Vraiment, dans l’ensemble, j’aurais pu le faire sans l’odeur de bantha. C’est un peu délicat d’essayer de perdre volontairement une partie de pazaak sans que personne ne découvre que je le fais exprès, lorsque tout ce à quoi je pense, c’est que je vais sentir le bantha jusqu’à… pendant très longtemps.

Ainsi pensait Myri Antilles, derrière une expression d’anxiété soigneusement construite alors qu’elle prétendait hésiter entre tirer ou non une autre carte de son deck principal.

Assis à l’opposé, son adversaire – un mâle Balosar dont les antennes racornies et les traits humanoïdes desséchés trahissaient une addiction tragique et bientôt fatale aux bâtons de la mort – faisait claquer ses ongles pas vraiment très propres sur la table de jeu, sifflant dans le vague. Autour d’eux, les grognements d’impatience s’amplifiaient, de la part d’une poignée de badauds qui avaient abandonné leurs propres chasses pour boire d’amers cocktails, déguster des hors d’œuvre illégaux et flâner un moment.

Dans un léger hoquet, Myri battit des cils, ceux-ci outrageusement maquillés, dans un signe ostentatoire de panique. Il était temps d’en finir avec ceci. Elle avait appris tout ce qu’elle pouvait de son adversaire nerveux.

Le Balosar remua ses antennes dans un signe mal dissimulé de mauvais caractère.

— Allez poupée, tu vas pas y passer la journée.

Les murmures de la foule s’indignèrent de ce manque de politesse. Abaissant ses épaules, Myri secoua la tête.

— Désolée. (Elle releva son menton.) Très bien. J’ai décidé. Je vais le faire.

Dans une bravade feinte, elle tira précisément la carte qu’elle souhaitait de son deck principale et la retourna.

Les parieurs se regroupèrent derrière elle, lui adressant honteusement des œillades, laissant presque échapper des soupirs condescendants.

— Six, fit le Balosar en souriant, ce qui révéla ses dents sales et ébréchées. Ce qui te fait vingt-quatre, poupée. Je gagne.

Myri n’eut pas à forcer beaucoup son talent pour faire ressentir sa peine à la foule tandis que le Balosar amassait les puces de crédits dans ses poches déjà bien remplies. Perdre faisait toujours mal, que ce soit pour une bonne cause ou non.

— Oh, hé bien fit-elle en regardant autour avec un sourire pathétique. J’ai bien dit que je n’étais pas Mebla Dule, non ?

— Un parieur qui ne plaisantait pas ? fit fortement l’un des voyeurs dans un Basique teinté d’un fort accent Corellien, la voix moqueuse. Que quelqu’un me pince, je vais m’évanouir.

Des éclats de rire. Des conversations qui reprennent. Myri se glissa hors de sa chaise, fit un signe de “bonne chance” au pirate Rodien qui prit impatiemment sa place, puis se fraya un chemin parmi l’amas de joueurs multi-espèces qui se bousculaient et les droïdes de mauvais goût assignés à les servir, pour se diriger vers la zone de rafraîchissement pour femmes située à l’autre bout de la salle de jeu. Bon, ce que le Capitaine Oobolo, un Gran aux yeux triples, se plaisait à appeler la salle de jeu. En réalité, il avait simplement aménagé le pont supérieur de son ancien cargo léger. Malheureusement pour lui, ni les rideaux faits en soie d’araignée de Kashyyyk, ni les chandeliers fabriqués en ambre Manaxien et en cristal Fondorien n’allaient duper un passager aveugle et lui faire croire que le Princesse Galactique était un vaisseau de croisière. Et rien, pas même l’épurateur d’air surchargé, ne pouvait ôter l’odeur aigre de bantha nain provenant de la soute sous ses pieds.

Quand même. Transporter ces petites bêtes odorantes dans toutes les bordures de la galaxie était une couverture plutôt efficace… comme le faisait lui-même le capitaine Oobolo. Un Gran, financier politique interplanétaire et espion industriel ? Elle avait souri à cette idée lorsque le Commandant Bilpin de la Sécurité de l’Alliance Galactique l’avait informée. Mais elle avait ravalé son scepticisme après avoir écouté ce qu’il avait à dire. Les preuves glanées par la sécurité n’étaient qu’indirectes, mais également compromettantes. Et la situation était considérée comme suffisamment urgente pour y mandater une personne pour investigation.

