Oliver eut beaucoup de peine à dissimuler un soupir de soulagement. Un chef de la sécurité ne parle pas au hasard. Nul doute qu'il connaissait la vérité mais il pensait sa version préférable pour tous.

-Donc, l'interrogatoire de Tark a été très instructif. Il a confirmé son état de proxénète. Plusieurs jeunes femmes ont été enlevées et expédiées contre leur gré sur Vénusia.

Marc esquissa un sourire ironique. Vénusia était une planète terramorphe au climat idyllique. Sa pauvreté en ressources minérales et énergétiques l'avait fait abandonner comme terre de colonisation. Elle avait été reprise par un groupe financier qui avait installé un centre de repos pour touristes très fortunés. A dire le vrai, au fil des années, Vénusia était devenue un somptueux tripot et un gigantesque bordel.

-Je crois me souvenir, amiral, avoir effectué une mission là-bas. Votre subordonné, le colonel Parker, qui m'a, à cette occasion, sauvé la vie, ne manque jamais de me rappeler que pour un agent secret, j'avais singulièrement manqué de discrétion. A mon départ, la ville était en révolution, plusieurs bâtiments détruits et le responsable local avait trouvé la mort dans d'étranges circonstances.

-Tout est rentré dans l'ordre très rapidement, dit Neuman.

-Je ne me plains pas de l'aventure, sourit Marc, car à cette occasion, j'ai fait la connaissance de mademoiselle Swenson.

-Tout cela est loin, maintenant.

L'amiral but une nouvelle gorgée. Marc qui trépignait d'impatience, décida de brusquer les événements.

-Si vous disiez ce que vous attendez de moi ?

Très calme, Neuman se contenta de hausser un sourcil.

-Pourquoi aurais-je besoin de vous ?

Un discret sourire étira les lèvres de Marc.

-J'ai beaucoup d'estime pour votre service, amiral, et encore plus d'admiration pour vous. Je vous sais fort occupé. Donc, si vous venez ici, ce ne peut être que pour un motif grave. Enfin, une minable histoire de traites des blanches et même l'enlèvement d'un aspirant ne sont que de petits incidents qui ne devraient pas dépasser le bureau du colonel Still.

Neuman prit le temps de vider son verre et le reposa sur une table basse.

-Le général Khov a raison d'affirmer qu'avec vous, il faut jouer franc-jeu. Voilà, j'ai besoin de vous ou plus exactement de Ray et de vous.

Devant le regard interrogateur de Marc, il reprit :

-Connaissez-vous une secte qui se fait appeler "les adorateurs de Kaal" ?

A l'instant où Marc secouait la tête, Ray intervint :

-Peu avant notre départ, tu as reçu des prospectus sur cette association. Tu les as mis à la poubelle sans les lire.

-Cette secte est justement installée sur Vénusia. Elle est dirigée par un certain Timothy Masson qui, en toute simplicité, se fait appeler le Messie !

-Amusant !

-Je ne suis pas sensible à cette forme d'humour, soupira l'amiral. Cette secte a pour particularité de recruter ses membres dans les milieux les plus fortunés.

-Il y a des farfelus partout.

-Vous avez déjà rencontré Michael Coloman et Georges Penford.

-Effectivement, il m'est arrivé de leur sauver la vie.

-Les croyez-vous en proie à des angoisses existentielles ?--Cela ne m'a pas paru être le cas. -Ils sont cependant devenus des adorateurs de Kaal. Il y a plus curieux encore. Les saviez-vous très généreux ?

Marc ne put retenir un rire ironique. -Coloman est un fieffé rapiat. Il tondrait un oeuf. Lorsque je l'ai récupéré, non seulement il n'a pas proposé de participer aux frais du Mercure mais il ne m'a même pas offert une bouteille ! -Et Penford ?

-C'est un gentleman. Il a de l'allure, de la classe, mais il lui est difficile de renier ses origines écossaises.

L'amiral hocha la tête. -En quelques phrases imagées, vous avez résumé la conclusion de nos ordinateurs. Vous serez donc surpris d'apprendre que tous les deux ont fait don à la secte de la totalité de leur fortune ! -J'avoue la nouvelle invraisemblable. -Or, ils ne s'ont pas les seuls. D'autres millionnaires ont agi de même.

-Chacun est libre de dilapider sa fortune comme il l'entend.

Neuman étendit la main qu'il avait longue et fine avec des ongles soigneusement manucurés. -C'est exact, sauf si cela met la collectivité en danger. Dès à présent, cette secte représente la plus grosse fortune de la Galaxie. Coloman avait pratiquement l'exclusivité de la fabrication des distributeurs alimentaires qui équipent les foyers domestiques et même vos astronefs. C'est également une de ses filiales qui assure l'entretien et les recharges.

-Et les sociétés de Penford, surenchérit Marc contrôlent la fabrication et la distribution des deux tiers des boissons consommées, de l'eau minérale au vieux whisky en passant par les bières, les jus de fruit et nombre de marque de vin.

-Si vous ajoutez que ces adorateurs de Kaal ont aussi reçu en don des sociétés de distribution d'énergie, des mines, des industries mécaniques sans compter deux grosses banques, vous comprendrez que la Sécurité Galactique a de quoi s'inquiéter.

-Je suppose que vous n'avez pas manqué d'ouvrir une enquête.

Un douloureux soupir échappa à l'amiral.

-Vous connaissez le statut très particulier de Vénusia qui est une planète autonome. Le directoire de quatre membres qui la dirige est très jaloux de ses prérogatives. Toute demande d'enquête doit passer par la police locale dont le manque de zèle est notoire. Mon organisation ne peut intervenir qu'en cas de violation flagrante des règles de l'Union Terrienne.

-Compte tenu des distractions très particulières qu'on trouve là-bas, il est évident que les riches clients exigent une discrétion absolue. Ils fuiraient comme une volée de moineaux s'ils apprenaient que la Sécurité Galactique enquête dans le coin. Toutefois, votre organisme possède l'art des missions discrètes.

-J'ai infiltré un agent dans la secte, reconnut Neuman. Malheureusement, il n'envoie que des rapports anodins... trop anodins pour être honnêtes.

Marc proposa de remplir le verre de l'amiral mais ce dernier refusa d'un geste de la main. -Venons-en au but réel de ma visite. Le fait que vous ayez reçu un appel de la secte me conforte dans mon idée. Vous possédez une très jolie fortune dont la Cosmos Jet Corporation est le plus beau fleuron puisque vous en êtes l'actionnaire majoritaire. Vous devriez donc intéresser cette secte. Je souhaite que vous effectuiez un séjour sur Vénusia escorté de Ray qui sera chargé de me faire un rapport quotidien.

Devançant l'objection de Marc, il précisa : -Ray est muni d'un émetteur radio. -Mais pas d'un transmetteur sub-spatial ! -Croyez que je ne l'ai pas oublié. J'ai fait placer autour de Vénusia un microsatellite artificiel indétectable qui retransmettra le rapport. -Il existe un autre problème. Les androïdes personnels ne sont pas autorisés à débarquer sur Vénusia, justement pour éviter qu'ils enregistrent des scènes compromettantes.

Les lèvres minces de Neuman s'étirèrent en un vague sourire.

-Notre service a mis au point un gadget encore secret que Ray aura le privilège d'étrenner. Les contrôles se font par rayons X et scanner ce qui permet de s'assurer du bon état de santé du voyageur. Notre appareil est un leurre qui donne une image très exacte du corps humain.

Marc avala une gorgée de son armagnac avant de murmurer.

-Quand vous préparez des coups tordus, pourquoi faut-il que vous pensiez toujours à moi ? J'appartiens au S.S.P.P. alors que la Sécurité Galactique dispose de centaines d'agents beaucoup plus chevronnés que moi.

-Aucun ne dispose d'une fortune comme la vôtre, ni d'un androïde comparable à Ray. Communiquant télépathiquement avec vous, il est le seul à pouvoir passer pour un humain. Enfin, il y a une autre raison.

L'amiral laissa un instant de silence.

-Nick Tark a confirmé qu'il était responsable de l'enlèvement de Standman. Cette action lui fut commandée par Douglas Burk qui vous a attaqué près d'Ornica. Une brève enquête a trouvé que Burk était employé par les adorateurs de Kaal depuis sa démission du S.S.P.P.. La coïncidence est pour le moins curieuse. Acceptez-vous cette mission ?

Marc prit le temps de la réflexion.

-Je dois avouer, amiral, que je préférerais m'abstenir.

-Même si je vous disais que mademoiselle Swenson s'est embarquée, il y a quarante-huit heures, sur un cargonef en partance pour Vénusia.

Un sursaut secoua Marc et son regard se durcit. Les traits crispés, il grogna :

-Cela modifie radicalement mon opinion première. Quand puis-je décoller ?

-Dès que votre astronef sera prêt.

Questionné, Ray répondit :

-Tout est paré ! Dès l'atterrissage, j'ai reconstitué le stock de missiles et complété les réserves d'énergie.

-Parfait, vous êtes prévoyant, dit Neuman.

Sortant de sa poche une boite plate d'une dizaine de centimètres de côté et d'un centimètre d'épaisseur, il la tendit à l'androïde ainsi qu'une feuille de papier.

-C'est à brancher sur le circuit B 27. Voici les instructions. Tu dois les apprendre car cette notice ne peut quitter le service.

Ray rendit le papier après y avoir jeté un simple coup d'oeil. L'amiral voulut protester puis se ravisa.

-J'oublie toujours que tu assimiles une page en une fraction de seconde. Voici également une plaque d'identité au nom de Ray Johnson. C'est le patronyme que tu utilises le plus souvent quand tu veux te faire passer pour un humain.

Il se tourna alors vers Oliver resté muet dans son coin, comme s'il découvrait seulement sa présence.

-Encore un détail. Je ne serais pas opposé à ce que l'aspirant Standman vous accompagne. Il est bien propriétaire d'une mine de pierres précieuses sur Terrania XXV ?

Marc acquiesça en précisant :

-Celle-ci produit la moitié des "aiguës changeantes" vendues sur terre. Vous connaissez ces pierres dont la couleur se modifie selon l'heure. Les élégantes terriennes en raffolent.

-Je pense que cela pourra aussi intéresser la secte. Son seul travail sera de retrouver mon agent et de prendre contact avec lui.

-Comment l'identifierai-je ? demanda Oliver.

-Vous la connaissez puisque vous avez effectué une mission en sa compagnie sur Sarkal. En effet, c'est le lieutenant Church que j'ai envoyé espionner la secte. Je me suis laissé dire que vous vous étiez fort bien entendu et que, pour jouer votre rôle sur cette planète primitive, vous l'aviez même épousée. A lire entre les lignes son rapport, il semble qu'elle n'a pas gardé un trop mauvais souvenir de ce sacrifice à la réussite de sa mission.

En dépit de ses efforts, Oliver sentit ses joues s'empourprer et c'est d'une voix étouffée qu'il répondit :

-J'accepte la mission, amiral. Je vous demanderais seulement, à notre retour sur terre, de lui accorder huit jours de permission en ma compagnie.

-Accepté ! Je donnerai les instructions nécessaires le moment venu.

Neuman se leva et tendit la main à Marc.

-Merci, capitaine. Prenez bien garde à vous. Le général Khov ne me le pardonnerait jamais s'il vous arrivait un accident !

CHAPITRE XIII

Les formalités à l'astroport de Vénusia étaient longues et minutieuses. Une file d'attente s'était formée devant l'unique sas d'accès. Devant Marc se tenait un petit type rondouillard avec un visage lunaire, des yeux globuleux et une bouche largement fendue. Il évoquait irrésistiblement une grenouille. Il se tourna vers Marc, esquissant un sourire.

-C'est toujours ainsi ! Ils devraient mieux organiser les arrivées.

En veine de confidences, le batracien poursuivit :

-Je m'appelle Edgar Fergusson. Je possède plusieurs usines de fabrications de téléviseurs tri-di.

Hésitant à l'envoyer promener, Marc se força à répondre :

-Marc Stone, propriétaire de la Cosmos Jet Corporation.

L'annonce impressionna son interlocuteur.

-Une belle société.

-Je n'ai pas à m'en plaindre.

-Est-ce votre première venue sur Vénusia ? Prudent, Marc répondit par l'affirmative.

-Moi, c'est mon troisième séjour. Je n'ai jamais été déçu. Avez-vous retenu un hôtel ?

-Pas encore.

-Je vous conseille l’Aphrodite. Il a été entièrement reconstruit il y a trois ou quatre ans et les hôtesses d'accueil sont charmantes.

Un rude effort fut nécessaire à Marc pour conserver son sérieux. Il était en grande partie responsable des destructions.

La file progressait lentement. Marc arriva devant un policier qui glissa sa plaque d'identité dans la fente d'une machine. Un feu vert ne tarda pas à apparaître.

-Bienvenue sur Vénusia, monsieur Stone.

Ray qui le suivait émit à cet instant :

-Espérons que le gadget de l'amiral sera efficace. Des détecteurs me sondent. Ils sont astucieusement dissimulés dans le plafond, juste devant le policier.

