LE GLADIATEUR DE VENUSIA (SSPP 06) (corrigé 12/02/2010)
JEAN-PIERRE GAREN
CHAPITRE PREMIER
Le capitaine Marc Stone pénétra dans l'immense building d'acier et de béton qui abritait le Service de Surveillance des Planètes Primitives. Marc était un solide gaillard âgé de trente-cinq ans. Son visage aux traits énergiques était surmonté d'une chevelure brune coupée court. Un robot de surveillance, gros ovoïde aux tentacules multiples pouvant devenir autant d'armes mortelles, glissa vers le capitaine qui introduisit aussitôt sa carte magnétique dans une fente de la machine. Celle-ci répondit de sa voix métallique :
Vous pouvez passer !
Marc gagna d'un pas rapide le puits anti-gravité et une plate-forme le propulsa à grande vitesse au dernier étage qui abritait le bureau du général Khov dirigeant le service d'une main de fer depuis plusieurs années.
Une secrétaire sèche, anguleuse, à la mâchoire proéminente, l'accueillit d'un ton rogue.
-Vous avez une minute de retard, capitaine Stone.
-Désolé, mais il faudra vous plaindre à la
Compagnie Astrojet. L'appareil a décollé avec un quart d'heure de retard !
La secrétaire haussa ses maigres épaules et décrocha le téléphone intérieur.
-Le général vous attend, dit-elle en reposant le combiné.
Khov était un colosse de deux mètres de haut et pesant plus d'un quintal. De ses lointains ancêtres mongols, il avait acquis des yeux sombres et bridés. Enfin son crâne, totalement lisse, brillait à la lumière du jour pénétrant dans le bureau par une immense baie vitrée. Le général était installé derrière sa table de travail et arborait sa mine des mauvais jours.
-Asseyez-vous ! grogna-t-il en désignant un fauteuil.
Marc réprima une grimace quand il découvrit l'amiral Neuman, chef de la Sécurité Galactique, qui se tenait discrètement en retrait dans un angle de la pièce.
-Inutile de faire les présentations, ricana Khov, vous vous connaissez déjà !
Avec inquiétude, Stone se demanda la raison de la présence de l'Amiral. A chacune de leurs précédentes rencontres, Marc avait été plongé dans de dangereuses aventures
Le général préleva dans un coffret posé sur son bureau un long cigare qu'il décapita d'un coup de dent rageur. Ce simple geste ne fit qu'aviver les appréhensions de Marc qui savait que Khov ne fumait pratiquement jamais et seules des circonstances exceptionnelles pouvaient lui faire transgresser cette règle.
Après avoir exhalé un nuage odorant dont il ne sembla tirer aucune satisfaction, le général marmonna :
-Avant de discuter de votre prochaine mission, l'amiral Neuman et moi souhaitons vous montrer des extraits d'un vidéo-film « tri-di ».
Khov allongea le bras et effleura plusieurs touches sur son bureau. Aussitôt, la baie vitrée s'obscurcit et une lueur naquit dans un angle de la pièce, montrant une sorte d'arène avec un sable très blanc. Deux hommes avancèrent, trapus avec des muscles noueux. Ils étaient vêtus d'un pagne et portaient un bouclier rond, un casque descendant jusqu'à la nuque, et une épée courte mais large.
Le combat commença aussitôt avec férocité, les adversaires se portant des coups de plus en plus violents. Rapidement, sous les chocs répétés, les boucliers se tordirent, les épées se faussèrent. Les prises de vue étaient saisissantes de réalité, montrant les rigoles de sueur qui coulaient sur les deux corps. L'un des combattants poussa un cri rauque et, après une feinte à la tête, zébra le thorax de son adversaire, entaillant profondément les muscles. Il profita alors de son avantage, attaquant sans cesse. Levant trop tard son bouclier, le blessé ne put éviter un coup d'épée qui fit voltiger son casque, arrachant au passage un morceau de cuir chevelu. Aussitôt, de grosses gouttes de sang coulèrent en flots pressés sur son front et ses joues.
Le combat dura encore plusieurs minutes, mais visiblement le blessé faiblissait, reculait, se contentant de parer les coups de son adversaire. Touché profondément au bras, le blessé lâcha son épée, jetant une plainte sourde. Aussitôt un autre coup lui ouvrit l'épaule jusqu'à l'articulation.
Il glissa lentement sur le sol, poussant un cri désespéré. Son vainqueur sembla regarder en direction de la caméra. Des exclamations d'une foule invisible retentirent. Lentement, le gladiateur avança vers l'homme agenouillé et couvert de sang. Il leva son épée et, d'un geste vif, la plongea dans la gorge du blessé.
Marc réprima une grimace en murmurant :
-Ignoble !
-Attendez la scène suivante ! rétorqua sèchement le général.
Après un bref passage noir, l'arène fut à nouveau visible. La scène devait s'enchaîner avec la précédente car le sable blanc était taché par endroits de marques brunes. Un gladiateur armé comme les précédents faisait face cette fois à une sorte de lion au corps couvert d'écaillés noires et pourvu d'une longue queue terminée par un renflement.
Le fauve approchait lentement de l'homme, rugissant et découvrant une mâchoire garnie de crocs acérés. Courageusement, le gladiateur fit face et leva son glaive dans l'intention de frapper le mufle du fauve. Avec une rapidité stupéfiante, l'animal balança sa queue en avant. De l'extrémité renflée jaillirent quatre griffes qui labourèrent le dos de l'homme, arrachant un lambeau de peau.
Surpris, le gladiateur poussa un cri de douleur et recula précipitamment. Pas assez vite toutefois pour empêcher que la queue de l'animal ne le touche à la cuisse droite. Comprenant enfin le danger, l'homme, jouant sa dernière carte, s'élança en avant dans le faible espoir de toucher enfin le fauve. Ce dernier esquiva la charge d'un bond de côté et balança une fois de plus sa queue, arrachant un fragment du grand pectoral.
Hurlant de douleur, l'homme était maintenant une proie facile pour le fauve. Toutefois, ce dernier agissait avec la plus grande prudence, frappant régulièrement de sa queue. Quelques minutes plus tard, le corps qui gisait sur le sol n'était plus qu'un amas de chair sanglante, animée encore de petits frémissements. Enfin satisfait, le fauve commença son repas en plantant ses crocs dans le ventre de sa victime.
La lumière du jour revint brutalement et Marc cligna des yeux.
-Je vous fais grâce de la fin, grogna Khov, car vous auriez eu droit à la totalité du repas du fauve.
Merci, mon général! Je n'ai jamais vu un spectacle aussi répugnant.
Khov hocha sa tête massive.
-Je vous laisse la parole, amiral.
Neuman était grand, sec, avec un visage étroit et une chevelure grisonnante, presque blanche.
-L'attention de mes services a été attirée sur l'existence d'un club pour membres très fortunés qui ont en commun des goûts sadomasochistes prononcés. Un de mes agents, qui a su se faire admettre, m'a rapporté cette copie d'enregistrement diffusé lors des soirées du club.
-Tant que les membres de ce club n'enfreignent pas les lois, vous ne pouvez guère intervenir. Après tout, il ne s'agit que d'un montage cinématographique habile, rétorqua Marc.
Un rictus étira les lèvres de l'amiral.
-Justement non ! Le film a été étudié par plusieurs experts qui, pour une fois, ont eu un avis unanime. Les scènes ont été filmées par des professionnels disposant de plusieurs caméras et jouant habilement de téléobjectifs, mais elles sont réelles et non truquées ! Leur caractère exotique m'a naturellement fait penser à votre service et j'ai été exposer le problème au général Khov.
Ce dernier intervint aussitôt :
-Lors de vos missions sur les planètes primitives, l'androïde qui vous accompagne enregistre toutes les scènes auxquelles il assiste.
Avec un petit ricanement, il ajouta :
-Enfin, presque toutes! Ray, votre androïde préféré, a, lui, la fâcheuse habitude, probablement par pudeur, de censurer vos ébats avec les beautés locales !
Sans laisser à Marc le temps de protester, il ajouta :
-Vous n'ignorez pas que le Service, pour arrondir son budget, revend aux télévisions certains de ces enregistrements. Les scènes de tournois de vrais chevaliers ou le choc de deux armées médiévales sont particulièrement appréciées des téléspectateurs. Il en est de même de certains combats de monstres inconnus des Terriens. Toutefois, là encore, les experts sont formels, le film que nous venons de voir n'a pu être enregistré par un androïde, la qualité eût été beaucoup plus médiocre !
Le général balança dans un cendrier le mégot de son cigare éteint depuis longtemps.
-J'ai alors fait examiner les bandes par le Service. La morphologie des gladiateurs, leurs boucliers, les rares exclamations qu'ils poussaient semblent indiquer qu'ils sont originaires de la planète Gerova.
Devant la mine interrogative de Marc, Khov précisa :
-Elle tourne autour d'un soleil de référence LV 61.79.01.67. à 350 années-lumière de la Terre. Elle a été découverte le siècle dernier et nous la surveillons depuis. Notre dernière inspection remonte à une vingtaine d'années. Sur un continent s'est développée une civilisation de l'âge de bronze assez florissante de type gréco-romain.
-Il faudrait donc supposer qu'une équipe terrienne a été filmée sur Gerova au mépris de la loi de non-immixtion.
-Il y a plus grave, ajouta Khov. Avez-vous identifié le fauve?
-Je crois qu'il s'agit d'un lion d'Arctarus.
-Effectivement ! Comment un tel animal peut-il se trouver sur Gerova à 500 années-lumière de sa planète d'origine ?
-C'est donc qu'on l'y aura transporté !
-C'est une des possibilités qu'il faut envisager ! Maintenant voici votre mission pour laquelle vous travaillerez en collaboration avec les services de l'amiral Neuman. Avec votre androïde, vous vous rendrez sur Gerova comme pour une inspection routinière. Là, il vous faudra découvrir ce qui se passe réellement.
Après une hésitation, le général ajouta :
-Vous devrez vous méfier, car à tout moment, vous pourrez vous heurter à des Terriens totalement dénués de scrupules !
Avec un sourire crispé, Neuman ajouta :
-Je ne vous cache pas que j'aurais préféré envoyer un de mes agents. Malheureusement, leur méconnaissance complète des civilisations primitives les ferait immédiatement repérer.
L'amiral ajouta avec un petit sourire :
-Toutefois, depuis le temps que nous collaborons, je peux presque vous considérer comme un membre du Service.
Cette affirmation ne dérida pas Marc qui soupira :
-Quand dois-je partir?
-Immédiatement, rétorqua aussitôt Khov. Votre aviso, le Neptune, attend à l'astroport et Ray achève les préparatifs. Je suppose que vous ne désirez pas d'un androïde plus perfectionné !
Le général n'ignorait pas qu'au fil des missions, il s'était créé de curieux liens entre l'homme et la machine. Naturellement, les techniciens affirmaient la chose impossible, cependant Khov connaissait l'étrange amitié liant les deux membres de son équipe.
Peu désireux de s'étendre sur le sujet, Marc se leva précipitamment.
-Puis-je disposer, mon général ?
-Vous transmettrez votre rapport à l'ordinateur du Service, cependant, en cas d'urgence, vous pouvez contacter directement l'amiral Neuman. Ray a été informé du code qui vous a été attribué.
A l'instant où il allait quitter la pièce, Neuman ajouta à mi-voix :
-Bonne chance, mon garçon î
CHAPITRE II
Marc pénétra allègrement dans le poste de pilotage. Sans surprise, il découvrit Ray installé aux commandes. C'était un gaillard aux traits accusés et à la solide carrure.
-Bonjour, Marc. Je suis heureux de te revoir. As-tu bien dormi ?
Sans s'étonner de cette manifestation de sentimentalisme incongrue chez un robot, Marc répondit :
-Fort bien, pour une fois. Il semble que j'assimile beaucoup plus vite qu'autrefois les leçons de l'inducteur psychique.
Les agents du S.S.P.P. utilisaient le temps du voyage dans le subespace pour s'instruire du langage et des moeurs des indigènes des planètes qu'ils devaient explorer, confiant la navigation à leur androïde.
-Effectivement, répondit Ray. Ton esprit assimile maintenant les données de l'inducteur psychique trois à quatre fois plus vite qu'un être normal. Je pense qu'il est quelques créatures que tu pourrais remercier à l'occasion
Sans répondre, Marc s'installa dans le siège du copilote et allongea ses jambes avec un soupir d'aise. Machinalement, il consulta l'ordinateur de bord.
-La trajectoire est-elle correcte? demanda-t-il d'un ton désabusé, sachant qu'avec Ray aux commandes, il ne pouvait en être autrement.
Cependant, cela faisait partie du rituel de tout agent à son réveil. Sans attendre la réponse, il ajouta :
-Dans combien de temps émergerons-nous du subespace ?
-Deux heures environ ! Tu as le temps d'effectuer une petite sieste.
Marc approuva et ferma les yeux. En période de repos, un agent devait accumuler le plus de sommeil possible en prévision des efforts à venir.
La voix de Ray le tira de sa douce torpeur.
-Attention ! Emergence dans une minute.
Dès que l'habituel malaise de la transition subspatiale fut dissipé, Marc se redressa et contempla les écrans de visibilité extérieure. Le soleil était un peu plus gros et plus rouge que celui qui chauffe la Terre. Cinq planètes gravitaient autour. Gerova, la seule à posséder une atmosphère, était la troisième.
Déjà Ray avait centré sur elle tous les détecteurs. Elle apparut bientôt comme un gros globe verdâtre. Des océans occupaient les huit dixièmes de la superficie. Dans l'hémisphère Nord, entre le 45e parallèle et l'équateur, s'étendait une sorte de vaste île allongée transversalement.
-C'est le seul continent habité, nota Ray, et il est en grande partie recouvert de forêts. Cela limitera nos recherches. En fait, seule l'extrémité Ouest possède deux petits royaumes, Thenos et Partos.
-... qui sont en constante rivalité, poursuivit Marc. J'ai bien appris ma leçon. La forêt dissimule seulement de petits villages assez éloignés les uns des autres pour qu'il n'y ait pas trop de conflits.
Bientôt le Neptune se satellisa sur une orbite basse autour de Gerova. Tandis que Ray examinait les derniers enregistrements sortis de l'ordinateur, Marc soupira :
-Inutile de nous attarder plus longtemps. Il n'y a aucun changement par rapport aux observations des précédents agents. Ce n'est pas étonnant car vingt ans seulement se sont écoulés depuis la dernière mission.
Ils gagnèrent la soute du Neptune où Marc se déshabilla entièrement. Ray lui tendit une culotte en similicuir s'arrêtant à mi-cuisse et une sorte de gilet de peau de mouton. Marc se chaussa ensuite de sandales avec un laçage montant à mi-mollet.
-J'ai fabriqué ces hardes en fonction des données de la dernière exploration. J'espère qu'elles seront toujours à la mode.
Il boucla ensuite autour de la taille de Marc un ceinturon maintenu par une grosse boucle. C'était une ceinture protectrice, merveille de la technologie terrienne réservée à de rares privilégiés. Elle induisait autour du corps de celui qui la portait un champ de force le mettant à l'abri des projectiles. Il fallait, pour le transpercer, une énergie supérieure à celle du générateur atomique dissimulé dans la boucle.
Toutefois l'élasticité du champ faisait que nombre de coups, sans être mortels, pouvaient être douloureusement perçus.