Elle était donc là, en train de parier à nouveau, pas seulement de l’argent cette fois-ci, mais également sa vie. Parce qu’Oobolo avait beau sembler être un Gran aux manières douces, et le Princesse pouvait apparaître comme un cargo totalement inoffensif, il n’empêche que dans ces cas-là – ainsi avait déclaré avec autorité le Commandant Bilpin – les apparences étaient trompeuses.

La porte de la zone de rafraîchissements grinça lorsqu’elle l’ouvrit. Serrant les dents, Myri se fraya un chemin au milieu des femelles – une Dresselienne chauve au crâne pointu, une Twi’lek aux appendices étincelants, une Aqualish insectoïde, une Dug vêtue de cuir, ses larges dents carrées agrémentées de gemmes – se battant toutes pour une once d’espace face au miroir mural et une cabine vide. Une fois seule, elle ferma les yeux et résista à l’envie de retirer les cristaux d’enregistrement expérimentaux posés sur son visage. Bilpin l’avait assurée que les faux rubis et fausses gemmes ne poseraient aucun souci.

— Devine quoi, génie ? murmura-t-elle en sentant les implants pincer sa peau. Tu avais tort.

Mais elle ne pouvait pas se permettre de s’en occuper maintenant.

Ressaisis-toi, Antilles. Ce n’est pas comme si tu allais être éjectée dans les bas-fonds de Coruscant, ou si tu étais en vrille hors atmosphère à bord d’un X-Wing enflammé.

Ouvrant la poche sécurisée de sa combinaison moulante verte, elle vérifia combien de crédits de l’Alliance il lui restait après deux jours passés à parier à bord du palace du Gran. Presque quatre cents en petites coupures, ainsi qu’une carte inutilisée qui en valait un millier. Assez, donc. Elle avait fait attention à perdre plus qu’elle ne gagnait, mais ne donnait pas l’air d’être désespérée. Bien sûr, si elle avait joué correctement, elle aurait besoin d’une ceinture de crédits supplémentaires à l’heure actuelle, pour ranger tous ses crédits. Durant un battement de cœur, la fierté la pique. Elle l’étouffa impitoyablement.

Le niveau sonore au-delà de sa cabine avait diminué, donc elle sortit, se rafraîchit grâce au bassin manuel, puis s’inspecta dans le miroir. Le visage d’une étrangère s’offrit à elle : de longs cheveux argentés tressés en boucles complexes, d’éclatants yeux verts, des cils remontant ridiculement, des lèvres boudeuses, et ces extraordinaires cristaux, étincelant au-dessus de ses sourcils et le long des os de ses pommettes. Inertes jusqu’à ce qu’elle leur envoie un signal d’activation, ils ne ressemblaient qu’à une décoration corporelle aux yeux de l’équipe de sécurité du Capitaine Oobolo et de leurs scanners.

Vivez, et apprenez, Capitaine. Vivez et apprenez vraiment.

Elle était le premier agent à porter ces cristaux sur le terrain. S’ils fonctionnaient aussi bien que le prétendaient les techniciens de labo, ils donneraient à l’Alliance Galactique un avantage non négligeable face aux ennemis de la paix.

S’il vous plait, faites qu’ils fonctionnent. Nous avons besoin de toute l’aide possible.

Un mal de tête germait derrière ses yeux rehaussés, en partie à causes des cristaux, en partie à cause de la fumée et du bruit de la salle de jeu, et un peu – juste un petit peu – à cause du stress de ne pas réussir sa mission. Et elle devait réussir. Pas seulement parce que la Sécurité avait besoin du renseignement qu’elle recherchait, mais parce que – parce que…

J’aime mon père, oui. Mais ce n’est pas toujours facile d’être sa fille.

Wedge Antilles laissait une grande ombre derrière lui. Un de ces jours, il faudrait qu’elle s’assoie avec Syal, et qu’elle demande à sa grande sœur comment elle faisait pour s’en sortir.

Seulement il faut que je complète cette mission d’abord.

Elle se fraya de nouveau un chemin dans la salle de jeu, balayant du regard les divers jeux de hasard tandis qu’un concert de bruits différents la balayait. Musique, rires de joie des vainqueurs, gémissements plaintifs des perdants, les discours irritants des droïdes d’Oobolo qui servaient à boire et à manger aux clients.

