-Je pourrais vous répondre que je suis tenu par le secret professionnel mais je n'aurai même pas ce mérite car je l'ignore. Seul le patron connaît le nom du client. Je sais seulement qu'en cas de réussite de ma mission, je dois toucher une prime substantielle qui me permettra de vivre de mes rentes jusqu'à la fin de mes jours.

-Quelle était votre mission?

-Simplement vous surveiller et éventuellement vous protéger. Sur ce dernier point je n'ai pas eu beaucoup de travail ; c'est même l'inverse qui s'est produit! Sans vos interventions, je n'aurais plus aucun espoir d'encaisser ma prime !

-Depuis combien de temps me surveillez-vous?

-Deux mois.

-Ni moi ni Ray ne vous avions remarqué. Vous êtes très habile.

-C'est une question d'organisation. Je ne me suis jamais montré. Chaque jour, c'était un agent différent qui vous prenait en charge. Lorsque nous avons constaté que le commandant Lester et Miss Lee tournaient autour de vous, j'ai décidé de m'introduire dans leur équipage. J'y suis parvenu facilement en empruntant l'identité d'une petite fripouille.

-Et si j'avais refusé la proposition de Lester?

-Dans votre situation, c'était peu probable. Si l'astronef était parti sans vous, je me serais débrouillé pour filer avant le départ.

-Comment espérez-vous être récupéré? Notre lien avec la Terre est rompu et nous allons devoir passer quelque temps dans le village de Kioz.

Un sourire narquois éclaira le visage d'Alex qui tapota son communicateur radio.

-Je crois que cela ne sera qu'une question d'heures. Je sais qu'un astronef nous attend dans le système solaire voisin.

-Votre appareil ne possède pas d'émetteur hyperspatial.

-Exact. Mais M. Hardison, notre estimé directeur, avait pensé à ce détail. Aussi n'a-t-il pas hésité à faire envoyer une sonde automatique qui a mis en orbite autour de Korz un microsatellite relais. Ainsi toutes mes communications radio ont-elles été retransmises.

Un grondement sourd déchira le silence de la nuit, provoquant la fuite de nombreux animaux.

-L'aviso solanien se pose près de la colline, nota Ray. Sans doute vient-il embarquer une cargaison de narum isotopique.

Marc secoua Alex par l'épaule.

-Contactez d'urgence votre astronef. Il faut absolument prévenir les autorités Terriennes de ce qui se trame ici!

-D'accord! Mais pour un proscrit, vous prenez bien à coeur les intérêts de l'Union Terrienne, railla Alex.

Après quelques tâtonnements, une voix sortit de la radio:

-Central écoute.

-Ici agent 27. Sommes en difficulté. Venez me récupérer ainsi que les deux colis.

Avec une grimace ironique, Alex précisa à l'intention de Marc:

-C'est le nom de code que le patron vous a attribué !

-Le capitaine Stone est-il d'accord?

-C'est à sa demande que j'agis.

-Parfait! Nous serons dans six heures en orbite autour de Korz. Nous vous contacterons à ce moment.

-Non, hurla Marc, qui saisit le communicateur radio. Un aviso de guerre solanien est posé dans la région et il a certainement un système de veille radar. Dès l'émersion du subespace, il vous faudra enclencher à forte puissance votre système de défense automatique. Ensuite vous vous placerez en orbite géostationnaire visant le point du globe opposé à la région où nous sommes. Avec un peu de chance, vous serez dans l'angle mort des radars. Nous vous rejoindrons avec un module et c'est nous qui vous appellerons.

-Nous serons au rendez-vous. Bonne chance, capitaine.

-Une dernière recommandation. Si vous croisez un astronef solanien, fuyez immédiatement et surtout ne lui envoyez aucun missile, il vous le retournerait!

La communication terminée, Marc tendit la radio à Ray.

-En route! Nous avons une jolie marche nocturne en perspective pour rejoindre le module.

-Oh non! gémit Alex.

-Du courage, pensez à votre prime ! Si vous voulez la toucher, il faut me ramener vivant !

CHAPITRE XI

Le colonel Torka pianotait nerveusement son bureau. Une ride soucieuse barrait son front. Toute la journée, des équipes s'étaient relayées pour ne sortir qu'une dizaine de barres de narum. Moins que les primitifs! De plus, un éboulement avait enseveli trois hommes!

La sonnerie de l'interphone retentit:

-Mon colonel, le commandant de l'aviso désire vous rencontrer.

-Qu'il entre!

Apres un bref salut, l'arrivant annonça:

-J'ai détruit l'astronef Terrien qui s'était aventuré dans ce système. Il ne s'agissait que d'un bâtiment civil, probablement un de ces écumeurs de l'espace toujours en quête de rapines.

Torka se sentait mal à l'aise. Sans nouvelle de ses patrouilles, il préféra garder le silence sur l'évasion de ses prisonniers. Le commandant reprit sèchement:

-J'ai ordre d'embarquer un chargement de narum et de repartir immédiatement.

-Je croyais que l'avant-garde ne devait arriver que dans quatre jours pour les premiers chargements.

-Elle viendra à ce moment. Moi, j'apporterai le narum aux unités lourdes qui sont plus lentes. Nous avons rendez-vous dans un système solaire inhabité. Cela évitera à nos unités le détour par Kioz. Ainsi, dans cinq jours toute notre escadre sera regroupée et le septième jour l'attaque de la Terre débutera avec la totalité des forces.

-Pourquoi une telle hâte?

-Le général a modifié ses plans en apprenant que la première escadre galactique avait été mise en état d'alerte. Les Terriens semblent se méfier.

Torka éclata de rire.

-Ils sont loin de s'attendre à la surprise que nous leur préparons.

-La possession du narum isotopique est un atout majeur mais nous ne devons pas leur laisser le temps de s'organiser, sinon leurs techniciens sont capables de trouver une parade. C'est pourquoi notre victoire doit être rapide et complète.

-Quand désirez-vous repartir?

-Demain matin au plus tard, avec la totalité de mon chargement.

Un embarras visible se peignit sur la figure du colonel.

-Nous avons de grosses difficultés pour récupérer les barres du narum et je pensais pouvoir disposer de plus de temps. Vous pouvez déjà charger le stock disponible.

Le commandant jeta un bref regard sur le feuillet que lui tendait Torka.

-Il en manque quinze!

-Mes hommes travailleront toute la nuit mais je crains qu'il ne vous faille différer votre départ de quelques heures.

Le commandant frappa plusieurs fois le sol du talon avant de se livrer à un rapide calcul sur une des machines du bureau.

-Je vous accorde six heures, pas une minute de plus! C'est l'extrême limite, compte tenu de la vitesse de mon aviso, pour être exact au rendez-vous. Passé ce délai, je devrai rendre compte au général.

Il salua machinalement et sortit d'un pas rapide en claquant les semelles de ses bottes sur le ciment. Torka s'essuya nerveusement le front puis lança d'un ton rogue:

-Appelez le capitaine Koza! En vitesse.

L'officier ne tarda guère à arriver. Son uniforme était couvert de poussière et il était très pâle.

-Combien de barres de narum avez-vous fait ramener?

-La recherche vient juste de reprendre. Il nous a fallu plusieurs heures pour dégager l'éboulement et étayer les passages les plus dangereux. Même ainsi, de nouveaux accidents sont à craindre. Les hommes sont épuises et ils ont besoin de repos!

-Impossible ! Il me faut quinze barres d'ici demain !

-Dans ce cas, tous les hommes de la garnison devront nous aider.

-Vous avez pleins pouvoirs mais je veux des résultats! Les patrouilles sont-elles rentrées?

La mine du capitaine s'allongea.

-Là, c'est une véritable catastrophe! J'ai envoyé un trans en reconnaissance. Les deux patrouilles ont été anéanties.

-Comment est-ce possible? fulmina Torka.

-L'équipage du trans 1 semble avoir été attaqué par des oiseaux carnivores. Nous n'avons retrouvé que des squelettes.

-Et l'autre?

-Nous ne savons pourquoi, l'équipage a quitté le trans. Ils sont tombés sur un nid de monstrueuses araignées qui les ont dévorés. J'ai vu les photographies, c'était horrible !

-Et les primitifs?

-Ils ont disparu. Comme le Terrien ne dispose pas de moyen de communication hyper-spatiale, il n'est pas dangereux. Nous pouvons espérer que les monstres qui peuplent cette planète nous en débarrasseront.

Cette idée arracha un sourire au colonel.

-Lorsque l'aviso sera reparti, vous organiserez une rafle de tous les indigènes du village le plus proche. Ils remplaceront nos gardes pour le ramassage du narum. Annoncez-le à vos hommes. Sachant que leur tâche sera brève, ils montreront plus d'ardeur. Allez, je compte sur vous!

***

Le jour se levait lorsque les Terriens atteignirent enfin le module. Alex avait les traits ravagés et respirait avec difficulté. Sans l'aide de Ray qui l'avait soutenu tout le chemin, il se serait effondré depuis longtemps. Il s'écroula sur le siège arrière du module.

-Je crois que je vais dormir une semaine entière, marmonna-t-il d'une voix pâteuse.

Ray s'installa aux commandes et lança le générateur. Alex souleva une paupière.

-Ne risquons-nous pas d'être repérés dès le décollage? demanda-t-il subitement inquiet. Le moindre missile nous ferait exploser.

-Rassurez-vous, nous volerons au ras des arbres pour échapper aux radars. C'est une spécialité de Ray, ricana Marc.

Déjà la forêt défilait sous le module à une allure vertigineuse.

-C'est de la folie, nous allons nous écraser ! gémit Alex.

-Il faut savoir prendre des risques ! rétorqua Marc avec philosophie.

Malgré son épuisement, Alex n'arrivait pas à trouver le sommeil. Tous ses muscles se crispaient dans l'attente d'un choc inévitable. La forêt fut bientôt remplacée par un océan aux eaux verdâtres soulevées par une grosse houle. Le module frôlait la crête des vagues en un surf monstrueux. Alex dut somnoler; la voix de l'androïde lui fit ouvrir les yeux :

-Attention, resserrez vos ceintures. Je vais prendre de l'altitude. Pour rester dans l'angle mort des radars, l'ascension sera brutale.

Une force immense cloua les deux hommes à leur siège. Ils ne pouvaient plus esquisser un geste. Une chape de plomb pesait sur leurs épaules. Le supplice prit brusquement fin avec l'arrivée en apesanteur. Les passagers se sentirent extraordinairement légers.

-Alex, il serait temps de contacter vos amis. Je ne tiens pas à heurter le champ de force induit par le système de défense automatique.

La communication fut rapidement établie.

-Je vous localise parfaitement. Cap au 135, déclinaison 30. Conservez la même vitesse. Je coupe mes défenses dans vingt secondes.

Marc, les yeux mi-clos, réfléchissait. Il avait la sensation d'avoir déjà entendu cette voix mais il n'arrivait pas à lui associer un visage. Irrité, il apostropha Ray :

-Peux-tu identifier l'astronef qui nous accueille?

-Négatif! Il ressemble à notre bon vieil aviso, le Neptune, mais il existe des dizaines d'appareils semblables, tant civils que militaires.

L'androïde s'interrompit pour concentrer son attention sur la manoeuvre d'abordage. Un sas s'ouvrit et avec sa précision coutumière, Ray fit pénétrer le module dans la soute. À moitié endormi, Alex voulut ouvrir la portière. Marc le retint d'un mouvement brusque.

-Attendez que la pression extérieure soit rétablie ! Maintenant vous pouvez descendre. Le témoin de contrôle est satisfaisant.

Tandis qu'ils s'extirpaient du module, la porte de la soute s'ouvrit. Une seconde, Marc resta médusé en apercevant la silhouette gracieuse d'Elsa Swenson, la femme vers laquelle il revenait toujours!

Elle était brune, âgée d'une trentaine d'années et possédait des yeux d'un vert extraordinaire. Elle se précipita dans les bras de Marc et l'embrassa.

Pendant quelques secondes, Stone perdit toute notion du temps. A regret, il s'arracha enfin à la douce étreinte.

-Du diable si je m'attendais à te trouver ici. Est-ce le commandant Yuko qui dirige la manoeuvre? Il me semble avoir reconnu sa voix.

Elsa acquiesça en souriant.

-Je dois appeler d'urgence l'amiral Neuman, reprit Marc.

-La vidéo-radio est à ta disposition. Pourrais-tu m'expliquer...

-Plus tard, chérie, le temps presse.

Marc s'engouffra dans l'ascenseur menant au poste de pilotage. Yuko était installé aux commandes. Il avait un visage rond, des yeux très bridés d'un noir brillant. Son regard s'éclaira.

-Bienvenue à bord, capitaine Stone. Je suis heureux de vous trouver en bonne forme.