Marc retint son souffle jusqu'à ce que la lumière verte clignote. Le flic, blasé et se fiant à ses appareils, débita machinalement :

-Bienvenue sur Vénusia, monsieur Johnson.

Les Terriens sortirent de l'astroport. Des dizaines de trans stationnaient dans un aimable désordre. Des jeunes gens et des filles, tout sourire dehors, proposaient divers hôtels.

-Monsieur Stone !

Le type qui ressemblait à une grenouille faisait de grands gestes.

-Voulez-vous profiter de mon trans ?

-Volontiers, monsieur Fergusson.

Le trajet jusqu'à la ville demandait un bon quart d'heure. La route serpentait dans un bois dont les arbres feuillus dispensaient une ombre agréable. Marc était perdu dans ses souvenirs.

Sans transition, la forêt fit place à la ville. Des avenues rectilignes délimitaient des cubes de béton tous édifiés au milieu de grands espaces verts.

Le trans, piloté par un androïde, s'immobilisa devant l'hôtel entouré de grands palmiers. Sur l'arrière se trouvait une vaste piscine où des baigneurs se pressaient.

-Je pense que je me plairai ici, ironisa Oliver qui fixait une jolie blonde vêtue d'un minuscule string.

En vieil habitué, Fergusson ricana :

-Méfiez-vous, jeune homme. Beaucoup de ces créatures de rêve sont des androïdes chargés d'appâter les clients. Notez qu'elles sont souvent plus agréables et dociles que des filles de chair.

Le robot réceptionniste attribua sans difficulté trois chambres communicantes aux Terriens. Après une rapide installation, ils se retrouvèrent dans la chambre de Marc. Un distributeur automatique proposait toutes les boissons possibles, du simple soda aux alcools les plus rares. Tout n'était qu'une question de prix !

-Comment comptes-tu entrer en contact avec les adorateurs de Kaal ? demanda Oliver.

-Pas de précipitation, dit Marc. Cela semblerait suspect. Laissons-les faire les premiers pas. Ils sont certainement bien organisés et doivent se faire communiquer la liste des arrivants. Voyons les distractions qui nous sont proposées.

Un vidéoscope trônait dans un angle. Le contact établi, une fort jolie brune apparut sur l'écran. Avec un sourire enjôleur, elle énuméra les diverses distractions. Activités sportives, séances de mise en forme, massages thérapeutiques devenant de plus en plus suggestifs. Sous le vocable psychothérapie étaient offertes une grande variété de drogues et stupéfiants dont la seule détention aurait entraîné sur Terre de sévères condamnations.

-Comment les autorités peuvent-elles tolérer un tel trafic ? gronda Oliver.

-La capacité d'indignation est un privilège de la jeunesse, soupira Marc. Vénusia est un territoire indépendant.

De la même voix douce, la présentatrice décrivait maintenant les divers casinos. Tous les jeux de hasard y étaient proposés. Une parfaite rétrospective, depuis l'ère primitive jusqu'aux jeux électronique les plus perfectionnés. Enfin, les Eros-Centers vantaient la chaleur et la qualité de leur personnel. Toutes les variétés d'humanoïdes de l'Union Terrienne se retrouvaient pour promettre un merveilleux voyage au septième ciel. Un monstrueux étalage de tous les vices humains !

-A vous dégoûter de faire normalement l'amour, grimaça Oliver.

L'écran éteint, Marc proposa :

-Allons d'abord nous offrir un repas gastronomique puis nous ferons une tournée des casinos. C'est encore là qu'on peut le mieux faire étalage de sa fortune.

Oliver dont l'estomac avait de grandes capacités d'absorption, souscrivit à ce programme. Seul Ray restait immobile. Comme Marc se dirigeait vers la porte, il lança : -Attendez un instant !

Du bar automatique, il sortit deux verres de soda.

-Buvez ça d'abord.

Amusés, les deux astronautes obéirent. Le liquide avait un goût curieux et Marc réagit le premier.

-Pourrais-je savoir ce que tu nous as fait absorber ? -J'ai longuement réfléchi à votre histoire. Comme l'amiral, j'ai horreur des coïncidences. -Ce qui signifie ?

-Le lieutenant Burk explore Ornica puis se fait recruter par les adorateurs de Kaal. Ce ne peut être sans raison. A mon avis, Coloman et Penford, ces deux radins, en abandonnant leur fortune, se conduisent exactement comme les disciples de Chaldas.

-L'hypothèse est plausible admit Marc. -C'est pourquoi, je vous ai administré une dose de l'antidote du vieux prêtre que j'ai pris soin de conserver. Je veux être sûr qu'au cours de cette soirée, un plaisantin ne tentera pas de vous droguer. -Le vieux nous en a déjà fait boire. -Nous ignorons la durée d'action de cette préparation artisanale. Les universitaires à qui j'ai fourni des échantillons de la drogue et de son contraire n'ont pas terminé leurs études. Ainsi serais-je rassuré pour les prochaines vingt-quatre prochaines heures tout au moins.

***

Le dîner pris au restaurant de l'hôtel fut très réussi, préparé par un chef-cuisinier de grande classe et servi par des androïdes à morphologie féminine des plus agréables. Seule la vue des prix aurait pu couper l'appétit; Un mois de solde d'un officier du S.S.P.P..

Toujours bougon, Ray émit : -Je prépare la note de frais pour l'amiral mais je ne sais s'il appréciera ce genre de dépenses.

Sortis du temple de la gastronomie, les Terriens traversèrent un parc bien entretenu où de gros buissons fleuris alternaient avec de grands arbres aux larges feuilles. Des projecteurs camouflés dispensaient une lumière tamisée, mettant en valeur le coloris des fleurs.

Ils arrivèrent au casino. Réception empressée par une hôtesse de chair qui conduisit aussitôt les clients potentiels au bureau de change. Naturellement, les cartes de crédit étaient acceptées !

Ray eut un hoquet de surprise quand il vit Marc acheter pour deux cent mille dols de jetons. -Tu es fou ! Il est certain que la Sécurité Galactique ne couvrira pas cette dépense. -Pas de pessimisme ! On n'attrape pas des mouches avec du vinaigre disait ma grand-mère. Il faut se faire remarquer d'emblée. Prenez ces jetons et allez jouer.

Avec un sourire radieux, l'hôtesse précéda le trio dans une vaste salle brillamment éclairée. Un groupe de jeunes femmes se tenait près de la porte.

-Myrna, voulez-vous montrer à monsieur Stone les différentes tables de jeu ?

Une très jolie blonde, grande, élancée, avança. Elle était vêtue d'une robe noire moulante, ne laissant rien ignorer de ses charmes indéniables. Un décolleté vertigineux montrait une poitrine altière qui se passait allègrement de soutien-gorge. Enfin, la robe largement fendue sur le côté gauche dévoilait par instant une cuisse fuselée. Nancy et Sonia, deux brunettes avenantes prirent en charge Ray et Oliver.

La blonde mena Marc à une grande table autour de laquelle se pressaient de nombreux joueurs. C'était une roulette électronique assez complexe comportant cent numéros et des combinaisons multiples. Marc commença à jouer, perdant avec une touchante régularité.

Oliver s'intéressa à une partie de poker où les cartes étaient remplacées par des plaques magnétiques. Ray se promena un long moment, étudiant toutes le» formes de jeu. La brune Nancy commençait à s'impatienter. -Ici, on vient pour jouer. -Je le sais mais cela semble bien compliqué.

La fille le traîna vers une batterie de machines à sous.

-C'est très simple. Tu glisses ton jeton dans la fente et tu appuies sur ce bouton. Tu gagnes si tu as trois figurines identiques.

Voyant son client scruter l'engin, elle ironisa : -Cela ne mord pas !

Elle ne pouvait deviner que la vision X de l'androïde disséquait les entrailles de la machine. Au grand soulagement de Nancy, il introduisit enfin un jeton.

-Perdu ! Il faut recommencer plusieurs fois si tu veux avoir une chance de gagner.

Docile, Ray obéit. A la sixième fois, Nancy ne remarqua pas que son client laissait un peu plus longtemps le doigt sur le contacteur. Une petite cloche retentit et l'engin vomit une gerbe de jetons.

-Extraordinaire ! Tu as décroché le super gros lot.

Amusée, elle l'aida à ramasser son gain. Généreux, Ray lui glissa dans la main une pile de jetons qu'elle s'empressa de faire disparaître dans son décolleté.

-Une bien jolie tirelire. Je me sens venir des instincts de pilleur de tronc !

-Allons ! Sois sérieux, la soirée ne fait que commencer. Viens à la table de roulette tenter ta chance. Je sens que tu vas gagner.

Au grand désespoir de la fille qui voyait sa prime de rendement s'éloigner, il déposa ses mises avec parcimonie sur le tapis. En face de lui, la pile de jetons de Marc avait déjà diminué de moitié.

L'androïde croupier lançait le mécanisme quand Ray émit :

-Marc, le soixante-trois.

Sans hésiter, ce dernier posa une plaque de dix mille dols sur le numéro suggéré. Les chiffres clignotèrent sur l'écran à grande vitesse puis se stabilisèrent.

-Le soixante-trois gagne.

Un murmure courut autour de la table tandis que le robot, indifférent, poussait vers Marc un tas impressionnant de jetons. Quatre-vingt-seize fois sa mise !

En réponse au regard interrogateur de Marc, l'androïde émit ironiquement : -Je trouve ridicule que tu gaspilles ton argent. Ces casseroles électroniques sont très primitives et il n’est guère difficile de les influencer.

Le Terrien ramassa ses gains et se leva en dépit des suggestions de Myrna. -Profitez de votre chance, continuez à jouer.

Devant son refus, la blonde l'entraîna vers le bar où ils ne tardèrent pas à être rejoints par Ray et Oliver, escortés de leurs compagnes. -J'ai tout perdu, dit-il avec une grimace de dépit, en montrant ses poches vides. -Un proverbe affirme: malheureux au jeu, heureux en amour. Tu as encore la meilleure part. Buvons à mon succès. Le Champagne s'impose, du vrai !

Myrna se leva aussitôt. -Je m'en occupe, sinon les androïdes sont capables de vous refiler une mauvaise imitation.

Dans un angle du bar, Edgar Fergusson était en grande conversation avec une sculpturale rouquine dont il palpait les cuisses avec ravissement. Apercevant Marc, il lui lança un clin d'oeil puis reprit ses investigations digitales.

La blonde revint avec un plateau portant six coupes tandis qu'un androïde serveur amenait un seau à glace où refroidissait la précieuse bouteille.

Renvoyant le serveur, elle entreprit de faire sauter le bouchon et d'emplir les coupes qu'elle distribua.

-A votre heureux séjour sur Vénusia.

Chacun vida son verre d'un trait. Trente secondes plus tard, Ray émit : -Gagné ! Ta charmante amie vient de nous administrer la même drogue que Chaldas.

Myrna pariait maintenant d'une voix chaude, prenante.

-Connaissez-vous les adorateurs de Kaal ? -Sur Terre, j'ai reçu un prospectus, bredouilla Marc en secouant la tête comme s'il éprouvait un malaise.

Le regard brillant, la blonde reprit : -C'est un groupement très intéressant. Le Messie vous conduira au bonheur et à l'épanouissement sexuel. Venez, je veux vous présenter. Il y a justement une réunion ce soir.

Sans gêne aucune, Myrna plongea la main dans la poche de Marc et sortit deux plaques de dix mille dols qu'elle tendit aux filles. -Retournez à l'entrée. Ceci vous dédommagera d'avoir perdu votre client.

Elle regarda les trois hommes dont le regard devenait flou. -Suivez-moi, suivez-moi !

Elle se dirigea vers la sortie, suivi des Terriens. Dans son coin, la rouquine agissait de même avec sa grenouille humaine et elle ne tarda pas à les rejoindre.

Devant le casino, un vaste trans luxueux attendait. Myrna fit monter ses passagers puis elle dit : -Merci, Marion, je les prends en charge. Demain, tu recevras ta récompense au tarif habituel.

CHAPITRE XIV

Le temple des adorateurs de Kaal était une vaste construction pyramidale en acier et plastex recouvert d'une mince pellicule d'or. Il était édifié à la limite de la ville et de l'immense parc d'agrément qui s'étendait sur une vingtaine de kilomètres de profondeur. Au-delà commençait la vraie forêt vierge. Vivement éclairé par des projecteurs, le temple ressemblait à un fragment de soleil.

Le trans s'immobilisa près d'une porte latérale, discrète et bien camouflée. Myrna fît pénétrer les Terriens dans une pièce de dimension modeste. Un spot fixé au plafond jetait une lumière crue. Assis derrière une table, le Messie regardait les arrivants. Il avait un visage rond, des traits grossiers. La coloration ardoisée de sa peau traduisait son origine solanienne. Il portait une longue chasuble dorée qui laissait ses bras nus. De nombreux bracelets d'or ciselés entouraient ses avant-bras.

-Voilà tes zèbres. Es sont dans un état crépusculaire.

-Pas de problème ?-Aucun. Le plus grand est Stone.

-La Cosmos Jet Corporation ?

