Stimulé par cette découverte, Tand essaya de se mettre à la place de Solnikof. Il était seul pour effectuer le travail et devait être encombré par son invention. Logiquement il avait dû chercher une cachette proche du point d'atterrissage, car une marche prolongée au milieu de rochers pointus n'est pas exempte de dangers.

Un amoncellement de rocs se dressait à moins de vingt mètres. Sans hésiter plus, il se dirigea dans cette direction. Une fine poussière grise couvrait le sol et, malgré un examen attentif, il ne releva aucune trace permettant de le guider.

A cet instant, Ed se sentit submergé par une vague de désespoir. Il lui faudrait des semaines pour fouiller cet astéroïde, à supposer que Solnikof y ait jamais mis les pieds. Les traces qui un instant plus tôt lui avaient paru convaincantes pouvaient fort bien avoir été laissées par un autre astronef venu faire l'inventaire du système de Sirius.

Crrill ne disait rien mais était également désemparée par ce problème qui n'avait aucune solution logique. Anéanti, Tand se laissa tomber sur un rocher qui, malgré le faible poids relatif, oscilla. Intrigué, il l'examina de près. Il lui sembla apercevoir des cassures récentes. Il souleva alors sans effort l'énorme bloc qui, sur Terre, aurait pesé plus d'une tonne et le lança au loin. Aussitôt apparurent deux caissons métalliques recouverts d'une épaisse couche de matière plastique transparente. Ed entreprit de les dégager de la gangue de rochers qui les entourait. Il opérait lentement, prenant soin de ne pas s'accrocher aux arêtes tranchantes de la pierre, car il ignorait la résistance des scaphandres Xuls, et la moindre déchirure pouvait entraîner une brusque décompression mortelle.

Aidé de Crrill, il ramena sa trouvaille dans l'astronef. Sitôt débarrassé de son scaphandre, il entreprit d'inventorier le contenu des caissons.

-Ne devrions-nous pas repartir immédiatement? lança la jeune femme très inquiète. Dans le subespace vous aurez tout le temps nécessaire pour examiner votre découverte.

-Sur cet astéroïde, nous ne risquons pas d'être repérés, la rassura-t-il. Mieux vaut juger immédiatement de l'intérêt de ces caisses.

Il extirpa du premier coffre un tube métallique, long de deux mètres, empli d'une sorte de verre rouge, soigneusement protégé par un emballage antichocs. Du second caisson, il sortit une boîte rectangulaire, plusieurs gros câbles et une vieille sacoche de cuir emplie de papiers.

Crrill les feuilleta rapidement tandis que Tand examinait un schéma complexe montrant la manière dont devraient être effectués les branchements. Malheureusement, Ed craignit de ne jamais pouvoir y arriver, les explications étant manifestement destinées à des initiés. Une petite lettre manuscrite était jointe au schéma. D'une écriture hachée, difficilement lisible, Solnikof expliquait son origine et les raisons qui l'avaient obligé à dissimuler son travail :

« Les représentants de la Compagnie d'Exploitation Galactique, ne m'ont pas caché le désir qu'ils avaient d'acheter mon invention pour qu'elle ne soit pas exploitée. Cela leur permettra de poursuivre la vente fructueuse de leurs propres armes. Les contacts pris avec les militaires ont été décevants. Manifestement, certains d'entre eux ont été achetés par la Compagnie. Pourtant l'utilisation de mon superlaser éviterait des frais considérables et l'exploration spatiale. Espérons que ces imbéciles n'auront jamais à le regretter ! Ma vie étant menacée, je cache ici mon invention. Dès mon retour sur Terre, j'indiquerai les coordonnées de cet astéroïde à plusieurs amis sûrs. »

Apparemment, Solnikof n'avait pas eu le temps de mettre ce projet à exécution. Il concluait sa lettre :

« Peut-être mon secret sera-t-il perdu à jamais. Tant pis pour mes compatriotes qui ont été trop aveugles pour en bénéficier. Si quelqu'un trouve cette lettre, je lui abandonne volontiers mon invention, espérant seulement qu'il réussira là où j'ai échoué ».

« Solnikof »

A ce moment, Crrill murmura en reposant les feuillets couverts de symboles mathématiques complexes :

-C'est assez simple, mais très ingénieux.

-Cela ne semble guère vous étonner, remarqua Ed.

Elle eut un petit sourire malicieux.

Il y a fort longtemps que nous connaissons le principe de cet engin mais j'avoue que nous n'aurions jamais songé à lui donner ce genre d'application. Nous n'avons qu'un piètre sens du concret.

La jeune femme perçut aussitôt la demande de Tand.

-Naturellement, si vous le désirez, je peux vous montrer comment effectuer les branchements nécessaires au fonctionnement de cet appareil.

Ed aussitôt se mit au travail. Par deux fois il dut endosser un scaphandre et grimper sur la coque de l'astronef pour réaliser l'installation extérieure qu'il désirait. Enfin aidé de Crrill, il coupla le tube au radar central longue distance. Quand il eut terminé, il s'effondra, épuisé, sur le siège du copilote.

-Nous pouvons partir quand vous le désirerez, Crrill. Espérons seulement que Solnikof ne s'est pas trompé dans ses calculs.

L'astronef s'éleva rapidement dans le ciel noir.

-Attention, avertit Tand, cette région est parsemée d'écueils. Il ne s'agit pas de heurter un des minuscules astéroïdes qui gravitent sur cette orbite.

-C'était prévu, répondit la jeune femme. Dans trente secondes nous serons hors de la zone dangereuse.

A ce moment deux points brillants apparurent sur l'écran de contrôle.

-Une patrouille nous a repérés et nous prend en chasse, s'inquiéta Ed.

La jeune femme compulsa rapidement les données de l'ordinateur de vol et répondit :

-Nous aurons basculé dans le subespace avant qu'ils nous aient rejoints. Ce sont probablement des Terriens qui s'inquiètent de la soudaine apparition d'un appareil xuls. Cependant, s'ils étaient plus rapides que prévus et qu'ils nous interceptent, que décideriez-vous ?

-Jamais je ne me laisserai capturer vivant, gronda Ed. Seule votre sécurité pourrait me faire changer d'avis car je n'ai pas le droit de vous entraîner dans la mort.

-Il ne saurait être question pour moi de me rendre. Les Xuls doivent absolument ignorer qu'un Kalien a quitté sa planète ! Mais iriez-vous jusqu'à faire usage de votre nouvelle arme sur des compatriotes ?

-Je n'ai plus de patrie, Crrill ! Honneur, amitié, loyauté, tout a disparu avec le verdict d'un ordinateur !

La plongée dans le subespace fut si brutale qu'elle surprit Ed à demi assis et il perdit instantanément connaissance.

CHAPITRE XIII - LE GRAND VOYAGE

Le séjour dans le subespace devait durer près de huit jours terrestres, car Deneb est à six cents années-lumière du système de Sirius. Les trois premiers jours, Tand se sentit contracté, mal à l'aise. C'était la première fois qu'un Terrain parcourait une aussi longue distance sans escale et il se demandait si son organisme supporterait cette épreuve. Toutefois comme il ne ressentit aucun malaise grave, il songea qu'après tout les Xuls ne devaient pas être très différents des humains.

Le contrôle du pilotage s'effectuant automatiquement, Crrill et lui étaient désoeuvrés. La jeune femme avait absorbé beaucoup d'énergie sur Edénia et n'éprouvait aucune envie de dormir. Aussi questionnait-elle sans cesse Ed sur la vie et les coutumes terrestres.

Ed se sentait humilié de devoir périodiquement céder au sommeil. Un soir qu'il tombait littéralement d'épuisement, il demanda :

-Ne dormez-vous jamais, Crrill, sur votre planète ?

Elle le dévisagea, amusée.

-Effectivement, le sommeil n'est pas indispensable à notre organisme tant que nous ne sommes pas privés de nos sources d'énergie. Cependant, quelquefois nous y cédons par désoeuvrement ou pour mettre notre esprit en repos lorsqu'il a été soumis à de très vives tensions. Mais j'oubliais que vous êtes différent et je suis désolée de vous avoir autant fatigué. Reposez-vous avant que ma curiosité naturelle ne prolonge cette conversation.

Le septième jour, il était installé dans le poste de pilotage tandis que Crrill effectuait les vérifications de routine et sa silhouette harmonieuse le fit rêver. Crrill était la première femme qu'il voyait depuis plus de huit ans. Sur Edénia, le manque de compagnie féminine ne lui avait pas trop pesé car chaque fois qu'il songeait à l'amour il revoyait Line et la haine étouffait tout désir. Mais maintenant, la vue de ce corps fuselé, à peine dissimulé par la courte tunique, entraînait son esprit dans d'agréables tourbillons.

Ed s'interrompit brutalement en se souvenant que Crrill lisait dans les pensées.

-Inutile de rougir, dit-elle en éclatant de rire. Une femme, même sur Kal, est toujours flattée de sentir qu'un homme la désire.

-Percevez-vous ainsi toutes les pensées ? bredouilla le malheureux Tand.

-En général non, mais votre influx mental était si intense qu'il était impossible de l'ignorer.

Ed tenta de changer de sujet.

-Parlez-moi de Kal.

Pas dupe de la manoeuvre, Crrill répondit cependant :

-C'est une planète de type terrestre, la quatrième du système qui gravite autour de l'énorme soleil de Deneb.

-Etes-vous nombreux?

-Un million environ. Depuis longtemps nous nous efforçons de conserver un chiffre de population à peu près stable. Nous vivons environ deux de vos siècles et les maladies sont inconnues. Sans contrôle de la fécondité, nous serions des milliards et la vie serait devenue impossible. Il aurait fallu se lancer dans une politique de conquête de nouvelles planètes et inévitablement dans les conflits avec d'autres peuples de la galaxie, ce qui est incompatible avec notre philosophie de l'existence.

-Comment est composé votre gouvernement?

Elle parut surprise et amusée.

-Nous n'avons ni gouvernement, ni police, ni armée. Chaque citoyen est conscient et responsable de ses actes et nous vivons en parfaite communion intellectuelle. Lorsque nous devons prendre une décision importante risquant d'engager l'avenir de toute la planète, nous la discutons en écoutant les conseils des plus expérimentés et des plus sages d'entre nous.

-Le mariage existe-t-il?

-Pas au sens où vous l'entendez sur Terre. Lorsque deux individus se plaisent particulièrement ils décident de vivre ensemble. Si leur entente est parfaite ils peuvent alors désirer se reproduire. Les parents s'occupent de l'enfant sur le plan matériel jusqu'à ce qu'il devienne autonome, ce qui se produit en quelques années. Il n'y a pas besoin de centre d'éducation comme chez vous puisque son cerveau est en communication permanente avec tous les autres. Il apprend ainsi par une sorte d'osmose psychique.

Ayant perçu l'interrogation muette de Tand, Crrill reprit :

-Non, je n'ai pas encore trouvé de compagnon. Sur Kal mes amis me trouvent un peu fantasque et aventureuse. Beaucoup ont approuvé ce projet de voyage à travers la galaxie mais aucun n'a eu le désir de m'accompagner.

-Ce sont tous des lâches !

-Pas exactement. Pendant des siècles, nous avons vécu heureux et sans problème, persuadés qu'aucun autre mode de vie ne saurait être plus agréable que le nôtre. Ainsi tout instinct de conservation et de défense a été aboli. C'est pourquoi nous avons été incapables d'opposer la moindre résistance aux Xuls. Je sens que vous nous jugez sévèrement, mais il faut avoir vécu sur Kal pour comprendre.

Elle poursuivit après un instant de réflexion :

-N'oubliez pas que nos organismes sont différents des vôtres. Nous sommes libérés de toutes les contingences matérielles qui encombrent encore vos existences. Manger, boire, dormir, lutter contre le chaud, le froid ou même les passions, n'existent pas pour nous. Périodiquement, une séance d'exposition aux radiations nous suffit. Nous n'attachons aucun intérêt aux biens matériels que nous savons pouvoir nous procurer quand nous le désirons. Nos seuls plaisirs sont intellectuels et nous sommes tous en communication permanente.

Tout cela dépassait l'entendement de Tand qui se garda de porter le moindre jugement.

-Avez-vous une grosse industrie ?

-Seulement des centrales énergétiques fonctionnant automatiquement et quelques usines disséminées sous terre. Avant l'arrivée des Xuls, nous pouvions dire que Kal n'était qu'un magnifique jardin d'agrément.

-Mais vous devez avoir également des mines pour vous fournir les matières premières indispensables.

-Non ! Les centrales se ravitaillent elles-mêmes en plongeant dans les entrailles de la planète et toutes les matières sont synthétisées à partir de l'énergie fournie. Nous fabriquons nous-mêmes les objets usuels à partir de notre propre énergie.

Sentant que son interlocuteur perdait pied, elle précisa :

-Imaginez que j'ai envie d'un anneau d'or comme en portent les Terriennes. Regardez.

Crrill se concentra et au centre de la cabine l'air parut s'embraser. La lumière était si vive que Tand ferma une seconde les yeux. Quand il les rouvrit un petit cercle métallique flottait dans l'air. Il voulut le saisir mais Crrill le prévint :

-Attention, il est encore très chaud !

-Pourriez-vous créer des objets plus complexes ?

-Naturellement, il suffit d'en connaître la composition et le schéma, mais cela est impossible dans l'espace restreint de cette cabine en raison de l'intense dégagement de chaleur. De plus la dépense d'énergie est évidemment proportionnelle à la taille et à la complexité de l'objet désiré et dans cet astronef je ne puis me « nourrir » convenablement. Les radiations de Kal me sont indispensables.

La démonstration de Crrill impressionna vivement Tand qui jusqu'à présent l'avait considérée comme une jeune Terrienne à la peau légèrement bleutée. Maintenant il prenait conscience de l'énorme différence séparant les deux races.

-Reposez-vous, conseilla gentiment la jeune femme, dans quelques-unes de vos heures nous allons émerger dans l'espace normal et la transition malmènera votre organisme.

Cette précaution ne fut pas vaine. En effet, la transition après une aussi longue traversée subspatiale s'avéra d'une brutalité inouïe. Malgré toute sa volonté, Ed ne put retenir un gémissement avant de s'évanouir.

Lorsqu'il rouvrit les yeux, un soleil brillant d'un éclat insoutenable occupait tout l'écran.

-N'avons-nous pas émergé trop près ? s'inquiéta-t-il aussitôt.

-Non, Ed, mais Deneb est beaucoup plus volumineux que votre vieux soleil. Dans moins d'une heure, nous nous poserons sur Kal, si les Xuls ne nous interceptent pas.

Par prudence, Tand brancha tous les détecteurs mais le ciel semblait vide. L'arrivée était prévue dans onze minutes et déjà Ed distinguait nettement Kal. De vastes océans couvraient les deux tiers de la planète.

-Il existe deux continents principaux, expliqua Crrill, pratiquement à l'opposé l'un de l'autre. Le premier est dans l'hémisphère nord, le second dans l'hémisphère sud, escorté de plusieurs chapelets d'îles. C'est au sud que les Xuls ont installé leur base. Nous atterrirons donc au nord.

Un signal d'alarme se déclencha brusquement. Trois astronefs furent signalés par les détecteurs. Le télécommunicateur se mit à vibrer. Crrill appuya sur une touche et un écran s'alluma. Un Xuls, coiffé d'un curieux casque descendant jusque sur la nuque lança une phrase incompréhensible. Le visage, triangulaire avec des traits accusés était nettement humanoïde, mais la couleur verte de la peau et les yeux très jaunes les distinguaient de toutes les créatures que Tand avait pu rencontrer jusqu'ici.

Le Xuls répéta sa phrase.

-Que dit-il ? demanda Ed. ,

Crrill dont la peur était perceptible traduisit :

-Ici commandant Tux, donnez immédiatement votre origine et votre code de mission !

Les réflexes de Tand jouèrent aussitôt. D'un regard il s'assura que seul le récepteur était branché. Ainsi l'ennemi ne les avait pas encore identifiés.

-Nous ne pouvons que nous rendre, gémit la jeune femme. Contre ces trois avisos de combat puissamment armés, nous n'avons aucune chance de nous en tirer.

Sans même répondre, Ed saisit les commandes manuelles et modifia sa trajectoire pour amener l'astronef ennemi le plus proche dans l'axe de tir du laser de Solnikof. Les mâchoires serrées, le coeur battant à se rompre, il appuya sur le contact. Une fraction de seconde il eut l'angoissante impression que rien ne s'était produit. Brusquement l'appareil Xuls parut se transformer en un nuage gazeux. La coque percée de part en part, la décompression brutale avait fait littéralement exploser l'aviso.

Sans perdre un instant, Ed visa le deuxième astronef qui subit le même sort moins de dix secondes après le premier. Il n'eut pas le temps de se réjouir de ce succès pourtant inespéré.

-Attention ! hurla Crrill, le dernier vient de lancer deux torpilles atomiques.

Les mains crispées sur les commandes, Ed effectua une série de manoeuvres brutales qui firent gémir la coque de son appareil. L'une après l'autre, les deux torpilles touchées par le rayon Solnikof explosèrent.

Reprenant son cap initial, Ed ajusta une dernière salve et le troisième navire Xuls se volatilisa.

Crrill, sidérée, fixait l'écran soudain vide. La voix pressante de Tand la tira de la léthargie où la brutalité de l'action l'avait plongée.

-Branchez l'émetteur, le son seulement pour laisser croire qu'il est à moitié détraqué et répétez ceci en Xuls d'une voix hachée.

La jeune femme obéit machinalement.

-Ici, commandant Tux... avons détruit astronef non identifié... sommes gravement touchés... essayer de me poser...

D'un mouvement sec, Ed coupa le contact.

-J'espère, expliqua-t-il, que les Xuls, en voyant sur leurs écrans un appareil descendre, penseront que c'est celui de Tux.

Utilisant toujours le pilotage manuel, Tand piqua sur l'hémisphère nord et bientôt il fut au-dessus de l'océan.

-Ralentissez, conseilla Crrill, nous allons nous écraser !

Ed secoua la tête.

-Je veux donner l'impression que l'appareil s'abîme dans l'océan, pour couper court à toute recherche.

