RECYCLAGE (SSPP 28)

JEAN-PIERRE GAREN

CHAPITRE PREMIER

-Le général Khov vous attend, capitaine Stone, annonça Peggy.

C'était l'austère secrétaire quinquagénaire du directeur du Service de Surveillance des Planètes Primitives. Authentique vieille fille, sèche, anguleuse, les incisives proéminentes, elle juchait sur son nez pointu une antique paire de lunettes qui faisait paraître ses yeux ridiculeusement petits. Elle ajouta à mi-voix :

-Depuis deux jours, son humeur est exécrable.

-Rassurez-vous, il n'a jamais dévoré personne !

Peggy esquissa un sourire. De tous les agents du Service, Marc Stone était son préféré, surtout depuis le jour où il avait sauvé Khov perdu sur une lointaine planète.

Marc avait trente-six ans, la silhouette sportive, les muscles solides et allongés. Sa chevelure brune s'harmonisait avec son visage énergique, bruni par des dizaines de soleils, et ses yeux gris métalliques.

En pénétrant dans le bureau de son supérieur, Stone devina que le général avait un sérieux problème. Il fumait très peu et seulement lorsqu'il était soucieux. Or, l'air de la pièce était saturé de fumée !

Khov était un colosse de près de deux mètres, pesant plus d'un quintal. De ses lointains ancêtres mongols, il avait hérité de pommettes saillantes et des yeux bridés. Son crâne, totalement dégarni, brillait aux derniers rayons du soleil pénétrant dans la pièce par une immense baie vitrée. Le bureau était situé au dernier étage du building qui abritait le S.S.P.P.

-Prenez des gobelets au distributeur et asseyez-vous, grogna Khov.

Fouillant dans un tiroir de son bureau, il en extirpa sa bouteille personnelle de whisky. Il versa de généreuses rasades et vida son godet d'un coup sec. Son poing énorme s'écrasa sur son bureau, faisant voleter un nuage de cendres qu'il épousseta d'un geste négligent de la main.

-Stone, nous avons un problème, enfin... vous avez un problème.

-De quel ordre?

Khov se servit un nouveau verre.

-Bon Dieu ! Depuis deux jours je ne décolère pas. Le Service a toujours été l'objet de critiques. Nous coûtons cher, ne rapportons rien si ce n'est des montagnes de rapports pour les savants et nous empêchons les sociétés industrielles d'exploiter nombre de planètes. Jusqu'à présent nous étions protégés par l'opinion publique, le Président et surtout l'université. Or c'est maintenant d'elle que provient l'attaque. Les gros cerveaux jugent nos méthodes surannées. Prenant prétexte des accidents survenus aux agents en mission ces dernières années, ils ont entrepris une réforme complète des méthodes de formation. Pire, ils veulent que tous les agents opérationnels subissent un stage de recyclage. Si ce projet était adopté, notre programme d'exploration pour l'année serait remis en cause et le Service paralysé. Après des heures de discussions serrées, j'ai obtenu un sursis, sous réserve qu'un premier agent effectue une série de tests. S'ils se révèlent satisfaisants, nous pourrons poursuivre notre travail et les recyclages s'étaleront sur plusieurs mois.

Khov fixa son interlocuteur d'un regard sombre.

-Je vous ai choisi pour cette expérience.

-Oh ! non, gémit Marc, vous savez que je n'ai rien d'un diplomate.

-Je pense que vous avez d'autres qualités ! Souvenez-vous que l'avenir du Service dépend de votre attitude.

Il alluma nerveusement un cigare puis murmura à mi-voix :

-Je suis désolé, Marc. D'après ce qu'on m'a laissé entendre, le cobaye a neuf chances sur dix d'être suspendu du Service pour une durée indéterminée. Je sais que vous possédez une jolie fortune personnelle qui vous permettra d'attendre une réintégration lorsque le zèle de ces néophytes se sera émoussé. Ce n'est pas le cas de mes autres agents. Eux se laisseront séduire par les propositions de la Sécurité Galactique ou des sociétés minières toujours à l'affût de gens familiarisés avec les planètes primitives. Or j'ai besoin de tous ceux qui sont ici.

-Je vous comprends, mon général, mais...

Khov tendit la main d'un geste las.

-Vous savez l'estime que je vous porte. La générale m'accablera de reproches pendant des semaines mais je me dois d'agir dans l'intérêt du Service.

Avec un rire forcé, il ajouta :

-Nous sommes trop pessimistes. Vous êtes assez futé pour passer ces malheureux examens !

-Entendu, mon général, je serai un élève modèle et un diplomate parfait.

-Je n'en attends pas moins de vous. Venez, je vais vous présenter à vos tourmenteurs-jurés qui épluchent votre dossier depuis ce matin.

Marc leva son gobelet.

-Ave César ! Le gladiateur est prêt à pénétrer dans l'arène.

Khov guida Marc vers un bureau situé deux étages plus bas. Une jeune femme, blonde, les cheveux coupés court, vingt-huit ans environ, était assise derrière une table de travail, étudiant un épais dossier. Un peu en retrait derrière elle, se tenait un solide gaillard, la trentaine, le torse large distandant sa chemise.

-Une parfaite illustration d'un Apollon de plage, soupira Marc.

Il n'eut pas le temps de poursuivre son inspection car Khov annonçait :

-Docteur Kelley, le capitaine Stone est à vos ordres.

La jeune femme dévisagea Marc de ses yeux bleus et froids. L'inspection dura plusieurs secondes dans un silence glacé.

-Voici Mike Buckler, responsable de l'entraînement physique, dit-elle enfin en désignant l'athlète.

Ce dernier salua d'un petit signe de tête tandis que le docteur Kelley reprenait, la main qu'elle avait longue et fine posée sur le dossier étalé sur la table :

-Je ne sais, général, si pour cette première expérience votre choix a été très heureux. Le capitaine Stone est entré au S.S.P.P. il y a près de dix ans, à une époque où les critères de sélection étaient, disons-le, très approximatifs. Il n'a donc pas bénéficié des enseignements récents.

Le visage de Khov s'empourpra :

-Jusqu'à présent son travail m'a donné entière satisfaction.

-A vous peut-être, mais je vois qu'il a été suspendu trois mois par la Commission de non-immixtion. Sans doute n'êtes-vous pas assez exigeant envers votre personnel.

La peau du crâne du général vira au rouge sombre.

-Le président peut me révoquer à tout moment s'il juge que c'est nécessaire à la marche du Service.

La jeune femme leva la main en signe d'apaisement.

-Calmez-vous, général, la question ne se pose pas... Pas encore. Comme je pense que vous êtres fort occupé, je ne vous retiendrai pas plus longtemps.

Khov ouvrit la bouche pour répliquer, mais se tut et sortit en claquant la porte qui vibra longtemps sous la violence du choc.

-Réaction déplorable qui confirme que le général a besoin de repos, ricana Buckler.

Mlle Kelley le fit taire d'un signe.

-Capitaine Stone, j'ignore si l'on vous a expliqué la situation. Il y a trois ans, à l'université, j'ai créé le département d'Étude des Planètes Primitives, connu maintenant sous le sigle D.E.P.P. Avec Mike et de nombreux collaborateurs, nous avons réalisé un travail considérable. Tous les renseignements sur les civilisations anciennes présentes et passées ont été introduits dans un ordinateur. A partir de ces données, nous avons mis au point un programme d'enseignement et une série de tests qui permettront de juger du niveau d'instruction des agents. Les plus hautes autorités scientifiques et militaires ont approuvé nos résultats. Ainsi, à partir de maintenant, notre département est seul habilité à donner les autorisations pour les missions.

Elle s'interrompit un instant, fixant Marc du regard.

-Four la bonne marche de nos futures relations, je vous résume le problème. Ou vous satisfaisez aux épreuves et vous conservez votre poste, ou vous échouez et vous quitterez le S.S.P.P. Est-ce clair?

-Il est difficile d'être plus lumineux! Quand débuteront les tests?

-Rendez-vous demain matin à l'astroport. A huit heures, nous embarquons sur notre astronef.

-Les épreuves ne se déroulent pas sur Terre?

-Non ! Nous voulons un dépaysement total. Le gouvernement a mis à notre disposition la planète Marva, monde terramorphe mais dépourvu de créatures humanoïdes. Il n'a pas encore été décrété terre de colonisation en raison des faibles ressources naturelles. Le mois dernier, nous avons fait installer un camp où sont recréées les conditions exactes d'une mission.

-Type de la civilisation? s'enquit Marc.

-Transition âge de pierre, âge du bronze.

-Je vous fais remarquer que ma spécialité est l'époque médiévale.

-Je le sais, mais c'est encore une erreur. De nos jours, les agents doivent être polyvalents. Si, comme je le pense, cette première installation confirme sa valeur, nous en édifierons une seconde de type moyenâgeux. Vous pourrez l'essayer si... vous appartenez encore au S.S.P.P.

-Serons-nous accompagnés d'un androïde comme pour une mission normale ?

-En aucune façon. Vous autres, vieux agents, avez trop pris l'habitude de vous reposer sur ces engins. Un nouveau conditionnement est à l'étude mais il ne sera opérationnel que dans un mois. A demain. Soyez à l'heure. Vous retrouverez deux aspirants de l'école des astronautes qui ont postulé pour le Service. Je suis persuadée que ces jeunes gens vous apprendront beaucoup de choses.

Marc attendit d'être dans le couloir pour laisser fuser un juron. La semaine à venir n'allait pas être une partie de plaisir ! Dans le hall, Stone ferma un instant les yeux. Aussitôt il entra en contact télépathique avec Ray, son androïde, son ami :

-Viens me chercher avec le tram.

C'était un véhicule se déplaçant par antigravité, surtout utilisé en circulation urbaine.

-Je serai devant le S.S.P.P. dans dix minutes.

Marc attendit sur le trottoir, contemplant l'immense avenue rectiligne qui se prolongeait jusqu'à l'horizon. Au fil des siècles, la métropole new-yorkaise s'était étendue démesurément jusqu'à englober Washington.

Un trans luxueux s'immobilisa devant Stone. Il était piloté par un solide gaillard à la chevelure brune. Seul un observateur très attentif aurait pu noter une certaine rigidité des traits, tant la ressemblance de l'androïde avec un humain était parfaite.

-A l'appartement! Vite!

Tout en virevoltant dans la circulation dense à cette heure, Ray demanda :

-Quelle est notre prochaine destination?

L'androïde afficha une grimace très humaine en entendant la réponse.

-Je n'aime pas te savoir seul en voyage, soupira le robot. Je suis toujours inquiet.

Marc ne s'étonna pas de cette amicale sollicitude. Les ingénieurs affirmaient que les androïdes sont de simples mécaniques réagissant en fonction de leurs programmes. Stone savait que c'était faux! Au fil des années, d'étranges liens s'étaient tissés entre Ray et lui, défiant toute logique. Lorsqu'il sentait son ami humain en danger, l'androïde reprenait une totale et dangereuse autonomie. Etait-ce dû au fait que Ray était un des rares modèles dotés d'un récepteur psychique? La série avait été vite abandonnée car très rares étaient les humains capables de les utiliser.

Les possibilités télépathiques de Marc avaient été centuplées par une curieuse entité végétale vivant sur une lointaine planète. A l'occasion d'une mission, cette étrange créature s'était prise d'amitié pour le Terrien et lui avait rendu ce service.

Marc habitait au dernier étage d'un luxueux building. Stone ne faisait jamais étalage de sa fortune dans le Service, mais en dehors, il ne dédaignait pas d'en user, comme en témoignait cet appartement.

