Karl, avec un sourire, saisit rapidement la ceinture qu'il boucla autour de sa taille. Heureux comme un gosse qui vient de recevoir un nouveau jouet, il enclencha l'écran protecteur.

Aussitôt un éclair jaillit de la boucle, aveuglant. Le corps de Karl se convulsa un instant puis glissa sur la moquette tandis qu'une horrible odeur de brûlé s'élevait du générateur qui avait fondu. Naturellement, Karl n'avait pu deviner que Marc avait enclenché le système d'autodestruction prévu par le S.S.P.P. pour le cas où l'engin tomberait entre des mains inamicales !

Malden s'essuya le front subitement couvert de sueur. Avant de se coucher, il avait eu envie d'essayer la ceinture, mais il avait renoncé par paresse !

Il alluma son cigare d'une main agité d'un petit tremblement. Tâtant du pied le corps de Trenton, il murmura avec un sourire :

-Ce cher Karl m'a rendu en mourant un dernier service. De toute façon, j'aurais dû me débarrasser de lui dans un avenir proche. Il commençait à devenir trop ambitieux !

Retournant s'asseoir à son bureau, il bascula un interrupteur. Peu après, un visage rond barré d'une grosse moustache s'inscrivit sur l'écran.

-Colonel Smalwood, dit Malden, nous avons un problème de sécurité qui relève de votre compétence. Des primitifs se sont évadés de l'arène.

-J'ai été informé par M. Trenton. Je pensais les capturer rapidement, malheureusement j'ai déjà perdu trois hommes. De plus, dans l'affolement, plusieurs autres ont été blessés par le tir désordonné de leurs camarades.

-Vos hommes sont bien mal entraînés. Je ne les paie pas uniquement pour manger et boire ! Voici mes instructions dont vous êtes personnellement responsable : vous devez établir un barrage à la limite du parc pour empêcher les fugitifs de gagner la forêt. Avant l'aube, je veux que ces primitifs soient anéantis et la femme qu'ils détiennent libérée.

-Cela risque d'être difficile, objecta le colonel.

-C'est votre travail, trancha Malden. Utilisez tous les hommes disponibles. Au besoin, promettez-leur une bonne prime en cas de réussite ! Je veux être régulièrement informé de votre action.

Le soleil était maintenant levé. Dans une clairière, un garde était dissimulé dans un fourré. Deux heures plus tôt, une hélibulle l'avait déposé là, avec pour mission d'empêcher tout franchissement de la zone.

Un bruissement le fit se retourner brusquement, le doigt sur la détente de son fusil. Au dernier moment, il interrompit son geste. Le sergent Joë, gros et massif, se dressait devant lui.

-Un peu plus, j'allais tirer, soupira-t-il.

-Du calme, Yvan, ce n'est que moi !

Le sergent s'assit à terre, ôta son casque et s'épongea le front tandis que son compagnon demandait :

-Que fais-tu ici ? Tu devrais être à ton poste !

Le gros type esquissa une grimace.

-J'ai guetté à m'en user les yeux et je n'ai rien vu. Tu ne m'ôteras pas de l'idée que tout ceci n'est que du bidon.

-Que veux-tu dire ?

-C'est une sorte d'exercice décidé par les pontes pour s'amuser. Comment veux-tu que des primitifs se promènent dans un parc d'agrément? D'abord d'où sortiraient-ils? Depuis un siècle, il n'a jamais été signalé un seul autochtone sur Vénusia ! Continue ta garde si tu le veux, moi, je m'offre une petite sieste. Je déteste être réveillé en plein sommeil comme cela s'est produit cette nuit.

Il s'allongea sur une mousse douce à souhait, bascula son casque en avant et ferma les yeux. Une douce somnolence l'envahissait lorsqu'il perçut un curieux gargouillis. Un peu, malgré lui, il ouvrit les yeux et se redressa. Il eut la vision fugitive d'Yvan allongé sur la terre, le cou maculé de sang, puis celle d'un colosse vêtu d'un simple pagne qui se ruait sur lui. Le reflet brillant du soleil sur une lame frappa ses rétines puis il eut l'impression qu'un énorme projectile heurtait son estomac. Il hoqueta de douleur, regardant avec étonnement le visage grimaçant du primitif et la poignée d'une épée tout contre son ventre. Avec curiosité, il se demanda où pouvait être la lame puis le ciel parut basculer et s'obscurcit.

Clésius, d'un geste sec, retira son glaive du corps du garde et l'essuya machinalement sur la tunique puis il se tourna vers ses compagnons dissimulés à quelques mètres dans un gros buisson.

-Nous avons rompu leur encerclement, dit Alcis. Maintenant nous pouvons nous enfoncer dans la forêt où nous serons à l'abri pour nous reposer.

Marc hocha machinalement de la tête, mais au moment où le prince se mettait en marche, il lança rapidement :

-Attendez, je pense avoir une meilleure idée.

***

Le colonel Smalwood se laissa tomber dans le fauteuil que lui désignait Malden de l'extrémité de son cigare. Il s'essuya discrètement le visage avec un mouchoir, car malgré les climatiseurs, il transpirait abondamment.

-Alors! Où en êtes-vous? aboya Malden.

-C'est incompréhensible, bafouilla le malheureux colonel. Selon vos instructions, j'avais établi un barrage à la limite du parc, un homme tous les deux cents mètres avec des liaisons radio. A midi, comme le secteur était toujours calme, un officier a entrepris une inspection. C'est alors qu'il a découvert deux cadavres. Leur mort remontait à deux heures environ. Je ne comprends toujours pas comment ils ont pu se laisser surprendre.

Malden émit un ricanement.

-Ces primitifs sont de véritables combattants, eux, et non des paresseux qui vivent dans l'insouciance ! Que proposez-vous maintenant ?

Le colonel montra un point sur la carte.

-Ils ont franchi notre ligne à ce niveau. Ils se déplacent à pied et ont trois heures d'avance. Ils ne peuvent donc se trouver que dans ce cercle.

De la main, il balaya une région de la carte.

Je propose donc de faire déposer par hélibulle des groupes là, là et là, et d'encercler toute cette portion de forêt.

-Qu'attendez-vous pour agir? grogna Malden.

Le colonel se trémoussa, fort mal à l'aise.

-Pour ne pas renouveler nos précédentes erreurs, il faut augmenter considérablement nos effectifs.

-Pourquoi?

-Si quelques hommes seulement se heurtent à vos fugitifs groupés, ils risquent d'être écrasés rapidement. N'oubliez pas qu'à chaque rencontre, les fusils ont disparu !

-Jusqu'à présent tous vos gardes ont été tués à l'arme blanche !

-C'est exact, mais je ne puis en prendre le risque. Les hommes refuseraient d'ailleurs de s'aventurer la nuit en forêt sans protection.

-Pourquoi n'utilisez-vous pas de « trans » ?

-Le sous-bois est trop dense pour des véhicules. Vous savez que pour protéger le caractère naturel du parc, toute construction de route a été interdite.

-Et les hélibulles?

-Il leur est impossible de repérer des individus se déplaçant à l'abri des arbres.

Excédé, Malden s'exclama :

-Que désirez-vous au juste ?

Dans un souffle, le colonel lança très vite :

-La quasi-totalité des effectifs disponibles. Cela signifie qu'il faut pratiquement dégarnir la ville de toute force de police et alléger considérablement le dispositif autour de l'aéroport.

Malden hésita un long moment, tirant nerveusement de grosses bouffées de son cigare.

-Pour la ville, murmura-t-il enfin, c'est d'accord. Si un pochard déclenche une bagarre, cela importera peu. Toutefois, faites garder le centre de communication subspatiale. Quant à l'astroport, resserrez votre dispositif autour de la tour de contrôle et veillez à ce que les astronefs sur le terrain, conservent leurs sas rigoureusement fermés ! Dites à vos hommes que j'offre mille « dols » par primitif abattu et dix mille si on me ramène vivante miss Swenson !

Le colonel se leva avec un sourire :

-Voilà une nouvelle qui stimulera leur zèle. Je ne doute pas que demain j'aurai enfin de bonnes nouvelles à vous apporter !

-Je l'espère ! grogna Malden.

Smalwood sorti, Malden compulsa un répertoire.

-il faut maintenant songer à distraire les clients ! Une soirée gratuite devrait les faire patienter. Plus ils sont riches, plus ils sont friands d'économies. Je pense qu'un vidéo-film tridi bien sanglant devrait les mettre en forme. Ensuite une orgie avec l'apport de quelques filles les fera patienter.

Enclenchant une touche, il ordonna à sa secrétaire :

-Envoyez-moi immédiatement Jacky !

CHAPITRE XI

Le jour commençait à tomber. Dissimulé dans un épais fourré, à l'abri de grands arbres aux formes tourmentées, semblant s'élever douloureusement vers le ciel, un petit groupe d'hommes somnolait.

Marc reposa le récepteur radio qu'il avait prélevé sur le corps du gros sergent.

-Notre ruse, dit-il, semble avoir réussi. Comme je le pensais, ils ont cru que nous avions poursuivi notre marche dans la forêt. Ils n'ont pas encore compris que nous avons simplement longé le barrage avant de revenir sur nos pas. Ils semblent avoir mobilisé de nombreuses forces pour encercler cette portion de bois. D'après leurs communications radio, cela fait plus de cinquante hélibulles qui déversent sans interruption des forces. Malgré cela, ils ne se sentent pas très rassurés car ordre vient de leur être donné, une fois l'encerclement terminé, de rester sur place et de ne reprendre leur avance que demain à l'aube.

-Penses-tu attaquer la ville ? demanda Alcis.

A ce moment, Elsa intervint. Sa présence au milieu de ce groupe paraissait totalement insolite. Vêtue de son élégante combinaison dorée, elle était assise sur une souche et buvait avec grâce un verre. On l'aurait crue directement transposée d'une soirée mondaine ! Les épreuves de la nuit avaient un peu tiré les traits de son visage mais le sommeil de l'après-midi avait effacé en partie les fatigues de la longue marche.

-Un bien joli tableau, soupira Marc.

La jeune femme, qui avait retrouvé sa froide lucidité, dit :

-Tout ceci est ridicule, capitaine Stone ! Laissez-moi aller discuter avec Malden. Je vous promets que nous pourrons nous entendre. Après tout, rien d'irréparable n'a encore été commis. Stéphan a enfreint quelques petites lois mais cela sera à l'ordinateur judiciaire de la Terre de décider de sa condamnation.

Marc émit un rire sarcastique.

-Je crains que vous n'ayez qu'une vue fausse de la situation. Malden sait qu'il risque au minimum de très lourdes amendes et surtout un énorme scandale. Or le scandale est ce que craint par-dessus tout la très riche clientèle de Vénusia. Nul doute qu'ils abandonneront cette planète plus vite que les rats ne quittent un navire en perdition. Ainsi, même s'il évite une condamnation au bagne, Malden sera ruiné. Je pense donc qu'il ira jusqu'au meurtre et au massacre pour éviter cette éventualité.

Elsa réfléchit un long moment. Derrière ses yeux verts, il semblait qu'une machine à calculer s'était mise en mouvement.

-Il se peut que vous ayez raison, reconnut-elle avec regret. Que proposez-vous ?

Un instant, Marc se demanda s'il pouvait lui faire confiance puis il opta pour la franchise.

-Pourriez-vous me décrire la ville ? En tant que touriste, mes moyens ne m'ont jamais permis de m'y rendre et comme prisonnier j'ai toujours été calfeutré dans un véhicule !

Pleine de bonne volonté, Elsa dessina sur le sol un plan sommaire. Elle marqua remplacement de l'astroport d'une baguette coupée puis indiqua :

-La ville se trouve à une vingtaine de kilomètres. Là se situent les arènes, là le bâtiment des privilégiés où j'étais, et l'immeuble de Maiden qui sont un peu à l'écart. La ville proprement dite s'étend ici avec les hôtels, les maisons de jeux, les salles de spectacles et les cabarets, sans oublier les deux ou trois Eros-Centers. L'immeuble des communications est ici. Il est reconnaissable car surmonté d'une multitude d'antennes.

Marc examina attentivement le schéma, puis questionna :

-Comment se présente le building de Malden ?

-C'est une véritable forteresse ! Il contient tous les services administratifs de Vénusia ainsi que des chambres pour certains membres du personnel. Les appartements de Stephan occupent les deux derniers étages. On ne peut y accéder que par deux ascenseurs privés. L'ensemble est bardé de réseaux de surveillance, tous centralisés dans le bureau de Maiden. Si vous parveniez à entrer dans l'immeuble, vos moindres gestes seraient épiés. De plus, si les choses tournaient mal, Stephan possède plusieurs hélibulles sur le toit-terrasse et s'enfuira rapidement pour se mettre à l'abri n'importe où !

-Je crains que vous n'ayez malheureusement raison. Il va falloir me rabattre sur la ville.

Ayant laissé réfléchir Marc plusieurs minutes, Elsa reprit :

-Je n'ai aucun conseil à vous donner et je sais que vos compagnons vous suivront aveuglément. Toutefois, je ne pense pas qu'il soit digne d'un agent de la Sécurité Galactique de se répandre dans une ville, de massacrer au hasard ou de prendre des innocents en otages.

Avec une petite moue dédaigneuse, elle ajouta :

-Ne croyez pas que je porte à ces gens le moindre intérêt mais ceux qui habitent la ville n'ont commis aucune faute. Tout au plus ont-ils le tort d'être un peu trop riches et d'avoir voulu se distraire entre eux en profitant des facilités offertes par Vénusia mais qui ne dépassent guère ce que vous pouvez trouver sur la Terre, à Las Vegas par exemple. Il est des moyens qu'on ne peut employer, comme les prises d'otages, même pour défendre une cause juste.

Devançant une protestation de Marc, elle poursuivit :

-Je mets mon propre cas totalement à part. Là, vous étiez en légitime défense et c'est moi qui avais ouvert les hostilités! Si l'occasion se présente, croyez que j'offrirai une fortune, non pour retrouver ma liberté mais pour sauver votre vie et celle de ces hommes !

Marc souffla bruyamment comme un boxeur sonné qui tente de récupérer un peu de lucidité.

-Merci, murmura-t-il. Dans le feu de l'action, j'ai laissé la haine envahir mon esprit. Malden a détruit Ray, mon androïde. Quoique cela puisse sembler impossible, il était mon seul et véritable ami !

-Je vous comprends, dit-elle, le regard perdu dans le vague. J'ai éprouvé un même sentiment avec l'androïde qui s'était occupé de moi pendant toute ma jeunesse !

Se secouant brusquement, elle demanda d'un ton frivole :

-Alors, quel est le programme ?

-Nous attaquerons le centre des communications. C'est ma seule chance de faire parvenir un rapport à l'amiral Neuman !

Marc s'entretint ensuite avec Alcis pour lui expliquer son projet. Le prince, un peu dépassé par ce monde qu'il ne comprenait pas, ne put qu'acquiescer.

-Maintenant, dit Marc en se levant, nous allons profiter des dernières lueurs du jour pour vous entraîner au maniement des lasers.

Alcis secoua la tête.

-Les épées de nos pères nous suffisent.

-Pour combattre nos adversaires, il faut malheureusement plus.

Quelques minutes de discussion finirent par convaincre Alcis. Les fugitifs disposaient de cinq fusils et de quatre pistolets. Patiemment, Marc leur apprit à viser. A la grande surprise d'Elsa qui pensait cette tentative vouée à l'échec, les primitifs obtinrent rapidement des résultats honorables.