Au dernier instant, il enclencha toutes les rétrofusées et la décélération intense amena un voile noir devant ses yeux.

CHAPITRE XIV - KAL

Quand Tand récupéra un minimum de vision, l'astronef contrôlé par Crrill survolait de grosses vagues couvertes d'écume blanchâtre, à une dizaine de mètres d'altitude.

La jeune femme grimaça un sourire.

-Je n'arrive pas à comprendre comment nous sommes toujours en vie. Jamais je n'aurais été capable d'agir avec autant de courage et de décision.

Ed s'essuya le front d'un revers de manche car la sueur lui piquait les yeux.

-Indiquez-moi le cap à prendre. Nous nous congratulerons lorsque nous serons à l'abri sur la terre ferme.

Crrill le guida et bientôt l'appareil survola une côte découpée, de toute beauté. Des roches rouges constituaient une falaise abrupte mais, par endroits, laissaient place à de petites étendues de sable d'or.

-Autrefois, dit Crrill, nous aimions souvent aller nous baigner sur ces plages.

Les falaises franchies, l'appareil s'engagea à l'intérieur des terres et survola une vaste étendue où les forêts alternaient avec des prairies parsemées de fleurs multicolores.

-Nous ne tarderons plus à arriver à destination, annonça Crrill.

Comme Ed s'étonnait de ne pas découvrir d'agglomérations importantes, elle expliqua :

-Nous n'avons pas bâti de villes comme sur votre Terre. Nous préférons vivre dans des maisons individuelles. Selon les affinités du moment, quelques personnes peuvent se grouper mais cela ne dépasse jamais une dizaine d'habitations. Pourquoi s'entasser et se gêner alors que nous pouvons toujours être en communication mentale avec qui nous plaît, d'un bout à l'autre de la planète. De grandes amitiés se sont ainsi nouées alors que les protagonistes ne s'étaient jamais vus au sens propre du terme.

-Où allons-nous ? demanda Ed soudain inquiet.

-Dans ma demeure ; c'est autour d'elle que ce sont réunis les principaux partisans de l'action anti-Xuls.

-D'autres Kaliens, en dehors de vos amis, sont-ils au courant de vos projets ?

-Naturellement ! Nous n'avons de secret pour personne. Les uns nous désapprouvent, les autres sont indifférents mais tous sont trop attachés à la notion de la liberté individuelle pour nous empêcher d'agir comme nous le désirons. Ce n'est que dans le cas où notre action risquerait de mettre en jeu l'existence même de Kal qu'il nous faudrait une approbation générale.

Crrill désigna un petit point à l'horizon.

-Voilà ma maison, vous pouvez vous préparer à descendre.

-Un instant, protesta Ed, il est impossible de laisser notre astronef devant votre porte comme un véhicule ordinaire. Il sera repéré par la première patrouille Xuls venue. Il faut le dissimuler soigneusement, car c'est la seule arme dont nous disposons. N'existe-t-il pas des grottes ou de profondes excavations qui pourraient l'abriter ? Une épaisse couche de roc suffit en général à tromper les détecteurs ordinaires.

La jeune femme réfléchit un instant.

-Vous avez raison ! Naïvement, je pensais qu'une fois sur Kal tous nos problèmes seraient résolus. Virez au nord ! Dans une centaine de kilomètres vous apercevrez une chaîne montagneuse. Autrefois nous aimions souvent nous y promener.

Ed suivit ses instructions et bientôt apparut une étroite vallée verdoyante entourée d'imposantes montagnes aux sommets enneigés.

-Laissez-moi les commandes, demanda Crrill, car il faut bien connaître la région pour ne pas heurter un rocher.

Tand acquiesça et redevint un simple spectateur. La jeune femme réduisit encore la vitesse de l'astronef et s'engagea dans une gorge étroite au fond de laquelle descendait un torrent écumant.

Ed admira les performances de ce simple appareil de reconnaissance Xuls qui se laissait manier comme un hélimob. Les avisos terriens, après avoir pénétré dans l'atmosphère, devaient se poser au plus vite sur un astroport.

Les parois verticales de la gorge se rapprochaient dangereusement, et Ed eut du mal à dissimuler ses craintes car l'astronef, pour évoluer à une vitesse aussi basse, devait se servir uniquement de ses moteurs auxiliaires, grands consommateurs d'énergie. Or, après le détour par Sirius, les réserves étaient au plus bas.

Soudain la gorge parut se terminer en cul-de-sac. Il ne leur restait plus qu'à rebrousser chemin en espérant que les réserves d'énergie seraient suffisantes ! Crrill ne parut pas se soucier de ce détail et, très lentement, longea la paroi. Enfin, derrière un éperon rocheux, l'entrée noire d'une caverne apparut.

Sans hésitation, Crrill y engagea l'astronef après avoir allumé ses projecteurs. La caverne était beaucoup plus vaste que son entrée étroite l'avait laissé prévoir et la jeune femme posa doucement l'astronef sur le sol. Ed ne put retenir un soupir de soulagement.

-Ici nous sommes protégés par plus de mille mètres d'épaisseur de roc et de glace. Le détecteur le plus perfectionné ne pourra repérer l'astronef.

Après une ultime vérification des moteurs Crrill sourit à Ed.

-Venez, vous allez enfin faire connaissance avec Kal.

Une obscurité totale régnait dans la caverne et Ed prudemment se dirigea vers la sortie. Soudain Crrill, interloquée, lui demanda :

-Je croyais que les pauvres humains ne pouvaient voir dans le noir.

-C'est en général exact, mais moi j'ai subi un entraînement très particulier, ricana-t-il en songeant à son séjour dans le cachot.

La jeune femme qui avait lu dans ses pensées murmura :

-C'est horrible ! Comment peut-on imaginer pareil supplice? Je suis heureuse de vous avoir emmené ici.

Elle lui prit doucement la main.

-Laissez-vous guider, car il existe des failles assez traîtresses qu'il faut connaître.

Ils atteignirent rapidement le seuil de la caverne. Le soleil paraissait immense mais l'air était frais et Tand régla le thermostat de la combinaison isotherme qu'il avait récupérée dans l'astronef pour remplacer la sienne fort usée. Après un séjour prolongé dans un espace confiné, il prit plaisir à respirer l'air vif de la montagne. Ils se dirigèrent vers une petite plate-forme surplombant la vallée de plusieurs centaines de mètres. Les parois abruptes ne laissaient espérer aucune possibilité de descente.

Un instant, il admira la beauté sauvage du paysage. Les sommets étaient d'énormes glaciers brillants de mille feux sous le soleil de Deneb. De petits torrents jaillissaient des montagnes et ruisselaient écumant pour rejoindre le fond de la gorge. Rapidement, les préoccupations matérielles remplacèrent la poésie.

-Comment allons-nous sortir d'ici? s'inquiéta Tand.

La jeune femme ne répondit pas, gardant les yeux fermés. Plusieurs minutes s'écoulèrent avant qu'elle dise :

-Je suis entrée en contact télépathique avec mes amis. Ils viennent immédiatement nous chercher.

Crrill entreprit de lui nommer plusieurs sommets.

-Celui-là, dit-elle, à neuf mille mètres d'altitude est le plus haut sommet de Kal. Avant l'arrivée des Xuls, j'aimais me rendre là-haut. La vue est d'une beauté surprenante et je voudrais être la première à vous la faire découvrir.

La conversation fut interrompue par l'arrivée d'un curieux engin volant. C'était une plate-forme rectangulaire couverte d'une coupole plastique transparente, se déplaçant rapidement sans aucun bruit.

-Nous appelons ce véhicule un tran, expliqua Crrill. Il se propulse par antigravité et n'est absolument pas polluant.

-Construisez-vous ces engins uniquement par concentration psychique ? demanda Ed.

Un sourire étira les lèvres bien dessinées de la jeune femme.

-Cela serait faisable mais long et assez fatigant. Nous possédons quelques usines souterraines entièrement automatiques qui nous fournissent les objets de consommation courante.

L'appareil se posa en douceur sur la plate-forme et trois hommes descendirent. Ils étaient grands, vêtus d'une simple combinaison blanche. Leur peau avait les mêmes reflets bleus que celle de Crrill et leurs cheveux étaient également blanc argenté. Ils s'immobilisèrent à deux pas de la jeune femme, les yeux mi-clos. En quelques secondes elle leur transmit toutes les informations recueillies pendant son voyage et leur narra son retour mouvementé sur Kal.

Ed sentit plusieurs pensées entrer en contact avec son cerveau. Grâce à Crrill, cette intrusion lui était maintenant familière mais il fut cependant surpris par l'arrivée simultanée de trois messages. Il réussit à se décontracter suffisamment pour percevoir les souhaits de bienvenue et les félicitations des Kaliens pour sa victoire aérienne.

Sans plus attendre, ils embarquèrent sur le tran qui s'éleva rapidement. Toujours curieux, Ed examina le tableau de bord de l'appareil, mais la technologie kalienne était trop différente de ce qu'il connaissait et il n'arriva pas à comprendre les modalités du pilotage.

L'appareil se posa près d'une élégante construction blanche sans étage. Tand n'eut pas le loisir de la contempler car, à la suite de Crrill, il fut conduit dans une curieuse pièce circulaire uniquement meublée de vastes coussins bleus.

Une jeune femme vêtue comme Crrill d'une tunique sans manches, les attendait. Son corps était d'une beauté resplendissante. Le visage, aux traits réguliers, était fort avenant; cependant, Ed ne lui trouva pas un charme comparable à celui de Crrill.

Tout le monde s'installa sur les coussins qui, à la grande surprise de Tand se modelèrent selon la forme de son corps et lui parurent plus confortables que le meilleur des sièges terrestres.

La conversation qui s'engagea aurait pu sembler hallucinante à tout observateur non averti. Chaque interlocuteur était immobile, les yeux mi-clos et nul bruit n'était perceptible. Cependant, chacun recevait en même temps la pensée de tous les autres. Pour ménager le cerveau fragile de Tand, il fut convenu que seule Crrill lui transmettrait l'essentiel des idées échangées.

Il apprit ainsi que depuis le départ de la jeune femme, la situation sur Kal avait sérieusement empiré. Les Xuls avaient construit une base très importante et de nombreux astronefs se posaient et décollaient chaque jour. Manifestement, en prévision d'une nouvelle bataille contre l'Union Terrienne, ils accumulaient des renforts.

-Malheureusement pour nous, poursuivit Crrill, leurs besoins en main-d'oeuvre croissent chaque jour et la plus grande partie de la population de l'hémisphère sud a déjà été réduite en esclavage. Les Xuls ont remarqué que nous sommes d'une race physiquement très forte, ne consommant que de l'énergie et pouvant s'adapter à des conditions climatiques très rudes. Aussi songent-ils à déporter des Kaliens sur d'autres planètes déjà conquises et beaucoup moins agréables que Kal. Les premiers départs doivent avoir lieu incessamment. De plus, il est à craindre que les Xuls envahissent rapidement l'hémisphère nord pour se procurer de nouveaux esclaves.

Ed pria Crrill de s'interrompre un instant car il n'arrivait pas à assimiler les données qui lui avaient été fournies en quelques secondes.

-Excusez-moi, sourit-elle, dans mon énervement j'ai pris un rythme trop rapide.

Tand secoua la tête.

-Vous pouvez continuer. Il faut que j'arrive à me roder à vos habitudes.

-Donc, mes compatriotes ont enfin réalisé le danger que constituent les Xuls et sont maintenant tous d'accord sur le principe d'une lutte active, mais ils ne savent absolument pas comment procéder car la notion de guerre leur était jusqu'à maintenant inconnue. L'arme que vous avez apportée suscite de grands espoirs, mais ils ignorent comment l'utiliser. Pensez-vous qu'en dirigeant votre tube sur leur base, nous réussirions à l'anéantir ?

-Certainement pas ! Malgré son efficacité, vous n'arriveriez qu'à en détruire une partie. Les Xuls auront le temps de riposter et les avisos de combat de prendre l'air. Il ne leur faudra pas trente secondes pour localiser l'origine de l'attaque et les fusées atomiques pulvériseront toute la région.

Les trois Kaliens avaient perçu la réponse en même temps que Crrill et une vive déception se peignit sur leur visage. Naïvement, ils avaient cru résoudre en un instant leur problème.

Ed fut contrarié de leur peine mais il n'avait pas voulu les laisser s'engager dans une aventure qui aurait eu des conséquences dramatiques pour toute la planète. Il sentit cependant qu'il était de son devoir de les aider, aussi demanda-t-il :

-Etes-vous en communication psychique avec des Kaliens prisonniers?

-Naturellement, répondit Crrill. Les Xuls n'ont pas encore découvert que nous sommes télépathes.

-Vos compatriotes peuvent-ils lire dans leurs pensées comme vous plongez dans les miennes ?

-Oui, mais ils ne le font que très prudemment pour ne pas donner l'éveil et seulement lorsque les Xuls n'ont pas de barrage mental. C'est heureusement assez fréquent car ils ne se méfient pas de nous.

Tand réfléchit un instant, dépassé par l'ampleur de la tâche. Comment conseiller ses amis alors qu'il ignorait tout de l'ennemi à combattre ?

-Pour commencer, dit-il, je pense qu'il faudrait obtenir un plan détaillé de la base Xuls et des renseignements sur son armement. Ensuite demandez à vos compatriotes s'ils peuvent fabriquer rapidement d'autres lasers Solnikof. Cela devrait être faisable puisque vous en possédez les plans.

Deux des hommes se levèrent aussitôt.

-Ils vont faire le nécessaire, dit Crrill, et dans quelques heures vous aurez les réponses à ces questions.

-Il existe encore un problème essentiel, ajouta Ed. Détruire la base ne suffira pas à vous libérer. Les Xuls disposent maintenant d'autres positions dans notre galaxie et très rapidement une armada d'astronefs attaquera Kal. Si les Xuls n'arrivent pas à effectuer un nouveau débarquement, ils n'hésiteront pas à vous écraser sous un déluge de projectiles atomiques.

-Pourquoi effectueraient-ils un acte aussi barbare? demanda ingénument Crrill.

Ed esquissa un sourire triste.

-Aucun état-major ne peut mener une offensive d'envergure sans avoir neutralisé tout ce qui peut menacer ses arrières. Comprenez bien qu'avant d'agir contre la base, il faut que vous ayez les moyens de repousser toute offensive venant du ciel. Pour vous l'idéal serait que l'écran protecteur imaginé par vos ancêtres soit réellement efficace !

Crrill s'entretint tin long moment avec les trois Kaliens qui s'apprêtaient à partir. L'autre jeune femme qui ne s'était guère manifestée jusque-là entra en contact avec Ed.

-Bonjour ! Je m'appelle Tzil et vous me plaisez terriblement. Quel dommage que nos organismes soient si dissemblables. Mais qui sait, peut-être pourrions-nous arriver au plaisir ? Je suis certaine que Crrill n'y a pas pensé !

Cette dernière qui avait dû percevoir la conversation se manifesta aussitôt fort sèchement :

-Laisse le Terrien tranquille ! Il a besoin de se reposer.

-Avec toi, protesta Tzil, ce n'est jamais le moment. C'est pour ça que tu n'as jamais...

Les impulsions mentales de Crrill furent si intenses qu'elles imposèrent le silence à sa compatriote.

Ed était réellement épuisé par sa journée. Aussi se laissa-t-il conduire sans commentaire dans une pièce obscure et il s'effondra sur le lit que Crrill lui désignait. Avant de sombrer dans un sommeil profond, il perçut un appel très bref de Tzil, chargé d'images voluptueuses.

CHAPITRE XV - PREPARATIFS

Crrill posa doucement la main sur l'épaule de Tand et le secoua légèrement. Elle ne pouvait maîtriser une certaine émotion chaque fois qu'elle voyait le jeune homme. Pourtant, songea-t-elle, avec sa peau rosée, ses cheveux noirs et son visage émacié, dévoré par ces drôles de poils, il n'a rien de spécialement attirant.

Ed ouvrit les yeux et lui sourit.

-Levez-vous, dit-elle, plusieurs amis vous attendent.

Elle lui désigna un grand verre empli d'un liquide rose.

-Je suis retourné cette nuit à l'astronef mais, malheureusement, vous aviez épuisé vos provisions. Cette mixture est tout ce que j'ai pu synthétiser en quelques heures. Cela ne sera probablement pas très bon mais ce liquide contient tous les éléments dont votre organisme a besoin.

Confiant, il but jusqu'à la dernière goutte le breuvage assez insipide, fade, avec un arrière-goût de framboise, puis ils retournèrent dans la même pièce que la veille. Cette fois une quinzaine de Kaliens étaient rassemblés. Certains paraissaient beaucoup plus âgés que Crrill ou ses amis. La jeune femme désigna deux Kaliens assis au premier rang.

-Voici Oxp et Wef, nos deux meilleurs physiciens. Nous avons réfléchi toute la nuit et nous pouvons répondre aux questions que vous nous avez posées hier. Ensuite, nous attendrons vos décisions.

-Un instant, protesta Ed. J'ai une immense dette de reconnaissance envers Crrill qui m'a accepté à son bord et envers vous tous qui, sans discussion, m'avez offert l'hospitalité sur votre planète. Si une attaque est déclenchée contre les Xuls, je demande à en faire partie, mais je ne peux absolument pas diriger la révolte. Sur Terre je n'étais que lieutenant et hier j'ai participé pour la première fois à un vrai combat. Je n'ai ni les connaissances, ni l'expérience nécessaire pour commander une troupe. Chacun d'entre vous m'est infiniment supérieur dans tous les domaines.

Oxp l'interrompit. C'était le doyen des savants, âgé de près de deux siècles et fort respecté de tous les Kaliens.

-Nous savons tout de vous, Tand, y compris la punition cruelle et injuste que les Terriens vous ont infligée. Cependant, ne mésestimez pas vos ressources. Vous possédez cet instinct guerrier que nous, Kaliens, avons complètement perdu. Vous seul pouvez nous guider. Si nous réussissons à chasser les Xuls de Kal, nous vous promettons de mettre ensuite nos techniques à la disposition de l'Union Terrienne pour l'aider à combattre.

