« -Ne t'inquiète pas, Psor, toute la marchandise a été emballée comme convenu. Il ne nous restera plus qu'à l'embarquer dans le module de liaison quand il se posera, sur la colline. Le plus pénible sera de coltiner les caisses jusque là-haut.
Ray précisa alors :
-Le premier interlocuteur a éclaté de rire et a dit :
« -Tu es le premier à te plaindre d'être trop chargé de pierres précieuses. Tu trimbales une fortune.
« -D'accord, mais c'est tout de même bien lourd !
« -As-tu pensé à mettre de côté la part d'Orbak? Comme à l'ordinaire, il enverra une escorte la chercher en fin de semaine.
« -Naturellement ! Je me suis toujours demandé pourquoi il ne les expédiait pas sur Solan. Depuis qu'il est ici, il a accumulé un joli magot. On jurerait qu'il n'a guère confiance.
« -Mets-toi à sa place, ricana Psor. Il se dit, non sans raison, qu'une telle fortune pourrait attirer bien des convoitises dans notre groupe.
« -Moi, je suis bien content de filer d'ici. Six mois à jouer les garde-chiourmes me suffisent. Je rêve d'une foire à tout casser avec de vraies filles et non des sauvageonnes comme ici. Je me demande comment Orbak peur rester aussi longtemps ici ?
« -Il semble s'y plaire. De toute façon, il n'a guère le choix. C'est grâce à lui que les primitifs nous laissent exploiter ces gisements fabuleux. Je vois mal le capitaine Spirk l'autoriser à mettre fin à cette somptueuse combine. Or c'est lui qui commande le Castor et il ne le prendrait pas à son bord !
« -As-tu préparé le terrain pour l'équipe qui doit nous remplacer ?
« -J'ai informé les gardes de notre prochain départ et dit que nous serions remplacés. De plus, une cassette tri-di attend nos successeurs. Il ne devrait y avoir aucun problème s'ils ont bien été instruits par l'inducteur de la langue en usage ici.
« -Il ne faudrait pas qu'un indigène trop curieux s'avise de nous suivre.
« -Aucun danger ! Les prisonniers sont toujours enfermés.
« -Et les gardiens ?
« -En l'honneur de notre départ, je ferai porter un tonnelet de vin dans lequel j'aurai ajouté une bonne dose de somnifère. Ils dormiront comme des brutes jusqu'à l'aube. Le rendez-vous avec le module est prévu pour deux heures du matin, heure locale. Cela donnera le temps à nos remplaçants d'arriver tranquillement ici et de prendre connaissance des instructions.
« -Parfait ! Buvons à notre retour ! De mon séjour ici, je ne regretterai qu'une chose : c'est leur vin !
« -Avec tout ton fric, tu pourrais t'acheter les meilleurs alcools! Moi, je m'offrirai un magnum de vieux William Lawson's d'origine ! »
L'androïde, après un instant de silence, conclut :
-Le reste de leur dialogue n'a plus d'intérêt. Ils échafaudaient des projets et étalaient leurs fantasmes.
-Quelle heure est-il ? coupa Marc.
-Neuf heures environ.
-Cela ne nous laisse guère de temps si nous voulons assister à leur rendez-vous. Heureusement que le Neptune est en état de défense automatique et ne sera pas repéré.
-Il faut l'espérer.
-Nous aurons au moins un avantage. Cette nuit les gardiens dormiront et notre évasion sera des plus discrètes.
Marc se glissa vers Hédos qui, avec patience, grattait le mur de torchis.
-Montrez-moi votre travail, chuchota-t-il.
Le malheureux comédien n'avait encore
percé la paroi que sur trois centimètres de profondeur.
-C'est bien, mais cela demande beaucoup de temps. Or, je voudrais que nous nous évadions ce soir.
Hédos eut un sourire navré, commençant à douter des facultés intellectuelles de son ami. Pour le ramener à la raison, il montra les chevilles entravées.
-Ne vous préoccupez de rien, sourit Marc. Je vous demande seulement de ne pas vous étonner de ce que vous verrez et surtout de l'oublier immédiatement. Ai-je votre parole ?
-Même si vous êtes le diable, toute aide pour quitter ce trou puant sera la bienvenue !
Sur une injonction de Marc, Ray se mit au travail. Un discret faisceau laser jaillit de son index, sectionnant les fers.
-Emmène-les, recommanda Marc. Il est inutile que nos geôliers devinent que nous détenons des atouts un peu particuliers.
L'androïde repoussa doucement Hédos et glissa :
-Je vais compléter votre travail. Prévenez Skalin et Nerva de se tenir prêts.
Il s'accroupit contre le mur pour que le comédien ne puisse voir ce qu'il entreprenait. Pendant ce temps, Marc s'efforçait de monopoliser l'attention de ses amis.
Trois minutes seulement furent nécessaires à l'androïde pour pratiquer une brèche suffisante pour se glisser à l'extérieur.
-Je passe le premier, émit-il à l'intention de Marc, pour le cas où un gardien aurait refusé de goûter au vin des officiers.
Rapidement le petit groupe se retrouva à l'extérieur.
-Les écuries se trouvent là-bas, dit Hédos. Si nous pouvions nous procurer des montures, cela faciliterait notre fuite.
Après s'être assurés que le bâtiment ne contenait aucun hôte indésirable, les fugitifs sellèrent les chevaux. Dès qu'ils furent éloignés du camp, Hédos allait s'élancer au galop mais Marc le retint.
-Nous allons nous séparer ici, dit-il.
-Vous ne voulez pas venir avec nous? s'étonna Nerva.
-Allez à Sippar. Derrière la cathédrale se tient l'auberge du Vide-gousset.
-Je connais, dit Hédos. Un lieu assez mal famé.
-Vous y trouverez cependant un refuge et reverrez Sira. Je vous y rejoindrai dans quelques jours.
Sur l'injonction mentale de Marc, Ray sortit quelques pièces d'or non sans faire remarquer :
-Tu te débrouilleras avec le trésorier du Service, il a horreur de ce genre de libéralité.
Marc tendit les écus à Hédos.
-Les gardiens nous ont mal fouillés et nous avons réussi à dissimuler notre trésor. Dès que possible, procurez-vous des vêtements propres pour ne pas attirer l'attention. Maintenant fuyez vite. Normalement notre évasion ne devrait pas être découverte avant l'aube, ce qui vous laisse une avance confortable.
L'hercule, assez ébahi, prit machinalement les pièces.
-A bientôt, chère Nerva, j'ai déjà hâte de te retrouver, dit Marc.
Un triste sourire éclaira le visage de la comédienne.
-Après cet horrible emprisonnement, je suis devenue une vieille femme dont les hommes se détourneront.
-Nullement ! Un peu de repos, un bon bain et une robe neuve te redonneront ton éclat.
Comme elle semblait douter encore, il saisit sa main et la baisa.
-Dès mon retour, je te prouverai ton erreur.
Cette promesse rassura Nerva qui spontanément se jeta au cou de Marc qui dut abréger les effusions.
Dès que le groupe des cavaliers eut disparu dans la nuit, le Terrien lança :
-Gagnons la colline. Toutefois, pour ne pas risquer d'attirer l'attention, il faut effectuer un détour.
CHAPITRE XI
Orbak pénétra d'un pas pressé dans les appartements de sa femme. D'un geste impérieux, il congédia les servantes qui entouraient la comtesse. Cette dernière était allongée sur son lit, le dos calé par une pile de coussins. Elle était vêtue d'un déshabillé de dentelles.
Le comte devait avoir d'autres soucis en tête car il ne jeta qu'un coup d'oeil distrait sur les trésors exhibés.
-Quelles sont les nouvelles, monseigneur? demanda-t-elle.
-Rien, toujours rien ! Des hommes à moi, déguisés en pêcheurs, ont dragué le fleuve sur des kilomètres. Ils n'ont pas récupéré le corps de ce pseudo-duc. Etes-vous sûre d'Orso ?
-Il m'a toujours servi avec fidélité et je n'ai guère de raison de douter de sa parole. Il sait trop bien ce qu'il arriverait de lui s'il venait à me désobéir. Je connais sur son passé des détails qui suffiraient à l'envoyer dix fois à la roue et à la potence. De plus, j'ai personnellement interrogé les deux hommes qui étaient de garde à la porte.
Ils jurent qu'Orso est redescendu seul. Enfin, l'un d'eux a poussé le zèle jusqu'à visiter la vieille tour. Personne n'a pu s'y dissimuler. Le corps de ce Marc est peut-être retenu au fond du fleuve par de hautes herbes.
-C'est probable mais cela n'arrange en rien nos affaires. Il nous faut un cadavre pour pouvoir l'exhiber et déchaîner la colère du peuple contre la princesse.
-Qu'avez-vous besoin de vous préoccuper des réactions de la canaille ?
-Elle est indispensable. Même si le connétable accepte de me suivre comme je le pense, nombre d'officiers ne sont pas encore gagnés à notre cause et seraient capables d'avoir une réaction de loyauté envers la princesse. Cela risquerait d'entraîner une révolte des seigneurs de province et de réveiller leurs ambitions. Si nous voulons gagner sans risque, tout doit être réglé en quelques heures !
-Souhaitez-vous, monseigneur, que je vous aide à patienter? Je me sens en veine de tendresse.
Elle gonfla la poitrine, ce qui tendit dangereusement le tissu fragile de son corsage. Orbak rétorqua ironiquement :
-Vous allez avoir l'occasion d'utiliser vos charmes. J'ai besoin d'un autre cadavre. Vous allez attirer dans la vieille tour le baron Wirko. Il a approximativement l'âge et l'allure de notre pseudo-duc. Dites à Orso de le défigurer avec sa hache. J'ai fait porter dans ta chambre des vêtements ayant appartenu à Valmo. Il faudra en vêtir le corps avant de le jeter à l'eau. Une fois le corps repêché, le prieur Kurk le reconnaîtra sans difficulté ainsi que les valets. Leurs témoignages concordants accréditeront la mort du duc. Ne perdez pas de temps ! Je reviendrai à l'aube m'assurer que tout est en ordre !
La comtesse se leva d'un bond et sonna sa femme de chambre.
Marc et Ray remontaient un petit torrent qui jaillissait du flanc de la colline. Arrivés à la source, ils durent s'arrêter. Il n'existait pas de sentier et le sous-bois dense ne permettait pas aux montures de progresser plus avant.
-Je commence à comprendre pourquoi nos lascars se coltinent leur chargement, ricana Marc. Attache les chevaux ici et poursuivons à pied.
-Economise tes forces, dit Ray. Je vais te porter. Avec mes anti-grav, nous progresserons plus vite et sans fatigue.
-Nous risquons d'être repérés. Le module qui doit arriver possède certainement un radar.
-Tranquillise-toi, je resterai au ras du sol.
Une journée passée dans la mine, même Ray effectuant toute la besogne, avait épuisé Marc. Aussi la perspective d'une longue promenade nocturne ne l'enchantait aucunement. Il se rendit donc aux arguments de l'androïde.
-En route ! Nous devons arriver les premiers pour nous dissimuler.
En flottant dans l'air tiède de la nuit, Marc ne pouvait s'empêcher d'admirer les ingénieurs qui avaient conçu une mécanique aussi perfectionnée.
L'étrange couple enlacé arriva bientôt au sommet de la colline où se tenait une assez vaste clairière.
-Elle est artificielle, nota Ray. Les arbres ont été abattus et le sol conserve des traces d'ionisation. Nul doute qu'un module de liaison s'est régulièrement posé ici.
-Allons de ce côté. J'aperçois des blocs rocheux qui pourront nous dissimuler.
Bien cachés, les Terriens attendirent non sans une certaine impatience.
-J'espère que ta traduction était correcte, maugréa Marc.
-Elle l'est ! Nos porteurs de cassettes arrivent. Ils n'ont pas bénéficié comme toi d'un ascenseur !
A la lueur de la lune anémique qui gravitait autour de Hark, Marc distingua deux silhouettes. Peu après le sifflement soyeux d'un module fut perceptible. L'engin se posa en douceur sur le sol. Une porte s'ouvrit tandis qu'un petit projecteur s'allumait, éclairant la scène. Deux hommes sautèrent à terre, ils étaient vêtus d'un costume Renaissance, s'empêtrant dans leur longue épée. Ils furent accueillis par Psor et Icar avec force démonstration d'amitié. Un troisième homme, portant une tenue de cosmatelot, descendit de l'appareil tirant un volumineux colis.
-On dirait le cadavre d'un astronaute, remarqua Marc.
En effet, le paquet avait la forme d'un scaphandre spatial dont le casque était opaque.
-Venez m'aider à porter ce truc, grogna le cosmatelot.
Icare et Psor s'avancèrent et soulevèrent le scaphandre.
-C'est drôlement lourd ! C'est un macchabée?