Ray, qui connaissait bien son ami, lui servit un verre de vieux scotch !

-Bois, cela te détendra les nerfs!

-Merci, soupira Marc en se laissant tomber dans un fauteuil qui épousa électroniquement ses formes. Maintenant, vois ce que l'ordinateur possède comme renseignements sur Marva.

Tandis que l'androïde s'activait, Marc sirota son verre, les yeux mi-clos, réfléchissant à la situation.

-Ray, murmura-t-il, je crois avoir une idée...

CHAPITRE II

Le Cygne II était un astronef de fière allure mais plus petit qu'un aviso du S.S.P.P. Sitôt à bord, Marc gagna la cabine-salon qui jouxtait le poste de pilotage. Cinq personnes étaient déjà réunies. Sandra Kelley vêtue d'une élégante combinaison d'astronaute apostropha Marc :

-Vous êtes en retard !

Marc claqua des talons et salua d'une manière rigide.

-J'étais convoqué à huit heures et je vous ferais respectueusement remarquer qu'il est huit heures moins deux minutes sur le fuseau horaire de New York.

La jeune femme eut un geste d'agacement. Désignant un solide rouquin d'une quarantaine d'années, elle ajouta :

-Jeff Reist sera notre pilote, vous l'assisterez à tour de rôle.

L'homme tendit la main. Une poigne franche et énergique.

-Heureux de vous avoir à bord, capitaine Stone. Je vous connais de réputation. En cas de coup dur, je ne suis pas mécontent de savoir que vous m'épaulerez!

La remarque déplut au docteur Kelley qui rétorqua sèchement :

-Vous m'en référerez auparavant. N'oubliez pas que je commande cette expédition ! Gagnez votre poste et décollez immédiatement.

Le rouquin haussa les épaules et cligna de l'oeil en direction de Marc.

-A vos ordres! Le décollage est programmé pour neuf heures et, à moins que vous ayez l'autorité nécessaire pour bouleverser le planning de l'astroport, nous attendrons neuf heures.

Sur cette dernière pique, Jeff s'esquiva. C'est alors que Marc aperçut les deux aspirants.

-Voici vos compagnons d'épreuves, dit Kelley.

Dany Bennet était grand, blond, mince. L'autre, plus trapu, châtain foncé, contemplait Marc avec surprise.

-Oliver Standman, annonça la jeune femme.

-Marc!

Le jeune aspirant s'élança vers Stone aussi étonné que lui.

-Vous vous connaissez? demanda la jeune femme. Dans vos dossiers rien n'est mentionné.

Avant qu'Oliver n'ouvrît la bouche, Marc murmura :

-Du calme, fiston. Il est inutile d'étaler nos petits secrets de famille.

Oliver se recula, les yeux brillants d'ironie et salua très réglementairement :

-Mes respects, capitaine!

Irritée, la jeune femme jeta sèchement :

-Vous êtes trois candidats sur un total plan d'égalité! Je vous informe que les tests débutent maintenant!

Avec un ensemble parfait, les trois hommes claquèrent les talons en disant :

-A vos ordres, docteur!

Kelley n'eut pas le temps de protester. La voix du commandant Reist retentit dans le haut-parleur :

-Décollage dans quatre minutes. Veuillez vous allonger et boucler vos sangles magnétiques.

Chacun s'installa sur les fauteuils relax. Avec amusement, Marc regardait la jeune femme s'empêtrer dans ses sangles. Buckler ne semblait pas être beaucoup plus adroit.

-Attention, départ imminent. Cinq... Quatre... Trois... Deux... Un...

Le sifflement des propulseurs se fit très aigu. L'astronef s'arracha du sol et fila vers le ciel. Grâce aux anti-g fonctionnant à pleine puissance, la sensation d'écrasement ne fut pas trop pénible..., tout au moins pour ceux qui avaient un bon entraînement.

Comme s'il n'éprouvait aucune gêne, Marc bavardait à mi-voix avec Oliver installé à côté de lui.

-Comment es-tu arrivé ici?

-Je me débrouille bien à l'école et les deux premiers de la promotion ont été sélectionnés pour cette série de tests. A quoi riment-ils, Marc?

-Je l'ignore! C'est une invention de gros cerveaux qui veulent nous apprendre un métier qu'ils ne connaissent pas. Méfie-toi, ta carrière dépend de cette fille. Alors, fais-moi le plaisir d'être diplomate.

Buckler, affichant un sourire assuré, déboucla sa ceinture et se redressa dans l'intention d'aller se servir un verre au distributeur automatique. Il avait négligé le fait que l'accélération constante maintenait une gravité trois fois supérieure à la normale. Les premiers pas furent titubants mais il parvint au distributeur. Il saisit un gobelet plein dont le poids lui parut énorme. En un geste instinctif, il serra avec force le godet qui glissait de sa main. Le plastique ne résista pas à la pression et éclata, constellant Mike d'orangeade synthétique. Furieux, il regagna son siège, évitant de voir le regard des deux aspirants.

-Plongée imminente dans le subespace...

Un voile noir couvrit la vue des Terriens.

Cinq seconde plus tard, Marc se redressa, contemplant ses congénères inanimés. Il se servit un verre de tonique au distributeur puis en porta un dans la cabine de pilotage. Un rapide coup d'oeil sur les écrans lui apprit que tout était en ordre. Jeff Reist émergeait de l'inconscience.

Il prit le verre que lui tendait Marc.

-Merci, capitaine Stone.

-Appelle-moi Marc. Tu as entendu notre patronne affirmer que je n'étais qu'un stagiaire !

-Quelle foutaise cette histoire !

-Nous ne sommes pas là pour discuter les décisions des grosses têtes.

-Si je peux vous être utile, comptez sur moi.

-Merci ! Je retourne auprès de nos intellectuels !

Oliver et son ami Dany reprenaient conscience. Marc les aida à s'asseoir.

-Je suis enchanté de vous voir, capitaine Stone, dit Bennet. Oliver m'a beaucoup parlé de vous.

-Maintenant nous sommes tous égaux. Il faut nous serrer les coudes.

Un gémissement traduisit la reprise de conscience du docteur Kelley. Dany voulut s'approcher d'elle, mais Marc le saisit par le bras.

-Pas de zèle intempestif! Ils sont ici pour juger de nos réactions et non l'inverse!

Buckler se releva avec peine, le teint gris, tandis que Mlle Kelley ouvrait difficilement les yeux. Stupéfaite, elle regardait les trois silhouettes qui bavardaient avec insouciance.

CHAPITRE III

Au troisième jour du voyage, le docteur Kelley pénétra dans le poste de pilotage. Reist était seul aux commandes. Elle s'installa sur le siège du copilote, un épais dossier à la main.

-Vos impressions sur vos auxiliaires?

-Les deux jeunes se débrouillent bien mais ils manquent encore de pratique.

-Et Stone? Totalement dépassé, n'est-ce pas? Je vois qu'il est sorti de l'école d'astronautique depuis plus de quinze ans.

Le chef pilote sursauta et se tourna vers son interlocutrice.

-C'est une blague, votre question, mademoiselle?

Sandra rétorqua d'un ton acide :

-Je ne plaisante jamais pendant le service ! Répondez !

Le rouquin laissa fuser un énorme soupir.

-Vous semblez ignorer que le capitaine Stone est un des meilleurs astronautes terriens. De plus, il a détruit en combat aérien nombre d'astronefs pirates. Il possède un palmarès à faire baver de jalousie bien des militaires!

La jeune femme haussa les épaules.

-Cela n'entre pas dans notre série de tests. S'il est doué pour les combats, il pourra s'engager dans la Sécurité Galactique. La mission du S.S.P.P. n'est pas de former des guerriers mais des gens cultivés et discrets qui recueillent des renseignements de valeur sur les primitifs. Nous n'avons que faire des va-t-en guerre.

Reist émit un ricanement sarcastique.

-Géniale, votre histoire. Pour ramener les documents, vos brillants intellectuels doivent parvenir à leur planète et... en revenir.

-La belle affaire! La circulation dans les espaces intersidéraux est libre, que je sache !

-Vous le savez peut-être mais pas les pirates. Ils se font un plaisir d'arraisonner les cargonefs qui s'écartent des itinéraires classiques surveillés par la Sécurité Galactique.

-Soyez raisonnable, la probabilité d'être intercepté est infime.

Le regard de Reist se fit rêveur.

-Lorsque le recteur de l'université a acheté le Cygne II et m'a engagé, je pensais à des voyages de liaison entre planètes habitées. Si j'avais imaginé ce type de mission, je ne sais si j'aurais accepté.

-Auriez-vous peur?

-Je suis seulement lucide ! J'ai été officier à la première escadre d'intervention galactique. Nous avons plusieurs fois affronté des pirates et ce n'a jamais été une partie de plaisir.

-Ridicule ! Pourquoi intéresserions-nous un écumeur de l'espace, alors que nous ne transportons aucune cargaison de valeur ?

Reist désigna du pouce l'ordinateur de bord.

-Interrogez-le! Vous verrez le nombre d'avisos du S.S.P.P. attaqués par des pirates. C'est pourquoi je ne suis pas mécontent de savoir Stone à bord.

-Je crois avoir compris, reprit Sandra après un long moment de réflexion. Vous êtes de la même génération que Stone. Il est donc normal que vous vous souteniez. Je ne tiendrai donc pas compte de vos remarques.

D'une voix sourde, Reist lança :

-Allez-vous étendre. Nous émergeons dans dix minutes et la transition est encore plus désagréable que la plongée. Je suppose que c'est votre premier voyage dans l'espace.

-Ne vous inquiétez pas. J'ai étudié pendant un an la physiologie lors des déplacements dans l'espace.

-Dans ce cas, je n'ai rien à vous apprendre.

Elle pénétra dans la cabine-salon. Les hommes étaient déjà allongés sur les sièges relax. Elle s'installa et bien vite un vertige la saisit.

Lorsqu'elle rouvrit les yeux, elle vit Buckler qui tentait avec peine de se redresser. Les trois élèves brillaient par leur absence.

-Mike, murmura-t-elle, j'ai l'impression d'avoir été rouée de coups.

-Et moi d'être passé dans un concasseur géant. Souviens-toi, dans les cours de physiologie, il est noté que les sujets peuvent ressentir quelques malaises, crampes, arthralgies qui s'estompent rapidement. Je t'apporte un verre de tonique.

A peine debout, Buckler sentit ses jambes se dérober sous lui. Il tomba lourdement et son visage heurta l'accoudoir d'un fauteuil. Du sang coula de son nez qu'il tamponna maladroitement.

-Mike, tu es blessé!

Elle essaya de se lever mais dut se rallonger en gémissant. Près d'un quart d'heure s'écoula avant que les deux universitaires récupèrent le minimum de force nécessaire pour se mouvoir.

Pendant ce temps, Marc, installé sur le siège du copilote, surveillait les données qui sortaient des capteurs. Derrière lui, Oliver et Dany observaient les écrans.

-Soleil de magnitude G référence UK 7324 dans l'annuaire galactique. Marva, planète terramorphe, quatrième d'un système qui en comporte six. Ces dernières sont inhospitalières, torrides ou glacées pour les deux périphériques.

Jeff cligna de l'oeil à l'intention de Marc et murmura :

-Dommage que nous ne plongions pas plus souvent dans le subespace, c'est le seul moment où ils nous fichent la paix.

L'arrivée de Sandra et Mike lui fit ajouter :

-Les vacances sont terminées!

Les deux Terriens arboraient une mine fatiguée, des yeux tirés et le visage de Mike était encore maculé de sang.

