avait notablement augmenté ses connaissances. Sans égaler Xlof, par exemple, il se hissait facilement au niveau d’un des plus proches collaborateurs du premier conseiller.

— Si la rotation de Spir s’est ralentie, remarqua-t-il, la pesanteur s’en trouve allégée à sa surface.

Zem ouvrit des yeux hagards. Brusquement, un souvenir lui remontait en mémoire et un rapide contrôle, sur un indicateur, confirma la remarque de son fils.

— Tu as raison, Chur. Mais ce n’est pas possible !

— Qu’est-ce qui est impossible ?

L’ancien savant astor passa une main sur son front. Il contempla les longs poils qui recouvraient son corps, celui de sa femme, de son fils. Jadis, comme tous les Astors, il ne possédait aucun poil, et sa peau n’était pas blanche.

— Kine ! haleta-t-il. Rappelle-toi… Le palais… L’expérience…

— Tais-toi ! hurla la mère de Chur. Ne reviens pas sur le passé. À partir de ce moment-là, notre existence a été bouleversée. Nous avons vieilli loin de notre planète, et nous avons connu l’horreur de la déportation à vie…

Zem donna un scaphandre à Chur.

— Habille-toi. Nous sortons. J’ai peur que mon imagination ne m’entraîne trop loin. Je disais que c’était impossible. Et puis, comment expliquer la présence de ces deux créatures étrangères dans cet abri semi-sphérique ?

Les deux Astors s’équipèrent. Ils pouvaient affronter les conditions climatiques de Spir, l’atmosphère raréfiée, le froid. Mais Kine semblait inquiète.

— Méfiez-vous. Un piège vous est peut-être tendu.

Zem s’arma d’un pistolet thermique, ramené de la planète Kort. Aucune substance ne résistait à l’effroyable chaleur dégagée par l’arme terrifiante.

— Rassure-toi, Kine. Nos scaphandres, comme le vaisseau, sont équipés d’écrans protecteurs, anti-rayons. D’autre part, nous sommes armés.

Chur et son père disparurent par le sas. Ils foulèrent bientôt le sol du planétoïde et, en marchant, ils soulevaient une fine poussière. Très rapidement, ils atteignirent l’habitacle construit par Xlof.

 

*
*  *

Sor n’en croyait pas ses yeux. C’était absolument extraordinaire, et sa première idée fut de prévenir Xlof. Celui-ci rejoignit son adjoint le plus rapidement possible.

Devant les écrans de contrôle, le conseiller s’anima :

— Incompréhensible ! Qu’est-ce qui leur prend ?

Berk et Gina se dressaient de leurs sièges. Une grosse partie du cocon en plastique semblait en très mauvais état, car un large orifice béait. Puis le premier, l’Allemand sortit du container étanche et il se retrouva à l’intérieur de l’habitacle semi-sphérique.

En titubant, il se précipita vers l’armoire aux scaphandres, et endossa rapidement une combinaison. Gina le rejoignit. Elle paraissait exténuée et elle tomba dans les bras du chimiste. Celui-ci dut aider la jeune fille à enfiler son vêtement protecteur.

— Envoyez de plus grosses impulsions électriques ! hurla Xlof, les traits tirés.

Les techniciens s’affolaient. Ils ne s’attendaient guère à ce revirement de situation, d’autant que, jusqu’à présent, tout fonctionnait normalement. Ils ne s’expliquaient pas ce brutal incident.

— Impulsions augmentées ! cria un spécialiste. Le résultat de cette initiative fut décourageant.

Berk et Gina n’obtempérèrent pas aux stimulations envoyées d’Ast. Ils quittaient hâtivement la construction hémisphérique comme si un danger sérieux les menaçait.

— À mon avis, dit Sor, les bipèdes de S3 ne reçoivent plus nos stimulations intracervicalcs. J’en ignore la cause. Sans doute un dérèglement dans les relais.

— Que peut-on faire ? demanda un technicien, inquiet.

— Préparez un vaisseau télécommandé ! décida Xlof. Nous envoyons immédiatement sur Spir un relais de secours.

À ce moment, les écrans de contrôle noircirent, et les images disparurent. En vain, les Astors essayèrent-ils de rétablir le contact définitivement coupé avec le planétoïde.