Sentant que l'argument n'était pas suffisant, il ajouta :

-Nous vous fournirons également ce que vous désirerez pour vous permettre de tenir le terrible serment que vous avez prononcé sur Edénia.

Ed pâlit brusquement. Un moment il avait cru pouvoir tout oublier en arrivant sur cette planète inconnue mais il avait suffi d'une allusion pour qu'il sentît remonter la haine féroce tapie au fond de son cerveau :

-D'accord, murmura-t-il d'une voix sourde, mais je me réserve la possibilité de renoncer si l'ampleur de la tâche me dépasse.

-Parfait, mettons-nous donc au travail ! s'exclama aussitôt Oxp. Pour vous permettre de mieux comprendre, nous avons réalisé une carte en relief de la base xuls.

Sur un signe du doyen, un assistant déplia un long document, hérissé d'aspérités.

-Ici vous avez l'astroport, là les hangars abritant les appareils. A côté se trouvent les ateliers de réparation et les dépôts de pièces et munitions.

Il poursuivit ainsi la description minutieuse de la base.

-Comment est-elle protégée ? coupa Ed avant que Oxp ne l'accable d'un flot de détails inutiles.

-Il existe, à la périphérie, huit points d'appui. Chacun dispose de batteries de missiles antifusées et antiastronefs pour la défense et la riposte en cas d'attaque aérienne. De plus, une garnison d'une centaine d'hommes, armés de désintégrateurs lourds et de fusils thermiques, assure la protection contre une invasion terrestre. La façon dont sont disposées les redoutes leur permet de se couvrir mutuellement. Enfin, trois astronefs sont en permanence sur orbite basse prêts à intervenir à tout moment. C'est une patrouille de ce genre que vous avez anéantie.

-Savez-vous quelle a été la réaction des Xuls?

-Ils pensent qu'il s'agit non d'un astronef terrien, mais d'un appareil de reconnaissance venant de leur propre galaxie. Votre ruse a réussi et ils sont persuadés qu'il a été détruit par le commandant Tux.

Tand examina un long moment la carte avant de demander :

-Savez-vous pourquoi votre écran protecteur n'a pas fonctionné?

Ce fut Wef qui répondit :

-Je m'étais posé la question depuis longtemps et je crois avoir trouvé. Il ne m'est pas possible de vous expliquer la nature de la ceinture de radiations qui entoure la planète. Normalement, elle devait faire exploser tout astronef la traversant. L'échec est dû à une particularité des moteurs atomiques xuls. Ceux-ci créent autour de l'appareil un champ de radiations. Le hasard a voulu qu'elles interfèrent avec les nôtres, les annihilant. Cela ne se serait pas produit avec un astronef terrestre, par exemple.

-Pouvez-vous remédier à ce défaut ?

-Je le crois. Heureusement le générateur est situé dans notre hémisphère et nous pouvons modifier ses caractéristiques. Au lieu d'avoir une fréquence et une longueur d'onde constantes, nous ferons varier l'une et l'autre. Ainsi, quelles que soient les caractéristiques des moteurs, l'interférence sera trop brève pour les protéger.

-Combien de temps ces modifications prendront-elles ?

-Quatre jours tout au plus. Les plans sont déjà prêts et nous serons plusieurs milliers à y travailler.

-Avez-vous examiné le laser Solnikof?

La pensée de Oxp se substitua à celle de Wef dans l'esprit du Terrien.

-Le procédé est ingénieux mais assez primitif. Si vous le voulez, pour un encombrement égal nous pouvons augmenter sa puissance et sa portée ou si vous le préférez il peut être miniaturisé de façon à lui donner la maniabilité d'un fusil thermique.

Ed réfléchit un instant, les yeux fixés sur le plan de la base.

-Il faudrait une vingtaine de tubes grande puissance montés sur des trans, avec système de visée incorporé.

-Cela ne posera aucune difficulté. Ensuite ?

-Plusieurs milliers de fusils-lasers seront indispensables. Pouvez-vous les fabriquer ?

La réponse lui parvint, instantanée.

-Certainement ! La totalité de mes compatriotes est décidée maintenant à chasser les Xuls et tout ce que vous avez demandé sera prêt avant trois jours !

Sidéré, Tand songea que si ce peuple avait été belliqueux, il aurait pu conquérir toute la galaxie grâce à sa prodigieuse avance scientifique. Naturellement, Oxp avait perçu sa pensée et un sourire discret éclaira son visage.

-Effectivement, Terrien, nos ancêtres auraient pu devenir des envahisseurs, mais ils ont eu la sagesse de rester chez eux et ce n'est pas ce que nous avons appris sur les mondes extérieurs qui nous fera changer d'avis. Seules des circonstances exceptionnelles ont pu, bien malgré nous, nous amener à combattre.

Les Kaliens sortirent, annonçant qu'ils reviendraient demain à la même heure pour l'informer de l'avancement des travaux.

Epuisé, Ed se laissa tomber sur le siège le plus proche, s'essuyant le front d'une main tremblante. Tout lui paraissait irréel. Il passa le reste de la matinée à étudier la carte de la base xuls, échafaudant mille plans.

Absorbé par son travail, il n'avait pas remarqué Crrill restée dans la même pièce. Un peu gêné, Ed lui demanda ce qu'elle désirait.

-Rien, dit-elle, Oxp m'a chargée de veiller à ce que vous ne manquiez de rien. Désirez-vous quelque chose?

-J'avoue avoir un peu faim.

-Je vais essayer de vous fabriquer un repas meilleur que celui de ce matin, sourit-elle. Malheureusement, il me faut un peu de temps. Etendez-vous sur le lit et essayez de vous reposer, car j'ai remarqué que les échanges mentaux fatiguaient beaucoup votre organisme.

Les yeux mi-clos, Ed laissait vagabonder son esprit lorsque Tzil se manifesta mentalement.

-Moi aussi j'ai réfléchi, dit-elle. Imaginez que je suis tout contre vous.

Amusé, Tand se prêta au jeu et il sentit son esprit emporté par un tourbillon. Tzil lui suggérait des images de plus en plus précises et voluptueuses. Mais au grand dépit de la jeune femme, Ed rompit brutalement le contact et songea à Crrill ! Non il ne pouvait se laisser entraîner ainsi et la décevoir.

L'impulsion mentale avait été si violente que Crrill, pourtant occupée, la perçut et aussitôt entra en contact avec lui.

-Cesse ce jeu, Tzil, ordonna-t-elle très sèchement ! Le Terrien doit ménager ses forces. Tu ferais mieux de mettre ton énergie au service de Oxp qui réclame de l'aide !

Durant les deux jours qui suivirent, Ed travailla avec acharnement. Le troisième jour, lors de la réunion matinale devenue habituelle, Oxp lui annonça que les armes demandées étaient prêtes et il lui montra un tran équipé d'un long tube et un curieux fusil.

Désireux de les essayer, Ed demanda à Crrill de le conduire dans une région désertique. Il revint une heure plus tard, très pâle, effrayé par leur puissance de destruction.

-Les modifications de l'écran protecteur seront terminées demain comme prévu, dit Oxp. Ainsi nous pourrons attaquer sans plus attendre.

-C'est encore prématuré, répondit Tand. Il faut désigner maintenant les combattants qui manieront les armes et les entraîner. Viser et tirer pour tuer un adversaire doit, hélas ! s'apprendre, car je doute que cela soit inné chez vos compatriotes.

Les volontaires furent si nombreux que Oxp dut faire un choix. Ed les répartit en groupes de dix et l'entraînement commença. Comme il l'avait craint, les premiers résultats furent catastrophiques. Malgré la simplicité des fusils-lasers, pas un Kalien n'atteignait les cibles, pourtant vastes, au premier coup, ce qui aurait largement laissé le temps aux Xuls de riposter et de décimer les assaillants.

Plus d'une semaine fut nécessaire pour que la troupe acquière adresse et cohésion dans l'action. Malgré cela, Tand était très anxieux, se demandant quelle serait leur réaction devant un adversaire déterminé à se défendre.

Oxp, cependant, s'impatientait.

-Il faut agir sans retard ! Les Xuls ont décidé de déporter un premier contingent de Kaliens au début de la semaine prochaine, et ensuite un départ est prévu chaque jour.

Le moment que redoutait Ed était arrivé.

-Nous attaquerons donc demain, soupira-t-il. Voilà ce que j'ai prévu. Premier temps, branchement de l'écran de protection, isolant la planète et la privant de tout secours extérieur. Deuxième temps, je décollerai aux commandes de l'astronef qui m'a amené. Il importe avant tout de neutraliser les trois appareils qui patrouillent en permanence autour de Kal. Sinon, dès le début de l'attaque ils auront le temps de lancer leurs torpilles atomiques sur le pourtour de leur base, ce qui désorganiserait complètement notre offensive.

-Pourquoi vous ? s'étonna Oxp. Ne seriez-vous pas plus utile pour diriger l'assaut de la base.

-Je suis le seul capable de mener rapidement un combat aérien. Former un autre pilote prendrait trop de temps et obligerait à des essais en vol qui seraient immédiatement décelés par les radars xuls. Sitôt le dernier aviso détruit, vous attaquerez.

Ed s'approcha de la carte. Il en avait besoin pour clarifier ses idées ; ses interlocuteurs, eux, suivaient mentalement.

-Les trans armés, poursuivit-il, prendront position de nuit à ces endroits.

Désignant successivement les emplacements sur le plan, il continua :

-Les troupes à terre se tiendront là. Dès que le signal sera donné, les huit points d'appui xuls qui n'abritent pas de Kaliens doivent être anéantis simultanément. Un autre tran armé surveillera l'astroport, pour empêcher tout astronef de décoller. Le plus périlleux sera la conquête des bâtiments. Les détruire avec les armes lourdes condamnerait à mort tous vos compatriotes. Etes-vous toujours en contact avec les prisonniers ?

-Ce sont eux qui nous ont demandé d'agir rapidement.

Tand désigna un groupe de bâtisses.

-Ce sont uniquement des cantonnements et services xuls. Normalement, ils ne devraient pas contenir de prisonniers. Vous vous en assurerez juste avant l'assaut, et si c'est exact, les trans 12 et 26 les détruiront en même temps que les points d'appui. Pour les autres, il faudra les prendre d'assaut.

-Quelle attitude doivent adopter les prisonniers ?

-Dès les premières salves, chaque fois que cela sera possible sans trop les exposer, ils devront tuer par impulsion mentale. Les Xuls ignorent cette particularité de votre race et, les croyant sans arme, ils penseront d'abord à se protéger de l'extérieur.

Deux heures durant, Tand précisa les moindres détails devant un auditoire attentif, répondant à toutes les questions formulées. Quand il eut terminé, il ajouta :

-Il est encore temps de revenir en arrière, Oxp. L'attaque devrait réussir, mais vous subirez des pertes. Les Xuls sont des guerriers et ils ne se laisseront pas massacrer sans réagir.

-Nous savons que notre libération privera de leur vie bon nombre de Kaliens. Malheureusement, nous n'avons pas le choix. Les Xuls sont déterminés à nous expatrier sur différentes planètes climatiquement très rudes. Cela signifierait la fin de notre race, car, privés des radiations de Kal, nos organismes ne peuvent survivre très longtemps. Merci, ami terrien, et quoi qu'il arrive par la suite nous n'oublierons jamais l'aide que vous nous avez apportée et nous nous efforcerons de payer la dette que nous avons contractée envers vous.

CHAPITRE XVI - LE GRAND COMBAT

En pleine nuit, conduit par Crrill, Tand gagna l'astronef toujours caché dans la caverne. Devant le sas, il s'arrêta un instant.

-Je veux venir avec vous, Ed, dit la jeune femme d'un ton suppliant.

-Non, Crrill, répondit-il. Il est stupide de vous exposer alors que vous pouvez être infiniment plus utile au sol. Vos compatriotes sont charmants, mais je crains qu'ils ne se laissent arrêter par la première difficulté venue. Vous devez rester près d'Oxp pour lui communiquer, en cas de besoin, un peu de votre courage. Souvent une victoire ne tient qu'à des détails de ce genre.

Elle s'approcha de lui et, malgré l'obscurité, il vit ses deux yeux mauves briller d'un éclat particulier. En même temps son cerveau fut envahi par un appel passionné, déchirant et pourtant très tendre. Un instant leurs deux êtres furent en pleine communion.

A grand-peine Ed parvint à rompre le contact.

-A bientôt, Crrill, je te promets de revenir.

Sans plus attendre, il s'installa au poste de commandes et lança les moteurs. Tous les détecteurs branchés, il gagna très lentement la sortie puis se posa dans la plaine, moteurs au ralenti, prêt à décoller.

Il attendit plus d'une heure et déjà les premiers rayons du jour éclairaient les montagnes. Heureusement, le continent sud, plus à l'est, était encore plongé dans l'obscurité.

L'appel mental de Crrill le surprit alors qu'il consultait son chronographe pour la centième fois.

-Je suis près de Oxp et nous distinguons au loin la base des Xuls. Wef vient de brancher l'écran protecteur et tout fonctionne selon ses calculs. Nos différentes sections sont en place et attendent ton signal.

Résolument, Tand enclencha les moteurs à pleine puissance et l'astronef bondit vers le ciel. Ses détecteurs avaient déjà localisé la patrouille ennemie et il régla la trajectoire pour attaquer par en dessous et par l'arrière. La chance lui sourit et un appareil xuls se volatilisa avant même qu'il fût repéré.

Les deux autres pilotes réagirent instantanément et virèrent brusquement, chacun dans une direction différente. Tand avait prévu la manoeuvre et déjà amorcé son changement de cap. Le rayon atteignit le deuxième aviso moins de quinze secondes après l'éclatement du premier.

Le survivant n'essaya pas d'engager le combat. Se souvenant du sort de la précédente patrouille, il tenta de regagner sa base en plongeant vers le sol. Il pensa avoir réussi lorsqu'un éclair rougeâtre stria le ciel et tout se désintégra autour de lui.

Aussitôt Ed lança mentalement l'ordre d'attaque. Crrill, qui guettait ses moindres pensées, le transmit instantanément. Tand avait centré l'écran principal sur le camp des Xuls qui apparut comme un vaste octogone dont l'astroport occupait le centre. Il y régnait une vive effervescence.

Le dernier pilote avait eu le temps de lancer un appel et quatre avisos s'apprêtaient à décoller. Soudain le ciel parut s'embraser. Lorsque l'éclat lumineux eut disparu, il ne restait plus rien des points d'appui xuls, ni des bâtiments désignés par Ed.

Sur l'astroport, un seul aviso était resté par miracle intact et il s'éleva aussitôt. Courageusement, son pilote, refusant de chercher abri dans l'espace, amorça un virage et lança une torpille là où il avait aperçu un tran. Il s'apprêtait à en libérer une deuxième quand son appareil explosa.

Tand, surpris par la manoeuvre de l'adversaire, avait perdu quelques secondes et n'avait pu l'empêcher de tirer une première fois. Un regard sur l'écran lui montra l'astroport jonché de carcasses d'astronefs et le hangar de réserves effondré.

Jugeant qu'aucun aviso ne pouvait plus prendre l'air, il décida de se poser pour aider les Kaliens. La manoeuvre fut fort difficile car les lasers Solnikof avaient creusé de profondes tranchées dans le sol.

L'attaque brutale avait complètement désorganisé la défense. Les Xuls, dès la première seconde, avaient perdu les neuf dixièmes de leurs effectifs. La résistance se poursuivait dans un seul bâtiment d'où de nombreuses salves thermiques arrosaient les alentours.

Surpris par cette résistance désespérée, les

Kaliens hésitèrent. Ce fut à cet instant que Tand rejoignit Crrill et Oxp.

-Nous sommes maîtres de toutes les installations, à l'exception de cette bâtisse, annonça la jeune femme. Des dizaines de milliers de Kaliens ont été ainsi libérés. Comme vous le pensiez, les Xuls, ignorant nos possibilités énergétiques, ont été éliminés par leurs prisonniers. Reste malheureusement ce nid de résistance. Nous n'osons pas utiliser les armes lourdes car un millier des nôtres sont enfermés dans les sous-sols, trop loin malheureusement pour pouvoir attaquer mentalement les Xuls.

Les jets thermiques dégageaient une chaleur d'enfer et Ed s'essuya le front. Rassemblant une cinquantaine de Kaliens, il les disposa en cercle autour du bâtiment, hors de portée des armes thermiques.

-Tirez pas courtes salves, recommanda-t-il, en visant les ouvertures d'où jaillissent les rayons thermiques. Commencez par le haut pour ne pas risquer de faire effondrer le bâtiment.

Donnant l'exemple, il saisit un fusil-laser et entreprit la destruction systématique de toutes les fenêtres transformées en meurtrières. Pleins de bonne volonté, les Kaliens l'imitèrent mais leur tir n'avait pas la redoutable précision de celui de Tand. Une demi-heure fut nécessaire pour éteindre les jets thermiques.

-Je pense qu'ils ont leur compte, dit Ed en ordonnant l'arrêt du tir.

Crrill, les yeux fermés, se concentra.

-Je ne perçois plus d'impulsion mentale, ils doivent être tous morts.

-Je vais m'en assurer, demandez à vos amis de me couvrir. Au moindre mouvement suspect, qu'ils tirent !

Progressant par bonds, Tand arriva sans anicroche contre la carcasse du bâtiment qui menaçait de s'effondrer. Le rez-de-chaussée était jonché de cadavres de Xuls horriblement mutilés par les fusils-lasers.

Guidé par Crrill, il parvint à trouver un escalier qui menait au sous-sol où étaient retenus les derniers prisonniers Kaliens. Rassurée, la jeune femme marchait à côté de lui.

-Nos amis sont derrière la prochaine porte.

Un raclement fit se retourner Ed. Un Xuls, sorti de quelque anfractuosité, se dressait sur le haut de l'escalier. Un laser lai avait sectionné le bras gauche et un liquide verdâtre, gluant s'écoulait de l'horrible moignon. De sa main valide, il étreignait un pistolet thermique.