Aujourd’hui n’était qu’une simple répétition de la veille. Avant de passer une heure à perdre au pazaak, elle avait passé presque autant de temps à injecter de l’argent dans des machines avides près du bar à lugjack. Pas de gains, pas non plus d’indices concernant d’éventuelles activités illégales, ni de conversations potentiellement enregistrables pour les biocristaux. Pendant ce temps, ils avaient croisé près de Malastare, débarquant dans un vaisseau les parieurs qui avaient tout perdu, en accueillant d’autres pleins d’espoir, prêts à jeter leur monnaie dans les poches du Capitaine Oobolo. Vérifier les nouveaux arrivants était d’ailleurs une bonne idée de promenade au calme.

Elle erra donc près des joueurs de binspo, les sourcils plissés de concentration. Près des mauvais, perdants leurs chemises et leurs bijoux à des jeux de Commandement Imperial. Elle revint vers le bar à lugjack, juste au cas où. Joua trois parties de dejarik pour une défaite, une victoire, et encore une défaite. S’arrêta manger un sandwich au nerf, puis accepta un grand verre d’une boisson pétillante de la part d’un droïde, et continua de flâner. Durant tout ce temps, elle pouvait ressentir le bourdonnement chaud des cristaux du Commandant Bilpin, enregistrant des visages, des voix, des signes vitaux. Elle ne laissa pas son regard vert se reposer, observant sans cesse chacun des joueurs de la salle. Découvrit des espoirs sauvages et des confidences malvenues, de l’exaltation et du désespoir. Tout ce qu’elle s’était attendue à trouver dans un repaire de parieurs… mais rien qui ne fasse sourire Bilpin tel un chasseur.

Du moins jusqu’à ce qu’elle s’arrête à la table de sabacc.

Son sens aiguisé du danger s’éveilla, et elle observa les joueurs : un Corellien, un Besalisk, deux Dugs, deux Rodiens et un Kaminoen. Excepté le Corellien, ils étaient tous des nouveaux arrivants – et quelque chose à propos de l’un d’eux l’alarma. Le Besalisk. Il y avait quelque chose de pas net à propos du Besalisk.

Mais quoi ? Un expert aurait observé le parieur joyeux, avec son sourire large et ses dents aiguisées, sa tunique pailletée aux couleurs criardes et les anneaux dorées qui entouraient les doigts de ses deux mains, posées sur la table selon les règles du jeu, et aurait pensé Il y a un indice facile. Mais n’étant pas experte, Myri laissa tomber les alentours distrayants, se concentrant plutôt sur les profonds yeux flamboyants ambrés du Besalisk. Froids. Acérés. Calculateurs. Cruels. Pas les yeux d’un parieur, ceux-là. Il s’agissait des yeux mortels d’un tueur. Elle avait vu de tels yeux trop souvent pour se tromper.

Mais il n’y avait pas que les yeux qui trahissaient le Besalisk. L’attitude pouvait crier Ne vous occupez pas de moi, je suis inoffensif, mais sous cette douce chanson s’en trouvait une autre, beaucoup plus mortelle. La tension se ressentait dans le corps trompeusement raide du Besalisk, une dureté pour agir rapidement au cas où la violence soit nécessaire. La voyant, la ressentant, Myri sentit ses muscles se contracter avec une absolue certitude.

Je te tiens.

Prétendant se rééquilibrer sur ses hauts talons pointus, murmurant des excuses, elle se positionna devant les spectateurs rassemblés autour de la table de sabacc et activa un signal rétroactif direct qui indiquait aux cristaux enregistreurs de se focaliser sur sa proie. Les cristaux bourdonnèrent en réponse. Très bien.

La partie de sabacc continua. Alors que les enjeux atteignaient des hauteurs stratosphériques, que les joueurs commençaient à transpirer, à jurer, à taper leurs cartes sur la table en grognant, la foule d’observateurs s’agrandit et Myri se retrouva pressée de toutes parts. Des paris discrets se faisaient entre les badauds, des crédits changeaient de mains rapidement et en toute discrétion, avant d’être repérés par une caméra de surveillance et qu’un droïde de sécurité ne les arrête. Ceux-là seraient expulsés au prochain débarquement.

Une heure plus tard, le Besalisk rafla toute la mise grâce à la suite de l’Idiot, l’une des combinaisons les plus rares à obtenir au jeu. Le vacarme s’ensuivit. Des cloches sonnèrent, des banderoles se levèrent, des étincelles jaillirent et illuminèrent la salle de lumières vives et brèves.