-Ils ont un sens inné du combat, expliqua Marc, et la pratique du tir à l'arc est une excellente école. Pour manier une arme, il n'est nul besoin de connaître la théorie du laser !

Le visage réjoui, Alcis brandit son fusil.

-Peut-il tirer éternellement ?

-Hélas non ! Il fonctionne tant que l'énergie est suffisante.

Devant la mine incompréhensive de son ami, il précisa :

-Cela correspond environ à quatre cents fois. Ensuite il faut changer le chargeur.

Regardant disparaître le soleil à l'horizon, Marc annonça :

-En route ! Par chance, le bâtiment que nous devons attaquer est à la limite de la forêt, nous n'aurons qu'une courte zone à franchir à découvert.

Ils marchèrent deux bonnes heures avant de distinguer l'orée de la forêt. Au milieu d'une brillante illumination se dressait le centre des communications. C'était un immeuble carré de quatre étages. Comme l'avait annoncé Elsa, sur le toit se dressait une kyrielle d'antennes dont une de plus de trente mètres réservée aux communications subspatiales. C'est grâce à cette technique utilisant les propriétés du subespace que les messages atteignaient la Terre en quelques secondes et non deux ou trois centaines de siècles plus tard.

Se glissant à la limite des arbres, Marc examina le bâtiment et réprima un juron. Deux « trans » de la police avaient pris position aux angles et il était probable qu'il y en avait autant sur l'autre face.

-Malden a prévu que je voudrais lancer un message, grinça Marc. Malgré cela, je ne peux pas manquer ma dernière chance.

Il disposa deux fusils à chaque angle du bâtiment, avec ordre de tirer sur les véhicules, puis prit position en face de la porte principale avec quatre gladiateurs. Deux gardes poursuivaient là un monotone va-et-vient.

Marc se tourna vers Elsa et murmura :

-La minute de vérité approche !

Appuyant son fusil-laser contre un arbre, il détacha le collier noir du cou de la jeune femme et le lui tendit ainsi que le boîtier. Elle le regarda agir, affichant un air des plus étonnés.

-Reprenez-les, dit-il. S'il m'arrivait malheur, je ne voudrais pas que le boîtier tombe entre des mains étrangères.

Elsa laissa glisser sur le sol les deux objets et les piétina sauvagement.

-Je vous jure que je n'avais pas imaginé qu'il pût causer des souffrances aussi insupportables ! murmura-t-elle d'une toute petite voix.

-Maintenant vous êtes libre, ajouta Marc. Dans peu de temps, ou ma mission sera terminée, ou je serai mort. Il est inutile que vous risquiez plus longtemps votre vie. En longeant la forêt sur quelques centaines de mètres, vous pourrez regagner votre bloc d'habitation.

La jeune femme esquissa un pas et se ravisa aussitôt.

-Connaissant maintenant le vrai caractère de Stephan, je pense qu'il ne me relâchera jamais. Je suis un témoin beaucoup trop compromettant.

-Vous pourriez traiter avec lui. Il connaît certainement votre fortune.

-Jamais je ne céderai à son chantage et je veux clamer la vérité quelles qu'en soient les conséquences. Même si je feins la soumission, Maiden est trop rusé pour ne pas s'en apercevoir rapidement. J'ai toujours été une très mauvaise comédienne ! Aussi je pense que je suis beaucoup plus en sécurité en votre compagnie qu'en la sienne. Je vous suivrai donc!

Elle interrompit la protestation de Marc en disant ironiquement :

-Vous m'avez redonné la liberté, c'est donc que j'ai la possibilité de me rendre où je le désire !

Marc capitula. Il n'avait plus le choix et il lui fallait agir vite. Il leva le bras pour avertir ses deux ailes puis visa soigneusement. Deux éclairs rouges jaillirent presque simultanément et les deux gardes s'écroulèrent. Marc se rua en avant, sans cesser de tirer sur la serrure de la porte close, suivi des gladiateurs. Alcis et Clésius avaient également ouvert le feu sur les silhouettes entourant les véhicules. Bien vite, ceux-ci s'enflammèrent et explosèrent, arrosant de débris incandescents les gardes survivants surpris de cette attaque aussi brutale qu'imprévue.

Pendant ce temps, Marc arrivait devant la porte déchiquetée par son tir. Il l'enfonça d'un coup de pied et se jeta immédiatement de côté. Ce fut heureux pour lui car un tir nourri l'accueillit. Il fit signe à ses amis de se plaquer contre le mur de chaque côté de la porte. Toutefois, un gladiateur armé d'un pistolaser se lança en avant, tiraillant dans tous les sens. Aussitôt deux faisceaux-laser le touchèrent en pleine poitrine. Il trébucha, laissant échapper son arme. Saisissant son glaive passé dans la ceinture de son pagne, il trouva la force d'avancer de quelques pas et de clouer contre le mur un garde médusé d'une telle résistance.

Cette horrible diversion, toutefois, donna à Marc la possibilité d'intervenir et de liquider les trois gardes qui restaient. Par signes, il ordonna à Alcis et

Clésius de les rejoindre. Laissant trois hommes surveiller la porte d'entrée et l'unique fenêtre, il grimpa rapidement au premier étage qui semblait vide d'occupants. Ils se postèrent aux fenêtres.

Les « trans » de surveillance s'étaient précipitamment reculés hors de portée des lasers. Pensant avoir la situation bien en main, Marc se mit en quête de l'émetteur subspatial.

CHAPITRE XII

Malden achevait de se préparer pour présider à l'ouverture de la soirée qu'il avait organisée avec soin. Cette fois, il n'avait pas lésiné. Non seulement les androïdes avaient été mobilisés mais il avait fait venir une vingtaine de filles et d'hommes de l' « Eros-Center », leur promettant une prime confortable à la seule condition de satisfaire pleinement leurs clients.

Pour sacrifier à la couleur locale, il enfila une tunique de lin, bordée de franges dorées, et posa sur sa tête une fausse couronne de laurier en véritable matière plastique. Il s'examina un instant dans un miroir d'un oeil critique.

-Quelle comédie ridicule, marmonna-t-il. Et cet imbécile de Smalwood qui n'a pas encore réussi à récupérer la fille! Celle-là, j'aurais plaisir à la dresser ! Qui sait si le plus simple ne serait pas de l'obliger à m'épouser ! Ainsi j'aurais toute sa fortune et non quelques miettes !

Cette perspective le dérida et il allait quitter d'un pas guilleret son appartement quand la sonnette du vidéotéléphone retentit. Le visage rubicond du colonel s'imprima sur l'écran.

-Monsieur Maiden ! C'est incompréhensible ! Le centre de transmissions vient d'être attaqué !

Maiden laissa échapper une bordée de jurons.

-Vous aviez organisé une surveillance.

-Naturellement, mais...

-L'assaut a-t-il été repoussé?

-C'est-à-dire... je pense que les gardes... Enfin ils ont été contraints...

Un véritable hurlement jaillit de la gorge du grand patron.

-Oui ou non, les assaillants ont-ils réussi à pénétrer dans le bâtiment ?

-Oui, souffla Smalwood en s'essuyant le visage. Mes hommes ont dû se replier devant des forces largement supérieures mais ont combattu...

-Je sais, ricana Maiden, quelques primitifs et un seul Terrien. Où en êtes-vous exactement? Surtout ne me mentez pas ou je vous vire immédiatement ! Croyez-moi, il s'écoulera des années avant que vous retrouviez même un emploi de simple flic !

Les traits de Smalwood se crispèrent et son teint devint livide.

-Les assaillants ont pénétré dans l'immeuble où toute résistance semble avoir cessé. Je ne vois pas comment ils sont ici alors que nous les avons encerclés dans la forêt. J'ai personnellement inspecté le dispositif en fin d'après-midi et je suis sûr qu'il était humainement impossible de franchir le barrage mis en place.

-C'est qu'ils n'étaient pas dans votre nasse, imbécile ! répliqua Maiden d'un ton cinglant.

Soudain il tressauta et hurla :

-Détruisez immédiatement l'antenne du transmetteur subspatial.

Devant la mine ahurie de son subordonné, il répéta en détachant les mots :

-Je vous donne l'ordre formel de détruire cette antenne. Je veux que dans moins de trois minutes, vous me rappeliez pour m'assurer que cette mission, au moins, a été exécutée. Dites à vos hommes de concentrer le feu de leur fusil-laser sur la base du pylône. Nécessairement il s'abattra.

-Il faudra alors plusieurs jours pour rétablir les communications avec la Terre, objecta Smalwood.

-Je m'en fiche ! Exécution !

Rageusement, Malden interrompit la communication. Il bascula alors sur un autre circuit.

-Jacky, grogna-t-il.

Un jeune homme à l'allure légèrement efféminée répondit aussitôt :

-Oui, monsieur.

-Vous présiderez à ma place la soirée ! Inventez n'importe quelle excuse pour expliquer mon absence.

Jacky se récriait déjà :

-La ferme! Je vous paie pour exécuter mes ordres et non pour discuter! C'est le moment de prouver vos capacités !

Malden arracha rageusement la couronne de faux laurier qui lui piquait le sommet du crâne et il la balança à l'autre extrémité de la pièce. Il allumait nerveusement un cigare lorsque Smalwood l'appela.

-L'antenne est détruite, monsieur.

Malden poussa un soupir de soulagement. Toute communication avec la Terre était maintenant interrompue. Son oeuvre allait pouvoir être préservée. Le colonel poursuivait :

-J'ai appelé des renforts de l'astroport et nous encerclons le bâtiment. Dès que mon dispositif sera en place, nous donnerons l'assaut.

-Parfait ! Je souhaite que cet incident soit réglé rapidement. Si miss Swenson est toujours parmi eux, essayez de la récupérer vivante. Mon offre de prime de dix mille « dols » est toujours valable. Prévenez-moi lorsque vous attaquerez !

***

Marc s'était installé sur le siège de l'opérateur radio. Fébrilement, il tâtonnait pour accrocher la fréquence réservée à la Sécurité Galactique. Finalement le visage d'un militaire apparut sur l'écran. Sans lui laisser le temps de parler, Marc lança vite :

-Capitaine Stone, je veux un enregistrement immédiat. Priorité A1. Je suis sur Vé...

Brutalement, l'écran s'obscurcit. Marc tenta de modifier les réglages, mais il dut se rendre à l'évidence.

-L'émetteur est hors d'usage, dit-il à Elsa d'une voix blanche. Maiden a réagi bien rapidement.

Se levant avec lassitude, il ajouta :

-Allons rejoindre nos amis pour mourir dignement avec eux.

Miss Swenson hocha la tête.

-Il nous reste peut-être une chance. Si nous parvenons à effectuer une sortie, nous pourrions tenter de gagner l'astroport. Mon astronef est sur le parking ouest. Si nous l'atteignons, nous disposerons d'un moyen de fuite ou au moins d'une radio à grande puissance.

Marc acquiesça en soupirant :

-Pourquoi pas ?

Il descendit l'escalier et gagna le premier étage. A une fenêtre, Alcis lui montra une dizaine de « trans » qui s'immobilisaient à distance. De nombreuses silhouettes en jaillissaient et se dispersaient dans la nuit.

-Ils sont au moins une centaine, dit calmement le prince. Croyez-vous qu'ils attaqueront bientôt?

-C'est probable. Il faut dire aux hommes de se tenir à l'abri. Chaque fenêtre sera soumise à un feu intense. Inutile de riposter tant qu'ils ne seront pas à proximité. Mieux vaut leur laisser croire que nous sommes encore plus faibles que la réalité. De toute façon, ils ne peuvent pénétrer que par la porte du rez-de-chaussée. Les tirs sur les autres façades ne seront que des diversions.

-J'ai quatre hommes en bas. Trois prendront la porte en enfilade et le quatrième surveillera la fenêtre. De plus, nous avons récupéré les fusils des gardes tués, ce qui augmente notre puissance de feu.

-Parfait! Que ceux du premier étage ne se démasquent qu'au dernier moment. Je vais monter sur le toit terrasse pour le cas où un hélibulle tenterait de déposer des troupes pour nous prendre à revers. En rampant jusqu'à l'extrémité de la corniche, je pourrais également tirer dans la rue.

Alcis approuva de la tête en disant :

-Va, ami. Que les dieux te protègent !

Marc grimpa l'escalier, se demandant quel instinct le poussait à poursuivre un combat que maintenant il savait sans espoir. Aucun miracle n'était possible. Neuf hommes, aussi courageux qu'ils soient, ne pouvaient résister à des centaines d'autres pareillement armés. Inévitablement, ce que les militaires appelaient pudiquement le coefficient de saturation, jouerait et ils seraient submergés. Ce n'était pas une guerre nationale qu'entreprenait Marc. De quelle importance était de tuer vingt, cinquante, cent gardes même ! Malden trouverait toujours des volontaires sur Terre pour les remplacer. Il n'y avait aucune chance pour que lui risque sa précieuse existence !

Pourtant l'infime espoir qu'avait Marc de pouvoir gagner l'astroport l'obligea à se hisser sur le toit. La grande antenne était abattue en travers, expliquant la subite mutité de l'émetteur. Marc frappa rageusement du poing l'amas de ferraille. Il s'allongea sur le plastique chaud du toit jetant un regard sur le ciel étoilé, songeant aux dizaines de planètes qu'il aurait encore pu explorer, à toutes les filles qu'il aurait pu séduire.

Un grattement le fit se retourner, le doigt crispé sur la détente de son arme. Elsa était allongée à deux mètres de lui. Il lui fit signe de descendre se mettre à l'abri, mais elle secoua la tête.

Au même instant, le colonel Smalwood consultait son chronomètre. Une étrange exaltation s'était emparée de son esprit. Il se sentait enfin devenir l'officier qu'il aurait pu être si son penchant pour la bouteille et les femmes faciles ne l'avait fait chasser de l'armée de l'Union Terrienne de nombreuses années auparavant.

Un lieutenant accourut vers lui.

-Les hommes sont en place, mon colonel, souffla-t-il.

D'un geste volontairement théâtral, Smalwood leva lentement le bras puis l'abaissa brusquement. Aussitôt l'enfer se déchaîna. Des centaines de rayons laser zébrèrent la nuit d'éclairs rougeâtres, frappant l'immeuble.

-Première section, en avant! hurla le colonel.

Aussitôt une vingtaine d'hommes s'élancèrent pour s'aplatir sur le sol cinquante mètres plus loin.

-Deuxième section !

La même manoeuvre se déroula sans incident.

-Ils doivent être terrorisés, ricana le lieutenant. Ils n'osent même pas riposter.

Avec un petit sourire suffisant, le colonel, un peu déçu du manque de réaction de l'ennemi, répondit :

-Lieutenant, il ne faut jamais mésestimer un adversaire. C'est toujours dangereux et surtout cela diminue vos mérites.

A dire vrai, la fin de phrase fut prononcée à voix si basse qu'elle fut inaudible.

-Envoyez l'hélibulle ! Nous devons les assaillir de toutes parts.

Du haut de la terrasse, Marc suivait la progression des gardes sous la protection d'un important tir de couverture. Ce fut Elsa qui attira son attention vers le ciel.

-Attention, Marc, un hélibulle.

L'appareil qui se dessinait sur l'ombre du ciel n'était plus qu'à une cinquantaine de mètres et progressait rapidement. Marc visa soigneusement et ouvrit le feu à cadence rapide. L'engin parut s'immobiliser puis brusquement s'embrasa et tomba sur ses propres troupes, créant un flottement certain.

