CHAPITRE XI
Deux jours plus tard, Xal annonça que Z-10, à l’extrême sud du continent, subissait l’attaque de Chaddle et de Maria Purner. Xin, par télépathie, prévenait Xal qu’une aéro-bulle s’était posée à proximité de la plantation. Un homme et une femme, pistolet au poing, approchaient du souterrain.
Puis la pensée de Xin fut brusquement interrompue. Le vieux Xen de Z-10 avait succombé sous le « calcineur ».
— Ce sont eux ! gronda Sommy, s’élançant vers son aéro-bulle. Allons-y, Mozer.
Les deux pilotes n’attendaient que cette occasion pour mettre leur plan à exécution. L’engin sphérique s’éloigna rapidement de Z-2. Il prit la direction des montagnes. Mozer manifesta un certain regret :
— Peut-être aurions-nous pu aider Xin.
— Non. Z-10 n’est plus qu’un tas de cendres.
L’appareil filait à sa vitesse maximum. Il atteignit bientôt les montagnes. La fusée ne tarda pas à se découper sur l’horizon légèrement voilé de brume. Dans le ciel, quelques nuages couraient.
L’engin évolua autour de la nef. Sommy tendit la main, en jubilant :
— L’alvéole de l’aéro-bulle est ouvert. On ne peut l’obturer que de l’intérieur et ce détail que je connais bien m’a immédiatement frappé. Mon plan tient en ce simple détail. Puisque Chaddle et Maria Purner visitent ensemble les plantations de Xens, ils laissent forcément l’alvéole ouvert derrière eux, après leur départ.
Lentement, la bulle s’abaissa et se posa sur le tremplin béant. Le magnétisme riva l’engin dans l’alvéole. Sommy et son compagnon dégainèrent leur pistolet et abandonnèrent le véhicule.
Leurs cœurs battaient. Certes, ils savaient que Chaddle et Maria Purner se trouvaient à l’extrême sud du continent, à Z-10, mais l’émotion de retrouver leur nef les étreignait. Ils descendirent prudemment aux étages inférieurs de la fusée.
Sommy se retourna vers son adjoint. Il lui souffla à voix basse :
— Tout doit être terminé avant le retour de Chaddle et de Mlle Purner. Or, n’oublions pas qu’un Rova occupe le cosmonef. Nous devons d’abord le découvrir.
Ils abordèrent le couloir qui conduisait à la salle de pilotage, au labo et aux cabines. Ils se heurtèrent immédiatement au Rova.
Ce dernier encadrait toujours solidement la porte derrière laquelle Thomas et Candel se trouvaient captifs. Quand il aperçut les Terriens, le végétal attaqua immédiatement. L’extrémité de sa tige se détendit. Mais il avait mal calculé son élan. La tige se balança à quelques centimètres du visage de Sommy, atterré.
Déjà, Mozer avait réagi. Son « calcineur » cracha. L’extrémité jaune du Rova noircit, se rétracta. Ses ultimes feuilles se recroquevillèrent. Quatre fois encore, les Terriens tirèrent. Quatre morceaux de tige tombèrent sur le sol, se convulsèrent dans des spasmes d’agonie.
Électriquement, la porte de la cabine s’ouvrit. Sommy fit irruption dans la pièce. Il trouva Thomas et Candel debout, hagards, stupéfaits. Ils ne s’attendaient évidemment pas à la visite de leurs collègues !
Sommy expliqua brièvement son plan. Thomas hocha la tête :
— Pas mal ! Pas mal du tout ! Vous n’avez pas eu trop de difficultés avec le Rova ?
— Non. Mais je craignais que ces saletés ne vous aient inoculé quelque substance capable de vous verser dans leur camp.
— Non, dit Candel d’un ton rassurant. Le Rova ne nous a pas touchés. Il gardait simplement notre cabine.
— Je vois. Vous avez toujours l’épiderme vert… Eh bien, filez d’ici avant le retour de Chaddle et de Maria Purner. Et grouillez-vous !
Thomas et son compagnon sortirent dans le couloir. Le premier hésita à s’éloigner :
— Vraiment, Johnny, tu ne veux pas que nous restions ?
— Non. Il faut planquer l’aéro-bulle, sinon Chaddle se méfiera. Retournez à Z-2.
— Ce n’est pas ce que je voulais dire. Nous aurions pu rester… et vous partir. Nous avons un compte à régler avec Chaddle et Mlle Purner.
— Filez ! insista Sommy, poussant Thomas et Candel vers le fond du couloir où un escalier accédait aux étages supérieurs.
— Bon, bon ! On s’en va ! grommela Thomas. Bonne chance, Johnny.