-Détecteurs centrés sur Marva, dit Jeff d'un ton calme comme s'il n'avait pas perçu les nouveaux arrivants.

Marc annonça les résultats donnés par l'ordinateur :

-Masse 0.9 de la terre. Rotation sur son axe 22 heures 12 minutes. Décrit l'ellipse en 287 jours. Atmosphère : azote, oxygène, vapeur d'eau, gaz carbonique. Traces de xénon, argon, néon, krypton.

Maintenant une sphère bleue verdâtre se dessinait sur l'écran.

-Les océans recouvrent 79 % de la surface du globe. Pas de continent principal mais une succession d'îles, certaines de vaste taille. Sommets montagneux ne dépassant pas cinq mille mètres. Climat tempéré. Chaud au niveau de l'équateur. Les pôles sont recouverts de glace.

D'une voix encore assourdie, Sandra lança :

-Pourquoi perdez-vous votre temps. Nous connaissons les caractéristiques de Marva.

Avec un soupçon d'agacement dans la voix, Jeff rétorqua :

-Je ne fais qu'appliquer les règlements du code d'astronautique. Les renseignements recueillis doivent coïncider avec ceux de la mémoire de l'ordinateur. Cela évite de regrettables confusions.

Buckler haussa les épaules.

-Ces règles anciennes sont ridicules, le cerveau pilote ne peut commettre d'erreur!

Le regard de Marc croisa celui de Jeff et les deux hommes éclatèrent de rire, laissant Mike stupéfait.

-Dans votre job, vous êtes sans doute un gros cerveau, dit Reist, mais en astronautique vous avez encore quelques petits détails à apprendre !

-Il suffit ! trancha Sandra qui avait retrouvé son assurance. Contentez-vous de mettre le Cygne II en orbite autour de Marva.

-A vos ordres, docteur!

Une heure plus tard, l'astronef tournait autour de la planète.

-Vous resterez sur cette trajectoire. Nous gagnerons la planète avec le module de liaison. Messieurs, veuillez vous préparer. Aucun bagage personnel. Toutefois, pour débuter les épreuves, vous conservez votre uniforme d'astronaute. Des tenues plus couleur locale vous seront fournies ultérieurement.

Les voyageurs descendirent dans la soute puis montèrent dans le module-cylindre, dont la moitié supérieure était en plastex transparent. Non sans appréhension, Marc vit Buckler s'installer aux commandes. Ce dernier programma l'ordinateur de vol en comparant les chiffres à ceux inscrits sur un carnet.

-Paré pour l'éjection, annonça Jcff.

La porte intérieure du sas se referma. Une minute s'écoula.

-Bon Dieu! Que fichez-vous? Allumez votre moteur, ouverture dans cinq secondes! hurla Reist.

D'un geste vif, Marc passa par-dessus l'épaule de Mike et enfonça deux touches sur le tableau de bord, à l'instant où le panneau de soute s'ouvrait. Le module fut aspiré par le vide extérieur au milieu d'un nuage irisé d'air cristallisé.

Un peu pâle, Buckler bredouilla :

-Je... je... Sur certains modèles... l'allumage des moteurs est automatique...

Le module plongea rapidement vers la planète et ne tarda pas à pénétrer dans les hautes couches de l'atmosphère.

-Nous nous poserons sur une grande île, un peu au nord de l'équateur. C'est là que la Société Galex a installé la base et le matériel.

Marc regarda les instruments de bord et murmura aux deux aspirants :

-Resserrez vos ceintures, nous allons être secoués !

Moins de deux secondes plus tard, le moteur du module ronfla, entraînant une décélération intense. Attaché peu serré, Mike fut projeté en avant et sa tête heurta le plastex, tandis que Sandra poussait un cri de surprise vite stoppé par la sangle qui lui écrasait le thorax.

Buckler tentait de se réinstaller sur son siège. Il n'aurait pu y parvenir si, charitable, Marc ne l'avait saisi par le col de sa combinaison et tiré en arrière.

Une île était visible, grossissant rapidement. Environ deux cents kilomètres de long sur cent de large, avec un volcan paraissant éteint à son extrémité nord. Toujours en décélération intense, le module franchit la côte, survola une forêt dense pour arriver à une zone dégagée où il s'immobilisa après un dernier freinage brutal.

Buckler s'essuya le front couvert d'une fine sueur.

-Incompréhensible! La programmation était correcte, cela n'aurait jamais dû se produire !

Percevant la douce hilarité des astronautes, Sandra lança d'une voix acerbe :

-Votre explication, aspirant Bennet ?

Le jeune homme répondit, comme s'il récitait une leçon :

-Les deux secondes de retard à l'allumage des moteurs ont modifié l'axe de descente du module, le rendant plus aigu, ce qui a entraîné fort logiquement un raccourcissement de trajectoire et une décélération plus intense.

-Fort bien!

Elle avança la main pour ouvrir la portière du module.

-Docteur Kelley, dit Marc, je vous informe que vous contrevenez à une règle de sécurité. Il est interdit de sortir du module avant la fin des analyses.

-Ridicule ! Nous savons que l'atmosphère est parfaitement respirable.

-C'est très probable mais je souhaite une certitude. Le hasard peut nous avoir fait atterrir dans une zone pestilentielle.

-Il a raison, Sandra, murmura Mike. C'est dans leur damné règlement. Au demeurant, les examens sont terminés. Tout est correct.

Le soleil levant éclairait la clairière. Malgré l'heure matinale, l'air était tiède et parfumé. Un baraquement préfabriqué s'élevait à une extrémité de la clairière vers lequel Sandra se dirigea, suivie de son équipe.

Elle pénétra dans une vaste pièce. Un panneau était encombré d'une multitude d'appareils scientifiques.

-Ceci servira de salle de réunion. Nous y prendrons les repas car dans la première phase vous ne serez pas obligés de chasser.

Elle ouvrit une porte donnant sur un couloir.

-De ce côté se trouve ma chambre et celle de Mike. Là-bas une réserve de matériel. Il y a une caisse que vous voudrez bien sortir.

Les astronautes obéirent. Lorsqu'elle fut dehors, le docteur Kelley ordonna de vider son contenu fait de haches et de poignards en silex taillé, une serpe très primitive paraissant en bronze et même des épées.

-Messieurs, les épreuves débutent à l'instant. Comme vous avez pu le constater, il n'y a pas de chambres pour vous. Si vous ne voulez pas dormir à la belle étoile, il vous faut construire un abri.

-Quel style? ironisa Marc.

-A votre choix ! Utilisez vos souvenirs des cours sur les civilisations très primitives..., si vous en avez!

Marc salua rapidement puis se tourna vers ses camarades :

-Venez, les enfants, nous allons jouer aux boy-scouts !

Sans se presser, il gagna l'orée de la forêt.

-Voyons d'abord ce qui peut servir, dit-il en s'enfonçant sous le couvert, un glaive à la main.

De grands sapins groupés en bouquets s'élançaient vers le ciel. La place leur était disputée par une espèce de marronniers aux feuilles épaisses. Le sous-bois contenait encore des fougères hautes et larges. Par endroits, des lianes fines s'enroulaient autour des sapins.

-Attention ! Restons groupés. Une petite exploration des environs ne serait pas inutile.

A cinq cents mètres de distance, ils trouvèrent un ruisseau qu'ils remontèrent jusqu'à parvenir à un lac. La forêt s'arrêtait à une cinquantaine de mètres de l'eau.

-Nous pourrons toujours nous baigner, sourit Oliver.

-Quand nous saurons qu'il n'abrite pas de charmantes bestioles genre crocodiles ou pieuvres.

A la limite de l'eau, sur la terre meuble, des traces se dessinaient.

-Apparemment ce sont celles d'antilopes. Deux sabots et pas de griffes.

Le soleil était haut sur l'horizon quand les astronautes revinrent à l'orée de la forêt.

-Quel abri construirons-nous, capitaine ? s'enquit Bonnet.

-Tu as entendu notre cerbère, Dany. Nous sommes tous égaux. Appelle-moi Marc. Voilà ce que nous allons faire.

Sur le sol, il esquissa un croquis.

-Nous prendrons appui sur un arbre à la lisière du bois. Cela constituera une base solide. Nous disposerons des piquets sur une demi-circonférence.

Ayant estimé les besoins en matériels, Marc sourit :

-Au travail ! Souvenez-vous qu'il faut ménager nos outils qui ne paraissent guère solides.

Ils travaillèrent deux heures avec acharnement puis Marc donna le signal de la pause.

-Nous avons mérité d'aller déjeuner.

Lorsqu'ils pénétrèrent dans le baraquement,

Sandra et Mike étaient installés autour d'une petite table. Tandis que les jeunes gens se servaient au distributeur automatique, le docteur Kelley persifla :

-Apparemment votre besogne est au point mort. Ne comptez pas trouver un abri ici ce soir.

-Nous avons le temps, sourit Marc. Une petite promenade en forêt nous a paru être un excellent apéritif!

CHAPITRE IV

Buckler était installé devant un pupitre de commande. Sandra sortit de sa chambre. Elle avait pris une douche et changé de combinaison. Elle se pencha sur Mike et effleura la joue de ses lèvres.

-La nuit tombe dans deux heures. Allons inspecter nos stagiaires. Je pense qu'ils passeront leur première nuit sur Marva avec le ciel pour toit!

Mike enfonça une dernière touche et répondit :

-La programmation des androïdes est terminée. Une véritable merveille ! Le travail de plusieurs années! Nous disposons de la plus performante série de tests. Avant de les essayer, j'ai envie de soumettre Stone à une épreuve. Ce type m'agace prodigieusement et il faut abattre son orgueil dès maintenant.

-Agis comme tu l'entends. Tu es le responsable du programme physique!

Ils traversèrent la clairière et découvrirent avec surprise une cabane de branchages semi-circulaire. Le toit était formé par de larges feuilles maintenues en place par de fines branches assemblées par des lianes.

Le docteur Kelley examina longuement la construction.

-Astucieux, laissa-t-elle tomber du bout des lèvres. Vous pouvez aller dîner. Couchez-vous tôt car demain votre journée sera rude !

Au moment où les astronautes passèrent devant le module, Buckler lança :

-Stone, venez avec moi, nous partons en excursion.

Sans un mot, Marc s'installa dans l'appareil. Mike prit les commandes et décolla en direction du nord. Cinq minutes s'écoulèrent et le module se posa dans une minuscule clairière.

-Descendez! Vous regagnez le camp à pied. Une promenade nocturne d'une vingtaine de kilomètres constitue un excellent entraînement pour les épreuves de demain, dit-il avec un sourire ironique.

-A vos ordres ! répondit seulement Marc en sautant à terre.

Le module décolla dans un bruit de turbines malmenées. Buckler retrouva dans le baraquement le docteur Kelley en discussion avec les deux aspirants.

-Bennet, je vois que votre père est professeur de mathématiques. Pourquoi avoir fait l'école d'astronautique et postulé au S.S.P.P. ?

-J'ai envie de voyager, de voir de nouveaux horizons, de côtoyer des civilisations différentes.

-Vos notes aux cours de civilisations primitives sont excellentes. Je suppose que vous avez guidé vos camarades pour construire votre abri.

-Oh ! non ! C'est le capitaine Stone. Il est très adroit et il nous a appris un certain nombre d'astuces. C'est un excellent professeur.

Le visage de Sandra se ferma et elle se tourna vers Oliver :

-Standman, j'ai besoin de renseignements pour compléter votre dossier. Que faisait votre père ?

-Il était astronaute, docteur. Il possédait un cargonef. Il a été assassiné sur Terrania avec ma mère!