Tand réalisa immédiatement la situation. D'une bourrade il propulsa Crrill dans l'encoignure d'une porte, la mettant à l'abri et il tira. Le rayonnement transperça le Xuls de part en part, mais ce dernier, dans un ultime spasme, avait eu le temps d'appuyer sur la détente de son arme.

Un éclair éblouit Ed, suivi aussitôt d'une atroce brûlure ! Le flux thermique qui l'avait touché de plein fouet ne pardonnait pas. Ses poumons carbonisés se vidèrent en un dernier soupir et son esprit s'abîma dans le néant.

DEUXIÈME PARTIE  : LA VENGEANCE

CHAPITRE PREMIER - L'AMBASSADEUR

Le sergent Scott se frotta les yeux rougis par l'observation des écrans de surveillance. Heureusement, Wilson ne devait plus tarder à le remplacer, à moins qu'une fois encore, il arrive en retard. Il était coutumier du fait et avait toujours une bonne excuse à faire valoir. Pourtant, le capitaine ne badinait pas avec la sécurité, car cette base, installée sur la Lune, était le dernier rempart de la Terre.

Wilson pénétra à cet instant dans la pièce, un large sourire aux lèvres.

-Tu noteras, Scott, que je suis en avance de deux minutes. Rien à signaler?

-Calme plat ! Crois-tu que ces maudits « lézards » oseront s'approcher aussi près de la Terre ?

Wilson eut une moue désabusée.

-Depuis qu'ils se sont manifestés en envahissant le système de Pollux, nous courons de défaite en désastre et nous avons successivement perdu Fomalhaut, Régulus, Procyon et Sirius. Enfin, le mois dernier, le grand amiral a été écrasé en essayant de défendre le système de Rigil-Centaure et nous avons recueilli les débris de son escadre.

» Depuis quelques jours la base de Pluton signale de brèves incursions d'appareils ennemis. Il est hors de doute que les « lézards » testent notre dispositif avant d'attaquer. Pourquoi s'arrêteraient-ils alors qu'ils sont victorieux à chaque engagement ? »

Les deux hommes se turent, la mine sombre. L'état-major avait récemment renforcé les consignes de sécurité car il était probable que l'ennemi allait commencer par éliminer la base de Pluton et celle installée sur Ganymède, le satellite de Jupiter.

Une force d'intervention était prête à s'envoler à tout moment pour aider les garnisons menacées. Malgré ces précautions, le moral des équipages était au plus bas. Après quatre ans d'échecs ininterrompus, les astronautes avaient l'impression d'être envoyés au sacrifice sans espoir de vaincre.

Wilson reprit, en ricanant :

-Il est peu probable que ce soit pour aujourd'hui ! Tu peux aller te coucher sans inquiétude.

A cet instant, le signal d'alarme se déclencha. Un astronef venait d'émerger du subespace, à faible distance de la Lune, et était maintenant parfaitement visible sur l'écran central.

Paniqué, Scott voulut déclencher les fusées interception mais Wilson lui saisit le bras.

-Un moment ! Il ne ressemble pas à un appareil ennemi. J'ai participé à trois engagements et je les ai vus de plus près que je ne l'aurais voulu.

-Si c'était un des nôtres, nous aurions été prévenus, protesta Scott en tentant de se dégager.

Un voyant rouge clignota et machinalement Wilson bascula l'interrupteur. L'écran de la téléradio s'éclaira et un visage apparut. Les traits étaient harmonieux mais les deux hommes furent frappés par la coloration bleue de la peau et les cheveux presque blancs.

-Ici astronef Kal, en provenance du système de Deneb, annonça l'inconnu, je désire entrer en contact avec votre gouvernement.

-C'est un de ces maudits « lézards » ! hurla Scott, il faut le détruire immédiatement.

-Ne fais pas l'imbécile ! gronda Wilson. J'ai aussi vu des « lézards » et ils n'ont pas cette tête-là. Va chercher le capitaine Colson, vite !

Dompté, Scott disparut à toute vitesse tandis que son équipier émettait :

-Nous prévenons les autorités. Veuillez vous satelliser sur orbite basse dont voici les coordonnées.

Placidement, il énuméra une série de chiffres. A son grand soulagement l'astronef obéit sans hésitation.

Colson ne tarda pas à arriver. C'était un colosse de près de deux mètres au visage carré. Il avait combattu les Xuls à plusieurs reprises et faisait partie des très rares équipages qui pouvaient se vanter d'avoir détruit des appareils ennemis.

-Quelle est cette histoire de fou? reprit-il.

Le sergent lui montra l'écran où s'inscrivait l'étrange astronef.

-Je n'ai jamais vu un truc pareil, grogna le capitaine. Alerte immédiate ! Branchez tous les détecteurs analyseurs et mobilisez tous les spécialistes pendant que je vais rétablir le contact.

Dès que la téléradio s'éclaira, il dévisagea, les yeux ronds, son interlocuteur.

-D'où diable, sortez-vous ? demanda-t-il.

L'étranger ne se formalisa pas de cette question posée en des termes fort peu diplomatiques.

-Nous arrivons de la planète Kal, du système de Deneb qui fait partie de ce que vous appelez la constellation du Cygne, à six cents années-lumière de votre soleil.

L'énorme distance impressionna Colson.

-Les « lézards » ne vous ont-ils pas interceptés ?

La question surprit l'étranger et un sourire étira ses lèvres.

-C'est probablement ainsi que vous avez surnommé les Xuls. Nous avons voyagé en permanence dans le subespace et vous savez que dans ces conditions toute détection est impossible.

-Que venez-vous faire ici ?

-Nous voulons entrer en contact avec votre gouvernement ! Pouvons-nous nous poser ici ou faut-il poursuivre jusqu'à la Terre?

Dépassé par l'événement, Colson répondit :

-Pour l'instant restez sur cette orbite. Je dois en référer au gouverneur militaire. Mais attention ! Plusieurs fusées atomiques sont dirigées vers vous.

A la moindre anomalie de trajectoire, elles seront lancées et vous pulvériseront.

Sans paraître se soucier de la menace, l'étranger répondit :

-Nous attendons vos instructions.

Dès que le contact fut coupé, le capitaine appela le gouverneur Sanders. Il dut houspiller deux secrétaires qui, prétextant l'heure, ne voulaient pas réveiller leur chef. Ses hurlements finirent par triompher et, enfin, le gouverneur fut en ligne.

-Que se passe-t-il, Colson ?

Le capitaine lui fit un rapport détaillé des événements.

-Ne bougez pas, j'arrive immédiatement !

Lorsqu'il pénétra dans le poste de contrôle, une intense activité régnait. Tous les spécialistes étaient à leur place et dépouillaient les résultats fournis par les analyseurs.

-Effectivement, nota le gouverneur, ce type d'astronef est inconnu bien que par certains côtés il ressemble aux avisos de combat des « lézards ».

En fait, c'en était presque un. Lorsqu'ils eurent décidé d'entreprendre ce voyage, les Kaliens choisirent l'un des avisos resté sur la base des Xuls, mais ils y apportèrent de nombreux perfectionnements, de telle sorte que ce vaisseau n'avait pas son égal dans toute la galaxie.

-Est-il armé? s'inquiéta Sanders.

-C'est difficile à affirmer, monsieur. On ne distingue pas d'orifice lance-torpilles et les détecteurs de radiations ne signalent qu'un foyer d'activité atomique au niveau des moteurs. Il ne dispose donc pas de projectiles nucléaires.

-Et vous affirmez que ce ne sont pas des « lézards » qui le pilotent !

-Ils ont une peau bleutée et des cheveux blancs ! Voyez vous-même.

Colson fit repasser l'enregistrement de sa conversation avec l'étranger. Sanders nota un détail qui avait échappé au capitaine.

-Nous avons baptisé nos ennemis du sobriquet de « lézard » faute de pouvoir utiliser un nom plus approprié, puisque nous ignorons d'où ils viennent. Or il les a appelés Xuls. Cela prouve au moins qu'il les connaît. Peut-être même sont-ils alliés ? Le dispositif de sécurité est-il en place ?

-Oui, monsieur ! Au premier signe de votre part, nous pouvons lui expédier une giclée de fusées.

Sanders hésita. Il n'ignorait pas l'état critique de l'Union Terrienne. Sans un événement extérieur et quasi miraculeux, le haut état-major n'avait aucun espoir de repousser une nouvelle attaque. La dernière défaite de Rigil du Centaure avait vu disparaître la presque totalité de la flotte terrienne. Le grand amiral essayait bien en ce moment de regrouper les éléments dispersés, mais leur nombre était faible. S'il y avait une chance, si minime fût-elle, que cet étranger apportât des renseignements sur l'adversaire, il fallait la courir.

-Appelez l'appareil, ordonna-t-il.

Dès que la liaison fut établie, il souhaita la bienvenue à l'étranger et l'autorisa à se poser sur l'astroport, puis ajouta :

-Malheureusement, nous sommes en guerre et obligés d'assurer notre sécurité. Veuillez suivre minutieusement les consignes qui vous seront données. Une fois au sol, vous devrez traverser le terrain en scaphandre et gagner le bloc médical où vous serez examinés à distance. Nous voulons être certains que vous n'apportez aucun germe pathogène risquant de déclencher une épidémie. Ensuite j'aurai l'honneur de vous recevoir. Avez-vous besoin d'une atmosphère particulière?

-La vôtre nous convient parfaitement. A tout de suite !

Guidé par Colson, l'astronef se posa exactement à l'endroit indiqué. Le service de sécurité était sur les dents et plusieurs chars lourds équipés de puissants canons thermiques avaient pris position en bordure du terrain.

Deux silhouettes revêtues de scaphandre descendirent du vaisseau dont le sas se referma aussitôt. Ils pénétrèrent dans le bloc médical et, après avoir vérifié la composition de l'atmosphère, se dévêtirent. Une voix sortie d'un haut-parleur leur demanda de s'allonger sur deux tables entourées d'instruments variés.

Impatients, les médecins attendaient les résultats des analyses.

-Quels drôles d'organismes, bougonna l'un d'eux. Je donnerai cher pour pouvoir les disséquer !

-Ce n'est pas le moment de plaisanter, jeta nerveusement le gouverneur. Les corps sont-ils voisins de ceux des « lézards »?

-Non, monsieur. Ils sont également très différents de nous. On les dirait bourrés d'énergie et cela empêche les analyseurs de fonctionner correctement.

-Ne peut-il s'agir d'un trucage destiné à nous égarer ?

-Je ne crois pas ! Leur organisme ne contient aucun ion cuivre qui est la base même du métabolisme des « lézards ».

-Dans ce cas, trancha Sanders, il ne me reste plus qu'à les accueillir. Branchez les caméras d'enregistrement mais ne relâchez pas votre surveillance.

Les deux étrangers étaient vêtus d'une combinaison blanche très simple et de courtes " bottes souples. A sa grande surprise, le gouverneur s'aperçut que le second visiteur était une très jolie femme.

-Je m'appelle Tor et voici Crrill ma compagne, annonça l'homme qu'il avait vu sur l'écran de la téléradio.

Le gouverneur s'inclina galamment.

-Nous sommes heureux de vous recevoir sur cette modeste base lunaire. Je regrette que les impératifs de la guerre nous aient obligés à certaines précautions.

Il leur désigna des sièges et s'installa en face d'eux.

-Désirez-vous prendre nourriture ou boisson?

-Merci, monsieur le gouverneur. Comme vos médecins vous l'auront certainement dit, nos organismes sont différents des vôtres et nous n'absorbons pas d'aliments.

Il avait une voix un peu rauque, mais agréable.

-Vous parlez très bien la langue terrienne, le complimenta Sanders.

-Nous avons eu la chance, il y a deux ans, de recueillir un de vos compatriotes. Le malheureux est mort quelques jours plus tard en nous aidant à combattre les Xuls. C'est pour tenir une promesse que nous avons entrepris ce voyage.

Le gouverneur répliqua aussitôt, plein d'espoir.

-Vous avez également lutté contre ces maudits « lézards » ?

-Effectivement, et non sans mal les avons chassés de notre planète.

Cette fois Sanders sentit toute l'importance de cette arrivée. Il harcela le malheureux Tor de questions sur l'origine des Xuls. Ce dernier répondit courtoisement, mais ne mentionna pas le rôle du « Phim ». Après une heure d'entretien le gouverneur se leva.

-Je dois informer rapidement le Président de l'Union. Naturellement, vous êtes mes hôtes et le capitaine Colson se tiendra à votre disposition pour vous procurer tout ce que vous désirerez.

CHAPITRE II - PREMIER CONTACT

Six heures plus tard, le gouverneur convoqua Colson.

-Comment se sont comportés vos oiseaux rares ?

-Très bien, monsieur. Ils n'ont pas demandé à visiter la base et se sont contentés de me poser des questions sur la vie terrienne. La guerre contre les « lézards » semblait les intéresser particulièrement.

-J'espère que vous n'avez pas été trop bavard !

-Je n'ai parlé que des défaites passées sans mentionner nos pertes. Les « lézards » sont quand même au courant des planètes qu'ils nous ont prises, ricana tristement Colson.

Sanders hocha la tête, approbateur.

-J'ai eu une longue conversation avec le Président. Il veut rencontrer le plus rapidement possible ces Kaliens qui ont réussi à tenir les « lézards » en respect. Allons voir s'ils sont décidés à voyager aujourd'hui. Deux avisos les escorteront, mais l'idéal serait que vous puissiez prendre place à leur bord.

Les Kaliens se montrèrent enchantés d'être reçus si rapidement par le Président et acceptèrent de partir sur-le-champ. Comme s'il avait deviné les pensées du gouverneur, Tor ajouta :

-Si le capitaine Colson doit nous accompagner, peut-être accepterait-il de voyager avec nous. Cela me faciliterait les procédures d'approche de votre astroport car j'ignore tout de vos règles de navigation.

Pas très rassuré, le capitaine, après avoir revêtu un scaphandre, approcha du navire Kalien. Dès qu'ils arrivèrent, le sas s'ouvrit et une échelle se déplia.

Tor fit installer Colson dans le siège du copilote et le prévint :

-L'accélération vous semblera peut-être brutale, car nos organismes sont moins sensibles que les vôtres aux variations de gravité.

Quand l'appareil fut stabilisé sur sa trajectoire, Tor demanda des détails sur le gouvernement terrestre actuel. Colson le renseigna, lui nommant les différents ministres et leurs fonctions puis ils en vinrent à parler de l'armée.

-Comment est-elle organisée? s'enquit Tor.

-C'est le grand amiral Mortimer Daff qui, après le Président, commande maintenant la flotte.

-Une bien lourde tâche, commenta simplement Tor.

Seul un observateur très perspicace aurait pu noter l'intérêt subit que ce nom avait déclenché. Colson semblait intarissable sur le sujet.

-Il y a dix ans, il n'était encore que lieutenant et a découvert une riche planète dans le système de Régulus. Malgré de nombreuses difficultés, il a réussi à ramener sur Terre son appareil. Il aurait pu vivre tranquille avec la fortune que lui a versée la Compagnie d'Exploitation Galactique mais il a continué à commander des astronefs. Quand les « lézards » ont attaqué Pollux, il était colonel. Lors de la première grande bataille qui survint, son unité, comme tant d'autres, fut anéantie et Darf porté disparu. Quinze jours plus tard il rejoignait Procyon à bord d'un canot de survie ! Depuis, il a participé à toutes les batailles et son astronef est toujours revenu. Les hommes se battent pour avoir l'honneur de faire partie de son équipage, espérant ainsi profiter de sa chance légendaire.

-Est-il marié ? demanda négligemment Tor.

-Il a épousé la spécialiste radio de sa première expédition. Elle aussi avait touché une prime substantielle de la Compagnie. Elle gère leurs deux fortunes qui sont maintenant colossales. On prétend qu'elle est conseillée par Bar Gais, l'actuel président de la Compagnie d'Exploitation Galactique, qui est un véritable génie de la finance.

Tor manifesta un intérêt poli.

-Parlez-moi de ce magnifique personnage.

-Il faisait également partie de la première exploration du système de Régulus et la Compagnie lui en a confié l'exploitation ! Il en a tiré de tels profits, tant pour lui que pour sa société, qu'il a rapidement gravi les échelons et, à la veille de la guerre, il était vice-président. Les premiers revers militaires et la perte des planètes correspondantes portèrent un rude coup aux finances de la société. Seul Gais avait su tirer son épingle du jeu en retirant ses fonds des planètes lointaines et en les investissant dans des industries de fournitures militaires.

» C'est pourquoi le conseil d'administration de la Compagnie a vivement éjecté l'ancien président pour nommer Gais à sa place. »

-Attention, prévint Crrill, nous allons entamer les manoeuvres de décélération. Voulez-vous prendre contact avec la base terrienne pour demander les coordonnées d'atterrissage ? Nous devrions arriver à huit heures, heure locale.

Le Président Mekkel avait convoqué à la hâte ses principaux collaborateurs dans le salon d'honneur de l'astroport. Pour l'instant, il était encore seul. Le Président était grand, mince, avec un visage en lame de couteau et un profit d'aigle. D'un geste las, il se frotta les yeux rougis par l'insomnie. Depuis deux ans que le grand ordinateur l'avait désigné pour la magistrature suprême, il ne dormait plus que quelques heures par nuit. Malgré son immense volonté, il sentait le découragement le gagner. Il avait mis sur pied le plus grand programme d'armement spatial que la Terre ait jamais lancé. Des escadres entières étaient sorties en quelques mois des arsenaux pour disparaître au premier combat avec les « lézards ». Privé de ses planètes de colonisation et réduit à ses seules ressources, le système solaire n'arrivait plus à fournir les matières premières nécessaires à son industrie. La venue de ces ambassadeurs d'une planète très lointaine était un élément essentiel qu'il ne pouvait se permettre de négliger. L'entrée dans le salon du grand amiral le tira de ses rêveries moroses.

-Bonjour, Darf, j'ai pensé votre présence indispensable pour accueillir les ambassadeurs Kaliens.

-J'espère que cela ne sera pas trop long! Je ne suis qu'un soldat et me consacre entièrement à la préparation de notre flotte qui constitue notre dernier rempart.

-Nous connaissons votre dévouement, amiral.