Pour terminer cette toilette sommaire, Ray tendit à Marc un glaive.
-Il paraît en bronze mais en réalité, il est en acier spécial ! Cela te donnera un petit avantage sur ton adversaire en cas de combat. Toutefois, veille à laisser ton écran à un niveau raisonnable. N'oublie pas que le dernier agent a dû être ramené en catastrophe par son androïde avec une belle fracture du crâne !
Rapidement, Ray enfila la même tenue. Devant la mine inquiète de son compagnon, l’androïde précisa :
-Tu ne risques guère de t'enrhumer, la région où nous allons est située en zone tempérée, chaude même.
Ils grimpèrent dans le module de liaison, sorte de bulle plastique mue par un moteur anti-gravité pratiquement silencieux.
-Paré pour l'éjection, annonça Ray.
Aussitôt le sas extérieur s'ouvrit et le module jaillit de la coque. Tandis que Ray dirigeait la descente, Marc demanda :
-Défenses automatiques du Neptune ?
-Elles sont enclenchées depuis quinze secondes au niveau maximum.
-Où comptes-tu me faire atterrir ?
-Dans une clairière proche de l'orée de la forêt. Nous y attendrons le lever du jour. Nous n'aurons qu'une quinzaine de kilomètres à parcourir pour atteindre Thenos.
-Pourquoi est-il indispensable que je commence mes missions par une marche interminable? bougonna Marc.
Sans se soucier de la mauvaise humeur de son ami, Ray répondit calmement :
-Tu sais bien que ce sont les ordres! Nous devons toujours passer inaperçus et, pour cela, nous poser loin de toute agglomération.
Dirigé avec une précision électronique, le module atterrit en douceur dans une clairière seulement éclairée par le ciel étoilé. Marc voulut sauter à terre, mais Ray le retint.
-Nous avons les derniers tests à effectuer. Ceinture?
-Générateur en marche. Niveau 2.
-Communication radio?
-Je te reçois cinq sur cinq !
Chaque agent du service action recevait une greffe d'un micro-émetteur laryngé et d'un micro-récepteur auriculaire leur permettant de communiquer discrètement entre eux.
-Emetteur psychique ? demanda Ray.
-Parfait ! Et ton récepteur?
-Tes émissions sont maintenant extrêmement puissantes. Nous pourrions nous passer de la radio, même sur de longues distances. Tu deviens un télépathe remarquable !
-Inutile de trop en parler aux autorités ! grogna Marc en descendant du module.
Il respira avec plaisir l'air chaud et parfumé de la nuit qui contrastait agréablement avec l'atmosphère conditionnée et aseptisée des vaisseaux spatiaux.
Non sans un petit pincement de coeur, il regarda le module décoller et disparaître dans le ciel. La rupture du dernier lien avec la civilisation était toujours un moment émouvant. Il se secoua et marmonna :
-Dans quelle direction marchons-nous, Ray?
-Je crois préférable d'attendre le lever du jour qui ne devrait pas tarder. Garde toutefois ton écran à bonne puissance, car j'ignore s'il n'existe pas des prédateurs nocturnes.
CHAPITRE III
Aux premiers rayons de l'aurore, ils se mirent en route. Le sous-bois peu dense ne retarda pas leur progression. Deux heures plus tard, ils atteignirent l'orée de la forêt. Une plaine légèrement vallonnée s'étendait devant eux. Au loin, une petite ville était visible.
-C'est Thenos, annonça Ray.
Ils marchèrent d'un bon pas sur un chemin de terre battue assez bien entretenu. A midi, ils firent une halte sous un gros arbre ressemblant à un eucalyptus terrestre.
Ray tendit à son compagnon deux tablettes nutritives.
-Merci ! ricana Marc. Tu es une vraie mère pour moi !
Ils repartirent pour arriver en milieu d'après-midi devant Thenos. C'était un gros bourg, composé le plus souvent de maisons de pierre de un ou deux étages, aux toits légèrement en pente recouverts de tuiles rondes.
La ville était entourée d'une muraille percée d'une seule porte, qu'ils franchirent sans difficulté. Une rue dallée menait à une grande place grouillante d'activité.
La première échoppe qu'ils virent, une fois la porte franchie, comportait un comptoir derrière lequel se tenait une grosse femme vêtue d'une tunique de lin.
-Bonjour, voyageurs, désirez-vous vous rafraîchir ?
Marc s'arrêta, amusé, et vit deux grandes jarres de terre emplies d'un liquide blond.
-Volontiers !
Désignant des tabourets sous un abri de roseaux, la rondelette commerçante dit :
-Reposez-vous! Je vous sers immédiatement.
Effectivement, elle saisit deux pots de terre cuite et puisa dans une jarre. Marc but avec plaisir le liquide frais tandis que Ray émettait psychique-ment :
-Mélange d'eau et de miel légèrement fermenté. Absence de bactéries pathogènes.
La patronne, en veine d'amabilité, ajouta avec un sourire complice :
-Si vous désirez vous distraire, la maison se trouve un peu plus loin à gauche. Vous ne pouvez vous tromper, l'enseigne en fer forgé est fort éloquente ! La patronne est ma soeur, elle vous conseillera utilement.
Marc ne sut jamais s'il aurait suivi le conseil de cette tentatrice car leur conversation fut brutalement interrompue.
-Alors, patronne, on renseigne les espions de Partos ?
Un grand gaillard portant un bouclier et une lance se dressait derrière le comptoir. Il était accompagné de six hommes pareillement équipés.
-Tu plaisantes, Clésius ! rétorqua sèchement la patronne. Ce sont des voyageurs.
-Il faudra qu'ils le prouvent ! En attendant, verse-nous à boire.
La tenancière secoua vigoureusement la tête.
-Montre d'abord ton argent ! Eux, ils ont payé !
Le chef de la patrouille émit un rire forcé.
-Je te paierai à la fin du mois !
-Il n'en est pas question ! Tu me dois déjà deux mois !
Le rappel mit le colosse de fort méchante humeur.
-Vous deux, suivez-moi immédiatement, hurla-t-il en brandissant sa lance.
Comprenant qu'il n'avait rien à gagner en une altercation avec ce qui lui semblait être les forces de l'ordre, Marc se leva, imité par Ray.
Aussitôt ils furent encadrés par les soldats de la patrouille. Dix minutes plus tard, ils pénétrèrent dans un bâtiment entouré de hauts murs. Le chef du détachement les poussa dans une pièce où se trouvait, assis derrière une table, un officier.
Il était grand, solidement muscle, avec des cheveux châtains très courts. Son visage jeune était déjà marqué par de fines rides. Il dévisagea les nouveaux arrivants de son regard clair.
Le colosse brun étendit le bras droit.
-Je te salue, prince Alcis ! Voici deux espions de Partos que j'ai découverts à l'entrée de la ville !
Un haussement de sourcils du prince traduisait son étonnement. Marc intervint aussitôt :
-Nous ne venons pas de Partos, mais d'un village, loin dans la forêt !
Le prince hocha la tête.
-Effectivement votre langage n'a pas les accents de Partos. Pourquoi avoir quitté votre village?
Marc esquissa une grimace.
-Nous ne nous entendions pas avec notre chef et supportions mal son autorité souvent injuste.
-Qu'espériez-vous en venant à Thenos ?
-Nous avons quelque habileté en l'art des combats et nous souhaitons nous faire engager dans votre armée.
Le colosse protesta aussitôt avec indignation.
-Les citoyens de Thenos sont assez courageux pour se défendre seuls et n'ont pas besoin de mercenaires !
-Dans ce cas, nous pourrions être gladiateurs. Dans mon village, j'ai entendu dire que vous appréciez ce genre de spectacle !
Un discret sourire étira les lèvres du prince.
-Votre village doit effectivement être fort éloigné ! Il y a plus de dix ans que mon père a interdit ce genre de combats ineptes et fratricides ! Seuls les gens de Partos ont conservé cette ridicule coutume.
Cette fois, ce fut Marc qui réprima un juron tandis que Ray émettait :
-Pas de chance, nous aurions dû commencer par l'autre patelin ! Il reste à nous éclipser le plus discrètement possible !
Marc afficha sur son visage un air de dépit non feint.
-Si je ne puis assurer mon avenir dans votre cité, il ne me reste plus qu'à repartir.
Alcis secoua la tête.
-Restez au moins quelques jours avec nous. Malgré la vaillance de nos citoyens, il se pourrait que j'aie besoin de vos services. Partos veut la guerre et nous a lancé un ultimatum inadmissible. Mon père a fait de nouvelles propositions, mais je doute qu'elles soient acceptées. En attendant que la situation soit éclaircie, je vous propose le gîte et le couvert.
Se tournant vers le colosse, il ordonna :
-Clésius, veille à l'hébergement de nos hôtes !
L'homme salua, mais dès que le trio fut sorti, il grommela :
-Avant de goûter notre pitance, il va falloir prouver vos capacités.
Il conduisit Marc et Ray dans une sorte de cour bordée par une galerie couverte. Elle devait faire office de gymnase et une vingtaine de guerriers s'entraînaient au maniement de la lance et de l'épée.
Dans un angle de la galerie, Clésius déposa sa lance et tendit à Marc un bouclier rond, un casque et un glaive à la pointe émoussée.
-Ce sont des armes d'entraînement. Je ne voudrais pas mettre fin à ta carrière avant qu'elle ait commencé.
Les autres jeunes gens s'étaient arrêtés et faisaient un cercle autour de Clésius et de Marc. Ce dernier attendait prudemment la première passe d'arme pour juger son adversaire. Heureusement le vidéo-film du combat des gladiateurs était encore présent dans sa mémoire.
Lassé d'attendre, Clésius attaqua le premier. Il feinta au visage et décrocha un coup fouetté que Marc para de son bouclier. Il riposta mais ne rencontra que celui de son adversaire qui contre-attaqua aussitôt par une série de coups violents. Sagement, Marc laissa passer l'orage, bien protégé de son bouclier, reculant de quelques pas.
Vivement encouragé par les cris des spectateurs, Clésius crut mettre fin au combat par un puissant coup de revers. Marc para en tierce et riposta d'un coup de pointe qui atteignit son adversaire à la gorge. Si la pointe n'eût été émoussée, nul doute que Clésius eût été proprement égorgé. Même ainsi, le coup avait été assez rude pour qu'il lâche son épée et recule précipitamment, le souffle coupé.
Un murmure de désappointement fut la seule réaction des spectateurs. Le prince Alcis, qui avait assisté au combat, s'exclama :
-Beau coup, Marc ! Tu es effectivement un redoutable combattant! En est-il de même de ton compagnon? Qui souhaite l'affronter?
Immédiatement, une dizaine de mains se levèrent.
-Kérus, prépare-toi, ordonna le prince.
Il désignait ainsi un énorme gaillard de plus de deux mètres de haut, au torse puissant, bardé de muscles noueux.
Le combat commença aussitôt. Ray parait de son bouclier et ripostait d'un coup aussi énergique que celui de son adversaire. En quelques minutes, le bronze des boucliers se fendit sous les chocs répétés.
A un moment, les deux adversaires furent face à face, bouclier contre bouclier. Kérus, espérant profiter de son poids supérieur, poussa violemment mais il lui sembla heurter un mur. Avec un cri de rage, il recula d'un pas puis se lança en avant de toutes ses forces. Ray esquiva la charge d'un brusque saut de côté. Tandis que son adversaire, déséquilibré, tombait en avant, il l'assomma d'un solide coup d'épée sur l'arrière du casque.
Clésius se massant la gorge dit d'une voix un peu rauque :
-Vous êtes de rudes guerriers et je serais heureux de combattre à vos côtés !
En riant, Marc lui tendit la main et demanda :
-En attendant l'heure du dîner, n'existe-t-il pas un établissement où nous pourrions boire les quelques pièces qui me restent?
-Voilà une proposition que Clésius ne refuse jamais ! Allons à la cantine mais je vous préviens, ils ne font pas crédit !
***
Le lendemain matin, après avoir déjeuner de galettes de blé cuites dans l'huile, Marc participa aux exercices des guerriers consistant en une longue marche qui se termina en une véritable course d'endurance.
Ce fut avec un soupir de soulagement que Marc retrouva l'ombre bienfaisante du patio. Des servantes compatissantes apportèrent des amphores emplies d'eau fraîche que Marc but avec plaisir. Clésius s'approcha de lui, le visage encore congestionné par l'effort qu'il avait soutenu.
-Alors, ricana-t-il, as-tu aimé la petite promenade de ce matin ?
-Enormément, rétorqua paisiblement le Terrien. Je l'ai trouvée toutefois un peu brève.
Interloqué, Clésius prit le parti d'en rire.
-Rassure-toi, nous aurons l'occasion d'en faire d'autres. En attendant, viens prendre une collation ! Ensuite nous nous reposerons deux heures avant de nous entraîner au maniement des armes.
Ils s'installèrent à une table et les mêmes servantes leur apportèrent une brochette de viande grillée parfumée d'herbes aromatiques que Marc mangea avec plaisir. Cela le changeait agréablement des plats fades, monotones et aseptisés des distributeurs automatiques. Souvent, il pensait que sur le plan gastronomique, la Terre aurait beaucoup à apprendre des planètes dites primitives !
Il remarqua alors Kérus qui restait immobile, les coudes sur la table, la tête entre les mains.
-Qu'a-t-il? demanda Marc à Clésius. Se ressent-il encore du coup que lui a donné Ray ?
-Non, murmura Clésius. Il faut plus qu'une simple bosse sur le crâne pour l'abattre mais son fils est malade et il est probable qu'il va mourir aujourd'hui.
Devant l'air surpris de Marc qui ne pensait pas qu'un tel colosse pût être à ce point sentimental, Clésius précisa :
-La mère est morte en mettant l'enfant au monde et Kérus a reporté toute son affection sur lui. Il est réellement désespéré.
Tandis que Ray levait déjà les yeux au ciel, Marc dit aussitôt :
-Ne pourrait-on pas le voir? Mon ami a quelques connaissances dans l'art de guérir.
-Pourquoi pas ?
Clésius se leva et murmura quelques mots à l'oreille de son compagnon qui quitta immédiatement la table.
-Venez, dit-il de son ton bourru habituel.
Il les entraîna à travers des ruelles étroites jusqu'à une maison basse en simple torchis ne comportant qu'une pièce. Dans la semi-obscurité, Marc discerna un enfant de six ans environ, allongé sur un grabat. A côté de lui, une vieille était agenouillée.
L'enfant avait les yeux fermés, les pommettes rouges et les lèvres craquelées. Ray se pencha et laissa courir ses mains sur le corps. En réalité, il pratiquait un examen par rayons X et scanner.
-Qu'a-t-il ? émit psychiquement Marc.
-Une sorte de fièvre typhoïde ! Son coeur est déjà très faible.
-Pourrais-tu le sauver ?
-Peut-être avec un antibiotique polyvalent et un tonicardiaque. Mais c'est en contradiction formelle avec la loi de non-immixtion.
-Ne m'ennuie pas ! D'abord, nous ne sommes pas en mission pour la S.S.P.P., ensuite ce n'est pas la vie ou la mort d'un enfant qui risque de bouleverser l'évolution de cette planète.
-Entendu ! Tu en prends la responsabilité !
Se redressant, Ray dit à haute voix :
-Effectivement, il est au plus mal ! Je pense qu'il faudrait lui donner à boire, de l'eau fraîche de préférence.