-Qu'ils tirent, qu'ils tirent, marmonna Marc.

Comme si Alcis l'avait entendu, des jets lasers jaillirent des fenêtres. Surpris par le déluge de feu, les deux sections d'assaut hésitèrent puis se replièrent, laissant près des trois quarts de leur effectif sur le terrain.

Hébété, Smalwood assista à la fuite éperdue des survivants, courant pour tenter de trouver un abri.

-Ce n'est pas possible, murmura-t-il.

A ce moment, un appel de Malden lui parvint :

-Alors, colonel, où en êtes-vous ?

-Notre premier assaut n'a pas totalement réussi, bégaya-t-il. Il me faudrait des renforts.

-Rappelez tout les hommes qui se baladent en forêt sans aucune utilité. Je veux que tout soit terminé avant l'aube !

CHAPITRE XIII

Le sergent Fred Mortimer conduisait lentement son « trans » à travers les rues assez animées de la ville. Depuis des années, il effectuait le même itinéraire. Ancien de la police de Los Angeles, il avait accepté de venir sur Vénusia en raison de la solde élevée, mais il espérait bien retourner sur terre pour profiter de sa retraite. Son travail ici lui plaisait car peu fatigant. Une à deux fois par mois, tout au plus, avait-il à empêcher un client fin saoul de faire trop de scandale.

L'essentiel était d'agir en douceur et de raccompagner le type discrètement à son hôtel. Un vrai travail de nurse, avait-il coutume de dire à Sam, son jeune coéquipier, beaucoup plus tranquille que les quartiers sordides de ma jeunesse !

Il lança un coup de coude dans les côtes de son collègue.

-Pendant notre heure de pause, nous irons prendre un verre à l'Eros-Center. Il est déjà tard et je connais une ou deux filles qui, si elles n'ont pas de clients intéressants, sont compréhensives. Il suffit de payer un whisky tassé à la patronne.

Sam, plus jeune, resté très service-service, désigna un point à l'horizon où le ciel noir s'illuminait par instants d'éclairs rouges.

-Il y a du grabuge du côté de l'immeuble des télécommunications. D'après les messages radio, les combats sont durs et au nombre d'ambulances appelées, il doit y avoir des pertes. Qui sait, si nous pourrions être utiles ? Si nous y allions ?

Le sergent continua imperturbablement son circuit à petite vitesse.

-C'est le travail des gars du Service de Sécurité, grogna-t-il, nous n'avons pas à nous en mêler.

-D'après ce que j'ai compris, reprit Sam, ils recherchent quelques primitifs qui se seraient évadés des arènes.

Devant l'absence de réaction de son coéquipier, il poursuivit :

-D'où peuvent sortir ces primitifs, s'étonna-t-il, je croyais Vénusia dépourvue d'autochtones ?

Fred poussa un soupir excédé.

-Ferme-la, Sam ! Ce qui se passe dans le quartier des privilégiés ne nous concerne aucunement. Crois-moi, moins tu poseras de questions et plus longtemps tu continueras à toucher ta solde. Moi, mon contrat expire dans trois ans, le reste importe peu.

Il ralentit pour arrêter le « trans » à peu de distance de l'Eros-Center.

-Alors, tu viens boire ce verre? demanda-t-il.

Soudain les portes de l'établissement s'ouvrirent brutalement, laissant échapper un flot d'hommes et de femmes hurlant de peur. Ils couraient dans la large avenue, se moquant éperdument de leur nudité.

Fret! descendit et happa le bras d'une jeune femme, vêtue seulement d'un collier de fleurs.

-Que se passe-t-il ? demanda-t-il en la secouant sans ménagements.

-Un monstre, hoqueta-t-elle, une créature d'acier, elle détruit tout sur son passage. Il faut fuir !

Perplexe, le sergent avait relâché son étreinte. La jeune fille se dégagea d'une secousse et s'enfuit dans la nuit. Fred ne tarda pas à avoir l'explication de cette panique.

Le mur de l'immeuble devant lui parut se désagréger sur une surface de trois mètres de diamètre. A travers la poussière soulevée, il aperçut une silhouette qui avançait rapidement, traversant en biais l'avenue.

-Bon Dieu, jura le sergent, on dirait un robot de combat ! Il se dirige vers l'hôtel Aphrodite !

Il décrocha son micro et appela :

-Commissariat Central ! Ici patrouille 4.

Une voix nerveuse répondit aussitôt :

-Patrouille 4, que se passe-t-il ? Nous venons de recevoir un appel de l'Eros-Center II auquel nous n'avons rien compris !

Mortimer fit son rapport avec le calme du vieux briscard qui ne se laisse pas émouvoir. Cela lui valut toutefois une réponse cinglante.

-Totalement ridicule ! N'auriez-vous pas forcé sur la bouteille ?

-Je maintiens les termes de ma déclaration, rétorqua Mortimer. Vous devriez conseiller l'évacuation de l'hôtel Aphrodite. L'engin l'atteindra dans trois ou quatre minutes.

L'opérateur de service hésita un instant.

-Je demande des instructions, dit-il enfin. En attendant, ne perdez pas de vue cette créature et restez en contact permanent sur cette longueur d'onde... Servez-vous de votre caméra pour transmettre des images.

Le sergent monta dans son « trans ».

-Tu as entendu les ordres, Sam. En route ! Nous resterons toutefois à distance respectueuse. Je tiens à profiter de ma retraite.

Comme prévu, le robot arriva devant l'hôtel. Sans ralentir son avance, il leva ce qui semblait être un bras droit et un éclair mauve en jaillit, traduisant une décharge d'un désintégrateur. Immédiatement, une partie du mur se volatilisa.

Avec précision, Mortimer commentait l'action, comme un reporter professionnel. Le robot ayant disparu dans l'hôtel, Sam demanda :

-Allons-nous le suivre ?

Fred réfléchit un instant.

-Non ! Il se déplace strictement en ligne droite. Contourne l'immeuble, je te parie que nous ne tarderons pas à le voir arriver.

***

Incapable de rester en place, Maiden arpentait son bureau, tirant nerveusement sur son cigare à demi éteint. Il ne comprenait pas comment une poignée de sauvages avait pu résister à ses gardes.

-Smalwood est un incapable. Je le virerai à la prochaine occasion !Soudain le visage blême du colonel s'inscrivit sur l'écran. De grosses gouttes de sueur perlaient à son front.

-Une nouvelle catastrophe, monsieur Maiden, haleta-t-il. L'Eros-Center II et l'hôtel Aphrodite viennent d'être attaqués. Cette fois, il semble que ce soit par un robot de combat !

Stephan sursauta violemment.

-Vous divaguez, hoqueta-t-il. C'est dément !

-Je le pensais aussi mais une patrouille de police sur les lieux nous transmet minute par minute son rapport.

Le visage de Smalwood s'effaça pour laisser place à l'ombre sinistre d'un robot qui désintégrait le mur de l'hôtel. Effaré, Malden réagit aussitôt :

-Rassemblez vos forces, je vous rejoins immédiatement.

-Mais je m'apprêtais, objecta le colonel, à donner l'assaut aux primitifs.

-Ajournez-le ! Etablissez seulement un barrage pour les empêcher de fuir. Nous réglerons leur compte plus tard. Nous ne pouvons laisser cet engin détruire la moitié de la ville !

Changeant de circuit, il ordonna à un garde somnolent :

-Allez me chercher Boris Sandorf. Qu'il soit dans cinq minutes à mon bureau.

Malden réalisa alors qu'il avait toujours conservé sa tunique d'empereur romain. Rageusement, il la déchira et enfila une combinaison grise. Il allait gagner le toit terrasse lorsqu'un appel le retint.

Le garde somnolent arborait un visage défait.

-Avez-vous trouvé Sandorf? jeta sèchement Malden.

-Oui, monsieur, mais il est mort. Il a été étranglé et sa mort remonte à au moins vingt-quatre heures.

-Comment ne s'en est-on pas aperçu plus tôt ? s'indigna-t-il.

-Boris avait un caractère difficile et n'aimait pas qu'on le dérange. Il lui arrivait de rester plusieurs jours enfermé dans son atelier.

Stephan se mordit les lèvres d'avoir oublié de demander son rapport à l'ingénieur. Il songea que Karl, lui, n'aurait pas omis ce détail. Le garde ajouta :

-Il y avait un énorme trou dans le mur de l'atelier, comme s'il avait été causé par un désintégrateur.

Maiden n'écoutait déjà plus. Il s'élança vers son hélibulle. Moins de trois minutes plus tard, il rejoignit Smalwood qui avait organisé une sorte de poste de commandement dans une salle du commissariat central, petite bâtisse à un étage, dissimulée dans la verdure.

Le colonel était en conversation avec le commissaire, petit, mince, noir de poils. A l'arrivée du grand patron, il montra un plan de la ville et expliqua :

-Voyez, monsieur, il se dirige maintenant vers l'hôtel Cupidon.

-D'où peut sortir cet engin de malheur? s'étonna le commissaire.

-Nous réglerons ce problème plus tard ! rétorqua sèchement Maiden qui avait son idée, mais qui ne désirait pas que l'on sache à quelle besogne Sandorf travaillait en secret.

-Il faut l'arrêter avant qu'il n'atteigne l'hôtel, reprit Maiden. Regroupez vos hommes deux cents mètres en avant, qu'ils établissent un barrage solide.

Smalwood consulta son chronomètre.

-Je crains que les « trans » n'aient pas le temps de prendre position.

-Et les hélibulles?

-J'en ai une trentaine chargés de troupes, mais ils ont ordre d'attaquer en force le toit de l'immeuble des communications.

-Je vous ai dit que nous verrions ce problème plus tard. Détournez-les vers l'hôtel !

Lorsqu'il eut donné ses ordres, le colonel regarda la carte lumineuse où s'inscrivaient de petits points verts représentant ses forces en mouvement et un rouge signalant la marche du robot.

Deux minutes s'écoulèrent dans un silence pesant.

-Ça y est ! soupira enfin le colonel.

CHAPITRE XIV

Le lieutenant Spontini s'essuya le front d'un revers de manche. Non sans mal, il avait réussi à regrouper les hommes de sa section descendus en voltige des hélibulles et les avait disposés en arc de cercle, prenant bien en enfilade l'esplanade devant l'hôtel.

Il ferma un instant les yeux qui le brûlaient, se demandant la raison d'une telle incohérence dans les ordres. Sitôt arrivé en forêt et déployé, il avait fallu regagner les hélibulles et recommencer la manoeuvre.

-Si c'est un jeu, c'est un jeu de c..., pesta-t-il.

-Attention, mon lieutenant, prévint une voix.

Ramené aux dures réalités, Spontini distingua la silhouette du robot qui avançait rapidement. Dans sa radio, il lança :

-C'est bien un robot de combat, mon colonel.

-En êtes-vous sûr ?

-J'en ai utilisé d'identiques lorsque j'étais dans l'armée. Toutefois, celui-ci semble incomplet. Il ne dispose que d'un tentacule et non de six. Malheureusement, c'est celle qui porte le désintégrateur !

Jugeant l'engin à bonne portée, Spontini ordonna le tir, immédiatement imité par les autres sections. Quarante, cinquante faisceaux laser frappèrent le robot, l'illuminant d'un rouge malsain.

Imperturbable, la créature métallique poursuivait sa route.

-N'arrêtez pas de tirer ! hurla désespérément le lieutenant.

Soudain le robot s'immobilisa. Comme un être humain agacé par de nombreuses mouches, il balança son membre unique d'où jaillit un éclair mauve, sinistre, puis il reprit sa marche.

Lorsque l'éblouissement eut cessé, Spontini contempla, hébété, le spectacle qui s'offrait à sa vue.

Deux énormes cratères remplaçaient l'endroit où il avait si minutieusement disposé ses hommes. Saisissant sa radio, il murmura d'une voix blanche :

-Section anéantie ! Le robot poursuit sa progression.

A cette annonce, Malden brisa rageusement le cigare qu'il venait d'allumer.

-Allez-vous enfin arrêter cet engin? hurla-t-il. Envoyez d'autres hommes !

Livide, Smalwood secoua la tête.

-C'est impossible, monsieur. Inutile de les condamner à une mort certaine. Il nous faudrait des désintégrateurs lourds ou des robots de combat.

Après un instant de réflexion, il ajouta :

-Il faut espérer que cet engin s'arrêtera de lui-même lorsque son énergie sera épuisée. Il semble se diriger en ligne droite et il ne devrait pas tarder à sortir de la ville. Lorsqu'il sera en pleine forêt, nous pourrons éventuellement utiliser les missiles nucléaires de notre aviso de surveillance.

-Splendide ! ricana Malden. Des retombées radioactives sur Vénusia, il ne manquerait plus que cela !

A ce moment, le commissaire s'écria :

-La centrale énergétique !

Les deux hommes se retournèrent.

-Que voulez-vous dire ?

-Regardez le plan ! Voici les passages du robot. Il suit effectivement une ligne droite. Si vous la prolongez, voyez où il arrivera, juste au centre de la centrale énergétique. S'il la détruit, non seulement Vénusia sera totalement privée d'électricité mais nous risquons une explosion dramatique.

Réalisant enfin la gravité de la situation, Maiden prit sa décision. Tirant de la poche de sa combinaison une télécommande rouge, il pressa un bouton. Sans explication, il ordonna à Smalwood :

-Accompagnez-moi jusqu'à la centrale. Demandez un « trans ».

Dix minutes suffirent au véhicule pour les amener à pied d'oeuvre. Ils se dissimulèrent derrière un arbre au tronc immense.

-Le voilà, balbutia Smalwood, qui avait beaucoup de peine à empêcher ses dents de claquer.

-Mais qu'est-ce qu'ils fichent? grommela Maiden en malmenant son boîtier rouge.

Le robot s'arrêta à quelques mètres du mur d'enceinte de la centrale et leva son désintégrateur. A cet instant, les deux robots de combat dont disposait Maiden arrivèrent, glissant rapidement sur leur extrémité ovoïde.

-Feu ! hurla Maiden.

Malheureusement, l'ordre arriva une seconde trop tard. Le robot destructeur avait déjà percé le mur et pénétré dans l'enceinte. Les jets des deux désintégrateurs ne firent qu'aggraver les dégâts.

Furieux de cet échec, Malden ordonna à ses deux robots de poursuivre l'agresseur. Ce dernier était maintenant dans la salle de contrôle et désintégrait toute une série de machines complexes destinées à la régulation de la production.

Un nouvel éclair jaillit de son tentacule, perçant le bloc de béton donnant accès au coeur du réacteur. Les deux robots de combat arrivèrent à cet instant. Stimulés par Malden, ils ouvrirent le feu à leur tour.

Sous l'effet combine des deux désintégrateurs, le robot se volatilisa enfin mais la brèche du réacteur fut largement agrandie. Des jets de vapeurs corrosives s'échappèrent de la cuve avec un grondement sinistre.

Indifférents, les deux robots rejoignirent Malden, annonçant :

-Adversaire anéanti !

Percevant les explosions assourdies qui se succédaient sans cesse dans la centrale, Malden hurla :

-Filons ! Je crois que tout va exploser.

Ils remontèrent en hâte dans le « trans '». Il n'était que temps ! Le dôme de l'immeuble se souleva, projetant vers le ciel un nuage de vapeur et de flammes. Immédiatement, tous les éclairages publics s'éteignirent.

