— Nous savons que demain doit nous séparer. Or tu les as sauvées toutes les deux et elles veulent te témoigner leur reconnaissance. Ne t’inquiète pas, leurs maris sont de garde pour le reste de la nuit.
Un peu dépassé par les événements, Marc sentit deux lèvres fraîches se coller sur sa bouche et il se laissa entraîner dans une folle sarabande. Ray, qui avait suivi le manège de Mirna, avait très prudemment débranché ses enregistreurs depuis plusieurs minutes.
CHAPITRE XVIII
Le soleil brillait déjà dans le ciel lorsque Marc émergea de sa hutte. Il régnait dans le campement une activité fébrile et sur la petite place Wixon distribuait sans cesse ses ordres.
— J’ai modifié, expliqua-t-il, l’ordre des départs. Nous avons beaucoup plus de matériel lourd que je ne le pensais. De plus, je crains pour les femmes et les enfants un long voyage en forêt. J’ai donc décidé que le voilier prendrait aussitôt la mer avec du matériel et tous les hommes qu’il pourrait emporter. Quand il aura déchargé sa cargaison, il reviendra prendre les femmes et les enfants restés près de la baie sous la surveillance d’une dizaine d’hommes. Ainsi le convoi terrestre, ne comportant que des adultes, progressera beaucoup plus vite ! Pour éviter toute surprise, les hommes restants multiplieront les veilles et à la moindre alerte ils se replieront en forêt, le long de la côte, jusqu’au retour du voilier.
Un peu désœuvré, Marc erra dans le village. Il rencontra Mirna qui, un panier d’osier à la main, s’apprêtait à pénétrer dans la forêt.
— Wixon m’a demandé de ramasser le plus grand nombre possible de baies sauvages pour économiser nos provisions en prévision du voyage.
— J’ai bien envie de t’accompagner, sourit Marc. Cela me donnera l’occasion d’inspecter les environs et nous pourrons aussi nous ménager un petit tête-à-tête.
Mirna lui lança un clin d’œil admiratif.
— Je pensais que la nuit dernière avait suffi à ton bonheur.
— Je récupère très vite, ironisa-t-il, en lui saisissant la main.
Ils marchèrent ainsi pendant une heure. Marc ne se lassait d’admirer les mouvements gracieux du corps svelte et mince qui cueillait de grosses baies violacées poussant sur certains arbustes.
Soudain Mirna, qui s’était éloignée de quelques mètres, poussa un hurlement de terreur.
— Marc ! Marc ! Au secours ! Ah…
Le Terrien se rua en avant, franchissant un massif d’épineux qui lui masquait la vue. Il s’arrêta une fraction de seconde devant le tableau qu’il découvrait.
De longs filaments blancs de l’épaisseur d’un pouce tombaient des branches des arbres. Mirna, qui en touchait plusieurs, ne semblait pouvoir s’en détacher malgré tous les efforts qu’elle faisait. L’air sembla vibrer et une affreuse créature soutenue par deux longues paires d’ailes membraneuses se posa sur la cime d’un arbre puis avec une vélocité remarquable descendit le long des fils blancs.
Marc se précipita l’épée en avant non sans avoir d’un geste instinctif augmenté la puissance de son écran protecteur.
— Ray, rejoins-moi immédiatement, émit-il.
De deux puissants coups d’épée, il trancha les filaments qui retenaient Mirna et il la tira vers lui alors que le monstre n’était plus qu’à un mètre d’elle.
Ils reculèrent précipitamment d’une dizaine de pas. L’araignée, maintenant sur le sol, fixait de ses yeux globuleux les deux proies qui avaient échappé à son piège.
Ray était déjà à la hauteur de Marc qui ordonna :
— Essaie de détourner quelques secondes son attention pendant que j’entraîne Mirna à l’écart. Dès qu’elle ne pourra plus te voir, désintègre cette maudite bestiole.
La fuite du couple décida l’araignée à réagir et elle avança aussitôt vers la proie restée immobile. A l’instant où elle voulut planter ses crochets venimeux, sa victime fit un bond de côté. Le monstre, furieux, attaqua à nouveau Ray qui à chaque fois se dérobait. Lorsqu’il se jugea à l’abri des regards indiscrets, l’androïde tendit le bras gauche d’où jaillit un éclair mauve. L’araignée disparut aussitôt ainsi que quelques arbres, comme effacés par une gomme gigantesque.
Peu après, Ray rejoignit Marc qui s’efforçait de calmer Mirna en proie à une splendide crise de nerfs. Tandis qu’il la serrait contre lui, Marc émit :
— Je pense que nous avons encore une magnifique séquence pour les télévisions. Je n’ai jamais vu de monstres semblables.
Ray doucha son bel optimisme en rétorquant :
*
* *
— Enregistrement sans valeur car déjà diffusé. Ces araignées volantes sont des « cephès » originaires de la troisième planète du système solaire répertorié sous le numéro 39.82.34.33. Elles sont réputées pour leur férocité et leur pouvoir destructeur. Elles ne se contentent pas de tuer pour se nourrir mais détruisent tout ce qu’elles capturent par une sorte de déviation de l’instinct de survie. Leur planète a même dû être abandonnée et interdite à toute colonisation en attendant qu’elles meurent de faim et s’exterminent entre elles !
Marc réagit aussitôt :
— Nous chercherons plus tard comment elles ont pu arriver ici. Pour l’instant, elles constituent un péril mortel pour nos amis. Tente de voir si elles sont nombreuses et désintègre toutes celles que tu pourras rencontrer.
Ray utilisant son système antigravité disparut aussitôt sous la frondaison des arbres et Marc put se consacrer à Mirna qui ne cessait de trembler et de gémir. Pour arriver à la calmer, il dut utiliser la plus vieille thérapeutique du monde et il commença par l’embrasser doucement. Quelques minutes plus tard s’élevèrent des gémissements qui ne devaient plus rien à la peur !
En arrivant au campement, Marc fut rejoint par Ray.
— Il n’y avait dans la forêt que deux autres « cephès ». Je m’en suis occupé. Pour l’instant tout danger est écarté mais désormais il conviendra de se méfier.
Il ne restait plus autour des huttes que les enfants, leurs mères et la dizaine d’hommes chargés de les protéger. Wixon, qui avait été informé par Mirna, annonça :
— Dès que possible nous partirons pour la côte !
— Ray et moi effectuerons cette nuit une longue reconnaissance.
Après un dîner pris en compagnie de Mirna à peu près remise de ses émotions, Marc fit signe à Ray de le suivre. Ils marchèrent rapidement jusqu’à une petite clairière assez éloignée du camp pour ne pas attirer l’attention.
— Appelle le module de liaison, ordonna Marc, nous allons inspecter ces fameux champs de lotaphe.
Ray répondit calmement :
— C’est fait depuis que nous avons quitté la hutte. Il ne devrait plus tarder à se poser.
Effectivement, quelques minutes plus tard, la sphère plastique apparut devant eux.
— Reste au ras des arbres, recommanda Marc, pour le cas où il existerait quelque part une surveillance radar.
L’androïde désigna un voyant lumineux.
— Si jamais elle existe, nous serons immédiatement avertis et je me plaquerai au sol. Dans quelle direction allons-nous ?
— D’après ce que j’ai cru comprendre, ces champs doivent se situer à l’est de la ville.
Il ne fallut que cinq minutes au module pour survoler une vaste plaine. Sur l’écran, Marc distingua nettement les plantes ressemblant à de grands tournesols avec en leur centre un gros bulbe arrondi entouré d’une couronne de pétales violets.
Ray désigna une série de baraquements.
— Les détecteurs biologiques réagissent violemment. C’est là que doivent être regroupés les travailleurs pour la nuit.
Un hangar plus petit se dressait à l’écart.
— La récolte doit être entreposée là. Je ne distingue à l’extérieur qu’une dizaine de silhouettes, probablement des gardiens de l’Ordre.
— Pose le module un peu plus loin, ordonna Marc. Nous allons leur réserver une surprise !
L’engin immobilisé, Marc donna ses consignes :
— La nuit est noire. Sans te faire remarquer, tu pourras atteindre le hangar par le toit. Je voudrais que tu prélèves plusieurs bulbes pour les faire analyser sur terre puis laisse une grenade incendiaire avec un retard de quatre minutes. Cela sera toujours autant de drogue détruite.
Ray acquiesça et s’éleva silencieusement dans le ciel. Marc pensa avec reconnaissance à tous les ingénieurs qui avaient mis au point un mécanisme aussi perfectionné. Sa seule puissance suffirait à vaincre toutes les armées des planètes primitives.
Dix minutes suffirent à l’androïde pour accomplir sa mission. Le module s’éloigna tandis qu’une lueur orangée s’élevait du bâtiment.