Aussitôt Kérus alla chercher une petite amphore qu'il emplit dans une grande jarre. "-Ray se recula dans l'angle le plus obscur de la pièce et tira subrepticement d'une cavité aménagée dans sa cuisse droite deux comprimés qu'il dissimula dans le creux de sa main.
Kérus versa l'eau dans un gobelet de terre et s'approcha de son fils.
-Laisse-moi faire ! dit Ray avec autorité.
Saisissant le gobelet, il fit tomber discrètement les comprimés qui se dissolvèrent aussitôt. Avec douceur, il souleva la tête de l'enfant et versa les premières gouttes sur ses lèvres.
Ayant obtenu un premier réflexe de déglutition, il parvint à faire absorber au petit malade tout le contenu du gobelet. Satisfait, il ordonna à la femme âgée :
-S'il se réveil, donnez-lui à boire par petites gorgées.
La vieille, peu convaincue, hocha cependant la tête. Entraînant Kérus, Marc lui tendit une pièce d'or.
-Pourquoi ne porterais-tu pas ceci aux prêtres pour qu'ils offrent un sacrifice aux dieux ?
Le colosse hésita un instant, puis son visage s'éclaira.
-Je cours immédiatement au temple !
Sur le chemin du retour, Marc émit avec ironie :
-Dans toutes les religions, les miracles ont existé et n'ont pas entravé l'évolution des espèces.
-N'aggrave pas ton cas ! bougonna Ray. De toute façon, j'ai arrêté mes enregistreurs!
L'après-midi fut d'abord consacré au lancement du javelot. Peu familiarisé à ce sport, Marc n'obtint au début que de médiocres résultats contrairement à Ray qui, avec sa précision électronique, atteignait à chaque tir le centre de la cible, arrachant des cris d'enthousiasme aux spectateurs.
-N'exagère pas, grogna Marc, sinon ton habileté finira par devenir suspecte !
Deux heures plus tard commença l'entraînement à l'épée. Alcis, qui avait rejoint le groupe, dit à Marc :
-J'aimerais faire un assaut avec toi.
Le Terrien ne put qu'accepter. Le duel commença et Marc s'efforça de ménager son adversaire. Alcis, cependant, frappait fort et était très rapide. Un coup violent sur la tranche arracha le bouclier de Marc, les attaches s'étant rompues sous le choc.
Une salve d'applaudissements salua cet exploit.
-Te voilà en mauvaise posture ! s'exclama Clésius qui arbitrait le combat.
Piqué au vif, Marc se mit en garde et para en quinte un coup destiné à fendre son casque. Trois, quatre fois, Alcis revint à la charge, étonné de voir ses attaques parées. Marc feinta alors à la tête et Alcis leva précipitamment son bouclier. Profitant de l'instant où la vue de son adversaire était masquée, Marc sauta à côté et toucha de la pointe le flanc du prince qui ne put retenir une exclamation de dépit.
-Je ne comprends pas ! maugréa-t-il.
-C'est pourtant simple, sourit Marc. Regarde.
Pendant plusieurs minutes, il expliqua les différentes parades et ripostes. Puis, se remettant en garde, face au prince, il prévint :
-Attention, j'attaque à la tête. Lève ton épée. Parfait, maintenant, coup au flanc droit, pare... A gauche, très bien.
Enchanté de cette leçon d'escrime, Alcis insista pour la poursuivre tandis que Ray émettait ironiquement :
-Ne crois-tu pas que tu sautes allègrement quelques siècles ?
Au dîner, la nuit tombée, Marc, l'appétit creusé par les exercices de la journée, dévora son repas. A l'instant où il allait se lever de table, Kérus apparut. Son visage aux traits grossiers et balafrés était éclairé par un large sourire.
-Les dieux ont accepté mon offrande ! Mon fils est guéri ! Pour cela, je ne saurais jamais trop te remercier !
CHAPITRE IV
Une sonnerie aigre de trompettes réveilla Marc en sursaut.
Déjà au milieu d'une kyrielle de jurons, les guerriers se préparaient à la hâte tandis qu'une voix hurlait à l'extérieur :
-Aux armes, aux murailles, vite, l'ennemi approche !
Marc imita ses compagnons, coiffa un casque, saisit une lance et un bouclier. Dans la cour, il retrouva Clésius qui, ayant rameuté son groupe, se dirigeait vers la porte principale.
Comme personne ne semblait s'intéresser à lui, Marc grimpa sur les remparts. A quelque distance, se tenait le prince Alcis en compagnie d'un homme aux cheveux grisonnants, portant un bouclier richement décoré. Le roi de Thenos, sans aucun doute.
A trois cents mètres des remparts, une troupe nombreuse de guerriers était alignée dans un ordre impressionnant.
-Ils sont près d'un millier, murmura Ray.
Un cavalier portant une armure brillante avança jusqu'au pied de la muraille et lança d'une voix forte :
-Moi, Xéros, roi de Partos, je vous défie !
A ce moment, Ray émit :
-Curieux, ses armes sont en acier. La dernière mission n'avait pas signalé qu'ils savaient travailler le fer.
Pendant ce temps, le cavalier poursuivait :
-Si vous restez derrière vos murs, mes guerriers donneront l'assaut ! Votre ville sera détruite, tous les hommes massacrés et les femmes emmenées en esclavage !
Après un instant de silence, il reprit :
-Je vous donne une chance de sauver votre cité. Désignez dix de vos meilleurs guerriers qui affronteront dix des miens. Si vous êtes vainqueurs, je me retirerai sinon vous vous soumettrez à ma loi.
Le prince Alcis murmura à son père :
-C'est notre seule chance, nous devons l'accepter.
Bien que prononcée à voix basse, l'ouïe électronique de Ray avait pu capter la phrase. Le roi secoua la tête.
-Je crains que l'offre de Xéros ne dissimule un piège.
-C'est possible, mais si nous refusons, il attaquera et la ville sera dévastée.
Le roi soupira.
-Agis comme tu l'entends, mon fils. Désigne dix guerriers !
-Je me dois d'être le premier. Il serait indigne que je reste en arrière tandis que d'autres vont mourir pour notre cité.
Le souverain donna l'accolade à son fils et lança :
-Va vite maintenant.
Le prince, descendit rapidement de la muraille et réunit les hommes de sa garde. Naturellement, tous furent volontaires. Clésius et Kérus furent les premiers sélectionnés, puis quatre autres suivirent.
-Il me faut encore trois hommes, dit le prince qui, visiblement, hésitait.
Clésius se pencha vers lui et murmura deux noms.
-Marc et Ray, dit Alcis. Ce combat n'est pas le vôtre, mais accepteriez-vous de nous aider?
Sans plus réfléchir, Marc acquiesça, car il se sentait en sympathie avec ces hommes simples et courageux. Le jeune prince désigna enfin un jeune garde au visage encore enfantin.
Le petit groupe franchit la porte qui se referma aussitôt derrière eux. Le prince marcha d'un pas décidé à la rencontre de Xénos. Dix guerriers ennemis avancèrent alors d'une trentaine de mètres, puis, sur un ordre de leur chef, s'immobilisèrent. Manifestement, c'était le lieu choisi pour le combat.
Alcis fit aligner ses hommes et, lorsqu'il ne fut plus qu'à quelques mètres de ses ennemis, s'arrêta.
-Nous sommes prêts, Xéros ! cria-t-il.
Un sourire ironique étira les lèvres du souverain de Partos qui leva le bras. Aussitôt, une cinquantaine de cavaliers, dissimulés par un repli de terrain, chargèrent et encerclèrent le petit groupe de Thenos.
-Mets ton écran à forte puissance, émit Ray. S'ils attaquent, je m'emparerai d'une monture et nous tenterons de fuir.
Les cavaliers avançaient maintenant au pas, la lance pointée vers les guerriers de Thenos.
-Lâche ! hurla Alcis. S'il te reste une parcelle d'honneur, viens te mesurer avec moi !
Xéros ne daigna même pas répondre. A l'intention des assiégés, il lança de sa voix grave :
-Pour cette fois, je me contenterai de ces dix prisonniers. Toutefois, le mois prochain, il faudra m'en livrer dix autres ou ma colère toute-puissante s'abattra sur votre cité !
Se tournant vers Alcis, il ordonna :
-Jetez vos armes! En cas de résistance, j'attaque votre ville et je jure de faire empaler tous les mâles !
Avec un sanglot, le prince dit à ses compagnons :
-Nous ne pouvons qu'obéir, en espérant que notre sacrifice protégera pour un temps notre cité.
Lentement, il laissa glisser à terre son bouclier et sa lance puis, d'un geste furieux, brisa son glaive sur son genou. A regret, ses compagnons l'imitèrent. Puis le groupe, toujours entouré par les cavaliers, se mit en route.
La marche fut longue, pénible, sans un temps de repos. A la tombée de la nuit, ils arrivèrent en vue de Partos qui était bâtie à flanc de colline. La ville était dominée par le palais de Xénos et par un temple à colonnes.
L'espoir de pouvoir enfin se reposer s'envola quand ils constatèrent que les cavaliers les faisaient obliquer en direction d'une petite colline.
Les hommes étaient à la limite de l'épuisement lorsque leurs geôliers les firent pénétrer dans une vaste caverne. Là, les gardes leur attachèrent les mains à l'aide de courroies de cuir.
Xénos, qui avait supervisé en personne les opérations, éclata de rire.
-Ces fiers guerriers font triste figure. Qu'on leur donne à manger et à boire, sinon nos acheteurs demanderont un rabais sur le prix !
Aussitôt des gardes apportèrent des jarres remplies d'eau et d'une soupe assez malodorante. Marc se contenta de la boisson, Ray lui donnant des pastilles nutritives.
Allongé sur le sol, il feignit de s'endormir.
-Nous évaderons-nous cette nuit ? émit Ray.
-Bien que la situation soit fort inconfortable, j'aimerais connaître l'acheteur dont parlait Xénos.
-A ta guise, grommela Ray, mais ne va pas te plaindre si tu récoltes quelques ecchymoses supplémentaires !
Marc ferma les yeux et parvint à s'endormir. Il lui sembla n'avoir somnolé qu'un bref instant quand des hurlements accompagnés de claquements de fouet l'obligèrent à émerger de sa torpeur.
Bientôt, les prisonniers furent debout. A la lueur des torches, Marc découvrit avec surprise auprès de Xénos un homme jeune, au visage étroit, vêtu d'une combinaison noire d'astronaute.
Aussitôt, Ray lui traduisit psychiquement le dialogue qu'il captait :
-Voici, seigneur, les dix magnifiques guerriers que je vous avais promis, disait Xénos.
L'astronaute contempla les prisonniers d'un air dégoûté.
-Espérons qu'ils seront plus combatifs que le dernier groupe! Ils n'ont jamais voulu se battre entre eux !
-Peut-être, seigneur, n'avez-vous pas su les y contraindre. Il vous suffisait d'en torturer un lentement, progressivement pendant des heures en présence des autres gladiateurs.
-Cela a été fait ! Les spectateurs ont fort apprécié la scène mais cela n'a pas suffit à motiver les autres. Il y en a même un qui s'est donné la mort avant d'entrer dans l'arène. J'ai donc dû les faire dévorer par des fauves !
-Voilà un fâcheux manque de conscience professionnelle, soupira Xénos. Il y a certes une autre solution mais elle est plus onéreuse.
-Laquelle? demanda sèchement l'astronaute.
Xénos désigna un de ses gardes, un colosse impressionnant au front bas et à l'air borné.
-Je pourrais vous donner en plus, Favos. Le sachant leur ennemi, nul doute que les gens de Thenos se bousculeront pour le combattre.
L'idée sembla plaire à l'astronaute.
-Combien ? demanda-t-il négligemment.
-Dix épées et deux plaques de ce merveilleux métal qui se travaille dans le feu pour forger des boucliers.
-Cinq épées et une plaque ! C'est à prendre ou à laisser.
Xénos poussa un énorme soupir.
-Vous êtes dur, seigneur étranger. Favos est mon meilleur guerrier et il faudra des années avant de retrouver son pareil.
-S'il est aussi bon que tu l'affirmes, j'ajouterai deux plaques à mon prochain voyage, dans un mois !
-Marché conclu ! Vous ne regretterez pas votre acquisition. Mais de grâce, ne le faites pas voyager avec les autres, ils seraient capables de l'assassiner pour ne pas avoir à le combattre !
Les tractations semblant terminées, des gardes poussèrent les captifs à l'extérieur et les conduisirent au sommet de la colline où une discrète clairière avait été aménagée. En son centre était posé un gros module de liaison. Une porte située à l'arrière s'ouvrit aussitôt. Les prisonniers pénétrèrent un par un dans l'engin où deux cosmatelots armés de pisto-lasers remplacèrent les liens de cuir par des menottes magnétiques.
Bientôt le sas se referma, laissant les hommes dans une obscurité complète car les parois plastiques du module étaient opaques. De longues minutes s'écoulèrent avant qu'un léger frémissement n'annonce le décollage.
-Leur astronef doit être en orbite, constata Marc à l'intention de Ray. Espérons qu'ils n'ont pas repéré le Neptune.
-C'est peu probable ! Son état de défense automatique le rend invisible aux radars normaux. Comptes-tu agir lorsque nous atteindrons l'astronef?
-Certainement pas ! Nous devons d'abord découvrir l'origine de ce curieux trafic. Le hasard nous aide beaucoup et il ne nous reste plus qu'à nous laisser conduire.
-Si nous attendons trop, cela risque de devenir très dangereux ! Ces gaillards ne sont certainement pas des enfants de choeur !
-Avec toi et ma ceinture protectrice, je ne risque pas grand-chose, rétorqua Marc avec insouciance.
Un claquement sourd annonça que le module avait gagné la soute de l'astronef. Peu après, la porte du module s'ouvrit et les deux mêmes cosmatelots firent signe aux prisonniers de descendre. Ils furent conduits dans la soute voisine où des couchettes étaient disposées. Tandis qu'un garde restait prudemment en arrière, son arme à la main, l'autre ôta les menottes magnétiques, puis du doigt désigna un distributeur de rations alimentaires et le bloc sanitaire. Il se retira enfin, n'omettant pas de verrouiller soigneusement la porte.
Marc demanda par télépathie :
-Existe-t-il un système de surveillance télévisée ?
-Non, nous sommes sur un ancien cargonef et je ne détecte aucun appareil enregistreur.
Marc s'assit sur une couchette, regardant ses compagnons restés peureusement immobiles. Clésius s'intéressa au distributeur alimentaire mais recula précipitamment quand, après avoir frôlé une touche, il vit jaillir un gobelet qui s'emplit automatiquement. Surmontant sa frayeur, il saisit le verre et goûta la mixture avec un grognement approbateur. Les autres ne tardèrent pas à l'imiter et bientôt chacun put étancher sa soif. Le prince vint s'asseoir à côté de Marc et murmura :
-Tu ne sembles pas très étonné de tout cela !
Après un instant de réflexion, Marc répondit :
-Une fois, de loin, j'ai vu ces étrangers avec leurs curieuses machines.
-Que vont-ils faire de nous ?
-Sincèrement, je l'ignore, mais il est à craindre qu'ils veuillent organiser des combats de gladiateurs !
Une voix sortie d'un haut-parleur interrompit la conversation. Dans le langage indigène, elle ordonna de s'allonger sur les couchettes.
-Obéissons, dit Marc, qui savait que sur ce genre de cargonef les transitions subspatiales étaient particulièrement brutales.