-Je suis désolée! Je vois que vous avez été condamné à séjourner dans un camp d'inadaptés.

-C'est exact! J'avais maladroitement voulu venger mes parents, répondit Oliver d'une voix tendue. Marc m'a tiré de cct enfer et mon procès a été révisé ! Il a également démasqué les assassins de mes parents.

-Vous semblez l'admirer beaucoup.

-Il est venu à un moment où je désespérais de tout. Il m'a sauvé la vie et m'a redonné foi en la justice et en l'avenir.

-C'est un personnage du passé. Croyez-vous qu'il mérite une telle admiration?

-Je l'ignore, docteur! Mais je suis certain d'une chose. S'il lui arrivait un accident par la faute d'une personne, je m'occuperais de faire justice, quelles qu'en soient les conséquences.

Sandra frissonna en voyant la lueur féroce qui s'était allumée dans le regard de son interlocuteur. Elle détourna la tête, lançant sèchement :

-Cela sera tout! Regagnez votre cabane. Soyez prêts demain à l'aube!

Mike avalait rapidement une ration repas. Son dîner achevé, il enlaça Sandra.

-Enfin une soirée tranquille, en tête à tête.

La jeune femme hésita un instant puis se laissa aller contre le torse musclé de son ami. Un long baiser les unit.

-Allons dans ma chambre, murmura-t-elle les yeux brillants.

Beaucoup plus tard, Sandra se redressa. Elle regarda un instant son amant qui somnolait sur le lit.

-Mike, je suis inquiète pour Stone. Une marche de nuit en forêt peut être dangereuse.

-S'il n'est pas là à l'aube, j'irai le récupérer avec le module.

La jeune femme secoua la tête.

-S'il survient un accident grave dès le premier jour, nous serons tenus pour responsables. Le général Khov se fera un malin plaisir de pousser de hauts cris, ce qui risque de compromettre notre objectif qui est de prendre la direction du S.S.P.P.

Buckler s'étira en grommelant :

-Tu as raison ! Je vais survoler la forêt avec le module. Il est équipé d'un détecteur biologique qui me permettra de localiser notre promeneur.

Le docteur Kelley arpentait la grande salle. Elle n'avait pu s'endormir, maintenant une liaison radio avec Mike.

-Toujours rien ! Le détecteur est brouillé par la présence de multiples échos. Des animaux sans doute. Je rentre dans dix minutes, je suis crevé. Après le petit déjeuner nous organiserons une battue avec les aspirants.

-Entendu, je les préviens.

Sandra cria de surprise en voyant pénétrer dans la pièce Marc suivi de ses deux amis.

-Quand... quand êtes-vous arrivé ? bégaya-t-elle, partagée entre le soulagement et la colère.

-Dans la soirée!

-Il est inadmissible de ne pas m'en avoir informe. C'est une faute impardonnable, rugit-elle, laissant éclater son courroux.

Un sourire narquois éclaira le visage de Marc.

-J'ai voulu vous avertir, mais en approchant de votre chambre, certains bruits m'ont fait comprendre qu'il serait inélégant et indécent de troubler la conversation éminemment scientifique que vous aviez avec M. Buckler.

Les joues de la jeune femme s'empourprèrent. Pour masquer son embarras, elle lança :

-Comment avez-vous retrouvé votre chemin dans l'obscurité ?

-Élémentaire, mon cher docteur, railla Marc. Me doutant de ce qui m'attendait, j'ai observé le paysage. Il y a un ruisseau qui coule près d'ici. J'ai profité de la dernière heure du jour pour le retrouver. Ensuite, je n'ai eu qu'à le suivre.

-N'aviez-vous pas peur de vous égarer?

-J'étais plus en sécurité dans la forêt que dans le module piloté par votre ami.

-Ridicule! Mike a obtenu les meilleures notes aux tests de pilotage.

Le ronflement d'un moteur l'interrompit. Le module revenait. Le soleil levant aspirait l'humidité de la nuit, créant une brume qui faisait osciller les formes.

L'engin frôla la cime des arbres et plongea vers la clairière, approchant à bonne vitesse du baraquement.

-Amusante démonstration, dit Marc, mais il ne tient pas compte de la brume.

Le sifflement du moteur atteignit un aigu insupportable. Le module oscilla, s'immobilisa à environ dix mètres du sol et chuta lourdement. Sous le choc, les étais télescopiques se tordirent comme des fétus de paille. L'appareil rebondit avant de s'immobiliser en soulevant un petit nuage de poussière.

Sandra se précipita à l'extérieur pour recevoir dans ses bras Mike passablement sonné. Ils discutèrent un moment à voix basse. Le visage très rouge, Buckler faisait de grands gestes, secouait la tête, regardant le piteux état de son appareil. Enfin, le couple revint vers le baraquement. Mike fila vers le bloc sanitaire non sans lancer un regard furibond à Marc.

-Messieurs, dit Sandra de sa voix autoritaire, aujourd'hui commence la première série de vos tests physiques. Déjeunez copieusement car ils se dérouleront tout le jour sans interruption!

A la tombée de la nuit, Marc regagna le baraquement. Il avait passé une très désagréable journée. Sans trêve ni repos, les exercices physiques s'étaient succédé : saut en hauteur, en longueur, sprint, cinq mille mètres, entrecoupés d'abdominaux, pompes, haltères. Tout ce qu'il détestait!

Mike surveillait tandis que Sandra attribuait des notes, noircissant des feuilles de papier.

Leur repas rapidement avalé, les deux aspirants fourbus regagnèrent la cabane. A l'instant où il allait franchir la porte, Sandra interpella Marc :

-Un instant, Stone!

Bile consulta ses fiches avec attention.

-Je dois vous avertir que vos notes sont fort médiocres. Si demain il n'y a pas une nette amélioration, vous perdrez tout espoir de rester au S.S.P.P.

Mike, un verre à la main, s'approcha de Sandra.

-il se dit que Stone est au mieux avec Mlle Swenson, la femme la plus riche de la Galaxie. S'il quitte le Service, il pourra toujours jouer les maquereaux. Il a le physique de l'emploi !

Il éclata d'un rire gras, tonitruant, qui se termina par un hoquet de douleur. Marc avait frappé au ventre d'un droit appuyé de tout son poids, libérant sa hargne.

Sous le choc, Mike recula d'un pas, se plia en deux à la recherche d'une bouffée d'air. Aussitôt un crochet sec, puissant comme une ruade de cheval, percuta son menton, le rejetant en arrière. Assommé, Buckler s'écroula sur le revêtement de sol.

Les pupilles dilatées par la surprise, Sandra contempla son amant.

-Ce... ce n'est pas possible! Mike est diplômé...

Marc l'interrompit d'une voix glaciale :

-Lorsqu'il se réveillera, dites à votre ami que s'il se permet une nouvelle plaisanterie de ce genre, je lui ferai réellement mal.

D'un pas furieux, il quitta la pièce en claquant la porte.

CHAPITRE V

-Messieurs, annonça le docteur Kelley, ce matin se dérouleront les épreuves de combat à mains nues.

Les Terriens étaient réunis dans la salle du baraquement et terminaient leur déjeuner. Buckler, dont la mâchoire s'ornait d'une splendide ecchymose, feignait d'ignorer la présence de Marc.

Le groupe sortit, passant devant l'épave du module.

-Pour l'heure, il ne nous est d'aucune utilité, dit Sandra d'un ton détaché. Le moment venu, Reist viendra nous chercher.

Arrivée au centre de la clairière, elle annonça :

-Bennet, vous débutez.

Mike approcha de l'aspirant, effectuant des inspirations profondes qui faisaient saillir ses pectoraux, impressionnants de puissance.

-Ce test se déroule dans des conditions réelles et se juge en une seule fois. C'est un combat où tous les coups sont autorisés. Ils ne doivent pas être retenus. Vous devez vous persuader que vous luttez pour votre vie! Compris ?

Dany hocha lentement la tête et se mit en position de défense style karaté. Mike porta le premier coup, un direct du droit, bien paré suivi d'un gauche qui toucha l'aspirant à l'épaule. La riposte vint, immédiate, sous la forme d'un coup de coude qui s'écrasa sur les épaisses masses musculaires thoraciques.

Les échanges se poursuivirent plusieurs minutes sur un rythme rapide. Dany se débrouillait bien, compensant son manque de puissance par une grande agilité. Il était toutefois évident qu'il était inférieur à son adversaire. Son visage était déjà marqué et sa paupière droite gonflait.

Marc murmura à l'oreille d'Oliver :

-Tu devras te méfier, fiston. Mike frappe pour faire mal. Il n'a pas digéré son KO d'hier et veut se venger sur vous.

Maintenant, les deux combattants luttaient au corps à corps. Deux fois Dany parvint à se dégager de la monstrueuse étreinte. A la troisième, il trébucha et aussitôt une manchette sur la nuque le précipita à terre où il resta étourdi.

Mike éclata de rire.

-Encore un peu tendre, mais il ne se débrouille pas trop mal. Vous pouvez lui donner la moyenne, docteur Kelley.

-A votre tour, Standman, dit Sandra. Oliver se figea en impressionnant garde-à-vous.

-Je ne veux pas être accusé d'avoir frappé un supérieur!

-Dites que vous avez peur, ricana Mike. Venez! C'est un ordre!

-Dans ce cas, j'obéis.

Il avança vers Buckler, qui l'attendait bien campé sur ses jambes légèrement écartées. Lorsqu'Oliver fut à bonne portée, Mike frappa du droit, visant le menton de son adversaire. Le direct, lourd, puissant, aurait mis fin au combat... s'il avait atteint son objectif!

Oliver s'était brusquement laissé tomber à genoux! Dans la fraction de seconde suivante, il lançait un violent coup de tête qui atteignit Mike au bas-ventre, juste entre les jambes. L'homme se courba en deux, hurlant de douleur. Le cri fut vite interrompu. Oliver avait boulé en arrière et balancé ses deux pieds vers le visage penché sur lui.

Sous la violence du choc, Buckler fut rejeté en arrière. Assommé, il s'affala sur le dos, les bras en croix, saignant de la bouche et du nez. Horrifiée, Sandra glapit :

-C'est indigne, vous n'avez pas le droit... Vous êtes... disqualifié !

Oliver se remit au garde-à-vous.

-Je n'ai fait qu'obéir aux ordres. Je demande que me soit attribuée une note élevée .1 cette épreuve.

-Jamais ! Je vous renverrai dans le camp des inadaptés que vous n'auriez jamais dû quitter.

-Vous oubliez qu'ils ont été supprimés par le président, ricana Marc. De plus, Oliver a été amnistié.

Très inquiète, Sandra se pencha sur Mike toujours inconscient. Elle essuya maladroitement le sang qui maculait son visage.

-Aidez-moi à le transporter au bloc médical.

Marc retint Oliver par le bras.

-Vous n'avez pas éprouvé une telle sollicitude pour Bennet.

Le docteur Kelley tenta de redresser son amant mais son effort fut vain.

-Je vous en prie! Nous ne pouvons le laisser ici.

-Voudriez-vous avoir l'obligeance de répondre à la requête de l'aspirant Standman?

Affolée, Sandra soupira :

-C'est entendu! Il aura la mention très bien à cette épreuve.

-Je vous en remercie.

Les deux amis saisirent Mike par les épaules et entreprirent de le traîner vers le baraquement. Tout en avançant, Marc ironisa :

-Si je comprends bien, mon test est ajourné sine die. A moins que vous ne teniez compte de ma démonstration d'hier ?