-Exact ! Il a eu la chance de réussir un joli coup de roulette et j'ai craint qu'il ne s'attarde à la table de jeu, ce qui nous aurait obligés à remettre notre opération à demain.

-Et les autres ?

-Celui qui ressemble à un crapaud est Fergusson. Belle société cotée au second marché. Il pèse quelques millions de dols. Le jeunot est propriétaire d'une mine de pierres précieuses sur Terrania XXV. J'ai toujours rêvé de porter un collier d'aigues changeantes.

-Nous verrons plus tard, grogna le Messie. Et le dernier ?

-C'est l'assistant de Stone ou son garde du corps. Il semble qu'il le suit partout. Je n'ai pas voulu le laisser dehors. Pour retrouver son patron, il aurait été capable de causer un scandale aux portes du temple.

-Tu as eu raison mais je n'ai pas de marchandise à gâcher pour lui. Tu diras à Youri et à Tsin de nous en débarrasser cette nuit même. Il est inutile de traîner.

La blonde consulta son bracelet-montre.

-Bientôt minuit. La cérémonie va commencer. As-tu préparé les boissons ?

-Elles sont sur l'autel. Malheureusement ce sont nos dernières provisions.

-As-tu des nouvelles de Burk ?

-Aucune ! Depuis cinq jours, je tente en vain de le joindre.

-Il est toujours sur sa fichue planète ?

-Je n'en suis pas certain. Je redoute qu'il ait eu un accident. Les planètes primitives rie sont pas des jardins d'agrément.

-Personne ne peut-il le remplacer ?

-Tu sais bien que c'est impossible. Dans nos conventions, Burk se réservait l'exclusivité de la fourniture de la drogue. Il a toujours refusé de nous dire sur quelle planète il l'avait trouvée. Une manière de nous obliger à tenir nos engagements. Il était du genre méfiant.

-Sais-tu combien de temps ses effets persistent ?

-D'après Burk, à peine un mois.

-Que comptes-tu faire sans cette mixture ?

-Cette comédie commence à me peser. Je n'ai plus besoin que d'une semaine. Ensuite, on bazarde tout et on s'en va. A nous, la grande vie !

L'idée arracha un sourire à la blonde.

-Comment feras-tu en aussi peu de temps ?

-Demain la fille et ceux-là effectueront leur donation au cours d'une cérémonie officielle devant les caméras de télévision. Ensuite, j'ai pris contact avec un banquier de Solan. Il est prêt à nous racheter tous nos avoirs pour le quart de leur valeur.

-Seulement ? s'étonna Myrna.

-Réfléchis ! Les fortunes cumulées de tous ces gens représentent des milliards de dols. Des chiffres à donner le vertige. Mieux vaut vingt-cinq pour cent d'un énorme tas de fric plutôt que cinquante pour cent de rien du tout.

-N'aurais-tu pas pu obtenir un supplément de ton financier ?

-Non, mais j'ai exigé qu'il paie comptant. Même pour lui, ça fait un sacré paquet d'oseille à mobiliser.

-Si Burk arrive avant la fin du mois, ne pourrait-on continuer encore un peu ?

-Ce ne serait pas prudent. Nous avons écumé la moitié des grosses fortunes de la Terre. Crois bien que la Sécurité Galactique ne va pas rester inactive.

-Elle ne peut enquêter sur Vénusia. Les membres du directoire l'en empêcheront. Tu les as suffisamment arrosés pour cela.

-Il leur sera difficile de résister à une demande pressante du Président de l'Union Terrienne, d'autant que nombre de commerçants locaux commencent à voir d'un mauvais oeil la mise hors circuit de quelques uns de leurs meilleurs clients. Crois-moi, dans toute combine, et celle-ci est fabuleuse, il faut savoir s'arrêter à temps.

Désignant les Terriens restés immobiles, il reprit :

-Emmène-les dans la grande salle pour achever de les mettre en condition. J'appelle Youri et Tsin qui s'occuperont du quatrième.

***

Le trans progressait à allure modérée poussé par ses antigrav. Youri, un colosse blond à l'allure placide, le pilotait. Sur le siège arrière, Tsin surveillait de ses yeux bridés le type qui somnolait. Tous phares allumés, le véhicule effectuait un slalom entre les arbres.

-Nous sommes sortis du parc, grommela Youri. Il n'y a plus aucun chemin praticable. -Avance encore un peu, dit l'asiate de sa voix aiguë. Il ne faut pas qu'on retrouve notre client. -Aucun danger ! Les types riches et même la police n'auraient jamais l'idée de se risquer à plus de cinq cents mètres de la ville.

Le trans s'immobilisa, des buissons touffus l'empêchant de progresser plus loin. Les passagers descendirent. Youri sortit du coffre une pelle et l'enfonça dans le sol.

-Attends ! Inutile de te fatiguer, dit Tsin avec un sourire froid. Le type creusera à notre place. -Normal, s'esclaffa Youri, puisque c'est lui qui en profitera.

L'asiate tendit la pelle à Ray en lui ordonnant de se mettre au travail. L'androïde dit alors d'une voix douce... trop douce : -Si je comprends bien, vous comptez m'assassiner et enterrer mon corps dans cette forêt. -Pour-un type en état crépusculaire, tu piges vite, ricana Tsin.

-Ainsi, vous commettriez un crime de sang froid. Je ne puis le croire.

La question déclencha une crise d'hilarité chez les deux nervis.

-Ne t'inquiète pas. Tu ne seras pas le premier que Tim Masson nous ordonne de liquider. Il ne s'intéresse qu'aux mecs bourrés de fric et fait disparaître les autres. Tu seras le cinq ou sixième à pourrir dans le coin. Je n'ai pas la mémoire des nombres.

-Iriez-vous jusqu'au meurtre d'un policier ?

Nouvel accès de rire.

-Ici, nous n'en avons pas eu l'occasion mais sur Terre, il nous est arrivé de descendre quelques flics.

-Fort bien, vos aveux ont été enregistrés !

Le ton sec, tranchant, fit sursauter les deux hommes.

-Je suis agent de la Sécurité Galactique. Vous êtes en état d'arrestation. Après votre extradition, vous serez traduits devant l'ordinateur judiciaire de la terre. Veuillez me rendre vos armes.

Tsin réagit le premier. Il pointa son pistolaser vers Ray, vite imité par Youri.

-Je vous informe qu'en cas de rébellion, je suis autorisé à faire usage de la force.

-Tu ne manques pas d'estomac, grinça l'asiate. Ce n'est pas un minable flic qui nous mettra en cabane.

Indifférent, Ray poursuivit :

-Dernière sommation.

Les deux nervis tirèrent en même temps. Ils ne comprirent leur erreur qu'en... enfer. Au contact du champ protecteur, les rayons laser ne produisirent qu'un grésillement ridicule. Aussitôt un éclair mauve, traduisant la décharge d'un désintégrateur, illumina la nuit. Les deux hommes disparurent comme aspirés par une gigantesque et invisible mâchoire. Ils n'avaient pu deviner que l'avant-bras gauche de Ray dissimulait une telle arme.

L'androïde monta dans le trans, fit un rapide demi-tour et partit à vive allure vers la ville. Dix minutes plus tard, il abandonna le véhicule dans un parking et, au pas de course, il alla au temple. Il s'immobilisa devant la porte latérale.

Son ouïe électronique l'assura de la vacuité de la pièce. La porte était verrouillée par une serrure à code mais il l'avait noté quand Myrna, sans méfiance, l'avait composé devant lui.

Le bureau était effectivement vide. Dans un placard, il découvrit une robe jaune dont il s'affubla.

***

La salle principale du temple était de vaste dimension avec un faux plafond pyramidal donnant l'impression d'une échappée vers un soleil stylisé brillamment éclairé.

Au centre, un autel en pierre noire se dressait sur une estrade. Le sol était couvert de coussins moelleux. Environ trente personnes étaient rassemblées, debout, tournées vers l'autel. Ils portaient tous la même robe jaune descendant à terre, les pieds nus, chaussés de simples sandales. Ils étaient immobiles, les yeux tournés vers l'estrade. Dans cette tenue uniforme, il était difficile de reconnaître les hommes des femmes qui semblaient être une dizaine.

Myrna poussa les Terriens vers l'autel. Un gong résonna, grave, puissant, faisant vibrer les murs. Au fond de la salle, une porte s'ouvrit à deux battants. Un nouveau coup de gong retentit, fort, secouant les tripes. Le Messie apparut, suivi de douze jeunes filles. Il marchait lentement, les bras en croix. Il s’immobilisa devant l'autel.

-Jolie mise en scène, songea Marc. Je suis persuadé qu'il existe un système d'enregistrement. -Mes frères, prononça le Messie d'une voix chaude, prenante, ce soir nous avons la joie d'accueillir parmi nous trois nouveaux membres. Que Kaal soit loué !

L'assistance reprit en choeur : -Ka-al...Ka-al.

Un grand geste imposa le silence. -Buvons d'abord l'élixir de la vie éternelle.

Il saisit sur l'autel un grand carafon de cristal et emplit des petites coupes que les filles commencèrent à distribuer aux participants sous la vigilante surveillance de Myrna. Passant devant les Terriens qui s'efforçaient de garder un visage inexpressif, elle murmura :

-Pas pour eux, ils ont déjà eu leur ration au début de la soirée.

Quand chacun eut vidé son verre, Masson reprit :

-Maintenant, prions et méditons.

Les fidèles tombèrent à genoux pour psalmodier : -Ka-al...Ka-al...

Marc murmura à l'oreille d'Oliver : -La technique est la même que sur Ornica mais les coussins rendent la position plus confortable.

Une heure durant, les incantations se poursuivirent, envoûtantes et monotones. Un appel infiltra les neurones de Marc.

-Je suis revenu de ma promenade. Je te rejoins dès que je le pourrais sans attirer l'attention.

Le silence revint enfin et le Messie lança : -Que la fête commence !

Les fidèles se levèrent lentement. Amusé, Marc reconnut Coloman et Penford, parfaitement ridicules dans leur robe jaune. Oliver poussa discrètement du coude Marc.

-Là-bas, Carole Church et près d'elle, c'est Elsa.

Marc réagit aussitôt. -Viens ! Tu sais comment se termine leur fête. Il faut les rejoindre avant le début de l'orgie.

Bousculant discrètement les fidèles qui ne s'écartaient pas assez vite, il saisit le bras d'Elsa à l'instant où un vieux type au visage ridé allait l'enlacer. Quand Oliver arriva près de Carole, Fergusson s'accrochait déjà à elle. Le jeune homme feignit de trébucher, se rattrapa à l'épaule de la grenouille et d'un geste sec le fit pivoter. Une dernière poussée le propulsa dans les bras d'une brunette en tunique courte.

Les Terriens emmenèrent leur conquête dans un angle de la salle. Ils s'allongèrent sur les coussins. Maintenant, l'orgie était lancée. Exactement les mêmes scènes que dans le temple de Chaldas !

Masson et Myrna restés immobiles contemplaient le spectacle, un sourire aux lèvres. -Parfait ! Nous serons tranquilles jusqu'à demain, dit Masson.

-N'aurais-tu pas envie de participer ? railla la fille. La petite policière n'est pas mal. -Merci ! La seule idée qu'elle est flic suffit à m'écoeurer.

-Pourquoi t'encombres-tu d'elle ? -Tant qu'elle adresse à la Sécurité Galactique les rapports anodins que nous lui suggérons, nous pouvons espérer avoir la paix. Il suffit de les endormir encore pendant une semaine.

-Et la richissime Swenson ? Elle est plutôt bien pour ses trente ans.

-Cesse de dire des bêtises ! Quand je fais l'amour, j'aime que ma partenaire s'en souvienne.

Lui enlaçant la taille, il ajouta :

-Viens dans ma chambre, je te prouverai que je n'ai pas besoin de drogue pour me montrer à la hauteur. N'oublie pas de vérifier les caméras.

Dès qu'ils furent partis, Ray se glissa dans la salle. A peine avait-il fait quelques pas qu'une blonde potelée se jeta sur lui.

-En avant pour la première reprise, ironisa l'androïde.

Dans son coin, Marc tentait de secouer Elsa. En dépit de tous ses efforts, elle ne le reconnaissait pas, se contentant de l'étreindre avec ferveur. Oliver éprouvait le même problème avec Carole. Inaccessibles au raisonnement, les deux jeunes femmes exigeaient des preuves concrètes d'affection. Il est bien difficile de conserver les idées claires quand une jolie femme se presse dans vos bras. Cessant de résister, Marc se laissa aspirer par un merveilleux tourbillon.

CHAPITRE XV

Le calme était revenu dans la grande salle du temple. Chacun dormait, épuisé par les excès. Ray se glissa en silence vers Marc qu'il secoua doucement.

-L'aube ne va pas tarder à poindre. Je pense qu'il faudrait réveiller vos amies.

Saisissant la tête d'Elsa, il la souleva et introduisit entre ses lèvres le goulot d'une petite fiole. Il la relâcha dès qu'elle eut dégluti une gorgée puis il recommença la même manoeuvre avec Carole.

Marc prit Elsa dans ses bras, la serra contre lui. Les paupières s'ouvrirent, papillotèrent, laissant deviner les yeux d'un vert resplendissant. Un frisson secoua la jeune femme. Elle lança un regard étonné sur la salle.