— Et c’est le jackpot ! annonça le droïde croupier, ses photorécepteurs passant par toutes les couleurs de l’arc-en-ciel à cause de l’excitation. Le plus gros gain de l’histoire du Princesse Galactique. Hourra !

Myri observa, réfléchissant à toute allure, et vit le Besalisk recevoir des accolades de la part du droïde, des perdants chagrinés et de la foule. Elle ne pouvait pas le prouver, elle ne pouvait pas être sûre de la façon dont cela avait été fait, mais tous ses instincts lui hurlaient que le Besalisk avait triché. Et elle aurait parié tous les crédits qu’il lui restait dans sa poche que le droïde croupier du Capitaine Oobolo était la clé de toute l’escroquerie. Ce qui signifiait – ce qui devait signifier…

— Félicitations, Hamajun, gronda Oobolo, sa peau tachetée rouge de plaisir, qui se fraya un chemin parmi la foule. Une belle victoire en effet. Ce n’est pas tous les jours que quelqu’un tire la suite de l’Idiot ! Venez, prenez un instant pour me raconter comment vous y êtes arrivé. Quelqu’un d’autre ? La prochaine tournée est pour la maison.

S’aidant du bruit de la fête, Myri suivit les deux criminels qui se dirigeaient vers le bar. Derrière eux, le droïde croupier annonça une nouvelle partie de sabacc, un autre préparait une table de pazaak, les droïdes serveurs transportaient les boissons gratuites, et l’odeur de bantha emplissait l’air en même temps que le son des machines à lugjack. La foule se dispersa pour se reformer ailleurs, et les jeux continuèrent.

— Je prendrais une boisson pétillante, fit Myri au droïde du bar en lui tendant son verre vide.

Prenant un nouveau verre plein, et gardant un œil sur Oobolo et le Besalisk, elle se fraya un chemin vers eux, aussi proche qu’elle osait l’être. Assez proche pour voir le Besalisk donner à Oobolo une puce en cristal dans un mouvement habile digne d’un Jedi. Si elle n’avait pas été à la recherche d’un tel mouvement, elle ne l’aurait jamais capté, n’aurait jamais enregistré l’échange grâce aux cristaux expérimentaux de Bilpin, et…

Une bousculade, une exclamation, et une boisson dégoulina dans son dos.

— Hey ! protesta-t-elle en se retournant. Regarde un peu où tu mets les…

Puis les mots s’éteignirent, car elle était en train d’observer un visage qu’elle n’avait jamais vu auparavant, mais des yeux qu’elle connaissait presque mieux que les siens. Ils appartenaient au seul et unique Wedge Antilles.

— Désolé, désolé, balbutia-t-il. C’est de ma faute. Je suis maladroit. Laisse-moi t’aider à nettoyer tout ça.

Avec un dernier regard sur Oobolo, qui donnait une tape amicale à son partenaire Besalisk, parfaite incarnation de l’hôte joyeux et du bon perdant, Myri laissa le maigre homme chauve à la peau violette la pousser vers l’autre côté du bar, et attendit qu’un droïde lui donne un vêtement sec.

— Qu’est-ce que tu fais  ? demanda-t-elle férocement pendant que son père épongeait le cocktail gluant. Et n’ose pas dire que tu surveilles mes arrières, parce que…

— Les aléas de la mission, répondit-il, gardant sa voix trop basse pour être entendu des oreilles baladeuses. Les cristaux de Bilpin ne sont pas aussi sécurisés qu’il ne le pensait. Ou alors le technicien d’Oobolo est meilleur. Ou les deux.

Stang.

— Je suis surveillée ?

— Des deux côtés. Sans aucun moyen de te contacter, j’ai dû m’infiltrer.

Malgré son sursaut d’agacement, Myri ressentit une vague de soulagement. Ce n’était donc pas personnel. Il serait venu, peu importe la personne que Bilpin aurait envoyée. Mais si elle était surveillée, alors il y avait des chances pour que l’équipe de sécurité d’Oobolo soit à la recherche du signal d’origine. Elle envoya un signal rétroactif pour désactiver les cristaux, puis se risqua à jeter un œil par-dessus son épaule.

— Peu importe, fit-elle, toujours d’une voix basse. J’ai le contact que l’on recherche.

— Le Besalisk ?

— Oui, fit-elle en faisant demi-tour.

Mais le Besalisk avait disparu, tout comme Oobolo.

Les yeux aux aguets, son père reposa le linge nettoyant sale sur le bar.

— Bon travail.