-Merci!

Marc s'installa devant la vidéo-radio. Rapidement, il accrocha un relais de la Sécurité Galactique. L'opérateur, sanglé dans son uniforme noir, dévisagea avec curiosité ce sauvage qui le dérangeait.

-Je veux une communication immédiate avec l'amiral Neuman.

-Vous êtes échappé d'un asile psychiatrique ou vous sortez d'un bal costumé? Buvez votre whisky et rappelez demain !

Marc répéta sèchement:

-Communication urgente! Mon numéro de code est A 01 01.

Fronçant les sourcils devant l'assurance de son interlocuteur, l'opérateur pianota machinalement sur le clavier placé devant lui. Le résultat de sa manoeuvre le fit pâlir.

-Excusez-moi, vous êtes effectivement sur la liste des prioritaires absolus.

Dix secondes plus tard, la figure austère de l'amiral s'imprima sur l'écran. Son visage sec était surmonté d'une chevelure grisonnante. Seul un petit plissement des yeux trahit la surprise qu'il éprouvait devant l'apparition de Marc.

-D'où appelez-vous?

-Du Neptune S, le yacht de Miss Swenson. Je n'ai pas eu le temps de lui demander comment elle a pu se trouver là.

Marc résuma ses tribulations depuis son départ de Terrania XIII. L'amiral l'écouta, les traits figés.

-Voilà, amiral. J'attends vos instructions.

-Ce répulseur semble particulièrement efficace, soupira Neuman.

-Effectivement! Lester n'était pas un enfant de choeur et son astronef a été pulvérisé.

Les mâchoires serrées, l'amiral murmura:

-Je sais qu'une importante flotte a quitté Solan et a plongé dans le subespace. Nous ignorons malheureusement sa destination.

-Pour l'instant, tout au moins, la quasi-totalité du narum isotopique est encore sur Korz.

Le regard de l'amiral brilla d'intérêt.

-En êtes-vous sûr?

-Pendant ma brève captivité, les Solaniens m'ont obligé à porter les lingots de métal et à les entasser dans une réserve. D'après le chef Kioz qui a participé aux travaux pratiquement depuis leur début, il ne manque guère de métal. Quelques barres tout au plus.

-Il est difficile de se fier à la parole d'un primitif.

-Ne croyez pas cela. Kioz est très observateur et je lui accorde toute ma confiance.

-Dans ce cas, nous avons peut-être encore une chance, soupira Neuman. Pour l'instant, restez dans le système de Korz et surveillez la base solanienne. Moi, je dois conférer avec le Président.

En voyant l'écran s'éteindre, Marc poussa un soupir de soulagement. Il examina un instant l'ensemble des écrans puis décida:

-Commandant Yuko, quittez cette orbite et gagnez l'abri de la quatrième planète. Vous devrez assurer une observation permanente de cette région de Korz. S'il se produit la moindre modification, prévenez-moi aussitôt.

Yuko qui avait entendu la conversation, approuva de la tête.

-J'assurerai personnellement la garde.

-Merci! Maintenant un passage au bloc sanitaire me paraît indiqué avant que la mixture de Ray n'empuantisse l'atmosphère. Pouvez-vous également me prêter une combinaison de vol?

-Je vais donner des ordres pour qu'on vous en dépose une.

CHAPITRE XII

En tenue d'astronaute, fleurant bon l'eau de toilette, Marc pénétra dans la cabine-salon. Alex était "effondré dans un fauteuil, les jambes allongées, un verre à la main.

-Voilà, Miss Swenson, les derniers éléments de mon rapport. J'avoue ne pas encore avoir compris toute l'importance de ce que nous avons découvert ni surtout le rôle exact du capitaine Stone. Dans ma carrière, j'ai rencontré nombre de gens aux personnalités les plus diverses. J'ai vu des personnes de la meilleure société se conduire comme de vulgaires malfrats, des hommes qui se pensaient intelligents et courageux se révéler des poltrons imbéciles. Je pensais avoir acquis une solide expérience mais aujourd'hui elle est en échec. Je puis cependant vous affirmer que ce que j'ai observé de la conduite du capitaine ne cadre aucunement avec cette histoire minable de bagarre dans un bouge. Après mon séjour sur Korz, il me serait très agréable que Stone accepte de me considérer comme un ami.

Il se tut brusquement en voyant apparaître Marc.

-Je racontais à Miss Swenson, s'empressa-t-il de dire, que vous m'avez entraîné à courir le marathon. Je suis si épuisé que je n'ai même plus la force d'aller me coucher.

Il se leva péniblement.

-Je crois que je vais vous imiter et me propulser vers le bloc sanitaire. Un bain revitalisant éliminera peut-être mes courbatures!

Restés seuls, Marc et Elsa se regardèrent un long moment. Pour masquer sa gêne, Marc ironisa:

-Je pense que j'accepterais un verre de ton vieux scotch.

Après l'avoir servi, la jeune femme lâcha:

-Marc, je suis folle furieuse!

Elle ajouta sans lui laisser le temps de réagir:

-Furieuse contre moi ! Depuis deux mois, je ne décolère pas ! Je me croyais une femme d'affaires avisée, douée d'une intelligence supérieure à la moyenne. Or, tu m'as révélé que je n'étais qu'une idiote se conduisant comme une midinette victime d'un premier chagrin d'amour.

Marc voulut protester mais elle poursuivit :

-Sois gentil, laisse-moi parler! Lorsque j'ai appris par la télévision ta petite histoire, je suis entrée dans une colère imbécile. Ma déception était telle que je me suis retirée dans mon île du Pacifique pendant quinze jours. Ma réaction épidermique passée, j'ai enfin commencé à réfléchir. Tout cela m'a paru trop bête. J'ai alors demandé à mon conseiller juridique, maître Whitcomb, d'étudier la question. Rapidement, il a découvert certaines anomalies. D'abord il a trouvé curieux que tu ne fasses pas appel à lui pour ta défense au lieu de choisir un obscur avocat, d'ordinaire spécialisé dans les affaires douteuses. Ensuite la rapidité du procès, de la sentence et de l'expulsion l'ont étonné. Ni Khov, ni Neuman pour qui tu avais travaillé n'ont été appelés à déposer. Tu aurais voulu te faire condamner que tu n'aurais pas agi autrement! Enfin, la fille pour laquelle tu te serais battu avait disparu. Une rapide enquête menée par Whitcomb, a montré qu'elle n'avait laissé aucune trace de son existence en dehors des quinze jours passés à New York en ta compagnie. J'ai commencé à penser qu'il pouvait y avoir une manoeuvre tortueuse de la Sécurité Galactique. Ignorant si tu étais victime ou complice, j'ai contacté Hardison, le directeur de Cosmos Investigations.

Avec un petit sourire gêné, elle précisa:

-Je suis une de ses meilleures clientes. Quand on dirige un empire financier, il est indispensable de posséder un service de renseignements et Cosmos Investigations est une agence de tout premier ordre. Je lui ai demandé de te mettre sous surveillance et d'assurer ta protection. Lorsque j'ai su que tu t'embarquais pour Korz, j'ai voulu être plus près de toi. J'ai affrété mon astronef et gagné le système solaire voisin. Grâce à Hardison qui avait eu la précaution d'envoyer un microsatellite relais, j'ai pu suivre vos conversations, non sans inquiétude.

Marc but lentement une gorgée de scotch, goûtant la saveur parfumée de l'alcool.

-Je reconnais que ton initiative était heureuse pour moi. Je me voyais bloqué pendant des semaines chez mes amis primitifs.

La jeune femme contempla un instant son verre avant de murmurer d'une voix hésitante :

-Peux-tu me dire enfin la vérité?

-Depuis que j'ai transmis mon rapport à Neuman, je n'ai plus l'obligation de garder le secret. Tout a commencé le jour où les services de la Sécurité Galactique ont eu vent de l'existence d'un trafic de narum isotopique.

Brièvement, Marc expliqua les redoutables propriétés de ce métal jusqu'alors inconnu.

-Comme il semblait provenir d'une planète primitive, Neuman a demandé au général Khov de me détacher dans son service.

Avec une grimace comique, il ajouta:

-Dès qu'il se prépare un coup tordu, je ne sais pourquoi l'amiral pense aussitôt à s'assurer de ma collaboration. Le danger pour la Terre était tel que je n'ai pu refuser. Le plan de l'amiral était de me faire pénétrer dans le milieu des pirates. C'est pour cela qu'il a inventé cette sombre histoire de rixe dans un cabaret.

-Ainsi tout était truqué?

-Entièrement ! Le mort se porte le mieux du monde. Il s'en tire avec un nez cassé et de belles ecchymoses. La fille, elle, était un agent de la Sécurité Galactique ; elle s'est empressée de disparaître.

-Vous avez vécu quinze jours ensemble, nota Elsa avec une trace de jalousie.

-Il fallait bien accréditer notre thèse. Je suis une victime du devoir.

-Pourquoi t'expédier sur Terrania XIII et non sur une autre planète?

-D'après ses renseignements, l'amiral pensait que les contrebandiers avaient là leur point d'attache.

-Comment espérais-tu contacter Neuman ?

Marc poussa un soupir qui ressembla à une tornade.

-Nous avons commis une énorme erreur d'appréciation. La Sécurité Galactique pensait qu'il s'agissait d'un trafic banal. Revenu sur une planète de l'Union Terrienne, je devais informer un agent de Neuman. Il m'avait donné un nom pour chaque planète. Nous avions sous-estimé la cupidité de Lester qui, pour ne pas payer, était bien décidé à me tuer sur Korz. Surtout, nous ignorions que les Solaniens avaient pris directement en charge la récupération du narum.

A ce moment, la voix de Yuko résonna dans l'interphone :

-Nous sommes en orbite basse autour de la quatrième planète. Aucune activité n'est notée autour de l'aviso solanien. Quels sont les ordres?

-Poursuivez votre surveillance. Nous devons attendre l'appel de l'amiral.

Elsa arqua un sourcil et lança ironiquement:

-Si je comprends bien, mon astronef personnel est devenu une unité de la Sécurité Galactique.

-Disons plus simplement que pour une durée indéterminée, tu le mets à notre disposition.

Les yeux d'Elsa brillèrent étrangement:

-C'est entendu! J'ai cependant droit à une petite indemnité.

Elle s'approcha de Marc à le toucher.

-Laquelle? murmura-t-il, en la prenant dans ses bras.

-Je te l'expliquerai quand nous serons dans ma cabine.

Un appel de Yuko éveilla Marc en sursaut. Doucement, il repoussa Elsa qui dormait contre lui.

-Message de l'amiral Neuman, reprit le commandant.

Marc enfila en vitesse sa tenue d'astronaute et courut au poste de pilotage.

Les traits de l'amiral paraissaient s'être durcis.

-La Comité de Défense s'est réuni en présence du Président, dit-il. D'après les données des ordinateurs, les experts sont formels: les Solaniens préparent une attaque massive mais nous ignorons où portera leur action. Toutefois, grâce à vos renseignements, il est admis que les astronefs ennemis n'ont pas encore reçu leur provision de narum isotopique, ce qui les rendrait pratiquement invulnérables. Le Président a décidé d'agir immédiatement avec énergie. Partant du principe que la meilleure défense reste l'offensive, la 2e escadre galactique est déjà en route pour le système de Solan. La 1ère escadre décollera dans une heure pour rejoindre Korz. Malheureusement, elle ne sera là-bas que dans trois jours. Par chance le croiseur Orion, commandé par le colonel Parker, est en patrouille à une vingtaine d'années-lumière de vous, il a reçu pour consigne de vous rejoindre. Il devrait arriver dans une dizaine d'heures.

L'amiral prit une ample respiration et lança d'une voix devenue plus sèche:

-Maintenant voici vos ordres : En attendant la venue du colonel Parker, vous devez empêcher l'aviso solanien de quitter le système de Korz par tous les moyens possibles.

Devançant l'objection de Marc, il ajouta:

-Je dis tous les moyens, même si pour cela vous devez entrer en collision avec lui !

Le ton s'adoucit comme il poursuivait:

-La livraison d'une cargaison de narum isotopique à la flotte solanienne serait une catastrophe qui entraînerait des pertes considérables dans nos rangs ! Le Président compte sur votre dévouement. Bonne chance!

Marc resta une longue minute à contempler l'écran éteint. Lorsqu'il se retourna, il découvrit

Elsa et Alex qui l'observaient. Yuko intervint alors:

-Je note une certaine activité autour de l'aviso solanien. Il se pourrait qu'il s'apprête à décoller.