Un petit bonhomme rondouillard arriva aussi vite que pouvaient le mouvoir ses courtes jambes. C'était le ministre des Affaires galactiques. Il salua le Président et le grand amiral avant de s'effondrer sur un siège.

Bar Gais le suivait de près, étonné de la convocation présidentielle.

-Je vous ai demandé de venir, expliqua Mekkel, pour que vous nous fassiez bénéficier de votre grande expérience des finances. Si ces étrangers souhaitent établir des échanges commerciaux avec la Terre, vous êtes le plus apte à négocier rapidement.

Un officier arriva au pas de course, annonçant que l'astronef attendu venait de se poser. Précédé de Colson particulièrement intimidé, les Kaliens furent présentés au Président et à ses collaborateurs. Ils s'inclinèrent légèrement mais leurs visages restaient figés. Après un bref discours de bienvenue, le Président proposa :

-Si vous n'êtes pas trop fatigués, nous pourrions avoir dès maintenant un premier entretien.

-Nous comprenons votre impatience, répondit Tor, et sommes à votre disposition.

Mekkel les interrogea tout d'abord sur les Xuls. Simplement Tor expliqua leur venue de la nébuleuse d'Andromède, leur escale sur Kal et leur invasion de l'Union Terrienne précédée de l'introduction du « Phim ».

-Je comprends mieux nos défaites, soupira le Président. Il suffit d'un nombre suffisant de drogués à bord d'un astronef pour qu'il soit paralysé et se laisse détruire sans riposter. Amiral, il faut renforcer les mesures de surveillance autour des équipages.

-Cela sera fait, mais j'avoue ne pas trop croire à cette histoire d'influence psychique, répondit l'amiral à voix basse. Demandez-leur comment ils ont réussi à vaincre les Xuls.

A la question du Président, Tor répondit, très calme :

-Notre passivité apparente a endormi leur méfiance. La garnison n'était pas très nombreuse et une attaque surprise a suffi pour l'anéantir.

-Et vous n'avez pas subi de représailles? s'étonna Mekkel.

-Nous avons entouré Kal d'une ceinture de radiations qui détruit tout astronef.

-Ne pourriez-vous nous aider à mettre en place autour de la Terre un boucher identique?

Tor secoua lentement la tête.

-C'est malheureusement impossible. Nous avons travaillé des siècles pour édifier l'installation et elle n'était pas encore fonctionnelle lorsque les Xuls sont apparus. Enfin, seul Kal possède en son sein la source de radiation nécessaire.

Vivement déçu, le Président eut un dernier espoir.

-Venez-vous nous proposer un traité d'alliance ?

-En aucun cas ! rétorqua nettement Tor. Nous sommes avant tout un peuple foncièrement pacifique. Les Xuls nous ont attaqués et nous avons dû les chasser. Maintenant tout est rentré dans l'ordre et Kal est à l'abri d'une nouvelle offensive. Il ne saurait être question d'envoyer des forces pour poursuivre une guerre qui ne nous concerne plus.

-Alors pourquoi êtes-vous venu? s'impatienta l'amiral.

Tor le regarda et ses yeux mauves parurent plus foncés.

-D'abord pour prendre contact avec votre civilisation. Ensuite pour pratiquer des échanges, si c'est possible.

-Qu'avez-vous à proposer ? intervint brutalement Gais. .

Le Kalien ne se départit pas de son calme.

-Il faudrait savoir d'abord si je trouve quelque chose d'intéressant à acheter, rétorqua-t-il hautain.

Le Président se leva, lourdement.

-S'il ne s'agit que de questions commerciales, je vous laisse discuter avec monsieur Gais qui est fort compétent.

Il lança un regard autour de lui et aperçut le capitaine Colson qui, malgré sa taille, essayait de se faire oublier, car c'était la première fois qu'il rencontrait les plus hautes autorités terriennes.

Mekkel, désireux de régler le plus rapidement possible un problème devenu secondaire pour la défense de la Terre et n'ayant personne d'autre sous la main, ordonna :

-Capitaine, je vous charge de veiller sur l'installation de nos hôtes et de régler tous les détails. En cas de difficulté, je donnerai des ordres pour que vous puissiez joindre mon secrétaire à tout moment.

Le ministre des Affaires galactiques et le grand amiral suivirent le Président. Tor et Gais restèrent face à face, car Crrill semblait se désintéresser de la situation et Colson, pas encore revenu de sa surprise, essayait d'imaginer les problèmes qu'il aurait à résoudre.

-Pourrai-je savoir, demanda Gais avec un sourire de façade, quel genre de biens vous désirez acquérir ?

Le Kalien parut réfléchir.

-Si notre séjour devait se prolonger quelques semaines, je ne voudrais pas être à la charge de votre gouvernement. Je souhaite donc ouvrir un compte et je pense que vous êtes également banquier.

-Mes affaires personnelles nécessitant de constants mouvements de fonds, j'ai cru préférable, effectivement, de posséder la meilleure banque de toute l'Union.

Tor sortit d'une poche un sac bien gonflé dont il étala le contenu devant Gais. Une dizaine de diamants roulèrent sur la table. Le banquier ferma un instant les yeux, ébloui. Chacune des pierres avait au moins la taille d'un oeuf de poule !

-Je crois savoir que sur Terre ces cailloux ont une certaine valeur, dit négligemment Tor.

Gais les examina soigneusement et constata qu'ils étaient de la plus belle eau.

-Effectivement ! Si vous me chargez de les vendre, je pourrai en tirer cinq millions de dois, pièce. Le dol est notre unité monétaire.

Tor acquiesça et appela Colson.

-Capitaine, je dispose d'un crédit de cinquante millions de dois chez monsieur Gais. Veuillez me trouver avant ce soir une villa proche de la capitale avec un terrain assez vaste pour faire atterrir mon astronef. Vous me procurerez également un véhicule rapide pour que je puisse facilement visiter votre cité.

Colson allait protester, invoquant la difficulté d'une telle tâche, lorsque Gais lui saisit le bras.

-Taisez-vous, murmura-t-il, je vais vous aider.

Sans avoir remarqué le manège, Tor poursuivit :

-Nous attendrons le résultat de vos démarches dans notre astronef où nous prendrons un peu de repos.

Gais, au moment de prendre congé, dit :

-Je ne doute pas que le brave capitaine exécute ponctuellement vos ordres, mais voulez-vous me faire l'honneur de venir ce soir dans ma modeste demeure. Je compte réunir quelques amis qui seront enchantés de faire votre connaissance.

-Soit, accepta le Kalien. Veuillez indiquer à Colson le lieu et l'heure exacte, car je déteste être en retard.

Puis très digne, il prit le bras de sa compagne et sortit.

CHAPITRE III - LA RECEPTION

Les deux Kaliens étaient allongés côte à côte sous le générateur de radiations et échangeaient mentalement leurs impressions.

-Que penses-tu de cet accueil, Crrill?

-Comme tu me l'avais demandé, j'ai discrètement sondé leurs esprits pendant que tu discutais. Le Président Mekkel est un homme intègre, écrasé par sa charge. Sa déception de ne pas trouver d'aide a été très vive. Le ministre des Affaires galactiques est un simple imbécile dépourvu de malice. Les deux autres sont beaucoup plus intéressants. Les idées de l'amiral n'étaient pas très claires. Il aurait bien voulu savoir si nous disposons d'armes nouvelles mais ensuite ses pensées se sont fixées sur moi et elles n'avaient rien de très correct.

-Est-il sous l'emprise du « Phim » ?

-Ni lui, ni aucun autre n'ont absorbé de drogue.

-Et Gais ?

-C'est la créature la plus vile qu'il m'ait été donné de rencontrer. Pendant toute la première partie de l'entretien, il ne songeait qu'à nous jauger comme un maquignon. Il a même imaginé de nous mettre en cage et de nous exposer dans un zoo ! Lorsque tu as parlé des effets du « Phim », il a paru contrarié. Quelques images ont jailli, malheureusement très confuses. Cependant je jurerai qu'il n'est pas étranger au trafic de la drogue. Enfin tu apprendras sans étonnement que tes diamants valent cinq fois plus cher et qu'il compte bien refiler à Colson sa propre villa à deux fois son prix.

Ils restèrent longtemps sous le' générateur se gorgeant d'énergie en prévision des efforts à venir.

A six heures du soir, Crrill annonça :

-Le capitaine est sur le terrain. Il songe à nous faire prévenir par la tour de contrôle. Evitons-lui ce travail.

D'un geste, Tor ouvrit le sas et libéra l'échelle. Peu après, Colson arriva dans le poste de pilotage. Il était couvert de sueur et paraissait embarrassé en tendant une liasse de feuillets à l'ambassadeur.

-J'ai suivi vos instructions, monsieur. La villa est à moins de cent kilomètres de l'astroport et est magnifique. Malheureusement elle est fort chère, car son propriétaire ne voulait pas s'en dessaisir. Voici le titre de propriété, la carte de votre compte, et, enfin, j'ai réussi à vous obtenir un hélimob dernier modèle. Là encore il m'a fallu surpayer, car la production est en principe réservée à l'armée. Il vous attend à la villa.

-Mon crédit était-il suffisant? s'enquit Tor.

-Naturellement, il vous reste encore...

Le Kalien l'interrompit doucement.

-Dans ce cas, je suis fort satisfait et ne manquerai pas de louer vos mérites au Président. Donnez-moi les coordonnées de la maison, nous partons immédiatement.

Colson s'effondra sur le siège du copilote et, rassuré, s'épongea le front. Le comportement du Kalien le ravissait. Soldat sans fortune, il méprisait l'argent et ne s'en servait que pour s'offrir du bon temps avec des femmes faciles. Il avait craint que l'ambassadeur venu commercer ne soit plus âpre au gain.

Après avoir visité la villa, Tor désigna à Colson la meilleure chambre.

-Vous pouvez coucher ici, capitaine. Ma femme et moi nous réservons la pièce qui donne sur le jardin, la plus proche de l'astronef où nous désirons nous rendre fréquemment.

Ils retournèrent ensuite dans un grand salon richement meublé mais sans grâce. Gais manquait réellement de goût et ne songeait qu'à faire étalage de sa fortune.

-A quelle heure sommes-nous invités?

-A huit heures, monsieur. Compte tenu du trajet, cela vous laisse une heure pour vous préparer.

-Nous sommes prêts ! Chez nous il n'existe pas de tenue de parade.

Tor désigna un bar abondamment garni.-Servez-vous, capitaine. Vous avez bien mérité un rafraîchissement.

Colson ne se fit pas répéter l'offre. Repérant une antique bouteille de Cinzano qui ne semblait pas de synthèse, il emplit à ras bord son verre.

-Avez-vous déjà combattu les Xuls ? demanda Crrill avec un sourire bienveillant.

-Trois fois, madame. Avant d'être nommé capitaine et muté à la base lunaire, j'étais lieutenant à bord d'un aviso de combat.

-Et vous avez survécu?

-J'ai eu beaucoup de chance. Les deux premières fois il s'agissait d'escarmouches entre patrouilles. Les « lézards » ont de bons appareils mais pas tellement supérieurs aux nôtres et en combat singulier nous les avons battus. La dernière fois, c'était lors de la bataille de Sirius. Les « lézards » arrivaient de tous les côtés comme s'ils avaient su que nous devions nous regrouper dans ce coin de l'espace. En quelques minutes nous étions le seul astronef encore intact. C'est alors que notre commandant a joué le tout pour le tout. Au lieu de rester sur la défensive, il a foncé pour rompre l'encerclement et nous sommes passés non sans avoir détruit au moins trois vaisseaux ennemis.

-Il est probable, intervint Tor, que vous n'aviez pas de drogué à votre bord.

Colson réfléchit un instant en se frottant les mains.

-Je ne sais pas, monsieur. Au début du combat, l'officier de tir a para bizarre et n'a pas immédiatement obéi à un ordre du commandant. Par chance j'étais à ses côtés et j'ai agi à sa place. Effectivement, il avait une drôle de tête et a même tenté de s'opposer à mon action.

-Qu'avez-vous fait?

Un sourire éclaira le rude visage du capitaine.

-Il a pris mon poing sur la figure et comme dans certains cas je ne mesure pas très bien ma force, il ne m'a plus causé d'ennuis. Ensuite, tout a été très vite. Les moteurs donnaient à plein régime, le commandant avait pris les commandes manuelles et moi, je m'occupais du tir. Le reste de l'équipage n'avait plus à intervenir puisque l'approvisionnement des tubes lance-torpilles est automatique.

-C'est votre coup de poing qui a sauvé tout l'astronef, nota Tor. Imaginez ce qui a pu se passer dans les autres avisos quand une partie de l'équipage, au moment crucial, n'a plus obéi. A propos, quand êtes-vous sorti de l'Ecole d'astronaute ?

-Il y a neuf ans, monsieur.

Tor secoua la tête et après un instant annonça :

-Il est temps de partir, capitaine.

L'hélimob, piloté par Colson, se posa sur le toit terrasse de l'immense building que possédait le président de la Compagnie d'Exploitation Galactique.

Une cinquantaine d'invités était déjà arrivée et Gais s'empressa de leur présenter les ambassadeurs Kaliens. Le premier mouvement de curiosité passé, il guida ses hôtes dans de vastes salons. Ils aperçurent le grand amiral en compagnie d'une très jolie femme blonde vêtue avec élégance.

-Permettez-moi de vous présenter mon épouse qui mourait d'envie de vous connaître, dit l'amiral en s'approchant d'eux.

Tor, impassible, s'inclina sans remarquer la main qu'on lui tendait.

« Evidemment cette coutume ne peut lui être familière » pensa Line en laissant retomber son bras.

L'amiral portait autour du cou une curieuse pierre maintenue par une chaînette d'or.

-Voilà un bien singulier bijou, amiral, s'exclama Crrill en femme curieuse.

-Oh ! un simple souvenir, madame. J'ai ramené ce caillou de ma première expédition dans le système de Régulus et je le considère comme un porte-bonheur.

Une fraction de seconde Tor et Crrill fermèrent les yeux et personne ne remarqua ce simple battement de paupières. En fait ils avaient eu le temps d'échanger mentalement plusieurs phrases.

-C'est passionnant, reprit Crrill, vous devriez me raconter l'histoire de ce pendentif.

-Cela serait beaucoup trop long, protesta Darf, et je ne voudrais pas avoir l'air de vous accaparer.

Soudain, l'amiral chancela et Tor se précipita pour le soutenir. En fait, sans la poigne énergique du Kalien il se serait affalé sur le soi. Quelques secondes passèrent sans que Gais ou Line se rendent compte de l'état de Darf. Ce fut Crrill qui dit :

-Qu'avez-vous, amiral?

Il passa lentement une main tremblante sur son front.

-Un simple étourdissement, murmura-t-il. Cela va déjà beaucoup mieux. J'ai trop travaillé ces jours derniers.

-Allez vous étendre, Darf, conseilla Gais.

-Je ne pense pas que cela sera nécessaire, souffla-t-il. Cependant je vais vous demander la permission de me retirer.

L'amiral salua les deux Kaliens, jeta un dernier regard sur Crrill et s'éloigna, escorté de sa femme.

-Mon cher ambassadeur, sourit Gais, cet incident ne doit pas ternir notre soirée. Je vais vous faire les honneurs de ma maison. Nous ne nous approcherons pas des buffets puisque vous n'êtes pas intéressés par nos modestes nourritures.

Il les conduisit successivement dans un salon de musique, puis leur montra une pièce aux lumières tamisées où s'ébattaient plusieurs couples enlacés.

-J'aime que mes invités prennent du bon temps, expliqua Gais avec un sourire ignoble.

Ils se heurtèrent à Colson rajustant son uniforme qui devint écarlate en les voyant. Le clin d'oeil complice que lui lança Tor le rassura et il leur emboîta le pas.

Dans une vaste salle se déroulaient des exercices d'adresse. Jeux de boules électriques, simili-golf et même un tir électronique. Amusé, Colson saisit une carabine et visa des silhouettes qui apparaissaient sur un écran. Il réussit un excellent score et les trois ou quatre spectateurs présents applaudirent.

-N'avez-vous pas envie de tester votre adresse, proposa Gais, espérant mettre son invité en état d'infériorité.

-Pourquoi pas, répondit Tor, bien que sur Kal nous ne pensons pas que les armes soient une saine distraction.

Il regarda un instant la carabine et épaula. Dix éclairs fusèrent en succession rapide, faisant mouche à chaque coup. Colson le félicita aussitôt.

-J'ai connu à l'Ecole d'astronautique un aspirant qui tirait aussi bien que vous. Il a été major de sa promotion deux ou trois années avant la mienne.

-Intéressant, dit Tor d'une voix calme, en reposant son arme. Comment s'appelait-il ?

-Tand, je crois. Je n'ai plus jamais entendu parler de lui.

Gais intervint un peu trop sèchement :

-Poursuivons, si vous le voulez.

-Inutile, je sais que vous êtes un maître de maison merveilleux. Si je peux vous arracher un instant à vos invités, j'aimerais parler affaire.

Enchanté de cette proposition, Gais les conduisit dans son bureau.

-Auriez-vous encore quelques diamants à vendre ?

-Ce n'est que secondaire, répondit Tor. J'ai entendu dire que le système de Polaris faisait partie de l'Union Terrienne.

-C'est exact, mais nous avons dû l'évacuer lors des attaques des « lézards ».

-Il existe une planète de type terrestre que vous avez baptisée Edénia. Savez-vous si les Xuls s'y sont installés?

-C'est peu probable, ricana Colson. Il y a là-bas de satanées bestioles qui...

Le regard furieux que lui jeta Gais coinça le reste de la phrase dans la gorge du malheureux capitaine.

-Qu'espérez-vous tirer d'Edénia? demanda le président de la Compagnie.

-Des sondes automatiques lancées depuis Kal nous ont signalé la présence d'un minerai qui pourrait nous intéresser.

Vivement, Gais appuya sur une série de touches et un petit écran s'éclaira faisant apparaître aussitôt la fiche signalétique d'Edénia.

-De quel minerai s'agit-il? Nos prospecteurs n'ont rien trouvé de particulièrement intéressant

-Nous l'appelons « narum » et il contient un transuranien que vous ne connaissez pas et qui ne peut guère vous être utile.