Dans le véhicule que le colonel pilotait d'une main tremblante, Malden lança d'une voix hargneuse :

-Maintenant, il faut en terminer rapidement avec les primitifs. Quand pouvez-vous lancer un nouvel assaut ?

-Pas avant un ou deux jours ! Les hommes sont épuisés et ont subi de lourdes pertes.

-Stimulez-les!

-Cela serait inutile. Avec le désordre que va entraîner en ville l'arrêt de la distribution d'énergie, rien ne servirait d'ajouter une mutinerie. Au contraire, nous aurons besoin d'eux pour maintenir le calme.

Malden approuva de la tête tandis que Smalwood poursuivait d'un ton rancunier :

-Puisque vous disposez de deux robots de combat, pourquoi ne pas les employer?

-Entendu, grogna le grand patron, mais faites reculer vos hommes. Je ne tiens pas à ce que toute la ville sache que je possède des engins exclusivement réservés aux forces armées !

***

Sur le toit-terrasse, à côté de l'antenne abattue, Marc et Alcis regardaient avec anxiété les mouvements des gardes.

-Ils se replient ! Peut-être ne veulent-ils plus attaquer, constata le prince.

Marc ne partagea pas son optimisme, cherchant désespérément à deviner les manoeuvres de leurs adversaires. Il savait que jamais Malden ne céderait.

Soudain il perçut le frémissement doux des hélibulles.

-Ils sont nombreux et nous ne pourrons tous les repousser. Nos adversaires ont compris que le toit-terrasse était le seul endroit où ils pouvaient bénéficier de leur supériorité de feu. Mettons-nous à l'abri !

Il se ravisa aussitôt en constatant que les appareils poursuivaient leur route vers le centre de la ville.

Perplexe, il observa les éclairs des lasers et plus tard une énorme explosion tandis que tous les projecteurs s'éteignaient.

-On dirait que leur centrale énergétique vient de sauter. C'est le moment de profiter de l'occasion pour tenter de filer !

En courant, ils descendirent l'escalier pour arriver dans la grande salle du rez-de-chaussée. Prudemment, Marc s'approcha de la porte.

-Nous allons courir droit devant nous. Surtout, ne vous arrêtez pas avant d'avoir atteint l'abri des arbres !

-Qui sait si ce n'est pas un piège qu'on nous tend, murmura Alcis.

Marc approuva et grommela :

-Nous allons vérifier.

S'avançant, il lâcha une courte rafale et se rejeta de côté. Aussitôt deux jets laser répondirent, découvrant l'ombre des robots de combat.

-Cette fois, c'est la fin, soupira-t-il. Rien ne peut résister à ces machines.

Elsa, les yeux exorbités, cria en s'élançant vers la porte :

-Non ! Ne tirez pas ! Je me rends !

D'une vigoureuse détente, Marc la plaqua au sol. Il n'était que temps ! Les jets lasers écornèrent le mur juste au niveau où se trouvait sa tête une fraction de seconde auparavant.

La jeune femme, étourdie, roula sur le sol.

-Aucun doute, ricana-t-elle, j'ai perdu toute valeur marchande pour ce cher Stephan ! Merci !

Découragé, Marc haussa les épaules.

-Un peu plus tôt, un peu plus tard? Nous n'avons rien à espérer !Alcis désigna la fenêtre.

-Si nous tentions de fuir par là ?

-Les robots nous rattraperont toujours grâce à leurs détecteurs biologiques.

Devant la mine étonnée d'Alcis, il précisa avec un sourire mélancolique :

-Ils sont comme des chiens qui pourraient sentir votre piste à des kilomètres de distance.

Les robots n'étaient plus qu'à vingt mètres. Dans quelques secondes, ils franchiraient le seuil de la porte et l'enfer se déchaînerait.

-Adieu, ami, murmura Marc en pressant l'épaule d'Alcis.

Se penchant vers Elsa, il lui caressa la joue.

-Je suis sincèrement désolé de vous avoir entraînée dans cette aventure, miss Swenson !

CHAPITRE XV

Edgar W. Morrisson poussa un soupir satisfait. Il était allongé sur une couche et sentait contre lui le corps chaud de la fille qu'il avait choisie. Par deux fois déjà elle l'avait conduit au sommet du plaisir. Elle devait avoir des consignes particulières car elle avait accepté sans protester qu'il lui administrât quelques coups de cravache sur son postérieur rebondi. Agenouillé à côté du lit, une androïde attendait ses ordres.

Vraiment cette soirée était des plus réussies. Peu de temps auparavant, les lumières pourtant discrètes s'étaient éteintes et la pièce n'était éclairée que par des torches qui achevaient de se consumer, donnant encore plus d'authenticité au spectacle.

A quelques mètres, la vieille miss Marston était installée sur une couche moelleuse. Son visage fripé, malgré les nombreuses cures de rajeunissement, arborait un sourire béat. Un androïde à la mine de jeune éphèbe la serrait doucement dans ses bras et répétait :

-Oh ! maîtresse, vous êtes la plus belle, la plus intelligente et je suis indigne de vous servir.

Edgar W. Morrisson ramassa sa cravache et cingla le dos de l'androïde à plusieurs reprises.

-Pitié, maître, pitié! Ne me fouettez plus, je ferai tout ce que vous voudrez!

La phrase, entendue cent fois, procurait toujours le même plaisir à Morrisson. Tendant un gobelet, il ordonna :

-Verse-moi à boire !

L'androïde se leva, saisit une amphore emplie de vin parfumé et l'inclina.

Soudain Morrisson jura sourdement. Bien que son verre fût plein à ras bord, l'esclave continuait à verser généreusement.

-Fais attention ! grogna-t-il.

L'injonction ne parut avoir aucun effet sur l'androïde qui imperturbable vidait son amphore. La fille somnolente se réveilla sous la douche de vin et sauta du lit en poussant de petits cris effarouchés.

Furieux, Morrisson se redressa et donna un coup de poing à l'androïde qui ne broncha pas, bien que l'amphore fût maintenant vide. Morrisson récidiva, mais la seule réaction qu'il obtint fut que l'androïde se tourna brusquement. L'amphore atteignit l'homme au visage, il retomba sur le lit, assommé, la joue balafrée par une large entaille.

De toute part, les mêmes scènes se déroulaient. La vieille Marston à demi étouffée par l'étreinte de son androïde glapissait :

-Lâche-moi ! Lâche-moi, je te l'ordonne.

En se tortillant, elle finit par se glisser hors de sa couche non sans laisser dans les bras de son éphèbe de larges lambeaux de sa tunique et quelques fragments d'épiderme.

Affolés, les convives ne songeaient plus qu'à fuir cette salle où, manifestement, les androïdes étaient tous déréglés et risquaient de devenir dangereux.

Ils constatèrent alors qu'une sombre obscurité régnait tant dans les couloirs qu'à l'extérieur, aggravant leur panique. Le malheureux Jacky, qui s'était dépensé sans compter pour satisfaire ses invités, tentait vainement de prévenir le Service de Sécurité mais il dut se rendre à l'évidence, aucune liaison intérieure n'était possible. Il en était de même avec la ligne spéciale permettant de joindre Malden !

***

Avec un curieux détachement dû à l'idée de la mort inéluctable toute proche, Marc regarda les robots de combat s'avancer. Brusquement, ils s'arrêtèrent !

Malden était dissimulé dans son « trans » à une centaine de mètres. En voyant l'arrêt des robots, il jura sourdement et manipula fébrilement son boîtier rouge.

-Avancez, mais avancez donc! hurla-t-il.

Les êtres de métal furent aussi insensibles à ces ordres qu'à ceux de la télécommande.

-Que se passe-t-il ? demanda Smalwood, intrigué.

-Je l'ignore, ragea Malden. Ces maudits robots semblent en panne ! Peut-être ont-ils été déréglés par la proximité de la centrale énergétique. Normalement, ils sont pourvus d'un système autorégénérant et ils ne devraient pas tarder à refonctionner.

-Espérons-le, soupira le colonel.

Sa radio grésilla et il enclencha un interrupteur.

-Ici commissariat central. De nombreux appels me parviennent. Il semble que tous les androïdes se soient brusquement déréglés, ce qui aggrave encore la panique des clients. Nombreux sont ceux qui se répandent dans les rues. Quels sont les ordres ?

Ce fut Malden qui répondit, sèchement :

-Regroupez-les dans le hall des hôtels. Mobilisez tous les gardes et faites installer des éclairages de secours. N'hésitez pas à détruire les androïdes qui deviendraient dangereux ! Nous vous rejoignons dans quelques minutes.

Nerveusement, il manipula sa télécommande mais les robots restèrent immobiles. A ce moment, Smalwood frissonna d'horreur. Une main, jaillie de la nuit, saisit la portière du « trans » et l'arracha comme un fétu de paille. Aussitôt il se sentit agrippé par le col de sa tunique et tiré hors du véhicule. Il n'eut que le temps de lancer un hurlement de frayeur. Il s'envola littéralement et fut projeté une dizaine de mètres plus loin. Le contact avec le sol fut si rude qu'il perdit immédiatement connaissance.

Malden, également terrorisé, tenta de fuir mais la main s'abattit sur son épaule droite. Une force irrésistible le poussa alors en direction du bâtiment.

La lune volumineuse de Vénusia s'était levée et ses pâles rayons dissipaient l'obscurité de la nuit. Marc observait toujours les deux robots immobiles. Etait-ce un raffinement de cruauté de Malden qui désirait leur faire attendre la mort ?

Un instant, il eut la tentation de s'élancer en avant, pour savoir, pour en finir au plus tôt !

Soudain une étrange silhouette émergea de l'obscurité, poussant un homme. Avec surprise, Marc reconnut Malden. Une dernière bourrade propulsa le prisonnier dans la pièce.

Marc, le doigt crispé sur la détente de son arme, contemplait la créature en face de lui. Une voix familière, qu'il avait cru ne plus jamais entendre, lança alors :

-Bonsoir, Marc ! je suis heureux de te revoir sain et sauf!

-Ray!

Le capitaine, incrédule, contempla la créature. C'était bien le visage familier de son ami mais le bras gauche sectionné avait été remplacé par un énorme tentacule portant un désintégrateur. La moitié inférieure du corps était également empruntée à un robot de combat. Le torse de Ray était fiché dans un demi-ovoïde. Il ressemblait ainsi à un de ces crabes qui n'ont qu'une énorme pince et qui pénètrent dans un coquillage pour se protéger.

Marc éclata d'un rire nerveux.

-Ray, comment est-il possible ?

Désignant Elsa qui, ahurie, observait la scène, il répondit :

-Je t'expliquerai plus tard. Je n'ai pu te contacter plus tôt car mon émetteur radio et mon amplificateur psychique sont hors d'usage. Pour l'instant, il faut achever ta mission.

Maiden était au centre d'un cercle formé par les gladiateurs. Alcis, qui avait reconnu celui qui trônait dans la tribune de l'arène, demanda :

-Est-ce lui qui est le responsable de tous ces combats ?

Marc acquiesça lentement de la tête.

-Que comptes-tu en faire ?

-Normalement, je dois le ramener dans mon pays pour qu'il soit jugé. Encore faudrait-il que je puisse y parvenir !

Alcis réfléchit un instant.

-Chez nous aussi, il existe une justice. Le responsable de la mort de plusieurs de mes concitoyens doit expier ! Je le veux !

Son ton était empreint d'une sourde détermination.

Déposant son laser, il saisit son épée.

-Kérus, ordonna-t-il au colosse près de lui, donne ton glaive à cet homme.

De mauvaise grâce, le gladiateur obéit.

-Cela sera un combat loyal, affirma le prince. Quoi qu'ii arrive, aucun de mes hommes n'interviendra.

Maiden, qui avait saisi machinalement l'épée, hurla :

-Capitaine Stone, je veux être jugé par l'ordinateur judiciaire ! Protégez-moi !

Devant le silence du Terrien, il ajouta vivement :

-Je vous offre vingt millions de « dols ». Immédiatement et en monnaie. Miss Swenson ira les chercher dans mon appartement. Je lui donnerai les combinaisons du coffre. En attendant je resterai votre prisonnier.

L'énormité de la somme fit tressaillir Elsa.

-Voilà une offre qui mérite que vous y réfléchissiez, dit-elle. J'accepte de jouer les intermédiaires.

Marc se contenta de secouer la tête. Ironiquement, il rétorqua :

-Maiden, vous avez détruit mon androïde. Comment pourrais-je lutter avec un homme comme Kérus qui me dépasse de la tête ?

-Vous avez une arme, objecta Elsa.

-Voudriez-vous que je combatte mes amis?

Aucune fortune au monde ne me ferait accomplir un tel acte !

-Je connais beaucoup d'hommes qui tueraient volontiers leurs parents pour une telle fortune !

-C'est que vous choisissez bien mai vos relations, rétorqua-t-il, sarcastique. Ray, enregistres-tu cette scène ? ajouta-t-il un peu inquiet.

L'androïde haussa l'épaule qui lui restait. Désignant les robots immobilisés à l'extérieur, il répondit :

-Tout enregistrement a cessé au moment où ces casseroles ambulantes m'ont découpé en rondelles !

Soulagé, Marc murmura à Kérus :

-Retiens-moi !

Très étonné, le gladiateur posa son énorme main sur l'épaule du Terrien qui lança en galactique avec malice :

-Vous pourrez témoigner, chère amie, qu'ainsi je ne suis plus maître de mes mouvements.

Alcis, qui avait compris le dilemme où se débattait son ami, lança :

-Moi, prince de Thenos, prends l'entière responsabilité de ce combat.

Il avança d'un pas vers Malden qui recula précipitamment. Il dut toutefois s'immobiliser, car il sentit la pointe d'une épée s'enfoncer au creux de ses reins.

-Le combat, c'est devant, murmura Clésius. Si tu tentes de reculer, j'aurai l'immense plaisir de t'embrocher.

Malden réalisa qu'il n'avait plus rien à espérer. Subitement, il se rua en avant, balançant son glaive. Alcis para l'attaque malhabile et s'abstint de riposter.

-Bien, dit-il simplement. Tu aurais pu faire une carrière de gladiateur, toi qui aimes tant ces combats !

Rageusement, Maiden porta un autre coup, de toutes ses forces. Le prince esquiva et mit fin au duel en plongeant son glaive dans le coeur de son adversaire qui s'écroula comme une masse.

-Justice est faite ! annonça gravement Alcis.

Se tournant vers Marc, il demanda :

-Que décides-tu maintenant, ami?

Elsa intervint rapidement :

-Stephan mort, nous ne risquons plus rien. Pourquoi ne pas regagner tranquillement notre hôtel?

Marc secoua la tête en soupirant.

-Le cerveau est mort mais je crains les réactions de ses subordonnés. Tant que je n'aurai pu contacter l'amiral Neuman pour qu'il envoie un croiseur, nous ne serons pas en sécurité.

Désignant ses amis du menton, il ajouta :

-De plus que ferions-nous d'eux? Nous ne pouvons les exhiber en ville ! Le mieux serait de rejoindre l'astroport.

-Vous avez sans doute raison, admit-elle après un instant de réflexion. Je vous renouvelle donc ma proposition de gagner mon astronef personnel !

Précédé de Ray, le petit groupe sortit enfin de l'immeuble qui avait bien failli être leur tombeau.

-Prenons le « trans » suggéra Elsa que la perspective d'une longue marche de nuit n'enchantait guère.