Les traits crispés, Marc se redressa:

-Vous avez entendu les ordres de Neuman, dit-il. Il est inutile que nous risquions tous notre vie. Commandant Yuko, faites préparer un module. Vous embarquerez avec Miss Swenson, Alex et votre équipage. Vous vous poserez sur une île pour vous mettre à l'abri. La lutte terminée, et quelle qu'en soit l'issue, un bâtiment de la Sécurité Galactique vous récupérera. N'oubliez pas d'emporter un puissant transmetteur.

La première, Elsa secoua la tête.

-Je veux rester avec toi, Marc. N'insiste pas, c'est inutile! Bien que réquisitionné, cet astronef m'appartient encore. Je me suis donné beaucoup de peine pour te retrouver et je ne veux pas te quitter. Sans doute ai-je compris que la vie sans toi n'aurait aucun intérêt, acheva-t-elle dans un chuchotement à la seule intention de Marc.

Posant sa main sur la sienne, elle la pressa doucement.

-Toutefois, reprit-elle à voix haute, j'exige que le commandant Yuko parte avec l'équipage.

Alex intervint avec un demi-sourire:

-Je souhaite demeurer à bord. Sans vous, Marc, il sera difficile de survivre dans celte jungle et je n'ai aucune envie de servir d'amuse-gueule à un de ces charmants monstres qui peuplent la forêt.

-A votre aise, admit Elsa. Commandant, évacuez l'équipage.

Yuko s'inclina très bas, un sourire gêné sur les lèvres.

-Pour la première fois de ma carrière et à mon très grand regret, je me vois contraint de vous désobéir, Miss Swenson.

Redressant le torse, il poursuivit:

-J'ai fort bien compris qu'un combat capital pour l'avenir de l'Union Terrienne allait s'engager. Mes honorables ancêtres se retourneraient dans leur tombe s'ils voyaient leur indigne descendant fuir comme un lâche au moment du danger. Je ne pourrais survivre à une telle honte. Je vous demande seulement quelques minutes pour me préparer. Monsieur Langdale, voulez-vous me remplacer à la surveillance du télescope optique?

-C'est de la folie, Elsa! s'exclama Marc. Partez, je vous en conjure!

-Il faut te résigner, Marc. Nous sommes tous solidaires et restons à tes ordres, sourit-elle.

En grommelant, le capitaine s'installa dans le fauteuil du pilote. Il ferma un instant les yeux.

-Ray, où es-tu? émit-ii psychiquement.

-Dans la soute. Je procède à une remise en ordre de mes circuits.

-Tu termineras plus tard. Voici ce que je veux que tu fasses.

Ses ordres transmis, il termina en disant:

-Rejoins-moi ensuite dans le poste de pilotage.

Yuko ne tarda pas à apparaître. Il avait revêtu un kimono brodé et un bandeau ceignait son front.

Devant l'air surpris d'Elsa, il précisa:

-En cas de... euh... d'accident, je désire me présenter devant mes ancêtres dans une tenue correcte et non dans un accoutrement ridicule. Je suis à vos ordres, capitaine Stone.

-Je vous charge de la vidéo-radio. Dès l'action engagée, vous ferez un compte rendu à la Sécurité Galactique.. Le moindre détail pourra leur être utile ultérieurement. Maintenant, il ne nous reste plus qu'à attendre.

Ray pénétra dans le poste de pilotage et s'installa dans le siège voisin de celui de Marc. Méthodiquement, il entreprit une vérification du Neptune. Tout en surveillant ses instruments, Alex marmonna à l'intention de Marc:

-Ainsi mon flair ne m'avait pas trompé. Votre condamnation était un camouflage organisé par la Sécurité Galactique.

Tandis que Marc acquiesçait d'un hochement de tête, il poursuivit:

-Il ne pouvait en être autrement. A vous voir agir sur Korz, j'en avais acquis la certitude. Attention ! Il se manifeste une importante activité autour de l'aviso.

Les doigts de Marc effleurèrent plusieurs touches et l'écran de visibilité extérieure s'alluma.

-Exact ! Il s'apprête à décoller. Ray, calcule une trajectoire d'interception. Nous devons l'arrêter avant que sa vitesse soit suffisante pour basculer dans le subespace.

L'androïde pianota rapidement sur l'ordinateur de bord, tandis que retentissait le grondement sourd des propulseurs mis en marche. Dans le poste de pilotage, l'atmosphère s'était subitement tendue. Elsa, restée derrière Marc, sortit un papier de sa poche.

-Monsieur Langdale, voici la prime promise. Je souhaite que vous ayez l'occasion de la dépenser.

Alex plia soigneusement le chèque et le glissa dans sa combinaison.

-Merci, Miss Swenson. Vous êtes très généreuse. J'aurai au moins la consolation de savoir que je mourrai riche. Mon rêve!

Sur l'écran, l'aviso solanien s'élevait lentement. Les couches denses de l'atmosphère franchie, il accéléra.

-Maintenant, dit Ray en enclenchant les propulseurs du Neptune.

L'accélération cloua les Terriens sur leur siège. Indifférent aux effets de la pesanteur, l'androïde consultait l'ordinateur.

-Voici la trajectoire la plus probable de l'aviso, annonça-t-il.

-Programme les missiles, ordonna Marc. D'une voix extraordinairement calme, très mondaine, Elsa remarqua:

-Je ne voudrais pas jouer les oiseaux de mauvais augure, mais pourquoi envoyer des missiles qui nous seront renvoyés?

-Qui sait? Un miracle est toujours possible. Attention, Ray, missile n" 1: feu!

-Missile parti!

Maintenant chacun suivait sur l'écran la course de l'engin. Il se dirigeait avec rapidité vers l'astronef solanien.

-Expédie les suivants selon les consignes données.

Un cri étouffé échappa à Elsa.

-Il n'y a pas de miracle ! Regardez, le premier missile ralentit et amorce un virage.

Très calme, Marc répondit:

-Attendons.

Imperturbable, l'aviso poursuivait sa route sans riposter. Pourquoi aurait-il gaspillé ses missiles contre un adversaire qui se chargeait de sa propre destruction? Yuko, en contact avec un poste de la Sécurité Galactique, commentait l'action avec calme comme si cela ne le concernait nullement.

-Notre premier missile a maintenant effectué son demi-tour et revient dans notre direction. Le second approche de son point de retour. Les autres suivent décalés. Ils divergent légèrement. J'ignore pourquoi le capitaine n'a pas groupé son tir comme il est de règle dans un combat classique.

La main d'Elsa s'était crispée sur l'épaule de Marc. Elle se pencha et murmura à son oreille:

-Maintenant, je sais que je t'aime. Adieu !

Yuko poursuivait son reportage avec flegme :

-Le deuxième missile ne devrait plus tarder à virer... Curieux... il poursuit sa route sans ralentir...

Perdant son calme, il cria d'une voix aiguë:

-Il approche de l'aviso ennemi... Il l'atteint... Les autres arrivent... Trois... quatre... Un seul manque la cible... Ça y est ! ! L'astronef est entouré d'un halo de vapeur... Il a explosé!

Sa voix s'étrangla d'émotion. Médusés, les Terriens braquaient leurs regards sur le nuage irisé qui s'étendait en larges volutes.

-Ton raisonnement était exact, Marc, constata ironiquement Ray. J'avoue ne pas en être mécontent. J'aime bien être en mission avec toi!

Stone ne s'étonna pas de cette manifestation de sensiblerie. Quand il savait Marc en danger, Ray échappait à toute programmation et prenait une autonomie parfois féroce.

-Merci, vieux frère, émit Marc.

Alex essuya son front ruisselant de sueur.

-Bon Dieu ! jura-t-il, je n'ai jamais eu aussi peur de mon existence. Grâce à vous, Marc, je commence à croire que je pourrai profiter de mon argent. Je rêve d'un petit coin tranquille, sans missiles et sans monstres ! En attendant, si Miss Swenson l'autorise, je pense qu'un verre de scotch serait le bienvenu.

Sans attendre de réponse, il ajouta:

-Ne vous inquiétez de rien, je me charge du service.

Son sang froid retrouvé, Yuko poursuivait son commentaire devant un interlocuteur aussi ébahi que lui. Le visage de Neuman apparut alors sur l'écran. Marc éprouva une vive surprise. Pour la première fois depuis qu'il le connaissait, il vit un léger sourire étirer les lèvres de l'amiral.

-Apparemment, dit-il, voilà un chargement de narum isotopique qui ne profitera pas à nos ennemis. Pouvez-vous expliquer votre tactique? Les militaires qui visionnent en ce moment le film du combat ne comprennent pas ce qui a pu se passer.

-C'est simple ! Dites-leur de chasser avec un arc.

-Soyez sérieux, grogna Neuman.

A cet instant, Yuko signala:

-Prenez garde! Le premier missile arrive sur nous. Nous allons être durement secoués.

Un éclair lumineux zébra l'écran, puis disparut. Incrédule, Yuko regarda les données de l'ordinateur.

-Invraisemblable ! Il n'a pas consommé plus d'énergie qu'un vulgaire pétard.

Impatient, Neuman lança:

-J'attends toujours vos explications!

-Lorsqu'un indigène veut tuer un oiseau en vol, il ne vise pas la bête mais l'endroit où elle sera lorsque la flèche arrivera ; c'est ce que les techniciens appellent le point d'interception. J'ai utilisé la même méthode. Si je me servais de missiles à tête chercheuse, je savais qu'ils seraient renvoyés. Aussi ai-je demandé à Ray de démonter leur ordinateur de correction de vol. Les missiles n'étaient plus que des obus autopropulsés! Une fois la direction choisie, rien ne pouvait les faire changer de direction ! Il fallait donc bien viser. Heureusement, Ray s'est chargé d'effectuer les calculs!

-Mais votre premier missile a été retourné.

-C'était un leurre destiné à mettre en confiance l'adversaire. Toutefois, sachant qu'il reviendrait, Ray avait désamorcé la charge explosive !

Marc vivait un jour faste pour la deuxième fois: il vit l'amiral sourire.

-Je ne sais ce que penseront les militaires de vos techniques mais je reconnais qu'elles sont efficaces.

Reprenant son air austère, il ajouta:

-Il faut maintenant faire disparaître la source du narum isotopique. Le colonel Parker devrait arriver sous peu. Il a ordre de détruire la base. En attendant, surveillez-la. S'il se produisait un événement imprévu, vous aviserez et prendrez les mesures qui s'imposent! Maintenant, je dois informer le Président de votre victoire.

Dès que l'écran s'éteignit, Alex tendit un verre à Marc.

-Je crois que vous l'avez bien mérité! Je porte un toast à notre sauveur.

-Et moi, répondit Marc, à notre charmante hôtesse. Je pense que le Président devrait lui offrir une médaille!

CHAPITRE XIII

-Voilà, mon général, acheva le colonel Tor-ka. Notre unité a explosé et nous ne savons pas comment cela a pu se produire.

-Pourtant le premier missile a bien été renvoyé!

-C'est exact ! D'après nos ordinateurs, l'explication la plus plausible est que le système répulseur a eu une défaillance au plus mauvais moment.

-C'est particulièrement fâcheux, car la cargaison était destinée à nos plus grosses unités. Il va nous falloir modifier entièrement notre plan d'invasion de la Terre. Avez-vous au moins récupéré tous les autres lingots de narum isotopiques?

-C'est en cours. Mes hommes travaillent sans relâche dans des conditions particulièrement difficiles qui ont déjà coûté la vie à cinq d'entre eux. Avant la perte de notre aviso, je comptais réquisitionner de la main-d'oeuvre locale, maintenant j'hésite.

-Pourquoi?

Le visage plissé de Torka trahissait son embarras.

-Déguisé en primitif, un espion terrien s'est introduit dans notre base et a réussi à s'évader.

Furieux, le général exigea des explications détaillées. Des gouttes de sueur perlèrent sur le front de Torka. Lorsqu'il eut enfin terminé, le général grommela:

-C'est sans doute la raison pour laquelle un astronef terrien est arrivé aussi vite dans le système de Korz!

-Comment aurait-il pu communiquer? Il n'avait rien sur lui!

-N'importe quel imbécile aurait pris soin de déposer son communicateur radio à l'extérieur.

-La jungle de Korz est particulièrement dangereuse. Les deux patrouilles envoyées à l'extérieur ont été anéanties. Il est possible que notre espion ait terminé sa carrière dans l'estomac d'un fauve.

-Les indigènes survivent bien, pourquoi pas lui? Nous devrons donc admettre que les Terriens ont localisé votre base. Pouvez-vous la défendre jusqu'à l'arrivée de notre avant-garde, qui est imminente?

Torka pianota vivement sur son ordinateur.

-Je suis en mesure de repousser toute attaque aérienne mais il existe un point faible dans ma défense. Si les Terriens débarquent des commandos, je ne pourrai les repousser longtemps. Ma garnison est peu nombreuse et a déjà subi des pertes.