Elle n’avait pas le temps de profiter du compliment. Le cœur battant, elle balaya la pièce du regard, s’attendant à des problèmes.

— Combien de temps avant le prochain vaisseau, tu le sais ?

Son père fit un geste pour qu’on lui apporte un autre verre, en guise d’excuse.

— Trois heures, fit-il en lui tendant la boisson pétillante. On reste discrets. Et proches l’un de l’autre.

Elle leva un sourcil.

— Mais pas trop proches. Je veux dire, toi et moi n’avons pas été formellement présentés !

— À nouveau, toutes mes excuses, fit-il à voix haute, les yeux brillants, les deux mains levées en se frottant son crâne nu. Bonne chance, madame. Adieu.

Bonne chance, oui. Ils allaient en avoir besoin.

Myri laissa échapper un long soupir. Trois heures, ce n’était pas si long que ça. De plus, si les gars d’Oobolo venaient chercher des informations, que pourraient-ils trouver ? Les cristaux désactivés, elle était entièrement invisible. Et peu importe qu’ils inspectent tout le monde grâce aux caméras de surveillance. Si elle ne faisait rien de stupide, comme toucher le jackpot, ils ne s’attarderaient pas sur son cas.

Tout ira bien. Oui.

Et tout alla bien… durant deux heures et vingt-six minutes. Puis les droïdes de sécurité d’Oobolo interrompirent la fête.

— Hey ! s’écria quelqu’un. Ne pointez pas cette chose sur moi, j’ai rien fait de mal !

Effrayée, Myri ramassa la puce de crédits qu’elle s’apprêtait à introduire dans la machine à lugjack. Lorsqu’elle se releva après l’avoir rangée, le visage mauve de son père se tenait devant elle.

— Des droïdes équipés de scanners, fit-il, ses yeux familiers extrêmement sérieux. Cinq d’entre eux, et c’est cinq de trop. Il faut y aller.

Elle fixa la foule, où se trouvait un grand droïde physiquement imposant, rappelant vaguement un droïde de combat, et qui brandit un senseur haute technologie sur l’un des joueurs d’Oobolo.

— Oui, acquiesça-t-elle. Mais aller où ?

Avant que son père ne puisse répondre, le système d’annonces publiques craqua et prit vie.

— Mesdames, messieurs, gens de toutes espèces, les salua la voix d’Oobolo. Ici le capitaine. Désolé pour le dérangement, mais notre balayage routinier de sécurité a détecté que quelqu’un à bord était malade. Alors il n’y a pas besoin de paniquer, c’est juste une méchante rougeur, mais je suis sûr que notre ami infecté ne souhaite pas souffrir plus que nécessaire ou transmettre son infection aux alentours. Donc s’il vous plait, restez calmes et coopérez le temps que mon équipe sanitaire fasse un bilan. Et pour passer le temps, la maison vous offre un autre verre.

Des discussions agités et même quelques rires furent les réactions de la foule à l’annonce d’Oobolo.

— Papa ? On va où ? demanda à nouveau Myri, se rapprochant. Et comment ? Ne me dis pas que tu as un vaisseau planqué dans une poche de ta combinaison.

Son père sourit.

— Pas loin. Il y a un croiseur de l’Alliance dissimulé à proximité. Nous nous éjectons dans une capsule de sauvetage et envoyons une balise, ils viendront nous récupérer.

— Ha, fit-elle, souriant en retour. Si tu n’étais pas mauve et chauve, je t’embrasserais.

— Nous avons étudié les plans de ce vaisseau, fit son père. Chaque zone de rafraîchissement dispose d’un conduit d’accès menant droit à la zone de maintenance. Nous nous retrouverons là-bas et nous dirigeront vers les capsules de secours. Le panneau du conduit chez les femmes se trouve sur le mur de derrière, le troisième carreau en partant du haut, le second à partir de la gauche. À tout à l’heure.

Myri se retourna sans même lui jeter un œil, évitant soigneusement les droïdes. Dans la zone de rafraîchissement, elle trouva une Twi’lek solitaire, dont les appendices bleus tournaient au vert à cause d’un abus de boissons.

— Ils vous veulent dehors, fit-elle à la joueuse dans les vapes.

Mal à l’aise, la Twi’lek chancela avant de sortir. Décrochant la mince boucle à son oreille gauche, Myri la fit tourner rapidement et activa un scalpel laser miniature, ferma à clé la porte et se dépêcha de localiser le panneau d’accès au conduit. Elle le trouva, utilisa à nouveau le scalpel, dévissant rapidement les verrous de la plaque. Puis, après avoir posé la plaque au sol, elle rangea le scalpel dans la poche avant de sa combinaison et sauta les pieds en avant dans le conduit.