Le conseiller voyait ses plans compromis, mais il ne s’avouait pas battu.

— Accélérez l’envoi du relais de secours ! Peut-être rétablirons-nous l’image. C’est bizarre. On avait l’impression que les deux bipèdes, en sortant du cocon étanche dans lequel ils étaient assis, respiraient mal, très mal, comme si le fonctionnement du système d’aération défaillait.

— Oui, je l’ai remarqué, avoua Sor. À quoi peut-on attribuer cette défectuosité ? Or, il est à souligner que le système d’aération de l’habitacle n’est pas seul en cause. Nous n’avons plus d’images de Spir, et nous ne pouvons plus contacter les bipèdes de S3.

Xlof réfléchit.

— Pourvu qu’Ulixe ne soit pas à l’origine de ces incidents…

— Ulixe ?

— Oui. Elle a sûrement découvert l’abri hémisphérique sur l’astéroïde. Mais je me demande si elle dispose des moyens techniques suffisants pour perturber nos propres ondes.

Un technicien prévint le conseiller qu’un vaisseau télécommandé était prêt à partir pour Spir. On y avait monté, rapidement un relais de secours.

— Envoyez ! ordonna Xlof.

Quand le laboratoire volant s’élança dans l’espace, Xlof le suivit un moment sur les écrans. Mais il tenta vainement d’établir un contact visuel avec le planétoïde.

— Si je savais qu’Ulixe contrarie mes projets, grommela-t-il, je ne le lui pardonnerais jamais.

Il se tourna vers son adjoint.

— À propos, Sor. Avez-vous des nouvelles de l’explosion décelée dans l’espace ?

— Non, nos espions enquêtent difficilement. Mais l’onde de choc enregistrée est importante. L’explosion s’assimile à celles qui se produisent périodiquement à la surface des étoiles.

L’étonnement grandit chez le conseiller.

— Décidément, Ulixe serait-elle plus forte que je ne le pense ?

Il reporta son attention sur les écrans qui reproduisaient avec fidélité le vol cosmique du laboratoire de secours lancé vers Spir.

 

*
*  *

Berk et Gina marchaient côte à côte. Ils apercevaient Zem et Chur qui dirigeaient vers eux le tube de leurs pistolets thermiques. Aussi, ils avaient conscience de leur infériorité.

— Qui sont ces gens ? demanda l’Italienne. Ceux qui nous ont enlevés ? Pourtant, certains détails diffèrent.

— Exact, dit le chimiste. Ils ont la peau plus blanche et des poils. Mais leur analogie avec les singes terrestres reste frappante.

— Que nous veulent-ils ?

— Je l’ignore… Oh ! Regardez !

Berk tendit la main. Il désigna un engin sphérique, posé sur le sol.

— Un vaisseau cosmique, mais de conception nouvelle.

— Ça prouve, dit Gina, que ces deux créatures n’appartiennent pas à la race qui nous a enlevés.

Zem et Chur, par gestes, intimèrent aux Terriens l’ordre de monter à bord de l’astronef. Le sas se referma derrière eux et, quand Kine aperçut les deux atomistes du centre européen, un frisson la parcourut.

— Qu’espères-tu, Zem, en les amenant à bord ?

— Le vaisseau possède un traducteur linguistique universel, construit par les Kortiens. Nous pourrons converser avec les étrangers.

Les deux Astors, à coups de rayons thermiques, n’avaient eu aucune difficulté à pénétrer dans l’habitacle hémisphérique. Ils avaient donc libéré Berk et Gina et ils espéraient maintenant que ceux-ci leur fourniraient des explications.

Le traducteur linguistique universel, mis au point par la science kortienne, ressemblait à n’importe quelle machine électronique. Sa complexité était effrayante, mais il prouva immédiatement son efficacité, car Zem, débarrassé de son scaphandre, posa sa première question :

— Qui êtes-vous ?

Berk et Gina comprirent ces paroles par le truchement d’une voix monocorde, émise par la machine. Dès lors, l’atmosphère d’insécurité, de méfiance, s’allégea.

— Nous avons été enlevés de notre planète, la Terre, par des créatures qui vous ressemblent et qui possèdent des vaisseaux en forme de spirale.