-Oui! Oui! lança-t-elle. Je ne veux pas que Mike coure d'autres risques. Tout ceci est invraisemblable. Mathématiquement, ni vous ni Standman ne pouviez le vaincre. En combat simulé contre les androïdes, Mike a toujours obtenu les meilleures notes!

-Peut-être devriez-vous réviser vos programmes, ironisa Marc.

Buckler reprenait lentement connaissance. Une fois qu'il fut installé dans le petit bloc médical, Sandra marmonna :

-Merci, je m'en occupe. Allez voir votre camarade. Rassemblement après le déjeuner. Nous verrons si nous pouvons poursuivre les épreuves.

A l'heure dite, le docteur Kelley et Buckler apparurent sur le seuil de la baraque. Le robot médecin avait bien travaillé et les ecchymoses n'étaient plus très visibles. D'une voix indifférente en apparence, Sandra annonça :

-Le premier cycle de tests, purement physique, est terminé. Ils ont été assez satisfaisants pour que vous accédiez à la seconde phase.

Buckler prit le relais en annonçant :

-Vous serez les premiers à essayer le plus magnifique ensemble d'enseignement. Il a nécessité le travail de toute une équipe pendant trois ans. Regardez!

Six androïdes sortirent du baraquement. Les trois premiers, vêtus d'un simple pagne de fourrure, portaient massues et haches de silex.

-Reconstitution d'une fin de néolithique. Les autres sont de l'époque âge du bronze. Leur programmation est modulable. Première leçon, prise de contact.

-Intéressant, dit Marc. Quelle langue parlent-ils ?

-Nous avons fait une synthèse de tous les idiomes connus.

-Disposerons-nous d'un traducteur universel comme nos androïdes?

-Non ! Lorsque vous aurez assimilé ce langage basique, vous pourrez comprendre les dialectes sur toutes les planètes.

-Celles déjà découvertes, mais les autres?

-Il n'y a aucune raison pour que cela n'entre pas dans nos schémas ! Commençons maintenant !

Cinq androïdes retournèrent dans le baraquement, tandis que le dernier allait s'asseoir au centre de la clairière, mimant un repas.

Mike tenait une télécommande tandis que Sandra consultait un ordinateur portable.

-Standman, imaginez que vous arrivez sur cette planète. Vous avancez lentement et levez la main droite en signe de paix. Parfait! Vous vous asseyez à côté de lui. Maintenant vous l'écoutez parler.

L'androïde émit une série de sons gutturaux.

-Mémorisez-les! Cela vous permettra de communiquer plus tard. Bien, maintenant retournez à votre place.

Lorsque Oliver passa devant Marc, ce dernier murmura mezza voce mais suffisamment fort pour être entendu :

-Lors d'une vraie mission, en agissant comme cela, n'oublie pas d'activer ta ceinture protectrice, si tu veux rester en vie.

-Silence, Stone ! cria Sandra. A votre tour.

L'androïde avait repris son repas fictif. Marc avança mais s'accroupit à une dizaine de mètres du robot et resta immobile.

-Le signe de paix...

-Pas d'accord, jeta Marc! Si vous approchez la main de la gamelle de votre chien lorsqu'il mange, vous risquez d'être mordu. Un primitif agira de même et sera sur ses gardes. Quant à votre main levée, dans nombre de cas cela correspond à une menace.

-Mettez-vous en doute nos travaux?

Rageusement, Sandra pianota sur son ordinateur portable. Le résultat ne parut pas lui plaire car elle lança sèchement :

-Allez-vous asseoir à côté de l'androïde.

Ce dernier commença à parler. Marc écouta, les yeux mi-clos. Après un instant de silence, il prononça quelques mots. L'androïde enregistra et hocha la tête. Sous le regard médusé du docteur Kelley, un dialogue parut s'instaurer.

Deux, trois minutes s'écoulèrent puis Marc lança :

-Que suis-je sensé faire maintenant?

Sandra émergea de sa surprise.

-Vous comprenez ce qu'il dit?

-C'est une blague votre histoire? Cette merveilleuse langue synthétique est un simple mélange des idiomes de Korz, de Terrania XXII, de Psar et de deux autres que je n'ai pas identifiés.

-Comment pouvez-vous le savoir?

-Je n'ai pas suivi vos merveilleux cours à l'université mais j'ai effectué des missions sur ces planètes. Croyez-moi, j'ai une assez bonne mémoire.

-Le test est suspendu. Reposez-vous, ordonna-t-elle avant d'entraîner Buckler dans le baraquement.

Elle claqua la porte et se tourna vers son amant :

-Quelle est cette histoire, Mike? C'est toi et ton équipe qui étiez chargés de la partie linguistique.

Buckler sourit et tenta d'enlacer Sandra. Elle se dégagea avec irritation.

-Réponds-moi!

-Lorsque tu as lancé l'idée d'un « esperanto » primitif, avec mes amis nous avons passé des mois à étudier plus de vingt dialectes, sans trouver aucune concordance. Nous en avons sélectionné cinq qui nous ont paru les plus représentatifs. Même ainsi, il nous a fallu plus d'un an pour concevoir un programme valable.

-Tu aurais pu m'en informer avant.

-J'ai voulu t'en parler à plusieurs reprises mais tu es toujours très occupée. Crois-moi, si les aspirants assimilent mon programme, ils se débrouilleront sur toutes les planètes primitives.

-Je trouve très vexant que Stone l'ait deviné en si peu de temps!

-C'est pur hasard qu'il ait effectué des missions sur ces planètes alors qu'il est un spécialiste du Moyen Age ! Je verrai à modifier notre prochain programme. En attendant, ménageons-lui une surprise!

La nuit était tombée. Marc était assis seul près du feu allumé devant la cabane. Ses deux compagnons dormaient déjà. Il se leva en voyant apparaître la silhouette du docteur Kelley.

-Je suis heureuse de constater que vous n'êtes pas couché. Je souhaitais m'entretenir avec vous. Votre remarque sur la manière d'aborder des primitifs m'a obligée à réfléchir. J'ai interrogé mon ordinateur toute la journée. Il se pourrait que cette partie du programme soit à modifier.

-C'est mon avis!

-D'ordinaire vous effectuez des missions sur des planètes déjà explorées. Vous bénéficiez donc des documents fournis par votre prédécesseur.

-Il m'est arrivé d'être le premier Terrien à prendre pied sur une planète.

-Comment agissez-vous alors?

-Je me laisse guider par mon instinct en restant toujours sur une prudente réserve. N'oubliez pas la règle fondamentale du Service : écouter, voir, ne jamais prendre parti.

-C'est exact. Toutefois vous avez été suspendu par la Commission de non-immixtion.

Le regard de Marc se fit rêveur. Il reprit à mi-voix, comme perdu dans ses souvenirs :

-.T'ai commis une faute, la faute ! J'étais en mission sur une planète de civilisation moyenâgeuse. Un tyranneau sadique tentait d'imposer son autorité.

Stone secoua la tête avec lenteur.

-En un aussi court délai, je n'ai jamais vu une telle accumulation d'horreurs. Des femmes violées sur le cadavre de leur mari, des enfants tortures, des hommes brûlés ou dépecés vifs. La sauvagerie et la bestialité à l'état pur. Un petit groupe, dont je faisais partie, s'était réfugié dans une forêt, poursuivi par le roi bien déterminé à l'exterminer. J'ai alors conseillé de monter une embuscade.

« Dans le combat qui suivit, je me suis trouvé en face du roi, un solide gaillard. La raison, le respect de la loi m'ordonnaient de fuir et de laisser les hommes de celle peuplade se débrouiller entre eux. Je n'ai pu m'y résoudre. J'avais encore devant les yeux tous ces corps martyrisés. J'ai affronté le roi. Ce fut un rude combat. »

-Les agents en mission sont entourés d'un champ protecteur.

-Le générateur était épuisé et mon androïde se démenait au loin, cerné par un fort groupe ennemi. Le roi était très fort. Deux fois, la pointe de son épée a zébré mon thorax, mais par un coup heureux, j'ai réussi à le tuer. La mort de leur chef a entraîné une débandade de la troupe royale et les rebelles ont triomphé.

-Il était exact que votre intervention avait modifié l'évolution naturelle de cette population.

-La Commission n'a pas manqué l'occasion de sévir. Les technocrates qui n'ont jamais rais les pieds hors de leur bureau ne peuvent pas comprendre nos problèmes. Pour nous mêler avec la discrétion indispensable aux populations, nous devons adopter un personnage, un camp. Dès lors, que vous le vouliez ou non, vous êtes l'ami des uns et l'ennemi des autres. Ces derniers ne vous ménagent pas.

-Je reconnais ne pas avoir envisagé le problème sous cet angle. Il faudra que j'organise une table ronde sur ce sujet.

Tandis que Marc et Sandra discutaient debout près du feu mourant, une ombre progressait en silence. Arrivé à moins d'un mètre, Buckler s'élança le poing levé. Il ne frappa que

Se vide ! Déséquilibré, il se sentit soulevé, bascula dans les airs et retomba lourdement sur le dos.

A son cri de douleur, répondit le hurlement de peur de Sandra. Une botte descendait à toute allure vers le visage de son amant. La semelle s'immobilisa à un centimètre du nez.

Marc se recula d'un pas tandis que Mike se relevait, grimaçant de souffrance en se tenant les reins.

-Excellents réflexes, docteur Kelley, je pense que vous pouvez lui accorder la meilleure note à ce test.

Mike s'éloigna d'une démarche très raide. Sandra se prit la tcte entre les mains.

-Je ne comprends pas! Comment avez-vous su...

Marc éclata d'un rire ironique.

-Votre insistance à me faire parler pour masquer le bruit de son avance. Il n'était guère discret.

-Je... je n'ai rien entendu...

-Cela ne s'apprend pas dans les livres.

-Vous ne vous êtes pas retourné une seule fois et pourtant vous avez deviné l'instant où il allait...

Un nouveau gloussement secoua Marc. Il tapota doucement son nez de l'index.

-Le flair...

Devant l'incompréhension manifeste du docteur Kelley, il ajouta :

-Conseillez à votre ami de changer d'eau de toilette. Même le plus enrhumé des primitifs le sentirait à cent mètres de distance!

CHAPITRE VI

Tous les Terriens étaient assemblés dans la grande salle pour le briefing du matin.

-Aujourd'hui commence une nouvelle série d'épreuves, annonça le docteur Kelley. Nous avons constaté qu'au cours des missions survenait un nombre élevé d'accidents, obligeant soit à interrompre la mission, soit à faire agir l'androïde d'escorte d'une manière inconsidérée.

Consultant ses notes, Sandra ajoute :

-Une fois même, l'androïde a utilisé à mauvais escient son désintégrateur, tuant un roi et son fils, modifiant le cours de l'histoire de ce peuple.

-L'incident remonte à plus de deux ans, lança Marc. Depuis, les désintégrateurs ont été interdits.

-Une mesure heureuse prise trop tardivement.

-Une bêtise de technocrates!

-Critiqueriez-vous cet ordre? s'indigna Sandra.

-Naturellement! Sur nombre de planètes existent encore de grands fauves qui ne se laissent pas attendrir par une gentille caresse sur le museau. Ils considèrent en général les humanoïdes comme de simples amuse-gueules !

Sandra l'interrompit d'un geste irrité.

-Bref, nous pensons que la préparation des agents du S.S.P.P. est très insuffisante. Les épreuves précédentes nous ont permis de nous assurer de votre condition physique. Maintenant débutent les tests essentiels.

