-Cette planète est totalement déserte. Avant de décider cette installation, les détecteurs l'ont observée plus d'une semaine. Ils n'ont décelé ni animaux ni végétaux. Maintenant, assez tergiversé ! Je veux un résultat avant ce soir.

Les trois hommes enfilèrent une galerie creusée dans le roc pour atteindre une porte métallique. Ils étaient escortés d'un robot de combat, gros ovoïde se déplaçant par antigravité. De la moitié supérieure se détachaient quatre tentacules supportant analyseurs, détecteurs, laser et surtout un puissant désintégrateur.

Parvenus à l'extérieur, les pirates clignèrent des yeux, éblouis par le vif éclat du soleil levant.

-Par où commençons-nous, Boris ? demanda le brun.

Le blond examina un moment la plaine bordée de collines.

-Allons sur la droite. Il y a une dizaine de cavernes à explorer. Une fois arrivés à la montagne, nous reviendrons par l'autre côté.

-Une belle promenade en perspective, soupira le troisième. Au moins trente kilomètres ! Nous n'aurons jamais terminé ce soir.

-Autant se mettre au travail immédiatement. Tu as entendu les ordres du commandant, Vince. Je ne souhaite pas le contrarier car il peut devenir féroce. Je n'aimerais pas être dans la peau du type que nous devons lui ramener.

Le premier orifice, à la base d'une colline était distant d'un bon kilomètre. Les trois pirates se mirent en route, foulant le sable jaune qui ralentissait la marche. Curieux, Vince s'écarta de ses camarades pour examiner une de ces grandes pyramides vertes qui l'intriguait.

Tout à l'observation du minéral, il ne prit pas garde au frémissement du sable. A trois mètres de lui un Tyrkas apparut.

-Vince, attention, devant toi, hurla Boris.

Le pirate regarda la curieuse tortue qui émergeait du sol. La tête avec ses deux yeux minuscules l'intriguait. Le bec s'ouvrit et un jet de liquide éclaboussa sa combinaison d'astronaute. La surprise le fit reculer de plusieurs pas.

La douleur survint, atroce comme une brûlure au fer rouge. Le tissu de son vêtement fondit, découvrant son torse. La peau disparaissait, faisant apparaître les côtes d'un blanc indécent.

Un hurlement jaillit de sa gorge. Il voulut fuir, rejoindre ses compagnons mais un deuxième Tyrkas lui barra la route. A peine discerna-t-il le nouveau jet qui l'atteignit, augmentant encore sa souffrance. Il se roula à terre comme pour éteindre ce feu qui le dévorait. Déjà les tortues approchaient de toute la vitesse de leurs six pattes.

D'abord sidéré par la rapidité du drame, Boris réagit en ordonnant au robot de combat d'intervenir. Un tentacule s'alluma et le faisceau laser toucha les deux tortues à moins d'une seconde d'intervalle. Prudent, Boris examina les deux monstres immobiles avant d'approcher du corps de Vince. Ce dernier avait cessé de vivre. Il présentait au niveau du thorax une énorme plaie en entonnoir. La paroi avait disparu laissant voir coeur et poumon gauche. Le puissant acide continuait à agir, entraînant un bouillonnement noirâtre d'où s'élevait une légère fumée. Etait-ce une illusion ? Il lui sembla que le coeur se contractait une dernière fois avant de se transformer en un affreux magma gluant.

Boris n'était pas d'une nature sensible. En vingt ans de piraterie, il n'avait jamais hésité à tuer, torturer, violer mais le spectacle lui tordit les entrailles et il ne put retenir un vomissement de bile amère.

Il s'essuya la bouche d'un revers de main avant de décrocher le communicateur radio qui pendait à sa ceinture. D'une voix étouffée, tremblante, il appela la base.

-Commandant ! nous avons un gros problème.

-Parlez !

-Vince... Des créatures minérales... Il est mort...

Plusieurs minutes furent nécessaires pour que

Nuk-So obtienne un récit cohérent. Le commandant ne s'embarrassait pas de vaine sensiblerie.