-Marc ! Où sommes-nous et que faisons-nous ici ?

-Je t'en supplie, Elsa, parle bas ! Quel est ton dernier souvenir ?

-J'étais à une réception officielle. Je prenais un verre avec une grande fille blonde qui se prétendait journaliste.

Elle secoua la tête pour dissiper les nuages qui embrumaient encore son cerveau.

-C'est affreux ! Je n'ai que des souvenirs confus, de rares images que je ne peux fixer.

Le lieutenant Church avait également retrouvé sa lucidité. Marc lui fit signe d'approcher. Tête contre tête, il résuma la situation aux deux femmes. Elles manifestèrent un remarquable sang-froid en restant imperturbables au récit de leurs aventures.

-Je dois immédiatement arrêter ce Masson, gronda le lieutenant.

Marc tempéra son ardeur.

-Vous n'avez aucune autorité sur Vénusia. De plus, vous n'êtes pas en position de force. Il possède des gardes armés et je parie que la police locale se mettra à ses ordres.

-Comment comptez-vous agir ?

-Dans quelques heures, Elsa et moi devons signer officiellement notre donation en présence certainement de témoins impartiaux. C'est à ce moment que nous avons le plus de chance de faire éclater le scandale, donnant ainsi à l'amiral Neuman un motif d'intervention.

-C'est risqué !

-Mais, à mon sens, c'est la seule solution. Nous aurons l'appui de Ray.

Carole acquiesça de la tête. Elle grimaça en regardant la salle où les corps enchevêtrés et dénudés dormaient encore. Son regard se durcit soudain.

-Dois-je comprendre, aspirant Standman, que vous avez honteusement profité d'une situation scabreuse pour assouvir vos plus bas instincts.

Une vive rougeur colora les joues d'Oliver.

-C'est toi qui t'es jetée sur moi, protesta-t-il.

Elsa intervint, fixant Marc, une lueur ironique dans les yeux. -Aurais-je aussi bénéficié du même traitement ? -Il ne fallait pas nous faire remarquer, souffla Marc. La drogue a un puissant effet aphrodisiaque et il y a plusieurs caméras de surveillance. -Vous aussi trouvez cela immonde, mademoiselle Swenson, grinça Carole.

-Disons seulement que je suis furieuse... furieuse de n'en garder aucun souvenir. J'espère, Marc, que tu combleras rapidement cette lacune.

La boutade ne déridant pas le lieutenant, Marc intervint. Du menton, il désigna Fergusson, endormi à quelques mètres d'eux. Un sourire béat étirait sa large bouche. Son ventre dénudé et mou pendait en besace sur ses cuisses, exhibant une peau d'une blancheur malsaine.

-Si Oliver n'était pas intervenu, c'est lui qui aurait bénéficié en premier de vos charmes mais d'autres auraient suivi.

-Il est répugnant ! Si l'intervention de l'aspirant Standman a eu pour seul but de me protéger, je dois reconsidérer mon jugement.

A cet instant, Ray se manifesta psychiquement. -Attention, Myrna s'amène! Je préfère me dissimuler pour qu'elle ne nie reconnaisse pas.

Il rampa quelques mètres et enfouit la figure entre les cuisses d'une brunette qui, d'un geste instinctif, lui posa les mains sur la nuque.

Myrna marcha droit vers Fergusson qu'elle secoua sans ménagement.

-Debout !

La grenouille ouvrit ses yeux ronds et, péniblement, se redressa. Elle agit de même avec Marc, Oliver et les deux femmes. Lorsqu'elle vit le petit groupe éveillé, elle ordonna :

-Suivez-moi !

Le troupeau somnolent fut conduit au bloc sanitaire. Une heure plus tard, Marc retrouva ses deux amies. Les saris jaunes avaient fait place à d'élégantes tenues de voyage. Myrna les reprit en charge pour les conduire par un étroit escalier à l'étage supérieur. Elle les introduisit dans un bureau sobrement meublé. Masson avait, lui aussi, abandonné sa chasuble pour un strict costume. Sur une table trônait une vidéo-radio.

-Voilà tes pigeons, murmura Myrna. Pourquoi veux-tu aussi le flic ?

Masson sourit ironiquement.

-Qui pourrait soutenir que ces personnalités ont signé sous la contrainte alors qu'ils étaient en présence d'un officier de la Sécurité Galactique ? Il va être deux heures de l'après-midi à New-York. Pendant que j'appelle, serine la leçon.

La jeune femme se planta devant les Terriens et articula :

-Désormais je désire consacrer mon existence à la prière, à la méditation et à l'adoration de Kaal. Aussi, je fais don de la totalité de mes biens à notre association pour me libérer de toutes les préoccupations matérielles qui encombrent mon esprit. Répétez !

Le groupe obéit passivement.

-Ils sont au point.

Sur l'écran vidéo apparut l'austère figure d'un magistrat faisant office d'officier ministériel.

-Nous sommes prêts pour les formalités.

Il saisit un dossier posé devant lui et appela :

-Monsieur Fergusson.

La grenouille s'assit devant la caméra de la vidéo-radio. Il débita sa phrase d'un ton monotone puis il apposa sa signature sur une feuille que lui tendait Masson.

-Parfait, dit le juge. Mademoiselle Swenson.

Tandis qu'Elsa prenait la place de Fergusson, le juge annonça :

-Avant de vous entendre, Maître Whitcomb a demandé à vous parler.

C'était le conseiller juridique de l'empire Swenson. Il avait un visage fin, couvert de rides, et juchait sur son nez d'antiques lunettes à fine monture métallique. Ses yeux d'ordinaire malicieux affichaient un désarroi profond.

-Mademoiselle Swenson, je vous supplie de m'écouter. Réfléchissez encore avant de prendre une décision qui vous dépouille de toute votre fortune.

Elsa lança un rapide regard à Marc qui hocha la tête.

-C'est tout réfléchi, mon cher Maître. Il est hors de question de donner un seul dol à cette bande d'escrocs. Je réclame la protection de la Sécurité Galac...

Un instant figé par la surprise, Masson avait réagi. D'un geste rapide, il avait interrompu la communication.

Folle de rage, Myrna se jeta sur Elsa, les ongles en avant. Marc brisa son élan et, sans galanterie excessive, lui expédia une gifle monumentale qui l'envoya à terre.

-Sacrilège... Sacrilège, hurla Masson qui s'empressa de disparaître par une petite porte qu'il verrouilla derrière lui. Aussitôt une sonnerie aiguë retentit.

-Je crois sage de nous éclipser, dit Marc. Il est allé chercher du renfort.

Le groupe enfila le couloir et descendit l'escalier au pas de course. Bien leur en prit. A peine Oliver, resté en arrière, s'engageait-il dans l'escalier qu'un jet laser écorna le mur à dix centimètres de sa tête.

-Ray, émit Marc, nous sommes dans le pétrin.

-Je vous localise. Le deuxième couloir à droite mène à la grande salle du temple. C'est le moyen le plus direct pour gagner l'extérieur.

***

Dans son bureau, Masson restait en contact radio avec ses gardes.

-Patron, ils ont défoncé la grande porte... Ils courent... Ils sont maintenant cinq... Ils se dirigent vers un trans en stationnement sur le grand parking...

-Poursuivez-les, hurla Masson, il ne faut à aucun prix qu'ils s'échappent.

Il composa rapidement sur le vidéophone le numéro du chef de la police, le colonel Atkins.

-Max, des individus ont attaqué mon temple. Ils se sont ensuite enfuis dans un trans. Ils vont en direction de la ville. Envoyez une voiture bloquer la route. Ces types sont très dangereux. Ordonnez à vos hommes de tirer les premiers. Ils feront les sommations ensuite.

Devant l'hésitation du policier, Masson ajouta :

-J'en prends l'entière responsabilité. Il y aura une grosse prime pour tout le monde.

La précision arracha un sourire à son interlocuteur.

-Je donne immédiatement des ordres.

***

Ray pilotait avec dextérité, négociant les virages au plus juste. Par souci du pittoresque et de l'esthétique, la route sinuait entre les arbres et les buissons du parc.

-Comment t'es-tu procuré ce trans ? demanda Marc.

-Je l'ai, emprunté à deux petits plaisantins qui avaient émis la prétention de me faire creuser ma tombe.

-Que sont-ils devenus ?

-Un peu de lumière et beaucoup de chaleur !

La route ébaucha un segment de ligne droite, à peine cinquante mètres. Soudain, un trans arriva en sens inverse, exhibant sur le toit des lumières clignotantes. Il freina brusquement et se mit en travers de la route. Ray immobilisa son véhicule à une trentaine de mètres.

-Nous sommes sauvés, cria Carole. Ce sont des policiers.

Elle allait sortir quand Ray la repoussa brutalement.

-Couchez-vous !

Un jet laser perça le plastex à l'endroit où elle se tenait une fraction de seconde auparavant. D'autres rayons criblèrent le trans.

Ray réagit avec sa promptitude coutumière. Il s'éjecta du véhicule, roula deux fois sur le sol et il lança une petite bille d'à peine trois centimètres de diamètre qui se colla sur le trans des policiers. C'était une grenade incendiaire à très haut pouvoir calorifique. Une flamme d'un rouge-orangé vif s'éleva immédiatement. Deux secondes plus tard, le trans s'embrasa, dégageant une épaisse fumée noire.

-Vite, descendez, hurla Marc.

Saisissant Elsa par le bras, il se lança dans un sprint éperdu. Il s'arrêta deux cents mètres plus loin, à l'abri d'un arbre. Oliver et Carole ne tardèrent pas à les rejoindre.

Au hasard, les policiers tiraient toujours en direction du trans qui finit par prendre feu à son tour, ajoutant à l'épaisseur de la fumée.

-Voilà qui complique la situation, soupira Marc. Masson a réussi à mobiliser la police contre nous.

-Laissez-moi me faire connaître, dit Carole.

-Vous n'auriez aucune chance. Vous avez pu constater qu'ils ont ordre de tirer à vue. Pour l'heure, il nous faut gagner du temps. Venez, je vous offre une séance de footing dans le parc.

Suivi de ses amis, il partit au petit trot.

CHAPITRE XVI

Masson, le visage crispé, apostrophait le chef de la police.

-Que font vos hommes ?

-Ils ont réussi à stopper le trans mais les passagers sont parvenus à fuir après avoir incendié un véhicule de police. Nous montons une opération de ratissage mais vous comprendrez qu'une certaine discrétion est nécessaire pour ne pas effrayer les touristes.

-Grouillez-Vous ! Ce serait catastrophique pour nous s'ils vous échappaient et parvenaient à atteindre un vidéophone.

-J'ai envoyé un hélijet pour les localiser.

-Cela ne servira à rien dans ce fouillis végétal. Il faut les poursuivre à pied.

-Je n'ai encore que douze hommes prêts à partir.

-Je vous envoie en renfort mes huit gardes.

Masson prit une ample respiration et lança très

vire :

-J'offre cent mille dols à ceux qui abattront un fuyard !

L'importance de la somme fit tressaillir le colonel Atkins.

-Je leur annonce la nouvelle. Une telle prime les stimulera.

-Tenez-moi au courant heure par heure. Il est évident que vous ne serez pas oublié le jour de la distribution.

Assise dans un fauteuil, Myrna fumait nerveusement un petit cigare.

-Je ne comprends pas comment ils ont échappé à notre contrôle. J'ai moi-même administré leur dose aux nouveaux arrivants.

Masson haussa les épaules.

-Sans doute la drogue a-t-elle perdu ses pouvoirs.

-Fergusson y a cependant été sensible !

-L'important est qu'ils soient liquidés rapidement. Je vais presser les Solaniens. Même sans l'empire

Swenson, nous avons un joli magot.

***

Trois heures durant, les fugitifs avaient marché à bonne allure. La fatigue commençait à se faire sentir. Ray, resté en arrière, rejoignit Marc au pas de course.

-Ils sont une vingtaine à nos trousses, des policiers et des nervis de Masson. Ils se sont déployés sur un bon kilomètre.

-Loin derrière ?

-Environ une heure et demie.

Le groupe arriva dans une minuscule clairière. Au centre se trouvait un tronc d'arbre abattu, couvert de mousse.

-Un quart d'heure de repos, annonça Marc.

Il approcha du tronc et pressa sur ce qui semblait être une branche brisée. Le dessus de mousse bascula découvrant un mini-bar.

Le regard étonné de Carole et d'Oliver fit sourire Marc.

-Vous oubliez que nous sommes dans un parc d'agrément. Les gens fortunés qui viennent se détendre ici apprécient l'écologie mais n'aiment pas être privés trop longtemps du confort de la civilisation. Aussi des haltes champêtres ont-elles été aménagées.

Chacun put se désaltérer, les boissons étant variées et de qualité.

-Reposez-vous, dit Marc aux deux jeunes femmes, pendant que nous allons bricoler.

Il s'éloigna sans donner plus d'explications. Elsa buvait à petites gorgées. Un discret sourire parut sur son visage.

-La situation semble vous amuser, dit Carole étonnée.