Le général réfléchit une longue minute.

-Voici mes ordres ! En attendant la venue de notre escadre, vous allez disséminer votre stock de narum dans la forêt. Envoyez des patrouilles avec des trans équipés de radios dans un rayon de trente kilomètres. Qu'ils restent camouflés jusqu'à ce que nous les rappelions.

-Ils risquent d'être la proie de monstres, objecta Torka.

Le général haussa les épaules en un geste impatienté.

-Qu'ils signalent leur position! Vos bestioles ne boulotteront pas le narum. Lorsque nous serons maîtres du ciel, nous aurons tout le temps voulu pour le récupérer.

Comme Torka hésitait, le général mit fin à la conversation en lançant:

-Vous n'avez pas une minute à perdre. Exécution immédiate !

***

L'euphorie de la victoire passée, Marc resta un long moment immobile. Alex avait quitté le poste de pilotage, espérant enfin pouvoir dormir.

Yuko surveillait les écrans de contrôle. Sa tenue de samouraï d'une autre époque aurait prêté à sourire si derrière cette façade ne s'était caché un esprit de sacrifice poussé à l'extrême.

Elsa se pencha à l'oreille de Marc et murmura d'une voix chaude et vibrante:

-Mon guerrier ne souhaite-t-il pas un repos mérité?

A la voir si belle, si désirable, Marc sentit une pointe de désir lui mordre les reins. La voix tentatrice insistait:

-Le colonel Parker ne devrait plus tarder maintenant. Il achèvera la besogne. De toute manière, s'il survient de nouveau, Ray t'avertira aussitôt.

Marc dut faire un rude effort pour répondre:

-Je dois encore réfléchir au moyen de détruire la base solanienne.

-Ne suffit-il pas de quelques missiles?

-Il est probable qu'ils nous seront renvoyés.

-Alors utilise la même technique qu'avec l'astronef ennemi !

-L'imprécision du tir obligera à utiliser un grand nombre de missiles. Toute la zone sera irradiée et plusieurs villages primitifs seront anéantis. Surtout, je crains que cela ne soit insuffisant !

-Rien ne peut résister à des missiles thermonucléaires!

-Qui sait? J'ignore tout de la nature de la coupole qui protège la ville morte. Il y a mille ans, elle a subi l'attaque d'armes aussi perfectionnées que les nôtres et elle a résiste à l'usure du temps! Je crois que nous devrions trouver une autre méthode. J'ai peut-être une idée.

-Laquelle?

Marc n'eut pas le temps de répondre. Une sonnerie d'alerte retentit.

-Nombreuses émergences du subespace, lança le commandant Yuko.

-Trente astronefs, précisa Ray. Ils sont encore au-delà de la septième planète.

-L'escadre Terrienne? demanda Elsa.

-Non! Ce sont des Solaniens.

Marc jura sourdement.

-Nul doute qu'ils vont renforcer la base et s'emparer du stock restant de narum ! Ray, allume les propulseurs!

-Tu n'espères pas t'opposer seul à une telle escadre? s'émut Elsa.

-Hélas non ! Mais il est vital pour l'Union Terrienne de détruire la base.

Le Neptune s'accéléra brusquement, clouant les voyageurs sur leur siège. Suivant les directives de Marc, Ray mena l'astronef à grande vitesse vers Korz.

-Aborde la planète par la face opposée à la base ! Il ne faut pas que les radars puissent nous localiser.

Tendu, Marc surveillait la marche de l'escadre ennemie qui progressait vers Korz.

-Plusieurs appareils changent de cap, nota Yuko. Sans doute cherchent-ils à nous intercepter et à nous empêcher de plonger dans le subespace.

A ce moment Alex passa la tête par l'entrebâillement de la. porte.

-J'ai été réveillé en sursaut, expliqua-t-il. Avons-nous un nouveau problème?

Un seul regard sur les écrans suffit à lui faire prendre conscience de la situation.

-Apparemment c'est un très gros problème, soupira-t-il.

Le Neptune arrivait au contact de l'atmosphère de Korz et Ray décéléra brutalement, coupant court à toute demande d'explication.

-Trouve un lieu pour dissimuler le Neptune, demanda Marc à l'androïde.

Ce dernier désigna une des nombreuses îles qui parsemaient l'océan.

-Cet archipel est volcanique et riche en minerai métallique. Il sera difficile aux détecteurs de nous localiser.

La sonnerie de danger imminent vrilla brusquement les tympans des Terriens.

-Deux missiles juste derrière, annonça Yuko. Ils progressent rapidement.

-D'où peuvent-ils venir? s'étonna Elsa.

Marc haussa les épaules.

-Probablement de la base. L'escadre solanienne nous a repérés pendant notre plongée et a donné les coordonnées aux servants de la batterie terrestre. Ray, prends les commandes manuelles.

Le Neptune poursuivait sa plongée vers l'océan à grande vitesse, poursuivi par les torpilles.

-Missiles à 2.000 mètres... 1.500... 1.000, égrenait la voix métallique de l'ordinateur.

Un peu de sueur apparut sur les tempes de Yuko tandis qu'Elsa fermait les yeux, attendant le choc fatal.

-Missiles à 500 mètres... 200...

L'océan paraissait tout proche et l'écume des vagues était nettement visible. Marc qui scrutait les écrans, murmura:

-Maintenant, Ray.

L'androïde modifia brusquement la trajectoire du Neptune. Malgré les anti-g fonctionnant à plein régime, un voile noir couvrit la vue des passagers. Même Marc ne put retenir un gémissement. A peine récupérait-il un minimum de vision que deux violentes explosions secouèrent l'astronef. Plusieurs voyants d'avaries se mirent à clignoter.

-C'était tangent, prononça Ray d'une voix calme, mais à force de tenter le diable, on finira par se retrouver en enfer!

Yuko qui avait émergé de son inconscience, contemplait d'un oeil effaré l'écran de visibilité extérieur. L'astronef volait au ras des vagues à grande vitesse.

-Que... que s'est-il passé? balbutia-t-il.

-Les missiles, trompés par le brutal changement de direction de Ray, ont percuté l'océan. Malheureusement, le souffle des deux explosions, pratiquement simultanées, a occasionné des dégâts.

-Manoeuvre astucieuse, sourit le commandant, mais je doute qu'un jour on vous confie un yacht de croisière! Les passagers exigeraient votre renvoi.

-A chacun son métier, ricana Marc. Attention, nous allons nous poser!

Une fois encore, le freinage fut particulièrement brutal, Ray n'ayant que quelques centaines de mètres pour manoeuvrer. Enfin le Neptune se dressa contre une falaise de lave noire.

-Avec un peu de chance, soupira Ray, nous serons à l'abri des détecteurs, s'ils ne sont pas trop curieux.

Quelques gargouillements traduisirent la reprise de conscience d'Alex. Elsa se redressa et d'un mouvement machinal remit de l'ordre dans sa chevelure.

-Apparemment nous sommes toujours en vie. Pourrais-tu...

-Plus tard, Elsa, Ray et moi avons un travail à accomplir.

Se tournant vers Yuko, il ajouta:

-La vidéo-radio est en panne! Tentez de réparer et avertissez l'amiral Neuman. Préparez ensuite l'astronef pour un décollage en catastrophe.

-Tu ne penses pas, Marc, attaquer seul la base solanienne? cria Elsa.

-Je crois avoir une chance de réussir. Il me faut un module, un petit missile et une plateforme antigravitée pour le porter.

Yuko acquiesça et quitta le poste de pilotage en disant:

-Je m'occupe de votre matériel.

Marc gagna la soute, se déshabilla puis enfila son pagne. Même dans les circonstances les plus graves, il tenait à respecter la loi de non-immixtion. Miss Swenson survint, munie d'une ceinture protectrice. Une merveille de la technologie

Terrienne. Elle induisait autour du corps un champ de force protégeant des projectiles et des rayons laser. Pour le percer, il fallait une énergie supérieure à celle du générateur contenu dans la boucle.

-Prends au moins cela, Marc. Je sais que ces engins sont en général réservés aux agents de la Sécurité Galactique mais j'ai obtenu des autorités une autorisation spéciale.

Marc grimpa dans le module tandis que la porte de la soute s'ouvrait.

-Surtout ne tentez pas de sortir, recommanda-t-il. Alex vous donnera des indications sur la faune de cette planète.

Le module sortit lentement du sas. Perplexe, le commandant Yuko suivait la manoeuvre. Il s'attendait à voir l'engin s'élancer vers le ciel, or il plongeait vers l'océan, frôlant les vagues.

-Pourquoi pilote-t-il ainsi? murmura-t-il.

Alex lui frappa l'épaule en riant.

-Il espère échapper aux radars.

-C'est terriblement dangereux.

-Heureux de vous l'entendre dire! Stone m'a infligé ce genre de supplice et j'ai cru mourir de peur! Dire que, lui, semble trouver cela naturel !

CHAPITRE XIV

-Commandant Ywok, je suis particulièrement heureux de vous accueillir, s'écria le colonel Torka qui attendait son hôte sur le seuil de son bureau. Votre arrivée plus tôt que prévu a transformé notre situation.

Une heure auparavant, une unité solanienne s'était posée sur Korz tandis que le reste de l'escadre se mettait en orbite haute autour de la planète.

-Qu'est devenu l'astronef terrien ? demanda le colonel.

-Il a été détruit par vos missiles tirés selon mes directives. Ils ont atteint l'appareil alors qu'il était déjà dans l'atmosphère. Nous avons enregistré les deux explosions pratiquement simultanées. Où est le narum isotopique?

-Selon les ordres du général, j'ai disséminé mes réserves en forêt pour les mettre à l'abri d'une éventuelle attaque terrienne. Dès l'aube, j'ordonnerai à mes unités de regagner la base.

-Pourquoi pas maintenant?

-La jungle de Korz recèle une faune particulièrement hostile. Je crains pour mes hommes un déplacement de nuit. Nous profiterons de ces quelques heures pour poursuivre l'enlèvement des lingots.

Ywok arpentait Te bureau de long en large.

-Nous devons agir au plus vite. La perte du précédent aviso est très dommageable car elle nous prive de l'appui de nos grosses unités. C'est donc mon escadre qui devra porter le coup décisif à la Terre. D'après les renseignements du général, les Terriens se mobilisent. Il y a urgence. La lenteur de votre action est incompréhensible.

Le visage de Torka vira au rouge.

-Mes hommes travaillent à l'extrême limite de leurs forces et ils ont déjà subi des pertes terribles. Si vous voulez gagner du temps, envoyez des membres de votre équipage les aider. Sans doute comprendrez-vous mieux la difficulté de leur besogne.

Le commandant hésita plusieurs minutes.

-Je mets dix hommes à votre disposition. C'est tout ce dont je puis disposer sans mettre en danger la sécurité de mon aviso. Je superviserai personnellement la qualité de leur travail. Je pense qu'ainsi le chargement sera rapidement effectué.

Torka dissimula un sourire. La morgue hautaine de ces officiers navigants commençait à l'irriter. Et ils recueilleraient la gloire alors qu'il resterait cantonné dans une tâche obscure.

-Dès que vous aurez choisi vos hommes, commandant, je vous conduirai sur le lieu de stockage du narum.

Une heure plus tard, le commandant Ywok pénétrait à la suite de Torka dans la cave de l'immeuble à demi ruiné. Des gardes couverts de sueur et de poussière émergeaient à intervalles réguliers de l'étroit boyau, portant un lingot de narum.

-Si vous n'avez pas peur de salir votre uniforme, suivez-moi, dit Torka qui arrivait difficilement à cacher son ironie.

Il s'engagea dans la galerie, progressant avec prudence, scrutant les pierres de la voûte qui semblaient vouloir se détacher. Arrivé devant l'éboulement qui avait enseveli plusieurs corps, le Solanien s'arrêta.

-Je crois que vous avez eu un aperçu de nos difficultés.

Par orgueil, le commandant dont le visage ruisselait de sueur, rétorqua:

-Je préfère aller jusqu'au bout!

A regret, Torka se glissa dans l'enchevêtrement de poutres de béton qui avait failli absorber Alex. Intérieurement, il pesta contre son ventre trop gros qui frottait contre les parois. Enfin ils émergèrent du boyau et pénétrèrent dans le grand entrepôt. Ywok regarda les nombreuses alvéoles qui contenaient encore des lingots.

-Comment un tel stock de narum isotopique a-t-il pu être constitué?

-Nous l'ignorons! D'après les spécialistes, ceux qui ont occupé autrefois cette ville devaient disposer d'une technologie très avancée. Le narum isotopique ne se trouve qu'en quantité minime dans le narum courant. Pour pouvoir pratiquer la séparation ou la transformation, ils devaient posséder une technique particulière dont le secret a disparu avec eux.