-C'est un incident fâcheux. J'envoie un robot récupérer le corps de Vince et les deux bestioles. Mac Nab qui n'a guère de travail en ce moment, les étudiera. Vous deux, reprenez votre mission mais soyez prudent. Faites passer en tête le robot de combat et ordonnez-lui de détruire toute créature non humaine. En cas de difficultés, appelez, je laisse en permanence la radio branchée.

***

Le retour des Arliks dans leur caverne éveilla Marc. Il s'étira et fit quelques mouvements d'assouplissement pour chasser les courbatures provoquées par sa nuit sur le sable. Ray lui tendit une tablette nutritive et un gobelet d'eau. Cette dernière était toujours tiède et salée.

La pensée de Ko-Tak atteignit Marc.

-Les Nilcos ont commencé les recherches. La base des pirates a été aménagée dans le cratère principal du volcan. Ils ont creusé des galeries, certaines très vastes. Nos amis en dressent les plans en ce moment. Ils trouvent les Terriens très imprudents car à tout instant le volcan risque de se réveiller et ses colères peuvent être terribles.

-Merci, ami. Dès que j'aurai une vue d'ensemble de la situation, je pourrai agir. Je ne te cache pas que la découverte de votre existence modifiera notre action. Nous ferons tout pour que vous n’ayez pas à pâtir de nos querelles.

La conversation se poursuivit longtemps. Marc souhaitait accumuler le plus de connaissances sur leurs moeurs et habitudes. En effet, s'il prévenait immédiatement Neuman de la présence des pirates, nul doute qu'il ordonnerait à ses croiseurs de bombarder la base sans se soucier de ceux qui vivaient autour de l'ancien volcan.

Soudain, Marc perdit le contact avec Ko-Tak. Une vive agitation s'emparait des Arliks qui émettaient des pensées décousues dont le Terrien ne percevait que des bribes.

-C'est terrible, ami. Des hommes ont pénétré dans un de nos refuges. Ils étaient accompagnés d'une créature métallique. C'est cette dernière qui a agi. Un énorme éclair mauve et tous mes amis ont disparu. Un seul a survécu parce qu'il était à ce moment dans une galerie. C'est lui qui vient de nous avertir. En ce moment les Terriens se dirigent vers notre grotte.

Marc réfléchit très rapidement.

-Je crains d'être la cause involontaire de ce malheur. Notre appareil volant a dû être repéré par leur système de surveillance. Ils pensent que je me cache et ils ont entrepris une fouille systématique des endroits où je suis susceptible de me dissimuler. Pouvez-vous demander à vos amis de fuir ?

-C'est impossible! Il n'existe pas de communication suffisante entre nos lieux de repos. Il nous faudra passer par l'extérieur. Or, en plein jour, les Tyrkas sont dangereux et ils sont nombreux.

Marc contacta psychiquement Ray.

-Je ne peux les laisser massacrer par le robot de combat des pirates. Pour arrêter leurs recherches, il suffit que je me rende.

-Tu ne peux faire cela ! Ils vont te tuer !

-Souviens-toi de ce qu'a dit Dodd. Ils veulent me capturer vivant. Cela te laissera le temps, dès qu'ils auront regagné leur base, de retourner sur le Mercure. N'utilise pas le module et sers-toi seulement de tes antigrav.

-Ce sera long !

-Tout au plus quelques heures ! Envoie un message à Neuman pour l'informer de la situation. Les croiseurs de la Sécurité Galactique ne sont pas loin et ils interviendront rapidement.

-Connaissant la délicatesse des militaires, ils sont capables de bombarder immédiatement la région sans plus tergiverser.

-Ils hésiteront s'ils me savent prisonnier. Ils entameront des négociations pour obtenir ma libération.

-Je n'ai aucune confiance dans leur sens de la diplomatie. Ne peut-on essayer de combattre ?

-Nous n'avons aucune chance contre un robot de combat. Ni ton écran protecteur, ni le mien, ne résisteront plus d'une seconde à son désintégrateur.

-Et si nous tentions de fuir ? plaida encore l'androïde beaucoup plus ému que n'aurait dû l'être une simple machine.

-Nous ne passerons pas inaperçus. Le robot nous repérera aussitôt dans cette plaine où il est impossible de se dissimuler. Enfin si nous essayons de prendre le module, ce sera pire. Il nous abattra immédiatement.