-Nullement ! Je songeais seulement que c'est sur Vénusia que j'ai rencontré Marc pour la première fois, il y a plusieurs années déjà. Lui était en mission et moi, je pensais pouvoir m'amuser.

Son sourire s'accentua quand elle ajouta : -Les premiers moments de notre tête-à-tête furent mouvementés. Je l'ai cruellement fouetté puis il a manqué m'étrangler et m'a entraînée dans un épuisant marathon.

Désignant un coin de terre, elle ajouta en riant : -C'est ici qu'un de ses amis primitifs m'a administré la première et j'espère dernière fessée de mon existence parce que j'osais protester.

-Et vous avez pardonné ? Vous n'êtes pas rancunière !

-Les circonstances étaient très particulières. Nous avons ensuite attaqué à mains armées le centre des télécommunications et repoussé l'assaut de deux sections d'infanterie jusqu'à ce qu'un robot déréglé par Ray démolisse plusieurs immeubles et fasse sauter le générateur électrique de la ville.

Secouant la tête, Carole dit avec un sourire condescendant :

-Vous plaisantez !-Demandez au colonel Parker qu'il vous raconte l'histoire. Il nous a sauvé la vie peu après. Il est charmant en dépit de son air glacial.

Une grimace déforma les lèvres de Carole.

-Je ne l'ai rencontré qu'une fois et n'en ai pas gardé un excellent souvenir.

Les trois compagnons reparurent à cet instant.

-En route ! Il nous faut atteindre la forêt puis effectuer un large détour.

-Que de temps perdu, ragea Carole. Continuez à fuir, moi, je dois informer l'amiral Neuman.

-C'est trop risqué, objecta Marc. Vous n'avez pas une chance sur dix d'atteindre le centre des télécommunications. Vous serez abattue bien avant. De plus, Ray a déjà envoyé les renseignements.

-Je ne puis me contenter de cette assurance. Mon devoir ordonne de tout tenter pour accomplir ma mission.

-Votre premier devoir est de rester en vie, jeta sèchement Marc. Je ne vous laisserai pas commettre cette folie.

-Vous n'avez aucune autorité sur moi, s'insurgea Carole, rouge de colère. J'agirai comme je l'entends !

-Sois raisonnable, intervint Oliver. -Je ne le puis !

Marc poussa un profond soupir. -Vous croyez avoir commis une erreur en vous laissant droguer et pensez la racheter en courant à la mort.

Un instant, Carole hésita mais ce fut très bref. -Je veux contribuer à la mise hors d'état de nuire de ces criminels. Vous n'arriverez pas à me faire changer d'avis.

-Vous ne me laissez guère de choix. Vous vous souvenez que Ray enregistre tout ce qu'il voit. Or hier, il était à la cérémonie du temple.

Les joues du lieutenant s'empourprèrent. -Il a filmé toutes les scènes... par exemple, moi et Oliver... Elsa et vous ?

-Il est bien dressé, ricana Marc, et évite de me photographier. Ce n'est pas le cas pour les autres. Je me demande quelle serait la réaction de vos collègues de travail s'ils recevaient ce film. Vous étiez très belle et très... exubérante. -Vous n'oseriez pas...

-Ne vous y fiez pas. Je vous propose un marché. Vous venez avec nous et Ray effacera les cristaux mémoriels vous concernant Vous avez ma parole. -C'est un odieux chantage !

-Disons un simple traité commercial !

Carole réfléchit une dizaine de secondes avant d'accepter.

-Je cède mais vous me laisserez faire mon rapport dès que nous approcherons d'une vidéo-radio.

-Entendu ! Venez, nous n'avons perdu que trop de temps.

En se mettant en marche, la jeune femme ajouta :

-Naturellement cette discussion a été enregistrée.

-Ce n'est pas certain. Ray se concentrait sur ses détecteurs.

-Ces lacunes dans les enregistrements sont pratiques mais peu réglementaires. Croyez-vous que je doive conseiller au général Khov de faire procéder à une révision complète de votre ami ?

-Elle sera inutile et ne modifiera pas le caractère de Ray.

***

Cinq hommes progressaient en ligne, écartés les uns des autres d'une dizaine de mètres. Soudain, celui qui marchait à l'aile droite poussa un cri et disparut, absorbé par le sol. Son camarade le plus proche courut vers l'endroit de la disparition et fut aspiré à son tour.

Rendus prudents, les autres approchèrent lentement, tâtant la résistance du sol. Ils découvrirent qu'une tranchée avait été creusée sur une longueur d'une quinzaine de mètres. Deux mètres de profondeur et autant de large. Puis la fosse avait été recouverte de branchages et de mousse pour la camoufler. Les deux hommes tombés dans le piège étaient passablement sonnés mais ne semblaient pas gravement blessés.

Ils furent hissés hors de leur trou. L'un avait une cheville brisée, l'autre des côtes cassées.

Celui qui dirigeait la manoeuvre décrocha sa radio.

-Patron, nous avons deux blessés.

-Laissez-les sur place, Ben, et continuez votre poursuite. Je préviens l'hôpital qui les récupérera.

-Il y a un autre problème. Le piège a été creusé par un désintégrateur. Or nous ne disposons que de pistolaser. Ne vaudrait-il pas mieux laisser les flics faire le travail ?

-Libre à vous de leur abandonner les primes mais ne comptez plus sur moi pour vous verser un dol !

De très mauvaise grâce, Ben accepta de se remettre en marche après avoir rameuté ses hommes, y compris les trois derniers qui se tenaient loin sur sa gauche.

-Ouvrez l'oeil. Tirez sur la moindre ombre suspecte !

A peine eut-il franchi une vingtaine de pas qu'il buta sur une liane tendue au ras du sol. Il reprenait son équilibre en jurant quand, dans un craquement sinistre, un arbre s'abattit. Cela déclencha une fuite éperdue des hommes qui abandonnèrent leur chef et un camarade sous les branches.

A grand renfort de cris et de gémissements, Ben parvint à s'extraire du fouillis végétal qui le couvrait.

Une vilaine estafilade sanglante lui barrait le front. Il aida son compagnon d'infortune à ramper sur le sol car il avait les deux jambes brisées.

Ben saisit sa radio pour annoncer d'une voix blanche :

-Patron... un arbre... Je suis blessé... les autres se sont enfuis... vite, de l'aide...

De rage, Masson faillit écraser son communicateur radio.

-Invraisemblable ! Comment en moins d'une heure ont-ils réussi à dresser ces pièges primitifs ?

Soucieuse Myrna murmura :

-Tous nos ennuis ont débuté avec l'arrivée de ce Stone. Nous aurions dû mieux nous renseigner sur lui et ne pas nous contenter des bulletins d'information de la bourse.

-Espérons que la police nous en débarrassera rapidement.

***

Le lieutenant Orsini regarda avec méfiance le mur végétal qui se dressait devant lui. Né à Milan et élevé à la dure école de la rue, cette accumulation de chlorophylle le mettait mal à l'aise. Il brancha sa radio.

-Faites votre rapport, lieutenant, ordonna la voix sèche d'Atkins.

-Nous avons atteint la limite du parc, mon colonel. Aucune trace des fuyards.

-Poursuivez vos recherches !

-La forêt est très dense. Nous pourrions passer à un mètre d'eux sans les repérer. De plus, la nuit tombera dans moins d'une heure, ce qui nous rendra totalement inopérant. S'ils ne veulent pas crever de faim, ils seront contraints de revenir en ville. Il suffit de diffuser leur signalement à tous les établissements. Qui sont ces bandits ?

Atkins se racla la gorge, mal à l'aise. -Continuez à patrouiller, lança-t-il sèchement. Je vous donnerai de nouveaux ordres plus tard.

Très gêné, il appela le temple. Hors de lui, Masson jura à plusieurs reprises en apprenant l'échec des policiers.

-Cernez le centre des télécommunications et fermez l'émetteur hyperspatial. Enfin, bloquez l'astroport. Aucun astronef ne doit décoller sans avoir été minutieusement fouillé. -Il est difficile de prendre une telle mesure sans l'autorisation du directoire.

-Ne vous inquiétez pas, je l'aurai dans dix minutes. -Vous semblez oublier que plusieurs astronefs décollent chaque jour. Beaucoup de touristes viennent avec leur yacht privé.

-Ce ne sera l'affaire que de quelques heures. Vous pouvez prétexter une panne du système de radioguidage.

-Qui sont ces gens que vous voulez arrêter ? Les policiers de l'astroport doivent avoir leur portrait pour faire leur travail.

Le visage crispé, Masson lança très vite : -Standman, Stone et son assistant Johnson, miss Swenson et miss Church.

Le malheureux colonel donna l'impression d'avoir touché une ligne à haute tension !

-C'est dément, coassa-t-il d'une voix étranglée. L'arrestation publique de la femme la plus riche de la Galaxie causera un scandale majeur.

-Vous n'êtes pas en situation de discuter. Grouillez-vous d'obéir !

Dès la communication interrompue, il s'adressa à Myrna :

-Je n'aime pas la tournure que prennent les événements. Fais préparer le yacht. Je rassemble tous les actes de donations et nous filons. Je me sentirai plus en sécurité sur Solan pour mener les discussions.

Il tira d'un bureau une série de dossiers qu'il empila dans un attaché-case. Le grincement de la porte le fit se retourner. Un hoquet de surprise le secoua en découvrant les arrivants.

CHAPITRE XVII

Un solide gaillard se tenait sur le seuil, massif, vêtu d'une simple combinaison d'astronaute. Le teint ardoisé signait son origine solanienne. Derrière lui se tenaient deux jeunes gens de même race. L'inquiétant était leur regard dur et surtout les pistolaser qu'ils tenaient à la main.

Au prix d'un effort méritoire, Masson grimaça un sourire.

-Monsieur Ko-Yun, je ne m'attendais pas à vous rencontrer ici, je m'apprêtais justement à vous rendre visite sur, Solan.

Montrant l'attaché-case, il ajouta :

-Je vous portais les actes de donation ainsi que la cession faite par notre secte à votre banque. J'espère que de votre côté vous avez réuni les fonds nécessaires.

Ko-Yun hocha la tête tandis qu'un petit rictus découvrait ses dents jaunes.

-En raison de vos difficultés, il y aura une légère modification à nos plans.

-Je n'ai aucun problème.

Le Solanien secoua la tête d'un air navré.

-Vous n'avez plus cette merveilleuse drogue. Ce qui signifie que dans deux ou trois semaines tout ce petit monde se réveillera et s'empressera de cavaler vers la Sécurité Galactique pour se plaindre.

-Il sera trop tard ! Les actes sont parfaitement réguliers et enregistrés par l'ordinateur de la Terre. Si plainte il y a, elle sera instruite sur Solan et je doute que le tribunal vous donne tort !

Un soupir sortit de l'énorme cage thoracique.

-Vous négligez un détail. La majorité des sociétés et usines dont j'espère prendre le contrôle ont leur siège social sur la Terre. En cas de bataille juridique, le gouvernement peut prendre des mesures conservatoires et les mettre sous séquestre, m'empêchant de toucher le moindre bénéfice. Je préfère donc qu'il n'y ait point de plainte pendant un long moment. En conséquence, j'ai décidé que les adorateurs de Kaal seraient transférés sur Solan. Un astronef viendra les chercher demain.

-Rien ne presse, lança Masson. D'ici quelques jours, Burk nous amènera une nouvelle provision de drogue, de quoi les faire tenir tranquilles pendant des mois.

-Non ! Tout contact avec lui est rompu. La charmante Myrna me l'a confirmé.

Masson ne put contenir sa colère. Il gifla la fille d'un magistral revers. Il allait récidiver quand la voix sèche de Ko-Yun l'immobilisa.

-Il suffit ! Myrna est une femme intelligente qui a compris qu'il était plus lucratif de s'associer avec moi qu'avec vous.

-Sale garce !

Sous l'injure, Myrna se rebiffa. -Un vrai pingre S Tu parlais d'encaisser des milliards mais tu ne m'as jamais promis un dol ! J'avais le seul privilège discutable de te subir chaque fois qu'il te prenait la fantaisie de me traîner au lit. Monsieur Ko-Yun, lui, m'a offert la moitié de ta part.

-C'est hors de question, rugit Masson.

Il saisit l'attaché-case et cria : -Vous devez tenir vos engagements ! Pour avoir ces papiers et les cinglés en prime, j'exige au préalable le versement des deux milliards. -Vous pensez bien que je n'ai pas une telle somme sur moi.

-Ce n'est pas mon problème. Rien ne sortira d'ici si je n'ai pas mon argent ! -Je me doutais que vous ne seriez pas raisonnable, murmura Ko-Yun, l'air navré, en faisant un discret geste de la main.

Aussitôt, un des jeunes posté derrière lui leva son arme. L'éclair rouge frappa Masson au milieu du front.

-Non, ce n'est pas possible, hurla Myrna. -Silence! Vous deux, reconnaissez les lieux. Si vous rencontrez des intrus, liquidez-les !

Affolée, la blonde émit : -Je ne veux pas être mêlée à un meurtre... Donnez-moi mon argent et je partirai très loin. Vous n'entendrez plus jamais parler de moi. -Tu le toucheras sur Solan si tu te montres gentille et compréhensive.