Un à un, les cosmatelots se regroupèrent autour de leur commandant.

-Au travail! ordonna ce dernier. Nous ne sortirons d'ici que lorsque le dernier lingot sera à bord de mon astronef!

Soudain, un grondement sourd fut perceptible.

-Que se passe-t-il? demanda Ywok.

-Je l'ignore, rétorqua le colonel, le visage crispé. On dirait une explosion.

Une secousse fit trembler le sol, suivie immédiatement de plusieurs autres. L'enchevêtrement de poutrelles métalliques commença à glisser.

-Sortons, fit Torka d'une voix aiguë.

Un nuage de poussière jaillit du boyau. Un garde en émergea, le visage en sang, l'uniforme déchiré. Entre deux quintes de toux, il haleta:

-Un éboulement, mon colonel! Toute la galerie s'est effondrée sur ceux qui me précédaient. Nous sommes bloqués.

Une nouvelle secousse fusa, si violente que Torka perdit l'équilibre. Avec effroi, il vit le toit de l'entrepôt s'affaisser, d'abord lentement, puis céder brusquement. D'énormes blocs de pierre tombèrent. Un instant, ils furent retenus par les poutrelles métalliques qui plièrent puis se rompirent. Ce dernier barrage forcé, les lumières s'éteignirent et toute la voûte craqua, ensevelissant à jamais les Solaniens.

***

Le module survolait maintenant la forêt, effleurant la cime des arbres. Ray qui consultait les écrans de bord, annonça:

-Un aviso vient de se poser près de la colline.

Après un instant de silence, il ajouta:

-Où devrai-je atterrir? Avec un seul missile, tu ne peux espérer forcer la porte et détruire la ville.

Marc éclata d'un rire bref.

-Allons, fais travailler un peu tes circuits! Souviens-toi ! Les ancêtres de Kioz avaient relié leurs villes par des galeries souterraines. Lors de notre précédente mission, tu en avais repéré une, ce qui nous avait permis de pénétrer sous la colline pour détruire le cerveau.

Un centième de seconde suffit aux neurones électroniques.

-L'endroit est localisé. Espérons que les Solaniens n'auront pas bouché la galerie.

Toujours en rase-mottes, le module se posa dans une clairière à moins de trois kilomètres de la colline maudite. L'ombre menaçante de l'astronef solanien se détachait sur le fond du ciel piqueté d'étoiles. Ray conduisit le module à l'abri d'un bouquet d'arbres puis déchargea le missile. Soutenu par sa plateforme antigravitée, il semblait flotter dans l'air.

Quelques minutes de marche suffirent à Ray. Face à l'excavation creusée dans le sol, Marc ne put retenir un juron: les pluies d'orage avaient entraîné la terre et comblé en partie l'orifice.

-Cela va prendre un temps considérable de le dégager, dit le Terrien d'une voix déçue.

-Je ne le crois pas ! J'utiliserai mon désintégrateur.

Devant la mine étonnée de Marc, il précisa:

-Miss Swenson ne néglige aucun détail. Elle avait prévu le nécessaire pour mes réparations. J'ai pratiquement retrouvé la totalité de ma capacité opérationnelle !

-Tu aurais pu m'avertir!

-Je te ferai remarquer que nous n'en avons guère eu le temps!

-Mets-toi vite au travail.

Un faisceau mauve jaillit de l'avant-bras de l'androïde. L'excavation se trouva subitement agrandie comme si une mâchoire invisible et gigantesque avait happé la terre. A vingt mètres de profondeur, une galerie horizontale apparut.

-Nous devons l'explorer pour le cas où des éboulements se seraient produits depuis l'année dernière.

Ray acquiesça.

-Accroche-toi à mon cou. J'ai hâte de tester mes nouveaux antigrav.

En douceur, il déposa Marc à l'entrée de la galerie.

-Attends-moi, je vais récupérer le missile.

Le Terrien avança de quelques pas, pestant contre l'obscurité. Il reconnaissait l'écoeurante odeur de moisi de l'air confiné. Le retour silencieux de Ray le fit tressaillir. L'androïde alluma son projecteur cervical, et ils marchèrent pendant une demi-heure sans encombre. Marc avait de la peine à respirer ; la sueur coulait à grosses gouttes sur son dos.

-Regarde, dit Ray, voilà l'endroit que j'avais dû forer au désintégrateur. Normalement, il ne devrait plus y avoir d'obstacles.

Malheureusement la logique ne fut pas respectée. Cinq cents mètres plus loin, un nouvel éboulement barrait la galerie.

-Déblaye le chemin, vite, grommela Marc.

-Recule d'abord car le dégagement de chaleur sera important.

Piaffant d'impatience, Marc attendit de longues minutes. Il avait la sensation d'être plongé dans une atmosphère de sauna déréglé. L'air qu'il respirait était aussi humide que brûlant.

-Tu peux venir, appela enfin Ray. Prends garde de ne pas toucher les parois, la roche est encore très chaude.

Ce dernier obstacle surmonté, ils progressèrent rapidement. Enfin ils atteignirent un bâtiment à demi ruiné, reste probable de ce qui avait été une gare.

-Pointe le missile dans la direction approximative de l'entrepôt.

-Lorsqu'il explosera, ricana Ray, le souffle sera tel que tous les bâtiments s'écrouleront comme des châteaux de cartes! Je me demande si notre galerie y résistera.

Il effleura une série de touches.

-Pressons-nous! Le lancement est prévu dans une heure ! Je préférerais que nous soyons loin! Accroche-toi à moi, nous irons plus vite.

Lorsqu'ils émergèrent à l'air libre, Marc était totalement épuisé.

-Attention, explosion dans trente secondes! annonça l'androïde.

Ils perçurent un grondement étouffé, puis le soi se mit à trembler. Un nuage de poussière jaillit de l'excavation qu'ils venaient de quitter.

-Espérons que le stock de narum est bien enfoui.

-Il n'y a aucun doute ! Regarde, la colline elle-même s'effondre.

Effectivement, dans l'aube naissante, une fissure apparut au sommet. Elle s'agrandit, laissant échapper un panache de poussière. Comme dans un film au ralenti, les parois du dôme s'affaissèrent très lentement.

-Maintenant cette colline ne sera plus maudite, murmura Marc. Retournons au module.

En s'installant sur le siège, il allongea les jambes et soupira:

-Au Neptune  ! Je vois déjà une grande carafe d'eau fraîche à côté d'un verre de scotch !

Le grésillement de la radio brisa ce rêve. En reconnaissant la voix d'Elsa, Marc grogna:

-j'avais interdit les contacts radio. Vous risquez un repérage goniométrique !

-Je le sais mais j'en ai pris le risque. Yuko a intercepté une communication entre l'aviso solanien et le reste de la flotte. Par chance, il n'était pas codé! Le commandant en second rendait compte de la destruction de la ville et de l'ensevelissement du narum ainsi que d'une partie de l'équipage.

-Ce n'était pas la peine d'appeler, je...

-Il y a plus grave, coupa Elsa. Par précaution, le colonel a dissimulé son stock dans la jungle. Actuellement, trois patrouilles ont reçu l'ordre de gagner leur base de toute urgence avec le narum isotopique. Nul doute que les lingots seront immédiatement embarqués sur l'aviso qui joindra alors son escadre.

Une immense lassitude envahit Marc.

-Cela ne finira-t-il donc jamais? Merci, Elsa. Restez à l'écoute et prévenez Neuman.

-As-tu besoin d'aide? Alex propose de te rejoindre avec un membre de l'équipage.

-Inutile! Achevez les réparations du Neptune.

Dès que la communication fut interrompue, Ray s'enquit:

-Comment comptes-tu agir?

-Rapprochons-nous de l'aviso. Nécessairement les patrouilles devront converger vers lui.

-A une aussi faible distance, nous serons repérés par les détecteurs.

-Il te faudra te surpasser et conduire le module sous les arbres.

Ray émit un petit sifflement ironique.

-Cramponne-toi ! Le jeu va devenir intéressant mais ne me reproche pas la casse.

L'androïde activa le moteur antigravité et le module décolla à vitesse réduite. Pendant plusieurs minutes, Marc admira la virtuosité de Ray qui se faufilait à travers les troncs. Soudain, Ray se posa et coupa le générateur.

-Les détecteurs signalent une masse métallique à peu de distance. C'est un trans!

Marc sauta à terre.

-Viens, nous devons le détruire.

Réalisant qu'il était pratiquement nu, le Terrien ajouta:

-As-tu reconstitué ta provision de grenades?

Ray acquiesça et tendit à son ami plusieurs petites sphères. Marc se coula dans les buissons, l'oreille aux aguets, tandis que l'androïde se hissait dans les branches d'un arbre.

-Je le vois, émit psychiquement Ray.

Dix secondes plus tard, Marc aperçut l'éclat mauve du désintégrateur.

-Mission accomplie, reprit Ray, il ne reste plus rien du... Attention, Marc... Derrière toi, un autre trans.

Le Terrien se retourna vivement : le véhicule était à moins d'une dizaine de mètres. Il eut juste le temps de dégoupiller deux grenades et de les envoyer en direction du trans. Par chance, l'une d'elles atterrit juste sur la plate-forme. Aussitôt, une flamme orangée s'éleva. Les sphères possédaient un très fort pouvoir incendiaire. Un seul Solanien parvint à s'extraire du véhicule ; il franchit quelques pas et s'effondra à plat ventre. A travers sa combinaison calcinée, la plaie qui lui ouvrait le dos était visible. Il tenta encore de ramper puis s'immobilisa définitivement. Ray se posa en douceur auprès de Marc. L'éclat de son désintégrateur effaça le trans et les arbres qui se dressaient près de lui.

-Vite, souffla Marc, il en reste encore un.

Au pas de course, ils regagnèrent le module.

Marc pressait l'androïde qui avait déjà relancé le propulseur.

-Je ne puis aller plus vite, protesta Ray. Si nous percutons un arbre, nous ne serons plus guère utiles.

Après un slalom effréné, l'androïde ralentit brutalement. L'aviso se dressait à moins de cent mètres.

-Trop tard, laissa-t-il tomber d'une voix éteinte. Regarde! Le dernier trans a atteint l'astronef et pénètre déjà dans la soute.

-Tente de t'approcher et utilise ton désintégrateur sur un étai télescopique.

-Inutile ! La porte de la soute se referme et l'aviso vient d'enclencher son système de défense automatique. Nous serions grillés avant d'arriver à bonne portée.

Marc prit brusquement sa décision :

-Retournons au Neptune !

CHAPITRE XV

Le module pénétra en trombe dans le sas de l'astronef, Sans attendre qu'il soit complètement immobilisé, Marc s'éjecta et courut au poste de pilotage.

-L'aviso ennemi s'apprête à décoller, annonça Yuko.

Marc bascula plusieurs contacts, armant deux missiles. Déjà l'astronef solanien s'élançait vers le ciel. Rageusement, Marc appuya sur la commande de tir.

Ray qui avait suivi son ami, signala:

-Missiles un et deux partis.

Fébrilement, Marc suivait la course des engins sur les écrans. Le vaisseau adverse atteignait les couches hautes de l'atmosphère lorsque les torpilles le percutèrent. Une lueur éblouissante couvrit l'écran.

-Joli coup, commenta Ray. Les deux missiles ont explosé simultanément. Tu vises presqu'aussi bien que moi.

Marc ferma un instant les yeux. Il était épuisé et seule sa volonté farouche l'empêchait de s'écrouler. Ray qui surveillait son ami, lui tendit un grand verre de liquide.

-Bois ! C'est du liquide revitalisant. Tu aurais surtout besoin de dormir.

Marc se redressa, mobilisant ce qui lui restait d'énergie.

-Commandant, la vidéo-radio est-elle réparée?

-Tout est en ordre !

-Veuillez informer l'amiral Neuman que tous les stocks de narum isotopique ont été détruits.

Tandis que Yuko appelait, Ray s'installa aux commandes.

-Maintenant nous pouvons songer à sauver notre peau, ajouta Marc. L'escadre solanienne en orbite autour de Korz a certainement déjà repéré notre position.

Les générateurs ronflèrent doucement.

-Maintiens l'écran protecteur à l'intensité maximale, recommanda Marc.

-De cette façon nous ne pourrons jamais nous arracher à l'attraction de Korz, protesta Ray.

-Avec les avisos qui nous guettent, nous n'avons aucune chance d'acquérir une vitesse suffisante pour plonger dans le subespace. Reste en rase-mottes et gagne l'archipel voisin. Il existe des volcans en activité qui perturberont les détecteurs adverses.