Au moment où elle sautait, un lourd bruit métallique se fit entendre contre la porte… et la dernière chose qu’elle entendit en plongeant dans l’obscurité fut la voix d’un droïde demandant d’ouvrir, immédiatement.

Sa chute dans le conduit fut rapide, cahoteuse et douloureuse. Et lorsqu’elle atterrit de l’autre côté, elle ne se retrouva pas sur un sol dur… mais sur la masse chaude et laineuse d’un bantha nain affolé.

— Stang !

L’odeur des excréments frais de bantha était cent fois pire ici. Naviguant dans une demi-lumière, évitant les museaux humides, les nuques droites et poilues, ressentant la fourrure et l’agitation des animaux, effrayée de tomber sous leurs grosses pattes, Myri essayait de se frayer un chemin vers la sécurité.

— Myri ! Par ici !

C’était son père. Utilisant ses genoux et ses coudes pour pousser les banthas, essayant de ne pas suffoquer en retenant son souffle, elle parvint à sortir de l’enclos des bêtes.

— Super, ton étude des plans ! râla-t-elle en agrippant le bras de son père pour franchir la barrière en duracier de l’enclos. Quand est-ce que tu as été faire vérifier ta vue pour la dernière fois ?

Les dents de son père brillèrent brièvement dans la pénombre.

— Tout le monde fait des erreurs. Viens. Les capsules de secours sont par là.

— Tu es sûr ? grogna-t-elle en lui emboîtant le pas. Parce que la dernière chose dont nous ayons besoin est…

Des tirs de blaster laissèrent une ligne rouge sur les murs du pont derrière eux.

— Halte ! ordonna le droïde responsable de la sécurité. (Quatre autres apparurent derrière lui, lourdement armés et menaçants.) Au sol, face contre terre, les mains bien évidence.

— Face contre terre ? s’exclama Myri. Sur ce sol ? Vous plaisantez !

Pris de court, peu habitué à être contredit, le droïde s’immobilisa. Sans regarder son père, Myri sortit son scalpel-boucle d’oreille de sa poche.

— Plus on est de fous, plus on rit, non ?

Il lui avait offert les boucles d’oreilles pour son dernier anniversaire. Ses dents brillèrent une nouvelle fois lorsqu’il sourit.

— Je suis d’accord.

Avant que les droïdes ne puissent réagir, il dégaina un stylo laser et en parfaite harmonie, ils firent fuir les banthas de leur enclos. En ajoutant un « Désolée ! », Myri tira sur les bêtes velues, rendant les animaux sauvages totalement paniqués.

— Cours ! cria son père, pointant un endroit du doigt. Par là ! Largue-toi dans l’espace et sors le renseignement de là !

L’abandonner ? Mais…

— Va !

Pas le temps de discuter. Les banthas paniqués étaient aussi mortels que les droïdes, qui ne perdaient pas de temps en tirant sur tout ce qui se trouvait sur leur chemin. Désormais, l’air sentait autant la chair et la fourrure brûlées que les excréments frais. L’un des banthas beugla, naviguant entre elle et son père tandis que des tirs de blaster rebondissaient sur les murs, le plafond et le sol.

Faisant appel à toute sa vitesse, sa force et sa ruse, Myri courut vers la liberté. Elle sentit son épaule gauche se déboîter lorsqu’elle heurta un droïde, et sentit son genou droit craquer lorsqu’elle heurta un bantha au sol. La transpiration coulait dans ses yeux, l’aveuglant. Elle ne pouvait distinguer son père.

Peu importe. Continue de courir. Le Général Antilles peut s’occuper de lui tout seul.

Des subalternes Chadra-Fan effrayés s’écartèrent tandis qu’elle sprintait à travers la zone de maintenance faiblement éclairée. Les capsules de sauvetage, les capsules de sauvetage, où étaient donc ces fichues capsules de sauvetage ?

Là. En haut. Deux d’entre elles. Se dirigeant vers elles, elle sentit le vaisseau trembler lorsque ses moteurs subluminiques se coupèrent. Papa, il est temps d’y aller. Elle désirait l’attendre, mais si elle le faisait, il l’étriperait vivante. Seule la mission importait, rien d’autre. Elle le savait.