En survolant la forêt, Marc remarqua les nombreuses toiles accrochées aux arbres comme une neige malsaine.
— Je ne sais quand sont arrivées les « cephès » mais elles ont travaillé rapidement. Espérons qu’il n’y en avait bien que trois !
CHAPITRE XIX
Lorsque Jef pénétra dans sa cabane préfabriquée de son chef, il trouva Carter en proie à une rage féroce. Les deux malheureuses esclaves fournies par le « Grand Maître », sous le vocable de travailleuses spéciales, étaient réfugiées dans un coin, tremblantes et livides.
Ce fut pour elles un immense soulagement de se voir intimer l’ordre de sortir. Carter abattit son poing sur la table qui se fendit sous le choc.
— Je viens de passer un moment très désagréable avec le Grand Maître. Il vient de m’annoncer que ses rebelles ont incendié la nuit dernière la baraque abritant le quart de leur récolte. A juste raison, il estime que nous ne l’avons pas suffisamment protégé. Que fichent donc les « cephès » ?
Jef fourragea dans sa tignasse blonde.
— Je l’ignore. Ce matin, juste avant l’aube, j’ai fait une inspection aérienne avec la plateforme antigrav. Les araignées avaient bien commencé à recouvrir toute la forêt puis brusquement tout s’est arrêté. Quelque chose dans le climat de cette planète les empêche de se développer ! Carter grogna aussitôt :
— Il nous faut rapidement mener une offensive qui paralyse les rebelles. Que proposes-tu ?
Jef tira de sa poche une carte de la région et marmonna :
— Je ne sais si nous pouvons nous fier aux allégations de ton Grand Maître. J’ai profité de ce que je cherchais les « cephès » pour activer les détecteurs biologiques. Je n’ai trouvé qu’un petit foyer d’humanoïdes dans ce coin.
De son index, il désigna un endroit proche de la côte.
— En tout cas, je peux t’affirmer que la forêt ne grouille pas de rebelles. C’est à se demander si Sinac n’a pas mis le feu à une baraque vide pour mieux dissimuler cette partie de la récolte !
Les traits de Carter se crispèrent à cette idée.
— Je te jure que s’il a essayé de nous berner, il le regrettera amèrement. Nous allons attaquer ce village et capturer des otages. Avec un peu de chance, les autres se tiendront tranquilles. Ensuite, nous verrons si le Grand Maître tient ses engagements. Prépare la plate-forme et prends deux hommes avec toi.
*
* *
En fin d’après-midi, Marc regagna le campement en compagnie de Wixon. Le matin, ils avaient assisté au départ du groupe le plus important des adultes et aussitôt après ils s’étaient rendus au bord de la mer pour surveiller les derniers préparatifs avant l’appareillage du voilier.
— Ils toucheront la terre promise les premiers, avait souri Wixon. J’aurais aimé les accompagner mais je préfère veiller sur les femmes et les enfants qui constituent l’avenir de notre petite communauté. Si, là-bas, nous voulons prospérer, il nous faudra très vite pouvoir nourrir beaucoup d’enfants !
En arrivant près du campement où ne brûlait aucun feu, Marc comprit qu’un événement grave était survenu. Aussitôt Zimon se précipita vers lui, secoué encore par un tremblement incœrcible.
— Des hommes ! Ils sont tombés du ciel avec une sorte de traîneau ! Comme ils ne portaient pas d’épées, nous avons tenté de nous jeter sur eux mais un éclair a jailli de leur poing et des flammes se sont élevées devant nous !
— Que voulaient-ils ? demanda doucement Marc.
— Un grand diable barbu m’a dit vouloir parler à nos chefs. Quand il a su que vous étiez loin d’ici, il a paru contrarié. Il a pris en otages dix femmes et dix enfants qu’il a tassés sur la plate-forme puis il a annoncé :
« — Demain matin je veux que vos chefs se trouvent dans la clairière qui est à deux kilomètres au nord. Si cette nuit, une attaque était tentée contre la ville ou les champs de lotaphe, les prisonniers seraient immédiatement exécutés. »
Ayant obtenu une description des agresseurs, Marc murmura :
— Ce sont probablement les acheteurs de la drogue. Il va nous falloir être très prudents !
Un peu plus tard, Wixon, accablé, revint vers les terriens.
— Nous avons beaucoup discuté avec mes hommes. Même s’il n’y a qu’une faible chance d’obtenir la libération des femmes et des enfants, nous devons la tenter. Aussi avons-nous constitué une délégation de quatre volontaires que je conduirai au rendez-vous.
Marc secoua la tête.
— Je pense plutôt que c’est moi qu’ils désireront rencontrer. Les femmes interrogées n’auront pu taire notre présence et le travail que nous avons accompli.
— Je le crois également, soupira Wixon, mais je n’osais vous demander ce sacrifice.
— Ray et moi irons donc à leur rencontre. Malheureusement, vous devrez nous accompagner car ils savent que vous êtes le chef. Les autres seront plus utiles ici. En attendant il ne nous reste plus qu’à dormir. Demain nous aurons besoin d’avoir l’esprit lucide !
Marc, suivi de Ray, se dirigea aussitôt vers sa hutte. Dès que Wixon se fut éloigné, le Terrien émit :
— J’ai plongé cette petite communauté dans une situation critique. A nous d’essayer de les en sortir. Les pirates doivent avoir une base sur Sarc proche de leur vaisseau qu’ils n’ont pu laisser en orbite car nous l’aurions détecté. Où l’ont-ils dissimulé ?
Les circuits électroniques de Ray n’eurent besoin que de trois secondes pour émettre :
— Les détecteurs ont relevé une masse métallique justement dans la direction de ce que Mirna appelait le sentier interdit. C’est donc là qu’il nous faut chercher.
Marc approuva aussitôt.
— Appelle le module et pose-le le plus près possible du camp. A minuit, lorsqu’ils seront tous endormis, nous nous éclipserons discrètement.
Au milieu de la nuit, les Terriens survolèrent donc lentement la forêt.
— J’ai enclenché le système de brouillage, indiqua Ray qui avait senti la nervosité de son compagnon. Ainsi nous ne pouvons être repérés par radar.
Après plusieurs détours, ils finirent par découvrir une gorge abritant plusieurs baraques, manifestement préfabriquées par une usine de l’Union Terrienne.
— Reste à trouver le vaisseau, grommela Marc.
Cela ne leur demanda qu’une demi-heure, bien qu’il fût remarquablement camouflé par des lacis d’arbustes poussant sur une corniche en surplomb de la vallée.
Un peu plus haut, Ray parvint à poser le module et Marc sauta à terre. Une heure leur fut nécessaire pour arriver à proximité de l’aviso pirate.
— Attention ! émit Ray, il y a une sentinelle à l’extérieur.
En rampant en silence, Marc parvint à distinguer une silhouette qui allait et venait devant le sas d’entrée resté ouvert. Sans doute l’homme désirait-il se dégourdir les jambes.
— Nous n’avons pas le temps de finasser. Envoie une capsule soporifique, ordonna Marc.
Tandis que la sentinelle s’écroulait, Ray tendit à Marc un comprimé destiné à neutraliser les effets du gaz. Ils coururent ensuite rapidement jusqu’au sas d’entrée.
Ray resta un instant immobile, activant tous ses détecteurs.
— Je crois qu’il était seul mais nous devrons nous méfier. Les cloisons étanches ne permettent pas un repérage précis.
Les Terriens parvinrent cependant sans encombre au poste de pilotage. Là, Marc trouva les documents officiels de bord. Tandis qu’il les compulsait, il demanda à Ray de fouiller le bâtiment.
— Il y a encore sept « cephès » à bord, émit l’androïde.
Ayant terminé une lecture pleine d’intérêt, Marc s’approcha de la téléradio. Après plusieurs tâtonnements, il parvint à accrocher un récepteur du service de surveillance des planètes primitives.
— Je veux une communication avec le général Khov. Priorité A 1.
L’officier de permanence éclata de rire en dévisageant son interlocuteur.
— Vous revenez d’un bal costumé et vous n’avez pas encore cuvé votre alcool. Consultez votre ordinateur et vous vous apercevrez qu’ici nous sommes en plein milieu de la nuit ! Si je réveille le général, nous risquons tous de nous retrouver mutés sur le plus obscur des satellites où nous périrons d’ennui !
— Je maintiens ma demande, répondit sèchement Marc.
L’officier haussa les épaules.
— Tant pis pour vous ! Vous ne pourrez prétendre que je ne vous aurai pas prévenu !
Moins de cinq minutes plus tard, le visage du général Khov apparut sur l’écran. Ses yeux semblaient encore plus bridés qu’à l’ordinaire et son crâne lisse brillait sous la lumière.