Sommy et Mozer pénétrèrent dans la salle de pilotage. Le capitaine observa les écrans panoramiques. Il aperçut l’aéro-bulle se glissant hors de son alvéole et bondissant dans le vide. Très rapidement, l’engin disparut aux regards.
Sommy poussa un soupir de soulagement. Il quitta le siège, devant les écrans, et alluma une cigarette. Il fuma voluptueusement et s’étira comme un chat au moment du réveil.
— Installe-toi là, Mozer, et préviens-moi dès que Chaddle et Mlle Purner arriveront. Je vais vérifier si rien ne cloche dans la fusée.
Il quitta la salle, se retrouva dans le couloir, donna un coup de pied rageur dans un tronçon noir du Rova, qui tomba en cendres, et entra dans le laboratoire. Il aperçut le bac, où le Rova puisait sa nourriture, puis l’installation U.V. et des radiations nutritives.
Il coupa l’alimentation des ultra-violets. D’une décharge, il calcina le bac où le végétal trempait ses racines. Il visita ensuite toutes les cabines, les compartiments des moteurs. Il vérifia des instruments de contrôle, s’assurant que tout était en ordre.
Il revint, satisfait, auprès de Mozer :
— Toujours rien ?
— Non. On peut décoller ? demanda Mozer en riant. Chaddle l’aurait sec en ne retrouvant plus la nef.
— Là ! gronda soudain Sommy, tendant le doigt vers un écran.
Une aéro-bulle apparaissait. D’abord comme un point imperceptible, minuscule, il grossit rapidement. Il se rapprocha, tourna au-dessus de la fusée, et finalement, ne décelant rien de suspect, aborda l’alvéole.
Sommy et Mozer se ruèrent vers les étages supérieurs. Ils se postèrent dans un angle, juste au bas de l’escalier accédant à la loge de la bulle. Bientôt, ils perçurent les voix de Chaddle et de Maria Purner. Et, quand ceux-ci posèrent le pied au bas de l’échelle métallique, les deux pilotes surgirent, pistolet au poing.
— Mains en l’air, et vivement ! hurla Sommy. La surprise figea les arrivants. Puis Chaddle reprit rapidement son sang-froid :
— Capitaine ! Comment diable vous trouvez-vous ici ?
— Le hasard, docteur… Le hasard !
Il s’adressa à son adjoint :
— Rafle leurs armes, Mozer.
Celui-ci s’exécuta. Chaddle et Maria Purner n’opposèrent pas la moindre résistance. Le « calcineur » de Sommy restait braqué sur eux. Ils réalisaient nettement l’inanité de leurs efforts.
— Vous allez prendre la place de Thomas et de Candel. La cabine est encore toute chaude.
— Naturellement, vous les avez délivrés ! soupira la biologiste. Que comptez-vous faire de nous ?
— Oh ! Nous désirons simplement vous empêcher de détruire toutes les plantations de Xens. Mais en attaquant Z-10, vous êtes tombés dans le panneau. Vous avez oublié d’obturer l’alvéole de la bulle.
Chaddle haussa les épaules :
— L’alvéole ne se ferme que de l’intérieur.
— Justement ! ironisa Sommy. Vous auriez dû, par précaution, laisser Maria Purner ici. Votre trop belle confiance vous a perdus.
Le groupe descendit vers les cabines. Chaddle et la biologiste grimacèrent quand ils contemplèrent les tronçons noircis du Rova.
— Une autre fois, ne vous fiez pas à un gardien végétal ! fit le capitaine, plus gouailleur que jamais.
Il ouvrit la porte d’une cabine :
— Entrez, je vous en prie.
Mozer boucla électriquement la porte sur les talons des prisonniers. Il s’épongea le front :
— Ouf ! Ça s’est bien passé, mieux que je ne l’aurais cru ! avoua-t-il.
— Nous avons bénéficié de la surprise totale. Chaddle et Maria Purner ne s’attendaient pas à nous trouver ici.
Les deux hommes revinrent dans la cabine de pilotage. Ils obturèrent l’alvéole où la bulle était rangée. La fusée était prête au départ.
— On se tire de là, Sommy ?
— Oui, acquiesça le capitaine. Je vais prévenir Z-2. Là-bas, ils doivent se tourmenter.
Il s’installa devant la radio. Il manipula des boutons, puis se pencha sur le microphone :
— Allô ! Bill ? Ici Sommy. Nous sommes maîtres de la fusée. C’est réussi ! Tu peux annoncer la bonne nouvelle à Xal.
Thomas hurla de joie :
— Chaddle et Maria Purner ?
— Enfermés à votre place !