CHAPITRE V
Le voyage dura quatre jours sans que les geôliers ne fissent la moindre apparition. A la décélération maintenant perceptible, Marc sut qu'ils allaient bientôt atterrir.
Une heure plus tard, les prisonniers descendirent. Le cargonef était posé sur un spatioport à une extrémité du terrain. La nuit était sombre, seulement trouée par les lumières du bâtiment et de la tour de contrôle située à bonne distance.
Entourés par une dizaine de gardiens, les captifs furent dirigés vers un véhicule se déplaçant par antigravité, qui démarra aussitôt. Il enfila une route sombre serpentant dans ce qui semblait être un magnifique parc d'agrément ou une élégante forêt éclairée de-ci, de-là par des spots lumineux.
Le véhicule s'arrêta devant une bâtisse d'un étage jouxtant une large construction circulaire. Les prisonniers furent enfermés dans une vaste pièce transformée en dortoir pouvant accueillir jusqu'à vingt personnes. Il n'y avait aucune ouverture extérieure et la seule issue était la porte en acier soigneusement verrouillée.
Habitués maintenant à leur univers carcéral, les captifs se rendormirent. Marc contacta mentalement Ray.
-As-tu une idée de la planète où nous venons d'échouer ?
-Sur l'astroport, j'ai pratiqué un enregistrement du ciel. De plus, compte tenu du temps du voyage et de la végétation entr'aperçue, je crois que nous sommes sur Vénusia.
Marc émit un petit sifflement. Vénusia était une planète terramorphe découverte il y a un peu plus d'un siècle. Elle jouissait sur la plus grande partie du continent émergé d'un climat idyllique et sa flore exubérante était d'une beauté remarquable. Toutefois, il n'existait aucune faune et à fortiori aucun habitant. De plus, sa pauvreté en richesses minérales naturelles avait fait renoncer à y installer une colonie de peuplement. La planète avait alors été acquise par une société privée spécialisée dans l'organisation des loisirs qui y avaient installé une base réservée aux distractions des gens les plus fortunés. Ces derniers pouvaient ainsi trouver à satisfaire tous leurs caprices dans la plus grande discrétion. Ainsi, Vénusia avait la réputation d'être le casino de jeux le plus vaste de l'Union Terrienne mais aussi le bordel le plus sélect !
-Je pense, dit Marc, que nous touchons au but. Toutefois, le problème sera de prévenir l'amiral Neuman. Je doute que l'on nous laisse approcher du centre de transmission !
-Le plus simple serait d'essayer, rétorqua Ray. Veux-tu que je désintègre la porte ?
-C'est prématuré, car nous ne disposons encore d'aucune preuve !
Vers le milieu de la matinée, la porte s'ouvrit, livrant passage à deux gardes qui firent aligner les captifs à une extrémité de la pièce. Un homme d'une quarantaine d'années pénétra alors. Il était grand, élégant, avec une chevelure noire soigneusement coupée. A ses côtés se tenait le jeune homme au visage étroit déjà aperçu sur Gerova. L'homme brun dévisagea un long moment les prisonniers avant de dire en galactique :
-Ils ont effectivement fière allure, Karl, malgré le voyage. Crois-tu que nous puissions les faire combattre cet après-midi ?
Le jeune homme approuva aussitôt.
-Certainement, monsieur Malden. Ils ont encore la sauvagerie de leur planète. Si nous leur laissons le temps de réfléchir, ils risquent de s'organiser et de ne donner qu'un spectacle des plus médiocres comme la fois précédente.
Marc, qui avait entendu le dialogue, tressaillit. Stephan Malden avait paru plusieurs fois sur les écrans de télévision de l'Union Terrienne. Il était le président de la société Joy Travel qui possédait Vénusia !
-Dans ce cas, Karl, nous organiserons un spectacle en milieu d'après-midi pour nos initiés. Fais-les immédiatement prévenir !
A ce moment, Alcis s'avança d'un pas et lança :
-Quelle rançon exigez-vous pour nous libérer ?
Malden se tourna vers Karl qui lui traduisit la phrase. Avec un sourire ironique, Stephan rétorqua :
-Dis-lui que s'il veut retrouver sa liberté, il doit d'abord être vainqueur de ses adversaires. Cela le motivera et augmentera l'intérêt du spectacle !
-Nous n'avons pas de raisons de nous battre entre nous ! Je paierai le tribut exigé pour tous mes compagnons !
Karl ricana alors et dit en langage indigène :
-Un guerrier de Partos vous montrera ce qu'est le vrai courage !
Les Terriens se retirèrent, fermant la porte derrière eux.
-Il nous faut attendre, soupira Marc.
Vers quatre heures, heure locale, des gardes, sous la direction d'un type au visage entouré d'une barbe rousse, tenant à la main un fouet, vinrent conduire les prisonniers dans une salle éclairée par une large baie vitrée. Immédiatement, Marc reconnut à l'extérieur l'arène du vidéo-film. Celle-ci mesurait environ trente mètres de diamètre. Le nez collé contre la vitre plastique, il distingua devant lui une sorte de loge d'honneur. Malden était installé sur un haut fauteuil avec le jeune Karl à sa droite. Ils étaient vêtus de tuniques blanches rappelant le costume des empereurs romains. A sa gauche se tenait une jeune femme brune à la mine altière. Sur les gradins, une centaine de spectateurs étaient installés. Pour la circonstance, eux aussi avaient revêtu des tuniques plus ou moins colorées.
-Ils se croient au temps de la Rome impériale, constata Ray.
-Et ils attendent l'ouverture des jeux du cirque ! grinça Marc.
Malden saisit un petit micro et annonça en galactique :
-Chers amis, les combats vont commencer. Favos, redoutable gladiateur, affrontera successivement quatre adversaires. Ensuite, nous assisterons à trois combats d'animaux sauvages venus des diverses planètes de notre galaxie.
Quelques applaudissements polis saluèrent cette annonce. Manifestement, les spectateurs étaient des gens blasés qui ne jugeaient qu'aux actes.
Après une sonnerie de trompes provenant d'un enregistrement, Favos fit son entrée.
Avec son bouclier et son glaive, il dégageait un sentiment de puissance qui impressionna les spectateurs. Au premier rang, Marc remarqua une imposante matrone adipeuse à souhait, aux petits yeux bleus et cruels, qui applaudissait avec vigueur.
A ce moment, le type à la barbe rousse pénétra dans la salle, escorté de deux gardes. Butant sur les mots du langage de Gerova, il demanda en ricanant :
-Qui veut être le premier à affronter Favos?
Clésius se levait déjà, mais Marc le devança.
-Moi, dit-il, cette outre de graisse ne me fait pas peur.
Désignant un glaive, un bouclier et un casque suspendus près de la porte donnant sur l'arène, le barbu ordonna :
-Prépare-toi vite !
Puis il murmura quelques paroles dans une radio portable. Immédiatement, Malden annonça :
-Favos affrontera Marcus, son premier adversaire ! Que le combat commence.
Propulsé par une vigoureuse bourrade du rouquin, Marc pénétra dans l'arène. Il avait eu le temps de constater que son épée était en acier comme son bouclier.
Malden ajoutait toujours en galactique :
-Les paris sont ouverts. Je mise deux cents dols sur Favos à dix contre un.
Des exclamations répondirent à son offre. Avec amertume, Marc crut comprendre que sa cote n'était guère fameuse. Il n'eut pas le loisir de s'intéresser plus longtemps aux spectateurs car Favos s'avançait vers lui.
Cette montagne de chair et de muscles pouvait inspirer la crainte. Sûr de sa force, Favos attaqua le premier. Marc para de son bouclier et riposta, n'égratignant que celui de son adversaire.
La technique de gladiateur, pour primitive qu'elle fût, était efficace. Il marchait constamment sur son adversaire, assenant des coups fort vigoureux, obligeant Marc à rompre sans cesse. Déjà ce dernier sentait son bras gauche s'engourdir sous les choses répétés.
La grosse matrone, captivée, hurlait sans cesse, le regard fixe :
-Du sang, du sang, écrase-le, Favos !
Son voisin, un type au visage porcin, piaillait également, encourageant la brute.
Une nouvelle fois, Favos assena un coup dans lequel il avait mis toute sa puissance, sur le bouclier de son adversaire. Soudain, Marc se déroba d'un saut en arrière. Entraîné par son élan, le gladiateur trébucha. D'une vive riposte, Marc fit voler en l'air le casque, zébrant le visage.
Des applaudissements saluèrent cet exploit.
-Mille dols sur Marcus, annonça la brune assise dans la loge.
Furieux, Favos repartit à l'attaque d'un adversaire qui maintenant se dérobait sans cesse. Haletant, le visage couvert de sueur et de sang, il frappait sous tous les angles.
Un instant, Marc souhaita l'épargner, mais il songea que cette brute n'aurait aucun scrupule à tuer ses amis lors d'un prochain combat. Ecoeuré, il désira en terminer au plus vite. Profitant d'un instant de déséquilibre de son adversaire, il se fendit à fond, transperçant l'épaule droite de Favos. Ce dernier hurla de douleur et fut contraint de lâcher son épée. Lentement, il tomba à genoux.
Le public, maintenant déchaîné, hurlait :
-A mort ! A mort !
Malden, s'efforçant de dissimuler, derrière un sourire de façade, le dépit qu'il éprouvait à voir son gladiateur blessé, annonça :
-Qu'il soit ainsi fait !
Puis, en langage de Gerova, il ordonna :
-Marcus, achève ton adversaire !
Marc haussa les épaules et fit demi-tour sous les cris de désappointement de la foule. A l'entrée de la salle, il se heurta au barbu le fouet levé.
-Retourne terminer ta besogne ! gronda-t-il.
-Je suis un combattant, non un bourreau. Faites le travail vous-même !Un instant, le rouquin hésita à frapper mais il constata que plusieurs gladiateurs s'étaient interposés entre les gardes et lui. Ce damné Marcus aurait le temps de lui trancher la gorge avant que les gardes ne l'abattent. Prudemment, il se recula tandis que Malden annonçait :
-Maintenant, nous allons assister à un magnifique combat. Un homme, armé d'une épée et d'un bouclier, va affronter un lion d'Arctarus.
Cette promesse d'un ignoble massacre calma les spectateurs.
Le barbu désigna Alcis et grogna :
-A ton tour ! Prends les armes de Marcus !
Tandis qu'il tendait son bouclier, Marc murmura rapidement :
-Prenez garde, prince ! Vous allez affronter un fauve dont la queue garnie de piquants est dangereuse. En général, il la balance d'arrière en avant. Dès que vous verrez le premier mouvement, levez votre bouclier pour vous protéger la nuque et frappez la gueule.
-Merci, ami, je te fais confiance !
Il ne put en dire plus, car le rouquin énervé le poussait déjà dans l'arène. Aussitôt, une grille se souleva sous la tribune et un fauve jaillit dans l'arène !
Il s'immobilisa en voyant Alcis à quelques mètres de lui. Le prince contemplait avec curiosité le fauve aux écailles noirâtres. Le lion avança lentement vers sa proie, retroussant ses babines, révélant ainsi ses crocs acérés.
Le prince resta immobile, l'épée en avant. Le fauve était maintenant à moins d'un mètre de lui. Lorsqu'il distingua le mouvement de la queue, Alcis leva vivement son bouclier et les griffes ne frappèrent que le métal. Aussitôt l'homme se rua en avant, plongeant son épée dans la gueule du fauve.
Frappé à mort, le lion s'effondra, agita en vain sa redoutable queue et s'immobilisa définitivement.
La rapidité de l'action avait stupéfait les spectateurs qui, frustrés, manifestèrent bruyamment leur mécontentement. Ils avaient payé une petite fortune pour satisfaire leur goût de l'horrible et ces combats trop brefs les décevaient.
La brune, assise à gauche de Malden, gloussa :
-Mon cher Stéphan, votre spectacle est ridicule ! J'attendais mieux de vous.
-Il ne fait que commencer, miss Swenson, attendez la suite, je vous promets que vous ne serez pas déçue.
Saisissant le microphone, Malden lança :
-Le prochain combat verra l'affrontement d'un gladiateur et d'un gritex. Vous ne pouvez ignorer que ces magnifiques panthères bleues ont une détente d'une telle rapidité qu'elle les rend pratiquement invincibles.
Tandis qu'un robot de service enlevait le cadavre du loin d'Arctarus, le prince avait rejoint ses compagnons. Etonné d'une victoire aussi rapide, le rouquin hésitait.
-Va, Ray, ordonna Marc. Nos amis sont trop lents pour combattre un gritex.
Déjà le barbu désignait Clésius de son fouet.
-C'est mon tour, dit l'androïde d'une voix paisible.
-Reste tranquille, jeta le rouquin, sinon...
Il ne put achever sa phrase. D'un puissant revers de la main, Ray lui écrasa le nez et les lèvres, brisant les incisives. Avant que les gardes médusés puissent intervenir, l'androïde saisit le glaive et pénétra dans l'arène.
Les spectateurs poussèrent des exclamations déçues en voyant un gladiateur sans son bouclier. Malden voulut même interrompre le combat, mais il était trop tard! D'un bond rapide, le gritex avait jailli de sa cage. C'était un splendide animal au pelage d'un bleu éblouissant et d'une taille impressionnante.
Ray demeura immobile, les jambes légèrement écartées. Le félin huma l'air et avança lentement. Il avait une gueule large plantée de crocs saillants et des griffes longues et pointues.
Brusquement, il effectua un bond prodigieux qui, en général, ne laissait aucune chance à sa proie. A l'ultime seconde, Ray esquiva un pas de côté zébrant au passage de son épée le flanc de l'animal qui poussa un hurlement de douleur.
Un murmure de la foule salua cet exploit. A cet instant, Marc intervint psychiquement :
-« Ray, les sauts terribles de cet animal me donnent une idée. Tente de balancer le fauve au premier rang des spectateurs. Cela nous permettra de tester les systèmes de sécurité. »
-« C'est faisable ! ricana Ray. Les quatre caméras de télévision que j'ai repérées vont avoir un bien joli spectacle à filmer ! »
Cet échange télépathique n'avait duré que quelques secondes. Le fauve, déjà, revenait vers Ray qui recula en direction du mur de l'arène. Ce dernier mesurait environ trois mètres permettant aux spectateurs d'être très près de l'action.
Le gritex effectua un nouveau saut. Ray se laissa tomber en arrière et balança ses deux pieds sous le ventre de l'animal qui fut projeté sur les genoux de la grosse matrone qui hurla de douleur. Son cri fut vite interrompu, car le fauve avait aussitôt planté ses crocs dans sa gorge !
Une panique indescriptible s'empara des spectateurs. Hommes, femmes, se bousculaient, se piétinaient pour s'éloigner au plus vite du gritex. Ceux-là mêmes qui, une minute auparavant, escomptaient bien voir l'animal dévorer un homme, ne songeaient qu'à fuir ! Comme le pensait Marc, une dizaine de gardes, déguisés en esclaves romains, étaient dissimulés sur les gradins supérieurs.
Vivement, ils avaient saisi leur pistolasers sous leurs tuniques, mais la panique était telle qu'ils ne purent viser, bousculés qu'ils étaient par les fuyards. Affolé, le gritex effectua un nouveau bond et atterrit sur le dos d'un vieux type maigre à la chevelure grisonnante dont il broya la nuque d'un seul coup de mâchoire.