-Nous n'en savons rien ! En nous mettant en orbite autour de Hark, nous avons vu un curieux vaisseau arriver. Vous connaissez le capitaine Spirk. Il préfère tirer d'abord et discuter ensuite. A la deuxième salve de torpilles, le petit astronef a explosé. Il a eu juste le temps d'expulser une capsule de survie que nous avons capturée. Il y avait ce truc à l'intérieur. Nous avons d'abord cru qu'il s'agissait d'un passager mais l'analyse en rayon X n'a retrouvé aucune trace de squelette. Par prudence, Spirk a préféré ne pas ouvrir le scaphandre à l'intérieur du Castor pour le cas où il contiendrait une substance toxique.
Les Solaniens déposèrent leur colis à une cinquantaine de mètres du module.
-Chargez les caisses, puis écartez-vous, ordonna le cosmatelot.
Lorsque les autres eurent obéi, il s'approcha de la forme restée allongée à terre et dégrafa les attaches magnétiques. La combinaison s'ouvrit brusquement laissant échapper un flot de liquide. Il apparut alors une sorte de gélatine qui s'étala sur le sol. Dans la lumière crue du projecteur, la substance paraissait frémir, ramper, atteignant presque la botte du cosmatelot. Ce dernier sauta en arrière, tira vivement son pistolaser et fit feu. Le rayonnement transperça la créature qui s'immobilisa aussitôt. Plusieurs minutes s'écoulèrent. Le cosmatelot, le doigt crispé sur la détente de son arme, épiait le moindre mouvement.
Enfin rassuré, il rengaina son arme en jurant.
-Je n'ai jamais vu une saloperie pareille ! Nous avons assez perdu de temps. Laissez-la pourrir ici. Si vous en avez l'occasion, revenez dans deux ou trois jours jeter un coup d'oeil.
Marc regarda les Solaniens remonter dans leur module tandis que les derniers arrivants descendaient la colline.
-Pourquoi n'as-tu pas voulu intervenir? questionna Ray. Avec mon désintégrateur, j'aurai pu les neutraliser et éviter que ces maudits Lapis oniris ne parviennent sur Terre.
-Belle victoire, ricana Marc. Leur chef aurait immédiatement compris que des Terriens se trouvaient sur Hark. Le Neptune est en état de défense automatique mais si quelqu'un veut réellement s'en donner la peine, il peut être repéré et détruit. A moins que ce capitaine préfère nous guetter patiemment et attendre que nous appelions le module. Il ferait alors une excellente cible et le moindre missile nous désintégrerait.
-Ton raisonnement est fort logique, reconnut Ray. Que faisons-nous maintenant ?
-J'aimerais examiner cette curieuse créature.
Ils avancèrent vers le scaphandre. Ray alluma son projecteur cervical pour faciliter les observations. La gélatine s'étendait maintenant sur un cercle de deux mètres de diamètre. Les bords étaient assez minces mais la partie centrale avait près d'un mètre d'épaisseur.
-C'est curieux, émit Marc. On dirait une gigantesque cellule animale avec en son centre le renflement du noyau.
-Exact. En périphérie s'étale le cytoplasme avec des mitochondries, les ribozomes et même en arrière du noyau l'appareil de Golgi.
Du bout du pied, Marc tâta la masse. C'était élastique et beaucoup plus résistant que l'aspect mou le faisait croire.
-Il semble exister une membrane protectrice.
A ce moment, une onde psychique frappa son cerveau. Elle était très faible et Marc dut concentrer toute son attention pour percevoir :
-Aide... eau... eau... secours... pitié... eau.
-Cette créature est encore vivante ! s'exclama Marc.
-C'est possible, surenchérit Ray, il me semble distinguer dans les mitochondries une certaine activité chimique.
-Apparemment, elle sollicite notre aide et a besoin d'eau. Tu vas la porter jusqu'au torrent où nous avons laissé les chevaux, puis tu reviens immédiatement me chercher.
L'androïde n'hésita guère. Il souleva sans effort la créature et s'envola, non sans recommander :
-Augmente la puissance de ton écran protecteur. Je n'aime guère te laisser sans surveillance.
Un quart d'heure plus tard, l'androïde amena Marc sur la rive du torrent. La créature était étalée dans l'eau recevant le jet d'une petite cascade.
-Elle n'a pas bougé depuis que je l'ai déposée à cet endroit. Peut-être est-elle morte ?
-Attendons un peu, suggéra Marc.
Une demi-heure s'écoula sans aucun changement dans l'attitude de la créature. Le Terrien allait renoncer et s'éloigner lorsque l'onde psychique le contacta. Elle était peu intense mais nettement perceptible.
-Merci... Ne partez pas. J'ai besoin d'aide... Je suis très faible.
Sentant une interrogation dans l'esprit de Marc, la gigantesque cellule émit :
-Je me trouve dans la situation d'un humain qui aurait jeûné pendant deux semaines. J'ai besoin de sels minéraux, d'acides aminés et de glucides.
-Oui êtes-vous et d'où venez-vous? demanda Marc.
-Je suis de la race des « Entamebs » et ma planète est à une dizaine d'années-lumière de ce système solaire. Autrefois nous avions eu des contacts avec l'Union Terrienne. Tout ceci est une longue histoire. Malheureusement, je n'aurai pas le temps de vous la narrer car mes forces déclinent.
Effectivement l'intensité de l'onde psychique diminuait progressivement. Marc prit rapidement sa décision.
-Appelle le module, Ray. Seul le bloc médical du Neptune peut nous fournir les substances qu'il a citées. De plus j'ai besoin de contacter le général Khov pour demander des instructions.
-Espérons que l'aviso pirate s'est éloigné, maugréa Ray.
-Ayant récupéré son précieux chargement de pierres, il n'a aucune raison de s'attarder autour de Hark.
Tandis que l'androïde contactait par radio le Neptune, Marc émit à l'intention de l'Entameb :
-Je vais devoir vous transporter sur mon vaisseau. Pensez-vous pouvoir supporter le voyage ?
-Il faut récupérer mon scaphandre et l'emplir d'eau. Nos organismes supportent très mal les séjours prolongés dans votre air sec. Merci...
Ray saisit le scaphandre et le déposa dans le lit du torrent à côté de la créature. Lentement, cette dernière glissa, élançant des pseudopodes. Finalement, elle pénétra entièrement à l'intérieur de l'enveloppe semi-rigide. Rapidement, Marc boucla les attaches magnétiques.
A cet instant, le module, dirigé avec précision par Ray, se posa près d'eux. L'androïde saisit le scaphandre et le hissa dans le module non sans ironiser :
-Je comprends la colère du pilote solanien qui devait le porter seul.
Lorsque l'Entameb fut tassé sur un siège, Marc grimpa dans l'engin, imité par Ray qui s'installa aux commandes.
-Décolle vite, j'ai hâte de retrouver ce bon vieux Neptune.
L'androïde enclencha les propulseurs et le module bondit dans le ciel sombre. Marc tenta de contacter psychiquement la créature mais il n'obtint aucune réponse. Le scaphandre faisait-il écran ou l'Entameb était-il trop épuisé pour converser ?
-Ne peux-tu aller plus vite? s'impatienta Marc.
Sans prêter attention à la mauvaise humeur de son ami, Ray répondit avec calme :
-Les moteurs sont à leur régime maximum. De plus, je tenais à vérifier qu'il n'y avait plus d'astronef en orbite. Nous serons à bord du Neptune dans sept minutes.
CHAPITRE XII
Ray, portant sur son épaule le lourd scaphandre, avançait dans la coursive centrale du Neptune.
-Dois-je le déposer dans l'infirmerie ?
Marc hésita un instant.
-Avec un organisme aussi différent des nôtres, l'ordinateur médical ne nous sera d'aucune utilité. De plus, il n'existe aucune cuve assez grande pour accueillir cette créature qui a besoin de beaucoup d'eau. Mieux vaut l'installer dans la baignoire du bloc sanitaire.
Tandis que Marc faisait couler l'eau, Ray ouvrit le scaphandre. L’Entameb glissa mollement dans la baignoire. Le protoplasme avait pris une vilaine couleur grisâtre qui inquiéta Marc.
Au contact de l'eau courante, quelques frémissements apparurent dans les mitochondries. Alors qu'il commençait à désespérer, Marc perçut :
-Il faudrait... bicarbonate de sodium..., chlorure de potassium... sulfate de magnésium..., phosphate de calcium..., glucose.
Ray revint rapidement avec ce que lui demandait Marc. Il portait une dizaine de flacons.
-J'ai trouvé cela dans les réserves de l'infirmerie. Ce sont des solutés pour perfusion intraveineuse. Espérons qu'ils conviendront à cette bestiole.
Il ajouta le contenu des fioles à l'eau du bain. Plusieurs minutes s'écoulèrent sans réaction notable. Enfin un mouvement lent agita la gigantesque amibe. Une pensée beaucoup plus nette frappa les neurones de Marc.
-Merci... Je commence à récupérer un peu d'énergie. Toutefois, j'aurais encore besoin d'acides aminés : glycocolle, tryptophane, leucine, phénylalanine.
L'androïde se démena vivement pour obtenir de l'ordinateur médical les substances demandées qu'il rajouta dans la baignoire. Cependant il eut le tort d'émettre psychiquement à l'intention de Marc :
-J'ai l'impression de préparer un court-bouillon ! Il manque un bouquet d'herbes aromatiques. Faut-il le faire chauffer maintenant ?
Marc perçut alors la pensée affolée de l'Entameb qui ne devait pas avoir un grand sens de l'humour.
-Je vous en prie, mes albumines coagulent à 70 de vos degrés.
Marc rassura aussitôt la créature.
-Désirez-vous d'autres substances ?
-C'est parfait, j'ai seulement besoin de temps pour les absorber et les métaboliser. Je pense que quatre à cinq heures suffiront.
-Dans ce cas, je vous laisse car je dois informer mes supérieurs.
-Merci, ami. Vous avez un esprit généreux. Nous avons connu autrefois un Terrien qui vous ressemblait. Il s'appelait le capitaine Kan Quel dommage que tous les humains ne vous ressemblent pas !
Marc regagna le poste de pilotage et se laissa tomber sur un siège. Prévenant et efficace, Ray lui tendit un grand gobelet.
-Bois cela ! C'est tonique et reconstituant. Ensuite tu auras droit à un verre de William Lawson's, avant d'affronter le général.
Le Terrien but d'un trait le médication prescrite et soupira :
-Appelle le Service pendant que je m'offre un whisky.
Rapidement le visage d'un opérateur apparut sur l'écran.
-Je veux une liaison avec le général Khov. Priorité A1 ! dit Marc.
L'officier de permanence ricana :
-A voir votre tenue, vous venez d'un bal costumé et vous n'avez pas encore cuvé votre whisky ! Rappelez quand vous serez à jeun !
-C'est urgent, grogna Marc.
-A New York il est deux heures du matin, ricana l'opérateur. Je vous donne un bon conseil : enregistrez votre rapport. Le général en prendra connaissance quand il en aura le temps.
-Je maintiens ma demande, s'entêta Marc.
-A votre guise, soupira l'officier mais ne vous plaignez pas si vous vous retrouvez muté sur un obscur satellite. En ce moment, le général a l'humeur d'un dogue qui se serait fait faucher son os préféré.
-J'en prends le risque !
Trente secondes plus tard, Marc eut Khov en ligne. Son crâne lisse brillait et ses traits étaient tirés. Il esquissa une grimace en reconnaissant son interlocuteur.
-Je me doutais, ironisa-t-il, que vous trouveriez le moyen, Stone, de me déranger en pleine nuit! Toutefois, aujourd'hui, vous n'aurez pas la satisfaction de me réveiller. Cela fait quarante-huit heures que je n'ai pas fermé l'oeil. Nous avons eu une conférence chez le Président avec l'amiral Neuman, chef de la Sécurité galactique. Les autorités se sont émues d'une nouvelle toxicomanie, causée par des cristaux, qui se répand dans certains milieux. D'après des renseignements très fragmentaires des services de l'amiral, ces saletés proviendraient d'une planète primitive. Depuis deux jours, les ordinateurs du Service tournent sans interruption, mais n'ont encore rien trouvé. Aussi je n'ai que deux minutes à vous consacrer. Que voulez-vous ?
Marc répondit d'un ton anodin :
-J'ai découvert un gisement de Lapis oniris et je souhaitais des instructions. Mais si vous êtes trop occupé, je peux contacter directement l'amiral Neuman.
Malgré son impassibilité légendaire, Khov étouffa un juron.
-Ne dites pas de bêtises, je vous écoute.
Marc fit un résumé de ses aventures depuis son arrivée sur Hark. Lorsqu'il eut terminé, Khov ricana :
-Décidément, mon garçon, vous avez le chic pour transformer les missions les plus anodines en catastrophes. Dites à Ray d'envoyer un rapport complet en ondes accélérées. Soignez cette curieuse bestiole mais assurez-vous de son caractère inoffensif. Je vais avoir le plaisir de réveiller Neuman. En attendant que nous élaborions de nouvelles instructions, maintenez le Neptune en orbite autour de la planète. Au revoir.
Le visage du général fut remplacé par celui de l'opérateur, très étonné de la durée de la conversation.