— Drôle ! Très drôle ! Vous filez à Z-1, maintenant ?
— Oui, vous nous rejoignez là-bas. Je crois que nous tenons le bon bout. À tout à l’heure, Bill.
Sommy coupa l’émission. Il tapota l’épaule de son adjoint :
— En route pour Z-1, Mozer.
La nef vibra bientôt. Puis elle monta verticalement vers le ciel, d’abord lentement, pesamment, ensuite de plus en plus vite. Sur les écrans, les montagnes s’amenuisèrent. La rotondité de T.S.7 apparut. Enfin le véhicule spatial se plaça en orbite, à quarante mille kilomètres d’altitude.
*
* *
Une étroite vallée traversait ce coin du continent sud. Les crêtes musclées des collines se hérissaient d’arbres d’un beau vert émeraude. Au fond de la vallée coulait un torrent pacifique, sous des arcades de verdure.
Z-1 se situait en bordure de la rivière, sous d’épaisses frondaisons. L’éminence de terre était ici plus haute qu’ailleurs, plus imposante. Par les trous d’aération et de ventilation pénétrait un air à la fois humide et chaud, favorable au développement des jeunes Xens.
Xeb veillait sur une plantation particulièrement importante, sinon la plus importante du continent. La caverne était spacieuse et des centaines de Xens pouvaient y tenir place. Épargnée par les Rovas que le vent n’avait pu charrier jusque-là, Z-1 faisait l’orgueil des Xens.
Thomas et Candel, immédiatement accourus de Z-2 sitôt l’appel de Sommy annonçant sa victoire, attendaient l’arrivée de la nef. Par une trouée dans la végétation luxuriante, ils scrutaient le ciel.
Enfin, la fusée apparut. Thomas entra en contact radio avec elle :
— Tu peux te poser sans crainte, Johnny. Le terrain est dur. Il supportera le poids de la fusée. Crois-moi, je ne blague pas. J’ai étudié soigneusement le sol.
— O.K., Bill. J’ai confiance. Xeb est-il prévenu ?
— Évidemment ! On t’attend. Le grand Xen a donné ses ordres.
— Le grand Xen ? s’étonna Sommy qui entendait parler pour la première fois de ce personnage. Qui est-ce ?
— Xeb te l’apprendra peut-être. Pour le moment, nous n’en sommes qu’aux suppositions.
La conversation radiophonique prit fin. Puis la nef se plaça en position d’atterrissage. Elle descendit verticalement, son nez pointé vers le ciel, ses rétrofusées en action, soutenant sa chute. Le lourd engin s’enfonça dans la forêt, en brisant des branches, en calcinant des feuilles par ses tuyères. Mais il parvint au sol et s’immobilisa. Il dépassait de plusieurs mètres au-dessus des frondaisons.
Le sas s’ouvrit. Thomas et Candel accueillirent leurs camarades au pied de l’échelle. Tous quatre se dirigèrent vers le souterrain, proche. Ils entrèrent.
Z-1, si elle était plus spacieuse, ressemblait aux autres plantations. Sommy s’arrêta devant les premiers rangs de jeunes Xens. Sa lampe troua les ténèbres et se fixa sur Xeb.
— Nous voici, Xeb.
— Bien, fit le vieux végétal. Le grand Xen est content de vous. Par ma pensée, il me charge de vous féliciter, et de vous remercier.
— Qui est ce personnage ?
— Le Xen suprême, plus vieux que moi, que Xal, que tous les gardiens des plantations. On ne connaît pas son âge. Il existerait, parait-il, depuis que les Xens existent. Il coordonne les diverses plantations, au nombre de douze. Il conseille les gardiens des cultures, il ordonne. C’est le « cerveau » de notre race, l’organe de l’intelligence, alors que nous, gardiens, ne sommes que les organes reproducteurs.
Sur leur tête, Sommy et ses camarades sentirent planer l’ombre de l’important personnage, encore inconnu.
— A-t-il un nom, comme vous ? demanda Thomas.
— Non. On l’appelle le grand Xen. Mais aucun de nous ne l’a jamais vu. Il a l’œil sur tout. Il voit tout. Il comprend tout. Il nous transmet sa pensée, mais nous ne pouvons lui transmettre la nôtre. À quoi bon, puisqu’il devine tout ?
— Évidemment ! admit Sommy, émerveillé par ce curieux système de « civilisation ». Savez-vous, Xeb, où se cache le grand Xen ? Du moins avez-vous une idée ?