Deux traits rouges de pistolaser zébrèrent l'air mais, mal dirigés, ils ne firent qu'atteindre une brunette au visage livide qui trébucha et fut immédiatement jetée à terre par le gros type au visage porcin qui n'hésita pas à marcher sur elle pour accélérer sa fuite.
Le gritex eut encore le temps de bondir sur un retardataire qu'il éventra d'un coup de griffes. Maintenant, les gradins étaient vides à l'exception d'une dizaine de corps inanimés. Les gardes purent enfin ajuster leur tir. Presque simultanément trois faisceaux laser touchèrent le gritex qui grogna de douleur et fléchit sur ses pattes. D'une dernière détente, il atteignit un garde qui s'était imprudemment avancé. Le fauve eut encore la force de planter ses crocs dans la gorge de l'homme avant de s'immobiliser définitivement. Livides, l'estomac secoué de hoquets douloureux, les gardes eurent beaucoup de peine pour séparer les deux cadavres, unis dans la mort.
Pendant ce temps, Ray avait regagné la pièce où ses compagnons étaient retenus. Le barbu blessé avait été évacué et les gardes restants ne pouvaient s'empêcher de jeter de fréquents regards sur la tribune où le gritex faisait des ravages.
Une dizaine de gardes supplémentaires pénétrèrent alors dans la salle et, sans ménagements, poussèrent les gladiateurs dans leur cellule.
-Maintenant que nous avons toutes les preuves nécessaires, dit Marc, cette nuit, nous nous évaderons !
Désignant ses compagnons, il ajouta :
-Ceux-là me posent un problème. Dès que Malden apprendra notre fuite, il est fort capable de les éliminer pour faire disparaître toute trace de ces crimes.
-Mes enregistrements de la tribune suffiront à le faire condamner, rétorqua Ray.
-Mais cela ne les sauvera pas! soupira Marc.
CHAPITRE VI
Stephan Malden était installé derrière une table supportant nombre d'écrans de contrôle. Il avait troqué sa tunique d'empereur romain contre une élégante combinaison argentée.
Pour l'heure, son visage, qui d'ordinaire affichait un sourire enjôleur et commercial, était crispé. Il mâchonnait un coûteux cigare qui n'arrivait pas à défendre ses nerfs.
Un voyant lumineux s'éclaira sur son bureau et d'un geste rapide, il actionna l'ouverture automatique de la porte qui, seule, donnait accès à ses appartements.
Le jeune homme au visage étroit arriva aussitôt. Lui aussi avait pris le temps de se changer.
-Alors, Karl, quel est le bilan?
-Bien mauvais, monsieur Malden. Il y a quatre morts dont un garde et dix-neuf blessés. Les robots médecins affirment que trois ne survivront pas plus de dix heures. Ils ont été soit piétinés, soit touchés par les lasers.
Le grand patron crispa ses mâchoires.
-Six morts parmi de riches personnalités de l'Union Terrienne ! Comment allons-nous pouvoir éviter le scandale ?
Karl Trenton sortit de son porte-documents une feuille de papier.
-J'ai déjà préparé un communiqué pour les journalistes, annonçant qu'un groupe de touristes a trouvé la mort au cours d'une excursion en hélibulle, l'appareil ayant malencontreusement heurté une colline.
-Et tous les témoins ?
-Ils seront contraints de garder le silence car aucun d'eux ne souhaite que soient divulguées leur passion sadique pour ce genre de spectacle ! Le scandale serait encore plus énorme et leur fortune s'écroulerait comme un château de cartes !
Malden réfléchit un instant et son visage se dérida.
-Tu as raison ! Si l'un d'entre eux voulait faire le malin, nous disposons d'assez d'enregistrements pour le contraindre au silence. Toutefois, il faudra établir autour de chacun d'eux une surveillance serrée. Passé les premiers jours, ils ne pourront revenir en arrière.
-Les ordres sont déjà donnés, monsieur Malden. De plus, j'ai organisé pour ce soir une immense orgie à la romaine. L'alcool et le spectacle les empêcheront de trop réfléchir !
Malden poussa un petit soupir de satisfaction.
-Merci, Karl! Décidément, tu es un collaborateur précieux. Naturellement, ce mois-ci, ta prime sera décuplée.
L'annonce de cette récompense n'arracha qu'un discret sourire à Trenton.
-Comment un tel accident a-t-il été possible? grogna Malden. Les ordinateurs nous avaient pour-tant assuré que la hauteur du mur de l'arène était suffisante pour nous mettre à l'abri de tous les fauves que nous utilisons. Ils se sont bien fichus dedans !
Karl secoua lentement la tête.
-Je ne crois pas, monsieur, il est survenu un élément extérieur qui, à mon avis, est fort inquiétant. Je voulais vous en entretenir.
Le regard de Malden se fit brusquement glacial.
-Que veux-tu dire ?
Trenton ferma un instant les yeux comme s'il voulait ordonner ses pensées.
-A moi aussi l'accident m'a paru incompréhensible. J'ai donc consulté l'ordinateur qui a confirmé ses précédentes données. J'ai alors revu tous les enregistrements des combats, surtout ceux effectués par la caméra à lumière polarisée.
-Alors? aboya Malden.
-Le dénommé Marcus était protégé par un champ de force et Ray est un androïde ! Seul un robot pouvait avoir la force nécessaire pour propulser le gritex au-dessus du mur de l'arène.
Le grand patron, malgré sa maîtrise, ne put s'empêcher de tressaillir comme si brusquement son fauteuil s'était trouvé branché sur une ligne à haute tension !
-Ce qui signifie? hurla-t-il.
Du ton détaché du bon élève, Karl articula :
-Marcus ne peut être qu'un agent de la Sécurité Spatiale ou plus probablement du S.S.P.P., seul organisme à disposer d'androïdes aussi perfectionnés !
De colère, Malden broya son cigare éteint depuis longtemps.
-Es-tu certain de ce que tu affirmes?
-Oui ! Vous n'avez qu'à demander à voir les enregistrements si vous doutez de ma parole, rétorqua Karl d'un ton pincé.
Malden s'essuya le front, subitement couvert de sueur, d'un revers de main.
-Pourquoi la Sécurité Spatiale enquêterait-elle?
Karl eut un sourire rassurant.
-Je pense que tout ceci est dû à un malencontreux hasard. Le S.S.P.P. envoie périodiquement des agents pour suivre l'évolution des indigènes. Ils sont contraints de se mélanger aux autochtones pour ne pas attirer l'attention. Il est probable qu'ils ont été capturés en même temps que les autres et Xenos qui ne pouvait se douter de la supercherie, me les a revendus.
-Avec la puissance d'un androïde, ils auraient pu facilement s'échapper !
-Effectivement, mais l'arrivée de Terriens n'a pu que chatouiller la curiosité de l'agent sûrement très pointilleux sur l'application de leur fameuse loi de non-immixtion !
-Penses-tu qu'il ait déjà pu contacter son service ?
-Certainement pas, monsieur. Dès l'instant où il a pénétré dans mon astronef, il n’a pu disposer d'un émetteur subspatial.
Malden alluma nerveusement un nouveau cigare.
-Pourquoi a-t-il provoqué l'accident de cet après-midi, sachant que cela causerait des morts?
Trenton haussa les épaules.
-Je crois que c'était soit pour tester nos défenses, soit plus probablement pour gagner du temps. Nul doute qu'il tentera de s'évader cette nuit et de rejoindre l'astroport.
Malden sursauta et abattit le poing sur sa table.
-Il faut immédiatement le neutraliser. Prends autant de gardes que tu veux et amène-le ici. Exécution immédiate !
Malgré cette injonction, Karl ne bougea pas de son fauteuil, se contentant de secouer la tête.
-Nous avons encore un peu de temps. J'ai fait renforcer la surveillance de l'astroport et aucun bâtiment ne pourra décoller sans votre autorisation. Quant à éliminer ce Marc, c'est un autre problème. Toute notre police n'y parviendrait pas ! Sa ceinture protectrice le met à l'abri des armes légères et je me suis laissé dire que les androïdes du S.S.P.P. étaient puissamment armés. En particulier leur bras gauche dissimule un désintégrateur. En attaquant ainsi, nous déclencherons une rude bataille dont nous risquerions de ne pas sortir vainqueurs. De plus, elle ne passera pas inaperçue. La ville compte des milliers de touristes ordinaires qui ne seront pas tenus à la même discrétion que votre centaine de cinglés sado-masochistes.
Le grand patron lança un regard furibond à son collaborateur.
-Que proposes-tu alors ?
Karl feignit de réfléchir un instant.
-Il nous faut l'appui de robots de combat, seuls capables d'annihiler l'androïde.
Halden sursauta et rétorqua sèchement :
-Ces engins sont réservés exclusivement aux forces armées galactiques !
Trenton secoua doucement la tête tandis qu'un petit sourire étirait ses lèvres minces.
-Je sais que l'ingénieur Boris Sandorf vous en a construit deux ! C'est un merveilleux spécialiste et je serais curieux de voir les résultats de son travail.
Un long silence s'installa, seulement troublé par le minuscule craquement du cigare que Malden pétrissait de ses doigts nerveux.
-Tu as raison, comme toujours, murmura-t-il enfin. Prends les robots de combat et fais conduire ce Marc dans le pavillon KZ. Nous pourrons avoir ainsi une surveillance télévisée sans aucun risque. Comme le pavillon est désaffecté, personne ne s'étonnera s'il est en partie désintégré !
Cette fois, Trenton se leva. Il atteignait la porte lorsque Malden éructa un juron. Karl se retourna, jetant un regard interrogateur sur son patron.
-Puisque cet agent a été capturé sur Gerova, il a dû nécessairement laisser son astronef autour de la planète.
Trenton acquiesça de la tête.
-C'est pourquoi, monsieur, je me suis permis d'envoyer le capitaine Baxter qui a pour mission de le détruire. Avec un peu de chance, le S.S.P.P. croira simplement que son agent a trouvé la mort dans une fâcheuse collision avec une météorite ! Il n'aura ainsi pas de raison de poursuivre une enquête qui, de toute façon, n'a aucune chance de le mener sur Vénusia.
Malden grimaça, ce qui semblait être un sourire.
-Parfait, Karl. Tu ne négliges jamais rien !
Son collaborateur parti, le grand patron rumina des pensées pour le moins moroses.
CHAPITRE VII
L'illumination brutale de leur cellule réveilla en sursaut les gladiateurs. La porte s'ouvrit avec un grincement métallique, livrant passage à deux robots de combat. C'étaient des ovoïdes se déplaçant par antigravité, munis de six bras articulés et surmontés de diverses antennes disposées en couronne sur le sommet. Une voix à résonance métallique sortit du premier robot et ordonna :
-Marc, Ray, levez-vous et suivez-nous !
Surpris et inquiet, Marc fut contraint d'obéir. Déjà les robots s'étaient mis en marche, le premier en tête, le second en arrière de la colonne, surveillant les prisonniers. Compte tenu de leur redoutable efficacité, toute évasion était impossible.
Ils ne tardèrent pas à sortir du bâtiment et traversèrent une partie du parc où se dressaient de grands arbres aux formes torturées. Parfois, des branches basses les obligeaient à baisser la tête.
« Dire qu'en temps normal, songea Marc avec amertume, ce coin est considéré comme un vrai paradis! »
Après un quart d'heure de marche, le groupe atteignit une bâtisse à un étage. Les robots firent pénétrer les prisonniers dans une vaste pièce totalement nue, à l'exception d'un écran de télévision qui s'éclaira rapidement. Le visage souriant de Malden apparut alors sur l'écran. Il dit en galactique :
-Bonsoir, cher petit espion !
Il ajouta aussitôt avec ironie :
-Inutile de feindre l'étonnement, je sais que vous comprenez parfaitement notre langue qui est également la vôtre. J'ai quelques questions à vous poser et j'espère que vous y répondrez de bonne grâce ! Auparavant je dois prendre certaines précautions. Enlevez votre ceinture ou j'ordonne immédiatement aux robots d'actionner leurs désintégrateurs lourds !
Marc contacta psychiquement Ray qui répondit avec une ironie chargée de regrets.
-Ces gros tas de ferraille sont totalement inintelligents, malheureusement ils disposent d'une puissance cinquante fois supérieure à la mienne. Pendant le trajet, je les ai examinés et j'ai constaté que ce sont des machines de combat d'ordinaire réservées aux militaires. Même ton écran ne résistera pas plus de trois secondes à l'action conjuguée de leurs désintégrateurs, d'autant qu'ils peuvent actionner en même temps un gros laser! Tu ne peux donc qu'obéir, pour l'instant, tout au moins.
A regret, Marc manipula la boucle de sa ceinture qu'il lança sur le sol.
-Parfait, constata Malden, vous êtes plus intelligent que je ne le pensais et vous avez une chance de survivre...
Avec un petit ricanement, il ajouta :
-Encore quelques heures !
Redevenant sérieux, il reprit :
-Qui êtes-vous et à quel service appartenez-vous?
Marc réfléchit rapidement. Il lui fallait trouver vite une explication plausible.
-Je suis le capitaine Stone, du Service de Surveillance des Planètes Primitives en mission d'observation sur Gerova. Je constate que vous avez violé la loi de non-immixtion et je vous avertis que j'en informerai mon service!
Soulagé de cette information qui confirmait les impressions de Karl, Malden éclata de rire :
-Pour cela, il faudrait que vous en ayez l'occasion ! Je pense que notre conversation est terminée. Ah ! Encore un détail ! Vous n'avez plus besoin de votre androïde !
Sur une injonction brève, un des robots actionna son laser, sectionnant le bras gauche de Ray juste au niveau de l'épaule. Immédiatement après, un nouveau jet laser trancha les deux cuisses. Ray oscilla un instant et s'abattit lourdement sur le sol.
Une pensée fugitive frappa douloureusement les neurones de Marc qui, hébété, contemplait le massacre de son ami.
-Adieu, Marc. Je souhaite sincèrement que tu sortes vivant de cette aventure.
L'onde psychique s'affaiblit rapidement et le contact fut totalement interrompu.
Le regard embué de larmes, Marc se tourna vers l'écran sur lequel s'affichait le visage réjoui de Malden.
-Puisque vous en avez la possibilité, gronda Marc, tuez-moi et tuez-moi vite car je jure que tant qu'il me restera un souffle de vie, je n'aurai qu'un but dans l'existence, vous faire expier vos crimes.
Malden éclata de rire.
-Rassurez-vous, vous n'aurez pas longtemps à attendre. Je pourrais dire aux robots de vous exécuter immédiatement mais je pense que vous pouvez encore m'être utile. Demain, vous combattrez dans l'arène un ours de Régulus. Vous n'ignorez pas que ces animaux ont une gueule aux dents fragiles et qu'ils doivent arracher avec leurs griffes des lambeaux de chair qu'ils dégustent ensuite. Comme ils sont délicats et aiment uniquement la viande encore vivante, ils s'arrangent pour ne tuer leur victime qu'au bout de plusieurs heures !
Marc, qui connaissait la férocité de ces ours, ne put réprimer un frisson. Malden ajouta avec méchanceté :
-Il n'est pas impossible qu'on oublie de vous confier une épée. Cela vous évitera la tentation de mettre fin à vos jours et de priver ainsi les spectateurs d'un merveilleux spectacle !
Satisfait de cette précision, le grand patron ordonna :
-Al, reconduis l'homme dans sa cellule.