Elle fixa les trois astronautes avant d'ajouter :

-De votre réussite ou votre échec dépend l'avenir de votre Service. Si, comme je le pense, vous échouez, tous les agents devront subir un recyclage dans notre département à l'université et l'instruction des aspirants nous sera confiée. Nous aurons ainsi la voie libre pour édifier ici un grand centre d'enseignement enfin adapté aux besoins du S.S.P.P.

-Que vous espérez diriger, ricana Marc.

Sandra foudroya son contradicteur du regard.

-Pourquoi pas, si, grâce à vous, je prouve l'incompétence de Khov?

Buckler intervint avant que la discussion ne dégénérât. La curieuse lueur qui brillait dans ses prunelles intrigua Marc.

-Stone, écoutez-moi attentivement. Ce matin, à l'aube, j'ai fait sortir les six androïdes. Ils sont programmes pour tendre des embuscades et attaquer. Ce sont les conditions les plus difficiles que vous pourrez rencontrer sur une planète primitive. Celles-là mêmes qui ont coûté la vie à plusieurs agents dont nous avons étudié les dossiers.

-De quelles armes disposerai-je?

-Choisissez ce que vous voudrez parmi celles amenées à votre cabane. Vous partez maintenant et ne devez revenir qu'après avoir éliminé les six androïdes.

-En cas de combat, comment saurai-jc si je suis vainqueur?

-Ils reconnaîtront leur défaite!

-Et si je casse vos jolis joujoux?

-J'en assume le risque, dit Mike avec un sourire mauvais.

Comme Marc amorçait un demi-tour, Buckler ajouta :

-Je dois vous avertir que cette épreuve risque de mettre votre existence en jeu. Vous pouvez encore renoncer si vous la pensez au-dessus de vos forces. Nous le comprendrions très bien. A votre âge, vous pouvez souhaiter vous reposer! Si un accident survenait, je ne veux en aucun cas être tenu pour responsable. Tous ici sont témoins de cet avertissement. Nous n'acceptons que les volontaires.

Marc haussa les épaules.

-Est-ce tout?

Soudain, une sonnerie stridente retentit. D'un geste vif, Buckler se dirigea vers sa batterie d'appareils et bascula un contact. Un écran s'éclaira dévoilant le visage de Jeff Reist.

-Un astronef vient d'émerger du subespace. C'est un pirate qui dit se nommer le commandant Ar-So. Il est fiché à la Sécurité Galactique.

-Que veut-il? demanda Sandra.

-Il exige que je lui livre intact le Cygne II.

-C'est hors de question! Défendez-vous que diable!

-Avec quoi ? gémit Jeff. Votre appareil est un yacht de croisière, non un aviso de combat! Je ne dispose que de quatre missiles de faible puissance !

-Appelez la Sécurité Galactique!

-Avant qu'elle n'arrive, je grillerai en enfer depuis longtemps!

-Alors disparaissez dans le subespace!

Marc intervint avec sécheresse :

-Géniale stratégie. Il n'aura jamais le temps d'obtenir une vitesse suffisante pour une plongée. Les missiles l'auront pulvérisé bien avant.

Poussant sans vergogne Sandra, il prit sa place devant la vidéo-radio.

-Accepte-t-il de te laisser partir?

-Juste un canot de survie!

Marc réfléchit un instant.

-Tu ne peux qu'accepter, Jeff. Saute dans ton embarcation et rejoins-nous au plus vite. Pas de fioritures, plongée directe comme si tu avais le diable aux fesses. Nous laissons l'émetteur branché pour l'autoguidage.

Il se redressa en lançant :

-Vite, allez à la cabane.

Oliver et Dany sortirent en courant tandis que Sandra protestait :

-C'est monstrueux! Savez-vous ce qu'a coûté à l'université cet astronef?

-Certainement plus cher que la vie d'un homme ! Maintenant, si vous ne voulez pas que deux postes universitaires deviennent vacants, venez avec moi !

Totalement sidérée, Sandra suivit Marc qui marchait à grandes enjambées vers la lisière de la forêt. Essoufflée, elle le rejoignit devant la petite cabane.

-C'est ridicule, pourquoi n'êtes-vous pas resté pour guider Reist?

-La vidéo-radio s'en charge!

L'apparition du canot la fit taire. L'engin plongeait à grande vitesse vers la clairière.

-C'est dément! Je n'ai jamais vu quelqu'un piloter aussi mal, dit Mike d'un ton méprisant.

-Pourtant vous êtes un expert, ironisa Marc.

En décélération maximale, le canot ralentit et se posa dans la clairière près de l'épave du module. Le cockpit s'ouvrit pour laisser le passage à Jeff. Marc agita le bras.

-Par ici! Vite! hurla-t-il.

Reist amorça un sprint pour rejoindre ses amis. Le docteur Kelley voulut se porter à sa rencontre. Sans galanterie excessive, Marc la plaqua au sol et s'abattit sur elle. A l'instant où Jeff s'effondrait à côté d'eux, une lueur naquit, suivie d'une violente explosion qui projeta cailloux, terre et poussière sur les Terriens.

Le silence revint, pesant. Marc, le premier debout, tendit la main à Sandra pour l'aider à se relever.

-Qu'est-il arrivé? balbutia-t-elle.

Jeff se redressa, crachant et jurant.

-Ce damné Ar-So n'a pas perdu de temps. Il est heureux que j'aie compris ton allusion sur le diable aux trousses.

-Vous saviez que nous allions être bombardés, s'indigna Mike encore vert de peur.

-Disons que je m'en doutais, sourit Marc. Les pirates n'aiment guère laisser des témoins derrière eux. Or il n'a pas détruit le canot de Jeff en vol.

-Il avait promis, objecta Sandra.

-Je ne pense pas que ce so.it une raison très valable, la coupa Reist.

-Donc, poursuivit Marc, si le pirate laissait atterrir Jeff, c'est qu'il désirait localiser avec précision notre campement!

-Et s'il avait utilisé un missile thermonucléaire? dit Mike d'une voix aigre.

-C'était peu probable. Ces engins valent très cher et sont en général réservés aux combats entre astronefs!

La poussière était retombée permettant de voir la clairière. Sandra émit un gémissement. Le module, le canot et l'ensemble du baraquement avaient disparu. Affolé, Mike se frotta les yeux, se croyant victime d'une hallucination.

-Notre installation, nos réserves de nourriture, comment survivrons-nous ?

Il leva la tête, regardant anxieusement le ciel.

-Un autre missile ne peut-il s'abattre sur nous d'un instant à l'autre?

-Je ne le crois pas, dit Marc. Sa ruse ayant réussi, il n'a aucune raison de s'attarder. Dès qu'il aura fait occuper le Cygne II par un équipage, il se mettra à l'abri dans le subespace, attendant une nouvelle proie.

Le docteur Kelley retrouva un peu de sang-froid.

-Monsieur Reist, avez-vous envoyé un message à la Sécurité Galactique?

-Ar-So l'avait interdit. Si j'avais émis, il l'aurait capté. J'aurais été détruit avant même d'avoir accroché un récepteur de la Sécurité.

-C'est bien ce que je pensais. Faisons donc, dans le calme, un bilan de la situation.

Elle respira profondément à plusieurs reprises.

-J'ai averti Je doyen de l'université que je lui adresserais un rapport hebdomadaire. S'il ne le reçoit pas, il tentera de me contacter. N'ayant pas de réponse, il informera la Sécurité Galactique qui enverra un bâtiment nous récupérer.

Avec un sourire un peu crispé, elle poursuivit :

-Reste à nous organiser pour survivre une dizaine de jours. Cela ne devrait présenter aucune difficulté. J'ai étudié nombre de civilisations primitives. Je connais donc toutes les formes de chasse.

A mesure qu'elle discourait, son assurance s'amplifiait.

-Si nous voulons dîner ce soir, il convient de chasser. Mike a repéré de nombreux échos traduisant la présence de gibier. Nous nous déploierons dans la forêt et rabattrons les animaux vers ceux qui seront restés en embuscade. Voyons maintenant les armes dont nous disposons.

Buckler poussa soudain un gémissement.

-Les androïdes!

-Que veux-tu dire? demanda Sandra.

-Les installations sont détruites. Je ne peux les inactiver ! Ils sont autonomes maintenant.

-C'est fâcheux, tout au plus, mais ils ne présentent pas un réel danger.

Mike détourna la tête, fixant la pointe de sa botte.

-Stone devait subir le premier test... Il était important pour ton avenir et le mien qu'il échoue... Il se pourrait que j'aie programmé... des conditions très proches de la réalité... C'est-à-dire à la puissance maximale.

Ce fut Reist qui émit un juron bien senti.

-Si j'ai compris votre histoire, six assassins potentiels se baladent en forêt, prêts à agresser le premier d'entre nous qu'ils rencontreront. Une belle vacherie ! Je me demande ce qui me retient de vous flanquer mon poing sur la figure !

Un lourd silence s'installa. Chacun plongeait dans des réflexions moroses. Un rire puissant les fit tous sursauter.

-Intéressante situation, dit Marc, hilare. Je crains qu'il ne nous faille remettre notre partie de chasse. Que propose la faculté?

Sandra, à bout de nerf, craqua brutalement :

-Je ne sais pas ! Je ne sais pas ! Nous allons tous mourir. De faim, de soif, sous les coups d'un androïde, au choix! Le résultat sera le même! Nous sommes perdus!

-Allons, docteur Kelley, nous sommes encore bien vivants et personnellement j'ai fort envie de le rester. Jeff et Dany, vous construirez une autre cabane. Surtout ne vous éloignez pas de la lisière de la forêt. Oliver, tu viens avec moi. Nous allons nettoyer l'endroit des hôtes indésirables.

Dans la caisse où étaient entassées les armes fournies par Mike, il choisit un glaive qu'il glissa dans sa ceinture et une hache en fer. Oliver prit un poignard et une épée.

-Je préférerais un arc!

-Nous verrons plus tard à en fabriquer un. Surtout, suis-moi en silence.

Il fit quelques pas, puis s'immobilisa.

-Docteur Kelley, je ne partirai pas avant d'avoir résolu un grave problème. Si j'élimine vos robots, comment seront attribués les points puisqu'Oliver m'aide?

-Ceci n'est plus un jeu, cria Sandra. Prenez garde à vous, c'est tout ce que je demande !

-Ce n'est pas une réponse!

-Vous aurez tous les deux le maximum de points! lança-t-elle, excédée.

-Jeff, je vous prends à témoin de cette promesse.

-Entendu, Marc. Si jamais nous regagnons la Terre, je te jure bien que je ferai un rapport si bruyant qu'il assourdira même le président ! -Merci ! Préparez un feu pour cette nuit !

CHAPITRE VII

-Dis. Marc, je ne voudrais pas jouer les trouble-fête, mais nous marchons depuis une demi-heure sans avoir aperçu quiconque. Faut-il attendre qu'ils nous tombent dessus?

-Il n'y a pas d'autre solution. J'ignore s'ils patrouillent ou s'ils sont en embuscade. Pour l'instant, viens m'aider.

Marc s'agenouilla sur la mousse. Très doucement, il dégagea de la main un orifice circulaire d'une dizaine de centimètres de diamètre.

-Cela ressemble à des lapins. Nous allons disposer des collets. Il y en a d'autres par ici.

Leur besogne terminée, ils reprirent leur progression. Marc avançait lentement se coulant sans bruit entre les fougères. Soudain, il s'immobilisa, humant l'air. Du doigt, il désigna un buisson à une vingtaine de mètres sur la droite.

-Laisse-moi cinq minutes puis avance lentement dans cette direction. Garde ton épée à la main.