— Stones, il sera dit qu’à chacune de vos missions, vous me réveillerez ! dit-il d’une voix polaire
— J’en suis désolé, mon général, mais je n’appelle pas de mon aviso mais d’un vaisseau de pirates terriens posé sur Sark. Aussi à tout moment, la communication risque d’être interrompue et j’ai un besoin urgent de consignes précises. J’ai découvert l’origine du « S.I.T. » qui est extrait d’une plante cultivée ici et que les indigènes nomment lotaphe.
Malgré son impassibilité légendaire, Khov ne put masquer son intérêt.
— Précisez, ordonna-t-il.
Marc résuma rapidement les analyses effectuées par Ray.
— De plus, il semble que la drogue soit introduite dans des cages contenant des « cephès » officiellement destinés à des zoos privés.
— Continuez à enregistrer votre rapport détaillé, ordonna le général, j’appelle immédiatement l’amiral Neumann, responsable de la sécurité intergalactique.
Pendant dix minutes, Marc résuma son action depuis son arrivée. La figure de Khov reparut alors sur l’écran. La mince crispation qui étirait ses lèvres pouvait passer pour un sourire.
— J’ai eu le plaisir de réveiller le grand Amiral. La découverte de la source probable d’un trafic qui prenait une extension dramatique l’a fort émoustillé et les ordinateurs de son service recherchent déjà les passages et les importateurs de « cephès ». Par chance, il a une unité en mission dans un système solaire voisin et il vous donne priorité. Le croiseur sera à proximité de Sarc dans six heures. J’aurais souhaité qu’il n’y eût point d’intervention directe sur une planète primitive mais Neumann a plus d’influence que moi auprès du Président. Aussi n’ai-je pu obtenir qu’un sursis de vingt-quatre heures !
Le regard de Khov se durcit.
— Voici donc vos instructions ! Par tous les moyens en votre pouvoir, vous devez empêcher le vaisseau pirate de décoller pendant six heures, le temps au croiseur d’arriver et de se dissimuler derrière la 5e planète qui est dans une conjoncture favorable. Vous devez ensuite obtenir que les trafiquants décollent en catastrophe. Passé le délai d’un jour, le croiseur attaquera sur Sarc quelles que puissent être les conséquences pour la population locale. J’espère donc que vous ne décevrez pas mon attente et j’ai déjà répondu de votre conduite. Votre mission terminée, vous me ferez un rapport que j’attends déjà avec impatience !
L’écran s’éteignit brusquement, laissant Marc songeur.
— Le problème est difficile à résoudre, commenta placidement Ray qui avait terminé son inspection.
Le Terrien hocha la tête et soudain un sourire éclaira son visage.
— Je pense avoir une idée ! s’exclama-t-il, en contemplant l’ordinateur de vol. Démonte ce panneau de protection en prenant soin de ne pas laisser de traces visibles.
Bientôt les circuits complexes apparurent à la vue de Marc.
— Maintenant prélève avec soin le bloc qui contient les cristaux mémoriels puis replace le panneau.
Ray exécuta avec rapidité les ordres de Marc puis les deux compères regagnèrent leur module après être passés devant la sentinelle qui dormait toujours. Une fois installé sur le siège du copilote, Marc contempla le petit cube de dix centimètres de côté qu’il tenait à la main et ricana :
— Même si le capitaine des brigands est un astronaute chevronné, il lui faudra des heures pour programmer une plongée dans le subespace sans l’aide de son ordinateur ! Reste maintenant à négocier habilement pour obtenir la libération des otages !
CHAPITRE XX
Le soleil était au zénith et chauffait durement les crânes. Depuis plus de deux heures, Wixon, en compagnie des Terriens, attendait stoïquement dans la clairière où les pirates avaient fixé rendez-vous. Enfin une plate-forme « antigrav » survola la forêt, effectuant un large tour avant de se poser. Prudent, Carter avait tenu à s’assurer qu’il n’y avait pas d’autres humanoïdes postés en embuscade.
De son pistolet thermique, il fit signe aux trois hommes d’embarquer. Dans un silence pesant, la plate-forme décolla pour se poser dix minutes plus tard devant les baraquements préfabriqués.
Très impressionné, Wixon avait fermé les yeux mais, malgré sa peur devant ces engins inconnus, il avait réussi à conserver une dignité imposante que Marc admira.
Lorsqu’ils eurent mis pied à terre, Wixon demanda d’une voix qui ne tremblait pas :
— Etranger, nous nous sommes rendus librement à toi. Quand tiendras-tu ta parole de libérer les femmes et les enfants ?
Carter éclata d’un rire cynique.
— Je n’ai rien promis de tel ! Je vais vous remettre au Grand Maître Sinac mais si par la suite vos hommes venaient à attaquer, je lancerais sur le village, un par un, les cadavres des otages.
Comprenant que son sacrifice avait été inutile, Wixon, accablé, baissa la tête ! Le pirate savoura un instant son triomphe et lança en langue galactique à son adjoint :
— Boucle-les dans une cellule et fais-les surveiller. Ces sauvages ont toutes les traîtrises.
C’est alors que Marc lança, utilisant toujours l’idiome indigène :
— Je pense que vous ne pourrez plus jamais quitter Sark car il manque quelque chose à votre étrange maison d’acier.
Carter sursauta et saisissant le Terrien par sa tunique de lin, il gronda :
— Explique-toi clairement.
Marc ne tenta pas de résister mais sourit :
— Je constate que la sentinelle a omis de vous informer qu’elle avait fort bien dormi la nuit dernière. Vous devriez faire vérifier le contenu de la grande armoire métallique, à gauche en entrant dans la pièce du haut !
Le capitaine repoussa brutalement Marc et saisissant son communicateur radio appela en galactique :
— Igor, ta garde s’est-elle déroulée sans incident ?
L’hésitation du cosmatelot intrigua Carter qui hurla :
— Si tu ne me dis pas immédiatement la vérité, je jure que je te fais enfermer dans la cage d’un « cephès ».
A regret, l’astronaute reconnut :
— Je ne sais ce qui s’est passé, mais je pense que je me suis endormi quelques minutes. A mon réveil, j’ai effectué une inspection détaillée et tout était en ordre !
Carter jura sourdement et ordonna de vérifier l’ordinateur du bord. En attendant la réponse, il marcha nerveusement, escorté par son second. Moins de cinq minutes plus tard, la voix inquiète d’Igor résonna dans la radio :
— Les cristaux mémoriels !
— Quoi ?
— Tout le bloc a disparu !
Le capitaine se tourna vers Jef.
— Peux-tu réparer ?
— Nous avons des cristaux non impressionnés mais il faudra des mois de calculs complexes pour arriver à les programmer correctement. De plus, il n’est même pas certain qu’à la première plongée nous ne nous retrouverons pas à l’autre bout de la galaxie !
En proie à une colère noire, Carter pointa son pistolet thermique sur Marc.
— Tu as dix secondes pour me rendre ce que tu as volé, sinon je te tue !
A son grand étonnement, son interlocuteur ne se départit pas de son calme.
— Moi mort, ta boîte sera détruite !
Jef, qui avait fort bien suivi la scène, murmura à l’oreille de son chef :
— Pas de bêtise ! Nous devons absolument récupérer ces cristaux. Promets-lui tout ce qu’il voudra en échange. Lorsque nous aurons les mémoires, tu pourras alors faire griller ou découper en morceaux ces sauvages.
Carter fit un effort méritoire pour retrouver son calme.
— Très bien, lança-t-il à Marc, discutons sérieusement. Qu’exiges-tu en échange de mon cube ?
— Relâchez les otages et toutes les jeunes femmes que vous retenez ici !
— Entendu ! Dès que la boîte sera ici, ils pourront repartir librement.
Le Terrien secoua la tête.
— Une fois de plus, vous ne tiendrez pas votre parole. Ils doivent d’abord être libérés !
Le pirate hurla avec colère :
— Je vais abattre les otages un par un en commençant par les enfants. Nous verrons alors si tu refuses toujours d’obéir !
Marc conserva un visage impassible et du doigt désigna le soleil :
— Sans nouvelles de moi lorsque le soleil atteindra les arbres, celui qui détient le cube a pour consigne de le détruire avec une masse !
Jef frissonna à l’idée que les fragiles cristaux pouvaient être écrasés par un simple marteau.
— Bon Dieu, souffla-t-il en galactique, n’insiste pas ! Je n’ai aucune envie de passer le reste de mon existence sur cette minable planète !
Carter souffla bruyamment et grogna :
— Que proposes-tu ?
— Les prisonniers partiront immédiatement avec le chef Wixon. Pendant ce temps mon compagnon ira chercher la boîte.