Comme Marc restait immobile, une tentacule jaillit du robot et lui enserra l'avant-bras droit. La machine se mit en marche tirant son captif avec une force irrésistible.
Dans son bureau, Malden coupa le circuit d'un mouvement de l'index et se tourna vers Trenton.
-Fais ramasser les débris de l'androïde et dépose-les à l'atelier de Sandorf. Je veux qu'il prélève les cristaux mémoriels et étudie tout ce qu'ils ont enregistré. Ainsi nous saurons si ce jeune homme ne nous a rien caché !
A ce moment, un appel jaillit d'un interphone.
-Monsieur Malden, dit une secrétaire, miss Elsa Swenson désire vous voir immédiatement.
-Faites-la monter, pour elle je suis toujours visible.
Peu après, la jeune et élégante brune pénétra dans le bureau. Malden se leva pour l'accueillir et la conduire à un fauteuil.
-Chère amie, désirez-vous boire quelque chose. J'ai un vénérable William Lawson's, une pure merveille.
Miss Swenson se contenta de secouer négativement la tête.
-N'êtes-vous pas au banquet que nous avons organisé ce soir?
-J'y ai fait une apparition et m'y suis mortellement ennuyée. Sans vouloir vous vexer, mon petit Stephan, votre orgie de pacotille est minable ! Il me faut une distraction plus sérieuse.
Malden, qui connaissait les goûts de cette nouvelle et richissime cliente, esquissa un sourire.
-Qui souhaitez-vous ?
-Ce Marcus qui a proprement abattu votre soi-disant invincible gladiateur. Il me plairait de l'obliger à ramper à mes pieds.
-C'est un excellent combattant qui peut fournir encore de bons spectacles, protesta Malden. Après être passé par vos mains, il ne sera plus qu'une loque inutilisable !
La brune eut un geste négligent de la main.
-Aucune importance ! Vous le ferez dévorer par un fauve. Comme dans ces combats, l'homme n'a aucune chance, quel que soit son état, le résultat sera le même !
Devant l'hésitation de son interlocuteur, elle ajouta :
-Je double le prix habituel.
Malden feignit d'hésiter puis s'inclina :
-Vos arguments sont irrésistibles, chère amie.
Miss Swenson se leva en lançant :
-Puisque nous sommes d'accord, qu'il soit à onze heures dans mon appartement !
Lorsque la porte fut refermée sur la visiteuse, Malden alluma un cigare avec un large sourire.
-j'ai toujours rêvé de pouvoir contrôler la plus grosse fortune de l'Union Terrienne, soupira-t-il. Vénusia est d'un bon rapport mais l'empire Swenson, c'est bien supérieur !
-N'est-il pas dangereux, objecta Trenton, de laisser cet agent entrer en contact avec une Terrienne?
-C'est un risque à courir. Les enregistrements des souffrances infligées à des primitifs, effectués à l'insu de cette chère Elsa, constituent certes un moyen de chantage mais il risque d'être insuffisant. Tandis qu'un film la montrant en train de torturer un vrai Terrien, agent d'un service officiel, constitue un document probant. C'est une chance que je ne veux pas laisser échapper !
-Et si ce Stone lui révèle d'emblée sa qualité?
-Avec Elsa, il n'en aura guère le temps! De toute façon Steve surveillera, comme à l'accoutumée, l'enregistrement.
Karl ne parut pas convaincu.
-Que se passera-t-il si, malgré tout, miss Swenson prenait parti pour Stone ?
Le regard de Malden brilla dangereusement.
-Dans ce cas, je pense que votre communiqué à la presse sera inexact et qu'il y aura sept cadavres dans le malheureux accident de l'hélibulle !
Trenton approuva vigoureusement :
-Je crois alors que la partie est jouable et même fort intéressante.
Malden servit deux scotches et en tendit un à Karl.
-A la réussite de notre projet ! dit-il en levant son verre. Rassure-toi, je ne t'oublierai pas. Pour commencer, je te vois très bien prendre la direction de Vénusia ! Ensuite lorsque ma situation à la tête de l'empire Swenson sera assurée, j'aurai besoin d'un homme tel que toi !
Chacun perdu dans leurs rêves, ils burent en silence puis Malden ordonna :
-Va t'occuper des cristaux mémoriels de l'androïde. Je préviens Steve de ce que j'attends de lui et l'enverrai conduire Stone à l'appartement d'Elsa.
Karl sortit de l'immeuble et monta dans un véhicule de service. Rapidement, il gagna le pavillon désaffecté. Le robot de combat était resté immobile devant les morceaux de Ray.
Trenton contempla la scène puis se pencha sur le torse de l'androïde.
-Mieux vaut être prudent, murmura-t-il.
Déverrouillant une petite trappe au niveau du sein gauche, il découvrit une cavité et abaissa un interrupteur.
-Maintenant qu'il est désamorcé et privé d'énergie, il n'y a plus rien à craindre ! ricana-t-il.
Sous les ordres de Karl, le robot ramassa les différents morceaux qu'il porta dans le véhicule. Appelé par Trenton, A1 ne tarda pas à rejoindre son congénère.
-Retournez dans votre cache et n'en bougez plus !
A faire ainsi évoluer ces formidables machines de combat, Karl éprouva une grande exaltation, une sensation de puissance inégalée.
-Trop tôt, murmura-t-il.
Il savait que, depuis son bureau, Malden pouvait contrôler tous les mouvements de ses robots et qu'il possédait seul un émetteur les soumettant obligatoirement à ses ordres.
Karl démarra rageusement et conduisit son véhicule dans un hangar souterrain.
Devant un établi se tenait un grand type mince avec un nez en bec d'aigle et une chevelure hirsute. Pour l'heure il était penche sur le thorax de ce qui semblait être une fort jolie jeune fille. Un panneau avait été démonté, montrant un inextricable fouillis de circuits électroniques.
-Boris, je t'amène un androïde ! Le patron veut que tu examines ses cristaux mémoriels et que tu réalises un enregistrement.
L'ingénieur, aidé de Karl, sortit le corps et l'allongea sur une table déjà encombrée d'outils variés.
-Quel dommage d'avoir détruit une aussi belle mécanique, soupira Sandorf. Je me demande même si les cristaux mémoriels ne sont pas irrémédiablement endommagés.
-Fais pour le mieux. M. Malden demande ses renseignements pour demain matin.
-Dis au patron qu'il les aura si c'est possible. Je travaillerai toute la nuit s'il le faut, mais je dois d'abord terminer la réparation de cette fille. Là-bas, ils sont à court d'esclaves soumises pour leur orgie !
-Agis comme tu le souhaites, mais n'oublie pas que M. Malden n'aime pas attendre !
-File ! C'est toi qui me fais perdre mon temps !
L'ingénieur retourna à son établi, fixa autour de son front un microscope et saisit un microfer à souder. Quelques minutes plus tard, il se redressa avec un sourire.
-Je pense que les dégâts sont réparés.
Il brancha un contact et la voix de la fille s'éleva, plaintive à souhait.
-Pitié, maître, pitié! Ne me fouettez plus, je ferai tout ce que vous voudrez !
Sandorf grogna :
-Après tout, si cela satisfait ces cinglés, pourquoi pas?
Il acheva rapidement son travail, brancha un dernier contact et lança :
-Gagne le hall du bloc C et n'oublie pas de remettre ta tunique.
L'androïde se leva avec grâce, s'habilla et sortit.
L'ingénieur s'approcha alors de la table où gisait Ray.
-Quel carnage ! Je n'en tirerai rien !
D'un coup d'oeil, il s'assura que le générateur était bien désamorcé puis il sortit un petit chalumeau à plasma. Déjà, il se penchait sur le torse de Ray pour découper un panneau lorsque l'impensable, l'inexplicable, se produisit. Le bras droit de Ray, seul membre qui lui restait, se mit en mouvement.
Interloqué, doutant de ses sens, Boris voulut se reculer. Il n'en eut pas le temps ! La main l'agrippa à la gorge et se mit à serrer. Vainement, Sandorf tenta de se dégager, mais ses forces l'abandonnèrent et son cerveau, privé d'oxygène, s'embruma. Quelques mouvements convulsifs agitèrent ses jambes puis il glissa à terre, le larynx broyé.
CHAPITRE VIII
Lorsque Marc eut regagné sa cellule, il se laissa choir sur une couchette et enfouit son visage dans ses mains. Il ne voulait pas croire à la disparition de Ray ! Malgré son courage, quelques sanglots le secouèrent. Il sentit alors une main se poser doucement sur son épaule.
Relevant la tête, il vit Alcis qui demanda :
-Que se passe-t-il, Marc?
-Je viens de perdre mon meilleur ami.
-Je comprends ce que tu éprouves, dit-il gravement. Sache que d'autres amis te restent fidèles. Pleure si cela doit te soulager. Ensuite nous penserons à le venger.
-Merci, prince !
Un pâle sourire éclaira le visage d'Alcis.
-Ce titre paraît bien ridicule en ces lieux. Je pressens que tu connais beaucoup plus de choses que nous. Cet après-midi, tu nous as tous sauvés.
Devançant les protestations de Marc, il ajouta :
-Les épreuves ne m'ont pas encore fait perdre ma lucidité. La réputation de Favos était parvenue jusqu'à Thenos. En te proposant le premier pour le combattre, tu as épargné l'un de nous. Jamais nous n'aurions été capables de le vaincre. Moi-même, sans tes avertissements, j'aurais été surpris par l'attaque traîtresse de ce fauve inconnu. Que penses-tu qu'il nous arrivera demain ?
Marc haussa les épaules.
-Nous aurons sans aucun doute à affronter de nouveaux fauves car je ne pense pas que tes hommes acceptent de se massacrer entre eux pour le plaisir des spectateurs.
-Effectivement, c'est la solution que j'ai envisagée. Aussi j'ai décidé que nous attaquerions nos gardiens.
-Ils ont des armes terribles.
-Je m'en doute, mais mieux vaut mourir en combattant ses adversaires plutôt que sous les crocs d'un fauve. Je ne désespère pas de pouvoir en abattre un certain nombre avant de succomber.
-Merci, Alcis. Je pense que tu as raison et que tu as trouvé la seule solution digne d'un homme.
Le bruit de la porte interrompit leur conversation. Le rouquin parut sur le seuil, escorté de cinq ou six gardiens. Il arborait des dents neuves posées une heure auparavant par un robot chirurgien, mais son visage était encore tuméfié.
-Marc, viens ici, siffla-t-il entre ses incisives qui le gênaient encore un peu.
Le Terrien fut poussé dans le couloir jusqu'à l'extérieur et enfourné à l'arrière d'une sorte de fourgonnette. Par prudence, le rouquin lui passa des menottes magnétiques avant de refermer la porte.
-O.K. ! Steve, tu peux y aller!
Le chauffeur démarra aussitôt. Moins de dix minutes plus tard, ils arrivèrent à destination. La porte de la cage s'ouvrit et Marc constata qu'il était dans une sorte de parking souterrain.
Steve était un blond, au visage rond, au corps massif. Il tenait à la main un pistolaser. D'un mouvement du canon de son arme, il fit signe à Marc de descendre.
Ils s'engouffrèrent dans un puits antigravité qui les mena rapidement à l'étage programmé. Steve sonna à une porte qui s'ouvrit aussitôt.
-Voici votre colis, miss Swenson.
La jeune femme tendit une sorte de collier noir avec une large plaque métallique.
-Merci, Steve. Avant de lui ôter ses menottes, voulez-vous lui mettre ceci ?
L'homme prit le collier et l'attacha autour du cou de Marc, la plaque métallique reposant sur la nuque. Lorsqu'il eut terminé, il défit les menottes, puis avant de sortir il dit :
-Bonne soirée, miss Swenson. Lorsque vous aurez terminé, appelez-moi par l'interphone comme d'habitude. Je viendrai vous débarrasser du colis!
Il referma la porte et gagna vivement un studio situé au dernier étage de l'immeuble. Il bascula plusieurs interrupteurs et aussitôt la chambre de miss Swenson apparut sur un écran. Satisfait de l'image et du son, il enclencha la touche « enregistrement ». Son devoir accompli, il alla se servir un verre, puis se laissa tomber dans un fauteuil !
-C'est toujours la même chose, grogna-t-il. Je vais m'embêter à mourir. (Il alluma une autre vidéo-radio après avoir sélectionné son film. Une minute plus tard, il contemplait sur l'écran « tri-di » les exploits d'un hercule généreusement doté par la nature aux prises avec trois jeunes et ravissantes créatures.)
***
Pendant ce temps, Marc dévisageait la jeune femme en face de lui. Elle était grande, brune avec un visage aux traits réguliers. Ses yeux légèrement bridés étaient d'un vert qu'il n'avait jamais rencontré. Elle était vêtue d'une combinaison dorée qui soulignait plus qu'elle ne masquait ses formes harmonieuses, sa poitrine altière, son ventre plat. Marc estima qu'elle ne devait pas avoir atteint la trentaine.
Son regard vif inspecta la pièce, confortable, très fonctionnelle mais un peu impersonnelle. Dans un angle du plafond, près d'un spot lumineux, il remarqua immédiatement un point brillant trahissant un objectif de caméra.
« Nous sommes sous surveillance ! grinça Marc. Je comprends mieux pourquoi ils m'ont enlevé les menottes. Toutefois, placée comme elle est, la caméra ne peut tout enregistrer. Il existe un angle mort dans ce coin. »
Il n'eut pas le temps de réfléchir plus longtemps. La jeune femme, qui avait saisi un petit boîtier noir, lançait :
-A genoux ! C'est ainsi que je veux voir les hommes, surtout ceux qui se prennent pour des héros.
Devant le regard interrogateur de Marc, elle ajouta avec un rictus :
-Je sais que tu ne comprends pas le galactique mais cela ne t'empêchera pas d'obéir !
Elle appuya avec une mine gourmande sur une touche de son boîtier. Immédiatement, Marc ressentit une douleur fulgurante, atroce, partant de la plaque collée sur sa nuque, irradiant dans tous ses membres et dans son crâne. Il ne put retenir un cri déchirant. Aussi brutalement qu'elle était apparue, la douleur cessa.
-J'ai dit, à genoux, répéta Elsa en désignant le sol d'un index impérieux.
Hébété, Marc tarda à réagir. Aussitôt la douleur revint, implacable, diabolique, comme si elle ne devait jamais finir. Malgré son courage, Marc dut se laisser glisser à terre.
Le supplice s'interrompit une nouvelle fois, laissant Marc tremblant, couvert de sueurs aigrelettes. Miss Swenson ouvrit un tiroir et en sortit un long fouet de cuir tressé.
-Avec les primitifs, rien ne vaut les bonnes vieilles méthodes.
La lanière siffla et atteignit le dos de Marc alors qu'il tentait de se relever. Les coups se succédèrent rapidement, striant le torse de zébrures rougeâtres. Le regard brillant, miss Swenson hurlait :
-Vous, les hommes, êtes pires que les plus immondes animaux. Allez, rampe, lèche le sol, supplie-moi !
Marc perdit totalement la notion du temps. Les coups de fouet alternaient avec les décharges douloureuses et il lui sembla n'être plus qu'une immense douleur qui submergeait tout son esprit. Soudain un voile rouge brouilla sa vue et il sombra dans un miséricordieux néant.
Lorsqu'il reprit conscience, il perçut d'abord une sensation de brûlure sur tout son dos. Ouvrant les yeux, il vit miss Swenson confortablement assise dans un fauteuil, juste dans l'angle mort de la caméra. Elle buvait paisiblement un verre empli d'une boisson ambrée.