— Allez, papa, allez ! grogna-t-elle.

Elle atteignit la première capsule et ouvrit violemment sa trappe. Un dernier regard derrière elle, et il fut là, fonçant à travers la zone de maintenance, un droïde sur ses talons. Stang, mais c’est que l’affreuse machine pouvait courir. Oobolo devait les avoir bricolés.

Elle n’attendit pas, non, mais elle fit encore mieux. Avant de prendre la fuite, elle ouvrit la trappe de la seconde capsule de sauvetage. Quelques battements de cœur d’avance, c’est tout ce dont Wedge Antilles avait besoin.

Elle entendit des tirs de blaster au moment où elle refermait sa propre trappe et appuyait sur le bouton d’éjection. Une explosion de gaz propulseurs, et elle fut éjectée dans l’espace, les étoiles lointaines étincelantes, l’avant du cargo d’Oobolo rétrécissant à vue d’œil. Mais où était le croiseur de l’Alliance ?

Un signal rétroactif réactiva les cristaux de Bilpin, afin que la sécurité de l’Alliance sache qu’il s’agissait d’elle. Un examen rapide de la capsule lui révéla un stick directionnel rudimentaire ainsi qu’un comlink. Elle y entra un code d’identification sécurisé, commença à émettre, puis pressa son visage contre la visière. À la recherche de son père. À la recherche d’une aide quelconque.

Et là ! Il y avait là le croiseur de l’Alliance, presque assez proche pour être embrassé, ses magnifiques lignes lisses ondulant devant elle alors que son camouflage se désactivait. Et il y avait l’autre capsule de sauvetage. Son père. Mais quelque chose n’allait pas : la capsule tournoyait au lieu d’avancer droit. Des étincelles jaillirent avant que le vide ne les absorbe. Un tir de blaster malchanceux. L’autre capsule de secours était endommagée.

Elle vit des éclairs de lumière lorsque les blasters du vaisseau d’Oobolo firent feu, et les manquèrent. Mais qu’en serait-il la prochaine fois ? Myri frappa du poing sur la visière. Elle ne pouvait pas rester là, sans rien faire, voir Oobolo faire exploser son père dans le ciel.

Et même lorsque le croiseur de l’Alliance ouvrit à son tour le feu, répondant grâce à ses propres tirs mortels de plasma, elle se jeta sur les contrôles de la capsule. Qu’elle laisse le croiseur de l’Alliance distraire le vaisseau bien armé d’Oobolo, elle ferait le reste.

La capsule de secours était lente, réticente. Pire qu’un Podracer rempli de sable. Stang. Que donnerait-elle pour être une Jedi ! Jurant dans son soupir, elle cajola, puis tyrannisa l’inutile pièce de ferraille pour lui faire adopter une trajectoire d’interception, sentant ses os craquer et ses muscles se contracter tandis qu’elle priait l’espèce de capsule de réduire l’intervalle… réduire l’intervalle…

Les deux capsules de secours se rencontrèrent dans un bruit sourd de dents qui claquent.

Tandis que des rayons de blaster croisaient l’espace dans les deux sens, elle ricocha le long de la coque abimée de la capsule de son père, rebondissant et compensant l’inertie jusqu’à être bloquée derrière lui et qu’ils soient alignés avec le croiseur de l’Alliance. L’intérieur étroit de sa capsule s’illumina de lumière blanche, l’aveuglant presque. Elle n’arrivait pas à croire qu’Oobolo n’ait pas encore fait demi-tour et se soit enfui. Le renseignement que le Besalisk lui avait donné devait être vraiment explosif pour qu’il risque autant pour le récupérer.

Elle jeta un nouveau coup d’œil par la visière. Son père lui rendit son regard depuis sa capsule, assez proche pour presque la toucher, son visage mauve ensanglanté. Mais il lui sourit et lui fit un geste de la main. Il prit son comlink. Elle attrapa également le sien, le remit sur ses réglages par défaut et l’alluma.

— Tu vas bien ? lui demanda son père, et sa voix, craquant à cause de la statique, résonna dans le silence de la capsule.

— Oui, et toi ?

— À peu près. Mais mes contrôles sont hors-service, ma fille, donc tu vas devoir te débrouiller seule. Ramène-nous à la maison.

Sa confiance élimina toute sa peur. Myri éclata de rire.

— Oui papa !