— Et ils en profiteront tous pour filer, ricana Carter.
— Non, car moi je resterai ici à votre merci !
Le pirate réfléchit un bon moment. Son orgueil blessé le poussait à refuser, mais la raison le fit capituler.
— Entendu ! Mais à la moindre trahison, tu seras dévoré par une araignée volante !
— J’ai accepté le risque. Hâtez-vous cependant de réunir les otages car le soleil commence à décliner.
Tandis que Carter distribuait ses ordres, Marc murmura à Wixon, totalement dépassé par cette conversation dont il ne comprenait pas le motif :
— Vous allez pouvoir regagner le village mais ne vous y attardez pas. Réfugiez-vous au bord de mer où le voilier doit vous récupérer et restez toujours à l’abri des arbres. Si nous le pouvons, nous vous y rejoindrons mais si nous ne devions plus nous revoir, construisez votre ville en souvenir de nous !
Wixon aurait voulu protester mais l’arrivée du groupe des prisonniers poussés par deux cosmatelots ne lui en laissa pas le loisir.
— Je ne vous demande qu’une faveur, ajouta Marc. Veillez sur Mirna et assurez-vous qu’elle ne manque de rien.
Rapidement, la petite colonne se mit en marche tandis que Marc émettait à l’intention de Ray :
— Va récupérer les cristaux mais ne reviens pas avant deux heures pour que notre histoire reste crédible.
— Entendu ! Mais augmente la puissance de ton écran protecteur et reste en communication permanente avec moi. Carter est rusé et il n’a pas digéré son échec.
Dès que Ray se fut éloigné, Marc s’installa paisiblement au pied d’un arbre sous le regard soupçonneux de Jef qui ne le quittait pas des yeux.
Les minutes s’écoulèrent fort longues pour Carter qui, ne pouvant rester en place, arpentait nerveusement le chemin sillonnant entre les baraques vides. Il regardait pour la centième fois sa montre lorsque Ray reparut enfin. Avec un rugissement de triomphe, le pirate saisit le cube que l’androïde lui abandonna sans difficulté.
Jef l’examina soigneusement et soupira :
— Il semble intact ! Je vais le remonter immédiatement et tester l’ordinateur.
Carter se planta devant Marc qui afficha un sourire naïf.
— Puisque vous avez récupéré votre bien, je pense que nous sommes libres de partir.
Une vilaine grimace étira les lèvres du pirate.
— Vous allez payer très cher votre action. Je n’ai jamais toléré qu’on se moque ainsi de moi. Lorsque j’en aurai fini avec vous, le sort que vous réservera le Grand Maître vous paraîtra le paradis !
CHAPITRE XXI
Carter contemplait toujours Marc, les yeux brillants de colère. Comme sa menace ne semblait guère effrayer son interlocuteur, le pirate précisa :
— Je vais également faire ramasser tous les otages qui croyaient pouvoir m’échapper et avant mon départ, je les remettrai également au Grand Maître, mais auparavant mes hommes s’amuseront un peu.
Longuement il décrivit les outrages que subiraient les femmes et les supplices prévus pour les hommes. La seule réaction de Marc fut d’étouffer un discret bâillement, ce qui ne fit qu’augmenter la rage de Carter.
Le capitaine retrouva cependant assez de sang-froid pour appeler Jef par radio.
— Tout est-il en ordre ?
— J’ai replacé les cristaux mémoriels au milieu des circuits. Apparemment ils fonctionnent correctement mais par prudence, je programme l’ordinateur pour une série de contrôles approfondis, mais je crois que les prisonniers n’ont plus aucun intérêt et que tu peux en disposer à ta guise. Amuse-toi bien ! Je viendrai voir le spectacle dès que j’aurai terminé les tests !
Satisfait, Carter rangea minutieusement son communicateur radio dans sa poche et regarda un instant Marc. Brusquement il lança son poing gauche visant la figure du Terrien.
Aussitôt le pirate poussa un hurlement de douleur ! Sa main avait rebondi à plus de vingt centimètres de son objectif et il avait l’impression d’avoir heurté un mur de pierre !
Instinctivement, Carter recula d’un pas, tira son pistolet thermique de son étui et le pointa sur Marc toujours immobile.
— Je vais te tuer, cria-t-il le visage crispé par la colère.
L’étonnement le cloua sur place quand il entendit sa future victime répondre en pur galactique avec un sourire ironique :
— Arrêtez de vous conduire comme un imbécile. A votre coup de poing malheureux, vous auriez déjà dû vous rendre compte que je suis protégé par un champ de force qui me met également à l’abri d’un minable pistolet thermique. De plus, mon compagnon n’est pas un de ces malheureux indigènes que vous vous complaisez à maltraiter et à terroriser mais un androïde extrêmement perfectionné qui aurait pu depuis longtemps vous désintégrer comme il l’a fait avec les trois « cephès » que vous aviez lâchés sur cette forêt, au mépris de tous les règlements de l’Union Terrienne.
Sidéré, Carter fixa Ray à qui il n’avait jusqu’à présent accordé qu’un regard superficiel. L’androïde se tenait immobile, la main gauche levée, l’index tendu.
Pour achever de convaincre le pirate, Marc ordonna :
— Le baraquement de gauche !
Ray déplaça légèrement la main et un éclair mauve jaillit de son index. Aussitôt la bâtisse préfabriquée disparut comme si elle n’avait jamais existé, remplacée par une excavation dans le sol, laissant apercevoir le rocher devenu brillant !
Lentement Carter laissa retomber dans son étui son pistolet thermique bien inutile en face d’un désintégrateur et essuya d’une main tremblante son front couvert de sueur.
— Vous êtes des flics ! murmura-t-il.
— Vous vous trompez, je suis un agent du service de surveillance des planètes extérieures.
Le pirate regarda à nouveau Ray en hochant la tête.
— Je savais que ce service utilisait des androïdes sophistiqués qui lui sont réservés mais je n’aurai jamais cru qu’ils pouvaient atteindre un tel degré de perfection ! Il en est de même des ceintures protectrices comme vous en portez. Depuis longtemps, j’ai essayé de m’en procurer une mais je n’ai jamais pu l’obtenir.
Carter avait récupéré un peu de calme et une lueur rusée brillait dans son regard.
— Que voulez-vous exactement ? J’ai certes commis une faute en posant mon cargonef sur cette planète mais vous n’avez aucune autorité pour l’arraisonner ou m’arrêter. Cela dépend uniquement de la sécurité spatiale !
— Rassurez-vous, ironisa Marc, elle est déjà prévenue ! J’ai profité de mon passage dans votre navire pour faire un rapport détaillé à mon chef ! Dans moins de vingt-quatre heures, un croiseur de la sécurité spatiale patrouillera dans ce système solaire avec pour mission de vous capturer. En ce moment même, tous vos complices doivent être arrêtés ou au moins sous surveillance serrée.
Le pirate fronça les sourcils, incrédule.
— Comment ont-ils pu être repérés ?
Marc s’offrit le luxe d’un sourire.
— En apprenant que la drogue était introduite dans les cages des « cephès », les ordinateurs se sont mis au travail. L’arrivée sur une planète de ces charmantes bestioles ne passe pas inaperçue !
Carter resta un moment silencieux, le visage crispé, puis il demanda l’air soupçonneux :
— Pourquoi m’avertir ainsi ? En filant immédiatement, j’ai, une chance d’échapper aux flics.
— Effectivement ! Croyez bien que cela ne me plaît guère mais j’obéis aux ordres de mon chef, le général Khov. Vous bénéficiez de ce que l’on pourrait appeler une petite guerre des services !
— Que voulez-vous dire ?
— La Sécurité Spatiale a tous les pouvoirs et le Grand Amiral a donné ordre à sa flotte de vous détruire où que vous soyez, même sur Sarc. Or le général Khov, par respect de la loi de non-immixtion, préférerait que vous vous échappiez de cette planète.
— Il favoriserait donc mon évasion !
Marc eut un petit geste négligent de la main.
— A ses yeux, vous n’êtes qu’un élément très secondaire. Naturellement, le système de Sarc sera mis sous surveillance, interdit à toute navigation et gardé par les satellites « tueurs » qui détruiront impitoyablement tout astronef qui s’aventurerait dans les parages. Ainsi donc, la source même du trafic du « Sit » sera tarie. Le général préfère vous donner une chance d’échapper à la juste punition de vos crimes plutôt que de risquer de troubler l’évolution de cette population primitive.
De grosses rides soucieuses barrèrent le front du pirate.
— Je n’ai guère d’autre choix, murmura-t-il, que de filer rapidement.
Il saisit de sa poche son communicateur radio et annonça :
— Jef, prépare tout pour un décollage immédiat et envoie Igor avec une plate-forme antigrav pour me récupérer.