Tandis que Marc se glissait dans les buissons, Oliver consulta sa montre. Le délai écoulé, il avança lentement, les doigts crispés sur la poignée de son arme. Bien qu'attendue, l'attaque le surprit. Un androïde vêtu d'un pagne en simili-fourrure et brandissant une hache de silex jaillit de dessous les fougères. Oliver sauta en arrière, évitant le tranchant de l'arme, il voulut riposter d'un coup de pointe au visage. Avec une vitesse diabolique, l'androïde releva sa hache, écartant la lame qui le menaçait. Soudain, il s'immobilisa. Des convulsions secouèrent ses membres puis il piqua du nez et s'affala sur le sol. Sidéré, Oliver vit la hache profondément enfoncée dans le dos. Marc apparut, le visage soucieux.

-Buckler m'avait préparé un très joli piège. Ces androïdes ont des réflexes plus rapides que les humains. Tu devras en tenir compte.

Pour récupérer sa hache, il dut poser le pied sur le dos du robot et tirer fortement en arrière.

-Encore heureux qu'il ne les ait pas dotés d'une ceinture protectrice, grogna-t-il.

D'un geste sec, il frappa de nouveau l'androïde au niveau du cou.

-Que fais-tu, Marc?

-Récupère la tête! Il faut prouver à ce cher docteur Kelley que nous ne sommes pas des plaisantins vantards.

Tandis qu'il obéissait, Oliver demanda :

-Comment as-tu deviné qu'il nous attendait?

-L'odorat est !e sens le plus important chez nombre d'animaux. Nous omettons trop souvent de l'utiliser. Dans son désir de perfection, Buckler a briqué ses androïdes qui empestent encore l'huile et le détergent.

D'un geste de la main, Marc imposa le silence. Il resta plusieurs secondes immobile, les yeux mi-clos, écoutant les bruits de la forêt.

-Attention! Ils sont au moins deux. Ils avancent vers nous. Dissimule-toi derrière cet arbre. Surtout, n'hésite pas à reculer aussi souvent qu'il le faudra.

En trois coups de hache, Marc abattit un petit arbre et tailla un solide épieu de deux mètres de long, effilé à son extrémité. Il le soupesa en maugréant :

-Un peu lourd mais cela me donnera une allonge non négligeable.

Trois androïdes émergèrent des fourrés dans un bruit de branches brisées. Deux hommes des cavernes et un barbare brandissant une épée.

-Bel anachronisme, ricana Marc.

Les androïdes s'immobilisèrent un instant. Les têtes tournèrent avec un ensemble parfait puis les yeux se fixèrent sur Marc. Les chasseurs photographiaient leur proie ! Ils se mirent en marche du même pas lent! Marc recula rapidement, dépassant l'endroit où était dissimulé Oliver.

« Trois contre un, la partie n'est pas égale », songea Marc qui amorça un sprint. Les androïdes réagirent aussitôt et se lancèrent à sa poursuite. Marc courut plusieurs centaines de mètres, jetant par instants un coup d'oeil derrière lui. Comme il l'avait espéré, les robots n'étaient plus en ligne. Celui qui imitait un barbare porteur d'une épée était le plus véloce.

Lorsqu'il estima la distance raisonnable, Marc se retourna brusquement et lit face au premier androïde, tenant son épieu à deux mains. Il feinta au corps. Immédiatement, le robot arriva à la parade et... reçut un coup au visage qui lui ferma un oeil !

C'était insuffisant pour l'abattre. Il leva haut son glaive. Marc esquiva d'un saut de côté et frappa de revers sur la nuque. Le robot tressaillit comme sous l'effet d'une décharge électrique. Le bras gauche retomba inerte mais cela ne l'empêcha pas de lancer un coup fouetté de son épée que Marc évita d'un retrait du buste. Toutefois, la pointe de la lame déchira sa combinaison, lui striant d'un sillon rouge l'épiderme.

Furieux, Marc enfonça son épieu de toutes ses forces. La pointe perça le faux revêtement cutané et ressortit par le dos. Cette fois l'androïde s'immobilisa. Une vigoureuse poussée l'envoya rouler sur le sol. Le Terrien n'eut pas le temps de récupérer son épieu.

Un nouvel androïde s'élançait vers lui brandissant une hache de pierre. Pris de court, Marc se laissa tomber en arrière et lança les deux pieds. L'androïde, emporté par son élan, bascula pour retomber sur le sol cinq mètres plus loin. A peine Marc s'était-il redressé que le robot déjà debout repartait à l'assaut. Le Terrien saisit son glaive, maudissant le peu de longueur de la lame.

D'un revers d'avant-bras, il essuya son front ruisselant de sueur. La hache maniée horizontalement siffla devant son nez. Une riposte ne fit qu'entailler le faux épiderme. Déjà Marc devait reculer, encore esquiver. Le robot était terriblement rapide. Marc s'essoufflait, son coeur battait à un rythme désordonné.

Il devait en terminer au plus vite avant que l'autre... Où était-il? Une fois de plus l'androïde abattit sa hache. Marc se jeta en avant, usant de tout son poids. La lame pénétra dans le torse jusqu'à la garde. Une seconde Stone eut l'horrible impression que rien n'arrivait. Il resta plaqué contre le robot pour l'empêcher de frapper. La main gauche crocheta l'épaule de Marc pour le repousser en arrière.

Impossible de résister à une telle force. Marc pesa sur la poignée de son épée dans l'espoir d'agrandir la blessure. Soudain une étincelle jaillit, faisant tressauter l'homme et la machine. Le robot bascula en arrière, entraînant Marc épuisé.

-Attention! Derrière toi!

L'appel d'Oliver secoua Marc qui roula sur lui-même à l'instant où s'abattait l'arme. Le tranchant du silex s'enfonça dans la terre à deux centimètres de son oreille. L'androïde tomba sur Marc, le clouant au sol. Il relevait, déjà son arme. Marc saisit le poignet à deux mains, tentant de l'immobiliser. Ils restèrent ainsi plusieurs secondes immobiles. Soudain le robot frappa de son poing gauche le visage de Marc. Un nuage rouge embruma l'esprit du Terrien qui sentit ses forces diminuer, s'effilocher.

D'un mouvement sec, l'androïde dégagea son bras armé. La hache fut brandie très haut, sans parade possible. Soudain un choc ébranla le robot, suivi d'un autre encore plus violent. Comme dans un rêve, Marc vit la tête grimaçante se détacher, planer puis rouler sur la mousse.

D'un vigoureux coup de pied, Oliver fit basculer le corps décapité. Il tendit la main à Marc pour l'aider à se relever.

-Merci, fiston. Sans toi, j'allais attraper une sacrée migraine.

-Lorsque je t'ai vu courir, j'ai d'abord pensé que tu voulais les éloigner de moi puis j'ai compris que tu cherchais à les dissocier. Je vous ai donc suivis.

Un sourire heureux éclaira son visage.

-J'ai eu la chance d'arriver au bon moment. Continuons-nous cette curieuse partie de chasse?

Marc regarda le soleil qui baissait sur l'horizon.

-Nous retournons au camp. Rassemble nos trophées.

CHAPITRE VIII

En voyant Marc sortir du bois portant deux gros lapins, les Terriens qui terminaient l'édification de deux petites cabanes interrompirent leur travail.

Sandra avança les yeux ronds.

-Comment les avez-vous capturés?

-J'avais passé commande au supermarché!

Elle réprima un geste d'énervement. Devant la combinaison déchirée de Marc, elle demanda :

-Vous êtes blessé?

-Une égratignure, mais je reconnais avoir eu beaucoup de chance.

-Les androïdes?

-Nous en avons rencontré quelques-uns.

Buckler ayant rejoint Sandra, Oliver balança ses pieds les quatre têtes en disant d'un ton hargneux :

-Je crois que vous reconnaîtrez vos enfants.

Le docteur Kelley poussa un cri.

-Ce n'est pas possible! Vous les avez démolis ! Vous n'en aviez pas le droit. Savez-vous combien ils ont coûté à l'université?

-Il fallait me donner un autre moyen de les neutraliser.

-Il suffisait de les toucher dans la région du coeur ou à la tête. Ils se seraient immobilisés aussitôt !

-Je crois que cette partie du programme a été oubliée.

Les pupilles de Sandra se dilatèrent tandis qu'elle fixait Mike.

-Je ne me souviens plus, balbutia ce dernier. J'ai travaillé très vite... Il est possible... Je ne comprends pas comment Stone a réussi... Logiquement, il était impossible...

-Standman m'a beaucoup aidé. Je vous rappelle donc votre promesse sur les points à attribuer.

Sandra restait pétrifiée, regardant alternativement Marc et Mike.

-Et les deux autres? murmura-t-elle.

-Ils tournent toujours autour de nous. Qui sait même s'ils ne nous attaqueront pas cette nuit ?

-Non! cria Buckler. Ils ne devaient pas approcher de la base. Un rayon de cinq cents mètres...

-Espérons qu'ils s'en souviendront maintenant que le camp est détruit.

Se tournant vers Dany et Jeff, Marc ajouta :

-Un bon conseil. Si vous voyez un de ces androïdes, n'essayez pas de les affronter seuls. En combat, ils sont très rapides !

-Que faudra-t-il faire? murmura Sandra.

-Filez vite et appelez au secours. Eventuellement nous répondrons, si vous nous attribuez quelques points supplémentaires.

Sans lui laisser le temps de manifester sa mauvaise humeur, Marc lui colla dans les mains les deux lapins.

-Je suppose que vous avez quelques connaissances des civilisations primitives.

-Naturellement! Pourquoi?

-Faites travailler votre mémoire et vous vous souviendrez que les femelles préparaient le gibier que les mâles avaient capturé. Maintenant excusez-nous, mais Oliver et moi avons besoin de nous reposer. Appelez-nous lorsque le rôti sera à point.

Il pénétra dans la cabane et s'allongea sur le sol couvert de fougères coupées. Peu après, Jeff et Dany passèrent la tête par l'ouverture.

-Dors-tu, Marc? demanda l'astronaute.

-Entre! Je voulais seulement laisser nos brillants universitaires se débrouiller seuls.

Jeff pouffa un instant.

-J'avoue que l'après-midi a été distrayant. Pendant deux heures Buckler et Sandra ont dessiné sur le sol des plans de cabanes. Une revue détaillée de toutes les constructions primitives de la Galaxie! Après une longue discussion, ils se sont fixés sur un modèle qui aurait nécessité deux semaines de travail. Heureusement, Dany a suggéré de faire les mêmes que celle-ci ! Et nous pourrons dormir à l'abri ce soir.

-Marc, intervint Oliver, j'ai faim. Ne crois-tu pas que je pourrais aller jeter un coup d'oeil sur la cuisine? Il serait vexant que nos intellectuels laissent calciner le dîner.

-O.K. Va les surveiller.

Dany sortit avec lui en annonçant :

-Je m'occupe du feu!

Une fois seuls, les deux astronautes restèrent un moment silencieux. Le visage grave, Jeff murmura :

-Crois-tu, Marc, que nous ayons une chance de nous en sortir?

-Je ne puis te donner d'explications détaillées mais je te promets qu'un aviso viendra nous chercher dans trois jours. Il suffit de survivre jusque-là!

Aux dernières lueurs du jour, Oliver retrouva Sandra agenouillée devant les deux malheureux lapins. Elle tenait un couteau en silex à la main. Buckler brillait par son absence.

-Puis-je vous aider, docteur Kelley?

Sandra sursauta en entendant la voix derrière elle. Elle esquissa un timide sourire.

-Volontiers! Je reconnais manquer de pratique.