Le Neptune s'éleva lentement, puis fila horizontalement à moins de cent mètres d'altitude.

La voix de Neuman résonna dans le poste de pilotage :

-Félicitations, Stone! Nos forces ne sont plus qu'à quelques heures de Korz. Grâce à vous, nous tenons la victoire. Bonne chance!

L'écran éteint, Alex qui avait rejoint ses amis, grinça:

-Cela ressemble à des remerciements à titre posthume.

Yuko regardait avec admiration Ray piloter le Neptune comme s'il n'était qu'un vulgaire module. Un nouvel éclair zébra les écrans de visibilité extérieure.

-Il était temps de s'éloigner, dit Ray, un missile vient de dévaster notre îlot. Heureusement qu'il était inhabité!

A cet instant, la sonnerie d'appel retentit. Le visage sévère d'un officier s'afficha sur l'écran.

-Neptune, répondez!

Avec amusement, Marc reconnut le colonel Parker. Il avait eu plusieurs fois l'occasion de le rencontrer. Ils s'étaient même mutuellement sauvé la vie à plusieurs reprises. Parker était un excellent officier mais il ne pouvait se défaire d'un rigorisme poussé qui rendait difficiles les relations amicales.

-Maintenant je vous localise, capitaine Stone. Je vais attaquer. Evitez de vous trouver sur la trajectoire de mes missiles.

-C'est de la folie, s'écria Marc. Même avec un croiseur, vous ne pouvez espérer détruire une trentaine d'avisos!

-Vingt-neuf exactement! Je sais que vous en avez déjà détruit deux.

Comme Marc allait insister, le colonel ajouta :

-Désolé, mais ce sont mes ordres. Je dois fixer le plus longtemps possible la flotte solanienne jusqu'à l'arrivée de notre escadre. L'amiral veut une victoire complète.

L'ennemi avait détecté l'approche du croiseur. Six avisos se portèrent à sa rencontre. Parker ouvrit le feu le premier, expédiant une salve de douze missiles.

Les Solaniens ripostèrent aussitôt par un tir nourri. Soucieux d'économiser l'énergie de son écran, le colonel changea de cap à plusieurs reprises, lâchant à chaque fois un cisée. C'était un leurre perfectionné donnant une image volumique, thermique et magnétique exacte du croiseur. Trompés, les missiles poursuivaient leur chemin jusqu'à épuisement de leur carburant.

-Bien! s'exclama Yuko. Trois avisos viennent d'exploser.

Marc hocha la tête.

-Parker s'est souvenu de ma leçon et utilise la tactique des missiles synchronisés qui explosent en même temps au contact de l'écran protecteur. Souvent la dépense brutale d'énergie fait fondre les générateurs. Malheureusement, ce succès risque de n'être que temporaire. Voyez! la totalité de l'escadre ennemie se dirige maintenant vers le croiseur.

-Cela a au moins le mérite de détourner leur attention du Neptune, constata Ray. Je vais pouvoir me poser et une fois notre générateur éteint, nous serons beaucoup plus difficiles à repérer.

Tous les Terriens suivaient les péripéties de la bataille qui se déroulait très loin dans le ciel. Deux autres avisos explosèrent, arrachant des exclamations de joie aux spectateurs. Seul Marc conservait un visage soucieux. Six fois déjà l'écran protecteur du croiseur s'était illuminé sous l'effet des missiles ennemis, entraînant à chaque fois une perte d'énergie.

Maintenant l'étau des Solaniens se resserrait. Obligé de conserver son écran à pleine puissance, le croiseur voyait sa vitesse diminuer. Un nouvel aviso fut transformé en un nuage irisé mais plusieurs missiles touchèrent l'écran de Parker. Ce dernier tenta de rompre l'encerclement en se rapprochant de Korz.

-Ne pouvons-nous l'aider? murmura Elsa qui se tenait à côté de Marc, la main crispée sur son épaule.

-Hélas! non, car il ne nous reste que deux missiles. Au demeurant, c'est la fin; il vient encore d'encaisser cinq missiles. Son générateur doit être pratiquement épuisé.

-Peut-être pas! s'exclama Ray. Regarde, Marc !

Dans le coin supérieur droit de l'écran, plus de cinquante astronefs venaient d'apparaître. Ils se dirigeaient à grande vitesse vers la planète.

-C'est la 1ère escadre galactique. Je reconnais les marques, cria Marc.

L'irruption d'une telle force provoqua un certain flottement chez l'ennemi qui tenta d'abord de faire front. Mais il renonça rapidement: derrière les unités rapides apparut une nouvelle flotte composée de croiseurs. Les avisos solaniens cherchèrent alors leur salut dans la fuite. Trop tard ! Les éléments terriens avancés achevaient leur manoeuvre d'encerclement. Une nuée de missiles striait l'espace. Sans cesse, des éclairs zébraient l'écran.

-Quel spectacle extraordinaire! s'exclama Alex qui ne pouvait détacher son regard de l'écran de visibilité extérieure.

-Affreux, ajouta Elsa, très pâle.

Profitant de cette aide inespérée, le croiseur de Parker se traînait à petite vitesse vers Korz. Sans nul doute, il espérait se satelliser autour de la planète en attendant du secours. A peine eut-il réussi sa manoeuvre que surgit un aviso solanien. Il était poursuivi par deux astronefs terriens mais ces derniers étaient encore trop loin pour intervenir efficacement.

Marc réagit avec promptitude. Ses doigts coururent sur une série de touches, armant les deux missiles qui lui restaient.

-Feu, ordonna-t-il à Ray.

Les torpilles jaillirent du Neptune avec un sifflement aigu. Anxieusement, Marc suivit leur course, comptant les secondes. Yuko tentait de contacter Parker mais en vain. La vidéo-radio du croiseur était hors d'usage!

Tout à la surveillance de ses poursuivants, l'aviso solanien ne prit pas garde à une attaque venue de la planète. Lorsqu'il s'avisa du danger, il était trop tard. Moins de cinq secondes après, les missiles touchèrent leur cible qui explosa. Malheureusement, au dernier instant, le commandant solanien avait envoyé une torpille en direction du croiseur.

-Pourvu qu'il lui reste suffisamment d'énergie, soupira Marc.

-L'écran est bien faible, nota Ray. Tout au plus pourra-t-il amortir le choc. Nous n'allons pas tarder à être fixés.

L'impact du missile secoua le croiseur comme une feuille un jour de grand vent.

-Il a résisté, jubila Elsa en laissant éclater sa joie.

Hélas! Ray doucha son bel optimisme en désignant sur l'écran un mince jet de vapeur qui fusait du croiseur.

-La coque se fend, il est perdu !

Un panneau de soute s'ouvrit ; il en jaillit un canot de survie bientôt suivi de plusieurs autres. A l'instant où le huitième était éjecté, l'astronef se volatilisa. Les sept premiers canots se dirigèrent vers les avisos terriens. Le huitième, probablement endommagé par l'explosion, avait une trajectoire erratique. Après s'être livré à de nombreuses sinuosités, il plongea dans l'atmosphère de Korz.

-Ray, tente de localiser son point d'atterrissage.

-C'est difficile car sa descente est aberrante. Approximativement, il se dirige vers ce qui reste de la colline maudite.

-Communication de l'amiral Van Cruss pour le capitaine Stone, annonça un officier sur l'écran de la vidéo-radio.

L'amiral avait un visage carré, des cheveux grisonnants, coupés très court, d'épais sourcils. De sa voix habituée au commandement, il lança aussitôt :

-Capitaine, Neuman m'a informé de vos actions. J'ai pu constater que vous aviez ajouté un troisième aviso à votre tableau.

-Malheureusement quelques secondes trop tard, amiral.

-Le Solanien n'a pu envoyer qu'un missile, ce qui a donné à l'équipage le temps d'évacuer le croiseur, répondit Van Cruss.

-Et le colonel Parker?

-Il a tenu à quitter le bord le dernier. Il était dans le huitième canot qui a été endommagé par l'explosion. Il s'est certainement écrasé sur la planète. Il nous a été totalement impossible de le localiser dans ce fouillis végétal. Cette perte est douloureuse mais grâce à l'action du colonel et à la vôtre, toutes les forces solaniennes de ce secteur ont été anéanties et le narum isotopique à jamais volatilisé.

Avec un demi-sourire, Van Cruss ajouta:

-J'ai toujours pensé que vous étiez un excellent officier et je regrette que vous ayez quitté l'escadre pour le Service de Surveillance des Planètes Primitives. Si vous le désirez, vous pourrez toujours demander votre réintégration dans mes équipages.

Marc dissimula un sourire.

-Je vous remercie, amiral. L'amiral Neuman m'avait déjà proposé d'intégrer la Sécurité Galactique mais je préfère rester dans mon Service. Courir sur des montures diverses par des chemins mal pavés, se battre avec des armes primitives, donner et surtout recevoir des coups, telle est mon existence. Mais j'ai l'occasion de rencontrer des gens passionnants et de nouer de solides amitiés. C'est la voie que j'ai choisie ; je préfère m'y tenir.

-Je vous comprends, mon garçon. Maintenant que votre mission est terminée et que nous avons la situation bien en main, vous pouvez regagner la Terre.

Après un instant d'hésitation, Marc lança:

-Amiral, puis-je vous demander une faveur, ou même deux?

-Si c'est en mon pouvoir, je vous les accorde.

-Compte tenu des circonstances, je me suis vu dans l'obligation de réquisitionner l'astronef de Miss Swenson. Or j'ai épuisé la totalité des missiles et notre réserve d'énergie est au plus bas en raison des déplacements effectués à basse altitude. Vous serait-il possible de compléter nos approvisionnements ?

Van Cruss éclata de rire.

-C'est évident! Jamais torpilles n'ont été mieux utilisées. Voyons la suite.

-Je désire obtenir l'autorisation de rechercher le colonel Parker. Nous n'avons perçu aucune explosion et il est possible qu'il ait réussi à poser son canot de survie.

-Comment pourrez-vous le retrouver dans cette jungle? Les observations aériennes ont été infructueuses. Il faudrait des semaines et des dizaines d'hommes pour ratisser correctement la région.

-Je pense cependant y parvenir. Ai-je votre autorisation ?

Un sourire ironique étira les lèvres de l'amiral.

-Vous dépendez du S.S.P.P. et vous êtes à bord d'un astronef civil. Je n'ai aucun ordre à vous donner. Agissez donc comme vous l'entendez.

-Merci, amiral.

-Bonne chance!

La communication achevée, Marc se tourna vers Ray :

-Prépare le module, nous sortons.

Devançant les récriminations d'Elsa, il s'adressa à Yuko:

-Commandant, vous décollerez et vous vous placerez sur orbite basse. En nous attendant, vous compléterez vos approvisionnements. Nous devrions être de retour dans quarante-huit heures.

Tandis qu'il se préparait dans la soute, Marc grimaça à l'intention d'Elsa:

-A force de me déshabiller et de m'habiller, j'ai un peu l'impression d'exercer le métier de call-girl! Seulement, je suis moins bien payé! Elle lui effleura les lèvres d'un rapide baiser.

-Reviens vite!

CHAPITRE XVI

Le module survolait la forêt, cette fois à une altitude raisonnable. Ray s'enquit d'une voix légèrement ironique:

-Pourrais-je savoir comment tu comptes procéder? L'amiral a raison, il nous faudra des semaines pour fouiller la forêt.

-Qui a dit que j'allais le faire seul? Atterris à peu de distance du village de Kioz.

Ray amorça un virage et se posa dans une minuscule clairière ! Tendant le bras, il annonça :

-Le village est à une heure de marche dans cette direction.

-Parfait! A l'aide de tes antigrav, repère quelques gibiers et tue-les. Il faut marquer dignement notre retour.

L'androïde s'élança dans les airs tandis que Marc se mettait en marche d'un bon pas dans la lueur du soleil levant. Etant sans arme, il avait prudemment augmenté l'intensité de son écran protecteur. Au bout d'une demi-heure d'effort, il eut la surprise de découvrir Ray paisiblement assis, le dos appuyé au tronc d'un gros chêne. A ses pieds se trouvaient les cadavres de deux antilopes. Il était fort occupé à confectionner deux sagaies.

-J'ai pensé, expliqua-t-il, qu'il semblerait curieux que nous nous déplacions sans armes.

-Parfait  ! Hâtons-nous car je voudrais arriver avant le départ des chasseurs.

Lorsqu'ils parvinrent au village, une trentaine de guerriers était réunie autour de Kioz. L'apparition de Marc et de Ray portant le gibier créa une vive surprise.

-Amis, dit Kioz, en ouvrant les bras, vous êtes revenus!

-Grand chef, je te salue. J'aimerais te parler seul à seul. Ces lantys te dispenseront de chasser aujourd'hui.