Gais réfléchit rapidement. Il s'avançait sur un terrain inconnu et n'avait aucune idée du prix que seraient disposés à payer ces étrangers.

-Une fois extrait, comptez-vous traiter sur place le minerai ?

-Peut-être. Auquel cas je pourrais vous commander cette usine automatique. Il suffira de fournir à vos techniciens les caractéristiques du métal.

-Excellente suggestion, approuva-t-il, en son-géant que ces étrangers étaient bien naïfs de lui livrer ainsi le renseignement qu'il cherchait.

Même si la Terre était envahie, il connaissait quelqu'un qui paierait ce secret très cher.

-Toutefois, avant de conclure un traité, j'aimerais rencontrer quelqu'un qui a vécu sur Edénia et qui serait particulièrement compétent en biologie galactique.

Gais prit un air renfrogné, maudissant cet imbécile de Colson.

-Vous devriez rencontrer le professeur Tyler au muséum, dit le capitaine. Je me souviens qu'il a publié, il y a quelques années, un article sur Edénia.

Cette fois, Colson était intervenu délibérément. Il avait compris la manoeuvre de Gais, mais connaissant les redoutables dangers que faisaient courir les « mantes », il ne voulait pas que les Kaliens fussent trompés.

Tor se leva, un sourire indéfinissable aux lèvres.

-Si vous le voulez, nous reprendrons cette conversation demain lorsque j'aurai réuni les renseignements qui m'intéressent.

Gais, la rage au coeur, lança grossièrement :

-Comment comptez-vous payer ? Si vous livrez trop de diamants, leur cours s'effondrera. Il vous faudra donc trouver autre chose.

Le Kalien resta de glace.

-Aucun problème ! J'ai remarqué que vos astronefs étaient bien lents et je pourrai vous fournir les plans complets d'un nouveau moteur aussi bon que ceux des Xuls !

-Cela serait plus utile que vos cailloux, s'exclama une fois encore Colson.

Fort de ce soutien, Tor reprit en souriant :

-Il semble que cela intéresse l'armée. Si vous ne voulez pas traiter, je pense que votre gouvernement acceptera un petit effort financier pour se procurer mes plans.

Si Gais l'avait pu sans risque, il aurait volontiers égorgé le capitaine. En trois phrases, ce gros lourdaud l'avait placé en situation d'infériorité pour la future négociation.

Il raccompagna ses invités jusqu'au toit terrasse où stationnait l'hélimob. Tor attendit que Colson se soit installé aux commandes pour murmurer à l'oreille de Gais :

-Avant de repartir, j'aurai peut-être besoin d'une grande quantité de « Phim ». Il est sans action sur nous, mais je connais une planète où il pourrait agir, ce qui nous permettrait d'y prendre pied sans combat.

Gais protesta qu'une telle livraison lui était impossible puisque ce commerce était interdit sur Terre.

-Réfléchissez bien, insista Tor. Cela ne causera aucun tort à votre gouvernement puisque je m'en irai immédiatement après, et qui oserait soupçonner le tout-puissant directeur de la non moins puissante Compagnie d'Exploitation Galactique d'un tel trafic. J'ai encore plusieurs sacs de pierres précieuses qui ne demandent qu'à passer dans vos coffres. Je dois repartir dans deux jours, vous pourriez alors me donner votre réponse.

Laissant Gais à ses pensées, il monta rapidement dans l'hélimob et donna le signal du départ.

CHAPITRE IV - LE TRAQUENARD

Colson crut que ses passagers somnolaient et il s'abstint de parler. En réalité derrière leurs yeux clos, les deux Kaliens échangeaient leurs impressions.

-Très bonne ton idée de devenir trafiquant de « Phim », ironisa Crrill. J'ai pu ainsi capter les pensées les plus secrètes de Gais. Il est bien le chef des trafiquants. Je connais les noms de ses principaux complices et l'endroit où la drogue est entreposée.

-Savait-il que les Xuls fournissaient ce poison?

-Oui ! Au début, car il dirige l'opération depuis sa création, il croyait que c'était une drogue ordinaire. Quand la guerre a éclaté, il a préféré continuer plutôt que de renoncer aux immenses bénéfices qu'il en tirait.

-Voilà un point éclairci. Dès que possible nous avertirons le Président.

-Encore un détail, Tor. Sais-tu où les Xuls livraient leur marchandise jusqu'au début de la guerre ?

Tor avait déjà lu la réponse mais il la laissa poursuivre.

-Sur la troisième planète de Régulus, que Gais en tant que découvreur inspectait régulièrement !

-Qu'as-tu découvert chez Darf ? Pourquoi as-tu pris le risque de sonder son esprit jusqu'à ce qu'il perde conscience ? Si je ne l'avais soutenu, il se serait étalé sur le sol. Cela aurait provoqué un beau scandale et nous aurions immédiatement été soupçonnés.

-La situation est beaucoup plus grave que nous le pensions, Tor, et j'ai voulu obtenir en une seule fois tous les renseignements que nous aurions mis plusieurs jours à réunir.

Crrill se reposa un instant avant de poursuivre :

-J'ai été alertée en sentant dès le premier regard une vive hostilité alors que ce matin il n'était que curieux. Il pensait sans cesse à un ordre que les Xuls lui ont donné : nous capturer ainsi que notre astronef et nous expédier sur Alpha du Centaure. Ils veulent connaître le secret de la ceinture de radiation qui entoure Kal. Je te signale qu'un commando de quatre hommes nous attend à la villa.

Sans se soucier de la menace annoncée, Tor demanda :

-Comment l'amiral a-t-il pu recevoir des ordres des Xuls alors qu'il n'est pas sous l'influence du « Phim » ?

-C'est ce que je me suis également demandé. J'ai alors remarqué son curieux pendentif. Il mentait en prétendant qu'il l'avait ramené de sa première expédition. Ce n'est pas une pierre ordinaire mais un amplificateur psychique camouflé. Les Xuls sont beaucoup plus avancés que nous le croyons. Ne pouvant communiquer télépathiquement comme les Kaliens sur de très longues distances, ils ont mis au point ces amplificateurs. Ainsi Darf a pu recevoir directement des ordres du système de Rigil Centaure.

-Mais pourquoi leur obéit-il?

-Cela remonte au tout début de la guerre, lors de la bataille de Pollux. Darf s'est échappé dans un canot de survie abandonnant son navire pourtant encore intact. C'est alors que les Xuls l'ont capturé. Ils lui ont donné à choisir : ou être réduit en esclavage comme les autres, ou retourner sur Terre pour trahir les siens. Darf n'a pas hésité d'autant que les Xuls lui ont promis de le nommer chef des esclaves lorsqu'ils auront pris le pouvoir. Ils l'ont donc renvoyé dans son canot de survie non sans l'avoir muni d'un amplificateur psychique habilement dissimulé.

-Ces pauvres Terriens n'ont aucune chance de gagner une bataille dans ces conditions, ironisa Tor. La moitié des équipages de leur flotte est droguée et leur grand amiral avertit l'ennemi de ses propres plans.

Crrill l'interrompit pour poursuivre :

-Attends le plus grave ! L'anéantissement des dernières forces terriennes se produira dans trois jours. Selon le scénario habituel, les Xuls attaqueront Pluton. L'amiral donnera alors à son escadre l'ordre de rejoindre Ganymède. Dissimulés par l'énorme masse de Jupiter, les Xuls les attaqueront de tous les côtés à la fois.

-Combien seront-ils ?

-Pas plus d'un millier d'astronefs, mais compte tenu de la désorganisation qu'ils provoquent en cours de combat, cela suffira à obtenir une victoire complète. Que comptes-tu faire, Tor?

-Réfléchir avant de prendre une décision, dit-il lentement.

A ce moment Colson annonça :

-Nous atterrissons dans deux minutes, monsieur.

Avec légèreté, l'appareil se posa dans le jardin, entre l'astronef Kalien et la villa. A peine eurent-ils mis pied à terre qu'une lampe les éblouit et une voix ordonna :

-Contrôle de police ! Veuillez nous suivre.

Trois silhouettes s'étaient rapprochées et une quatrième se tenait un peu en arrière. Le halo lumineux se reflétait sur les canons des pistolets thermiques.

Colson s'avança, hurlant :

-Vous êtes fou, ce sont les ambassadeurs étrangers...

Il ne put en dire plus, car il reçut sur le crâne un coup de crosse qui le fit tomber à genoux, le front ensanglanté.

-Que voulez-vous ? demanda Tor très calme.

-Ouvrez le sas de votre astronef. Nous devons le visiter !

Crrill communiqua instantanément à son compagnon :

-Ce ne sont que des comparses bourrés de « Phim ». Seul celui qui se tient en retrait sait quelque chose, je vais le sonder.

-Fais vite et sans ménagement, Crrill, nous ne pourrons pas les tenir en respect longtemps. Tiens-toi prête à mon signal.

Tor fit face aux trois hommes, essayant de gagner du temps.

-Vous n'avez aucun droit de m'obliger à vous suivre. Le Président lui-même m'a donné sa parole.

Le plus proche dirigea son pistolet sur Crrill.

-Si vous n'obéissez pas immédiatement, je la brûle!

A ce moment le chef des assaillants poussa un gémissement en portant sa main libre à sa tête. Crrill fouillait brutalement son cerveau et il ressentait des élancements insupportables. Etonnés, les sbires détournèrent un instant leur attention, tandis que Colson essayait désespérément de récupérer un peu de lucidité.

-Allons-y ! lança mentalement Tor.

Les deux Kaliens concentrèrent leur énergie sur les chargeurs des pistolets des agresseurs les plus proches. Surchauffées les deux armes explosèrent, couvrant de flammes leur propriétaire.

L'intense luminosité réveilla complètement Oïl-son qui dégaina son arme et arrosa d'un jet thermique le troisième homme avant même que Tor pût intervenir. Le dernier bandit n'eut guère de chance. Les élancements douloureux qui lui vrillaient le crâne venaient à peine de s'estomper lorsqu'il vit ses trois subordonnés transformés en torches vivantes. Instinctivement il leva son arme mais le capitaine plus prompt tira le premier et une immense douleur le submergea.

Tor aida Colson à se redresser et le remercia chaleureusement.

-Sans votre intervention nous serions morts. Nous avons également eu la chance que leurs pistolets explosent au moment où ils tiraient. Probablement étaient-ils défectueux.

Encore abasourdi, Colson acquiesça et se laissa conduire au bloc médical dont la villa était pourvue.

-Il faut, bredouilla-t-il, que je fasse mon rapport.

-Naturellement, mais prenez le temps de vous soigner. Nous allons coucher à bord de notre astronef où nous serons à l'abri d'une éventuelle agression.

CHAPITRE V - LE MUSEUM

Le lendemain en fin de matinée, les Kaliens sortirent de leur astronef et trouvèrent Colson devant le bar. La plaie de son front était en voie de cicatrisation mais il arborait une mine soucieuse.

-J'ai relaté les incidents de cette nuit au Président. Il me charge de vous transmettre ses regrets. De plus une enquête a été ouverte, malheureusement la mort des agresseurs la rend difficile. La police n'arrive pas à trouver une explication et pense qu'il s'agit de l'oeuvre de déséquilibrés. Voulez-vous que nous renforcions les mesures de sécurité, pour prévenir tout risque de nouvelle agression?

-C'est inutile, capitaine, vous êtes le meilleur garde du corps que nous puissions avoir, sourit Crrill. Est-ce la seule raison de vos tracas?

-Non, madame, soupira Colson. Les nouvelles sont mauvaises. Des appareils xuls ont été signalés près de Pluton et il est probable qu'ils vont bientôt attaquer.

Les Kaliens échangèrent un rapide regard mais n'émirent aucun commentaire.

-Pouvez-vous m'obtenir rapidement un rendez-vous avec le professeur Tyler?

-C'est déjà fait, monsieur. Il vous recevra au muséum quand vous le désirerez.

-Inutile de le faire attendre davantage, partons immédiatement.

Après avoir survolé une grande partie de la métropole, l'hélimob se posa dans le parc zoologique. Prévenu par téléradio, le directeur les attendait. En dix ans il avait beaucoup vieilli et ses cheveux grisonnaient.

-Le capitaine m'a fait part de votre désir de vous documenter sur la faune de la planète Edénia. J'ai monté une série de films à votre intention.

En une demi-heure il leur montra des « mantes » et le danger qu'elles représentaient.

-Si vous envisagez une exploitation minière, des robots devront être employés. Avant l'arrivée des hommes, les « mantes » étaient peu nombreuses car seules les très rares antilopes fournissaient une pâture convenable aux larves. La survenue de nouvelles victimes, les colons d'abord, puis les condamnés, leur a permis de se multiplier et il faudra attendre des dizaines d'années avant que leur nombre diminue. J'avais même suggéré en son temps au Président de détruire les antilopes après en avoir capturé quelques couples pour préserver l'espèce. Ainsi, faute de pouvoir se reproduire, les « mantes » auraient été éliminées.

Si Crrill manifesta quelque émotion devant les images horribles, Tor lui, resta impassible. Il félicita Tyler de son remarquable travail.

-Pour être aussi bien documenté, vous avez dû passer de longs mois sur Edénia.

-Cinq jours seulement, mais j'ai eu la chance de rencontrer un prisonnier extraordinaire qui non seulement m'a sauvé plusieurs fois la vie mais m'a tout appris sur ces monstres.

Tor parut fort intéressé et le directeur poursuivit :

-En rendant mon rapport au Président précédent, j'ai vivement insisté pour qu'il soit gracié et je croyais avoir eu gain de cause. Malheureusement, comme le condamné était un ancien lieutenant, il fallait également l'avis des autorités militaires. Là je me suis heurté à un refus formel, malgré de pressantes démarches.

Tyler fouilla dans un volumineux dossier et sortit une lettre : « En raison du motif de la condamnation (trafic de « Phim »), il nous est impossible d'accéder à la demande de grâce présidentielle. Avec nos regrets. » Par ordre du grand amiral. C'était signé : Colonel Darf.

-Lorsque le bagne d'Edénia a été évacué, les condamnés ont été répartis dans différents centres en fonction de leurs capacités. J'ai aussitôt demandé que Ed Tand soit affecté au muséum. J'espérais ainsi pouvoir l'aider à prouver son innocence. C'est alors que j'ai appris qu'il avait disparu sur Edénia. Pourtant j'ai peine à croire qu'il se soit laissé surprendre par une « mante » et je ne désespère pas, un jour, de le voir revenir. Je pourrai alors lui prouver ma reconnaissance.

Tor se leva assez brusquement :

-Merci, monsieur, de vos renseignements. Je sais maintenant ce qu'il me reste à faire.

Le directeur du muséum ignora toujours qu'en moins d'une heure il venait de sauver la Terre !

Les Kaliens regagnèrent directement leur astronef où ils restèrent enfermés jusqu'au soir, au grand soulagement de Colson qui voyait ainsi sa mission de surveillance simplifiée et au grand ennui d'un lointain observateur qui, jumelles électroniques aux yeux, ne cessait de fixer la villa.

Alors qu'il finissait de dîner en solitaire, le capitaine vit les Kaliens pénétrer dans le grand salon.

-Quelles sont les dernières nouvelles de Pluton, capitaine?

-Franchement mauvaises. Les « lézards » sont de plus en plus nombreux dans les parages. Notre flotte se rassemble et doit appareiller demain après-midi.

-Si tôt? s'étonna Crrill.

-Initialement, le départ était prévu pour après-demain, mais le grand amiral vient de l'avancer de douze heures. J'enrage de devoir rester ici alors que les autres vont se battre !

Tor, avec un demi-sourire, murmura :

-Peut-être aurez-vous un rôle important à jouer d'ici peu. Pouvez-vous joindre le Président ?

-Oui, en cas d'urgence.

-Voulez-vous, dans ce cas, l'avertir que j'ai décidé de regagner Kal demain après-midi et que j'aimerais qu'il me fasse l'honneur de venir dans cette villa à dix heures du matin. S'il hésite ou veut se faire représenter par un sous-fifre, dites-lui que j'ai d'importantes révélations à faire sur le trafic du « Phim » et que j'insiste pour les lui communiquer personnellement.

Pendant que le capitaine s'activait, Tor décrocha le vidéotéléphone. La femme du grand amiral répondit presque aussitôt. Le Kalien lui annonça son départ précipité et l'invita pour le lendemain matin.

-Je désire remettre un modeste souvenir de mon pays à la plus belle Terrienne qu'il m'ait été donné de rencontrer, annonça-t-il galamment.

Elle accepta avec un large sourire et poussa la complaisance jusqu'à indiquer le numéro où l'on pouvait joindre son mari. Darf, accablé de travail, fut moins aimable, mais promit cependant de venir. Gais, lui, ne fit aucune difficulté, sachant qu'une très grosse commande de drogue était en jeu. « La négociation sera difficile, pensa-t-il, mais si cet étranger veut sa marchandise, il devra y mettre un bon prix. » Il voyait déjà d'énormes diamants s'amonceler dans son coffre personnel.

-Le Président accepte de venir demain à dix heures. Malheureusement il ne pourra rester que quelques instants, car en cette période critique il est sollicité de toutes parts pour régler d'importants problèmes.

Tor remercia le capitaine.

-Parfait, nous pouvons regagner notre astronef. Je compte sur votre présence à partir de neuf heures.

-Je vous accompagne, dit Colson méfiant en saisissant son pistolet thermique.

Il n'avait pas oublié la précédente agression et avait passé une partie de la nuit à se demander qui avait pu ordonner de tuer les Kaliens, car la version de la police n'était que peu satisfaisante.

Crrill ferma un instant les yeux. Le capitaine avait déverrouillé la porte et s'apprêtait à sortir le premier lorsque la jeune femme le tira brusquement en arrière. Jailli de la nuit, le jet thermique ne fit que lui roussir les cheveux et les sourcils. Vivement Tor referma la porte tandis que Colson, très pâle, regardait Crrill avec admiration.

-Quelle poigne ! souffla-t-il. Comment avez-vous su qu'on allait me tirer dessus?

-Nous vous l'expliquerons plus tard, promit Tor. Voulez-vous me prêter votre arme ?