Marc approuva de la tête et ajouta :
— Que donniez-vous au Grand Maître en échange des sacs de lotaphe ?
— Simplement des comprimés de traitement régénérant. Je préférais avoir toujours affaire au même interlocuteur !
— Astucieux, sourit Marc, je comprends maintenait comment il a réussi à se maintenir aussi longtemps au pouvoir !
Une plate-forme antigrav se posa sur le sol à quelques mètres du pirate. Sans un mot, ce dernier sauta à bord, non sans lancer au Terrien un regard chargé de haine.
L’engin démarra aussitôt et fila entre les rochers à quelques mètres du sol.
CHAPITRE XXII
Marc consulta sa montre pour la dixième fois.
— Cela fait maintenant près d’une heure qu’ils sont à bord. Pourquoi le vaisseau ne décolle-t-il pas ?
Ray haussa les épaules en un geste très humain.
— Quoi qu’il arrive maintenant, nous avons rempli l’essentiel de notre mission en les empêchant de décoller trop tôt. Le croiseur de la sécurité spatiale a eu le temps d’arriver.
— Non, Ray ! Le plus important est que ce damné pirate quitte Sark pour éviter une destruction sur le sol même de la planète.
Désignant un point à l’horizon, Ray émit :
— Attention ! l’antigrav revient. Mets ton écran protecteur à forte intensité !
L’engin se posa en douceur à une trentaine de mètres de distance et Jef, le cosmatelot à la tignasse blonde, en descendit, prenant soin de garder les mains ouvertes et bien visibles. Quand il parvint devant Marc, il esquissa un sourire ironique.
— Avant de décoller, le capitaine désire prendre une précaution supplémentaire. Aussi avons-nous récupéré trois jeunes femmes en otage. Elles sont actuellement dans la soute de notre astronef en face des « cephès ». Si vous tentez quoi que ce soit, Carter ouvrira une cage !
Sortant un communicateur radio de la poche de sa combinaison, il ajouta :
— Pour vous prouver que nous ne bluffons pas, vous pouvez entrer en contact avec les otages. Carter se tient près d’eux.
Les traits du visage de Marc s’étaient figés en entendant la voix de Mima sortir du haut-parleur. La malheureuse était terrorisée mais Marc put apprendre qu’elle se trouvait prisonnière en compagnie de Zila et Lica.
Carter annonça alors :
— Si tu n’exécutes pas mes ordres, je les fais dévorer une par une par les « cephès ».
— Que voulez-vous ? demanda Marc d’une voix rauque.
— Que tu prennes leur place ! En cas de mauvaise rencontre avec la sécurité spatiale, je tenterai d’échanger ma vie contre la tienne !
— Je crains que cela soit insuffisant pour vous tirer d’affaire !
— Nous verrons bien alors ! De toute façon, si je dois crever, j’aimerais avoir la consolation d’entraîner avec moi le responsable de la destruction de la plus belle affaire du siècle !
— Si j’accepte, laisserez-vous repartir les femmes avec Ray ?
— Non ! Ce robot a un pouvoir destructeur trop important. Tu devras d’abord le neutraliser. Jef, qui est un spécialiste de cybernétique, s’en assurera. Ensuite il te conduira à l’astronef. Une fois à bord, je relâcherai les filles !
— Qui me dit que vous tiendrez parole ?
Carter émit un rire cynique.
— Une fois dans l’espace, elles n’ont aucune valeur marchande ! Maintenant, tu n’as plus qu’une minute pour te décider. Passé ce délai, je livre la première au « cephès ». Je laisse la radio branchée pour que tu puisses entendre ses cris.
Voyant les hésitations de Marc, Ray émit psychiquement :
— Tu ne peux accepter, Marc. D’abord Carter ne tiendra jamais parole. Quand tu seras à bord de l’astronef, il usera du même chantage pour t’obliger à abandonner ta ceinture protectrice. Tu seras alors totalement à sa merci. Ensuite dans l’espace, tu n’ignores pas que le croiseur de la sécurité spatiale est prêt à vous intercepter. Son commandant a des ordres stricts et n’acceptera jamais de discuter. Tu n’as donc aucune chance de t’en tirer.
Un triste sourire étira les lèvres de Marc.
— Je ne l’ignore pas, mais je ne peux acheter ma vie au prix de l’existence de trois malheureuses filles !
— Ton sacrifice sera vain. Jamais Carter ne les relâchera !
— C’est possible mais même si je n’ai qu’une chance sur cent de les sauver, je dois la tenter !
La voix du pirate résonna dans le haut-parleur.
— Plus que trente secondes !
— Il est temps de céder, soupira Marc.
Adieu, Ray ! J’espère que le général Khov enverra une mission pour te récupérer.
— Je t’en supplie, Marc, réfléchis encore ! hurla Ray.
La voix de l’androïde avait pris une intonation déchirante, réellement humaine.
— Trop tard, Ray ! Tu dois obéir !
Cette exclamation coupait à toute discussion. Pour sophistiqué que fût un androïde, les ingénieurs cybernéticiens avaient programmé avant toute chose l’obéissance absolue aux ordres de l’homme !
— C’est bon, j’accepte, dit Marc à haute voix.
— Il était temps, rétorqua Carter. Deux secondes de plus et le « cephès » dévorait sa proie. Jef, vérifie qu’il déconnecte bien le robot.
Ray regarda les deux hommes s’avancer vers lui. Il enregistrait le visage de Marc, revoyait en accéléré toutes les missions accomplies ensemble. Brutalement, à l’idée qu’il allait à jamais être séparé de ce compagnon par lequel et pour lequel il existait, une tempête folle submergea les neurones électroniques de l’androïde. C’est à peine s’il entendit Marc expliquer :
— Les systèmes de commandes sont logés au niveau du sein gauche.
CHAPITRE XXIII
Prudemment, Jef était resté un peu en arrière. Les yeux emplis de larmes, Marc avança la main pour écarter la tunique de Ray et atteindre le mécanisme d’ouverture de la trappe.
— Adieu, mon seul et véritable ami, murmura-t-il.
C’est alors que l’impensable se produisit ! Pour la première fois, un androïde échappa au contrôle de son Maître ! Le poing droit de Ray se détendit et frappa avec une rigoureuse précision la pointe du menton de Marc. Le Terrien assommé perdit aussitôt connaissance.
Simultanément, l’androïde avait levé la main gauche et un éclair mauve frappa Jef dont le corps fut immédiatement désintégré en lumière et chaleur.
D’un bond, Ray sauta aux commandes de la plate-forme antigrav et il démarra aussitôt, sans se soucier de la voix de Carter qui jaillissait de la radio de bord répétant :
— Que se passe-t-il ? Jef, réponds ! Jef, réponds ! Trois minutes suffirent pour atteindre l’astronef pirate. Comme Ray l’espérait, le sas de la soute de chargement était encore ouvert. Sans ralentir, il se dirigea vers lui, ne freinant qu’à la dernière seconde.
Ray sauta hors de l’engin avant même qu’il fût arrêté. Le cosmatelot de garde, croyant à un accident inévitable compte tenu de la vitesse de la plate-forme, avait fermé un instant les yeux. Aussi ne vit-il pas l’éclair jaillir du front de l’androïde, qui l’envoya aux enfers !
Dans les neurones survoltés de Ray, le plan du vaisseau s’inscrivit aussitôt. Il savait que le résultat de son action se jouerait sur quelques secondes. Il se rua en avant, préférant désintégrer les portes plutôt que de perdre du temps à les ouvrir.
Au détour d’une coursive, il heurta un cosmatelot sortant d’une cabine. Sans ralentir sa course, Ray se contenta d’écarter l’homme d’un simple revers de bras. Malheureusement pour le pirate, le contrôle qu’exerçait d’ordinaire le cerveau électronique sur la puissance des membres était singulièrement amoindri par l’étrange phénomène qui s’était emparé des circuits cérébraux.
Aussi le cosmatelot fut-il projeté contre la cloison avec une violence telle qu’il eut les os brisés et que la porte métallique fut déformée.
Enfin Ray pénétra dans la soute qui était son but. En un millionième de seconde, la scène qui se déroulait dans la pièce fut analysée par l’androïde. Carter se tenait près de la porte, tenant dans sa main gauche la télécommande de l’ouverture des cages des « cephès ». De l’autre, il malmenait un communicateur radio.
Probablement espérait-il renouer le contact avec son complice.
Les trois jeunes femmes étaient entravées par des liens magnétiques et chacune était allongée devant une cage différente. Sans relâche, les « cephès » frappaient la paroi plastifiée de leur bec corné, tout en agitant leurs crochets venimeux. Les malheureuses hurlaient de frayeur, à l’exception de Zila qui, terrassée par l’excès de peur, avait perdu connaissance.