Elle dirigea leurs capsules de secours vers le hangar grand ouvert du croiseur de l’Alliance, mettant toute la puissance de son engin inadéquat et vacillant dans l’affaire. Elle fit craquer ses jointures en arrivant proche de leur destination, sentant la transpiration descendre sur son visage, la faisant frissonner. Un tir chanceux de la part du croiseur, un seul, et ils se transformeraient en un amas de morceaux de métal, de chair et d’os, flottant pour toujours dans l’immensité de l’espace.

Le temps ralentit. Les capsules de secours nageaient dans le vide de l’espace. Suspendue entre les possibilités, Myri sentit ses bleus se plaindre. Ses instincts de pilote reprirent le dessus, faisant naviguer ses doigts sur le panneau de contrôle, un coup dans ce sens, un peu par là, tandis que l’engin avançait et que des tirs de plasma illuminaient les environs comme autant de menaces désastreuses.

Et soudain, en un éclair, le ciel fut sécurisé.

Rêveusement, elle vit l’ombre du croiseur de l’Alliance les avaler, sentit l’obscurité tomber sur son visage. Elle cligna des yeux lorsque les lumières du hangar éloignèrent l’obscurité, et sentit un goût de sang sur sa langue lorsque sa capsule de secours s’écrasa durement au sol. À travers la visière, elle vit la capsule de son père s’écraser devant elle, puis se pencher sur un côté comme un shaak épuisé. Elle vit des gens courir vers eux, leurs uniformes de l’Alliance à la fois familiers et bienvenus.

Un technicien ouvrit la trappe de sa capsule par l’extérieur.

— Salut là-dedans ! Tout va bien ?

Myri acquiesça.

— Ça va, merci, fit-elle en sautant dehors.

Le technicien la fixa, l’air abasourdi. Elle enleva les cristaux incrustés qu’elle portait puis se tourna pour aller voir son père.

— Myri ! fit-il en s’approchant. (Le sang sur son visage avait séché, formant une tâche rouge contrastant horriblement avec le reste mauve.) Bon boulot !

Rien que deux petits mots, qui remplirent la galaxie de fierté. Elle lui sourit.

— Merci.

Une foule s’était rassemblée, et elle remarqua qu’ils arboraient tous cette même expression particulière. Puis quelqu’un se mit à applaudir, et ce fut bientôt le cas de tout le monde, y compris son père.

Déconcerté, Myri se mit à rougir.

— Euh, arrêtez, s’il vous plait ! Sérieusement, les gars ? Papa ?

La foule s’écarta pour laisser apparaître un visage longiligne familier. Garik Loran. Le visage sombre et maigre, il laissa les applaudissements continuer quelques instants, puis les arrêta en levant une main.

— C’était une belle cascade, fit-il, les yeux voilés. Je crois que nous devrions l’appeler la Manœuvre Antilles.

Elle n’arrivait jamais à savoir si le vieil ami de son père plaisantait ou non. Tout ce dont elle était sûre, c’est que Garik Loran n’avait que faire des vantards.

— Désolé, monsieur, murmura-t-elle, mais je ne pouvais pas laisser le Général Antilles se faire carboniser.

— Je suppose que non, acquiesça Loran. (Il la regarda d’un air moqueur.) Vous savez que ce que vous avez fait avec ces capsules de sauvetage est techniquement impossible ?

Son père sourit.

— Rien n’est impossible. Pas pour un Antilles.

Tandis que Loran roulait des yeux vers son père, elle se sentit rougir davantage. Ok.

Assez.

— Monsieur, la mission. Vous…

Loran acquiesça.

— Nous avons parfaitement reçu vos transmissions. Oobolo s’est enfui dès que vous êtes arrivés à bord, mais ne vous inquiétez pas. Nous l’avons pris sur le fait à temps. Lui, ses amis, et son informateur seront rapidement emprisonnés par l’Alliance.

— C’est bon à savoir, monsieur.

— En effet, fit Loran en se reculant. Maintenant, si vous deux voulez bien venir avec moi, il y a un certain débriefing à faire. (Il leva les sourcils.) Et après, Myri, il y a une autre mission dont je voudrais vous parler. Les autres ? Retournez au travail.

— Ah très bien, fit son père tandis qu’ils marchaient côte à côte dans le hangar. Tu sais ce qu’ils disent, ma fille. La récompense pour un travail bien fait est un autre travail.

C’était la vérité. Mais elle s’en moquait. Elle sourit lorsque son père lui donna une tape amicale.

— Allons-y, Général.

Et elle éclata de rire.