-Apparemment, constata-t-il, vous vous en êtes tiré sans dommages. Prêt pour l'enregistrement.
CHAPITRE XIII
La princesse Aliva, installée dans un profond fauteuil, lisait un livre de poèmes. Toutefois son esprit n'arrivait pas à se fixer sur la beauté des vers. Depuis plusieurs jours, elle s'étonnait de ne plus voir le duc. Elle l'avait fait chercher à plusieurs reprises mais chaque fois, il lui avait été répondu qu'il était introuvable et semblait avoir disparu. Elle trouvait que, pour un fiancé, il agissait bien cavalièrement et qu'il aurait dû lui demander la permission de s'éloigner de la cour. Quand il reparaîtrait, elle se promettait bien de le tancer vertement, même si son absence était motivée par le désir subit de faire retraite dans un monastère!
Une servante fît irruption dans la chambre, l'air bouleversé.
-Majesté, majesté, lança-t-elle d'une voix étouffée, le comte Orbak.
Aliva, tirée de sa rêverie, dit sèchement :
-Je ne veux pas le recevoir maintenant, qu'il repasse dans deux heures.
-Mais, majesté, il arrive avec des hommes d'armes...
Elle ne put en dire plus car la porte de la chambre s'ouvrit brutalement. Le comte avança, le visage sévère, suivi de plusieurs gardes :
-Aliva, dit-il d'une voix sinistre, vous êtes en état d'arrestation !
La jeune fille se leva brusquement, pâle de colère.
-Vous êtes fou, comte ! Je suis la fille unique du roi Lios et héritière du royaume. Nul ne peut prétendre m'arrêter. Sortez!
Orbak secoua la tête, la mine apparemment désolée. Ses yeux luisant de joie démentaient cette première impression.
-Les princes peuvent s'estimer au-dessus des hommes et des lois mais non au-dessus de Dieu. C'est donc un tribunal ecclésiastique qui aura le lourd privilège de décider de votre sort. Venez, vos juges vous attendent.
Aliva, figée de stupeur, restait immobile. Sur un signe du comte, deux gardes encadrèrent la princesse et la saisirent par les bras.
Au contact des deux mains rudes, elle tressaillit et tenta de se dégager mais en vain.
-Inutile de vous débattre, railla le comte, vous ne leur échapperez pas.
S'adressant aux gardes, il ajouta :
-Conduisez la prisonnière devant ses juges.
La grande salle des audiences officielles avait été transformée en hâte pour abriter le tribunal. Derrière une longue table, trois prélats étaient assis sur des fauteuils à haut dossier. Orbak avait su les gagner à sa cause en leur faisant miroiter que sous son règne leurs revenus seraient substantiellement augmentés. A droite des juges, debout devant une sorte de lutrin supportant une pile de parchemins, se tenait le prieur Kurk à qui avait échu le rôle d'accusateur.
La princesse se tenait au milieu d'un espace dégagé, toujours solidement encadrée par les deux soudards. Les spectateurs, peu nombreux, étaient massés au fond de la salle, maintenus par un double cordon de gardes. C'étaient essentiellement des nobles très étonnés de ce procès et quelques hommes du peuple soigneusement sélectionnés par Orbak avec mission de vociférer très fort pour simuler une juste colère populaire.
Le prélat qui se tenait au centre se leva. Il avait un visage étroit, un nez busqué et des sourcils très épais.
-Aliva, tu es accusée des péchés de mensonges, de fornication et de meurtre. Qu'on fasse comparaître le premier témoin.
Une servante s'avança, jeune, blonde. Elle tomba à genoux devant les juges.
-Je jure de dire toute la vérité.
Elle raconta comment certains soirs, la princesse lui ordonnait de préparer une chambre dans la vieille tour puis elle lui désignait un seigneur. Elle portait alors un billet et guidait l'élu.
-Ils ne connaissaient donc pas la réputation de la vieille tour? s'étonna un des assesseurs.
-Il faisait toujours très sombre et je les promenais dans des couloirs jusqu'à ce qu'ils perdent le sens de l'orientation. Le lendemain à l'aube, j'effectuais le ménage. Très souvent il y avait du sang sur le carrelage.
-Quel est le dernier homme que vous avez mené là-bas ?
Avec un art très consommé de comédienne, la servante murmura dans un grand silence :
-Le duc Valmo !
Un murmure s'éleva de la masse des spectateurs, aussitôt étouffé par la voix sèche du prélat. Le prieur Kurk lança alors, la mine douloureuse :
-Le corps du duc a été repêché ce matin dans le fleuve. Malgré le visage mutilé, j'ai parfaitement reconnu celui qui, pendant des années, avait été mon disciple préféré. C'est ce dernier meurtre qui a déclenché une enquête rapidement menée par le comte Orbak. Au nom de toutes les victimes, je réclame justice !
Le juge principal hocha sa tête étroite.
-Elle sera rendue à son heure !
-Plaise à vos seigneurs d'entendre le témoin suivant, dit Kurk.
Orso fut poussé par un garde. Le colosse était couvert de chaînes. Il se laissa tomber lourdement sur les genoux.
-Parle sans crainte, ordonna le prieur. Si tu dis la vérité, le tribunal tiendra compte de tes aveux spontanés.
-Je suis un misérable, gémit Orso avec la plus apparente contrition. Je devais attendre la princesse, au pied de la vieille tour. Lorsqu'elle redescendait, très tard dans la nuit, elle m'ordonnait de tuer l'homme qui se trouvait dans la chambre du premier étage. En général c'était facile, il dormait dans le lit, épuisé par l'amour. Je le poignardais dans son sommeil et il ne sentait pas la mort venir. Je devais ensuite jeter le corps par la fenêtre qui donne sur le fleuve. Pour le duc Valmo, cela a été plus difficile. Lorsque je suis entré, le duc était debout et il a tenté de se défendre. J'ai dû le frapper au visage avec ma hache.
Quelques gémissements échappèrent aux spectateurs devant ces précisions macabres. Orso restait maintenant immobile, la tête basse. Il ajouta cependant :
-J'ai tué mais je ne faisais qu'obéir aux ordres de ma souveraine. Si j'avais désobéi, elle m'aurait fait immédiatement mettre à mort.
-Va, dit le président. Tu seras jugé plus tard.
Se tournant vers Aliva, il lança :
-Tu as entendu les terribles accusations lancées contre toi. Qu'as-tu à répondre ?
Malgré sa pénible situation, la princesse releva orgueilleusement la tête.
-Ce ne sont que mensonges habilement orchestrés. Je ne sais quand les autres crimes ont été perpétrés mais il y a quatre jours, je suis certaine d'avoir passé toute la soirée avec ma servante qui m'a fait la lecture tard dans la nuit.
Le prieur ne put masquer la lueur du triomphe qui éclaira son regard.
-Qu'on fasse quérir cette fille, ordonna-t-il.
La servante ne tarda pas à être poussée par un soldat. Son teint était grisâtre et la sueur collait ses cheveux sur son front. Elle marchait à petits pas, le dos voûté. D'une voix éteinte, à peine audible, elle déclara :
-il y a quatre jours, la princesse m'a renvoyée immédiatement après le dîner. Je l'ai vue quitter sa chambre peu après moi et elle n'est rentrée que tard dans la nuit.
Les juges hochèrent la tête. Pour eux la cause était entendue. La malheureuse se tourna vers Aliva, les joues ruisselantes de larmes :
-Je ne pouvais agir autrement, murmura-t-elle, ils m'ont battue, fouettée et brûlée avec des fers rouges et....
Le garde la traîna brutalement hors du tribunal. Pendant plusieurs minutes, les prélats conférèrent à voix basse. Enfin le juge principal se leva :
-Aliva, dit-il d'une voix forte, tu es convaincue des crimes qui t'ont été reprochés. Nul doute que le Démon s'est emparé de ton esprit. Pour le crime de fornication, tu es condamnée à être fouettée en place publique comme une prostituée, puis ton corps sera brûlé pour que ton âme soit délivrée. Puisse le vrai Dieu en avoir pitié ! La sentence sera exécutée demain à midi.
CHAPITRE XIV
Marc quitta sa cabine relaxe. Ces cinq heures de sommeil lui avait redonné une forme acceptable. Il aurait volontiers pris un bain régénérant mais l'Entameb devait toujours occuper le bloc sanitaire. Contactant mentalement Ray resté dans le poste de pilotage, il demanda :
-Pas de nouvelle du générai ?
-Si j'avais reçu des ordres, je pense que je te les aurais transmis, ironisa-t-il.
-Comment se porte notre passager ?
-Je ne puis te répondre puisque j'ignore tout de son métabolisme.
Marc pénétra dans le bloc sanitaire. La monstrueuse cellule était toujours dans la cuve. Son cytoplasme était plus brillant, plus clair et le noyau, foncé, paraissait avoir des couleurs changeantes.
Une onde psychique frappa les neurones du Terrien. Elle était nette et puissante.
-Bonjour, ami, j'espérais votre visite.
-Apparemment vous avez récupéré des forces.
-C'est en bonne voie.
-Désirez-vous quelque chose ?
-Dans quelques heures, il me faudrait encore les mêmes substances si vous en disposez encore.
-Je donne immédiatement des instructions. Votre blessure a-t-elle besoin de soins particuliers ?
Marc perçut une certaine hilarité.
-Le faisceau laser a traversé mon cytoplasme sans créer de lésion. Je me suis immobilisé pour que le cosmonaute me croie mort. C'est de toute façon ce qui me serait arrivé si vous n'étiez pas intervenu.
Marc s'assit familièrement sur le rebord de la baignoire.
-Accepteriez-vous de satisfaire ma curiosité ? dit-il.
-Naturellement ! Ma planète tourne autour d'un soleil qui se trouve à une dizaine d'années-lumière de ce système, à proximité de ce que vous appelez la nébuleuse d'Orion. Notre histoire remonte à plusieurs millions de vos années. C'est à cette époque, comme sur Terre, qu'apparurent les premières cellules vivantes. Toutefois, dès le départ, l'évolution fut radicalement différente. Dans votre monde, les cellules se multiplièrent et se différencièrent pour composer des êtres de plus en plus complexes. Ma planète est pratiquement entièrement couverte d'eau. Dans ce milieu aquatique, les cellules augmentèrent progressivement de taille. A l'intérieur du cytoplasme les mitochondries se spécialisèrent, leur action étant coordonnée par un noyau de plus en plus volumineux. Certaines espèces de cellules disparurent, d'autres, au contraire, progressèrent et furent bientôt douées de pensée et d'intelligence. Ainsi naquit ma civilisation, totalement différente de celle de la Terre.
-Comment se peut-il que vous connaissiez mes compatriotes ? s'étonna Marc.
Le nucléole parut irradier une lueur plus vive, comme chaque fois que la créature s'amusait.
-Un peu de patience, ami. Pour différente de la vôtre qu'elle fût, notre technologie avait progressé et nous avons découvert les voyages spatiaux et même les propriétés de ce que vous appelez le subespace. C'est à l'occasion d'un voyage que nous avons rencontré une sorte d'aventurier de l'espace, le capitaine Jess Kan qui avait quelques difficultés avec les autorités de son pays. Lorsque les autorités terriennes, en proie à de grands problèmes internes, ont voulu nouer des relations avec nous, nous avons préféré nous abstenir. Les Entamebs sont un peuple pacifique essentiellement tourné vers la spiritualité et nous avons craint une fréquentation des humanoïdes, trop vifs, trop impulsifs et trop... divers. Je perçois dans votre esprit que vous êtes bon et généreux comme l'était le capitaine Kan, mais force est de reconnaître que tous ne sont pas comme vous, à commencer par les fripouilles qui exploitaient cette mine.
Ray arriva à cet instant portant de nombreux flacons qu'il vida dans la cuve.
-Il faudra demander de quelles quantités exactes il aura besoin car, à cette cadence, les réserves seront rapidement épuisées.
Questionné par Marc, l'Entameb répondit :
-J'avais un jeûne de quinze jours à récupérer. Ensuite il me suffira d'une ration journalière de trois à quatre mille de vos calories.
-Il est encore heureux qu'il ne souhaite pas de scotch, bougonna Ray.
-Enregistres-tu nos échanges psychiques ?
-Fort bien, pas une pensée ne m'échappe.
La créature esquissa quelques mouvements de reptation qui firent frémir l'eau du bain.
-Que faisiez-vous sur cet astronef pirate ?
Cette fois Marc perçut une onde de tristesse tandis que le nucléole s'assombrissait.