Le capitaine pirate, en voyant surgir Ray à la place de la cloison volatilisée, hurla :
— Si vous avancez, je libère les « cephès ».
L’androïde émit un ricanement de résonance très humaine.
— Allez-y ! Leur venin est sans action sur mes circuits électriques. Il n’en est pas de même pour vous ! Mais si vous préférez mourir entre les pattes de ces charmantes bêtes, je vous laisse libre de ce choix.
Carter blêmit et une fine sueur couvrit son front. D’une voix mal assurée, il lança :
— Attendez ! Nous pouvons discuter ! Vous condamnez également à mort ces trois femmes ! Où est votre Maître ? Je croyais qu’il vous avait donné des ordres !
Ray hésita un instant avant de rétorquer, d’une voix narquoise :
— Je ne reçois plus d’ordre de personne !
— C’est impossible ! Tu n’es qu’un androïde et tu ne peux, de ta seule initiative, mettre en péril des vies humaines. Ton maître était prêt à sacrifier sa vie pour sauver ces filles !
Un sourire ironique étira les traits de Ray.
— Soyez logique ! Vous insistez sur ma qualité d’androïde. Vous devriez donc savoir que je ne puis ressentir de sentiments humains comme la pitié, la haine ou l’amour. J’exécute donc ce qui me semble logique. Votre mort ne fera qu’anticiper une sentence déjà programmée par le Grand Ordinateur Judiciaire.
— Tu n’as pas le droit ! hurla Carter en proie à une terreur de plus en plus vive.
Toutefois, il restait immobile et n’avait pas lâché la télécommande des cages. Si Ray avait entamé une discussion inutile, c’était dans l’espoir de détourner l’attention du pirate et de trouver un angle de tir favorable. En effet, il ne pouvait utiliser son désintégrateur sans risquer de toucher une des trois femmes.
Toutefois, il ne pouvait laisser pourrir la situation. Un des cosmatelots encore à bord pouvait surgir à tout moment. Il décida donc de passer à l’action en utilisant son éclair frontal.
Carter mourut avant qu’une nouvelle protestation ne jaillisse de ses lèvres. Malheureusement une dernière crispation le fit appuyer sur la télécommande, libérant ainsi la porte de la cage devant laquelle se trouvait Zila ! Le « cephès » surpris par la brusque ouverture, resta immobile une fraction de seconde !
Ray réagit avec une promptitude électronique. D’un bond, il atteignit la cage. De la main gauche, il tira violemment Zila en arrière, interposant son bras droit à l’instant où le « cephès » allait planter ses crochets venimeux dans la chair tendre de la jeune femme.
Le monstre, étonné de l’échec de son attaque et de la dureté inhabituelle de sa proie, voulut récidiver mais cette fois Ray activa son désintégrateur et l’éclair mauve effaça littéralement le « cephès ».
D’une voix autoritaire, Ray imposa le silence aux jeunes femmes puis il brisa leurs liens magnétiques. Portant Zila toujours évanouie, il ordonna :
— Suivez-moi de près et surtout taisez-vous !
Rapidement il regagna la soute où était rangée la plate-forme antigravité. Un cosmatelot armé était penché sur le corps de son camarade. En voyant apparaître l’androïde, il se redressa brusquement et exhiba un pistolet thermique. Croyant Ray sans arme, il ricana :
— Lâche cette fille et lève les mains ou je te transforme en résidu charbonneux !
Il mourut foudroyé avant même d’avoir compris son erreur !
— Grimpez dans la plate-forme, ordonna Ray en déposant doucement Zila sur un siège.
Puis il s’installa aux commandes et démarra sèchement. Deux minutes plus tard, il stoppa la plate-forme à l’abri d’un éperon rocheux. Sautant à terre, il commanda :
— Surtout ne bougez pas ! Je reviendrai dans un quart d’heure. Profitez de ce temps pour essayer de réveiller votre amie. Elle n’est pas blessée mais seulement évanouie.
Il partit au pas de course mais dès qu’il eut contourné les blocs de rochers, il activa ses réacteurs antigravité et vola en direction de l’astronef. Il lui restait encore une importante besogne à accomplir pour achever l’exécution du plan que ses circuits survoltés avaient conçu.
Beaucoup plus calmement, il inspecta l’astronef après avoir branché ses détecteurs d’ondes biologiques. Il découvrit ainsi trois autres pirates qu’il élimina impitoyablement. Puis il gagna le poste de pilotage et activa l’ordinateur de vol.
Avec rapidité et précision, il effectua une programmation minutieuse. Enfin, avec un sourire de satisfaction, manifestation fort incongrue pour un androïde, il appuya sur un dernier bouton.
Aussitôt, une série de voyants lumineux s’éclairèrent et les générateurs d’énergie se mirent à ronfler. Ray gagna le sas de sortie et sauta à l’extérieur. Il se posa en douceur une cinquantaine de mètres plus loin et attendit en regardant l’astronef.
Les portes de la soute se fermèrent automatiquement puis le bruit des générateurs devint plus aigu et se transforma en un sifflement strident. Lentement l’astronef se souleva de terre puis accélérant rapidement, il s’élança dans le ciel jusqu’à n’être bientôt qu’un minuscule point noir.
Satisfait, Ray regagna la plate-forme où les trois jeunes femmes l’attendaient peureusement serrées les unes contre les autres. Avec plaisir, il constata que Zila avait repris connaissance bien que son teint fût encore fort pâle.
— Mes toutes belles, sourit Ray, le cauchemar est terminé et vous allez pouvoir retrouver les vôtres !
En démarrant lentement, il sentit un grand calme l’envahir comme si ses circuits électroniques retrouvaient leur fonction normale. A cet instant, il perçut un appel angoissé. MARC !
CHAPITRE XXIV
Le Grand Maître Sinac avançait au pas lent de sa monture. Il venait annoncer aux étrangers que la récolte du lotaphe était pratiquement terminée et qu’elle pouvait être livrée le lendemain. Toutefois, il voulait solliciter une protection accrue, car il craignait toujours une attaque des « antisociaux ».
Etonné de ne pas être arrêté par une sentinelle, il se dirigea vers les étranges bâtiments. Une sourde inquiétude envahit son esprit en constatant que le camp semblait abandonné. Les étrangers seraient-ils déjà repartis ? Il eut un moment de satisfaction en pensant qu’il pourrait conserver le lotaphe mais il songea aussitôt qu’il n’avait pas reçu les miraculeuses substances permettant de ne pas vieillir.
Il arrêta brusquement sa monture en apercevant un corps allongé en travers du sentier. Il descendit de cheval pour avancer avec prudence. Aux vêtements misérables, il devina qu’il devait être en présence d’un « antisocial ». Avec surprise, Sinac reconnut celui qui se prétendait étranger et qu’il avait condamné aux galères ! L’homme n’était pas mort car il respirait régulièrement. Le Grand Maître défit une rêne de sa monture et entreprit de ligoter l’« antisocial » toujours inconscient, puis non sans mal il le hissa sur le cheval, couché en travers de la selle.
Se juchant sur la croupe, il éperonna sa monture et partit au trot. Ainsi il regagna rapidement la masure à demi ruinée où son escorte l’attendait. Sautant à terre, il ordonna :
— Assurez-vous de ce prisonnier. Attachez-le solidement et réveillez-le. Je dois l’interroger !
Sinac espérait que l’« antisocial » pourrait lui donner des explications sur sa présence en ce lieu. Un sifflement aigu fit sursauter le Grand Maître et il lui sembla distinguer un trait lumineux s’élançant vers le ciel.
Agacé, Sinac pénétra dans la masure. Les gardiens de l’Ordre avaient attaché Marc par les poignets à une poutre et attendaient qu’il reprenne conscience.
— Préparez un gros feu, commanda le Grand Maître. Quelques tisons bien ardents ne seront peut-être pas inutiles pour délier la langue de ce scélérat !
Tandis que deux gardiens s’empressaient d’obéir aux ordres, Sinac ajouta :
— Qu’on lui jette de l’eau froide à la figure ! Nous n’avons que trop perdu de temps !
Un peu plus tard, un gardien s’approcha de Sinac.
— Vénéré Grand Maître, daignez venir vous rendre compte d’une diablerie ! Regardez, nous l’avons aspergé de deux seaux d’eau mais le liquide ne semble pas l’atteindre et glisse à distance. Voyez, sa chemise n’est même pas mouillée !
— Très curieux, marmonna Sinac. Voyons si le feu sera plus efficace que l’eau !
Saisissant un brandon, il l’appliqua sur la poitrine du prisonnier.