— Des Astors ! précisa Zem. Je sais. Nous sommes nous-mêmes de cette race. Voulez-vous nous raconter ce qui vous est arrivé ? Ça nous intéresse énormément.

Tour à tour, Berk et Gina expliquèrent qu’en plein cœur du massif de l’Himalaya, ils avaient été enlevés et déportés sur une planète inconnue, puis enfermés dans une sorte de cage de verre, au milieu d’autres créatures bizarres, que des Astors observaient comme des bêtes curieuses.

— Le muséum spatial de biologie animale ! précisa le père de Chur. Ulixe, l’un des deux conseillers d’Ast, y réunit des spécimens du cosmos… Mais que faisiez-vous sur Spir, le planétoïde ?

— Aucune idée, dit l’Allemand. À un moment, on nous a lâchés en liberté dans une haute montagne, puis on nous a séparés de nos deux autres compagnons, James Ruong et Anne Mole. Enfin, un spacionef télécommandé nous a conduits jusqu’ici.

— Hum ! Je vois, affirma Zem. Vous êtes tombés entre les mains de Xlof, le premier conseiller.

— Mais vous-mêmes, d’où venez-vous ?

— D’Ast, précisément. Il y a de cela bien longtemps. Xlof avait succédé à l’ancien premier conseiller, décédé. Or, déjà, il travaillait à la mise au point d’une formule destinée à révolutionner la biologie. Son idée était d’augmenter la taille des Astors, de créer, si vous le voulez bien, une super-race de géants. À cette époque, Kine et moi étions ses collaborateurs. Xlof tenta de multiples expériences sur des animaux, sans grand succès tout d’abord. D’ailleurs, une terrible épidémie avait ravagé le monde animal de la planète, et le premier conseiller ne trouvait presque plus de cobayes pour ses expériences.

Lentement, le voile du mystère se déchirait. Berk et Gina, figés, écoutaient attentivement ces confidences.

— Un jour, poursuivit Zem, Xlof découvrit un procédé nouveau. L’état de moindre pesanteur influait, à la longue, sur la taille et le processus cellulaire. Il nous convainquit de nous prêter à ces nouvelles expériences et nous acceptâmes, car nous partagions sa foi, ses espérances. Vraiment, l’ère de la super-race nous tentait, car nous sentions qu’elle changerait notre civilisation. Mais la tentative se solda par un échec. Non seulement notre taille ne s’accrut pas, mais des mutations s’opérèrent sur notre corps. De longs poils apparurent, et notre peau prit cet aspect blanchâtre qu’elle a encore aujourd’hui.

L’ancien collaborateur de Xlof atteignait maintenant l’instant dramatique, et son regard lançait des éclairs.

— Le conseiller nous plaça en quarantaine, Kine et moi, car, naturellement, ses expériences se poursuivaient dans le plus grand secret, et il n’était pas question de nous montrer en public. Mais Xlof eut peur que nous ne le trahissions. Nous étions les témoins vivants de sa tentative manquée. Alors, il décida de nous déporter à vie dans le cosmos. Il fréta un astronef et nous projeta dans la quatrième dimension, avec impossibilité de retour. Cela, nous ne le lui pardonnerons jamais.

— Je comprends, approuva Berk. Mais vous êtes néanmoins revenus. Comment l’expliquez-vous ?

Chur, d’une oreille distraite, écoutait ce qu’il savait déjà par cœur. En revanche, il restait attentif à certains appareils de contrôle. Et soudain, il poussa un cri.

— Père ! Un objet volant se dirige vers Spir à une vitesse proche de celle de la lumière. Il provient en droite ligne d’Ast.

Zem vérifia les lignes lumineuses qui zigzaguaient sur un écran.

— Exact. Décollons, Chur. Il est inutile de s’exposer.

L’engin sphérique tourna sur lui-même et opéra un mouvement ascensionnel. Il disparut très rapidement dans l’espace, à une altitude inaccessible, au moment où le laboratoire volant envoyé par Xlof se posait à proximité de l’habitacle transparent et retransmettait les premières images du planétoïde depuis la destruction du relais fixe installé à l’intérieur de l’abri préfabriqué.