-C'est une longue histoire. Comme vous le constatez, nous ne pouvons communiquer entre nous que psychiquement. Il en est de même sur notre planète. Malheureusement, nous avons été longtemps limités par la distance jusqu'au jour où nous avons découvert les propriétés de certains cristaux qui nous ont permis de construire des amplificateurs psychiques. C'était ce que vous appelez Lapis oniris. Nous avions un gisement sur notre planète, largement suffisant pour couvrir nos besoins pendant des millénaires. Il y a cinq ans est survenue une catastrophe. Une maladie a frappé les pierres, leur faisant perdre tous leurs pouvoirs. Il nous a fallu plusieurs mois pour analyser le phénomène. Il était dû à l'apparition d'un champignon microscopique qui aspirait l'énergie du cristal. Avant que nous ayons réussi à trouver un remède efficace, nos cristaux et ceux du gisement ont été détruits. Pour ne pas voir notre civilisation régresser, nous avions besoin de trouver une autre source de Lapis oniris.
-Vous avez donc décidé de venir sur Hark, intervint Marc.
-Le phénomène est plus complexe. Depuis deux siècles, notre esprit casanier nous avait fait renoncer aux voyages interplanétaires et il nous a fallu reconstruire un astronef. Toutefois, nous avions conservé des relevés d'explorations antérieures et parmi les planètes observées, l'une avait un gisement de Lapis oniris.
« Sachant cette planète habitée par des humanoïdes, nous avons longuement discuté de la meilleure manière d'entrer en contact avec eux sans risquer de les effrayer ni de perturber leur évolution naturelle. Hélas ! Nous avons choisi la pire des solutions. Probablement le souvenir du capitaine Kan a-t-il faussé notre jugement. Nous avons pensé qu'un humanoïde serait mieux à même d'agir avec la discrétion voulue. Un astronef ayant été préparé, je suis parti avec deux de mes congénères. Le hasard nous a amenés dans le système de Solan. Là, nous avons contacté un cargo-nef qui regagnait sa base. Le capitaine, un nommé Spirk, a immédiatement été intéressé par notre proposition. »
-Comment communiquiez-vous ?
-Grâce à Jess Kan, nous avions appris à émettre des signaux radioélectriques dans vos gammes de fréquence. Ne pouvant parler, nous inscrivions sur les écrans nos désirs et il répondit suivant la même méthode. Nous lui avons donc donné les coordonnées de la planète Hark. Pendant plusieurs mois, nous sommes restés sans nouvelles. Finalement, en restant patiemment en orbite autour de Solan, j'ai réussi à le joindre. La première fois, il a expliqué que cette tâche était délicate et nécessitait beaucoup de temps. Nous avons ainsi patienté pendant plus de trois ans. A notre dernier contact, il a avoué cyniquement que ses prix avaient considérablement augmenté et que chaque Lapis oniris valait une fortune. Comme nous ne possédions aucune monnaie d'échange qui le satisfaisait, il a rompu toute négociation.
-il préférait vendre ses cristaux dans l'Union Terrienne où une forme de toxicomanie s'est répandue.
-Je ne l'ai appris que récemment et nous sommes navrés d'en avoir été à l'origine.
-Qu'avez-vous alors décidé ?
-Après de nombreuses hésitations, notre conseil de gouvernement a demandé une exploration directe de Hark. Pour pouvoir quitter l'atmosphère conditionnée de notre astronef, il a fallu mettre au point les scaphandres, ils devaient avoir une morphologie humanoïde et être emplis d'un liquide nutritif.
-N'était-ce pas trop lourd ?
-ils étaient équipés d'un système anti-gravité et de récepteurs pour pouvoir transmettre en onde psychique les observations extérieures. Ils n'ont guère eu le temps de fonctionner.
Lorsque Spirk m'a capturé, un puissant champ électromagnétique a grillé tout l'appareillage.
-Comment cela s'est-il produit? demanda Marc.
-Un hasard malencontreux a voulu qu'à notre émergence du subespace, nous trouvions le Castor. Spirk nous a immédiatement reconnus et n'a pas hésité à ouvrir le feu. Dès la première explosion, notre astronef a été désemparé. Au moment de l'attaque, j'étais dans une soute, occupé à essayer mon scaphandre. Je n'ai eu que le temps de sauter dans une capsule de survie et d'être éjecté quelques secondes avant l'explosion de notre navire. La manoeuvre n'a pas échappé à Spirk et un rayon tracteur a piégé ma capsule. Le capitaine, n'osant ouvrir le scaphandre dans son vaisseau, m'a fait transporter sur Hark. Vous savez la suite.
Marc fit quelques pas pour se dégourdir les jambes.
-Que décidez-vous, maintenant? reprit l'Entameb.
-Rien ! Nous devons patienter.
Devant la surprise de son interlocuteur, il précisa :
-Vous avez lu dans mon esprit que je ne suis qu'un petit rouage d'une énorme machine. Je ne puis qu'attendre les ordres. Je vais compléter mon rapport en expédiant à mon supérieur la transcription de notre conversation.
-Expliquez-lui bien que les Lapis oniris sont une nécessité vitale pour mon peuple.
-Je ne manquerai pas de le souligner.
-Merci, ami.
Après un instant, l'Entameb reprit, comme s'il faisait une découverte :
-Je pensais les Terriens très médiocres télépathes. Or nous venons d'avoir une longue conversation et je ne perçois dans votre esprit aucun signe de fatigue.
-Mon cas est très particulier, sourit Marc. Depuis une rencontre avec une très curieuse entité végétale, mes facultés ont été notablement augmentées. Je vous conterai l'histoire un jour, si nous en avons le temps.
Marc rejoignit Ray dans le poste de pilotage. L'androïde était déjà en communication avec l'ordinateur du S.S.P.P. et transmettait les derniers éléments.
Désoeuvré, le Terrien s'assit sur le siège du copilote et allongea les jambes dans l'intention évidente d'entamer une petite sieste. Toutefois, il ne put trouver le sommeil, il pensait au monde des Entamebs et aux amis qu'il avait laissés sur Hark.
CHAPITRE XV
-Attention, murmura Hédos, nous approchons de la porte de Sippar.
Le comédien, juché sur sa monture, avait retrouvé une fière allure. Il était suivi de Skalin et de Nerva. Après leur évasion, ils avaient chevauché toute la nuit. A l'aube, ils s'étaient arrêtés près d'un torrent pour laisser souffler les chevaux et ils en avaient profité pour faire une toilette approfondie et la lessive, leurs vêtements couverts de poussière ne prouvant que trop leur évasion de la mine.
Ils avaient ensuite gagné un village. Par chance, c'était jour de marché et ils avaient se procurer quelques hardes qui permirent d'affronter le patron aubergiste sans trop d'appréhension. Ce dernier ne se préoccupa aucunement des toilettes et s'intéressa essentiellement à la pièce d'or qu'Hédos lui tendit en commandant un repas pantagruélique. Seule Nerva faisait la moue.
-Je suis affreuse dans cette robe, on croirait une paysanne !
Hédos qui déchiquetait une carcasse de volaille à pleine main, s'esclaffa :
-Mange ! Je te promets que nombre de galants seraient enchantés dans ces conditions d'effectuer un retour à la terre !
Le petit groupe était parvenu à la capitale.
-Espérons, songea Hédos, que les gardes ne reconnaîtront pas les chevaux. J'aurais dû les abandonner, maintenant il est trop tard.
Ils défilèrent ainsi devant une sentinelle, négligemment appuyée sur sa pique. Elle ne leur lança qu'un coup d'oeil distrait et replongea dans ses méditations qui ressemblaient fort à une sieste !
Dès la porte de la ville franchie, Hédos pressa sa monture. Arrivé devant la taverne du Vide-gousset, il lança les rênes de Skalin.
-L'écurie est là-bas. Conduis les chevaux et rejoins-nous vite.
En ce milieu d'après-midi, la salle n'abritait qu'une dizaine de consommateurs qui ne prêtèrent aucune attention aux nouveaux arrivants. Hédos choisit une table dans l'encoignure la plus sombre.
-Apporte-nous un énorme pichet de vin, commanda-t-il à la servante. Dis également à Sira que ses amis sont ici.
-Je ne connais pas de Sira, répondit-elle sèchement. Je vais chercher votre vin.
Un peu surpris, Hédos la regarda s'éloigner.
-Messire Marc a dû commettre une erreur, mais l'essentiel est que nous soyons à l'abri, murmura-î-il. M'est avis que le guet ne doit guère se risquer ici. Ces gaillards n'ont pas l'aspect d'honnêtes bourgeois.
La servante revint et déposa un broc sur la table.
-La demoiselle désire sans doute se rafraîchir, dit-elle à Nerva. Je vais vous montrer une chambre où il y a un broc d'eau pour la toilette.
Le regard insistant de la fille acheva de convaincre Nerva qui se leva et la suivit. Après avoir traversé un couloir sombre, elle lui désigna une porte. Aussitôt le seuil franchi, Nerva reconnut Sira qui se jeta dans ses bras.
-Quand Lisa m'a dit que des étrangers me demandaient, je ne croyais pas que c'était toi ! Comment as-tu réussi à t'enfuir ?
La première ambrassade terminée, Nerva ajouta :
-Hédos et Skalin sont également ici.
-Et Blazius ?
-Le malheureux est mort quelques jours seulement après notre arrivée à la mine. Là-bas, c'était l'enfer et il n'a pu supporter la fatigue et les privations.
Sira essuya discrètement une larme avant de reprendre :
-Je vais faire chercher discrètement nos amis et je vous présenterai à Malvo notre chef qui vous prendra sous sa protection.
Un quart d'heure plus tard, les comédiens étaient réunis et saluaient le jeune duc. Ce dernier arborait une mine soucieuse; sa première question concerna Marc.
-Il était prisonnier comme nous mais dès le premier soir, il nous aidait à s'évader.
Avec son emphase coutumière et force citations en vers, Héros narra leurs aventures. Ce n'était plus une fuite mais un poème héroïque !
Impatienté, Malvo demanda des précisions :
-A dire vrai, reconnut Hédos, je ne comprends pas encore comment messire Marc a pu se débarrasser de ses fers. Ray, surtout, est d'une efficacité remarquable !
-Où sont-ils allés ?
-Je l'ignore, messire Marc a seulement dit qu'il nous rejoindrait bientôt dans cette auberge.
-Il sera trop tard, soupira Malvo, car c'est demain que nous devrons nous battre !
CHAPITRE XVI
La sonnerie de la vidéo-radio retentit, annonçant un appel. Marc bascula en avant et effleura vivement la touche du contact.
-Vous semblez très reposé, ricana Khov, dont les traits étaient creusés par la fatigue. Vous vous doutez bien que votre rapport a déclenché un très joli remue-ménage. Nous sortons d'une conférence dans le bureau du Président avec Neuman. L'amiral est ici pour vous transmettre les ordres.
La figure austère de Neuman remplaça celle de Khov.
-Félicitations, mon garçon. J'ai toujours pensé que vous perdiez votre temps au S.S.P.P. Vous devriez demander votre mutation à la Sécurité Galactique, Je me charge de votre carrière !
Marc avait collaboré avec la Sécurité Galactique au cours de plusieurs affaires mais il ne se sentait aucunement l'âme d'un policier.
-Soyons sérieux, grogna Khov qui n'appréciait guère les tentatives que faisait régulièrement Neuman pour attirer Marc. Comment se porte votre invité ?
-Apparemment cette gigantesque cellule se plaît dans ma baignoire.
-L'ordinateur du ministère des Affaires galactiques a conservé en mémoire les données concernant leur planète. Il est exact que les Entamebs sont entrés autrefois en contact avec notre gouvernement par l'intermédiaire d'une sorte d'aventurier. Aucune relation officielle n'ayant été nouée, leur planète a simplement été répertoriée et interdite d'approche à nos vaisseaux.
-Quelles décisions ont été prises au sujet des pirates ?
Ce fut l'amiral qui répondit :
-J'avais une unité en patrouille dans un système voisin de celui de Solan. J'ai donc ordonné au colonel Parker qui la commande de se rendre là-bas. Lorsqu'il émergera du subespace, ce capitaine Spirk aura une surprise de taille ! Parker a ordre d'arraisonner le Castor et d'arrêter l'équipage.
-Voici maintenant vos consignes, intervint le général. La Sécurité Galactique ne peut intervenir sur Hark en raison de la loi de non-immixtion. Aussi, c'est à vous que revient la tâche d'éliminer les derniers Solaniens qui s'y trouvent. Lorsque vous aurez terminé cette besogne, vous rendrez compte à l'amiral. Des satellites tueurs seront disposés autour de la planète pour empêcher le retour d'un éventuel pirate. Ainsi le trafic des Lapis oniris sera interrompu à sa base.
-Quel sera le sort de l'Entameb ?
-Votre mission achevée sur Hark, vous êtes autorisé à le raccompagner sur sa planète d'origine. Il est considéré comme un naufragé de l'espace et nous lui devons assistance.
-Les Lapis oniris leur sont indispensables, plaida Marc.
-Nous le savons et la question a été longuement débattue au conseil. Toutefois, Hark fait partie de nos protectorats et ces créatures ne peuvent intervenir sur cette planète, directement ou indirectement. Leur maladroite tentative a déclenché dans l'Union Terrienne une intoxication suffisamment grave.