-Vous aviez promis...

Un rire cynique sortit de la gorge du Solanien.

-À ton âge, tu devrais savoir qu'il ne faut pas toujours croire ce que disent les hommes.

Il la saisit par 3a taille.

-Tu vas me montrer un échantillon de tes talents.

-Vous ne voulez pas... tout de suite... ici...

Poussée contre le rebord de la table, Myrna sentit une main exigeante et pressée retrousser sa robe tandis qu'une force irrésistible la faisait basculer en arrière. Elle cria quand, d'un vigoureux coup de rein, Ko-Yun triompha du dernier obstacle.

***

Le groupe des Terriens était tapi dans un buisson. Elsa se frictionnait doucement les mollets.

-Je me pensais une sportive entraînée mais cette marche est à la limite de mes possibilités

-Une quarantaine de kilomètres constitue une jolie performance, sourit Marc.

-Exactement quarante-trois kilomètres virgule sept, précisa Ray.

A moins de cinq cents mètres, le temple des adorateurs de Kaal brillait aux rayons du soleil couchant.

-Il n'y a pas de gardes à l'extérieur, nota Carole, et ils n'ont pas réparé la porte que Ray a forcée pour nous permettre de fuir.

-Autant en profiter. Le temple est le seul endroit où la police ne nous cherchera pas, ricana Marc.

Connaissez-vous la disposition des lieux ?

Elsa et Carole secouèrent en même temps la tête.

-Nous n'avons conservé aucun souvenir de notre séjour là-bas.

-Il nous faudra improviser. Espérons que les gardes se promènent toujours en forêt.

-Quatre au moins séjournent à l'hôpital, nota Ray avec une froide logique.

L'androïde scruta un moment la façade dorée.

-Apparemment, il n'y a pas de guetteurs, c'est le moment d'en profiter.

-N'oubliez pas que notre premier objectif est de neutraliser Masson. Elsa, tu devrais rester ici.

-C'est hors de question ! Je ne tiens pas à me faire tuer par le premier policier zélé qui passera. Je serai plus en sécurité avec toi et Ray.

Une affirmation sans réplique possible. La distance les séparant du temple fut franchie au pas de course. La grande salle n'était éclairée que par deux veilleuses. Ils traversèrent vite la pièce désertée par les fidèles. Carole proposa alors :

-Divisons-nous en deux groupes. Je m'occupe du premier étage avec Oliver. Vous, allez directement au second.

-Faites attention, il peut traîner des gardes armés.

Sur le palier du premier étage débouchait un long couloir où s'ouvraient de nombreuses portes. Les deux jeunes gens procédèrent avec méthode, visitant chaque pièce. C'étaient des chambres, vides d'occupants. Soudain, deux hommes qui effectuaient la même perquisition, apparurent. Ils avaient des réflexes vifs car ils sortirent aussitôt leur pistolaser.

-Les mains en l'air, vite !

-Ce sont des Solaniens, murmura Carole. Que font-ils ici ?

L'un deux lança à son complice :

-Ils ne semblent pas être des adeptes de Kaal. Tu as entendu le patron, il faut les liquider.

Oliver poussa un long sanglot, avançant de quelques pas.

-Vous n'allez pas nous tuer ?

Il tomba à genoux, continuant à avancer, les mains suppliantes.

-Epargnez-nous, nous vous donnerons ce que vous voudrez.

Très pâle, les mâchoires crispées, Carole grogna :

-Un peu de dignité, tu es lamentable.

Sourd à cette objurgation, Oliver progressait, toujours à genoux. Le Solanien éclata d'un rire mauvais, solidement campé sur ses jambes écartées.

-Les Terriens, tous des lâches ! Allez, supplie-moi encore... Ah !

La phrase se termina par un cri de douleur. Oliver avait lancé brusquement la tête en avant, atteignant avec force le bas-ventre de son adversaire que la souffrance obligea à se plier en deux. Des mains nerveuses agrippèrent ses chevilles et il bascula en arrière, lâchant son arme. Il n'eut pas le temps de réaliser la situation. Quelque chose d'horriblement dur heurta le larynx, l'écrasa, coupant toute arrivée d'air.

Surpris par la rapidité des événements, son acolyte perdit plusieurs secondes, n'osant tirer de peur de blesser son camarade. Ce faisant, il détacha son regard de Carole qui réagit aussitôt. Un pas en avant, un saut acrobatique et son talon heurta l'estomac du Solanien qui eut l'impression d'encaisser une ruade de cheval sauvage. Vite redressée, Carole saisit le poignet armé, le tordit, glissa l'épaule sous le bras en extension. Une vigoureuse traction. Un craquement écoeurant traduisit la fracture instantanée du coude.

Le hurlement fut stoppé par une lourde manchette sur la nuque. Souriant, Oliver ramassa les deux armes et en tendit une à la jeune femme qui ébaucha une grimace.

-Si cela dépendait de moi, tu recevrais le prix du meilleur acteur de l'année. J'ai réellement crû que tes nerfs lâchaient.

-Merci du compliment ! J'avais peur de ne pas être assez convaincant. Aide-moi à les boucler dans une chambre et poursuivons notre promenade.

***

Allongée sur la table, la robe retroussée jusqu'aux hanches, Myrna sanglotait sans songer à réparer le désordre de sa toilette. Ko-Yun qui s'était rajusté, ricana :

-Ce n'était guère fameux mais je ne désespère pas d'arriver à te dresser selon mes désirs.

-Maintenant que vous avez ce que vous désiriez, partez mais abandonnez-moi ici.

-Il n'en est pas question ! Je ne peux laisser une personne vivante derrière moi. Ou tu me suis ou tu rejoins Masson, tu n'as pas d'autre choix. Demain matin, nous évacuons les lieux. Je compte sur toi pour m'aider à guider le troupeau jusqu'à l'astroport. -Vous êtes fou, vous ne pouvez semer des cadavres derrière vous.

L'objection fit rire Ko-Yun. -Ne te fais aucun soucis, mes deux gars feront le ménage. Ils connaissent bien le coin. Ce ne sont pas les endroits déserts qui manquent. Tu le sais bien car Masson ne s'est pas privé de faire disparaître plusieurs corps.

Il prit conscience de l'ouverture de fa porte quand une voix lança : -Sécurité Galactique, personne ne bouge !

La surprise figea le Solanien mais ce fut très bref. Il réalisa vite que les arrivants n'avaient pas d'arme à la main. D'un geste vif, il sortit de sa poche un pistolaser. Un modèle ultraplat mais précis et puissant.

Il n'eut pas le temps d'appuyer sur la détente car Ray intervint avec son efficacité coutumière ! -Désolé, Marc, dit-il. Je n'ai pu viser la main car il menaçait Elsa.

Effarée, Myrna regardait le corps de Ko-Yur tombé à moins d'un mètre de celui de Masson. Sa raison vacillait. -Je dirai tout... je dirai tout...

Marc 3'aida à se relever en murmurant : -Demain, un officier prendra votre déclaration. Ray, boucle-la dans une chambre en attendant l'arrivée de la Sécurité Galactique. Puis, termine la fouille de l'immeuble. Quand tu verras Oliver, envoie-le ici.

***

Le colonel Atkins, corpulent, le visage rond et les joues écarlates, était assis à sa table de travail. Il s'essuya le front ruisselant de sueur. En face de lui se tenait le colonel Parker, grand, rigide, le visage austère. A ses côtés, figés en un impressionnant garde-à-vous, se dressaient deux miliciens de la Sécurité Galactique, bien sanglés dans leur uniforme noir.

-Vous n'avez aucunement le droit d'intervenir sur Vénusia, hurla Atkins. Votre seule présence est une violation des accords diplomatiques !

-J'exécute mes ordres, répondit Parker d'une voix polaire. Devant de nombreux témoins, mademoiselle Swenson a réclamé notre protection.

-Il suffisait de me transmettre cette demande pour que nous nous chargions de sa sécurité...

Un filet de sueur glacée courut sur l'échiné d'Atkins quand son interlocuteur répondit :

-En envoyant des tueurs à ses trousses et en ordonnant à vos hommes de tirer à vue sur les fugitifs. Vos communications ont été interceptées. Rappelez immédiatement tous les policiers et annulez vos ordres.

Atkins secoua la tête, refusant d'admettre son échec.

-Fichez le camp, sinon je vous fais arrêter. Toutes nos forces seront mobilisées contre vous !

La menace n'impressionna guère Parker. Un léger sourire flotta sur ses lèvres. -Faites ! Je dois cependant vous avertir que mon appareil, un croiseur de bataille, est posé sur l'astroport. Deux sections d'assaut sont en cours de débarquement. Elles disposent d'un armement lourd, de plusieurs chars et d'hélijets armés. Je crains que leur intervention ne trouble singulièrement la quiétude de vos touristes.

-Le Directoire portera plainte devant le conseil de la Fédération des planètes.

-Perdez cet espoir. En ce moment même, le Président de l'Union s'entretient avec le Directoire. Il exige la dissolution des adorateurs de Kaal, l'arrestation de Timothy Masson et son extradition vers la Terre où il sera jugé. Je suis chargé de l'exécution de ces demandes.

Sachant que le pseudo-Messie avait généreusement arrosé ses supérieurs, Atkins objecta : -Jamais le Directoire n'acceptera ces conditions.

Le sourire de Parker s'élargit. -Ne mésestimez pas notre Président. En cas de désaccord persistant, il a prévu, non un blocus de Vénusia car la circulation intersidérale est libre, mais un simple contrôle d'identité de tous les passagers qui voudront atterrir ici. Comme vos visiteurs fortunés apprécient avant tout la discrétion, il est à parier qu'en moins d'une semaine vous n'aurez plus un client.

-Vous n'oseriez pas ! Ce serait la ruine de tous les établissements...

Un appel sur le vidéophone interrompit la conversation. Le visage de Dave Holden, l'actuel Président du Directoire, s'afficha sur l'écran. Il avait les traits crispés de quelqu'un venant de passer de très désagréables moments.

-Atkins, vous êtes relevé de vos fonctions. Le colonel Parker vous remplacera et assurera l'intérim jusqu'à ce que nous désignions un nouveau titulaire pour ce poste.

Bien qu'attendue, la nouvelle frappa Atkins comme un coup de massue. Son visage se décomposa et parut se liquéfier.

-Mais... Mais... bêla-t-il.

-Exécution immédiate !

Dès l'écran éteint, Parker ordonna en désignant les appareils vidéo.

-Annoncez la nouvelle à vos subordonnés ! Vite, si vous ne voulez pas que j'instruise en priorité l'affaire de vos relations financières avec Masson.

Dompté, Atkins brancha un interphone.

-A toutes les unités ! Annulation de l'opération en cours. Je répète, annulation de toutes les recherches. Les chefs d'unités sont convoqués dans une heure au quartier général pour prendre les ordres du nouveau commandant de la police.

-Parfait, dit Parker.

Se tournant vers l'un de ses subordonnés, il ajouta :

-Lieutenant Emerson, vous mettrez le colonel aux arrêts de rigueur. Appelez six hommes pour qu'ils occupent les lieux. Vous assurerez ici la permanence en mon absence. Envoyez également un trans armé.

CHAPITRE XVIII

Le colonel Parker pénétra dans le bureau où les Terriens étaient réunis. Il était accompagné du docteur Crick, médecin en chef du croiseur Orion.

-Votre arrivée est la bienvenue, mon colonel, dit Marc. Nous commencions à être à bout de souffle.

De fait, la petite troupe avait piteuse mine.

-Dès la réception de l'appel de mademoiselle Swenson, l'amiral a donné l'ordre d'intervenir. Heureusement, il nous avait postés en attente à la périphérie de ce système. Il ne nous a fallu que quelques heures pour arriver. Vous avez accompli une besogne remarquable, capitaine. Neuman était enchanté des enregistrements transmis par Ray.

As se serrèrent la main. Geste banal mais qui trahissait leur amitié. Les deux hommes avaient effectué ensemble nombre de missions et ils s'étaient mutuellement sauvé la vie à plusieurs reprises. Seul le côté austère et rigoriste de Parker faisait que leurs relations restaient empruntes d'une courtoisie glacée.

Un sourire éclaira le visage fatigué d'Elsa.-C'est toujours un plaisir de vous voir, colonel.

Carole se figea en un raide garde-à-vous et salua.

-Repos, lieutenant, dit Parker, le regard ironique.

Il se souvenait qu'à leur précédente rencontre, il l'avait vertement sermonnée pour protéger Marc. Le médecin intervint, en homme pressé :

-J'ai examiné les membres de la secte. Il est hors de doute qu'ils sont sous l'influence d'une drogue qui les plonge dans une forme d'hypnose. La substance est complexe et l'analyse de l'échantillon fourni par Ray n'est pas terminée.

Tourné vers les deux jeunes femmes, il poursuivit :

-Vous avez été sous l'influence du produit et en avez été libérées par un antidote que, là encore, nous n'avons pas fini d'étudier. Avant de prendre le risque de l'administrer aux autres, je souhaite vous examiner. Passons dans le bureau voisin où j'ai installé mes appareils.