-Je constate que tu te réveilles enfin, ironisa-t-elle. Je ne suis pas pressée. Je veux que tu récupères assez de force pour notre prochaine séance. Je ne tiens pas à ce que tu t'évanouisses trop rapidement, cela gâche mon plaisir. Si tu veux un remontant, le bar est dans ce coin.
Marc tenta de se relever, mais retomba sur le sol en poussant un gémissement.
-Et cela se croit un grand guerrier ! railla Elsa. Attends la suite et tu pourras réellement faire preuve de courage !
Marc resta un instant immobile, constatant que la jeune femme tenait toujours à la main son boîtier noir, prête à déclencher une nouvelle onde électrique.
Une haine féroce contre cette créature envahit son esprit, le submergea, ne laissant place à aucun autre sentiment. Ce fut cette haine qui insuffla dans ses muscles douloureux la force nécessaire pour ramper jusqu'au bar et saisir au hasard une bouteille dont il porta le goulot à ses lèvres, indifférent aux sarcasmes de la fille qui disait :
-Un vrai porc! Bois vite, je suis impatiente de recommencer. Quel dommage que tu ne puisses comprendre ce que je dis !
Sous l'effet de l'alcool, un peu de rouge colora les joues de Marc. Soudain son coeur tressauta. Près des bouteilles, à quelques centimètres de sa main, se trouvait le fouet que la jeune femme avait oublié en se servant à boire.
« C'est ma dernière chance, songea-t-il. Encore faut-il ne pas la manquer. »
Il respira plusieurs fois, profondément, pour oxygéner ses muscles. Un rapide coup d'oeil lui montra que miss Swenson contemplait son verre, semblant perdue dans ses pensées.
Marc concentra toute son attention sur les gestes simples qu'il aurait à accomplir, priant le ciel pour que ses muscles endoloris acceptent l'effort qu'il allait leur imposer.
-Maintenant, murmura-l-il.
D'un geste violent il balança sa bouteille à l'autre extrémité de la pièce où elle s'écrasa contre le mur avec un bruit mat. Instinctivement, miss Swenson détourna son regard. Marc saisit alors le fouet et se rua en avant. La lanière siffla et s'enroula autour du poignet de la jeune femme. Sous la morsure brûlante du cuir, elle ouvrit la main, laissant échapper le boîtier noir. Le bruit minuscule qu'il fit en touchant le sol fut pour Marc la plus douce des musiques.
Elsa ouvrait la bouche pour hurler sa douleur, mais Marc était déjà sur elle et la frappa d'un violent gauche à l'estomac, bloquant le cri prêt à jaillir. Immédiatement, il enroula la lanière du fouet autour de la gorge de la femme et commença à serrer. Clouée sur son fauteuil, miss Swenson n'osait esquisser un geste. Marc murmura à son oreille :
-Si vous n'obéissez pas immédiatement, je jure de vous étrangler.
Pour bien montrer que ce n'était pas une vaine menace, il commença à serrer. D'un battement de paupières affolé, Elsa fit comprendre qu'elle cédait.
-Enlevez-moi ce maudit collier! ordonna-t-il.
D'une main tremblante aux ongles soigneusement manucures, la jeune femme obéit. Marc ne put retenir un soupir de soulagement quand il sentit la plaque quitter sa nuque.
-Maintenant attachez-le autour de votre cou.
Il brisa toute velléité de résistance en resserrant son étreinte. Quand elle eut obéi, il cueillit sur le sol le boîtier. Ce n'est que lorsqu'il l'eut bien en main qu'il desserra la lanière qui laissa un vilain sillon noirâtre sur la chair tendre.
-Désormais, vous allez obéir exactement à mes ordres.
Miss Swenson devait avoir des nerfs d'acier car malgré sa situation peu enviable, elle rétorqua :
-Jamais je ne céderai devant un homme !
Les yeux brillants de rage, elle ajouta :
-Vous paierez très cher cette révolte. Lorsque j'en aurai terminé avec vous, même les fauves ne voudront plus vous dévorer.
Froidement, Marc appuya sur le contacteur. Le corps gracieux d'Elsa se crispa et seule la main appliquée brutalement sur sa bouche l'empêcha de clamer de douleur.
Bien que la décharge eût été très brève, le front de la jeune femme s'était couvert de sueur.
-C'est horrible, murmura-t-elle. Jamais je n'aurais cru...
Marc l'interrompit d'un geste de la main.
-Vous allez appeler Steve comme il était convenu entre vous. Toutefois, prenez garde. S'il a le moindre soupçon, vous mourrez de très désagréable façon et j'aurai l'impression, avant de périr, d'avoir fait une oeuvre utile !
Toute volonté brisée, Elsa se leva et se dirigea vers un interphone plaqué contre le mur. Les nerfs tendus, la main crispée sur le boîtier noir, Marc la regardait agir.
-Steve, vous pouvez venir, j'ai terminé, dit-elle d'une voix lasse.
-Bien, mademoiselle, j'arrive.
D'un signe du doigt, Marc lui fit signe de regagner son fauteuil puis il se colla contre le mur près de la porte. Moins d'une minute plus tard la sonnerie retentit.
-Allez ouvrir, dit Marc à voix basse.
Miss Swenson hésita mais lorsqu'elle vit la crispation du doigt de Marc sur le boîtier, elle s'avança :
-Ce soir, vous avez rapidement fini, dit Steve avec un sourire. Où est le colis ?
Ce furent ses dernières paroles. Marc le frappa du tranchant de la main sur la nuque de toutes ses forces et le corps tomba lourdement sur le tapis !
Refermant vivement la porte, Marc fouilla sa victime, récupérant un pistolaser. Le contact de la grosse de l'arme avec la paume de sa main le fit tressaillir de plaisir. Maintenant il était certain de vendre chèrement sa peau !
Sa première idée fut de sortir rapidement de cet appartement pour échapper à la surveillance de la caméra espion. C'était miracle que l'alarme n'eût pas encore été donnée ! Probablement effectuait-elle un enregistrement automatique.
Il s'apprêtait à ouvrir la porte lorsqu'il prit conscience de sa nudité. En effet, il était toujours vêtu depuis Gerova de sa seule culotte de simili-peau. Cette tenue sommaire ne pouvait que le faire immédiatement repérer.
Elsa était restée immobile au milieu de la pièce, contemplant d'un regard incrédule le corps de Steve.
-Déshabillez-le, ordonna Marc.
La jeune femme eut un sursaut indigné mais Marc agita le boîtier.
-Inutile de discuter, vous n'êtes plus du bon côté de la barrière !
Elsa, matée, s'approcha du corps de Steve et commença à défaire les attaches magnétiques. Soudain elle poussa un petit cri.
-Il est mort ! Vous l'avez tué !
-Naturellement ! A quel jeu croyez-vous que nous jouons ? A la marelle ?
-Mais vous n'en aviez pas le droit ! Steve était un Terrien, un être humain ! s'indigna-t-elle.
-Tandis que moi, je ne suis qu'un animal ! Dépêchez-vous !
Glissant le pistolaser dans la ceinture de son pagne, il aida la jeune femme à faire glisser la combinaison puis il l'enfila rapidement sans lâcher une seconde le boîtier noir.
En fixant les dernières attaches, Marc poussa un soupir de soulagement. Le contact du tissu sur son dos ravivait ses douleurs mais il se sentait redevenir un vrai Terrien. Saisissant Elsa par le bras, il la plaça devant lui.
-Désolé, dit-il, mais vous allez jouer le noble rôle de bouclier. Si un de vos amis veut jouer au petit soldat, vous en subirez les conséquences.
Ils traversèrent le couloir et atteignirent le puits antigravité. Dix secondes plus tard, ils étaient dans le parking souterrain qui paraissait désert. Marc hésita sur le choix d'un véhicule quand la lueur de phares éclaira le parking. Vivement Marc entraîna Elsa à l'abri d'un pilier. Un « trans », sorte de plateforme recouverte d'une bulle plastique et mue par antigravité, s'arrêta à quelques mètres d'eux. Le gros type au visage porcin, que Marc avait repéré lorsqu'il combattait dans l'arène, en descendit. Pour son malheur, il regarda dans la mauvaise direction et aperçut les fugitifs.
D'un pas rendu titubant par tous les alcools qu'il avait absorbés, il avança vers le couple.
-Bonsoir, miss Swenson, dit-il d'une voix pâteuse. Je ne vous ai pas vue à la soirée. Elle est fort réussie. Stephan nous devait bien cela après les émotions de cet après-midi ! Je suis crevé et je rentre me coucher.
Il allait amorcer un demi-tour quand son regard se posa sur Marc.
-Je ne connais pas votre compagnon, c'est fou ce qu'il ressemble au gladia...
Il ne put achever sa phrase car un éclair rouge le frappa entre les deux yeux et il s'écroula sur le sol.
Marc poussa du canon de son arme Elsa, muette de stupéfaction, vers le « trans ».
-Prenez les commandes, lança-t-il sèchement. Direction les arènes !
Passive, Elsa mit le moteur en marche. Tandis qu'elle démarrait doucement, elle balbutia :
-Pourquoi... Pourquoi avez-vous tué John Esteban ?
-Il a eu le tort de me reconnaître. Il se serait empressé de donner l'alarme et j'ai encore besoin d'un peu de temps.
-Mais c'était le propriétaire de l'usine qui fabrique tous les distributeurs automatiques de nourriture !
-Il n'avait qu'à rester sagement à surveiller ses saletés de cuisine, rétorqua froidement Marc.
CHAPITRE IX
Le « trans » glissait sur une route pratiquement déserte, ne croisant que de rares véhicules. Soudain, comme si elle sortait d'un rêve, Elsa s'exclama :
-Comment est-il possible que vous parliez aussi bien le galactique ?
-Il est amusant que vous vous en aperceviez seulement maintenant. Je parle cette langue depuis plus longtemps que vous ! Je suis né près de New York, il y a trente-cinq ans.
Elsa étouffa un gémissement.
-Ce n'est... ce n'est pas possible, balbutia-t-elle. Vous n'êtes pas un Terrien!
-Mon nom est Marc Stone. Je suis capitaine au S.S.P.P. et actuellement détaché à la Sécurité Galactique, répondit-il d'un ton mordant.
-Pourquoi ne pas me l'avoir dit plus tôt?
-J'ai d'abord cru que votre ami Malden vous avait mise au courant.
-Comment? Stephan connaissait votre identité ! s'exclama-t-elle.
-Il m'a démasqué en début de soirée mais j'ignore comment. C'est en voyant dans votre chambre l'objectif de la caméra que j'ai compris pourquoi il avait pris le risque de me soumettre à vos fantaisies piquantes.
Miss Swenson sursauta violemment.
-Stephan a osé filmer dans mon appartement !
Marc s'offrit le luxe d'un sourire.
-Il s'est certainement contenté des scènes intéressantes. La bande de ce soir vaut une petite fortune !
-Jamais je ne céderai à un chantage aussi ignoble !
-Ce n'est pas certain, soupira Marc. L'envoi de ce film à la Sécurité Galactique pourrait vous valoir de sérieux désagréments. Je ne pense pas que l'amiral Neuman et le général Khov apprécient de voir malmener un de leur agent. Vous avez beaucoup d'argent mais je doute que vous puissiez les acheter. De plus, Neuman a la réputation de toujours protéger ses hommes. Si les moyens officiels étaient insuffisants, il serait capable d'agir par d'autres voies.
-Que voulez-vous dire ?
-Par exemple, les accidents de transport sont rares mais non exceptionnels. Il pourrait vous arriver un incident de ce genre. Je dois avouer que c'est cette pensée qui m'a donné en partie la force de résister à vos agaceries !
-Mais j'ignorais que vous étiez terrien.
-L'excuse est minable! De plus, vous aurez beaucoup de mal à le prouver.
Miss Swenson réfléchit un moment.
-Pourquoi ne gagnez-vous pas immédiatement l'astroport pour tenter de prévenir vos supérieurs?
Un ricanement amer s'échappa de la gorge de Marc.
-Croyez-vous qu'on m'en laissera approcher aussi facilement? Malden a déjà dû donner des consignes strictes. Tant que vous êtes mon otage, je puis simplement espérer que l'appât du gain le fera différer l'emploi de méthodes expéditives. Je sais qu'il possède deux robots de combats auxquels rien ne peut résister.
-C'est interdit par la loi !
Marc soupira :
-Quand donc comprendrez-vous que votre ami Malden n'a rien d'un gentleman et se moque éperdument des lois ? Rien que peur organiser ces spectacles qui vous plaisent tant, il a dû bafouer plusieurs lois galactiques. Vous ne pouvez l'ignorer!
-C'est exact, soupira-t-elle, mais je ne voulais pas m'en rendre compte. Egoïstement, nous nous gardions de nous poser la question.
Changeant brusquement de sujet, elle demanda :
-Quel est votre plan ?
-D'abord délivrer mes compagnons.
-Quelle importance peut avoir pour vous la vie de quelques primitifs? dit-elle avec une moue dédaigneuse.
-Ce sont des hommes courageux pour lesquels l'amitié n'est pas un vain mot. Bien que je n'estime pas mes chances de survie à une sur cent mille, je ne veux pas la tenter sans mes amis !
-Ensuite que pouvez-vous faire ?
-Nous répandre en ville et prendre le plus d'otages possible. Il faut un scandale énorme pour que la Sécurité Galactique soit contrainte d'ouvrir une enquête !
-C'est dément ! souffla-t-elle.
-Voyez-vous une autre solution ?
Accablée, Elsa secoua la tête.
-Ma seule ambition, avant de succomber, serait d'étrangler Malden, reprit Marc les dents serrées de colère en songeant à Ray. Alors je mourrai heureux !
-Il est peu probable que vous puissiez y parvenir. Il se tient dans un immeuble qui est une véritable forteresse.
-Qui sait s'il ne sera pas contraint de le quitter ?
Le « trans » s'immobilisa devant le bâtiment carré jouxtant les arènes. Marc descendit, obligeant Elsa à l'imiter. Devant la grande porte blindée qui en défendait l'accès, il hésita un instant. Découper la serrure au pistolaser demanderait beaucoup de temps. Se reculant à l'abri de l'ombre du « trans », il ordonna :
-Appelez par l'interphone et demandez que l'on vous ouvre !
Après un instant d'hésitation, Elsa appuya sur la touche d'appel. Aussitôt une voix endormie répondit :
-Ouvrez-moi, dit la jeune femme, je désire contempler les gladiateurs.
-Je suis désolé, miss Swenson, mais je n'ai pas d'instructions de M. Malden. Il faut que je le contacte.
-C'est lui qui m'envoie, rétorqua Elsa qui retrouvait son ton sec devant lequel tout le monde pliait. Si vous ne me croyez pas, nous l'appellerons ensemble, mais dépêchez-vous, je n'ai que trop attendu !
L'interlocuteur invisible hésita. Manifestement il connaissait le caractère exigeant de miss Swenson et commençait à s'affoler. En cas de conflit, il savait que Malden ne pourrait que donner raison à sa trop riche cliente. Son cas de conscience ne dura guère car la porte s'ouvrit aussitôt.
-Excusez-moi, dit le rouquin barbu, mais je ne faisais qu'obéir à mes consignes.