Heureusement pour Marc, son écran protecteur était resté branché à bonne intensité et les flammes n’atteignirent pas sa tunique. Toutefois, Marc reprit conscience à ce moment. Ses yeux clignotèrent et son regard se fixa sur le bois rougi. Une peur instinctive envahit son esprit et il émit une puissante onde psychique que Ray reçut aussitôt.
— Marc, que se passe-t-il ?
L’angoisse de l’androïde était telle qu’elle rendit à Marc une bonne partie de sa lucidité.
— Ma situation n’est guère brillante. Je suis attaché et prisonnier du Grand Maître dans une cabane minable. Toutefois, j’étais inconscient quand on m’a transporté et j’ignore où je me trouve.
— Tu ne dois pas être bien loin car je perçois tes ondes psychiques avec netteté. Parle à haute voix et je localiserai sans peine les ondes radio de ton émetteur laryngé.
Marc releva la tête et s’adressa au Grand Maître, un sourire ironique aux lèvres.
— Cessez d’agiter ce tison. Il est sans effet sur moi et vous allez finir par vous blesser.
Rendu furieux, Sinac frappa Marc avec le brandon, ce qui eut pour seul effet de faire jaillir en arrière des étincelles qui brûlèrent le Grand Maître au visage et aux mains. Hurlant de douleur, il laissa tomber le tison !
— Maintenant, parlons sérieusement, reprit Marc. Auparavant, vous devriez éloigner vos gardiens qui n’ont pas besoin d’être informés de tous vos petits secrets !
Devant l’hésitation du Grand Maître, il ajouta :
— Que craignez-vous ? Vous pouvez constater que je suis solidement attaché !
Après un long moment d’hésitation, Sinac ordonna d’un geste aux gardiens de sortir.
— Qui êtes-vous ? murmura le Grand Maître.
— Un étranger d’un monde très lointain, au-delà des étoiles.
A ce moment, Ray se manifesta psychiquement.
— Je t’ai localisé. Ne te fais aucun souci ! L’astronef a décollé comme prévu et j’ai récupéré les otages en bonne forme.
Un peu dépassé, Marc n’écouta que d’une oreille distraite le Grand Maître.
— Où sont les seigneurs avec qui je négociais ?
Marc réfléchit un instant et sans se soucier de sa position inconfortable, il répondit :
— Pour vous être maintenu aussi longtemps au pouvoir, il faut nécessairement que vous soyez intelligent. Aussi abandonnez vos idées absurdes d’humeurs qui se mélangent et écoutez-moi bien.
Sinac réprima un sursaut mais son regard perçant se fixa sur le Terrien qui reprit :
— L’univers est très vaste et chaque étoile que vous voyez dans le ciel est un soleil comme le vôtre autour duquel gravitent nombre de planètes. Certaines sont habitées par des êtres qui ont acquis un développement technologique considérable. Ils ont ainsi inventé des navires capables de voguer dans le ciel. Malheureusement, il existe aussi dans ces civilisations des individus sans scrupules, prêts à tout pour de l’argent. Ce sont ceux-là que vous avez rencontrés. Ils achetaient le lotaphe pour répandre cette drogue parmi leurs compatriotes.
— Quelle est votre situation ? murmura le Grand Maître.
— Je serais plutôt du côté des forces de l’Ordre. Carter et ses complices ont quitté à jamais Sark et il s’écoulera des siècles avant qu’un autre étranger puisse revenir.
Sinac sursauta violemment.
— C’est impossible ! Qui me fournira les médications dont j’ai un urgent besoin ?
Marc secoua la tête.
— Personne ! Il vous faut vous résigner. Dans quelques mois, les effets des drogues disparaîtront et vous retrouverez votre âge réel. Vous devriez dès maintenant songer à assurer votre succession.
Sinac marcha de long en large, la tête basse. Soudain un sourire rusé étira ses lèvres.
— Etranger, par je ne sais quelle technique, vous semblez à l’abri des traumatismes et des blessures. Toutefois, vous êtes toujours en mon pouvoir ! Tout être vivant a besoin de nourriture et surtout d’eau pour survivre. Je vous laisserai donc suspendu à cette poutre jusqu’à ce que vous me procuriez les drogues dont j’ai besoin !
L’absence de réaction de Marc rendit Se Grand Maître furieux.
— Si je dois mourir de vieillesse prochainement, hurla-t-il, vous périrez avant moi de faim et de soif et j’aurai l’ultime plaisir d’assister à votre agonie.
Constatant que sa menace n’effrayait pas le prisonnier, Sinac tenta une nouvelle manœuvre.
— Vous ne pouvez ignorer que mon peuple a subi pendant cinquante ans une effroyable guerre civile. Mon prédécesseur et moi-même avons réussi à rétablir un peu d’ordre et à ramener une certaine forme de bonheur. Ma disparition condamnerait tous ces êtres à un retour à la barbarie !
Marc secoua la tête.
— Le destin de votre peuple sera celui qu’il choisira ! Un vieux dicton de mon pays affirme que les cimetières sont pleins de gens indispensables ! Tout être humain est mortel. S’il a de grosses responsabilités, c’est à lui de préparer l’avenir avec de plus jeunes !
— Pour cela, j’ai besoin d’un peu de temps, gémit Sinac. Procurez-moi au moins une dose de médicament qui me permettrait de survivre jusqu’à l’année prochaine ! Cela me donnera le temps de rétablir la paix ! Vous devez savoir que des groupes d’ « antisociaux » vont attaquer et semer une fois de plus la désolation et la mort !
Marc éclata de rire.
— Sur ce point, je puis vous rassurer. Pendant de nombreuses années, vous n’entendrez plus parler d’eux car ils ont décidé de partir très loin !
Depuis plusieurs minutes, Ray se tenait immobile sur le seuil de la masure.
— Je pense que nous ne nous reverrons plus, conclut Marc. Profitez des quelques mois qui vous restent à vivre. Ray, sors-moi de là.
Le Grand Maître se retourna vivement. En apercevant Ray, il cria :
— Gardiens ! Tuez cet homme !
— Inutile de vous époumoner ! rétorqua l’androïde, vos séides dorment paisiblement !
Sinac se plaça entre le prisonnier et Ray, les bras écartés et hurla :
— Reculez ! Nul ne peut porter la main sur un Grand Maître sans encourir un châtiment suprême !
L’androïde poursuivit son chemin, saisit Sinac par la taille et le souleva de terre. Le tenant à bout de bras, il le déposa dans un angle de la pièce.
Tremblant de rage et de frayeur, le Grand Maître eut cependant la présence d’esprit de ne plus protester. Vivement, Ray sectionna les liens de Marc et lui glissa aussitôt deux tablettes dans la bouche en expliquant :
— J’ai utilisé une capsule soporifique pour les gardiens et tu as besoin de reconstituer tes forces. Maintenant dépêchons-nous. J’ai laissé nos amies seules et je crains qu’elles ne finissent par s’impatienter.
Dans la plate-forme antigrav que Ray conduisait vers le village, Marc allongea ses jambes en soupirant. Puis il se frotta doucement le menton qui s’ornait d’une splendide ecchymose. Il aurait bien voulu avoir une explication avec Ray, mais les témoignages de reconnaissance exubérants de Mirna ne lui en laissèrent pas le loisir.
L’arrivée de l’engin dans le village sema un début de panique rapidement enrayée lorsque la dizaine d’indigènes restés en arrière-garde reconnut Marc.
— Dieu soit loué, soupira Wixon, vous avez réussi à échapper à ces diaboliques étrangers.
— Rassurez-vous, ils ont regagné un monde qu’ils n’auraient jamais dû quitter. Nous aussi devons repartir bientôt.
Wixon hocha gravement la tête et regarda le soleil qui disparaissait à l’horizon.
— Je le comprends aisément. Partagez au moins avec nous ce dernier repas.
Marc hésita, mais devant le regard suppliant de Mirna, il capitula. Tout en dégustant une épaisse tranche de gigot d’antilope, le Terrien donna des explications crédibles à Wixon pour éviter que les trois jeunes femmes enjolivent par trop leurs exploits.
Enfin Wixon se leva :
— Adieu, ami, demain nous partirons pour l’océan où le navire ne devrait plus tarder à revenir nous prendre.
— Les Grands Maîtres ont en ce moment de gros soucis, sourit Marc, mais soyez cependant sur vos gardes au cas où un des militaires voudrait faire preuve de zèle !
Devant sa hutte, Marc retrouva Mirna qui l’attendait avec une impatience non dissimulée, tandis que Lica et Zila se cramponnaient à Ray qui pour une fois semblait très hésitant sur la conduite à tenir. Manifestement les deux jeunes femmes désiraient lui donner une preuve concrète de leur reconnaissance.