-Viens dans ma hutte!

Marc s'assit sur une natte mais se garda de parler avant que Tara rayonnante de joie n'ait servi à boire dans de grandes écuelles de bois évidé. Lorsqu'il eut sacrifié aux libations rituelles, Kioz fit signe aux femmes de sortir. Le regard baissé, il murmura:

-Les démons se sont beaucoup agités ces derniers jours. J'ai craint qu'ils t'aient attrapé et tué.

-Tu sais fort bien qu'ils ne sont que des hommes, murmura Marc. Ils sont différents de toi, possèdent des armes et des machines étranges, mais n'ont aucune ressemblance avec des dieux. Je puis t'affirmer qu'ils sont partis et ne reviendront jamais.

-Qui a pu les chasser?

-D'autres hommes ! Eux aussi disparaîtront et vous laisseront en paix.

Kioz resta silencieux, le regard tourné vers le plafond de sa hutte.

-Tu es généreux, courageux, Marc. Tu parles notre langue et tu nous ressemble mais je sais que tu es différent de nous.

Marc hocha la tête pour dissimuler son embarras. La perspicacité du primitif le plaçait dans une situation délicate. Il préféra opter pour la franchise :

-Ton esprit et ton coeur ne t'ont pas trompé, grand chef. Je viens effectivement d'un monde encore plus lointain que ton esprit ne peut l'imaginer. Ce sont les miens qui ont chassé ceux qui t'avaient réduit en esclavage ; nous avons détruit leur repaire.

Ces précisions parurent satisfaire Kioz. Un sourire apparut sur ses lèvres.

-Es-tu revenu pour me dire cela?

-Pas uniquement ! Aujourd'hui j'ai besoin de ton aide.

-Tu m'as sauvé, elle t'est acquise.

-La lutte contre ceux de la colline a été rude. Un de mes amis s'est perdu dans la forêt. Il doit occuper une sorte de véhicule comme en utilisaient nos ennemis. Il est immobilisé quelque part entre ici et la colline. Pourrais-tu m'ai-der à le retrouver?

Kioz éclata de rire.

-Je connais mon territoire. Si ton ami est là, nous le découvrirons.

-Surtout n'approchez pas de sa construction métallique qui peut être dangereuse, il suffit de m'indiquer son emplacement.

Kioz se leva d'un bond.

-Mes guerriers et moi partons immédiatement. Toi, tu resteras ici à te reposer car tu parais très fatigué. Nous reviendrons avant la tombée de la nuit. Ne t'inquiète pas, Tara te tiendra compagnie. N'oublie pas! Donne-lui un fils.

Le chef réunit ses hommes sur la place. Ses explications furent brèves mais suffisamment précises car peu après les chasseurs, par groupes de deux, se dispersèrent dans toutes les directions. A peine s'étaient-ils éloignés que Tara se glissa dans la hutte.

-Mon père m'a ordonné de venir te rejoindre. Veux-tu manger?

Elle se serra bien vite contre Marc.

-Je suis si heureuse que tu sois revenu!

Le Terrien la prit doucement dans ses bras.

-Malheureusement pour toi, je vais repartir très bientôt.

-Je le sais, soupira-t-elle. Aussi je veux profiter de tous les instants qui nous restent !

Elle l'attira sur la natte recouverte d'une fourrure.

-Viens, murmura-t-elle.

Des cris stridents tirèrent Marc de son profond sommeil. Ses tendres retrouvailles avec Tara terminées, il s'était endormi. Il se frotta énergiquement les yeux et sortit de la hutte. Dans le ciel, le soleil commençait à peine à décliner sur l'horizon. Tara courut vers lui, le visage bouleversé de peur. Femmes, enfants, vieillards s'égayaient dans toutes les directions. Essoufflée, la jeune fille lança à Marc:

-L'envoyé du dieu! L'envoyé du dieu! Il vient punir l'un d'entre nous! Après son passage, il ne laissera derrière lui que le cadavre d'un vieillard!

Devant la panique qui submergeait les habitants du village, Marc ne pouvait rien. Apparemment, peu se sentaient la conscience assez tranquille pour affronter un jugement divin!

-Cours devant, Tara, je te suis.

Elle hésita un instant, souhaitant entraîner Marc avec elle. Comme il n'esquissait pas un geste, elle s'éloigna à regret. A cet instant, Homme-sage apostropha Marc. Ses yeux noirs brillaient de colère.

-Tu devrais fuir ! A chacun de tes passages dans le village, l'envoyé du dieu est arrivé. Cette fois, il ne t'épargnera pas. J'avais bien dit qu'il ne fallait pas procéder à tous ces changements dans nos coutumes. Ces arcs, ces pièges, rendent la vie trop facile et détournent les hommes de la crainte du ciel. Ces dernières nuits le dieu a encore manifesté sa colère mais personne n'a voulu m'écouter. Maintenant l'heure du châtiment approche.

Agacé, Marc rétorqua:

-Reste avec moi, Homme-sage, et nous verrons si cet envoyé vient pour toi ou pour moi !

Le vieillard hésita une seconde mais la peur l'emporta. Sans un mot, il fit demi-tour et s'éloigna à grands pas. Maintenant le village était désert. Cela rappelait à Marc une scène identique vécue l'année précédente. Il savait que ces envoyés du dieu n'étaient que des androïdes utilisés par un monstrueux cerveau pour terroriser les populations indigènes. Non sans mal, Marc avait détruit la créature.

Ray se tenait maintenant à côté de son ami. L'envoyé du dieu parut alors. Il avançait d'une démarche saccadée et avait un visage figé, totalement inexpressif. Il tenait à la main une massue imposante. Marc savait que sous l'écorce factice se dissimulait un mécanisme complexe qui créait une onde spatio-temporelle. Tout ce qu'elle touchait vieillissait de dizaines d'années en quelques secondes.

-D'où peut-il sortir? grogna-t-il.

-Souviens-toi, l'année dernière. Le cerveau nous avait dit qu'il possédait douze androïdes! j'en avais détruit onze. Nous avons estimé que privé des ordres psychiques de son maître, le robot s'immobiliserait et pourrirait dans un coin. C'était une erreur. Celui-ci est resté programmé suivant les dernières consignes reçues. Depuis un an, il doit sillonner la forêt.

L'androïde était maintenant au centre de la place, tournant alternativement la tête à gauche et à droite. Son regard inexpressif se fixa sur les Terriens et il avança dans leur direction.

-Attention, murmura Marc.

Le robot esquissa le geste de pointer sa massue. Ray fut plus prompt que lui : son désintégrâtes effaça l'adversaire.

-Bon débarras, grogna Marc. Il est heureux que nous soyons revenus dans ce village, sinon le sorcier aurait repris son influence sur les habitants, les empêchant de progresser.

-Il ne te porte pas dans son coeur car tu gâches son métier, observa Ray. Mais seront-ils plus heureux?

-Je l'ignore ! Ils auront au moins la possibilité de choisir librement leur destin ! Maintenant, il ne me reste plus qu'à reprendre ma sieste.

Compatissant, Ray lui tendit deux tablettes nutritives.

-Je sais que tu as besoin de récupérer des forces. Tu t'es beaucoup dépensé.

Marc n'eut pas le loisir de plonger à nouveau dans le sommeil. Timidement, les indigènes revenaient. Tara se précipita dans les bras du Terrien, riant et pleurant tout à la fois.

-Marc! Marc! Tu es vivant!

-En aurais-tu douté ? ironisa-t-il. Mon coeur et mon esprit sont toujours purs. Qu'aurait pu me reprocher l'envoyé du dieu?

Homme-sage se manifesta alors. Il était perplexe et fort dépité de retrouver Marc vivant, ce qui allait encore diminuer son prestige. Nul doute qu'il aurait préféré retrouver le cadavre de cet étranger.

-L'envoyé ne venait-il pas pour te châtier? maugréa-t-il.

-Au contraire, comme l'année précédente, il souhaitait me parler.

Un mouvement de colère échappa au sorcier.

-S'il avait des consignes à transmettre, c'est à moi qu'il se serait adressé. Ne suis-je pas le grand prêtre?

-Comment aurait-il pu te contacter puisque tu t'es empressé de déguerpir! Sans doute n'avais-tu pas la conscience très tranquille? L'envoyé a été très dépité de ne pas te voir!

Maintenant une dizaine de guerriers, trop vieux pour chasser, écoutaient Marc. Homme-sage leur lança un regard gêné. Espérant détourner la conversation, il demanda sèchement:

-Qu'a dit l'envoyé?

-Il voulait simplement confirmer qu'il approuvait tout ce qui a été fait depuis un an. Désormais, il ne reviendra plus jamais.

-Ensuite?

-Il a brutalement disparu dans un grand éclair mauve, ajouta Marc sans sourciller.

-C'est impossible! grogna Homme-sage.

Un vieux chasseur intervint:

-Mon âge ne me permet plus de courir. Aussi je me suis dissimulé à peu de distance. J'ai effectivement perçu une lumière mauve.

Cette confirmation obligea Homme-sage à capituler. Il s'éloigna en lançant:

-Je vais prier notre dieu et le remercier de ses bienfaits!

Tara saisit le bras de Marc et l'attira vers la hutte.

-Je tremble encore de peur. J'ai besoin de tes bras pour me rassurer.

Il était difficile de résister à une telle invitation, et Marc n'en avait aucune envie.

Le soleil embrasait la cime des arbres quand les premiers chasseurs furent de retour. En passant devant Marc, ils secouèrent la tête. Leurs recherches avaient été vaines.

-Mon idée n'était pas aussi géniale que je le pensais, soupira Marc.

-Attendons encore, dit Ray. Ils ne sont pas tous rentrés.

Kioz apparut le dernier. Il avait le visage fatigué de celui qui a fourni une longue course. Il gagna sa hutte et Tara lui apporta à boire. Il but avidement puis s'essuya la bouche d'un revers de main.

-J'ai vu une curieuse construction de pierres noires. Je n'ai pu approcher car il y avait beaucoup de pterks. Si ton ami est là, il doit être mort !

-Où se trouve-t-elle?

De son gros doigt, il dessina un trait dans la poussière du sol.

-J'ai, remonté la rivière qui sort de la colline maudite. Arrivé à l'orée de la forêt, je l'ai longée pendant une petite course du soleil. C'est là que j'ai vu l'engin. Juste à la limite des arbres.

Marc se leva aussitôt.

-Merci, ami. Maintenant je dois partir.

Kioz désigna le soleil couchant.

-La nuit arrive. Reste avec nous pour le festin de ce soir. Demain à l'aube, tu marcheras mieux.

Tara sourit pour appuyer cette proposition. L'idée de passer encore une nuit avec Marc l'enchantait visiblement. A son grand déplaisir, Marc secoua la tête.

-Je ne puis rester, chef Kioz. Toi seul connais mes raisons.

Les deux hommes s'étreignirent une dernière fois.

-Adieu, ami, nous n'oublierons jamais ta venue parmi nous.

Marc partit d'un pas rapide. Dès qu'il s'estima hors de vue d'un éventuel observateur, il ordonna à Ray:

-Soulève-moi avec tes antigrav. Nous avancerons beaucoup plus vite.

Une demi-heure suffit pour arriver à l'orée de la forêt.

-Là-bas, dit Ray.

Un cylindre métallique était couché dans les hautes herbes, au pied d'un grand arbre dont les branches le dissimulaient à toute observation aérienne. Le canot de survie ne semblait pas trop avoir souffert de son atterrissage forcé. Plus de vingt pterks étaient perchés sur l'engin, s'acharnant à frapper le métal de leur bec recourbé.

-Curieux, dit Marc. Pourquoi insistent-ils ainsi? D'ordinaire ils se montrent plus intelligents.

Les Terriens étaient maintenant à moins de cent mètres du canot. Marc, sans hésiter, ordonna:

-Utilise ton laser, Ray, et débarrasse-nous de ces bestioles.

-Dommage ! Ces petites bêtes nous avaient rendu service en boulottant l'équipe de Solaniens qui nous poursuivait.

Des jets laser jaillirent de l'index de l'androïde à une cadence accélérée. Bientôt il ne resta plus un pterk vivant.

-Dépêchons-nous, dit Marc. Surveille le ciel, il peut en arriver d'autres à tout moment.

Il cogna du poing sur le système d'ouverture qui refusa de fonctionner.

-Sont-ils tous morts? murmura-t-il.

A ce moment, quelques coups répondirent à son appel. Marc pianota sur le métal à un rythme régulier. Le battant pivota, s'entrouvrant pour montrer le visage blême de Parker.

-Stone, souffla-t-il en reconnaissant son sauveteur. Prenez garde, des monstres...