Devant l'insistance de Marc, Neuman précisa :
-S'ils le désirent, les Entamebs peuvent envoyer une ambassade sur Terre pour discuter du problème. Le Président est déjà d'accord pour leur remettre tous les Lapis oniris que les services de police saisiront, à la condition formelle qu'ils ne soient jamais réintroduits sur une planète de l'Union. Vous êtes autorisé à lui transmettre nos conclusions.
Marc esquissa une grimace en songeant à la déception de la créature.
-Au travail, capitaine, reprit Khov. Naturellement le conseil compte sur votre discrétion et sait que vous saurez respecter la loi de non-immixtion. Il est donc inutile de mettre la planète à feu et à sang !
L'amiral ajouta avec un sourire :
-Nous faisons confiance à votre imagination. Tout devra être terminé dans quarante-huit heures. Un aviso de mon service arrivera alors pour installer les satellites tueurs. Maintenant, nous attendons votre rapport ! Bonne chance.
L'écran s'obscurcit, laissant Marc rêveur. Il se leva en soupirant :
-Allons porter les mauvaises nouvelles à notre ami.
Pendant toutes les explications de Marc, l'Entameb ne manifesta aucune surprise. Lorsque le Terrien eut terminé, il émit seulement, avec nostalgie :
-Nous avons commis de graves erreurs. La première a été de nous isoler sur notre planète et de refuser les contacts extérieurs. Nous aurions pu éviter de violer les lois que nous ne connaissions pas. Si vous en avez la possibilité, remerciez votre Président de me permettre de regagner ma patrie. Les quelques Lapis oniris qu'il pourra récupérer suffiront à notre survie. Nous n'avons besoin que de minimes quantités.
-J'ai ma mission à terminer avant de vous ramener sur votre planète. Elle devra durer un à deux jours. De quoi aurez-vous besoin, pendant ce temps ?
-Dites à Ray de déposer les mêmes flacons qu'hier.
-Saurez-vous les ouvrir ? s'étonna Marc.
Une vague d'hilarité déferla sur le Terrien.
-Nous n'avons pas de main mais nous parvenons à nous débrouiller. Par exemple, j'ai appris à régler la distribution d'eau de votre douche.
Avec surprise, Marc vit le cytoplasme de la cellule s'étirer en un long pseudopode qui atteignit les commandes de distribution. L'eau jaillit et coula sur l'Entameb,
-C'est fort agréable, émit-il.
Il régnait dans le bloc sanitaire une atmosphère lourde, étouffante et Marc s'épongea le front humide de sueur.
-Je me suis également permis de régler le thermostat et l'hygrométrie. J'avais un peu froid. Allez, ami, je vous ai fait assez perdre de temps. Au fait, j'ai oublié de vous préciser que je m'appelle Noz. J'ai déjà hâte de vous voir revenir.
Quelques minutes plus tard, Marc retrouva Ray dans la soute. L'androïde lui présenta des vêtements propres.
-Je les ai seulement nettoyés, dit-il. Le Service n'aime pas que je dépense trop de matériel pour nos toilettes. J'ai dû cependant refaire des épées, les nôtres étant restées près de la mine.
-Tu es une vraie fée du logis, ricana Marc. En route !
La nuit était tombée depuis près d'une heure lorsque le module se posa à proximité de la mine. A l'instant où Marc allait sauter à terre, Ray posa doucement la main sur son bras.
-Attends ! Les consignes sont de tuer deux hommes et je sais que ce n'est pas une besogne qui te plaît. Malheureusement, nous ne pouvons discuter un ordre du Président. Laisse-moi agir seul. Nous pourrons ensuite utiliser le module pour rejoindre Sippar.
-Merci, murmura Marc, ému.
Il regarda l'androïde s'élever dans le ciel obscur en songeant que les machines pouvaient avoir plus de délicatesse de sentiment que les hommes.
Les minutes s'étirèrent, longues, monotones. Marc sursauta en voyant Ray reparaître et s'installer dans le module.
-C'est fait ! dit-il sobrement. Ces Solaniens étaient dans la pièce du rez-de-chaussée. J'ai utilisé mon laser. Il n'y a aucune trace. Si le plus chevronné des médecins locaux examine les corps, il ne pourra que conclure à une mort naturelle.
-Très bien ! Cap sur Sippar. Nous nous poserons le plus près possible de la ville.
Désignant le ciel qui charriait de gros nuages noirs, Marc précisa :
-Cet orage sera le bienvenu et évitera aux curieux de regarder le ciel.
Ray enclencha le propulseur et décolla. Cinq minutes plus tard, il posait l'engin à moins d'un kilomètre de Sippar. De grosses gouttes de pluie frappaient le plastique de la carlingue.
-Pour passer inaperçu, il faut bien admettre une douche, ricana Marc. Tu peux renvoyer le module.
Les deux hommes sautèrent à terre et coururent vers la cité. Ayant atteint les remparts, Marc souffla un instant.
-Fais-moi franchir la muraille, ordonna-t-il. Avec un temps pareil, même une sentinelle zélée ne peut qu'avoir cherché un abri !
Ils se retrouvèrent rapidement dans une ruelle obscure. Heureusement la mémoire topographique de Ray joua immédiatement.
-Suis-moi, la taverne est à quelques rues d'ici.
Les Terriens pataugèrent dans une boue nauséabonde avant d'arriver enfin à destination. Marc poussa la porte de l'auberge et s'immobilisa sur le seuil. La salle était emplie d'une foule compacte. Tous les regards se tournèrent vers lui. Il eut la vision de regards luisant de haine et plusieurs poignards sortaient déjà de leur fourreau.
Soudain une voix résonna du fond de la salle.
-Messire Marc, soyez le bienvenu ! Nous ne vous espérions plus.
Fendant la foule, le duc Valmo s'avança, les mains tendues. La tension retomba aussitôt et les conversations reprirent. Le duc conduisit les arrivants dans la même pièce où il les avait reçus quelques jours auparavant.
La servante, après avoir déposé un pichet et des gobelets se retira. Le colossal Kast s'adossa contre la porte, ce qui semblait être sa place favorite.
-Vos prédictions n'ont pas tardé à se réaliser, messire Marc, soupira le duc. Ce matin, un tribunal ecclésiastique a condamné la princesse. Elle doit être mise à mort demain à midi, sur la grande place, devant la cathédrale !
-Avez-vous eu le temps de rassembler vos partisans ?
Le duc laissa échapper un soupir. Son visage exprimait une immense lassitude.
-Mes démarches n'ont guère été fructueuses. J'ai contacté trois anciens amis de mon père. Deux m'ont éconduit sèchement, manifestement ralliés à la cause d'Orbak. Le dernier s'est réfugié dans une prudente expectative. Le doute n'est plus permis. Une fois la princesse exécutée, le comte se proclamera roi, fort de l'appui d'un bon nombre de vassaux. Lorsque les prétendants des provinces voudront réagir, il sera trop tard !
-Qu'avez-vous décidé, duc?
-J'ai rassemblé ici tous mes partisans. Malheureusement, vous avez pu constater qu'ils n'étaient guère nombreux. De plus, ce sont des gens de sac et de corde et je crains qu'ils pensent plus au pillage qu'au combat. Qu'importe, mon devoir est de tout tenter pour sauver la fille de notre roi.
Marc approuva de la tête et demanda :
-Comment comptez-vous procéder ?
Le duc posa son gobelet sur la table.
-Ici se trouve le château. Là, la cathédrale. Le cortège quittera à midi le château pour gagner le lieu de l'exécution. Une estrade a été dressée sur cette place. J'ai d'abord pensé attaquer le convoi mais j'ignore si, au dernier moment, il ne changera pas d'itinéraire. Mieux vaut donc agir lorsqu'il sera devant la cathédrale. Pour contenir la foule, les gardes seront contraints de se déployer. Je compte créer une diversion sur la gauche, espérant attirer les gardes massés autour du bûcher. Ensuite nous lancerons une attaque en force sur la droite. Nous devrions rompre la ligne et parvenir jusqu'à la princesse.
Marc ne put dissimuler une grimace de contrariété.
-Aliva risque de rester plusieurs minutes à la merci du bourreau ou de gardes trop zélés.
-Nous ne pouvons l'éviter, il faudra agir très vite.
Devant la mine inquiète de son interlocuteur, le duc reprit :
-Auriez-vous un autre plan à proposer ?
-Hélas, non. Toutefois, nous pouvons améliorer le vôtre. Dès que vous aurez donné le signal, je courrai avec Ray vers l'échafaud dressé. La surprise aidant, nous devrions y parvenir. Nous ferons alors un rempart à la princesse en attendant votre venue. Ne tardez cependant pas trop.
Valmo hésita un instant.
-Ce rôle de sacrifice devrait me revenir, murmura-t-il.
-Non, rétorqua sèchement Marc. Si vous n'êtes pas à la tête de vos hommes, ils risquent d'hésiter, voire de se débander. De plus, j'ai assez causé de perturbations en jouant un personnage qui ne me convenait pas et je dois racheter ma conduite, même si elle n'a eu pour mérite que de préserver l'existence d'une malheureuse troupe de comédiens.
Le duc esquissa un sourire et tendit la main au Terrien.
-Messire Marc, je serais honoré d'être voire ami. Deux fois déjà vous m'avez montré le chemin du devoir. Bien fou est le seigneur qui vous a laissé partir. J'espère un jour pouvoir vous prouver ma reconnaissance. Que souhaitez-vous ?
Marc éclata de rire :
-La journée de demain sera rude. Je pense qu'un lit serait le bienvenu.
-Vous êtes un sage. Allez, Lisa vous donnera une chambre.
La servante qui devait attendre derrière la porte, le conduisit au premier étage. Elle lui désigna une porte en disant :
-Là, je pense que vous serez fort bien.
Elle s'esquiva en étouffant un éclat de rire.
Poussant le battant, Marc ne vit qu'une petite pièce éclairée par une mauvaise chandelle.
Le vantail se referma et Marc perçut une présence derrière lui. Il n'eut pas le temps de réagir. Deux bras frais se nouèrent autour de son cou.
-Ne te retourne pas, murmura une voix à son oreille.
-Nerva ! s'exclama-t-il. Tu as réussi à venir jusqu'ici !
-Je t'attendais. En nous quittant, tu avais fait une promesse.
Marc avança vers le lit en riant.
-Je suis prêt à la tenir et à te prouver que tu es la plus désirable des jeunes femmes.
Avant de se laisser emporter par un agréable tourbillon, Marc perçut la pensée bougonne de Ray.
-Tu ferais mieux de ménager tes forces !
-C'est pour une oeuvre charitable. Si j'avais refusé, cette pauvre fille aurait développé un complexe d'infériorité !
-Inutile d'aggraver ton cas, Marc. De toute manière, mes enregistrements sont interrompus. Cela m'ennuierait beaucoup que les technocrates suspendent tes missions pour inconduite envers les autochtones !
CHAPITRE XVII
L'échafaud se dressait sur la place de la cathédrale. C'était une plate-forme de bois supportée par plusieurs tréteaux, haute de deux mètres environ. On y accédait par une échelle. Un poteau était disposé au milieu de l'estrade. Un homme de carrure imposante, vêtu de rouge et le visage masqué, se tenait immobile, les bras croisés. Le bourreau attendait sa victime.
La monumentale horloge de la cathédrale égrena les douze coups de midi. Après un instant de silence, une cloche retentit, grave, sinistre comme un glas. Les grandes portes de l'église s'ouvrirent, livrant le passage à trois prélats. D'un pas majestueux, ils s'alignèrent sur le parvis. Un double cordon de gardes maintenait la foule de plus en plus nombreuse à bonne distance de l'échafaud. De plus, une haie de soldats encerclait le lieu du supplice.
Une sonnerie de trompes annonça que la condamnée venait de quitter le château. Bientôt une charrette apparut, entourée d'une vingtaine de cavaliers. La princesse se tenait debout, vêtue d'une grossière robe de toile blanche, les mains liées derrière le dos. Ses cheveux blonds dénoués pendaient sur ses épaules. A ses côtés se tenait le prieur Kurk, la mine grave, faussement contrite. Quelques clameurs hostiles s'élevèrent alors, poussées par des séides payés par Orbak. Toutefois, elles s'éteignirent assez vite, la foule restant étrangement silencieuse.
Une bourgeoise plantureuse escortée de son gringalet de mari risqua :
-Faire assassiner ses amants, c'est ignoble !
Une voix ironique lança alors :
-On te connaît. Si tu avais fait de même, grosse mère, la ville serait dépeuplée !
Les protestations indignées de la femme furent noyées sous les ricanements.
Le cortège arriva dans l'espace dégagé par les gardes. La charrette s'immobilisa devant l'échafaud. Deux soldats firent descendre la condamnée et l'obligèrent à monter sur l'échelle. Le bourreau la saisit et délia ses poignets qu'il attacha prestement au poteau.
Un grand silence se fit. Le prélat, debout sur le parvis, lança d'une voix forte :
-Que justice soit faite !
Le bourreau avança d'un pas vers Aliva et d'un geste sec déchira sa chemise, dénudant entièrement le dos jusqu'aux fesses. Lentement, il saisit un fouet à multiples lanières et recula d'un pas.