Le médecin et ses patientes sortis, Marc interrogea le colonel.

-Ne vous inquiétez pas, sourit Parker, cette jeune blonde fait sa déposition et elle semble très bavarde.

Tendant une mallette, Marc ironisa :

-Je vous la confie. Prenez-en soin. Vous avez en main plusieurs dizaines de milliards de dols ! Toutes les donations faites par ses fidèles à Masson. Les victimes seront contentes de récupérer les documents même au prix d'un certain nombre de complications juridiques.

Le colonel soupesa l'attaché-case.

-Il est amusant de tenir en main, ne serait-ce qu'un instant, une telle fortune. La combine était bien montée et sans vous, elle avait une chance de réussir. Une grande partie des industries de la Terre serait passée sous le contrôle des Solaniens.

Le médecin revint en compagnie des deux jeunes femmes.

-Elles sont en parfaite santé, affirma-t-il, seulement un peu fatiguées. La marche est un excellent sport mais il ne faut pas en abuser.

-Si c'était vrai, ricana Marc, les sentiers de randonnées seraient encombrés par les médecins or il ne semble pas que ce soit le cas.

-Entre le conseil et l'action, il y a toujours une marge. Maintenant, confiez-moi votre mixture. Je la ferai prendre à nos patients.

-Prenez garde, au réveil, ils seront désorientés. Il faut prévoir un accompagnement psychologique.

-Merci ! dit-il d'un ton pincé. J'ai pris les précautions nécessaires. Toute une équipe ne tardera pas à me rejoindre.

-Dans ce cas, avec votre permission, mon colonel, je pense que nous allons nous retirer. Il me semble qu'il y a une éternité que je n'ai pas approché d'un lit !

-Vous avez mérité de vous reposer. Où serez-vous, si j'ai besoin de vous joindre ?

-Je dois toujours disposer d'une chambre à l'hôtel Aphrodite même si je ne l'ai guère occupée.

Comme Carole hésitait, Parker ajouta :

-Vous pouvez disposer, lieutenant. Vos amis vous trouveront bien un lit. J'attendrai jusqu'à demain votre rapport de mission.

La jeune femme salua en ajoutant fielleusement :

-Merci, colonel. Je n'ai pas oublié. Par écrit et en deux exemplaires !

***

Marc quitta sa chambre en refermant doucement la porte car Elsa dormait encore. Il était près de midi et il descendit au restaurant pour se faire servir un copieux repas. Il ne tarda pas à être rejoint par Ray.

-Tout rentre dans l'ordre. Tu sais que j'ai donné ma chambre à Carole. Aussi, j'ai passé le reste de la nuit au temple. Le docteur Crick a achevé de réveiller les dormeurs sans aucun accident en dehors d'une jolie pagaille. Dès qu'ils eurent retrouvé leurs esprits, les adorateurs ont poussé de grands cris. Parker a eu beaucoup de mal pour les calmer et les caser dans différents hôtels de la ville.

Il tira de sa poche un petit rouleau qu'il tendit à Marc.

-C'est un cadeau pour Oliver. L'enregistrement intégral des ébats de Carole.

Devant le regard interrogateur de Marc, il expliqua :

-J'ai procédé à une fouille complète du temple. Masson était très organisé. De nombreuses caméras enregistraient les scènes d'orgies. Les films étaient ensuite archivés au nom de chaque membre.

-Quel intérêt ?

-Une précaution supplémentaire qu'il prenait pour le cas où un des spoliés aurait retrouvé la mémoire plus tôt que prévu.

-Et Elsa, murmura Marc, gêné.

-Il y avait un dossier à son nom. Je l'ai détruit.

-Sans le visionner ?

-Surtout pas !

Ray posa la main sur le bras de son ami.

-Pourquoi ranimer de mauvais souvenirs ? Cela serait aussi pénible pour elle que pour toi. Si elle a rencontré quelqu'un ni lui ni elle ne s'en souviendront. Je crois que c'est beaucoup mieux ainsi.

Marc esquissa un sourire minable puis se secoua.

-Comme toujours, tu as raison, vieux frère.

L'arrivée d'Oliver détendit l'atmosphère. Il commanda un repas pantagruélique. Ses capacités stomacales étonnaient toujours Marc. Entre le deuxième et le troisième plat, il releva la tête.

-Au cas où tu l'aurais oublié, Marc, c'est mon premier repas depuis trente-six heures.

-Où est Carole ?

-Toujours dans sa chambre. Je suis passé prendre de ses nouvelles mais elle m'a mis à la porte. Elle rédigeait son rapport pour Neuman. A voir le nombre de feuilles qui jonchaient le sol, il ne semble pas que la littérature soit son passe-temps favori !

***

Le dîner s'achevait. Elsa avait retrouvé son éclat et était ravissante dans une robe de lamé doré qui mettait en valeur ses épaules. Non sans peine, Oliver avait décidé Carole de se joindre à eux.

-J'ai remis mon rapport à votre ami le colonel, expliqua-t-elle avec ironie. Il devait être correct puisqu'il ne m'a pas encore demandé de le recommencer. Les seules instructions qu'il m'a données furent de retourner le plus vite possible sur Terre pour me mettre à la disposition de l'Amiral mais il ne m'a pas proposé une place à son bord.

Avec une grimace comique en direction de Marc, elle ajouta :

-Je pense qu'il est profondément misogyne et n'apprécie aucunement la présence d'une femme à bord d'un croiseur.

-Si vous le souhaitez, proposa Marc, vous pouvez voyager avec nous sur le Mercure. Nous décollerons demain matin. Rassurez-vous, vous ne serez pas la seule femme à bord, mademoiselle Swenson voyagera avec nous.

Le lieutenant n'hésita guère.

-Je vous remercie. Cela me fera gagner du temps car le prochain astronef régulier pour la Terre ne part que dans cinq jours.

-Parfait ! Pour occuper notre soirée, je vous invite au casino. Ray a conservé un nombre impressionnant de jetons et il est normal que nous en perdions quelques uns.

La salle de jeu avait le même aspect immuable, avec la même foule, la même ambiance survoltée. A l'entrée se trouvait le même essaim de jolies filles. La rousse qui avait drogué Fergusson se détourna vivement en reconnaissant Marc.

Oliver glissa une pile de jetons dans la main de Carole.

-Tente ta chance. Moi, la dernière fois, j'ai tout perdu !

Elle hésita un moment, se demandant si ses fonctions l'autorisaient à jouer dans un casino. Oliver la rassura en lui murmurant à l'oreille : -Tu ne risques pas de croiser Parker. Il ne lui viendrait jamais à l'idée de se risquer dans ce temple du vice.

-Je le crois volontiers, répondit-elle en éclatant de rire.

Elle choisit une machine à sous et perdit une dizaine de fois. Elle allait renoncer quand Ray l'encouragea à poursuivre. Négligemment, il s'appuya sur l'engin.

Sans conviction, elle introduisit un nouveau jeton dans la fente. Son geste fut aussitôt suivi d'une sonnerie et d'une cascade de pièces. En riant, elle ramassa ses gains aidée par Oliver. -La chance sourit aux néophytes, dit-il.

Soudain pris de soupçons, il regarda Ray qui s'écartait, l'air dégagé, un peu trop innocent. Carole qui avait suivi le même raisonnement sentit ses joues s'empourprer. -Crois-tu qu'il a...

Oliver sut se ressaisir aussitôt. -Certainement pas ! Comment un androïde aurait-il en mémoire un programme pour truquer les machinés à sous ?

L'argument rassura Carole qui, cependant, ne put se défaire d'une sombre arrière-pensée.

-Avec lui, tout est possible, bougonna-t-elle.

Ils rejoignirent Marc et Elsa qui ne s'intéressaient que médiocrement à leur partie de roulette.

-Allons plutôt au bar. Autant que notre aventure se termine là où elle a commencé, dit Marc.

Un androïde de service apporta rapidement une bouteille de vieux Scotch.

-Mademoiselle Swenson, nous vous cherchions.

L'exclamation fit se retourner Elsa qui reconnut les arrivants. Georges Penford était élancé, mince, les tempes grisonnantes, la lèvre supérieure barrée d'une moustache poivre et sel. L'allure d'un parfait gentleman britannique d'autrefois. Michael Coloman était petit, replet, avec une grosse figure lunaire et un nez busqué. Ses yeux rusés démentaient son aspect de bon gros sympathique. Ils avaient tous les deux la mine défaite et étaient en proie à une vive agitation.

-A notre... euh... réveil, dit Penford, le colonel Parker nous a expliqué la situation. Je ne vous cacherais pas que je l'ai trouvée fort désagréable. Recevoir dans mon château en Ecosse une historienne désireuse de recueillir des renseignements sur mes ancêtres et reprendre conscience sur Vénusia a de quoi surprendre.

-Et vous, Michael, comment êtes-vous arrivé ici ?

-J'ai reçu une invitation pour un voyage et un séjour de dix jours entièrement gratuit. Je voulais profiter de l'occasion.

-Ceci est le passé, trancha Penford, mais vous comprendrez qu'un tel déplacement imprévu a certainement causé des désordres dans mes affaires.

-Bel euphémisme, ricana Coloman. Une aussi longue absence va me coûter une fortune. Je trouve inadmissible que la Sécurité Galactique ait mis autant de temps pour nous récupérer. Je me plaindrai à l'amiral Neuman.

Devançant Carole qui allait vertement répliquer, Elsa ironisa :

-Mieux vaudrait remercier le capitaine Stone. A quelques jours près, votre fortune aurait été contrôlée par une banque solanienne et il est peu probable qu'elle vous l'aurait spontanément restituée. Maintenant, asseyez-vous et prenez un verre.

Quelques gorgées plus tard, Penford reprit : -Vous comprenez notre désir de regagner le plus rapidement possible la Terre. Or il n'y a aucun astronef en partance actuellement. Nous avons appris que vous décolliez demain. Aussi sommes-nous venus solliciter une place sur votre yacht, Elsa.

Celle-ci secoua la tête, faisant voler ses boucles brunes.

-Je ne suis qu'une simple passagère. Le vaisseau appartient au capitaine Stone.

-Excusez-nous, grimaça Coloman, nous oublions toujours que vous êtes propriétaire de la Cosmos Jet. -Vous serez les bienvenus à mon bord, messieurs. Nous décollons à huit heures.

Pendant cette conversation, Ray avait poursuivi sa promenade dans les salles. Son attention fut attirée par la rousse Marion en grande conversation avec un solide gaillard portant un pansement au front. L'explication semblait difficile et, à plusieurs reprises, l'homme désigna du menton la table des

Terriens vers laquelle la rouquine se dirigea. -J'ai une affaire très importante à vous proposer, dit-elle d'une voix sèche. -Je doute que cela nous intéresse, rétorqua Elsa. -Je crois que vous changerez rapidement d'avis, mademoiselle Swenson. Je ne vous demande que cinq minutes d'attention. Nous serons plus tranquilles dans un petit salon pour discuter cette affaire qui demande beaucoup de discrétion. Voulez-vous me suivre ?

Elle entraîna les Terriens poussés par la curiosité dans une petite pièce qui servait d'ordinaire aux hôtesses de charme pour consoler les joueurs malchanceux. La rousse sortit d'une poche de sa robe pourtant très moulante, plusieurs photographies qu'elle distribua à chacun des participants. Marc grimaça en contemplant le cliché qui le montrait dans une posture ne laissant aucun doute sur son attachement à Elsa. Celle-ci resta impassible tandis que les joues de Carole viraient au pourpre. -Je suppose, reprit Marion, qu'il vous serait agréable de récupérer ces épreuves, ne serait-ce que pour éviter de les voir publier dans des magazines de la Terre. Je pourrais décider celui qui les détient à vous les céder pour un prix très raisonnable.

A cet instant, Ray se manifesta psychiquement. -J'ai entendu votre conversation. Je crois connaître l'organisateur de ce chantage. Gagne du temps, je vais liquider l'a flaire en moins de dix minutes.

L'androïde approcha de l'homme accoudé au bar qui buvait un verre d'alcool. Ce dernier sursauta quand une main d'acier serra son bras au niveau du biceps. Une voix ironique murmura à son oreille : -Vous avez une bien vilaine plaie au front. N'auriez-vous pas reçu un arbre sur la tête ? Non ! Pas de scandale sinon les flics vont s'amener et la Sécurité Galactique vous demandera des explications sur vos relations avec Masson.

L'homme se laissa traîner à l'extérieur. Dès qu'ils eurent atteint une zone d'ombre, Ray reprit : -Maintenant, j'exige la totalité des photographies ! -De quoi parlez-vous ?

Une pression sur son muscle lui arracha un cri de douleur.

-Si tu t'obstines, je te casse le bras... pour commencer.

-Vos compagnons le regretteront ! Si je ne suis pas revenu dans une heure, des amis ont ordre d'envoyer les clichés aux chaînes de télévision.

-Tu lis trop de romans policiers, ricana Ray. Ton bluff n'est guère crédible. Tu es un minable qui travaille seul. Alors ?