Marc acquiesça et fit s'empiler ses sept compagnons dans le véhicule. Ray, se tournant vers les robots de combat toujours immobilisés, leva son désintégrateur.

-Adieu, tas de ferraille ! ironisa-t-il. En définitive, j'aurai eu le dernier mot !

L'éclair mauve effaça les deux engins. Sautant sur le « trans », Ray dit :

-Conduis, Marc. Moi, j'en suis incapable. L'ordinateur qui régule ordinairement mes mouvements est hors d'usage et par moments, je ne contrôle plus ma force. Pour avoir voulu ouvrir cette malheureuse portière, je l'ai arrachée.

Marc s'installa aux commandes et démarra aussitôt. Dès que le « trans » se fut éloigné, une silhouette titubante émergea des buissons. Péniblement, Smalwood gagna le centre des transmissions. A la lumière blafarde de la Lune, il découvrit le corps sans vie de Malden.

Passé le premier choc, il réfléchit rapidement. Bien que très discret, il était au courant de tous les agissements de Malden. Maintenant que le patron était éliminé, il fallait quelqu'un pour gouverner Vénusia ! Cette perspective parut lui plaire car il murmura :

-C'est possible à condition que la Sécurité Spatiale ne fourre pas le nez dans nos affaires ! Il ne faut pas que ce maudit agent et les primitifs puissent s'échapper !

Fébrilement, il sortit de sa poche son communicateur radio.

CHAPITRE XVI

Tout en conduisant rapidement, Marc demanda à Ray :

-Pourrais-tu m'expliquer ce que tu as fait ?

-Plus tard, nous aurons tout le temps !

Effectivement, les bâtiments de l'astroport apparaissaient à l'horizon, marqué par les quelques lueurs d'un éclairage de secours.

Elsa désigna à une extrémité du terrain un élégant yacht de dimension respectable.

-Voici mon astronef. Vous devriez vous dissimuler à proximité tandis que je discuterai avec les autorités de l'astroport.

-Je préfère vous accompagner, décida Marc.

Miss Swenson eut un sourire narquois.

-La confiance est une belle chose. Je vous ferai passer pour mon bagagiste !

Dans le hall de l'astroport régnait une vive animation. De nombreux touristes prenaient d'assaut les guichets, exigeant une place pour le prochain départ. Elsa croisa la vieille miss Marston, à demi vêtue, qui lui conta ses déboires. Elle réussit cependant à s'en débarrasser avec diplomatie.

Superbe et hautaine, Elsa fendit la foule et se dirigea vers le bureau du commandant de l'astroport. C'était un grand type à la chevelure grisonnante. D'emblée, la jeune femme lança :

-Je veux gagner mon yacht le Swenson II.

-Je suis désolé, mais en raison de troubles qui ont éclaté en ville, le colonel Smalwood a pris le pouvoir et instauré la loi martiale jusqu'à ce que l'ordre soit rétabli. En conséquence, tout décollage est interdit.

Réprimant un mouvement de colère, Elsa s'efforça de sourire.

-Parfait ! Toutefois, je désire coucher à bord. Je m'y sentirai plus en sécurité que dans vos hôtels obscurs où les androïdes semblent déréglés.

Après un instant d'hésitation, le commandant finit par acquiescer, n'osant mécontenter une si importante clientèle.

-Puis-je contacter mon commandant de bord?

-Utilisez la cabine 5, mais prenez garde, tous les messages à destination de la Terre sont interdits. Une écoute permanente est assurée et en cas d'infraction, nous avons ordre de détruire l'émetteur fautif.

Elsa grimaça un sourire.

-Merci, commandant, je ne veux contacter personne, je souhaite seulement me reposer en sécurité.

Dans la cabine indiquée, elle obtint aussitôt une liaison avec son yacht.

-Commandant Yuko, venez immédiatement avec la totalité de votre équipage m'attendre près de la tour de contrôle !

Le visage aux yeux bridés du commandant ne manifesta aucune surprise. Depuis plusieurs années qu'il servait miss Swenson, il avait cessé de s'étonner de ses brusques changements d'humeur !

Dès qu'elle fut sortie du hall, Elsa ricana :

-Une fois de plus, vous aviez raison, Marc. Tout le monde n'a pas votre désintéressement! Il semble que ce cher colonel Smalwood se sente un appétit démesuré. Restez dans l'ombre tandis que je parlerai à mon pilote !

Peu après Yuko arriva, suivi de cinq personnes.

-Commandant, dit-elle sèchement, je désire être seule à bord de mon yacht ! Vous prendrez avec votre équipage un astronef pour la Terre. Inutile de vous presser.

Sortant une carte magnétique d'une poche de sa combinaison, elle ajouta :

-Ceci vous servira à régler tous vos frais. De plus, arrivé à New York, vous vous présenterez à mes bureaux où une prime de cinquante mille « dols » vous sera versée.

Yuko salua profondément d'une inclinaison de buste et s'éloigna, suivi de ses hommes.

-C'est merveilleux, la fortune, ironisa Marc.

Impatiente, Elsa lança :

-Venez vite, il faut mettre vos amis à l'abri avant qu'ils ne soient découverts par une patrouille.

Moins d'une demi-heure plus tard, ils étaient tous réunis dans une cabine-salon jouxtant le poste de pilotage. Elsa s'effondra dans un fauteuil-relax avec un soupir d'aise.

-Je crois, capitaine Stone, que vous pourriez offrir un verre à vos compagnons. Nous l'avons tous mérité.

Intimidés et un peu inquiets, les gladiateurs observaient les lieux avec méfiance. A plusieurs reprises,

Clésius tâta un siège dont la mollesse le surprit, sans oser s'asseoir. Alcis, le premier, donna l'exemple en s'installant près de miss Swenson.

Lorsque chacun fut désaltéré, Elsa suggéra diplomatiquement :

-Mon vaisseau comporte suffisamment de cabines pour vous héberger. Je vais vous les montrer.

Les hommes épuisés se laissèrent guider comme des enfants. Finalement, ne restèrent plus dans le salon qu'Alcis, Marc et Ray.

En reparaissant après avoir satisfait à ses devoirs d'hôtesse, Elsa demanda :

-Que proposez-vous maintenant ?

-J'ai réfléchi en vous attendant, miss Swenson. Pensez-vous pouvoir traiter avec ce colonel ?

-Je crains que non ! Il est aussi dangereux que Malden car beaucoup plus bête. En faisant disparaître les témoins gênants que nous sommes, il lui suffira d'affirmer qu'à la suite d'erreurs d'androïdes défectueux, la centrale énergétique est tombée en panne mais que grâce à lui, tout est rentré dans l'ordre. Ce qui ôtera tout mobile à la Sécurité Galactique pour intervenir. N'oubliez pas que Vénusia est une planète indépendante qui possède sa propre juridiction !

-C'est l'analyse que j'avais effectuée en vous attendant. Il ne nous reste plus qu'à tenter un décollage en catastrophe. C'est risqué car j'ai remarqué qu'il existe à proximité un aviso de combat qui peut se lancer à notre poursuite. Je suppose que votre yacht ne possède pas d'antimissiles ?

-Désolée, railla Elsa, mais je n'avais pas encore pensé à m'offrir un bâtiment de guerre. Celui-ci n'est équipé que de petits missiles destinés à désintégrer des météorites trop volumineuses.

Marc se leva en soupirant :

-Venez me montrer le poste de pilotage !

Pendant une heure, Marc assimila les caractéristiques de l'astronef puis il programma l'ordinateur de vol. En appuyant sur la touche commandant l'allumage des moteurs, il maugréa à l'intention d'Elsa installée dans le siège du copilote :

-Si vous connaissez une prière, cela serait le moment de la réciter.

Il ajouta à l'intention d'Alcis qui interloqué contemplait le poste de pilotage :

-Allonge-toi dans un fauteuil et boucle les sangles. Nous allons être durement secoués. Ne t'inquiète pas de la sensation d'écrasement, c'est un effet normal de l'accélération.

Après avoir vérifié que les moteurs avaient atteint une température convenable, il enclencha le dispositif de propulsion. Aussitôt il eut l'impression qu'une chape de plomb lui écrasait le thorax. Sans souci du confort de ses passagers, il augmenta encore la puissance jusqu'à ce que l'aiguille du contrôleur de gravité affleurât la zone rouge de danger.

Plusieurs minutes s'écoulèrent tandis que le yacht s'élançait vers le ciel. Pensant avoir réussi, Marc allait diminuer l'accélération lorsque le visage furibond du commandant de l'astroport s'imprima sur l'écran de la vidéo-radio.

-Astronef Swenson II, vous n'avez pas l'autorisation de décoller. Faites demi-tour et posez-vous immédiatement.

Malgré l'effort que cela demandait, ce fut Elsa qui répondit d'un ton hautain :

-Personne ne m'a encore jamais donné d'ordre sur ce ton. J'ai décidé de quitter votre planète inhospitalière et je ne vois pas de quel droit vous m'en empêcheriez. Si vous insistez, je me plaindrai au Conseil de l'Union Terrienne où je compte un certain nombre d'amis !

La menace arracha une grimace au commandant.

-Je ne fais qu'exécuter des ordres! grinça-t-il.

-Dans ce cas, demandez-en d'autres, rétorqua Elsa d'un air méprisant.

D'un geste sec, elle interrompit la communication.

-Nous ne bénéficierons que d'un petit sursis, souffla-t-elle. Ne pouvez-vous aller plus vite?

Marc montra du doigt différents indicateurs.

-Les moteurs sont au maximum de leur puissance. Espérons qu'ils soutiendront jusqu'au bout l'effort que je leur impose !

Pendant ce temps, le commandant fort contrarié tentait de contacter Smalwood. Enfin il obtint la communication et fit son rapport. Le colonel jura sourdement :

-Faites préparer l'aviso, j'arrive immédiatement. Enclenchez le brouilleur d'onde subspatiale !

-Cela risque de perturber les émissions d'autres vaisseaux à plusieurs années-lumière de distance, objecta le commandant.

-Obéissez, hurla Smalwood, ou je vous destitue immédiatement !

Déjà, il sautait dans un hélibulle qu'avait réclamé un de ses lieutenants. Dix minutes plus tard, il était à bord de l'aviso de surveillance. Au jeune capitaine surpris de ce réveil brutal, il ordonna :

-Décollage immédiat !

-Je dois vous signaler, mon colonel, que plusieurs de mes hommes sont encore à terre.

-Aucune importance ! Vous vous en passerez. Vous devez intercepter et détruire s'il le faut, un yacht qui a décollé sans autorisation. Exécution !

Le capitaine salua et gagna le poste de pilotage, suivi par Smalwood. Tandis que l'aviso traversait l'atmosphère, l'officier brancha les écrans de détection.

-Voilà votre gibier, dit-il en désignant un point sur l'écran. Il est fort rapide. Sa vitesse est actuellement d'un tiers de la lumière et il accélère toujours.

-Pouvez-vous le rattraper ?

Le capitaine pianota vivement sur le clavier de l'ordinateur de bord et secoua la tête.

-Nous non, mais mes missiles l'atteindront avant qu'il ne bascule dans le subespace.

-Tentez de le contacter !

Après plusieurs essais infructueux, le sergent, qui s'occupait des communications, obtint enfin une réponse.

-Miss Swenson, j'exige que vous retourniez sur Vénusia, articula Smalwood.

-Je suis citoyenne de la Terre et vous n'avez aucune autorité sur moi !

-Il vous faudra apprendre à m'obéir ! grinça le colonel. En cas de refus, je donne l'ordre de détruire votre astronef !

-Dans ce cas, je contacte la Sécurité Galactique.

-Faites, railla Smalwood, les communications sont brouillées !

Marc qui, depuis plusieurs minutes, tentait de joindre l'amiral Neuman, souffla à la jeune femme :

-C'est tristement exact ! Que décidez-vous ?

Elsa ferma un instant les yeux.

-Je préfère mourir libre que de pourrir dans une geôle. De toute façon, Smalwood ne prendra jamais le risque de me relâcher !

-Alors? s'impatienta le colonel.

-Je n'ai jamais cédé aux menaces ! lança-t-elle avec un air de défi.

-Tant pis pour vous, dit Smalwood en interrompant la liaison.

Se tournant vers le capitaine, il ordonna :

-Envoyez les missiles !

Livide, le jeune capitaine tenta d'objecter :

-C'est un appareil civil, nous ne pouvons l'abattre dans l'espace !

Rageusement, le colonel écrasa les deux boutons de mise à feu.

Dans le poste de pilotage du yacht, Ray, qui se tenait derrière Marc, annonça :

-Deux missiles derrière nous !

Après avoir observé les données sorties de l'ordinateur, il ajouta :

-Ils nous auront rejoints avant le passage dans le subespace.

Désignant une grosse planète gravitant sur une orbite extérieure à Vénusia, Marc questionna :

-Pouvons-nous l'atteindre ?

-Cela sera tangent !

Elsa s'exclama, effrayée :

-Même si nous nous posons en catastrophe sur ce monde désolé, les missiles nous pulvériseront !

-Je veux seulement la frôler avec l'espoir que les missiles s'y écraseront. La manoeuvre est dangereuse mais non impossible.

Marc ne sut jamais s'il aurait réussi car à ce moment un croiseur de bataille, jusqu'alors masqué par l'ombre de la planète, apparut.

-Il coupe notre retraite, hurla Elsa.

Après avoir examiné l'astronef, Marc sourit :

-Non ! C'est un bâtiment de la Sécurité Galactique.

Aussitôt l'écran de la vidéo-radio s'alluma. En reconnaissant le visage qui s'y inscrivait, le Terrien lança :

-Colonel Parker! Je n'ai jamais été aussi heureux de vous retrouver !

Marc avait, à deux reprises, eu l'occasion de croiser Parker mais leurs rapports avaient toujours été empreints d'une courtoisie glacée.

Le visage austère du colonel s'éclaira d'un discret sourire :

-Apparemment, capitaine Stone, vous avez un problème. Dirigez-vous dans ma direction. Je m'interposerai entre vous et les missiles.

Marc obéit aussitôt. Grâce à leur vitesse conjuguée, les deux astronefs ne tardèrent pas à se croiser. Aussitôt Marc réduisit sa vitesse tandis que le croiseur poursuivait sa route vers les deux missiles qui explosèrent au contact de l'écran de sécurité.

-Merci, souffla Marc. Comment avez-vous pu arriver ainsi juste à temps, colonel?

-Par chance, j'étais en patrouille dans un système voisin et il y a quelques heures l'amiral m'a ordonné de venir ici et d'observer la planète tout en restant dissimulé. Votre message tronqué a été reçu et il n'y a que quatre ou cinq planètes habitées dont le nom commence par VE...

A cet instant, Smalwood apparut sur un écran contigu.

-Je m'adresse au bâtiment de la Sécurité Galactique. Nous poursuivons une bande de pillards et d'assassins. Vous devez immédiatement arraisonner ce yacht et le conduire sur Vénusia.

-Je le surveille ! Dès que la déposition des passagers aura été enregistrée, nous verrons ce qu'il conviendra de faire.

Smalwood s'étrangla de fureur et son teint, d'ordinaire coloré, devint rubicond.

-Absolument pas! s'étrangla-t-il. En tant qu'unique responsable de la sécurité de Vénusia, j'exige que le yacht soit immédiatement conduit sur l'astroport, sinon vous violez les conventions diplomatiques et en subirez les conséquences !