A cet instant, des clameurs jaillirent à gauche de l'estrade, suivies d'une bousculade. Plusieurs gardes, blessés, s'effondrèrent. Voyant le barrage forcé, un officier qui se tenait près de l'échafaud ordonna à ses hommes de prêter main forte aux gardes.
-A nous de jouer, murmura Marc qui se tenait près du duc.
Leur petite troupe s'était frayé un chemin dans la foule jusqu'au premier rang des spectateurs.
-Ray, nous fonçons jusqu'à la princesse, dit le Terrien.
-Entendu, mais augmente d'abord la puissance de ton écran protecteur. Je ne tiens pas à te ramasser avec une fracture du crâne !
D'un seul geste de la main, l'androïde assomma les trois gardes qui lui barraient le chemin puis il se dirigea au pas de course vers l'échafaud, suivi de Marc.
Un groupe de cinq ou six soldats tenta de lui barrer le passage. Avec la puissance et la sérénité d'un cuirassé fendant les flots, Ray fit une trouée, envoyant valser ses adversaires à plusieurs mètres. Déjà il atteignait l'échelle. L'officier, le visage rubicond, tenta de s'interposer mais il arriva trop tard. Toutefois, il se trouva sur le chemin de Marc. Ce dernier qui avait tiré son épée, para le coup destiné à lui fendre le crâne et riposta d'un coup fouetté qui ouvrit la gorge de son adversaire.
Pendant ce temps, Ray était arrivé sur la plate-forme. Déjà le bourreau s'élançait vers lui» le fouet levé. L'androïde frappa d'un direct à l'estomac. Sous le choc, son adversaire s'immobilisa, le souffle coupé. Ray le saisit par le cou et la ceinture et d'un puissant effort le souleva de terre. Une clameur faillit de la foule, saluant cet exploit.
L'androïde resta immobile une seconde puis lança le corps sur un groupe de gardes qui approchait. Marc avait escaladé l'échelle et d'un coup de poignard, il trancha les liens de la princesse fort étonnée de ce qui arrivait,
-Restez derrière moi, ordonna-t-il sèchement.
Le duc n'était pas resté inactif. A la tête de sa horde hétéroclite, il avait bousculé les gardes qui se trouvaient maintenant isolés par petits groupes. Dans leur affolement, ils frappaient plus les spectateurs que les agresseurs. Cela eut pour effet de déclencher par endroits des mouvements de panique mais aussi des réactions de colère. La foule malmenée prenait alors parti pour ceux qui secouraient la princesse.
Maintenant la mêlée était des plus confuses mais malgré ses efforts, le duc n'arrivait pas à atteindre le pied de l'échafaud assailli maintenant par plus d'une trentaine de gardes qui avaient compris que c'était l'endroit où se jouait la partie. S'ils parvenaient à reprendre la princesse, ils posséderaient un atout majeur. Aussi s'efforçaient-ils d'escalader l'échelle. Ray, armé du fouet du bourreau, cinglait impitoyablement tout visage qui apparaissait tandis que Marc repoussait ceux qui tentaient d'escalader les piliers de soutien.
Le Terrien lança un regard soucieux sur les groupes qui combattaient sur la place. Dans toutes batailles, il est des instants où le sort est indécis.
-Ray, émit-il, cesse de t'amuser à caresser les gardes. Nos amis ont besoin d'un sérieux coup de main. L'alarme a déjà dû être donnée au château et nous n'allons pas tarder à voir des renforts arriver.
-Tu as raison. Reste sur la plate-forme pour que je puisse te surveiller !
Lâchant son fouet, il tira son épée et sauta au milieu du groupe compact des gardes. Une minute plus tard, les soldats se jetèrent dans une fuite éperdue, du moins ceux qui n'étaient pas trop blessés et qui pouvaient encore courir.
Cette retraite précipitée créa un flottement parmi ceux qui s'opposaient aux hommes du duc. Ce dernier, jetant toutes les forces dont il disposait dans la mêlée, parvint enfin à rompre les rangs ennemis. Il s'élançait vers l'échafaud lorsqu'il aperçut le prieur Kurk qui tambourinait sur la porte de la cathédrale. Dès les premiers affrontements, les dignes prélats s'étaient prudemment réfugiés dans l'église dont ils avaient fait fermer les issues. Devant l'inanité de ses forces pour se faire ouvrir, le prieur jeta un regard effaré sur la mêlée. Apercevant Marc et la princesse, seuls sur la plate-forme, il hurla :
-Démons, ce sont des démons... Il faut les brûler...
Ses vociférations se perdirent dans le fracas des armes. A ce moment, il se heurta au duc qui le saisit à la gorge. Le prieur, mort de peur, reconnut son agresseur. Livide, il balbutia :
-Valmo... Ce n'est pas possible... Tu es mort.
Le duc relâcha un instant sa prise et agrippa le bras de Xurk. Il le traîna vers l'échafaud où Marc s'escrimait contre deux gardes qui avaient réussi à grimper à l'échelle. Avec une certaine envie, le duc admira le style du Terrien qui en un temps record pourfendit ses agresseurs. Poussant le prieur de la pointe de son épée, il l'obligea à monter sur la plate-forme.
-Arrêtez... Arrêtez... Ecoutez-moi, hurlât-il.
Sa voix puissante imposa un arrêt des combats, à dire vrai fort bienvenu pour Ses gardes survivants.
-Je suis le duc Valmo. La princesse ne m'a jamais fait tuer. Le prieur vous le confirmera.
Un Sourd silence s'abattit sur la place, seulement troublé par les gémissements des blessés. Saisissant son poignard le duc l'appuya sur les reins du prieur.
-C'est le moment de proclamer la vérité, murmura-t-il ou, sur mon âme, je t'expédie en enfer.
Pour prouver Sa véracité de ses dires, il enfonça la lame d'un centimètre dans le dos grassouillet du moine.
-C'est bien le duc, s'empressa de crier le Prieur. Toute cette mise la scène n'était qu'une machination du comte Orbak. Aliva est innocente !
-Innocente... Innocente...
L'exclamation reprise d'abord timidement paria foule, se propagea, enfla jusqu'à devenir une clameur assourdissante. Bientôt s'ajouta :
-Orbak... trahison... A mort Orbak...
Il était temps! A ce moment un peloton de cavaliers, sorti en hâte du château, arrivait sur la place. Le chef du détachement dut s'arrêter tellement la foule était dense autour de l'échafaud. Il tenta d'exhorter le peuple au calme mais sa voix fut couverte par des cris hostiles.
-C'est le moment d'entraîner vos partisans à l'attaque du château, avant qu'Orbak ne comprenne l'ampleur du soulèvement.
-Ces cavaliers barrent le chemin, objecta le duc qui paraissait des plus hésitants.
-La foule vous en débarrassera, rétorqua Marc, il suffit de lui donner l'exemple.
Stimulé psychiquement par Marc, Ray fendit la foule, arrivant jusqu'au cavalier de tête. Il saisit la botte et d'un mouvement irrésistible, désarçonna l'officier. Il agit de même avec les deux gardes suivants. Ce fut ce signal de la curée. Dix, vingt mains s'abattirent sur chaque soldat, les jetant à terre.
La princesse restait immobile, à côte du Terrien, les lambeaux de sa chemise flottant doucement au vent. Heureusement pour elle, Nerva se faufila jusqu'à l'échafaud et déposa une cape sur les épaules de la princesse. Cette dernière la remercia d'un sourire.
-Ray, émit Marc, ramène-nous des montures.
»!
Non sans mal, l'androïde parvint à saisir les rênes de plusieurs chevaux affolés par le vacarme ambiant.
-Allez, pressa Marc.
-Ne vaudrait-il pas mieux attendre le soutien de plusieurs féodaux ?
-Il sera trop tard. La colère populaire sera retombée, et la prudence aidant, ils se disperseront. Vous serez alors à la merci d'une contre-attaque d'Orbak qui, lui, ne vous ménagera pas.
Aliva réagit la première. Elle lança avec décision :
-Vous avez raison! Messire, aidez-moi à monter à cheval. J'ai une revanche à prendre !
Enfin décidé, le duc rameuta ses coupe-jarrets et au milieu d'un concert d'exclamations joyeuses la foule se dirigea vers le château. En atteignant l'esplanade, la princesse poussa une exclamation de dépit.
-Nous arrivons trop tard, les portes sont fermées.
Marc qui tenait à achever rapidement sa mission, rétorqua :
-Les ferrures sont rouillées. Elles ne résisteront pas à un coup de boutoir. Faites chercher un bélier !
Bien que peu convaincu, le duc donna les ordres nécessaires. A la grande surprise des défenseurs et également des assaillants, les vantails s'effondrèrent au premier choc. Nul n'avait pu remarquer le mince faisceau, jailli de l'index de Ray, qui avait sectionné les ferrures.
Dans la cour se tenait une triple rangée de gardes, lances pointées. La foule hésita un instant.
Aliva, pleine de majesté malgré sa tenue légère, fit avancer son cheval et lança d'une voix forte :
-Oseriez-vous menacer votre princesse, la fille du roi Lios ?
L'officier qui commandait te détachement était un vieux briscard au visage balafré surmonté d'une chevelure grisonnante. Il avança seul et mit un genou à terre.
-J'ai toujours servi fidèlement le roi et sa famille, dit-il. Nous avons été trompés par le comte Orbak. Je suis à vos ordres, Majesté.
Aliva dissimula un soupir de soulagement.
-C'est parfait, baron Stork. Donnez-moi votre bras pour descendre de cheval et faites ranger vos hommes.
Les gardes s'empressèrent d'obéir, soulagés de ne pas avoir à affronter toute une populace déchaînée. Nombre de barons et courtisans avaient suivi les événements par les fenêtres et maintenant, ils s'empressaient de rendre hommage à leur souveraine, ce qui n'alla pas sans créer une certaine confusion.
Marc sauta de son cheval, entraînant Ray dans son sillage.
-Vite, il nous faut trouver Orbak avant qu'il ait la possibilité de s'enfuir. Où peut-il se cacher ?
L'androïde ricana :
-Logiquement, avant de partir, il aura voulu récupérer sa fortune. Il ignore la mort de ses complices et il peut espérer les rejoindre pour se faire rapatrier par l'aviso pirate. Méfiant comme il est, il n'a pu dissimuler ses pierres que dans ses appartements.
Au pas de course, les deux Terriens enfilèrent une série de couloirs. Devant une porte, un garde tenta de s'interposer. Sans ralentir son allure, Ray l'écarta, l'envoyant valser à une dizaine de pas. ils atteignirent enfin la chambre du comte.
Orbak était penché sur un coffre, emplissant un sac avec des pierres, il se retourna vivement, un pistolaser à la main et fit feu à deux reprises. Le rayonnement ne produisit qu'un petit grésillement au contact du champ protecteur des Terriens.
-Qui êtes-vous? murmura Orbak devant l’échec de son tir.
Marc avança et dit d'une voix sèche :
-Capitaine Stone du S.S.P.P. actuellement détaché à la Sécurité Galactique. Vous êtes en état d'arrestation et j'ai pour mission de vous traduire devant l'ordinateur judiciaire pour violation de la loi de non-immixtion et trafic de Lapis oniris. Veuillez me suivre !
Orbak recula d'un pas.
-Jamais!
-C'est votre seule chance, rétorqua Marc. Votre coup de force a échoué et toute la population vous recherche pour vous mettre à mort.
-Peu importe ! Je n'irai pas sur Terre !
-Nous avons toutes les preuves de votre culpabilité, dit Marc plus calmement. Un seul détail m'échappe. Vous avez déjà la concession des mines qui vous permettait de ravitailler vos complices en Lapis oniris. Pourquoi avoir monté cette sombre machination pour éliminer une princesse qui se pliait à toutes vos volontés ?
Le comte secoua la tête et murmura :
-Vous ne pourriez pas comprendre. Je ne serais jamais retourné sur Solan où je n'étais qu'un rouage d'une affaire montée par Spirk. J'allais devenir roi, le premier personnage d'un territoire où tous me devaient obéissance. Je serais enfin devenu le maître d'une région, même si elle n'était peuplée que de primitifs. Etre le premier dans mon village me suffisait. Vous passerez votre vie à obéir à des supérieurs alors que moi j'allais devenir libre et maître de ma destinée !
Marc resta silencieux un instant. Plusieurs fois, il avait eu la tentation de se fixer sur une planète primitive pour échapper aux contraintes de la vie civilisée. Orbak eut une réaction désespérée. Il lança son arme inutile en direction de Ray et se rua en avant. Il franchit la porte et s'élança dans le couloir. Un instant, il eut l'espoir de réussir dans sa tentative insensée. Soudain un groupe d'émeutiers lui barra le passage. Un premier coup de poignard l'atteignit au thorax. Il voulut crier mais un flot de sang emplit sa gorge. Deux, trois, cinq coups le percèrent encore. Un nuage rouge brouilla sa vue et il glissa à terre. Un dernier choc ébranla son corps et il se sentit plonger dans un gigantesque trou noir.