Médusé, Colson lui tendit son pistolet. Tor s'approcha d'une fenêtre et appela télépathiquement :

-Crrill, combien sont-ils ?

-Quatre comme hier. Le plus près est derrière le buisson, à droite.

Guidé mentalement, Tor appuya sur la détente. Un hurlement suivi de l'apparition d'une boule de flammes prouva qu'il avait atteint sa cible.

-A gauche, maintenant, reprit Crrill. Là, parfait…

Un nouveau hurlement s'éleva dans la nuit, suivi rapidement de deux autres.

Calmement Tor rendit le pistolet au capitaine.

-C'est terminé pour ce soir, nous pouvons sortir en paix. Je compte sur vous pour faire disparaître toutes les traces du combat. Inutile d'avertir les autorités car je ne veux plus être dérangé ce soir !

Colson, encore hébété, murmura :

-Qui êtes-vous ? Hier les pistolets explosaient tout seuls et maintenant vous tirez sans voir. Vous avez un radar dans la tête?

Tor éluda le problème en répondant :

-Vous savez que nos organismes sont différents des vôtres. Nos yeux perçoivent les infrarouges, ce qui nous permet de voir la nuit.

Rassuré par cette explication simpliste, Colson sourit :

-J'aime mieux cela. Cela m'aurait ennuyé si vous n'aviez été que de vulgaires robots !

CHAPITRE VI - REVELATIONS

A dix heures moins le quart, Tor et Crrill pénétrèrent dans le salon. Â les voir souriants, Colson ne pouvait deviner qu'ils avaient travaillé toute la nuit avec acharnement.

Le premier invité à se manifester fut Gais. Tor l'accueillit avec amabilité.

-Je dois prendre congé officiellement des autorités, ce qui ne prendra guère de temps. Nous pourrons ensuite discuter sérieusement.

Gais s'inclina avec un sourire rusé.

-Je suis à votre disposition pour traiter toute affaire intéressante et je suis certain que nous arriverons à un parfait accord.

-Je n'en doute pas, rétorqua Tor avec le plus grand sérieux.

L'arrivée du grand amiral et de sa femme interrompit la conversation.

-Ainsi vous nous quittez déjà, dit Darf.

-Mon Dieu, oui. Je ne suis pas un valeureux guerrier comme vous, mais un représentant d'une race éminemment pacifique, simplement venu pour commercer. J'avoue appréhender les résultats de la bataille qui se prépare. Je compte donc appareiller en même temps que votre flotte et j'aimerais qu'elle m'accorde sa protection jusqu'à la plongée dans le subespace.

Le ton humble déplut à Colson. Il s'était pris d'amitié pour ces deux créatures et les aurait voulu pins belliqueuses. Pourtant, Tor lui avait paru un rude gaillard et sa compagne avait montré un magnifique sang-froid lors des deux agressions.

-Nous vous escorterons, si vous le désirez, mais il faudra nous donner vos coordonnées de plongée, répondit l'amiral qui espérait ainsi que les Xuls pourraient tendre une embuscade lors de l'émergence. Il rattraperait ainsi les échecs incompréhensibles de ses hommes. C'était probablement ce maudit capitaine qui en était la cause et il se promettait bien de le faire rapidement muter en première ligne.

-Naturellement, répondit Tor sans méfiance.

A ce moment, Colson annonça :

-Le Président, messieurs.

En deux jours, Mekkel avait beaucoup changé. Son visage s'était émacié et son regard brillait étrangement. Crrill perçut aussitôt la raison de cette transformation. Averti télépathiquement, Tor se tourna vers ses invités pendant que la jeune femme conduisait directement le Président dans le bureau.

-Capitaine, demanda Tor, voulez-vous tenir compagnie à monsieur Gais pendant que je remets à l'amiral et à son épouse le présent qui leur est destiné ?

Colson grimaça car l'individu ne lui inspirait aucune sympathie et il lui aurait volontiers mis sa main sur la figure.

Arrivé dans sa chambre, Tor saisit une curieuse statuette finement ciselée dans une matière bleu pâle, translucide, inconnue des Terriens.

-Comme elle est jolie, s'exclama Line en la saisissant.

-Regardez-la de près, conseilla Tor.

L'amiral et sa femme approchèrent la tête les yeux fixés sur la statuette qui parut devenir d'un bleu plus profond. Darf essaya de détourner son regard mais une force invisible l'en empêcha. Dans un ultime effort de volonté il tenta de briser la statuette mais ses membres lui refusèrent tout mouvement. Ses paupières se fermèrent et il sombra dans un profond sommeil.

Tor l'allongea à côté de sa femme qui, moins résistante, dormait déjà. Il laissa la statuette entre leurs deux têtes. En réalité, c'était un inducteur de sommeil que Crrill avait fabriqué la nuit précédente à l'intention de l'amiral.

Pendant ce temps Crrill avait refermé la porte du bureau derrière le Président. Dès qu'ils furent seuls, elle demanda, brutalement :

-Quand avez-vous absorbé du « Phim », Président ?

Mekkel sursauta mais ne se défendit pas.

-Je l'ignore, soupira-t-il d'une voix lasse. Quelqu'un de mon entourage a dû me le donner ces jours derniers. Hier, seulement, j'ai ressenti les premières manifestations de la drogue. Pourquoi m'a-t-on intoxiqué ?

-Ce n'est pas difficile à deviner ! Les Xuls vont anéantir votre dernière flotte demain et ils espèrent rapidement débarquer sur Terre. Pour éviter une prolongation des combats, ce qui entraînerait des destructions matérielles, ils préfèrent vous transformer en robot, pour vous obliger à donner l'ordre de capitulation sans condition. Ainsi ils prendront possession d'une industrie encore intacte. C'est pour cette raison qu'ils n'ont pas bombardé la Terre comme les autres planètes moins riches.

-Je m'étais tenu le même raisonnement et je compte déjouer leur plan en me suicidant aussitôt après le départ de la flotte. Que veut me dire votre mari ?

Crrill ne répondit pas. Elle saisit un verre d'eau, fit dissoudre un petit comprimé blanc et lui tendit :

-Buvez ! ordonna-t-elle.

Mekkel hésita, puis haussant les épaules, il avala le contenu du verre. Un vertige le saisit et il tomba dans le fauteuil que la jeune femme venait d'avancer. Sa vision s'obscurcit et des stries colorées zébrèrent ses rétines. Enfin il put ouvrir les yeux et il vit Crrill souriante penchée au-dessus de lui.

-Qu'est-il arrivé? marmonna-t-il.

-Vous êtes guéri, Président. Je vous ai donné un médicament neutralisant les effets du « Phim » et prévenant même toute nouvelle intoxication pendant au moins un an.

Mekkel bondit hors de son fauteuil comme propulsé par une fusée.

-Vous détenez l'antidote de cette maudite drogue !

-Effectivement.

-Pourquoi ne pas m'en avoir parlé plus tôt?

-Le moment n'était pas encore venu, éluda-t-elle. Nos savants ont analysé le « Phim ». Il ne s'agit pas d'une simple substance chimique plus ou moins complexe comme les autres drogues. Le « Phim » est en réalité une sorte de virion, un prévirus si vous préférez. Il se fixe électivement sur certaines cellules du cortex cérébral et là, comme tout virus, désorganise le métabolisme cellulaire. C'est ce qui crée les hallucinations et rend réceptif aux ordres des Xuls. Lorsque l'infection est suffisante, le virus oblige le noyau de la cellule cérébrale à travailler pour lui et à fabriquer un virus identique. C'est ce qui explique la persistance de l'intoxication et son évolution vers la mort, même en l'absence de nouvelle ingestion de drogue.

-Et vous avez trouvé le remède?

-C'est une sorte d'anticorps qui se fixe également sur les cellules cérébrales neutralisant les virus qui s'y trouvent ou qui viendraient ultérieurement à pénétrer.

-Saurons-nous le fabriquer ?

-La formule est assez complexe, mais vos chimistes y parviendront facilement en suivant nos instructions.

A ce moment Tor pénétra dans le bureau. Le Président voulut le remercier mais il l'arrêta en lui tendant un feuillet.

-Avant de songer à guérir, il faut supprimer la source de l'intoxication. Voilà les noms des principaux trafiquants et le lieu où le « Phim » est stocké. Maintenant, je vais vous présenter le chef terrien de l'opération.

Mis en présence du Président, Gais le salua familièrement car il se savait presque aussi puissant que lui et infiniment plus riche.

-Voici le cerveau du trafic du « Phim », affirma Tor.

La surprise figea les deux hommes.

-C'est une plaisanterie d'un goût douteux, articula péniblement Gais.

Sans tenir compte de l'interruption, Tor poursuivit :

-Ordonnez à quelques hommes sûrs d'arrêter immédiatement les nommés Argyll, Robertson, Duchesne, Erb, Borde, ainsi que les autres complices indiqués sur votre liste.

A chaque nom, Gais pâlit un peu plus et une vilaine sueur lui couvrit le front.

-Vous n'avez aucune preuve ! hurla-t-il.

Tor haussa les épaules et dit à Mekkel :

-Soumettez-le à un soudeur psychique. Je sais que vous en possédez et vous verrez qui dit la vérité.

-Vous n'avez pas le droit ! protesta Gais.

-Si j'ai raison, vous aurez ainsi la preuve qui vous manque, insista Tor, sinon il ne restera qu'à lui faire des excuses. Même s'il met quelques semaines à se rétablir, cela n'influencera en rien la bataille qui va se livrer. La Terre peut fort bien se passer d'individus de son espèce.

Colson avait suivi la scène sans rien dire. Sa confiance en ses amis Kaliens était telle qu'il n'hésita pas un instant.

-Le sondeur psychique ne sera peut-être pas utile, murmura-t-il.

De la main gauche il agrippa le vêtement de Gais et de la droite lui expédia une gifle magistrale, suivie aussitôt d'un revers puissant qui lui fendit les lèvres. Surpris, le directeur de la Compagnie galactique essaya de protester, mais une série d’allers-retours très secs lui coupèrent la parole.

-Arrêtez ! cria-t-il, le nez et la bouche ensanglantés.

Le Président fut tenté d'intervenir mais préféra attendre. Dans la situation critique de la Terre, Gais, même innocent, pouvait souffrir encore un peu.

Colson, déchaîné, secoua sa victime.

-Ecoute-bien, vermine ! rugit-il. Je suis persuadé que tu es à l'origine de cet immonde trafic ! Si tu ne parles pas je suis capable de te briser un à un tous les os. Il suffit d'épargner le crâne pour que le sondeur psychique puisse encore agir.

Aucunement habitué à fa souffrance physique, Gais s'affola devant le visage crispé de Colson. Nul doute que ce sauvage était capable de mettre sa menace à exécution. Il lui fallait gagner du temps et, plus tard, il saurait faire payer cher ses humiliations.

-Oui, avoua-t-il rageusement, j'ai organisé la vente du « Phim ». Demain, après-demain au plus tard, les Xuls seront les maîtres ! Moi je conserverai ma fortune tandis que vous ne serez que des esclaves !

Ecoeuré, Mekkel détourna la tête.

-Vous aviez raison, soupira-t-il. Je vais immédiatement faire arrêter ses complices.

-Il y a, hélas, beaucoup plus grave, reprit Tor, mais il faut d'abord neutraliser Gais pour qu'il ne s'échappe pas. Colson, voulez-vous conduire votre prisonnier dans la cabine D de mon astronef et n'oubliez pas de tirer le verrou en sortant.

-A vos ordres, monsieur, répondit-il en propulsant Gais d'une bourrade qui lui fit traverser la pièce sur le ventre.

Il dégaina son pistolet et prévint :

-Si tu espères te débiner, j'aurai le grand plaisir de te griller les pieds et c'est un cul-de-jatte que tes amis xuls retrouveront.

Dès qu'il fut sorti, Mekkel demanda :

-Quelle catastrophe allez-vous encore m'annoncer ?

Tor le conduisit dans la chambre où dormaient l'amiral et sa femme. Il désigna le porte-bonheur, l'arracha de sa chaîne et le brisa sur le sol d'un coup de talon. De nombreux fils apparurent au milieu des débris de pierre. Intrigué, le Président se pencha.

-Que Diable cela signifie-t-il ?

Doucement, Crrill entreprit de lui expliquer ce qu'elle avait découvert. Colson qui était revenu, sa mission accomplie, avait beaucoup de mal à suivre.

-Ainsi, vous aussi, êtes télépathes, murmura le Président.

-Ils sont mieux encore, s'exclama le capitaine.

Ils sont capables de voir à distance et de faire exploser des pistolets !

Le sourire de Crrill l'obligea à se taire.

-Que dois-je faire ? dit le Président. L'escadre est prête à appareiller et les Xuls l'attendent. Lorsqu'ils ne la verront pas arriver, ils comprendront que leur espion a été démasqué et ils attaqueront la Terre. Ce ne sont pas nos cinq cents malheureux vaisseaux aux équipages minés par la drogue qui pourront leur opposer une grande résistance. Votre intervention est trop tardive, hélas !

-Il nous reste encore un espoir, mais pour cela il faut nous rendre immédiatement à la base de Cap Canaveral où toute votre flotte est rassemblée.

-Je vais prévenir mes collaborateurs...

-Surtout pas ! jeta Tor. Nous ignorons s'il n'existe pas d'autres amplificateurs psychiques et l'opération exige le plus grand secret.

Mekkel n'hésita pas un instant.

-Partons ! Si nous échouons, les Terriens n'auront pas besoin d'un Président, et si par miracle nous réussissons, mon entourage le saura toujours assez tôt.

Tor fit signe à Colson de l'aider à transporter les deux corps. Pensant qu'il était le plus lourd, le capitaine voulut saisir l'amiral mais le Kalien lui dit :

-Prenez la femme et enfermez-la avec Gais ; après tout, ils sont de très vieux amis. Je m'occuperai de l'amiral à qui je réserve encore une surprise.

CHAPITRE VII - LA BATAILLE DE GANYMEDE

L'arrivée du Président dans un vaisseau étranger créa une petite révolution sur la base. En l'absence inexpliquée du grand amiral, le chef d'état-major Patterson se précipita à sa rencontre. Mekkel le reçut sèchement.

-Dans une demi-heure, réunion des commandants d'astronef ! Faites préparer au mess des boissons pour tous.

Puis il se dirigea, escorté des Kaliens et de Colson, vers la salle des opérations. Sans un mot, il regarda les plans de vol prévus, écoutant les explications des officiers présents. Par discrétion, les deux Kaliens se tenaient en retrait, ce qui n'empêchait pas Crrill de sonder les cerveaux. Plus de la moitié des hommes était sous l'emprise du « Phim » mais aucun ne possédait d'amplificateur psychique.

Patterson reparut suant et soufflant.

-Les officiers de bord sont à vos ordres, monsieur .le Président !

Mekkel s'approcha de Crrill qui, avant même qu'il formulât sa question, répondit à voix basse :

-Non, Patterson n'est pas intoxiqué.

Mekkel lui enjoignit de faire garder sévèrement l'extérieur du bâtiment où ils allaient se réunir, avec défense à quiconque d'y pénétrer. Les officiers se levèrent à l'arrivée du Président, tandis que discrètement les deux Kaliens s'approchèrent de la table où les rafraîchissements étaient prévus.

Quand les portes furent soigneusement fermées, le Président annonça :

-Avant toute communication, je désire que vous buviez un verre.

Il y eut quelques bousculades mais assez rapidement tout le monde fut servi grâce à la diligence des Kaliens et de Colson transformés en barmen bénévoles.

Le Président donnant l'exemple porta un toast.

-A la victoire ! dit-il en vidant d'un trait son verre.

Tous les officiers l'imitèrent et ce fut la confusion, car une bonne moitié d'entre eux fut saisie de vertiges et certains s'écroulèrent sur le sol. D'une voix sèche, Mekkel rétablit l'ordre. Quand les malaises furent dissipés, il expliqua qu'il venait de leur administrer un vaccin anti-« Phim ».

-Ce produit est encore ultrasecret et vous en êtes les premiers bénéficiaires. Nos amis Kaliens vous distribueront des comprimés exclusivement réservés à vos équipages respectifs. Chacun devra veiller à les faire absorber à ses hommes sans les prévenir. Ainsi les « lézards » n'auront pas la possibilité de savoir que le « Phim » est devenu sans effet sur vous. La bataille qui s'engage est décisive pour l'avenir de la Terre. Vous êtes en nombre inférieur à celui de l'ennemi, mais pour la première fois vous combattrez à armes égales sans trahison possible.

Une immense clameur salua les paroles du Président.

-Je vous accompagnerai à bord de l'astronef de nos alliés. Les directives seront données sur le canal 357. Une fois dans l'espace, vous ne prendrez d'ordre que de moi ou du colonel Colson que je nomme chef de mon état-major particulier ! J'ai terminé, messieurs ! Regagnez vos astronefs sans échanger une seule parole avec le personnel de la base. Le décollage reste prévu pour dix-huit heures.

Une fois les officiers partis, Crrill s'approcha de Colson en souriant.

-Félicitations, colonel. Voilà une promotion aussi flatteuse que méritée.

Il secoua la tête, encore sous le coup de la surprise.

-C'est uniquement à vous que je la dois, reconnut-il.

-Ne croyez pas cela ! Tor ne voulait pas intervenir dans les affaires terriennes. C'est votre comportement loyal qui l'a fait changer d'avis.

Pendant ce temps, le Président avait convoqué Patterson. Il lui tendit un feuillet.

-J'accompagne l'escadre mais mon départ doit rester secret. Coupez toutes les communications de la base avec l'extérieur. Prenez des hommes sûrs et arrêtez ces individus. Ce sont les principaux trafiquants de « Phim ». Détruisez les stocks existants et gardez vos prisonniers au secret absolu. Nous réglerons leur cas à mon retour. Je vous rends responsable de la réussite de cette mission qui, elle aussi, doit rester secrète !

Patterson acquiesça, trop surpris pour discuter.

A l'heure prévue, les astronefs décollèrent et bientôt la Terre ne fut plus qu'une petite boule brillante. Dans le poste de pilotage du vaisseau Kalien, le Président demanda à Tor :

-Comment envisagez-vous la suite des opérations ?