-Voilà une intéressante question, commenta calmement Parker. Un simple colonel comme moi ne peut y répondre. Je dois d'abord demander des instructions à mon supérieur, l'amiral Neuman. En attendant que ce problème soit réglé par les plus hautes instances diplomatiques de la Terre, nous en avons un autre, infiniment plus important à résoudre.

Devant la mine intriguée de son interlocuteur, Parker ajouta sèchement :

-Pourquoi avez-vous attaqué un croiseur de la Sécurité Galactique? D'après les règlements que vous évoquiez, je suis en droit de vous détruire sans délai !

Smalwood blêmit subitement.

-Mais... mais, bégaya-t-il, ce n'était pas contre vous que les missiles étaient lancés.

-Vous aurez beaucoup de mal à le prouver! Mon ordinateur a parfaitement enregistré les explosions de deux charges contre mon écran ! Il y a plus grave encore. Vous avez enclenché un brouilleur qui perturbe les liaisons subspatiales. Ceci est strictement contraire à toutes les conventions et me donne le droit d'intervenir sans délai sur Vénusia ! Faites demi-tour et posez-vous sur l'astroport. Vous resterez dans votre aviso à ma disposition !

-Jamais ! Je résisterai !

Le jeune capitaine intervint alors avec autorité :

-Désolé, colonel, mais il faut obéir aux ordres de la Sécurité Galactique. De toute façon, ce croiseur est dix fois plus puissant que notre aviso et je n'ai aucune raison de condamner à mort mon équipage.

Effondré, Smalwood abandonna toute velléité de résistance.

CHAPITRE XVII

-Voilà, amiral, j'ai terminé mon rapport.

Dès qu'une liaison avec la Terre avait pu être établie, Marc avait contacté Neuman pour lui faire un récit détaillé de ses pérégrinations sur Gerova et sur Vénusia.

Miss Swenson, qui avait assisté à l'entretien sans broncher, intervint alors :

-Pour la partie dont j'ai été le témoin, je confirme les dires du capitaine Stone. Toutefois, je voudrais préciser un détail que le capitaine a généreusement effacé. Quand je l'ai fait venir dans mon appartement, il a simplement mentionné « pour s'amuser », ce qui peut prêter à confusion. En réalité je l'ai torturé, bêtement, méchamment, pour ce que je croyais être mon plaisir. Vous en aurez la preuve dans le vidéo-film que Malden a fait prendre et que le colonel Parker n'aura aucun mal à retrouver !

Le visage austère de l'amiral resta impassible.

-Merci, miss Swenson, de cette précision, nous verrons quelle suite lui donner. Parker m'a également transmis un rapport. Sur Vénusia, il a trouvé un désordre extraordinaire. D'après les premiers témoignages, il semble qu'un robot de combat déréglé ait traversé une partie de la ville et fait exploser la centrale énergétique. De plus, il a découvert un curieux émetteur d'ondes qui paralysent robots et androïdes. Pour l'instant, capitaine Stone, restez en orbite autour de Vénusia. Je dois conférer avec le général Khov et le Président !

La communication achevée, miss Swenson s'étira, faisant saillir dangereusement sa combinaison. Avec un demi-sourire, elle murmura :

-Je pense qu'un séjour prolongé au bloc sanitaire ne serait pas inutile. J'ai l'impression de ne pas m'être baignée depuis une éternité !

Marc resta seul dans la poste de pilotage. Ray lui tendit alors un gobelet plein.

-C'est de l'authentique William Lawson's ! Autant profiter de la cave bien garnie de notre hôtesse.

Pendant un instant, Marc savoura l'acre parfum de l'alcool puis il explosa :

-Je crève de curiosité, Ray. Assieds-toi et raconte !

L'androïde s'installa dans le siège du copilote, libéré par Elsa, et débuta :

-Lorsque les rayons lasers des robots de combat m'ont frappé, j'ai cru que tout était terminé puis je me suis aperçu que certains de mes circuits étaient intacts. Lorsque le jeune Karl a voulu me déconnecter, j'avais déjà shunté l'interrupteur. Bien que ce ne soit pas prévu par les ingénieurs, tu sais que j'en ai la possibilité. Ensuite, j'ai dû éliminer un cinglé qui voulait me découper au chalumeau.

-Une sorte de légitime défense, ricana Marc.

-Si tu veux ! Malgré mes avaries, je recevais toujours tes ondes psychiques. J'ai perçu les douleurs intenses que tu ressentais et cela a provoqué une curieuse réaction dans mes neurones électroniques. Vous, humains, appelleriez cela colère, haine, désespoir, je ne sais ! C'est ce qui m'a donné l'idée d'agir ! Heureusement dans l'atelier de Sandorf, j'ai trouvé de nombreuses ébauches de robots qu'il était en train de monter. J'ai ainsi commencé à me réparer, mais cela demandait du temps ! Or c'est ce qui manquait le plus, comme je pouvais le constater d'après tes pensées que je captais. A la façon dont évoluait la situation, il était évident que Malden serait contraint d'envoyer contre toi ses robots de combat.

Après un instant de silence, Ray reprit :

-Un robot de combat était en cours d'achèvement mais n'avait pas reçu son ordinateur terminal. Je l'ai simplement programmé pour qu'il avance en ligne droite vers la centrale énergétique. Je pensais ainsi créer une diversion qui empêcherait les forces de sécurité de converger vers toi.

Marc éclata d'un rire grinçant.

-Tu as effectivement réussi, juste au moment où nous allions succomber ! Pourquoi les robots de combat se sont-ils immobilisés ?

-Boris Sandorf étudiait un émetteur-brouilleur accordé sur les fréquences des androïdes. Il était presque achevé et je n'ai eu qu'à le terminer. Il existait un schéma de montage très explicite ! J'ai donc pu effectuer la fin de mes réparations. C'est la greffe du tentacule portant le désintégrateur, qui m'a demandé le plus de temps. Or, sans elle j'étais impuissant. Lorsque j'ai su que les robots t'attaquaient, j'ai enclenché le brouilleur.

Marc acheva son verre en silence.

-Je ne comprends pas, murmura-t-il. Tu n'avais pas reçu une programmation poussée de cybernéticien. Comment as-tu pu improviser un tel travail?

-Je suis incapable de répondre à cette question ! Je peux seulement t'affirmer que mes neurones survoltés n'ont retrouvé leur fonctionnement normal que lorsque je t'ai rejoint !

Pensif, Marc resta immobile un long moment.

-Espérons que les autorités ne poseront pas .trop de questions, soupira-t-il enfin.

-Va te reposer, Marc. En cas d'appel, je te préviendrai.

***

Détendu, Marc pénétra dans le poste de pilotage. Avec surprise, il vit Elsa qui devisait avec Ray.

-Tout est en ordre, capitaine, ironisa-t-elle. Je me suis assurée que vos amis ne manquaient de rien. Je leur ai conseillé de rester dans leur cabine et de se rendormir !

-Merci, miss Swenson. Il ne nous reste plus qu'à attendre la décision des autorités. J'avoue que ces périodes me sont pénibles.

-Comme à tout homme d'action ! Moi, je ne suis pas mécontente de ce temps de repos !

Un appel vidéo-radio brisa le silence qui s'était installé.

-Parker, dit l'amiral Neuman, a rétabli l'ordre sur Vénusia. D'après ses premières conclusions, il apparaît que Boris Sandorf a commis des imprudences. Cet ingénieur était connu de nos services. Très brillant, il a travaillé pour nombre de sociétés de cybernétique, mais son caractère indépendant et ombrageux l'a fait renvoyer à chaque fois. Nous avions perdu sa trace. Un robot ayant échappé à son contrôle, il a tenté de rattraper son erreur en branchant un émetteur-brouilleur. Toutefois, Parker n'a pas compris dans quelle circonstance il avait trouvé la mort. Probablement une dispute avec Malden. L'enquête se poursuit. Voici maintenant vos instructions. Vous allez immédiatement regagner la Terre. Inutile d'aller vers Gerova. Votre astronef vient d'être détruit par un pirate de l'espace qui a été aussitôt arraisonné par une unité que j'avais envoyée là-bas en mission de surveillance. Sans difficulté, ce Baxter a reconnu qu'il agissait sur ordre de Malden. Il est actuellement en route pour la Terre.

La bouche sèche, Marc demanda :

-Ne puis-je auparavant déposer sur leur planète ceux qui ont été capturés en même temps que moi ?

-La question a été débattue par le conseil. Les partisans de la loi de non-immixtion l'ont emporté. Ils ont jugé qu'il valait mieux sacrifier quelques hommes que de risquer de troubler l'évolution de milliers d'autres.

-Que vont-ils devenir ?

-Ils seront parqués dans un coin retiré de la Terre, sans trop de contact avec notre civilisation.

-C'est les condamner à mort à plus ou moins brève échéance !

-Je ne suis pas responsable de cette solution mais maintenant qu'elle a été adoptée, je dois la faire appliquer. Donc, capitaine, je vous renouvelle mon ordre de retour sur Terre sans délai.

Accablé, Marc ne sut que répondre. A cet instant, Elsa intervint d'une voix sèche :

-Je suis désolée, amiral, mais le capitaine Stone ne commande pas actuellement un aviso de votre fiotte. Il est sur mon yacht personnel. Les passagers, qui s'y trouvent également, sont mes hôtes et sont sous ma seule responsabilité ! J'irai donc où il me plaira !

Surpris d'être ainsi contré, l'amiral hoqueta :

-Vous serez interceptée !

-Faites, mais il vous faudra motiver cet acte arbitraire. Il y a une heure à peine, je me suis entretenue avec mon conseiller juridique sur Terre, maître Newcombe, qui est donc maintenant au fait de la situation et prépare activement un dossier !

L'amiral serra les dents de colère en pensant aux complications qui l'attendaient, car Newcomb avait la réputation d'être l'homme de loi le plus retors de la galaxie.

-En aucun cas, vous ne pouvez aller sur Gerova ! C'est contraire à la loi de non-immixtion.

Hautaine, Elsa répliqua :

-Si jamais il est prouvé que je viole une loi de l'Union Terrienne, je suis prête à en répondre devant l'ordinateur judiciaire !

Neuman hésita une minute puis il lança hargneusement :

-Allez au diable, miss Swenson ! Stone; je vous informe que tout retard sera décompté de votre temps de permission !

-J'accepte ce souhait de bon voyage, ironisa Elsa. Toutefois, je n'irai pas jusque-là, nous risquerions de nous y rencontrer !

L'écran éteint, Marc essuya son front couvert de sueur.

-Merci, miss Swenson, murmura-t-il. Vous avez été merveilleuse !

La jeune femme éclata d'un rire franc et joyeux.

-C'est la première parole aimable que vous m'adressez depuis notre rencontre. Au fait, mes rares amis m'appellent Elsa !

Le visage de Marc se détendit.

-Alors, Elsa, où allons-nous?

-Cap sur Gerova ! Pressons-nous car votre amiral pourrait changer d'avis.«

CHAPITRE XVIII

Depuis trente-six heures, Marc n'avait pas quitté le poste de pilotage, ne sachant s'il pouvait entièrement faire confiance à Ray qui évitait de toucher la moindre manette.

Plusieurs fois, Alcis lui avait tenu compagnie puis avait rejoint ses hommes. Marc étouffa un bâillement et secoua la tête pour dissiper sa fatigue.

En silence, Elsa vint s'installer sur le siège voisin et murmura, le regard rivé sur un cadran sans intérêt :

-Sans doute ne savez-vous que penser de moi. Jusqu'à présent l'opinion des autres ne m'intéressait nullement. Toutefois, aujourd'hui, j'ai envie de parler.

-Je ne vous demande rien, Elsa, chacun mène sa vie comme il l'entend.

-C'est probablement pour cela que je souhaite bavarder. De tout temps, ma famille a été immensément riche. Mais ainsi je n'ai pratiquement connu ni ma mère ni mon père, toujours absorbés par leurs déplacements. Que ce soit à l'école ou à l'université, je me suis vite rendu compte que mes camarades me jalousaient ! Ceux qui cherchaient à gagner mon amitié ne le faisaient que dans un but intéressé. Comme toute jeune fille, je suis tombée amoureuse à plusieurs reprises mais à chaque fois j'ai été horriblement déçue de m'apercevoir que mes soupirants ne visaient que ma fortune. Progressivement, je me suis mise à haïr tous ces individus cupides et j'ai trouvé amusant de les laisser espérer pour ensuite les décevoir. Toutefois, cela ne m'a pas encore satisfaite et j'ai souhaité les voir réellement souffrir. Un jour, une amie m'a entraînée dans un club où chaque membre désirait plus ou moins consciemment la même chose que moi. J'avoue avoir alors ressenti un plaisir certain. Ce voyage sur Vénusia devait être le point fort de ces spectacles !

-En un sens, il l'a été, sourit Marc.

-Effectivement, reconnut Elsa, et j'avoue que ces aventures m'ont passionnée.

Elle se leva un peu brusquement et affirma :

-Je boirais bien quelque chose.

Deux minutes plus tard, elle revint et tendit un verre à Marc.

-Parlez-moi maintenant de vous !

Marc esquissa un sourire.

-Je serais plutôt votre contraire, je n'ai jamais eu d'argent et n'en ai toujours pas. J'ai préparé l'école d'astronautique grâce à une bourse du gouvernement. A ma sortie de l'école, j'ai été affecté à la première escadre d'intervention galactique puis j'ai préparé le concours d'entrée au S.S.P.P. Comme Ray ne manque jamais de me le faire remarquer, je n'ai été reçu que grâce aux épreuves sportives, surtout équitation et escrime. Depuis, je passe une partie de mon existence à courir des chemins mal pavés et à donner et surtout recevoir des coups.

J'avoue que pour rien au monde, je ne voudrais abandonner cette existence itinérante qui me fait rencontrer nombre de gens passionnants. Alcis en est un exemple.

Miss Swenson approuva de la tête.

-Je crois vous comprendre. Vous savez attirer leur amitié car vous n'hésitez jamais à prendre parti, même aux dépens de votre sécurité.

Remarquant alors les traits tirés de Marc, elle ajouta :

-Allez vous reposer! Je resterai aux commandes et s'il survenait un incident, Ray vous préviendra.

-Savez-vous piloter? s'étonna Marc.

Elsa eut un sourire ironique.

-D'ordinaire, je m'offre les meilleurs commandants de bord. Cependant comme je ne fais jamais entièrement confiance à mes subordonnés, j'aime pouvoir les surveiller. Ainsi j'ai trouvé utile de passer les épreuves de pilote. Rassurez-vous, je possède tous les brevets nécessaires à la navigation de mon astronef.

-Dans ce cas, je reconnais qu'un somme serait le bienvenu. En cas de pépin, n'hésitez pas à m'appeler !

***

-Maintenant que nous sommes sur une orbite basse autour de Gerova, comment comptez-vous agir ? demanda Elsa.

-J'ai vu, répondit Marc, que vous possédez un vaste module de liaison qui nous permettra de débarquer nos passagers. J'hésite seulement sur la manière de procéder.

Consulté, Alcis exprima le souhait d'être déposé le plus près possible de Thenos.

-Il me tarde, dit-il, de revoir mon père qui me croit certainement mort et d'embrasser Mélisa.

Il précisa avec un demi-sourire :

-Sans Xeros, nous devions nous marier avant la fin de l'année.

-Il faudra trouver une explication crédible à votre absence. Il n'est pas souhaitable que votre peuple sache qu'il existe dans l'univers d'autres civilisations fort différentes, dit Marc.