Avec adresse, Oliver dépiauta et vida les deux lapins. La jeune femme le regardait faire, le nez froncé, incommodée par l'odeur des entrailles mais fascinée par ses gestes précis.

-Vous êtes très adroit. Où avez-vous appris cela?

Standman la fixa, la figure grave. En une seconde passèrent sur ses rétines une série d'images toutes plus atroces les unes que les autres.

-Dans le camp des inadaptés, dit-il d'une voix sourde, mais c'étaient des rats que je faisais cuire...

Dany survint à l'instant où Sandra était secouée par un hoquet de dégoût.

-Le feu est prêt.

Le docteur Kelley regarda les jeunes gens embrocher les lapins et les disposer au-dessus des braises rougeoyantes. Elle songea qu'ils se débrouillaient fort bien.

Le repas s'achevait. La viande des bêtes était filandreuse, mais les Terriens qui n'avaient rien avalé depuis le matin, furent contents de la manger.

Mike et Sandra se retirèrent un peu à l'écart. Assis au pied d'un arbre, ils discutaient à mi-voix. Marc approcha, jouant négligemment avec son épée.

-Puis-jc vous poser une question, docteur Kelley?

-Vite ! Nous établissons le programme des travaux pour la semaine.

Sandra avait retrouvé toute sa superbe!

-Je serai bref, sourit Mare. Dans votre collection de farces et attrapes destinée à notre éducation, aviez-vous prévu des robots-serpents 1

-Évidemment non !

-Alors dans ce cas, c'est un vrai serpent que vous avez au-dessus de vous!

La jeune femme leva la tête et poussa un hurlement de terreur tandis que le teint de Mike virait au gris! Un énorme boa glissait lentement sur la branche la plus basse.

Marc bouscula avec rudesse Sandra et d'un geste vif abattit son épée. La lame trancha net la tête de l'animal qui tomba sur le sol, tandis que le corps s'agitait, constellant Mike d'un liquide rosé putride.

Secoué de nausées, Buckler s'écarta pour aller vomir en longs hoquets douloureux. La colère chassa la peur dans l'esprit de Sandra.

-Vous... vous aviez vu cette bête...

-Sur une planète primitive, mieux vaut regarder autour de soi.

-Et si elle nous avait piqués avant que vous n'interveniez?

-Aucun danger ! Ce serpent n'est pas venimeux. Il est de la famille des boas.

-Qu'en savez-vous?

-Lorsque j'ai su que je partais pour Marva, j'ai pris la précaution de me documenter sur la faune et la flore! Bonne nuit, docteur Kelley.

CHAPITRE IX

Sandra se leva à l'aube. Elle n'avait guère dormi, sursautant à chaque bruit. Elle esquissa des mouvements d'assouplissement pour chasser les courbatures qui assaillaient ses muscles. C'était la première fois qu'elle dormait à même le sol ! Les autres Terriens étaient rassemblés autour des restes du feu. Sous la direction de Marc, les astronautes taillaient des épieux. Un peu à l'écart, Mike était assis par terre, ses traits étaient tirés et son teint olivâtre. Il était évident que sa nuit n'avait pas été excellente !

Sandra s'ébroua. Il lui fallait tenir!

-Messieurs, en tant que chef de cette expédition, voilà ce que j'ai décidé pour aujourd'hui. Il nous faut d'abord une provision de viande. Nous allons donc reprendre le plan de chasse conçu hier.

-Et les androïdes, objecta Mike, ils sont dangereux...

Avec un haussement d'épaules, le docteur Kelley rétorqua :

-Ils ne sont plus que deux et nous sommes six! En route, messieurs, allons vers l'étang. C'est là que les animaux vont boire.

Marc avait pris la tête de la colonne. En un quart d'heure, il arriva en vue de l'étang. Il s'immobilisa et désigna du doigt trois belles antilopes aux cornes effilées qui broutaient de maigres herbes et arrachaient les feuilles de certains arbustes.

-Déployez-vous, ordonna Sandra, puis vous convergerez vers l'étang.

-Prenez garde, marmonna Marc. Restez toujours derrière un arbre.

Il huma l'air puis fit signe à Oliver de le suivre. Arrivé à la limite des arbres, il s'immobilisa. Les antilopes avaient relevé la tête, donnant des signes de nervosité. Soudain, elles détalèrent, s'éloignant de Marc.

Buckler sortit du bois brandissant une hache, cherchant à couper la route d'une antilope. Cette dernière accéléra sa course, tête baissée. Au dernier instant, il plongea de côté, pas assez vite toutefois pour éviter d'être heurté avec violence. Sous le choc, il boula sur le sol, étourdi.

Sandra se précipita vers lui, affolée.

-Mike... Mike...

Il se redressa sur les genoux, se frictionnant les côtes douloureuses. Maintenant les Terriens s'étaient regroupés.

-Je ne comprends pas, gémit Sandra, les larmes aux yeux. Les primitifs chassent de cette manière.

-Ceux qui l'ont fait aussi maladroitement sont morts de faim depuis longtemps, ricana Marc.

-Pourquoi? se rebiffa Sandra.

-Vous n'avez pas pris garde au vent ! Les animaux nous avaient sentis depuis longtemps. Une bête sur ses gardes fuit au premier bruit et est très difficile à toucher. Enfin, avec une simple hache Buckler n'avait aucune chance!

Le docteur Kelley esquissa une grimace.

-Je manque de pratique! En attendant, nombre d'indigènes se nourrissent de baies sauvages.

Elle courut vers un buisson qui portait des fruits jaunes de la taille d'une prune. Elle en cueillit plusieurs et revint vers le groupe. Mike en saisit un et l'ouvrit avec précaution. La chair était tendre, juteuse. Il en goûta un minuscule fragment.

-Excellent ! Cela a une légère saveur orangée.

Sandra saisit un fruit et le porta à sa bouche.

-A votre place, je n'y toucherais pas, prévint Marc.

-Pourquoi? Vous n'en savez pas plus que nous. Mike a un goût très sûr!

A cet instant, Buckler poussa un cri, toussa et cracha.

-Cela brûle !

Il se précipita vers le lac, tomba à genoux et se rinça la bouche.

Énervée par le sourire ironique de Stone, Sandra lança :

-Pouvez-vous donner une explication logique?

-J'ai observé les antilopes, elles évitaient soigneusement ces buissons. Croyez bien que si ces fruits avaient été comestibles, elles ne vous les auraient pas laissés! Je préfère me fier à l'instinct des animaux qu'à la science des humains.

Buckler revint, la figure rouge, les lèvres à vif par endroits.

-Retournons au camp, décida le docteur Kelley. Stone, pouvez-vous nous procurer d'autres lapins?

-J'irai voir mes collets plus tard. Je préfère vous accompagner. N'oubliez pas qu'il existe aussi des fauves, en particulier de curieux léopards bruns.

-Qu'en savez-vous? lança Sandra.

-C'était mentionné dans le dépliant touristique de votre monde merveilleux, ironisa Stone.

-Rien ne dit qu'il en existe sur cette île.

-Voulez-vous prendre le pari? Si je gagne vous m'attribuerez des points supplémentaires.

-Cessez donc de jouer...

-Désolé ! Je n'ai pas demandé à venir ici ! Mon avenir et celui de ces jeunes gens n'est pas un jeu!

-Très bien! aboya-t-elle. Quelle preuve avez-vous ?

-Lorsqu'il a vidé les lapins, Oliver a laissé imprudemment les entrailles sur le sol. Ce matin, elles avaient disparu.

-Un peu léger comme indice!

Marc marchait en tête de la colonne. Cinq minutes plus tard, il s'immobilisa.

-Regardez!

Sur une basse branche, très près du tronc, des marques parallèles striaient l'écorce.

-Ces traces sont fraîches. Lui aussi guettait les antilopes. Nous avons gâché son repas. Il risque de ne pas l'apprécier! Soyez sur vos gardes.

-Vous bluffez, jeta Mike. Vous vous amusez à nos dépens pour vous faire mousser.

D'un geste, Marc lui imposa le silence.

-Je partage son avis, dit Sandra en avançant à grands pas.

Une bourrade la propulsa à terre à l'instant où une ombre jaillissait de la ramure d'un arbre.

Le fauve poussa un rugissement aigu. Avec une souplesse déconcertante, il rebondit sur le sol, cherchant sa proie. Voyant plusieurs silhouettes devant lui, il hésita une seconde. Une seconde mortelle. A l'instant où il allait sauter à nouveau, Marc projeta son épieu avec force, le clouant au sol.

Un nouveau rugissement. L'animal tenta de se redresser. Il laboura la terre de ses griffes, essayant d'échapper au morceau de bois planté dans son flanc. Après un dernier feulement, il s'immobilisa.

Marc arracha son épieu, attentif aux réactions de l'animal, mais il était mort.

-Joli coup, dit Reist encore pâle.

-Je n'aime pas tuer ces fauves. Je trouve qu'ils ont une grande noblesse.

-Ce n'est certainement pas l'avis des antilopes !

-Ils ont leur utilité. Ils attaquent les animaux vieux ou les malades, évitant aux épidémies de se propager.

-N'étant ni l'un ni l'autre, je préfère ne pas lui avoir servi d'amuse-gueule, ricana Jeff.

Mike aidait Sandra à se relever. Elle tremblait comme une feuille et se serra contre son ami.

-Je crois, murmura-t-elle, que je vous dois des excuses...

-Révisez vos cours, docteur, grogna Marc.

Une fois de retour au camp, Sandra alla se reposer dans sa cabane. Nul doute que sa promenade matinale l'avait épuisée! Mike ne tarda pas à l'imiter.

Deux heures plus tard, elle ressortit, la mine toujours chiffonnée. Les hommes s'affairaient autour du feu à une mystérieuse besogne. Seul Oliver était assis à l'écart, jouant avec un caillou qu'il s'amusait à lancer en l'air et à rattraper au vol.

-Vous retombez en enfance?

-Non, docteur Kelley, juste un peu de fatigue. C'est ma manière de doper ma volonté. Je contemple mon porte-bonheur et cela me remet en forme. Voulez-vous le voir?

-Ridicule! dit-elle en prenant la pierre.

Les yeux de Sandra s'arrondirent de surprise.

-Mais c'est un diamant brut! Énorme! Il vaut une fortune.

Les paroles n'entamèrent pas la placidité d'Oliver.

-Je le sais, dit-il avec calme.

-Où l'avez-vous trouvé?

-Il provient de ma mine de diamants sur Terrania XXV.

-Vous... vous êtes propriétaire d'une mine? hoqueta Sandra. Rien de tel n'est mentionné dans votre dossier.

-Les aspirants n'ont pas à faire état de leur patrimoine ! J'ai hérité cette mine de ma mère. C'est une société de Mlle Swenson qui la gère et me verse les bénéfices.

-Que faites-vous de votre argent?

-Je paie mes études, j'ai acheté un joli petit trans et je m'offre parfois quelques distractions. Mais vous devez savoir que la vie à l'école ne laisse guère de temps libre. Pour le reste, c'est mon banquier qui s'occupe de mes placements.

-Ainsi vous pourriez vivre sans travailler.

-Bien évidemment ! Mais je ne pense pas que cela aurait plu à mon pcre. Comme lui, j'ai la passion de l'espace. Aussi lorsque je me sens un peu déprimé, je regarde mon diamant. Je me dis que si je suis dans telle ou telle situation c'est que je l'ai voulu! A moi de m'en sortir!

-C'était le cas aujourd'hui?

-Pas exactement ! C'était plutôt un réflexe machinal. Avec Marc à mon côté, je sais que nous retournerons bientôt sur Terre.

Les sourcils froncés, Sandra marmonna :