-Les Xuls, prévenus par Darf, nous attendent dans le secteur de Ganymède. Il ne faut donc pas les décevoir sinon ils refuseront le combat. Notre but est non seulement de les repousser, mais de leur infliger une défaite qui vous donnera le temps de réorganiser la Terre purgée du « Phim » et de renforcer votre armement.

-Cependant, objecta Mekkel, si nous poursuivons cette route nous allons tomber dans le piège.

Tor réfléchit un instant.

-C'est pourquoi nous continuerons seuls. Vous allez ordonner à votre flotte de se diviser en deux groupes qui contourneront Jupiter pour prendre les Xuls à revers.

-Mais ils ne se démasqueront pas s'ils voient arriver un seul vaisseau et non une escadre.

Le Kalien sourit.

-Ils nous croiront des centaines. Wef, un physicien Kalien, a imaginé un petit gadget amusant. C'est un émetteur d'ondes particulières qui interfèrent avec les détecteurs xuls, donnant l'impression que notre astronef est au centre d'une formation de centaines d'appareils.

-Mais nous serons seuls à subir le premier assaut de toute l'escadre xuls, s'exclama le Président ! Je ne peux vous laisser jouer ainsi le rôle d'appât alors que vous n'êtes même pas armés !

-Ne vous souciez pas de cela, intervint Crrill. Nous avons beaucoup mieux que vos torpilles atomiques !

A demi convaincu, Mekkel accepta le plan proposé et contacta le reste de la flotte. Ses instructions données, il précisa :

-Au cas où notre astronef viendrait à disparaître, le commandement sera assuré par l'officier le plus ancien de chaque groupe. Vous ne devrez accepter aucun ordre de la Terre avant la fin de la bataille.

Bientôt le vaisseau Kalien poursuivit seul sa route et Tor enclencha le dispositif de Wef. Sur les écrans de contrôle des centaines de points apparurent.

-Colonel, demanda Tor, voulez-vous aller chercher le grand amiral ? Il est enfermé seul dans la cabine C. Je veux dissiper toute équivoque dans l'esprit du Président.

Colson installa Darf toujours endormi dans le fauteuil du copilote et Crrill lui fit une injection intraveineuse.

-Qu'est-il arrivé, murmura l'amiral en reprenant conscience.

-Un simple malaise dû au surmenage et les médecins nous ont conseillé de vous laisser dormir, dit Tor. Comme le Président désirait participer à la future bataille, nous avons pris l'air en même temps que votre escadre et nous avons cru bon de vous emmener pour que vous puissiez donner les ordres nécessaires. Tous nos moyens de communication sont à votre disposition.

Darf scruta les écrans et regarda le simulateur de route.

-Nous n'allons pas tarder à arriver dans la zone de Ganymède, précisa aimablement Tor.

L'amiral porta machinalement la main à son cou et ne trouva pas son pendentif.

-Excusez-nous, intervint Crrill d'un ton léger. En vous transportant la chaîne s'est brisée, et de peur d'égarer votre porte-bonheur, j'ai préféré le laisser à votre femme qui nous a accompagnés jusqu'à l'astroport. Elle a promis de le faire réparer.

Un gémissement sortit de la gorge de Darf. D'un geste nerveux il s'essuya le front et regarda anxieusement les écrans de contrôle. Sans son amplificateur psychique il ne pouvait avertir les Xuls de sa présence, comme les fois précédentes, pour qu'ils évitent d'attaquer l'astronef où il se trouvait.

-Demi-tour, vite hurla-t-il, dans quelques minutes il sera trop tard ! Les « lézards » vont attaquer !

-Comment le savez-vous? demanda sèchement le Président. Les auriez-vous prévenus ?

L'amiral retomba sur son siège, comprenant qu'il venait de se trahir.

-Colonel, ordonna Mekkel, vous pouvez reconduire l'amiral dans sa cabine, en attendant son jugement!

Colson le saisit rudement par l'épaule. Darf tenta de se débattre mais un poing énorme lui percuta le menton et il s'écroula inanimé.

-Maintenant vous pouvez l'enfermer avec les autres, conseilla Tor.

Plusieurs minutes s'écoulèrent et la tension montait à bord. Le premier, Colson s'écria :

-Les voilà !

En un instant, les appareils xuls attaquèrent dans toutes les directions et l'encerclement fut complet. Calmement Tor appuya sur un bouton. Aussitôt des éclairs rougeâtres parurent entourer leur astronef. Wef avait installé vingt-quatre lasers Solnikof améliorés, chacun couplé à un radar de tir automatique.

A chaque salve vingt-quatre navires xuls explosèrent. Malgré l'importance des pertes, les Xuls poursuivirent courageusement leur assaut et la moitié des effectifs arriva à portée de tir, libérant une nuée de torpilles atomiques qui se dirigea vers les Terriens. Très pâle, Colson murmura :

-C'est la fin, jamais vous n'arriverez à les arrêter.

Tor enclencha un interrupteur.

-Regardez, dit-il paisiblement. Les torpilles se ruent sur les leurres.

Effectivement les engins se croisaient en tous sens, désemparés de ne pas rencontrer d'obstacle et finissaient par être captés par l'énorme masse de Jupiter.

Toutefois, une vingtaine de projectiles fonça sur le navire Kalien. Colson les signala, mais Crrill le calma d'un geste.

-Attendez, nous avons encore un petit gadget, murmura-t-elle.

Le colonel ne pouvait détacher son regard de l'écran. Les torpilles se rapprochaient à une vitesse considérable et il crut sa dernière heure arrivée. Soudain, elles semblèrent rebondir sur un obstacle invisible et elles explosèrent sans causer le moindre dommage au vaisseau.

-Que s'est-il passé? demanda le Président en s'épongeant le front.

-Vous savez que nous avons entouré notre planète d'une ceinture de radiations. Wef a miniaturisé son émetteur et l'a monté sur l'astronef qui est ainsi au centre d'une sphère protectrice.

Pendant ce temps les lasers tiraient sans discontinuer et il ne restait plus qu'une centaine d'astronefs xuls. Un certain flottement était perceptible chez l'ennemi.

-Ils vont se replier, dit Tor. C'est le moment de lancer votre flotte à l'attaque.

Le Président distribua rapidement ses ordres et les appareils terriens se ruèrent à l'assaut des survivants xuls. Le combat fut bref. Déchaînés, les Terriens pulvérisèrent leurs ennemis et, bientôt, il n'y eut plus un seul Xuls dans le système solaire.

Radieux, le Président donna le signal du retour. Pour la première fois, une escadre xuls était anéantie sans perte terrienne.

Tandis que Mekkel, épuisé, somnolait, Tor brancha le pilotage automatique, confiant à Colson la surveillance des écrans. Lorsqu'il pénétra dans la cabine D, les trois prisonniers maintenant réveillés, se levèrent.

Tor les dévisagea un long moment en silence avant de murmurer :

-Gais, Darf, Line, réunis dans le même astronef, cela devrait vous évoquer certains souvenirs, vieux de plus de dix ans ! Mais il manque quelqu'un à cette réunion des anciens du Betelgeuse.

-Ed tand, murmura l'amiral.

-Il n'est peut-être pas très loin, reprit Tor.

Line comprit la première.

-Ed, je suis sûre que c'est toi ! s'exclama-t-elle en voulant se précipiter dans ses bras.

Tor la poussa sèchement et elle s'écroula sur le sol en gémissant.

-Ce n'est pas possible, bégaya Darf, les analyses ont montré que vous n'êtes pas un Terrien.

-Effectivement, mon corps est Kalien mais il est bien habité par l'esprit de Ed Tand !

Devant ses interlocuteurs médusés, il expliqua :

-Votre piège ayant parfaitement fonctionné, je me suis retrouvé condamné à finir mes jours sur Edénia. Peu importe quelles furent mes épreuves, mais sachez que je fus repêché par un astronef Kalien ! Là-bas je combattis les Xuls et à l'instant de la victoire je reçus de plein fouet une décharge de pistolet thermique.

-Nul ne peut survivre à une telle chaleur ! émit Gais.

-Effectivement, mais c'est là que le destin intervint. Le Xuls avait tiré assez bas et mon cerveau ne fut pas carbonisé. Seulement privé d'oxygène, il ne pouvait survivre plus de trois minutes. Crrill, alors, accomplit un miracle. Par sa seule volonté elle parvint à rétablir une oxygénation suffisante. Malgré cela la situation ne pouvait s'éterniser et Oxp eut une idée géniale.

Tor marqua une pause avant de poursuivre :

-Une torpille xuls lancée par leur dernier aviso avait entraîné la mort de plusieurs Kaliens. Oxp choisit un corps à peu près intact et le ranima. Naturellement, la mort avait fait son oeuvre et le cerveau était totalement vide. Il décida de transporter mon cerveau dans ce corps.

-Une greffe d'organe en quelque sorte, dit Darf.

Tor secoua la tête.

-C'était impossible, car nous sommes trop dissemblables. Un à un ils prélevèrent le contenu de chaque neurone et l'imprimèrent dans une cellule vierge du cerveau Kalien. N'oubliez pas que notre espèce, bien que relativement peu évoluée, en contient cependant des millions. Parce qu'ils croyaient avoir envers moi une dette de reconnaissance, des milliers de Kaliens travaillèrent à ce projet pendant des semaines ! Quand je repris conscience, il me fallut plusieurs mois pour m'habituer à mon nouveau corps et à ses immenses possibilités. Pour les Kaliens, je ne suis encore qu'un enfant, mais chaque jour j'acquiers de nouvelles connaissances.

Un lourd silence plana dans la cabine jusqu'à ce que Tor reprit d'une voix sourde.

-Toutes ces épreuves n'avaient fait que renforcer mon désir de vengeance. Les Kaliens ignorent la haine, mais ils respectèrent mes convictions. Soucieux de ma sécurité, ils construisirent ce merveilleux astronef qui à lui seul vient d'écraser la flotte des Xuls.

L'annonce de cette victoire qu'ils ignoraient réduisit à néant le dernier espoir des prisonniers. Leurs alliés ne pourraient donc pas les secourir !

-Je ne suis revenu que pour vous punir, bien décidé à regarder en simple spectateur l'écrasement des derniers Terriens que j'englobais dans ma haine contre vous.

-Pourquoi avoir changé d'avis? ricana Gais.

-C'est un simple capitaine et un vieux professeur qui m'ont amené à modifier ma conduite, en prouvant qu'il pouvait encore exister des êtres loyaux et reconnaissants.

La main sur la poignée de la porte, il ajouta :

-Dans quelques heures nous atterrirons et vous serez remis à vos concitoyens, qui se chargeront de vous. Compte tenu des circonstances, je sais que leur verdict sera impitoyable. Cependant je voulais que vous sachiez que vous devez votre perte à votre premier crime, celui d'avoir trahi un jeune et naïf lieutenant qui croyait à l'amitié et à l'amour d'une femme.

Line s'accrocha à lui en hurlant.

-Ed ! Sauve-moi ! Je n'ai jamais aimé que toi ! Je ne suis pour rien dans cette machination.

Le visage de Tor se durcit.

-Inutile, Line, je sais que tu as caché la drogue dans ma cabine du Betelgeuse, et tu oublies que je suis devenu télépathe, certes beaucoup moins bon que Crrill, mais je peux en ce moment deviner toutes tes pensées.

Sans un regard pour le beau corps affalé sur le sol, il sortit. Crrill l'attendait dans le couloir et il lui prit tendrement la main.

-Tout est terminé, murmura-t-il. Dès que possible, nous regagnerons Kal.

CHAPITRE VIII - ADIEUX A LA TERRE

Le lendemain de la mémorable bataille de Ganymède, le Président, fidèlement escorté de Colson, arriva à la villa des Kaliens. Il paraissait très agité.

-Je viens d'apprendre par le colonel que vous voulez repartir ce soir, dit-il à Tor qui l'accueillait.

-C'est exact, notre mission est terminée et nous désirons regagner notre planète.

-Ce n'est pas possible, gémit Mekkel, votre oeuvre n'est pas achevée. Il faut guérir des millions de Terriens encore intoxiqués et surtout nous préparer à subir de nouvelles attaques des Xuls.

Tor resta inflexible.

-Cela ne nous concerne plus. Depuis des siècles les Kaliens se sont interdit d'intervenir dans les affaires galactiques. Il a fallu des circonstances réellement exceptionnelles pour justifier notre venue.

Mekkel essaya de protester, mais Tor poursuivit :

-En remerciement de l'aide qu'un Terrien leur a autrefois apportée et dans un but humanitaire, mes compatriotes m'ont autorisé à vous livrer le secret du vaccin anti -« Phim ».

Il tendit un dossier au Président.

-Les notes sont rédigées en des termes intelligibles pour les chimistes terriens et la fabrication devrait pouvoir démarrer très rapidement.

-Les ordres seront donnés dès ce soir et toute la population sera traitée pour qu'une pareille tragédie ne se renouvelle pas.

Tor saisit une nouvelle liasse de papiers.

-La guerre contre les Xuls sera longue et difficile. Vous devrez reconquérir un par un tous les systèmes que vous aviez colonisés. Je ne puis malheureusement faire profiter vos astronefs de l'écran protecteur qui est spécifiquement Kalien, mais je vous offre deux présents. D'abord les plans détaillés des moteurs xuls. Je ne doute pas que vos ingénieurs sauront les adapter à vos vaisseaux qui seront ainsi à égalité avec ceux de l'ennemi.

Le Président saisit les documents et les confia à Colson.

-Enfin, poursuivit Tor en lui tendant une vieille serviette de cuir, je vous remets les travaux d'un savant terrien. Ce sont les plans du laser Solnikof dont mon vaisseau est équipé et vous avez pu juger de son efficacité ! Vous auriez pu en disposer dès le début de la guerre si quelques individus sans scrupule n'avaient assassiné Solnikof !

En quelques mots, il résuma les démêlés du savant avec la puissante Compagnie d'Exploitation Galactique et l'injuste condamnation d'Abe Raf. Seulement, il ne précisa pas comment les documents étaient entrés en sa possession.

-Pour éviter que de telles manoeuvres se renouvellent, je vous conseille de dissoudre la Compagnie et de la faire passer sous contrôle gouvernemental.

Mekkel sursauta, brusquement inquiet.

-Une telle nationalisation est impossible, la Compagnie est trop puissante !

-Plus maintenant ! Elle a perdu toutes ses exploitations galactiques et ne vit que de la fabrication des armements. Or le laser Solnikof remplace avantageusement les torpilles. La Compagnie le savait bien puisqu'elle a fait disparaître ce savant ! De plus, Gais est arrêté et son discrédit rejaillira sur tous les membres de la firme. Croyez-moi, aucun n'osera élever la voix de peur d'être accusé de complicité.

Colson approuva vigoureusement.

-Si vous m'en donnez l'ordre, Président, je me charge de nettoyer la place avant demain matin !

Mekkel esquissa un sourire.

-L'ordre sera signé dans deux heures. Autant ne pas laisser le temps à ces messieurs de s'organiser.

Puis il se tourna vers Tor.

-Vous voyez que vous devez rester sur Terre pour nous conseiller.

-Inutile d'insister, Président, nous partons immédiatement !

Sentant la décision irrévocable, Mekkel les accompagna jusqu'à leur astronef.

-Qu'avez-vous fait des prisonniers? murmura Tor.

-Ils ont été soumis au sondeur psychique, nous voulions savoir s'il existait d'autres amplificateurs sur Terre. En lisant les comptes rendus, j'ai été intrigué par une curieuse histoire présente dans les trois cerveaux. J'ai consulté l'ordinateur-juge et j'ai retrouvé la trace de la condamnation d'un certain Ed Tand.

Tor soutint sans défaillir le regard perçant du Président.

-Ed Tand est mort sur Edénia, affirma-t-il. Inutile de remuer le passé. Que vont devenir les prisonniers ?

-Le Conseil de Gouvernement, unanime, les a condamnés à mort.

-Tous les trois?

Le Président hocha la tête.

-La sentence a été immédiatement exécutée.

Le Kalien retint un soupir. Sa vengeance n'avait-elle pas dépassé ses espérances ? Il s'ébroua et se tourna vers Colson.

-Colonel, vos nouvelles fonctions vont vous obliger à résider souvent dans la capitale.

-C'est probable, mais j'avoue ne guère avoir eu le temps d'y songer, monsieur.

-Dans ce cas, je vous lègue cette villa, l'hélimob et ce qui reste sur mon compte en banque, bien que je craigne que cet établissement ne soit plus guère solvable.

Colson se récria, mais Crrill insista :

-Acceptez, en souvenir de nous.

Vaincu, le colonel s'inclina.

-En échange, reprit Tor, je vous demanderai un service. Lorsque les Xuls auront été chassés de la galaxie vous reprendrez certainement le système de Régulus. J'aimerais que vous fassiez partie de la première expédition. En abordant sur la quatrième planète, vous trouverez de curieux ours bleus, si les Xuls ou la Compagnie d'Exploitation Galactique ne les ont pas exterminés. Faites-les examiner par les experts de xénobiologie, car ce sont des créatures intelligentes. Ainsi les souffrances d'un jeune lieutenant n'auront pas été totalement inutiles.

-Je vous donne ma parole, dit Mekkel qui venait brusquement de comprendre la genèse du drame.

Sur le point de franchir le sas, Tor se retourna.

-Un dernier conseil, Président. Si vous devez conquérir la galaxie, évitez le système de Deneb ! Peut-être dans un siècle reviendrons-nous voir ce que sont devenus les Terriens.

La porte se referma et les moteurs grondèrent.

Immobiles, le Président et Colson regardèrent s'envoler l'astronef qui bientôt ne fut plus qu'un minuscule point brillant.

Dans le poste de pilotage, Crrill dit :

-Tu aurais pu rester sur la Terre auprès des tiens.

Tor lui saisit la main, débordant de tendresse :

-Kal sera désormais ma patrie. En réalité, j'ai été injuste envers Gais et Darf. Sans eux, je ne t'aurais jamais rencontrée et, malgré tout, je leur dois mon bonheur.

FIN