-Effectivement ! Nous saurons garder un certain secret. Rassurez-vous, ce que raconteront mes hommes passera pour une légende. Je pense que même votre civilisation est riche en épopées mythiques qui n'ont en rien perturbé leur évolution !

-Merci ! Allons nous préparer !

Marc se tourna vers Ray :

-Il faut que tu restes à bord.

-Je le sais, répondit l'androïde, avec un ton nostalgique. Dans mon état actuel, je ne puis m'exhiber sur une planète primitive. Promets-moi de garder ton écran toujours branché. Je peux toujours capter tes messages et si je te sens en danger, dis-toi que je viendrai, quelles que puissent être les conséquences !

-Je le sais ! Rassure-toi, je ne m'attarderai guère.

A cet instant, Elsa, qui s'était éclipsée, revint dans le poste de pilotage. Elle avait revêtu une tunique blanche toute simple, découvrant ses jambes fuselées.

-A quoi rime ce déguisement ? grommela Marc.

-Vous ne voudriez pas me faire manquer une excursion aussi extraordinaire ! Je pense l'avoir mérité !

Sachant qu'il était inutile de discuter, Marc capitula non sans lancer en guise d'avertissement :

-Une planète primitive n'a rien d'un parc d'agrément. Ii ne faudra pas vous plaindre s'il vous arrive un accident.

Elsa rétorqua aussitôt sèchement :

-J'assume toutes mes responsabilités! Allez vous préparer !

Quelques minutes plus tard, ils se retrouvèrent près du module. Marc tendit à Elsa une ceinture en faux cuir.

-Merci de ce cadeau ! Je le trouve très beau ! s'exclama la jeune femme.

-Ce n'est pas un don, mais un prêt, bougonna Marc, et elle n'est pas élégante mais utile. L'intensité du champ protecteur se règle en tournant la saillie métallique ! Je tiens à vous ramener vivante sur Terre. J'aurai déjà assez d'ennuis sans avoir encore à répondre de votre disparition !

Juste après la tombée de la nuit, Marc posa le module dans un petit bois voisin de Thenos.

-C'est notre bois sacré et nul n'y vient jamais, expliqua Alcis, votre engin sera à l'abri des regards indiscrets.

Les hommes sautèrent rapidement à terre. Trois d'entre eux dont Clésius, qui avait pourtant fait preuve d'un grand courage, ne purent vaincre leur émotion. Ils tombèrent à genoux et embrassèrent la terre encore humide.

-Nous pourrions les laisser là et repartir immédiatement, ironisa Elsa.

Très gêné par cette froide logique, Marc balbutia :

-J'aimerais bien savoir si Thenos n'est pas un tas de ruines !

-Pourquoi pas ? Ce que nous faisons est totalement illégal et nous ne sommes plus à une irrégularité près. Cela demeurera un secret entre nous !

Une heure plus tard, ils pénétrèrent dans le palais royal, élégante construction à un étage avec plusieurs cours intérieures. Alcis n'avait eu aucune difficulté à se faire ouvrir la porte de la ville et un garde était parti en courant avertir le roi qui les attendait sur le seuil de ses appartements.

Avec une émotion qu'il s'efforçait de dissimuler, le souverain embrassa son fils. Les premières effusions passées, Alcis dit :

-Mon père, je vous présente mon ami qui, à plusieurs reprises, m'a sauvé la vie et Elsa qui l'accompagne. C'est grâce à eux que j'ai la joie de pouvoir vous revoir.

Le roi dit alors d'un ton de grande noblesse :

-Qu'ils en soient remerciés et acceptent l'hospitalité d'un père que le désespoir étreignait. Désormais cette maison sera la leur !

Le souverain les conduisit dans une vaste pièce donnant sur un jardin et les fit asseoir sur des tabourets en forme de croix. Aussitôt deux servantes accoururent et offrirent un vin léger et parfumé.

A ce moment, une jeune fille apparut sur le seuil qu'elle hésitait à franchir. Elle était grande avec des cheveux bruns assez longs. Sa tunique blanche soulignait ses formes harmonieuses.

-Entre, Melisa... Entre, ma fille, dit le souverain avec un discret sourire.

Alcis se leva brusquement et se précipita à sa rencontre. Un long moment, les deux jeunes gens s'étreignirent jusqu'à ce que le roi, d'une toux discrète, les rappelle à leurs devoirs d'hôtes.

-Mon fils, j'aimerais partager plus longtemps la joie de te revoir vivant, mais je voudrais t'entretenir de graves problèmes.

Alcis, à regret, s'écarta de sa fiancée et lui dit :

-Melisa chérie, veux-tu faire les honneurs de notre maison à Elsa. Elle ne parle pas notre langue mais je pense que vous arriverez à vous entendre. Installe-la le plus confortablement possible pour la nuit.

Puis se tournant vers le roi, il ajouta :

-Père, je souhaite que Marc assiste à notre entretien. Il est homme de guerre et de bons conseils.

Après une imperceptible hésitation, le roi accepta. Dès que les deux jeunes femmes furent sorties, le souverain débuta :

-Xenos a lancé hier un nouvel ultimatum. Cette fois, il exige un tribut de dix jeunes gens, dix jeunes filles et vingt-cinq têtes de bétail. Si nous cédons, nul doute qu'il recommencera le mois prochain.

-Nous devons combattre ! Quand, après des capitulations successives, nous aurons perdu l'élite de notre jeunesse, nul doute que Xenos attaquera la ville. S'il ne l'a point encore fait c'est qu'il craignait une trop vive résistance ! Ton avis, Marc ?

-Toute cohabitation avec Xenos semble impossible, mieux vaut donc résister tant que vos forces sont intactes !

Le roi opina de la tête.

-Qu'il en soit ainsi fait et que les dieux nous soient favorables.

-Il faut quelquefois les aider, sourit Marc. Comment comptez-vous procéder ?

Surpris de cette question, le roi rétorqua :

-Nous allons prévenir tous les citoyens de se tenir prêts et demain lorsque Xenos fera avancer son armée, nous sortirons de la ville et nous partirons à sa rencontre.

-Agira-t-il comme la dernière fois en alignant son armée?

-Certainement ! C'est ainsi que nous combattons, d'homme à homme, face à face.

-Malheureusement, ils sont plus nombreux que vous ! soupira Marc.

-Notre vaillance suppléera la quantité !

-Je n'ai jamais douté du courage de vos concitoyens mais ceux de Partos ne sont pas des couards !

Alcis interrompit la discussion en demandant :

-Que veux-tu nous faire comprendre, Marc?

-Lorsqu'on n'est pas le plus fort, il convient d'être plus rusé. Xenos t'en a donné un exemple en nous faisant encercler par des cavaliers.

-Exact ! Mais c'était une traîtrise ! s'indigna le roi.

Marc eut un geste apaisant de la main.

-Traîtrise, ruse de guerre, manoeuvre géniale, ces termes recouvrent souvent ta même chose. De combien de cavaliers disposez-vous ?

-Environ une centaine, répondit le roi.

-Vous devriez les faire sortir de la cité avant le lever du jour. Ils se dissimuleront à l'orée du bois sacré et, le moment venu, à votre signal, ils attaqueront les arrières de l'ennemi.

Le roi resta silencieux un long moment que mit Marc à profit pour tenter de retrouver dans sa mémoire un souvenir lointain, du temps où ils étudiaient les civilisations primitives. Le souverain soupira enfin :

-Cela serait possible !

Marc suggéra alors :

-Une fois sortis de la ville, disposez vos forces en triangle, la pointe en avant. Nous percevons le centre du dispositif ennemi puis vos troupes, aidées des cavaliers, encercleront l'aile droite tandis que la gauche sera sans adversaire. Si elle réagit plus tôt que prévu, le côté gauche du triangle les contiendra !

Passionné, Alcis se fit longuement expliquer la manoeuvre.

-Excellent ! s'exclama-t-il. Qu'en pensez-vous, père ?

Le roi exhala un long soupir.

-Ton retour est le signe que m'adressent les dieux. Il est temps que je me retire et laisse le trône à celui auquel il est destiné. Va, mon fils ! Si tu es victorieux, le peuple de Thenos assistera à ton couronnement. Dans le cas contraire, il n'y aura aucun avenir pour notre race.

CHAPITRE XIX

L'aube éclaircissait le ciel. Dans la ville, régnait une vive agitation. Alcis retrouva Marc et lui tendit un bouclier et une lance.

-Je sais que vous avez votre glaive mais mon père vous prie d'accepter son bouclier. Il pense que vous êtes digne de le porter.

-Je suis très sensible à cet honneur, prince. Remerciez votre père.

A cet instant, Elsa et Melisa s'approchèrent d'eux. Laissant cette dernière se précipiter dans les bras d'Alcis, Marc attira Elsa à l'écart.

-Du haut des remparts, vous allez assister à un spectacle qu'aucun de vos amis n'aurait pu organiser, ironisa-t-il.

-Croyez bien que je n'y prendrai aucun plaisir ! Je vous en prie, faites attention !

-Que puis-je craindre avec une ceinture protectrice ?

-Je me suis laissé dire que nombre d'agents de votre service avaient été grièvement blessés au cours de leurs missions. Vous-même n'avez guère été épargné et avez été plusieurs fois atteint.

-Je constate que Ray a été trop bavard, grinça-t-il.

-Lorsqu'on lui parle de vous, il devient effectivement fort loquace. Ne lui en veuillez pas, il vous porte une grande affection.

Ils ne purent discuter plus longtemps car une sonnerie de trompe annonça l'apparition de l'armée ennemie. Aussitôt les soldats franchirent la porte de la ville. Marc marchait en tête avec Alcis à sa droite et Clésius à sa gauche. Derrière eux se tenaient Kerus et les autres gladiateurs rescapés de Vénusia. Marc espérait ainsi avoir constitué un fer de lance qui percerait la ligne ennemie.

-Vos hommes ont-ils bien compris la manoeuvre ? demanda le Terrien à Alcis.

-Je l'espère ! Les cavaliers interviendront quand je donnerai l'ordre d'agiter un pavillon pourpre.

Les rangs ennemis n'étaient plus qu'à quelques mètres. En arrière, Xenos monté sur un cheval, était parfaitement reconnaissable. D'une voix goguenarde, il hurla à l'attention de la silhouette du roi, immobile sur les remparts :

-Puisque tu n'as pas cédé, ce soir je coucherai dans ton palais et tu deviendras mon esclave !

Marc murmura à Alcis :

-Ordonnez de lancer les javelots !

Donnant l'exemple, il projeta le sien qui, par chance, atteignit le soldat lui faisant face. Immédiatement, il s'élança en avant, invité par des compagnons.

Bientôt les rangs ennemis furent transpercés et la manoeuvre d'encerclement put commencer. Abasourdi, Xenos tenta de rameuter ses troupes mais les guerriers de Thenos prenaient un avantage certain.

L'arrivée inattendue des cavaliers acheva de démoraliser les combattants de l'aile droite qui tentèrent de fuir ou déposèrent leurs armes tandis que l'aile gauche indécise ne savait où se diriger.

Marc, qui avait combattu comme un forcené, conseilla à Alcis :

-Faites regrouper vos cavaliers et envoyez-les sur les arrières, tandis que nous prendrons en tenaille le reste de l'aile gauche.

Malgré le fracas des armes, les cris des combattants, les hurlements de douleur des blessés, le prince réussit à rassembler ses troupes.

Implacablement, l'étau se referma sur les derniers combattants de Partos qui, réalisant fort bien la situation, préférèrent détaler. Xenos tenta de les imiter mais un javelot atteignit son cheval qui s'écroula.

Alcis, bousculant ses compagnons, se lança en avant :

-Xenos, fourbe, hurla-t-il, tu m'avais proposé un combat loyal, défends-toi maintenant!

En reconnaissant celui qu'il croyait à jamais disparu, Xenos devint livide. Il appela ses guerriers à la rescousse, mais ceux-ci, trop occupés à préserver leur propre existence, ne songeaient qu'à fuir.

Déjà Alcis était sur lui. Xenos, solide combattant, fit courageusement face. Toutefois, le prince était déchaîné. Lentement, sûrement, il obligea son adversaire à reculer puis après une feinte au corps il frappa sur le casque. Ce dernier sous le choc se fendit et Xenos s'écroula le crâne fracassé.

La mort de leur chef acheva de démoraliser les troupes de Partos et mit fin au combat.

***

Alcis et Marc étaient assis dans une petite salle, buvant un rafraîchissement. Le retour s'était effectué sous les ovations d'une foule joyeuse et soulagée, puis le roi les avait solennellement reçus et félicités. Maintenant, seulement, ils pouvaient goûter un repos amplement mérité.

Melisa, toujours accompagnée d'Elsa, survint et les invita à passer dans la pièce voisine où se trouvait une piscine peu profonde. Sans hésitation, Alcis se dévêtit entièrement et s'allongea dans l'eau, demandant à Marc de le rejoindre.

Horriblement gêné par le regard ironique de miss Swenson, le Terrien l'imita. Aussitôt les deux jeunes femmes, avec des rires étouffés, entreprirent de les débarrasser de la sueur, de la poussière et du sang qui maculaient leur corps.

-Détendez-vous, murmura Elsa à l'oreille de Marc. N'avez-vous pas pour règle dans votre service de toujours adopter les coutumes locales ?

Haussant les épaules, Marc se laissa frotter le dos. Soudain il ne put retenir un tressaillement de douleur.

-Vous êtes constellé d'ecchymoses, s'inquiéta Elsa. Qui sait même si vous n'avez pas de lésions internes. Il serait prudent de gagner d'urgence le bloc médical de mon astronef.

-Inutile, je me sens fort bien ! Croyez-moi, j'ai un certain entraînement !

Lorsqu'ils furent habillés, ils gagnèrent la grande salle où le roi avait fait organiser un festin qui fut des plus joyeux. La nuit était fort avancée lorsque Marc-dit à Alcis :

-Nous devons partir, ami.

-Ne pouvez-vous attendre quelques jours ?

-Hélas non ! Présentez mes excuses à votre père pour ce départ précipité, vous seul en savez les motifs !

Quelques heures plus tard, Marc et Elsa, dans le poste de pilotage de leur astronef, regardaient sur l'écran de visibilité extérieure Gerova qui paraissait s'éloigner à grande vitesse.

-Vous semblez triste, Marc.

Le jeune homme s'ébroua comme s'il émergeait d'un rêve.

-Le côté le plus pénible de mes missions est de devoir abandonner, sans espoir de les revoir un jour, des gens qui vous ont accordé leur amitié et qui ont partagé avec vous joies et souffrances.

Elsa resta un instant silencieuse et murmura :

-Je vous envie, Marc, de pouvoir ainsi nouer des amitiés sincères que vous ne devez qu'à votre conduite généreuse. Moi, lorsque j'annonce mon intention de partir, les gens de mon entourage poussent de tels soupirs de soulagement que je crois entendre une tornade !

Eclatant d'un rire triste, elle ordonna :

-Allez-vous coucher! Je prendrai le premier quart. Vous me relaierez ensuite.

CHAPITRE XX

Marc attendait que la secrétaire revêche l'introduise dans le bureau du général Khov. Mal à l'aise, il se demandait les raisons de cette convocation aussi sèche qu'inhabituelle.

Cela faisait maintenant dix jours qu'il était de retour sur Terre. Dès le yacht posé sur l'astroport, miss Swenson s'était engouffrée dans un « trans » luxueux qui l'attendait sur ce terrain, ne lui lançant qu'un sec « au revoir ».