-Ne craignez rien, Ray a fait le ménage. Toutefois il ne serait guère prudent de nous attarder.

Derrière Parker, deux cosmatelots émergeaient du canot, aussi livides que leur supérieur hiérarchique.

-Appelle le module.

-C'est fait ! Il sera là dans vingt secondes. Je me suis douté que vous n'aviez aucunement l'intention de vous installer ici pour pique-niquer.

Effectivement le module se posa à proximité du canot.

-Un instant, colonel, dit Marc en saisissant Parker par le bras. Vous devez enclencher le processus d'autodestruction de votre canot. Nous avons assez perturbé ces malheureux primitifs sans leur laisser en plus une preuve tangible de notre passage.

-Filons rapidement, répondit sèchement Parker en se dégageant d'une secousse.

Son regard scrutait le ciel, anxieux de voir revenir les pterks. Marc croisa les bras et s'adossa contre le véhicule.

-Je suis désolé, mon colonel, nous ne décollerons pas tant que le processus ne sera pas engagé. Ce sont mes ordres.

-Et les miens sont de partir immédiatement, capitaine. Je suis votre supérieur, vous devez obéir.

-Vos galons ne vous autorisent pas à violer un important règlement.

Parker hésita un instant mais il eut la sagesse de capituler :

-Entendu!

Il pénétra dans le canot pour s'en extirper après deux minutes.

-Vous avez de la chance ! Le système fonctionnait encore. Maintenant je vous informe que si nous sommes encore ici dans quatre minutes, nous sauterons avec le canot.

Ils gagnèrent le module où les cosmatelots étaient déjà installés.

-Après vous, mon colonel, dit Marc.

Parker abrégea les mondanités et sauta dans l'appareil. La porte refermée, il poussa un tel soupir de soulagement qu'on aurait cru une amorce de cyclone. Tandis que Ray décollait, Marc dit:

-J'ai suivi votre combat, colonel, et je tiens à vous féliciter pour votre bravoure.

Parker se rengorgea et répondit d'un air modeste :

-J'avoue cependant que je n'ai pas été mécontent de voir arriver l'escadre. J'espérais un peu de répit lorsque ce Solanien m'a envoyé une torpille. Heureusement il n'a pas eu le temps de récidiver car les deux avisos l'ont détruit.

-Ils étaient trop loin, rectifia Marc. Ce sont mes missiles qui l'ont intercepté.

Le colonel poussa un petit sifflement.

-Dans ce cas, mon équipage vous doit la vie. Nous avons eu juste le temps de gagner les canots de survie. L'explosion du croiseur a endommagé mon engin et j'ai dû me poser en catastrophe sur Korz. Je ne pouvais imaginer que cette planète était peuplée de tels monstres.

-D'ordinaire les pterks n'attaquent pas l'homme.

-Je suis donc l'exception, bougonna le colonel. A peine étions-nous sortis du canot qu'ils ont attaqué. Je me souviens très bien que j'ai juste eu le temps de cueillir un joli tournesol violet au parfum très agréable.

Marc éclata de rire. -Que ne le disiez-vous ? Vous avez invité les pterks à leur festin de prédilection ! Vous avez eu beaucoup de chance de pouvoir regagner votre abri!

Informé des particularités de la fleur pourpre, Parker s'essuya le front tandis que Marc ironisait:

-Envoyé comme agent secret sur Vénusia, vous avez noté mon manque de discrétion car j'avais mis la planète à feu et à sang. Diplomate sur Lesban, j'ai manqué déclencher un conflit interplanétaire et vous avez bien ri de la situation. A mon tour de sourire. Si un aspirant du Service de Surveillance des Planètes Primitives avait agi comme vous, le général Khov le virerait immédiatement.

Le colonel leva la main et grimaça:

-Je vous propose une trêve. Oublions nos différends pour ne nous souvenir que du jour où nous combattions côte à côte sur Juvénia!

-Armistice conclu !

-Merci ! Je reconnais que j'ai été heureux de vous voir apparaître. Pourquoi l'amiral Van Cruss n'a-t-il pas envoyé une patrouille?

-Votre appareil s'étant malencontreusement glissé sous les arbres, il était impossible de le localiser du ciel. L'amiral avait donc décidé d'abandonner les recherches, vous pensant mort. Toutefois, il m'a laissé tenter ma chance car je ne dépends pas directement de son autorité.

-Seul, comment avez-vous pu me retrouver en quelques heures?

-Vous devez la vie à une trentaine de primitifs qui ont accepté de ratisser la forêt parce qu'ils croyaient avoir envers moi une dette de reconnaissance.

Parker pressa doucement l'épaule de Marc.

-Merci!

L'accostage du Neptune interrompit la conversation. Dès que la pression fut rétablie dans la soute, les rescapés gagnèrent la cabine-salon. Elsa les attendait, vêtue d'une élégante combinaison argentée.

-Soyez les bienvenus à mon bord, sourit-elle. Colonel, je n'oublie pas que votre arrivée opportune m'a sauvé la vie sur Vénusia.

Se tournant vers les cosmatelots très intimidés par le luxe des installations, elle leur dit gentiment:

-J'aimerais que vous vous considériez comme mes invités. Je pense que vous accepterez de prendre un rafraîchissement.

Elle fit rapidement le service. Marc ne pouvait s'empêcher d'admirer ses mouvements toujours pleins de grâce. Lorsque chacun fut pourvu d'un gobelet, elle leva le sien.

-A la réussite de votre mission, messieurs!

Parker et les deux cosmatelots répondirent avec un ensemble parfait:

-Au capitaine Stone!

Le toast porté, Parker s'inclina devant Elsa.

-Me permettez-vous de m'absenter un instant, je désire rendre compte à l'amiral Neuman.

-Faites, colonel. Le commandant Yuko est

au poste de pilotage et vous indiquera la vidéo-radio.

Indécis, les deux cosmatelots s'étaient levés.

-Des cabines sont à votre disposition.

A ce moment un officier pénétra dans le salon. Il était jeune, impeccablement sanglé dans son uniforme et arborait une mine sèche et austère. Ses yeux s'arrondirent en voyant Marc et Ray uniquement vêtus de leur pagne.

-Oui commande ce bâtiment ? fit-il d'un ton excédé.

-Intéressante question à laquelle il est difficile de répondre, ironisa Elsa. D'ordinaire le commandant Yuko assure la manoeuvre du Neptune mais depuis quelques jours le capitaine Stone a cru bon de le réquisitionner au nom de la Sécurité Galactique.

Le regard méprisant que lui lança l'officier, n'échappa pas à Marc.

-Je vois que vous admirez la nouvelle tenue camouflée que nous avons ordre de tester. Elle est simple, pratique et surtout économique. Dans mon rapport, je pense en recommander l'adoption à l'Etat-major.

Le lieutenant ne put contenir un haut-le-corps.

-Je... je voudrais savoir qui est le responsable financier, bafouilla-t-il.

-En générai, ce genre de détail me regarde, persifla Elsa. Les hommes se réservent la gloire et ne s'attachent guère aux détails matériels. Que désirez-vous?

Sortant une liasse de papiers de sa poche, il les lui tendit.

-Selon les instructions de l'amiral, nous venons vous livrer douze missiles CY 21 et une recharge pour le générateur.

-Très bien, ensuite?

-Je dois donc savoir à qui les dépenses afférentes doivent être imputées?

-Amusant, grogna Marc. Est-ce votre seul souci dans l'existence?

Le lieutenant se redressa vivement.

-Une bonne administration est indispensable à toute armée. La moindre négligence serait une faute grave.

Conciliante, Elsa tendit la main pour saisir les papiers. Après les avoir parcourus, elle griffonna quelques lignes et les rendit à l'officier. Ce dernier vérifia les signatures et rougit brutalement.

-Mais... mais... ce n'est pas possible, vous avez mentionné le nom de l'amiral Neuman, or je n'ai aucun ordre écrit de sa part ! Je ne puis accepter...

Elsa s'avança, les poings campés sur les hanches.

-Ecoutez bien, jeune homme, déclara-t-elle d'une voix glaciale. Parce que je me trouvais dans ce secteur, la Sécurité Galactique a trouvé commode d'utiliser mon astronef. Deux fois, j'ai pensé mourir tandis que le capitaine Stone se lançait dans des combats plus que hasardeux. J'ai tout accepté parce que je savais l'avenir de l'Union Terrienne en jeu et que j'éprouve une vive admiration pour le courage de Stone. Maintenant que le cauchemar est terminé, je trouve très déplaisant qu'on veuille me faire payer le matériel utilisé par les militaires. J'estime donc logique que vous présentiez votre facture à la Sécurité Galactique. Si vous croyez cela impossible, reprenez vos engins. Je m'adresserai directement à Collins, le ministre de la Guerre qui est un excellent ami. Je suis persuadée que dans l'heure qui suivra, il saura donner les ordres nécessaires.

Les joues poupines du lieutenant se décolorèrent.

-Je suis désolé, Miss Swenson, je ne faisais qu'appliquer le règlement. Je crois qu'en faisant une demande spéciale sur le formulaire SK 2001, il sera possible, à titre exceptionnel, d'obtenir...

De plus en plus furieuse, Elsa reprit:

-Laissez-moi encore vous donner un conseil! Effectuez un stage dans une unité combattante. Vous comprendrez alors ce qu'est la véritable existence d'un militaire.

A l'instant où le malheureux officier allait sortir, Marc le rappela :

-Lieutenant, je suppose qu'on vous a appris que la discipline faisait la force principale des armées.

-Oui... Enfin...

-Dans ce cas, vous n'êtes pas dispensé de saluer un supérieur avant de sortir. Maintenant vous pouvez disposer.

La porte refermée, Marc et Elsa éclatèrent de rire.

-Donne-moi à boire, dit-elle. Ce jeune homme glacé m'a mise hors de moi.

-La colère te rendait belle à damner un saint!

Elsa trempa ses lèvres pulpeuses dans son verre et sourit à Marc.

-En réalité, j'ai été injuste. J'aurais dû assumer les frais.

-Mais pourquoi?

-Réfléchis un peu. Bien que tenue secrète, la mobilisation de l'escadre n'est pas passée inaperçue. La rumeur d'une guerre imminente a filtré et les actions cotées en bourse ont baissé très sensiblement.

-Je ne vois pas ce qui peut te réjouir.

Elsa passa une langue gourmande sur ses lèvres.

-Il s'est trouvé que j'étais la première, avant même le Président, à savoir que l'Union Terrienne avait remporté une victoire décisive et que le danger était écarté. J'ai donc envoyé à mon banquier des ordres d'achats massifs. Dans quelques jours, lorsque sera connue la défaite de Solan, toutes les actions remonteront, ce qui me laissera un bénéfice largement supérieur au prix de ces joujoux !

Marc leva son verre.

-A la plus jolie femme d'affaires de la Galaxie !

L'interphone résonna.

-Message de l'amiral Neuman, annonça Yuko.

-Passez-le au salon.

Le visage de Neuman parut sur l'écran.

-Parker m'a fait son rapport. Félicitations pour l'avoir récupéré. Votre mission étant terminée, vous pouvez regagner la Terre. L'amiral Van Cruss accepte de mettre un aviso à votre disposition.

Il s'interrompit avant d'ajouter d'un air entendu:

-A moins que Miss Swenson ne consente à vous conserver à son bord, bien que vous ayez déjà beaucoup abusé de son hospitalité.

Elsa colla sa tête contre celle de Marc pour entrer dans le champ de la caméra.

-Comme je souhaite retourner immédiatement à New York, cela ne me dérangera pas. Avec Marc bord, je risquerai en aucun cas d'être arraisonnée par un quelconque pirate. Je pense aussi qu'il aura droit à une permission.

-Son détachement à la Sécurité Galactique prend fin dès la fin de sa mission et il doit réintégrer le S.S.P.P. Toutefois, comme il se pourrait que j'aie quelques détails à lui demander, je pense qu'il peut rester encore quinze jours sur la liste de mes effectifs.

-Merci, amiral, dit Marc. Surtout n'oubliez pas d'informer la banque que mon compte n'est plus bloqué. Sur Terre, j'aurai besoin d'argent !

-C'est déjà fait!

L'écran éteint, Elsa murmura:

-Non...

-Comment non?

-Tu n'auras pas besoin d'argent. Nous passerons ces quinze jours sur mon îlot du Pacifique. Comme nous serons seuls tous les deux, tu n'auras aucune occasion de dilapider ta fortune.

Marc approuva ce programme.

-A tes ordres, chérie.

-Parfait ! Voilà comment je conçois la vie militaire. De plus, je t'informe que je t'ai installé dans ma cabine, il nous faut bien occuper le temps du voyage. Exécution!

Enlacés, ils quittèrent la cabine-salon.

FIN