— J’ignore totalement sa cachette, avoua le gardien de Z-1. Il me semble qu’à l’image des autres Xens, du moins de leurs organes reproducteurs, il vit dans une tanière analogue à celle qui abrite les cultures. Je ne crois pas cependant que notre « cerveau » soit lui-même un organe reproducteur.
— Comment se fait-il, s’étonna Thomas, que nous n’ayons jamais su l’existence du grand Xen, alors que nous avons appris pas mal d’autres détails sur la vie de votre race ?
— Les Xens vous ont inoculé leurs globules. Ils vous ont donc transmis du même coup leur propre savoir. Or seuls les organes reproducteurs, les gardiens de culture, connaissent vraiment l’existence de notre « cerveau ». C’est pour cela que ce détail vous échappait encore. Je vous ai mis au courant parce que le grand Xen, voulant vous remercier par ce geste, me l’a demandé expressément.
Une autre préoccupation s’imposa à l’esprit des Terriens. Sommy s’en fit le porte-parole :
— La fusée est ici, Xeb. Êtes-vous prêt ?
— Oui. Les jeunes racines sont parvenues à maturité. Elles peuvent désormais vivre à l’air libre. C’est l’époque d’un nouvel ensemencement.
— Qu’éprouvez-vous, Xeb, en ces moments-là ?
— Un besoin de me reproduire. C’est tout à fait naturel.
Il se passa alors un phénomène incroyable, fascinant. Le spectacle auquel assistèrent les Terriens dépassa tout ce qu’ils auraient pu imaginer, en tout cas tout ce qu’ils avaient observé sur d’autres planètes.
Comme à un commandement, les jeunes racines blanches s’arrachèrent au sol nourricier. Elles ne mesuraient guère plus d’un mètre de longueur. Elles s’extirpèrent sans effort de terre, en laissant seulement derrière elles une bave blanchâtre. S’allongeant comme des serpents, guidées par l’instinct, elles rampèrent par mouvements convulsifs vers la sortie béante par où se déversait la demi-pénombre.
Le premier rang quitta d’abord le souterrain. Puis le second, puis le troisième, jusqu’au dernier, enfin. Le vieux Xeb regarda partir ses rejetons et l’on se demandait s’il n’éprouvait pas quelque nostalgie, quelque chagrin interne, comme une mère séparée de ses enfants.
Sous les regards effarés de Sommy et de ses compagnons, tassés dans un coin de la caverne, les jeunes Xens, vigoureux, défilèrent comme une armée à la parade. On aurait dit d’énormes asticots grouillants. Puis, lorsque la dernière racine blanche franchit le seuil de la tanière, Sommy se tourna vers Xeb.
— Vous allez vous reproduire, maintenant ?
— Oui. J’attendrai votre départ. Car jamais personne n’a assisté à l’ensemencement d’un organe reproducteur. Allez, Terriens. Votre cerveau a enregistré toutes les consignes nécessaires. Le grand Xen vous accompagne désormais par la pensée et soyez certains qu’en cas de difficulté, il vous aidera de ses conseils.
— Au revoir, Xeb. J’ai eu beaucoup de plaisir à vous connaître, assura Johnny en se retirant le dernier.
Il rejoignit ses compagnons qui suivaient le défilé des jeunes Xens. Ces derniers se dirigeaient vers la nef, à quelques dizaines de mètres de là. Déjà, les premiers rangs grimpaient à l’échelle métallique, avec dextérité, tels d’immondes chenilles. Derrière ces racines animées, le sol se tachetait de centaines de sillons blanchâtres.
L’échelle accédant au sas grouillait de jeunes Xens. La colonne s’engouffrait dans la nef et ses éléments s’entassaient dans les cabines, les couloirs. Puis le spectaculaire embarquement s’acheva.
Candel grimpa dans l’aéro-bulle. Il serra les mains de ses compagnons. Un voile de tristesse ombrait son visage :
— Bonne chance, les gars. Je regrette beaucoup de ne pas vous accompagner.
Thomas tapota l’épaule de son adjoint :
— Je sais, Candel. Mais Purner et sa femme ne peuvent rester seuls. La menace des Rovas subsiste. Vous aurez encore des plantations à défendre. D’ailleurs, nous reviendrons rapidement.
— Et les prisonniers ?
— Chaddle et Maria Purner ? rétorqua Sommy. Nous les gardons. Ils ne nous gênent pas et, enfermés, ils ne risqueront pas de s’évader.
— Ah ! bien, fit Candel. À bientôt, donc.
Sommy, Mozer et Thomas rejoignirent les jeunes Xens dans la nef. Puis celle-ci s’élança dans l’espace. Rapidement, Candel la perdit de vue. Alors, tranquillement, sans se presser, il dirigea son aéro-bulle vers Z-2.