Marc avait alors gagné les bâtiments de l'astroport où deux membres de la Sécurité Galactique, de carrure imposante et aussi gracieux qu'un couple de dogues, lui avaient intimé l'ordre de le suivre. Pendant ce temps, des ingénieurs du S.S.P.P. avaient pris Ray en charge.

Deux jours durant, Marc avait dû répondre à une multitude de questions. Apparemment satisfaite, la Sécurité Galactique l'avait ensuite confié aux fonctionnaires du S.S.P.P. et le jeu des questions-réponses avait recommencé. Toutefois, Marc avait noté avec amusement qu'il ne lui avait rien été demandé sur son emploi du temps après avoir quitté l'orbite de Vénusia, comme si les autorités voulaient éviter de connaître les détours effectués par !e yacht de miss Swenson !

-Le général Khov vous attend, annonça la secrétaire de sa voix sèche.

Tiré de ses rêveries, Marc sursauta. Il esquissa un sourire ironique et marmonna :

-Il faudra qu'un jour, après votre service, je vous offre un verre. J'aimerais savoir si, par accident, il peut vous arriver de sourire !

La vieille fille resta impassible, se contentant de répondre :

-Faites une demande en ce sens au général Khov. Je suis une parente de sa femme!

Jugeant le terrain dangereux, Marc préféra la fuite en avant et pénétra dans le bureau de Khov. Comme lors de sa précédente visite, le général fumait un cigare et l'amiral Neuman était installé dans un fauteuil. Ce fut lui qui ordonna de sa voix sèche :

-Asseyez-vous, capitaine Stone. Nous voulions vous informer que l'enquête sur Vénusia était close. Le colonel Parker a rétabli l'ordre et assure la direction des services de sécurité en attendant que le conseil de l'Union Terrienne décide de nommer un gouverneur en accord avec la Société Joy-Travel.

Marc ne put s'empêcher d'ironiser :

-Avec le colonel, vous pouvez être tranquille. Ce n'est pas lui qui risquera un « dol » sur une table de jeu, ni qui se laissera offrir un verre de William Lawson's.

-Parker est un excellent officier, rétorqua Neuman d'un ton glacial. Apparemment sa tâche a été rude après le désordre que vous aviez laissé là-bas. Pour un agent secret, vous manquez singulièrement de discrétion, mon garçon.

Devançant les protestations de Marc, il poursuivit :

-J'ai lu plusieurs fois votre rapport et rien ne peut vous être reproché. Les conclusions officielles sont celles que je vous avais annoncées lorsque vous étiez en orbite autour de Vénusia. Quelques détails resteront à jamais inexpliqués, en particulier l'assassinat de l'ingénieur Sandorf et le moment exact de sa mort.

Le général tenta d'intervenir timidement :

-Ne se pourrait-il que Ray...

Neuman l'interrompit aussitôt.

-Impossible! Tous les experts cybernéticiens sont formels. Un androïde de ce type, amputé comme il l'était et déconnecté de surcroît, ne pouvait en aucun cas intervenir. De plus, il ne possédait aucune des programmations nécessaires aux réparations bricolées qu'il a subies. Seul un ingénieur comme Sandorf a pu les effectuer! Le garde assez borné, qui a découvert son corps, s'est obligatoirement trompé sur l'heure de la mort. Au cours de son interrogatoire, il est revenu sur sa première impression.

Tout en hochant approbativement la tête, Khov lança un regard ironique à Marc, prouvant qu'il n'était pas convaincu par les explications officielles, jugeant l'incident clos, l'amiral reprit :

-L'ex-colonel Smalwood a été expulsé de Vénusia et la bande de cinglés a été ramenée sur Terre. Maintenant que tout trafic est arrêté, le Président et le Conseil ne désirent pas que le scandale éclate au grand jour. Les amateurs d'horreurs ont plus ou moins spontanément effectué des dons au S.S.P.P. dont l'importance rognera certainement pendant plusieurs années leur budget-vacances et les empêchera de retomber dans l'erreur.

L'amiral, après un instant de silence, ajouta :

-Pour que cette misérable affaire soit définitivement terminée, un détail reste à régler. Le colonel Parker a retrouvé dans les appartements de Malden un vidéo-film dont vous êtes l'acteur involontaire. Apparemment, vous avez subi une épreuve fort désagréable.

-Ce furent effectivement des moments pénibles, admit Marc. C'était mentionné dans mon rapport.

-Bon Dieu, jura sourdement Khov, dans ce cas vous n'êtes pas doué pour la littérature ! Avant de voir personnellement le film, nous ne pouvions nous douter que cela avait été aussi loin !

Désireux de faire dévier la conversation, car il avait volontairement minimisé le rôle d'Elsa, Marc demanda :

-Je ne comprends toujours pas votre problème, amiral.

Neuman leva les yeux au ciel comme si la naïveté de son interlocuteur le consternait.

-Vous êtes en droit, expliqua-t-il patiemment, d'intenter un procès à miss Swenson et d'obtenir de substantiels dommages et intérêts !

Soulagé, Marc éclata d'un rire sonore :

-Excusez-moi, amiral, mais il ne saurait être question de procès. D'abord cela demanderait des années pendant lesquelles je ne pourrais partir en mission. Ensuite, je n'ai aucune envie d'attaquer miss Swenson. Je dois vous avouer que je craignais exactement l'inverse !

-Sous quels prétextes pourrait-elle se plaindre ? s'étonna Khov.

-Sévices, menaces de mort, prise d'otage sont les premiers motifs qui viennent à l'esprit, sourit Marc, mais je suis persuadé qu'un juriste pourrait en trouver des dizaines d'autres à la seule lecture de mon rapport !

L'amiral intervint et sortit quelques feuilles de papier d'un attaché-case.

-La question aurait effectivement pu se poser. Toutefois, maître Newcomb, de fort mauvaise grâce, et manifestement sur ordre de sa cliente, m'a remis une attestation par laquelle elle renonçait à toute poursuite.

-Comment pourrais-je ne pas l'imiter? dit Marc.

-Parfait, mon garçon ! Dans ce cas, signez ici.

Tandis que Marc paraphait les documents, le général appela sa secrétaire.

-Faites entrer maître Newcomb.

Marc regarda avec curiosité ce juriste dont le nom avait réussi à impressionner Neuman. il était petit, maigre, un peu voûté, avec un visage étroit. Ses yeux bleus très vifs brillaient derrière ses vieilles lunettes à monture métallique.

Après avoir soigneusement vérifié les signatures, il plia les feuilles qu'il rangea dans sa poche.

-Je vous remercie, capitaine Stone, de ce geste. En témoignage de reconnaissance, ma cliente m'a autorisé à vous offrir trois millions de « dols ».

Devant l'importance de la somme, Khov poussa un petit sifflement.

-Je crois que vous pouvez accepter, Stone, dit-il. Ce n'est aucunement contraire au règlement !

Deux secondes suffirent à Marc pour prendre sa décision.

-Vous remercierez miss Swenson de son offre généreuse, mais je ne puis l'accepter.

Malgré toute son impassibilité professionnelle, Newcomb ne put empêcher son regard de trahir son étonnement.

-C'est pourtant plus que ne gagne un général en trente ans de service, objecta-t-il.

Marc s'offrit un sourire, seul luxe gratuit.

-Mon métier est d'être envoyé sur des planètes étrangères et je suis amené à accepter certains risques. Ceux courus sur Vénusia ne dépassaient pas le cadre d'une mission normale. C'est pour cela que le service me verse une solde. Pour modeste qu'elle soit, elle me suffit pour vivre! Je vous réitère donc mon refus.

-C'est bien, n'en parlons plus, soupira Newcomb qui se retira, aussitôt suivi par Neuman.

Khov extirpa d'un tiroir de son bureau une bouteille et deux verres qu'il emplit.

-A votre santé, Stone! Votre geste est idiot mais ne manque pas de classe ! Je ne suis pas mécontent qu'un de mes agents ait cloué le bec de ce juriste. Son regard étonné restera pour moi un excellent souvenir !

Lorsqu'ils eurent vidé leurs verres, Marc demanda timidement :

-Qu'advient-il de Ray ?

Une grimace étira les grosses lèvres du général.

-Je suis désolé, mon garçon, mais les ingénieurs consultés ont été formels. Il est irrécupérable, d'autant plus que les bricolages effectués ont aggravé singulièrement son état.

Bien qu'attendue, la nouvelle assomma Marc qui sentit ses yeux s'emplir de larmes.

-Prenez trois semaines de permission et revenez me voir. J'aurai une autre mission à vous proposer. Faites-moi confiance, je vous donnerai un de nos nouveaux androïdes. En quelques mois, je suis persuadé que vous nouerez les mêmes liens d'amitié qu'avec Ray.

Encore hébété, Marc se retrouva dans le hall de l'immeuble du service, hésitant sur ce qu'il allait faire. Il n'avait aucune envie de rendre visite aux rares amis qu'il avait à New York. Mieux valait qu'il parte loin et tente d'oublier.

Ebloui par le soleil extérieur, il mit une seconde à apercevoir miss Swenson. La jeune femme était debout adossée à son « trans » en stationnement interdit devant l'immeuble. Une combinaison verte moulait ses formes et mettait en relief son teint bronzé. Un sourire éclaira son visage lorsque Marc arriva à sa hauteur.

-Voulez-vous profiter de mon véhicule, je souhaiterais vous parler.

Devant l'hésitation de Marc, elle insista :

-Je vous en prie !

Il se laissa d'autant plus vite fléchir qu'il n'avait aucune envie de résister. Il s'installa sur les confortables coussins du « trans » qui conservaient l'odeur du subtil parfum de la jeune femme. Marc ferma un instant les yeux et sentit qu'elle prenait place à côté de lui. Aussitôt le « trans », conduit par un androïde dont on ne discernait que la nuque, démarra.

Bougon, Marc commença un peu sèchement :

-Si vous désirez savoir...

Elsa l'interrompit aussitôt :

-Non ! C'était une demande des juristes. Si vous m'aviez gardé rancune, vous auriez pu me gifler, me fesser à la rigueur comme votre ami Alcis, mais vous n'êtes pas du genre à vous venger par des procès ! De même les trois millions de « dols » étaient une idée de Newcomb. Je l'ai laissé faire, mais je savais que vous les refuseriez.

Elle reprit après un instant de silence.

-Aussi dès ma descente de l'astronef, je me suis mise à chercher un cadeau que non seulement vous ne pourriez refuser mais qui de surcroît vous ferait réellement plaisir.

-Mais pourquoi ? s'étonna-t-il.

Amusée, elle sourit.

-Entre autres détails, ne m'avez-vous pas sauvé la vie? De plus, vous êtes le premier homme que je rencontre qui ne cherche pas à profiter de sa situation pour me soutirer de l'argent. C'est pour moi une merveilleuse découverte ! Croyez que j'ai vivement apprécié les efforts que vous avez déployés dans vos rapports officiels pour taire mon rôle peu glorieux.

-N'en parlons plus, voulez-vous?

Elsa fit basculer un panneau, découvrant un bar bien garni.

-Servez-vous un verre. Je vous conseille mon vénérable scotch, j'en prendrai également un peu.

Lorsqu'elle eut plongé ses lèvres dans l'alcool parfumé, elle reprit d'une voix légère :

-Au cours de nos aventures, j'ai cru comprendre que vous étiez très lié avec Ray. Aussi j'ai décidé de vous offrir un androïde mais pas n'importe lequel !

Au rappel du nom de son vieux compagnon, les traits de Marc se crispèrent. Comme si elle ne s'était rendu compte de rien, Elsa poursuivit :

-Je pense que celui que j'ai trouvé vous plaira sûrement. C'est lui qui conduit le « trans ».

Marc allait hausser les épaules avec indifférence lorsqu'une onde psychique frappa ses neurones.

-Bonjour, Marc. Je suis heureux de te retrouver! J'ai bien cru cette fois que notre séparation serait définitive.

Marc sentit tous ses muscles se contracter.

-Ray, hurla-t-il ! Est-ce bien toi?

-La carrosserie est neuve mais mes souvenirs sont intacts.

Percevant immédiatement une certaine réticence dans l'esprit de Marc, Ray précisa :

-Pas seulement les officiels enregistrés dans les archives du service mais également les autres. Veux-tu que je te raconte ta première nuit avec la charmante Présidente de Marala alors que tu la croyais simple baronne de Stur? Ou la fois où j'ai dû mimer l'amour avec une petite servante pendant que tu t'ébattais avec la fille du roi? Tu sais que j'avais alors interrompu mes enregistrements pour ne pas t'attirer des ennuis avec le service.

-Assez, dit Marc en éclatant de rire, je te crois. Comment as-tu échappé à la destruction?

Evoquant l'image d'Elsa, Ray émit :

-Je pense que tu peux la remercier. Je suis doté en plus de nouveaux perfectionnements que nous aurons tout le temps de découvrir ensemble !

Miss Swenson suivait l'évolution des sentiments de Marc sur la modification des traits de son visage. Il tourna vers elle un regard rayonnant de joie. Spontanément, il lui saisit la main et l'embrassa.

-Comment un tel miracle a-t-il été possible? murmura-t-il.

-Cela n'était pas très difficile... à la seule condition d'être aussi propriétaire de l'usine qui fabrique et entretient les androïdes du S.S.P.P., répondit-elle ironiquement.

-Cependant le général Khov m'a affirmé que toute réparation était impossible.

-Sans vouloir vous peiner, Marc, votre service est... un peu ladre. Financièrement parlant, il était évident que Ray ne pouvait qu'être sacrifié. Disons que j'ai su convaincre les ingénieurs de faire un travail hors série qui leur a effectivement demandé beaucoup de soins. Il a fallu qu'ils prélèvent un à un les cristaux mémoriels de Ray puis qu'ils les transcrivent dans de neufs ! Toute une équipe a travaillé dix jours sans interruption mais le résultat semble acceptable.

-Merveilleux, vous voulez dire ! s'enthousiasma-t-il. Jamais je ne pourrai vous remercier pour cela !

Elsa, qui avait laissé sa main à Marc, demanda soudainement :

-Je suppose que le général Khov vous a accordé une permission de détente.

-Trois malheureuses semaines ! Le Service n'aime pas que ses agents restent longtemps inoccupés !

-Avez-vous des projets ?

-Rien de particulier. Je me demandais si je ne devais pas partir loin d'ici mais c'était avant d'avoir retrouvé Ray.

-Alors, je vous offre l'hospitalité. Je possède une petite île dans l'océan Pacifique. Un vrai paradis pour nous seuls. Avec mon hélibulle, nous y serions en trois heures.

Marc se laissa aller sur les coussins moelleux.

-Je crois qu'une cure de solitude nous serait profitable, soupira-t-il enfin. Ray, conduis-nous à l'astroport.

-Nous y serons dans trois minutes ! Prévoyant ce qui allait se passer, j'ai préféré prendre immédiatement la route la plus directe !

-Je vois que vous aviez bien manigancé votre piège! émit-il joyeusement.

Se tournant vers Elsa avec une mine inquiète, il dit :

-Ne risquons-nous pas de nous ennuyer, seuls, sur votre île ?

Elle accentua sa pression sur la main de Marc. Le regard brillant, chargé de promesses, elle murmura :

-Je fais confiance à votre imagination pour trouver un moyen de nous distraire.

Leurs deux visages étaient tout proches et Marc n'eut qu'un minime mouvement à faire pour que leurs lèvres se joignent.

FIN