CHAPITRE XVIII
Au soir de cette journée fertile en incidents, Marc avait été introduit dans l'appartement de la princesse où un dîner était servi. Aliva avait revêtu une longue robe bleue, toute simple.
Le duc Valmo était le seul autre invité. Tout en mangeant, Marc avait, une fois de plus, raconté les péripéties qui l'avaient amené à se substituer au duc. La princesse éclata de rire.
-Je commence enfin à comprendre ! s'exclama-t-elle. Messire Marc, je devrais vous punir pour m'avoir ainsi abusée.
Avec un sourire qui découvrait ses dents blanches, elle ajouta :
-J'ai été tellement heureuse de vous voir surgir à l'instant où le bourreau allait me fouetter que je ne saurais vous en garder rancune et je vous pardonne de grand coeur.
Se tournant vers Valmo, elle ajouta :
-Je n'oublie pas également que je vous dois ma délivrance. Nos pères avaient prévu notre destinée et je pense que nous devrions rapidement exaucer leurs désirs. Nous le ferons dès que notre situation sera établie.
Des éclats de voix retentirent derrière la porte et un garde parut, il s'inclina profondément devant Aliva et balbutia :
-Que Votre Majesté daigne m'excuser, mais la comtesse Orbak insiste pour être reçue et ne veut pas se retirer.
La princesse acquiesça après un instant d'hésitation.
-Introduisez la comtesse. Vous, messieurs, ne bougez pas.
La comtesse, vêtue d'une robe sombre, s'agenouilla devant Aliva, tête baissée, ne prêtant aucune attention aux deux hommes.
-J'ignore tout de ce que le comte, mon mari, a pu ourdir. Je sollicite seulement de Votre Majesté l'autorisation de me retirer sur mes terres qui sont des biens de ma famille, pour y dissimuler ma honte et mon chagrin.
Voyant Aliva hésiter, Marc se tourna vers la comtesse en s'exclamant d'un ton faussement joyeux :
-Chérie, j'ai gardé un merveilleux souvenir de notre soirée dans la vieille tour !
La comtesse releva vivement la tête et son teint devint grisâtre. Les yeux ronds, elle s'exclama :
-Marc, ce n'est pas possible. Tu es mort! Orso m'a juré qu'il t'avait poignardé et avait lancé ton corps par la fenêtre dans le fleuve !
-A ton âge, tu devrais savoir qu'il ne faut pas toujours croire les hommes, ricana le Terrien. Je pense qu'avant de regagner ton château dont je conserve également un très bon souvenir, il faudra rendre des comptes à la justice. Si ta mémoire devenait défaillante, je suis tout prêt à témoigner.
Livide, couverte de sueur aigrelette, la comtesse glissa à terre.
Aliva ordonna sèchement :
-Gardes, conduisez la comtesse dans une cellule. Ses juges l'interrogeront demain ainsi que le dénommé Orso et la femme de chambre. Allez!
Quand ils furent sortis, Marc sourit.
-Je pense qu'ils obtiendront assez facilement des aveux. Le mystère de la vieille tour sera éclairci, vous lavant de tout soupçon.
La princesse approuva distraitement de la tête.
-Il faut maintenant arrêter notre politique. Que me conseillez-vous ?
Le duc se lança dans une longue diatribe pour conclure :
-Ceux qui ont été mêlés de près ou de loin au complot d'Orbak doivent être châtiés. Cela prendra du temps mais toute la vérité doit éclater au grand jour.
Aliva demeura pensive un long moment.
-Est-ce votre avis, messire Marc ?
-Je ne suis qu'un chevalier de fortune venant d'un lointain pays et il m'est difficile de donner un avis sur des questions de haute politique.
-Vous avez cependant une idée, le pressa Aliva.
-M'autorisez-vous à parler franchement ?
-Je vous le demande et vous l'ordonne même !
Marc, après un instant de réflexion, lança très vite :
-L'intérêt du royaume est de retrouver rapidement le calme. Annoncer une longue enquête inquiétera beaucoup de gens qui risquent de devenir autant d'adversaires, d'autant plus dangereux qu'ils craindront pour leur existence. A mon humble avis, vous devriez dès ce soir annoncer la suppression des taxes exceptionnelles décidées l'autre jour au Conseil. Ce genre de proclamation réjouit toujours le peuple ! Destituez également le garde des Sceaux et le grand prévôt qui, nécessairement, étaient complices d'Orbak. Sans nul doute, vous découvrirez alors que l'argent des impôts filait directement dans leur bourse.
-Ensuite ? demanda la princesse le regard intéressé.
-Annoncez une amnistie complète et sans restriction à ceux qui vous prêteront serment d'allégeance dans les trois jours ! Ne craignant plus pour leur vie, ils s'empresseront tous d'abandonner le garde des Sceaux et le prévôt.
Le duc sursauta et éclata d'indignation.
-Vous laisseriez échapper au châtiment tous ces misérables comploteurs. Je pense qu'il faut commencer notre règne dans la justice et la clarté !
-Il risque d'être bref, ricana Marc. Des moutons qui craignent pour leur vie peuvent devenir dangereux.
La princesse se tourna vers Valmo et lui sourit :
-Votre âme est pure et noble et sans doute avez-vous raison. Toutefois, après avoir couché en prison et frôlé l'échafaud, je pense avoir beaucoup mûri. Mon père disait qu'il fallait toujours choisir entre le souhaitable et le possible. Nous adopterons la solution de messire Marc. Une justice sans doute incomplète mais rapide, suivie d'un oubli miséricordieux.
Avec un soupir, elle ajouta :
-Il reste encore un problème important à régler. C'est la situation de messire Marc. Quel emploi désirez-vous occuper à notre cour?
-Aucun !
Devant l'étonnement de ses deux interlocuteurs, il précisa :
-Même involontairement, j'ai été une pièce maîtresse dans le complot d'Orbak et vous devez me poursuivre avec la même sévérité que le garde des Sceaux !
Valmo s'insurgea aussitôt :
-Jamais je ne pourrais signer votre condamnation après le courage que vous avez montré aujourd'hui !
-L'ingratitude est le privilège des grands monarques, soupira Marc. Toutefois, rassurez-vous, ma grandeur d'âme n'ira pas jusqu'à poser ma tête sur le billot. Je vous demande de me laisser un jour de répit. Demain, avant l'aube, je quitterai Sippar.
-C'est de la folie, s'insurgea le duc. Où irez-vous si vous êtes traqué par la police ?
-Je retournerai dans mon très lointain pays.
Aliva darda un regard perçant sur Marc. Un lourd silence sembla s'éterniser. Puis un discret sourire étira les lèvres de la princesse.
-Je crois comprendre, messire Marc, il en sera fait selon son désir.
-Ainsi seront effacés les méfaits du comte Orbak, dit le Terrien. Maintenant, permettez-moi de me retirer. La journée fut rude et j'aimerais me reposer quelques heures avant le départ.
-Faites, chevalier, vos anciens appartements sont à votre disposition, je les ai toutefois fait débarrasser de la présence du prieur à qui j'ai offert l'hospitalité dans une cellule. Le duc aura besoin de son témoignage pour établir ses droits sans conteste possible.
La princesse se leva et se dirigea vers un secrétaire massif en bois sombre. Elle fit jouer plusieurs panneaux et sortit d'un tiroir dissimulé une petite bourse de cuir qu'elle tendit à Marc. Le Terrien eut un mouvement de refus mais Aliva insista.
-Prenez, je vous en prie, en souvenir de nous.
Par curiosité, Marc voulut regarder l'intérieur du sac mais la princesse l'en empêcha.
-Attendez! Promettez-moi de ne l'ouvrir qu'une fois de retour dans votre pays.
Le Terrien s'inclina et quitta la pièce tandis que la princesse s'écriait :
-Au travail, duc. Dès ce soir, nous devons faire notre première déclaration.
CHAPITRE XIX
Un léger bruit éveilla Marc. Il perçut le frôlement de pieds nus sur le carrelage. Il sentit un corps se glisser sous le drap et venir se lover contre lui. Il lui fut rapidement impossible de demeurer insensible à la main qui caressait doucement son torse. Aussitôt deux lèvres fraîches écrasèrent sa bouche. Sans plus chercher les raisons de cette bonne fortune, Marc se laissa emporter par le plaisir.
Beaucoup plus tard, lorsqu'il eut récupéré ses esprits, Marc se redressa. A ce moment un discret rayon de lune filtra à travers la fenêtre. La surprise fit hoqueter Marc en reconnaissant la chevelure blonde d'Aliva.
-Princesse, ... princesse, balbutia-t-il.
Elle lui mit doucement la main sur la bouche.
-Je ne voulais pas vous laisser partir sans vous prouver ma reconnaissance. Je regrette encore plus que vous ne soyez pas le vrai duc Valmo! Je sais que vous n'appartenez pas à notre monde, tout comme le comte Orbak.
Marc eut un haut-le-corps mais la princesse précisa :
-Sur son lit de mort, mon père en avait eu l'intuition. Malheureusement, il avait pensé que l'étranger était venu pour nous apporter plus de bonheur, à l'image de ses merveilleux poèmes, il n'en était rien mais vous êtes intervenu pour réparer ses méfaits. Non, ne protestez pas, Valmo m'a bien dit que sans votre aide il n'aurait sans doute pas osé agir.
Marc réfléchit rapidement et murmura :
-J'ai trop d'estime pour vous mentir. Ma planète tourne autour d'une de ces lointaines étoiles que vous devinez dans le ciel. Nous pouvons voyager mais nous nous interdisons d'intervenir dans les affaires des autres planètes. Orbak et ses complices ont enfreint cette règle pour piller vos gisements de pierres précieuses et également s'emparer des cristaux gris.
-Les « pierres du Diable » ! Nous les brisons chaque fois que nous en voyons.
-C'est une sage précaution car elles agissent comme une drogue.
-Qui êtes-vous réellement ?
-Une sorte de prévôt. J'ai été chargé d'éliminer ceux qui avaient contrevenu à nos lois. Maintenant mon suzerain attend mon retour.
-Peut-être reviendrez-vous un jour?
A regret, Marc dut briser ce dernier espoir.
-Certainement pas ! Maintenant il s'écoulera des siècles avant qu'aucun étranger ne se pose sur votre monde.
Caressant la joue d'Aliva, il sentit une larme couler sur sa main.
-Il nous faut nous quitter maintenant.
Elle l'étreignit une dernière fois, murmurant :
-Adieu ! Jamais je ne t'oublierai !
Marc resta un long moment immobile, la tête sur l'oreiller qui conservait l'odeur de la jeune femme.
-Il est temps de partir, intervint Ray. Le jour se lève dans deux heures, comment agissons-nous ?
Avec un soupir de regret, Marc répondit :
-Le plus simplement possible. Nous profiterons des nuages qui masquent la lune. Avec tes anti-grav nous sortirons par la fenêtre et tu me porteras au-delà des murs de la cité. Le module nous prendra au même endroit que la dernière fois.
Commençait pour Marc la partie la plus pénible de sa mission : abandonner brusquement ceux et celles qui, un instant, lui avaient accordé leur amitié ou leur amour.
***
Le sas de la soute du Neptune se referma avec un petit claquement. Aussitôt la pression rétablie, Marc sauta à terre. Son premier travail fut de se rendre au bloc sanitaire. L'Entameb était toujours dans sa cuve.
-Bonjour, Marc. Je suis heureux de constater que tu as accompli rapidement ta mission. Félicitations !
L'onde psychique était puissante et distincte.
-Merci, Noz. Désires-tu quelque chose?
-Je ne manque de rien.
-Dans ce cas, nous allons partir. Possèdes-tu les coordonnées galactiques de ta planète ? Le général Khov a omis de me les donner.
Noz émit une série de chiffres.
-Parfait !
Dans le poste de pilotage, Marc lança d'un ton joyeux un peu forcé :
-En route, Ray. Envoie également un rapport détaillé à l'ordinateur du service et indique que nous nous dirigeons vers la planète des Entamebs. Presse-toi car je ne désire aucunement rencontrer le bâtiment de la sécurité galactique. Son commandant serait capable d'imaginer que nous nous livrons à la contrebande de Lapis oniris.
Ray émit un petit ricanement :
-N'est-ce pas le cas ?
Dans la chambre du comte Orbak, Marc avait ordonné à l'androïde d'empocher le pistolaser et surtout de faire main basse sur le stock de Lapis oniris que le comte s'était patiemment constitué.
-Je pense que nous pouvons faire ce cadeau aux Entamebs.
CHAPITRE XX
Marc discutait avec Noz lorsqu'un appel de Ray retentit :
-Emergence du subespace dans huit minutes.
-Il me faut regagner le poste de pilotage, soupira Marc.
-En ta compagnie, ami, le voyage m'a paru bien court, émit Noz. J'en garderai un excellent souvenir.