La douleur qui remontait maintenant jusqu'à l'épaule empêchait Ben de réfléchir, l'affolait. -Dans ma poche, articula-t-il.

Ray extirpa une enveloppe. Un rapide coup d'oeil lui permit d'expertiser la dizaine de photos. -Comment te les es-tu procurées ? -Je savais que Masson filmait les scènes d'orgies. Hier, j'ai prélevé un échantillon de quelques bandes. Je me doutais qu'il allait filer sans se soucier de nous. Je voulais rafler un paquet de fric avant de disparaître. D'ordinaire les gens riches ont très peur du scandale.

-Pas ceux-là ! tu as mal choisi tes victimes.

Maintenant, file ! Ton patron grille en enfer et pour montrer leur zèle les flics locaux cherchent ses complices.

***

Penford examinait la photo donnée par la rouquine.

-Réellement choquant, soupira-t-il, mais quel dommage que je n'en ai gardé aucun souvenir !

Plus brutal, Coloman lança :

-Cela ne m'intéresse pas !

-Moi, reprit Georges, je vous l'achète... dix dols! A condition que vous me tiriez un agrandissement. Je le mettrai dans la galerie des tableaux de mes ancêtres, là-bas, en Ecosse, en face du portrait de ma trisaïeule. Elle avait un caractère épouvantable et cela la fera se retourner dans sa tombe !

-Moi, je n'offre que cinq dols, s'esclaffa Oliver. Une excellente publicité pour mes visiteuses !

Désemparée par ces réactions inattendues, la rousse plaida d'un ton presque larmoyant :

-Soyez raisonnables ! Pensez au scandale... Surtout vous, mesdames.

Ray reparut à ce moment. Sur un signe de Marc, il avança vers Marion.

-Le chantage est une très vilaine action qui mérite une punition.

Soudain, il bascula la rouquine sur son genou et administra une vingtaine de claques retentissantes sur son postérieur rebondi puis la laissa glisser sur la moquette. Elle se redressa en se frictionnant la zone endolorie. Apostrophant Elsa et Carole, elle lança : -Vous les avez laissé me battre ! Vous le regretterez. Vos photos paraîtront dans tous les magazines à scandale.

Ray agita sous son nez l'enveloppe pleine en ricanant :

-Encore faudrait-il que ton ami les aient gardées !

Elsa ajouta sèchement : -Si on avait demandé mon avis, ce n'est pas seulement quelques caresses que j'aurais conseillées mais quelque chose de plus corsé. A vous empêcher de vous asseoir pendant un mois ! -Je me plaindrai à la police, cria Marion, hors d'elle.

-Faites, lança Carole. Je suis officier de la Sécurité Galactique. L'ordinateur judiciaire n'appréciera pas la tentative de chantage. Vous avez beaucoup de chance de vous en tirer à si bon compte !

Les Terriens sortirent, laissant la rousse effondrée. Tandis qu'ils regagnaient leur hôtel, Ray, resté en arrière, avisa la brune Nancy. Elle sursauta en le reconnaissant. -Je... Je n'ai rien fait de mal... -Tu me dois une petite compensation. -Je n'ai pas terminé mon service. -Allons, il existe des petits salons très bien aménagés pour ce que j'ai envie de faire. Imagine que je suis un gros client qui vient de perdre une fortune et qui a besoin de consolation.

Sidérée, la brunette se laissa entraîner par Ray.

CHAPITRE XIX

Depuis plusieurs heures le Mercure avait plongé dans le subespace. Marc somnolait sur le siège du copilote, attendant le moment de retrouver pour le dîner Elsa et les autres invités.

-Où est Oliver ?

-Il faisait une petite sieste dans sa cabine. Je pense même qu'il a réussi à convaincre Carole de lui tenir compagnie.

-Qu'il en profite. Lors de notre dernière mission, sitôt l'arrivée sur Terre, elle s'est éclipsée.

La sonnerie de la vidéo-radio retentit. De l'index Marc enclencha le contact. Le visage de l'amiral Neuman s'imprima sur l'écran. Un léger sourire très inhabituel flottait sur ses lèvres.

-Je voulais vous informer des derniers développements de notre affaire. Le colonel Parker a fait un rapport complet. Tous les drogués ont été soignés et ils récupéreront sans trop de difficultés leur fortune. Il est peu probable que quelqu'un se prétende héritier de Masson.

-Et les autorités de Vénusia ?-Elles se sont montrées particulièrement coopérantes. Elles souhaitent avant tout étouffer l'affaire et éviter un scandale qui ferait fuir leur clientèle. La mort de Masson et de son commanditaire les arrange. Si elles le pouvaient, elles décerneraient une médaille à Ray pour son action expéditive.

-Il ne faisait que nous protéger !

-L'ordinateur judiciaire en a jugé ainsi. Ses circuits frétillaient d'aise en prenant connaissance du dialogue de Ray avec les deux tueurs. Un parfait exemple de la conduite d'un agent en mission.

Le sourire de l'amiral s'élargit.

-J'ai toujours pensé qu'il était un androïde exceptionnel. Il devient aussi hypocrite qu'un humain ! J'ai également reçu le rapport du lieutenant Church. Elle n'a évidemment gardé aucun souvenir de son séjour au temple. Je vous remercie de l'avoir dissuadée de se lancer dans une action désespérée. Il n'est pas facile de la faire changer d'avis.

Marc réussit à rester impassible en songeant à la méthode employée.

-J'ai su trouver des arguments convaincants.

-Elle est encore impulsive mais je pense qu'elle deviendra un excellent agent. J'ai également rassuré le général Khov.

Avec une gêne imperceptible, il ajouta :

-... mais en dépit de mon insistance, il refuse de décompter cette mission de vos jours de permission. Il assure qu'un séjour sur Vénusia n'est pas un travail mais une récompense.

-J'espère, grinça Marc, que ce ne sera pas l'avis de vos services comptables. Ray prépare ma note de frais.

-Nous verrons à la régler rapidement. Merci encore, capitaine.

La communication terminée, Ray bougonna : -Ne te réjouis pas trop vite. Je connais les services administratifs. Pour eux, vite signifie entre un et deux ans !

-Pas de défaitisme ! De plus, je sais que tu as gardé une partie de nos gains mal acquis au jeu. -Les autorités de Vénusia nous devaient bien cette indemnité ! -Et la jeune Nancy ?

-Je me suis chargé d'elle. En dehors d'une fatigue certaine, elle n'aura pas à se plaindre de sa punition. -Méfie-toi, l'orgueil te perdra. Je vais rejoindre nos passagers.

Dans la cabine-salon, Penford expliquait à Elsa et Coloman :

-Goûtez ce scotch. Il est excellent, c'est moi qui le fabrique.

-Il provient de votre dernier envoi, lança Marc. Malheureusement mes réserves s'épuisent.

Penford huma le contenu de son verre avant de répondre :

-J'estime que vous faites une excellente publicité pour cette marque. Aussi j'ai décidé que vous pourriez à l'avenir commander gratuitement à la distillerie tout ce dont vous aurez besoin. Ce sera plus simple que de penser à vous envoyer régulièrement une caisse. Dès mon arrivée sur Terre, je donnerai les instructions nécessaires.

Souriante, Elsa approuva aussitôt.

-Très bien, Georges, vous êtes un vrai gentleman. Et vous, Michael, que pensez-vous offrir à notre hôte qui nous rapatrie ?

Le visage de Coloman se rembrunit.

-Avec ou sans moi à bord, les frais de l'astronef sont les mêmes. Cette lamentable équipée m'a certainement fait perdre beaucoup d'argent et vous comprendrez que je ne puis me lancer dans des dépenses somptuaires.

Avec un soupir capable d'attendrir une batterie d'ordinateurs, il ajouta :

-Marc, je vous propose une recharge pour votre distributeur alimentaire... avec une remise de dix pour cent sur son prix de vente public.

Il ne comprit pas pourquoi ses interlocuteurs éclatèrent de rire avec un bel ensemble. Vexé, il ajouta :

-Vous, Elsa, que lui offrez-vous ?

Avant qu'il réalise l'ambiguïté de sa question, Marc répondit :

-J'ai un arrangement spécial avec mademoiselle Swenson. Elle gère mes biens et, moi, je me contente de lui sauver la vie.

CHAPITRE XX

Carole sortait de la douche. Depuis son arrivée la veille sur terre, elle avait regagné son minuscule appartement dans un quartier excentrique de New-York. Sa solde de lieutenant ne lui permettait pas de s'offrir une demeure au centre de la ville. Un coup de sonnette l'obligea à enfiler un peignoir. Qui pouvait ainsi la déranger à huit heures du soir ? Elle n'attendait personne.

La porte ouverte, elle ne vit d'abord qu'un énorme bouquet de fleurs puis, à travers les tiges, elle discerna un visage souriant.

-Aspirant Standman, que venez-vous faire ici ? D'abord, comment vous êtes-vous procuré mon adresse ?

-Non sans mal, j'ai réussi à persuader le bureau du colonel Still de me la fournir.

-C'est une faute ! Quel est le but de cette visite à une heure incongrue ?

-Si tu me laissais entrer, je pourrais poser cet encombrant bouquet.

Après un instant d'hésitation, elle s'effaça.-Mettez-le sur la table, dit-elle toujours aussi sèchement.

Quand il eut obéi, il désigna un canapé.

-Puis-je m'asseoir ?

-Non... enfin oui, si vous me dites la raison de votre venue.

-Je venais te confirmer que Ray avait effacé de ses cristaux mémoriels toutes les scènes où tu apparaissais dans le temple, comme il l'avait promis. Il m'a en outre chargé de te remettre cela.

Il tendit à la jeune femme une petite bobine entourée d'une enveloppe plastique. Sur une étiquette était inscrit : Lieutenant Church.

-C'est la bande prise par Masson depuis ton arrivée au temple. Ray l'a subtilisée lors de sa perquisition. Il a estimé qu'il était inutile que tes collègues en prennent connaissance.

Carole tendit la main. Revenant au tutoiement, elle murmura :

-L'as-tu visionnée ?

-Non ! Ni moi, ni même Ray. Je crois que tu devrais la détruire sans chercher à savoir ce qui s'est réellement déroulé là-bas.

-Merci, Oliver. Veux-tu prendre un verre ?

-Très volontiers.

Elle sortit d'un placard une bouteille et deux verres.

-Tu devras te contenter de cet alcool. Moi, je n'ai pas dans mes relations un millionnaire propriétaire d'une distillerie en Ecosse comme ton ami Marc.

-A son propos, reprit Oliver le nez dans son verre, il me prête son chalet en montagne. J'ai pensé que tu aurais peut-être envie de changer d'air. Nous pourrions y passer quelques jours.

Carole le dévisagea d'un air sévère.

-Imaginez-vous, aspirant, que j'accepterais...

La sonnerie du vidéophone interrompit sa phrase. La jeune femme se raidit en reconnaissant l'amiral Neuman.

-Lieutenant Church, j'ai une nouvelle mission à vous confier.

L'imperceptible lueur ironique qui brillait dans le regard glacé de son chef intrigua Carole.

-A vos ordres, amiral.

-Vous savez que j'ai dû emprunter au S.S.P.P. deux agents dont l'aspirant Standman. Ces jeunes n'ont pas subi le dur entraînement des officiers de la Sécurité Galactique. Disons qu'ils sont encore un peu tendre physiquement et psychologiquement. Je souhaite que Standman réintègre dans une semaine son service en parfaite forme. Je vous charge donc de sa remise en condition car je ne veux subir aucun reproche du général Khov. Je compte sur vous.

L'amiral interrompit sèchement la communication, laissant Carole sidérée. Soudain sa colère éclata.

-Il se moque de moi ! Me faire jouer les infirmières, les nurses...

Tassé sur le canapé, Oliver arborait un air surpris, innocent... un peu trop innocent. La colère de Carole redoubla d'intensité. Les joues écarlates, les yeux lançant des éclairs, elle cria :

-C'est une machination ! En venant ici, tu savais que l'amiral appellerait. Réponds sans mentir !

Dans le feu de l'action, elle ne prit pas garde à la ceinture de son peignoir qui s'était dénouée, livrant une vue sur son anatomie parfaite. Oliver détacha son regard du tableau charmant.

-Disons seulement que je l'espérais. Lorsqu'il m'a chargé de te retrouver, avant d'accepter, j'avais seulement suggéré qu'en cas de réussite, il devrait t'offrir huit jours de permission en ma compagnie. C'était une boutade et je ne pensais pas qu'il s'en souviendrait.

-L'amiral n'oublie jamais rien, ragea-t-elle.

Sa colère retomba aussi vite qu'elle avait éclaté. Elle dévisagea un moment Oliver en silence. -Neuman a raison. Tu as très mauvaise mine. Demain nous partirons pour la montagne. L'air pur et un peu d'exercice te feront le plus grand bien. Elle lui saisit la main, l'obligeant à se lever. -Pour que tu sois en état de supporter le voyage, il est indispensable que tu te couches tôt.

Le poussant vers la chambre, elle ajouta en laissant glisser son peignoir à terre : -Tu as entendu les ordres de mon supérieur, je dois veiller à ta remise en forme. Alors au lit et vite !

FIN