Marc se précipita en avant, bousculant Elsa au passage et enfonça le canon de son arme dans le ventre du barbu qui hoqueta de douleur.
-Combien as-tu de gardes?
Un instant paralysé par la stupeur, il répondit :
-Quatre ! Ils dorment dans des chambres au premier étage.
-Conduis-moi à la cellule des prisonniers.
-C'est impossible ! Vous ne pouvez les libérer, ils sont dangereux ! Ce ne sont que des primitifs !
D'un gauche puissant, Marc écrasa le visage de son interlocuteur, brisant les dents qui n'étaient en place que depuis quelques heures ! Sous le choc, le barbu bascula en arrière à la renverse.
Marc dirigea vers lui le canon de son pistolaser.
-Tu as deux secondes pour te décider !
Son regard brillait d'une telle haine que le barbu n'hésita plus.
-Suivez-moi, dit-il précipitamment.
Ils descendirent un escalier étroit et parvinrent devant la porte que Marc reconnut.
-Ouvre ! ordonna-t-il.
Le rouquin commença à faire glisser les verrous magnétiques. Brusquement il se retourna, balançant son poing énorme. Il ne rencontra que le vide, car prudemment Marc s'était reculé d'un pas.
-Imbécile ! grogna-t-il en appuyant sur la détente de son arme.
Les mains crispées sur son ventre, le regard incrédule, le barbu glissa lentement sur le soi. Sans ménagements, Marc repoussa le corps qui le gênait et ouvrit la porte.
En le reconnaissant, les gladiateurs poussèrent des cris de joie que le Terrien interrompit d'un geste. Douchant leur enthousiasme, il ajouta :
-Je voudrais vous apporter la liberté mais je crains qu'il n'en soit rien. C'est très certainement vers la mort que je vous conduis.
Alcis intervint alors, le visage empreint de dignité :
-L'essentiel, ami, est que tu nous procures l'occasion de périr les armes à la main en combattant nos ennemis. Jamais un citoyen de Thenos n'a reculé devant une mort digne d'un guerrier.
Pour la première fois de sa vie, miss Swenson éprouva ce qui lui sembla être une certaine admiration pour un homme.
« Dire qu'il faille que ce soit un primitif, songea-t-elle, qui me donne une telle leçon ! »
-Que devons-nous faire? poursuivit Alcis.
-Fouillez cet endroit, ensuite nous éliminerons les gardes qui sont au premier étage.
Les gladiateurs se dispersèrent aussitôt. Dans une pièce, ils découvrirent quelques épées dont ils s'emparèrent avec joie. Ouvrant une dernière porte, Marc vit Favos allongé sur une couchette. Malden avait dû le faire conduire dans un bloc médical, car sur son épaule, seule une petite cicatrice était visible.
Il se redressa en sursaut et, reconnaissant Marc, ses yeux s'arrondirent.
-Nous tentons de nous évader, veux-tu te joindre à nous?
Favos se leva lentement.
-Depuis que tu m'as épargné dans l'arène, ma vie t'appartient. Je te suivrai donc.
Désignant Alcis et Clésius, il ajouta :
-Mais les autres le voudront-ils ?
Le prince le rassura aussitôt.
-Si tu combats nos ennemis, tu es le bienvenu parmi nous. Prends ce glaive et fais-en bon usage.
La troupe envahit ensuite rapidement l'étage supérieur. Là, les événements se précipitèrent. Si dans une première chambre, un gardien passa du sommeil au trépas sans bruit, il n'en fut pas de même dans la suivante. Le garde hurla à deux reprises avant qu'un gladiateur lui tranchât la gorge.
Immédiatement, après un gardien jaillit de sa chambre, l'arme à la main. Plus rapide, Marc l'abattit avant qu'il puisse tirer. Le dernier, qui avait jeté un simple coup d'oeil sur la scène, tenta de se calfeutrer dans sa chambre et se rua sur le vidéo-téléphone. Clésius et Favos s'élancèrent d'un commun accord sur le battant qui se volatilisa sous le choc des deux poids lourds.
-Alerte! hurlait le garde dans son appareil. Alerte, les prisonniers s'évadent... Alerte...
Il s'écroula, le crâne fendu par un maître coup d'épée administré par Clésius.
Marc étouffa un juron.
-Filons, dit-il, dans quelques minutes les renforts arriveront.
Il prit toutefois le temps de ramasser les trois pistolasers qu'il avait trouvés, regrettant l'absence dans ce pavillon d'armes plus puissantes. Devant le bâtiment, il hésita un instant à prendre le « trans », mais il pensa que des barrages avaient été immédiatement dressés.
-Dissimulons-nous dans la forêt, dit-il.
Il était temps ! Déjà de puissants phares trouaient la nuit et le ronronnement soyeux d'une hélibulle était perceptible.
Ils marchèrent rapidement une demi-heure, évitant d'instinct les plages éclairées par les projecteurs. Marc ordonna alors une courte halte. Dessinant un petit plan sur le sol, il expliqua à Alcis :
-Nous sommes ici, la ville est à gauche et l'astroport à droite. Nul doute qu'ils sont sévèrement gardés. Nous devons nous replier vers l'est où une immense forêt borde le parc.
Le prince acquiesça et demanda :
-Quand combattrons-nous?
-Nous en aurons certainement bientôt l'occasion.
Clésius porta alors le doigt devant ses lèvres, signe qui sur toutes les planètes réclame le silence. Après un instant, il murmura :
-Des hommes nous suivent ! Ils sont à moins de cinquante mètres.
-Repartons en silence, dit Marc en saisissant le bras d'Elsa.
Ils progressèrent rapidement, se coulant sans bruit entre des buissons heureusement peu denses.
Après quelques minutes, Clésius chuchota au prince :
-Favos n'est plus avec nous. Il était en queue de colonne et je me demande ce qu'il manigance.
Marc n'hésita guère.
-Poursuivez votre marche. Je vais l'attendre quelques instants pour voir s'il n'a pas été seulement retardé. Clésius, surveille la femme et aide-la à marcher.
-Je reste avec toi, décida Alcis.
Les deux hommes se dissimulèrent derrière un épais buisson. A une cinquantaine de mètres, ils distinguèrent une zone éclairée par un projecteur invisible, mettant en valeur le coloris harmonieux des feuillages.
Deux policiers apparurent alors. Ils étaient casqués et portaient un fusil-laser, beaucoup plus puissant et précis qu'un simple pistolet.
Marc allait amorcer une prudente retraite lorsqu'il aperçut une ombre se faufiler derrière les gardes. Favos s'était dissimulé sur une basse branche et sautait à terre. Il enfonça son épée dans les reins du premier policier. Le second, sidéré de cette attaque par-derrière, mit une seconde à réagir. Une seconde de trop ! Une seconde mortelle. Avant qu'il n'épaule son arme, Favos lui trancha la gorge !
A cet instant, un faisceau rougeâtre toucha le gladiateur qui s'écroula sur le corps de sa dernière victime. Un policier accourut en jurant, pensant pouvoir porter secours à ses camarades. Agonisant, Favos trouva encore la force de se retourner et de planter son glaive dans le bas-ventre de son ennemi qui hurla de douleur.
Marc réagit aussitôt :
-Il nous faut ces fusils !
Il piqua un sprint, ramassa en voltige les trois armes et hors d'haleine rejoignit Alcis. Il n'était que temps ! Des exclamations jaillissaient des sous-bois, tandis que les gardes énervés tiraillaient dans tous les sens, totalement au hasard.
-Le sacrifice de Favos va les retarder un moment, souffla Marc.
-Il est mort en brave ! Que les dieux l'accueillent au paradis des combattants, émit Alcis d'une voix sourde.
-Venez, il nous faut retrouver maintenant nos amis.
Ils partirent au petit trot. Dix minutes plus tard, ils rejoignirent le groupe qui continuait sa progression. Ils marchèrent ainsi jusqu'à l'aube où Marc leur accorda un temps de repos.
Elsa se laissa tomber sur un tronc d'arbre mort. Ses étaient traits tirés et les rigoles de sueur striaient ses joues. Marc vint s'enquérir de son état.
-Je suis épuisée, soupira-t-elle. Jamais je n'ai connu une telle séance de gymnastique ! Pourtant je me croyais une bonne sportive.
Après un instant de réflexion, elle ajouta :
-Après ce que vous avez subi cet après-midi et ce soir, je me demande comment vous pouvez encore tenir debout ! Vous êtes bâti en plasto-titane ?
-Hélas, non ! A moi aussi tous les muscles font mal mais c'est en vue de ce genre d'épreuve que le Service nous offre des séances d'entraînement poussées !
-Je boirais volontiers quelque chose de frais, reprit Elsa.
-Malheureusement, il vous faudra attendre, je n'ai pas encore remarque le moindre ruisseau.
Elsa poussa un petit cri horrifié.
-Vous n'alliez pas m'obliger à boire l'eau d'une mare comme un animal. Je faisais allusion à des boissons plus raffinées.
-Désolé, ricana Marc, mais le bar n'est pas encore ouvert !
Miss Swenson éclata d'un rire incongru dans sa situation.
-Votre merveilleux sens de l'homme primitif est en défaut, ironisa-t-elle. Il est vrai que vous ne connaissiez pas les charmes de Vénusia.
-Excusez-moi, grinça Marc, mais je n'ai guère eu l'occasion de les apprécier. Cela serait même l'inverse ! Que voulez-vous dire ?
-Les gens très fortunés qui viennent sur Vénusia se promènent souvent dans cette partie de la forêt transformée en merveilleux parc, mais ils n'aiment guère être privés longtemps du confort de la civilisation. Aussi est-il prévu des aires de repos. Justement, vous avez choisi l'une d'elles pour votre halte.
Désignant ce qui semblait être un gros tronc d'un arbre abattu par la foudre, elle dit :
-Voici votre bar !
Sur l'écorce, Marc découvrit une petite saillie métallique qu'il pressa. Aussitôt un battant pivota, découvrant une série de petits robinets et des gobelets. Marc en emplit deux, choisissant une boisson tonique et riche en énergie, puis il fit signe à Alcis et à ses hommes de se servir.
Ceux-ci, méfiants, goûtèrent prudemment, puis la soif aidant, ils burent rapidement. Elsa acheva son verre en murmurant :
-Jamais je n'aurais cru qu'un peu de liquide puisse procurer autant de plaisir.
-Prenez-en encore une bonne ration car il nous faut repartir. Si vous connaissez bien Vénusia, vous devez savoir quelle largeur a ce parc.
-Vingt kilomètres, répondit-elle sans hésiter. Au-delà, c'est la forêt, la vraie où personne n'aurait l'idée de se perdre. C'est folie de vouloir s'y aventurer !
Sa voix se fit plus aiguë.
-Tuez-moi si vous le souhaitez, mais je ne ferai pas un pas de plus en votre compagnie! J'en ai assez ! Assez !
Alcis la regarda d'un air étonné et lança une phrase qu'elle ne comprit pas.
-Que dit-il ? demanda-t-elle à Marc.
-Les femmes doivent se taire lorsque les guerriers discutent, traduisit Marc avec ironie.
Vexée et furieuse, miss Swenson avança vers le prince.
-Marc, dites à ce sauvage que personne ne m'a encore imposé le silence et que je protesterai tant que j'en aurai envie !
Alcis réagit aussitôt. Passant le bras autour de la taille de la jeune femme, il la bascula sur son genou et du plat de son glaive lui administra une vingtaine de coups sur sa croupe rebondie. Puis, sans galanterie excessive, il la laissa tomber sur l'herbe en prononçant quelques mots.
-La prochaine fois, dit Marc avec calme, il vous annonce qu'il se servira du tranchant de l'épée. A votre place, je prendrais sa menace très au sérieux ! Alcis est prince de sa ville et tiendra sa parole.
Elsa se redressa en frottant le bas de son dos douloureux. Avec une grimace, elle marmonna :
-Je crois surtout que c'est un vrai macho ! Sont-ils tous comme cela sur sa planète ?
-C'est leur coutume ! Maintenant reconnaissez qu'il n'a jamais demandé à venir et serait volontiers resté dans sa ville!
-Je sais ! jeta-t-elle avec hargne. Toutefois, elle accepta la main que lui tendait Marc pour l'aider à se relever.
CHAPITRE X
Malden rêvait à l'agréable moment où, grâce à sa fortune, il pourrait se lancer dans la course à la présidence de l'Union Galactique. Un appel du vidéotéléphone le réveilla en sursaut. Maudissant l'importun, il alluma sa lampe de chevet. Qui pouvait oser le déranger à quatre heures du matin alors qu'il venait juste de s'endormir ! Le visage de Karl parut sur l'écran.
-Monsieur, j'ai de mauvaises nouvelles dont je souhaiterais vous faire part de vive voix.
Malden grimaça de contrariété. Prudent, Karl se méfiait toujours des liaisons par ondes.
-Monte, soupira-t-il.
Le grand patron enfila rapidement sa combinaison et gagna son bureau où Trenton l'attendait déjà.
-Que se passe-t-il ? grogna-t-il en s'effondrant sur son fauteuil.
-Les primitifs se sont évadés en massacrant leurs gardiens !
Malden manqua de s'étrangler d'indignation.
-C'est impossible !
Karl poursuivit encore de sa voix glacée :
-Il y a plus grave encore ! Stone s'est également évadé en compagnie de miss Swenson. Il est probable qu'il la retient en otage !
Le visage de Malden vira au pourpre.
-Appelez-moi Steve, il était chargé de les surveiller !
-Il est mort! J'ai retrouvé son corps dans l'appartement de miss Swenson. Il avait la nuque brisée. De plus, pendant sa fuite, Stone a descendu John Esteban qui a dû se trouver malencontreusement sur son passage. Je l'ai ajouté sur la liste des victimes de l'accident d'hélibulle. Il est probable que c'est Marc qui a délivré ensuite les gladiateurs. Toutefois, avant de mourir, un gardien a eu le temps de donner l'alarme. Dès que l'appel m'a été transmis, j'ai envoyé des forces de police aux arènes.
Retrouvant toute son autorité, Malden enclencha une touche et une carte de la ville s'inscrivit sur un écran.
-Où sont-ils ?
Karl désigna une région boisée.
-Par ici ! J'ai d'abord cru qu'ils se dirigeaient vers l'astroport et j'ai fait renforcer la surveillance des abords. Puis un accrochage s'est produit ici. Nous avons perdu trois hommes mais un gladiateur est resté sur le terrain! il semble donc qu'ils se dirigent franchement vers la forêt vierge !
-Tant mieux, nous en serons débarrassés !
-Hélas, rien ne dit qu'ils ne pourront subsister quelques jours et attaquer ensuite lorsque notre surveillance se sera relâchée.
Malden décapita un cigare d'un coup de dent rageur.
-Va sur place coordonner les efforts des gardes.
Liquide les primitifs et ce Stone, mais tâche de récupérer la fille vivante !
Trenton hésita un instant. Du doigt il désigna la ceinture protectrice de Marc que les robots avaient récupérée.
-Puis-je l'utiliser? En foret, les combats sont pleins d'aléas, d'autant que les gardes m'ont signalé la disparition de trois fusils-laser.
-Ces primitifs ne sauront jamais les utiliser. Tout juste s'en serviront-ils comme des massues.
-Stone, lui, est un spécialiste et je préférerais ne pas courir de risques inutiles.
Malden hésita un instant, puis capitula.
-O.K. prends-la mais n'oublie pas de me la rendre lorsque tu auras terminé le travail !