Le Terrien s'installa dans le fauteuil relax à côté de l'androïde et boucla les sangles magnétiques. Le malaise provoqué par la transition s'atténuait lorsque la sonnerie de danger imminent retentit.
-Missiles au 120 annonça calmement Ray, ils sont bien échelonnés en trois vagues de deux.
-D'où proviennent-ils? grogna Marc.
-Un astronef est en orbite autour de la planète des Entamebs.
-Peux-tu l'identifier ?
-C'est le Castor du capitaine Spirk. Apparemment, il n'était pas à son rendez-vous avec la Sécurité Galactique !
Marc suivit un instant la progression des missiles.
-L'aviso vient de tirer une nouvelle salve suivant la même technique. Que décides-tu ?
Désignant sur l'écran une grosse planète rougeâtre, le Terrien demanda :
-Existe-t-il une atmosphère ?
-Hydrogène et méthane mais en quantité notable.
-Dirige-toi sur cette planète.
Ray amorça un virage. Les missiles pourvus d'une tête chercheuse modifièrent leur trajectoire. Marc savait qu'il ne pouvait leur échapper à moins de replonger dans le subespace. Toutefois, leur vitesse était trop grande pour qu'il ait le temps d'effectuer cette manoeuvre.
-Devra-t-on utiliser un C.I.S.E.E.? demanda Marc.
C'étaient des leurres perfectionnés qui donnaient une image thermique, volumique et magnétique exacte du Neptune, il convenait de le lancer puis de modifier brusquement son cap. Les missiles continuaient leur route croyant toujours pourchasser le même bâtiment.
-Nous ne tromperions que les deux premiers, émit à regret Ray. Les autres auraient le temps de virer. Ce capitaine connaît rudement bien son métier !
-A nous d'être aussi malin que lui ! Où en sont nos poursuivants ?
-Missiles à 20000 mètres !
-Accélère encore !
-Impossible, nos propulseurs sont au maximum de leur puissance.
Plusieurs secondes s'écoulèrent, angoissantes.
-Missiles à 10000 mètres. Ce sont les derniers modèles sortis et ils sont bien rapides. Je me demande où cette fripouille a pu se les procurer.
Maintenant la sphère rougeâtre occupait tout l'écran.
-Au moment où nous plongerons dans les couches denses de l'atmosphère, ralentis.
-Espérons que nous en aurons le temps, grogna l'androïde.
L'ordinateur continuait d'égrener.
-Missiles à 5000 mètres... 3000... 2000...
Enfin le Neptune atteignit l'atmosphère ouatée de la planète. La friction des molécules échauffait la coque, malgré le bouclier thermique. Rapidement le climatiseur fut inefficace et la température augmenta dans le poste de pilotage.
-Vire à 45° et ralentis, ordonna Marc, couvert de sueur.
Malgré les anti-g fonctionnant à pleine puissance, un voile noir obscurcit la vision du Terrien. Comme dans un rêve, il entendit Ray annoncer :
-Dix... onze... douze... le compte y est ! Du fait de leur grande vitesse, les missiles se sont volatilisés dans l'atmosphère comme de vulgaires étoiles filantes !
Marc s'essuya le front d'une main tremblante.
-A nous de riposter! Emerge de l'autre côté de la planète et envoie plusieurs salves selon la même technique.
Cette fois, ce fut l'aviso pirate qui fut surpris. Ayant enregistré sur ses écrans une série d'éclairs, le capitaine Spirk pensait être définitivement débarrassé de l'importun. Grand fut son étonnement de voir jaillir de l'ombre de la planète une série de missiles. Il perdit plusieurs précieuses secondes à tenter de localiser un adversaire qui restait dissimulé dans l'ombre de la planète. Quand il se résolut à brancher ses écrans protecteurs, il était trop tard. Les missiles merveilleusement réglés par Marc explosèrent simultanément amenant le générateur à la limite de la saturation, empêchant de relancer les propulseurs. Dix secondes plus tard, les projectiles de la deuxième vague arrivèrent. La batterie atomique déjà très affaiblie ne put résister à cette dépense d'énergie. Une explosion retentit, bientôt suivie de plusieurs autres.
Dans le poste de pilotage, Spirk, la bouche hérissée, contemplait les cadrans annonçant les avaries. Tous étaient au rouge.
-Ils paieront, rugit-il. Une salve de tous les lance-missiles dirigée sur la planète! Je veux qu'elle soit anéantie et...
Il ne put achever sa phrase. Une torpille frappa la coque du Castor qui fut transformée instantanément en un nuage irisé.
En voyant exploser l'astronef ennemi, Marc poussa un soupir de soulagement.
-Je ne m'habituerai jamais à ces combats, dit-il en s'épongeant le front. C'est pourquoi j'avais demandé ma mutation de la 1ère escadre galactique au S.S.P.P.
-Tu ne te débrouilles pas si mal, nota Ray.
Un chuintement léger les fit se retourner.
L'Entameb se glissait lentement dans le poste de pilotage.
-J'ai perçu que tu avais des soucis, Marc, et je venais me renseigner.
-Tout est terminé maintenant et nous nous dirigeons vers ta planète. A propos, j'ai une petite surprise pour toi.
-Je sais déjà, répondit ironiquement Noz. Je l'ai lu dans ton esprit et j'ai perçu la présence à bord de Lapis oniris. Au nom de tous les miens, je te remercie et je te promets que nous n'en parlerons jamais à ton Président. Nous louerons seulement ton dévouement et ta compétence.
Deux heures plus tard, le Neptune se satellisait autour de la planète des Entamebs. Noz mit ce temps à profit pour regagner sa baignoire et se réhydrater. Puis, aidé de Ray, il pénétra dans son scaphandre dont les fermetures furent bouclées.
Une fois dans le module, Ray enclencha le mécanisme d'expulsion. Rapidement, l'engin fut enveloppé par un brouillard opaque, laiteux.
Sur l'écran radar, Marc commençait à deviner les détails de la planète car l'observation en orbite n'avait révélé que d'énormes masses nuageuses et tourbillonnantes. La vision était effarante. Terre, eau, végétation, tout semblait se mélanger sans limites distinctes. Noz dirigea Ray.
-Posez-vous sur cette zone. C'est la plus élevée de la planète. Le sol est assez solide pour supporter votre engin.
-Je distingue plusieurs foyers d'énergie, nota Marc, mais rien n'est visible.
-Les quelques usines dont nous disposons sont nécessairement souterraines car nous ne voulions pas risquer de contaminer l'eau de surface qui est notre élément nourricier.
Le nodule atterrit sur une petite surface dégagée. L'androïde aida l'Entameb à descendre tandis que Marc déposait le sac contenant les Lapis oniris sur un sol humide et spongieux.
Il avait l'impression d'être au centre d'un gigantesque marais couvert de brouillard. Une végétation abondante aux formes torturées semblait jaillir de l'eau pour se perdre dans un ciel invisible. Par endroits, de grosses bulles venaient crever en surface avec un chuintement étouffé.
L'air nauséabond était si chaud et si humide qu'en une minute Marc sentit son corps se couvrir de sueur. Pendant ce temps, Noz était sorti de son scaphandre et avait glissé dans la mare la plus proche.
-Merveilleux, émit-il. Je me sens revivre. Ma planète est splendide. Ne trouvez-vous pas?
Marc éclata de rire.
-Tout est question d'appréciation! Moi, j'ai l'impression d'être plongé dans un sauna déréglé ! il sentit aussitôt que l'Entameb s'amusait à ses dépens. Par endroits, des cellules gigantesques apparaissaient, entourant Noz.
-J'espère que tu enregistres ta scène, murmura Marc. Le service pourra toujours la revendre à la télévision si elle a besoin d'un décor de cauchemar !
Soudain, plusieurs pensées frappèrent les neurones de Marc, entraînant un tourbillon d'images hétéroclites. Le phénomène cessa brusquement.
-Excuse mes compatriotes, émit alors Noz. Leur joie était si grande qu'ils ont oublié que ton esprit était différent du nôtre. Nous pouvons soutenir simultanément des centaines de conversations.
Plusieurs pseudopodes s'étirèrent et vinrent saisir le sac de Lapis oniris.
-Grâce à toi, notre race pourra continuer à exister. Toutefois, nous n'oublierons pas la leçon. Nous ne nous refermerons plus dans notre splendide isolement et nous préparons déjà une visite sur Terre pour rencontrer ton Président. J'espère avoir alors le plaisir de te contacter là-bas. Voici un message rédige dans ta langue, pour les autorités de ton pays. Nous remercions ton Président de son geste humanitaire et nous n'avons pas omis de faire ton éloge.
Un détail tracassait encore Marc.
-Pourquoi le capitaine Spirk se trouvait-il dans votre système ?
-Il rendait mes compatriotes responsables de la tentative d'arraisonnement effectuée par la
Sécurité Galactique. Il exigeait une énorme rançon en matériel et énergie. Sinon il menaçait de polluer l'eau par des missiles nucléaires. Ta vaillance nous a donc sauvés une seconde fois.
Après un instant, Noz reprit :
-Nous n'avons malheureusement rien à t'offrir qui convienne à ton organisme. Il est temps pour toi de repartir car la chaleur t'épuise et tu te déshydrates rapidement.
Un pseudopode jaillit de l'eau et déposa au pied de Marc un petit coffret.
-Adieu, ami, sache que tu seras toujours le bienvenu sur notre planète.
Marc remonta dans le module. Sa combinaison était humide de sueur. Avec amusement, il songea qu'il allait enfin pouvoir profiter du bloc sanitaire !
Sur l'écran central, la planète des Entamebs n'était plus qu'une petite sphère grisâtre qui semblait s'éloigner rapidement. Marc qui venait d'absorber coup sur coup trois grands gobelets de liquide revitalisant, soupira :
-Appelle le général. Je tiens à faire un rapport, sinon les grosses têtes des services vont encore prétendre que j'ai attaqué un innocent cargonef.
Après le petit ballet habituel des intermédiaires, le visage de Khov s'inscrivit sur l'écran. Ses traits étaient détendus et reposés.
-Mission accomplie, mon général. Les trois Solaniens qui restaient sur Hark ont été éliminés et j'ai reconduit l'Entameb sur sa planète. Ils m'ont remis un message pour le Président.
Malgré leur apparence, ce sont des créatures charmantes et foncièrement pacifiques.
-Excellent, dit le général qui affichait un air satisfait fort exceptionnel. La Sécurité Galactique a installé ses satellites tueurs et le trafic des Lapis oniris est coupé de sa source d'approvisionnement. Seul Neuman ne décolère pas. Le colonel Parker a laissé filer le Castor sous son nez. Ce capitaine Spirk a fort habilement manoeuvré. Dès son émergence du subespace, avant même de recevoir les sommations d'usage, il a ouvert le feu, obligeant le croiseur à maintenir son écran à pleine puissance. Il a profité de ce que Parker ne pouvait riposter et il a replongé dans le subespace. En ce moment, il doit bien rire de la Sécurité Galactique.
-Je ne le pense pas, mon général. Je voulais justement vous signaler que j'avais été attaqué dans le système des Entamebs par le Castor.
Les sourcils broussailleux de Khov se froncèrent.
-Alors?
Marc prit un air modeste.
-Le Neptune n'a pas la puissance d'un croiseur de la Sécurité Galactique et j'ai été contraint de riposter. Le navire pirate a été détruit. Toutefois, mon stock de missiles a été sérieusement entamé mais je pense que vous devriez en demander le remboursement à Neuman.
-Excellente idée, jubila Khov. Je vais l'appeler. Cela me distraira de voir la grimace qu'il fera en apprenant que mes équipages sont plus efficaces que les siens !
Après un instant de réflexion» le général ajouta à mi-voix :
-Mieux vaudrait cependant être discret et ne pas trop se vanter de cette victoire que nous mettrons sur le compte du hasard. Sinon Neuman insistera pour vous faire affecter à son Service. Or il a plus d'influence sur le Président que moi...
-Effectivement ! Je vous jure d'être d'une discrétion exemplaire. De plus, c'est Ray qui a effectué la plus grande partie du travail ! Moi, je crevais de frousse,
-N'exagérez pas, sourit Khov. Faites envoyer par Ray un rapport complet. Bien que votre mission sur Hark ait été très raccourcie, j'espère que nos spécialistes s'en contenteront et n'exigeront pas l'envoi d'autres agents. Moi, je pense que vous avez mérité votre permission. Venez me revoir dans trois semaines !
Avec an soupir, Marc allongea les jambes.
-Tu as entendu les ordres, Ray. Cap sur la Terre. Je ne serais pas mécontent de m'offrir un petit séjour dans un coin tranquille, pourvu qu'il y ait un bar et quelques serveuses.
Puisant dans la poche de sa combinaison de vol, il sortit la petite bourse de cuir donnée par Aliva.
-Je suis presque dans mon pays, murmura-t-il.
Il secoua le sac et une pierre tomba dans sa main. Elle était grossièrement taillée et brillait d'un vert resplendissant. Marc tenait la plus grosse émeraude qu'il lui avait jamais été donné de contempler.
FIN