— Tu ne peux refuser un tel don, émit Marc, cela semblerait suspect.
— Tu as raison ! Pour le mode d’emploi, il me suffit de repasser les enregistrements de tes ébats !
— N’oublie pas de débrancher tes enregistreurs !
— Ne t’inquiète pas, les circuits ont grillé à l’instant où tu approchais la main pour inactiver mon générateur.
Marc aurait bien désiré des explications supplémentaires, mais Mima intervint énergiquement et il se laissa emporter par un délicieux tourbillon rose.
CHAPITRE XXV
Dans le module de liaison qui l’emportait loin de Sark vers le vaisseau, Marc réfléchissait en se massant le menton encore douloureux.
Ray lui avait décrit en détail son action depuis son inimaginable coup de poing. En apprenant la froide exécution de tous les membres du vaisseau pirate, Marc avait tiqué mais l’androïde avait rétorqué avec logique :
— De toute façon, leur existence était terminée. Ou le croiseur aurait détruit l’astronef en vol ou, si les pirates s’étaient rendus, ils auraient été condamnés à mort.
Le module aborda l’aviso, ce qui interrompit les réflexions du Terrien. Sa première occupation fut de s’enfermer dans le bloc sanitaire pour éliminer tous les germes pathogènes qu’il aurait pu ramener de Sark et plus prosaïquement pour se délasser dans un bain indispensable après un séjour aussi mouvementé. C’est quand il en avait été privé qu’il appréciait ce genre de petits conforts de la civilisation. Moins d’une heure plus tard, ayant enfilé une tenue propre de cosmonaute, Marc gagna le poste de pilotage où Ray effectuait les vérifications de routine.
— Avant de faire notre rapport au général Khov, j’aimerais comprendre, marmonna Marc. Est-il possible que dans certaines circonstances tu puisses éprouver des sentiments humains ?
— Je l’ignore ! Je t’ai raconté exactement ce que j’avais ressenti. Toutefois, il peut exister une explication plus scientifique. Compte tenu de tous les éléments que nous possédions, ta décision de te sacrifier était certes généreuse et magnanime mais totalement illogique. Ce qui aurait eu pour effet de provoquer des interférences dans mes circuits.
Marc éclata de rire.
— Pour le général, je préfère cette explication. De même, nous ne mentionnerons pas tes initiatives. Nous dirons seulement que Carter a filé sans demander son reste ! il faut toutefois que tu répares rapidement tes enregistreurs.
— C’est déjà fait, mais rassure-toi, ils ne sont pas encore rebranchés.
A ce moment, une lampe clignota furieusement. Ray alluma aussitôt la vidéo-radio et le visage sévère d’un officier parut sur l’écran.
— Je suis le colonel Parker, commandant le croiseur Polaris. Comme vous venez de la planète Sark, je vais me rendre à votre bord pour m’assurer que vous ne transportez pas de « S.I.T. ».
Marc réprima un sursaut et lança :
— D’ordinaire, ma parole suffit.
— Désolé, capitaine Stones, mais c’est un ordre ! Veuillez ouvrir le sas N° 1 pour que ma vedette puisse aborder.
Moins d’un quart d’heure plus tard, le colonel pénétra dans le poste de pilotage. Il avait un visage étroit et des yeux brillants.
— Mes hommes procèdent à une fouille complète. Cela sera un peu long, mais je vous demanderai de ne pas bouger de cette pièce.
Marc acquiesça et demanda ce qu’il était advenu de l’astronef pirate.
— Le capitaine a refusé de répondre à toutes les sommations et il a préféré lancer son vaisseau sur la cinquième planète où il a explosé.
Ray émit à l’intention de Marc :
— C’est effectivement ce que j’avais programmé sur l’ordinateur de vol. Ainsi il est impossible de savoir si les pirates étaient vivants ou morts avant l’accident !
— Puis-je adresser mon rapport au général Khov ?
— Si vous le désirez, mais je dois rester ici !
Tandis que Ray s’affairait pour obtenir la liaison, Marc demanda :
— Comment avez-vous été amené à intervenir dans ce système solaire ?
Le colonel rétorqua sèchement :
— Je ne puis répondre à ce genre de questions ! La Sécurité Spatiale est une vaste organisation à laquelle aucun criminel ne peut échapper. L’anéantissement du trafic du « S.I.T. » en est la meilleure preuve. Je noterai que votre présence dans ce même système est hautement suspecte et je serai contraint de demander une enquête administrative !
Pendant cet échange acerbe, Ray avait commencé à enregistrer son rapport à vitesse accélérée. Lorsqu’il eut terminé, le général Khov apparut sur l’écran.
— Vous avez été parfait, Stones ! Le Grand Amiral vient de m’informer de la destruction de l’astronef pirate. Il me charge de vous transmettre ses félicitations et la promesse d’une haute décoration pour l’aide que vous avez apportée à ses services. Sans vous, ils seraient toujours à essayer d’arrêter de petits revendeurs.
Marc éclata de rire et dit :
— Dans ce cas, mon général, puis-je vous demander un service ?
— Que voulez-vous ?
— Simplement que vous expliquiez au colonel Parker qui commande le croiseur, qu’il est peut-être inutile de fouiller mon aviso et de retarder mon retour !
En quelques phrases cinglantes, Khov expliqua au colonel sa bévue et le rôle primordial joué par Marc. Lorsqu’il eut terminé, Parker, livide, salua sèchement Stones.
— Je vous présente mes excuses, capitaine. J’obéissais aux ordres qui m’avaient été donnés et j’ignorais votre mission. Mes hommes et moi allons nous retirer immédiatement. Toutefois, je vous demanderai de quitter rapidement ce système solaire car nous devons installer des satellites « tueurs » pour dissuader tout astronef de se poser sur Sark !
Marc tendit spontanément la main à Parker en disant :
— Nous ne sommes que des exécutants ! Je regagne la Terre immédiatement.
Tandis que Ray accompagnait le colonel, le général Khov reprit à l’intention de Marc :
— Vous avez mérité une bonne permission de détente ! Pour votre prochaine mission, je vous réserve une surprise.
Devant la mine interrogative de Marc, il ajouta :
— Notre service a mis au point des androïdes encore plus perfectionnés et vous serez le premier à pouvoir en utiliser un.
Une onde de panique submergea l’esprit de Marc.
— C’est… c’est inutile, bafouilla-t-il. Ray me suffit amplement et il a déjà réparé ses circuits enregistreurs ! Donnez les nouveaux androïdes à des agents plus importants que moi !
Le général Khov hocha la tête et un mince sourire déforma ses lèvres.
— Je vois, murmura-t-il. A plusieurs reprises, déjà, il m’a été signalé des cas de symbiose parfaite entre le robot et son maître. J’en ai discuté avec les ingénieurs cybernéticiens, mais ces scientifiques refusent d’admettre un phénomène qu’ils déclarent impossible. Pour eux, les androïdes ne sont que des machines dénuées de sensibilité et d’initiative. A l’avenir, toutefois, je surveillerai de très près tout phénomène anormal.
Percevant l’inquiétude de Marc, Khov reprit :
— En attendant de plus amples renseignements, vous pourrez conserver votre androïde. Toutefois, conseillez-lui de ne plus censurer ses enregistrements ou, pour le moins, de le faire avec plus de discrétion. Même mes techniciens en arrivent à se demander pourquoi les images s’interrompent chaque fois qu’une jolie indigène s’approche un peu trop près de vous !
L’écran s’éteignit avant que Marc puisse esquisser une vaine protestation.
Ray reparut à ce moment et s’installa dans le fauteuil du pilote.
— Le colonel est reparti. Le pauvre était si raide qu’on aurait juré qu’il avait avalé un sabre. Maintenant il est temps de filer pour les laisser installer Ses satellites tueurs.
— Donne les coordonnées de la Terre à l’ordinateur !
L’androïde pianota vivement sur une série de touches puis l’aviso accéléra rapidement. En voyant s’éloigner à jamais Sark, Marc était songeur. Wixon bâtirait-il sa ville nouvelle et dans l’affirmative quelle serait sa destinée ?
Surtout qui succédera au Grand Maître ? Ce système de gouvernement nécessaire à une époque avait été dénaturé par des individus qui avaient cru pouvoir acquérir l’immortalité ! Maintenant que le cours naturel de l’existence avait été rétabli, les Ordres évolueraient-ils ou au contraire resteraient-ils immuables au risque, un jour, de déclencher une révolution ?
Marc savait qu’il n’aurait jamais la réponse à ces questions. Comme à chaque retour de mission, il éprouvait un curieux sentiment de tristesse en songeant à tous ces gens qui avaient été ses amis et dont il avait temporairement bouleversé l’existence.
FIN