A court d'arguments, Ray se tut tandis que Marc avertissait Ko-Tak de son plan.

-Ton geste épargne mes compatriotes. Il est généreux mais dangereux. Je souhaite que tu réussisses à préserver ta vie.

-Merci ! Evacuez la caverne où j'ai dissimulé notre véhicule car je serai contraint d'en indiquer l'emplacement.

Marc se dirigea vers l'entrée de la grotte. Il s'allongea sur le sol et appliqua son visage sur le sable.

-Je veux donner l'impression que je meurs de soif ! Ray, dissimule-toi au fond avec nos amis pour ne pas être découvert. Je pense qu'une fois qu'ils m'auront trouvé, ils interrompront les recherches. Nous resterons en contact psychique.

-Si je te sais menacé, tu sais que j'interviendrai même si je dois être désintégré.

-N'oublie pas que tu as d'abord à effectuer une mission ! Neuman doit être informé !

-Je le sais ! Attention, reste immobile, les pirates approchent.

En effet, moins de dix minutes plus tard, les tentacules du robot saisissaient le corps de Marc et le retournèrent. Boris tâta de la pointe de sa botte le flanc puis décrocha sa radio :

-Commandant, nous avons trouvé un type. Il est assez mal en point ! Il semble crever de soif.

-Tentez de le réanimer et ramenez-le à la base !

Le pirate fit un signe à son acolyte en lui tendant une gourde accrochée à sa ceinture.

-Donne-lui à boire !

Eddy se pencha vers Marc, lui souleva la tête et essuya d'un revers de main le sable qui maculait les lèvres. Il approcha le goulot de la bouche et fit couler un mince filet de liquide.

En réponse, il obtint d'abord une quinte de toux puis un réflexe de déglutition. Prudent, il interrompit la manoeuvre après quelques gorgées.

-Encore, soupira le malade.

-Il reprend conscience, Boris. Que veux-tu que nous fassions ?

-Tu as entendu le patron, nous rentrons.

-Il n'est pas encore capable de marcher.

-Aucune importance ! Le robot le portera.

Aussitôt, deux tentacules s'enroulèrent autour du corps de Marc et le soulevèrent. La petite troupe se mit en marche d'un pas rapide, soulagée de pouvoir regagner l'abri du volcan. Eddy et Boris lançaient des regards anxieux sur le sable, tentant de deviner s'il ne cachait pas d'autres pièges.

CHAPITRE XII

Nuk-So regardait avec une satisfaction non dissimulée son prisonnier. Il se tenait debout, le dominant de toute sa taille. A côté de lui, se trouvait un grand type maigre. Le long cou, le visage étroit, le nez crochu, évoquaient irrésistiblement un vautour.

Marc, feignant l'épuisement, était soutenu par Boris.

-Pose-le sur ce fauteuil, il n'a pas l'air très frais, ricana le commandant.

Se tournant vers le vautour, il reprit :

-Mac Nab, voilà le capitaine Stone qui aura beaucoup de choses à nous dire avant de crever. Boris, secoue-le pour qu'il nous entende.

Le pirate posa son énorme main sur l'épaule de Marc qui murmura d'une voix faible :

-A boire...

-Tu n'auras rien avant d'avoir répondu à mes questions, grogna Nuk-So.

-Nous avons intérêt à ce qu'il parie très vite, intervint Mac Nab. Je suis curieux de savoir comment il est arrivé ici. Vous aurez ensuite tout le temps de vous expliquer avec lui.

-Entendu mais débrouillez-vous pour le rendre loquace.

Le vautour alla à un distributeur plaqué contre le mur et revint, porteur d'un gobelet qu'il approcha des lèvres de Marc. Ce dernier avala sans grimacer le mauvais jus de fruit synthétique.

Ils étaient dans un petit bureau sans ouverture extérieure, éclairé par des spots muraux. Le Terrien redressa enfin la tête.

-Comment as-tu échappé à So-Ghun ? lança Nuk-So.

-J'ai eu beaucoup de chance, répondit Marc d'une voix faible. Nous avons lancé simultanément nos missiles. Par hasard, mes deux premiers ont explosé en même temps, saturant son écran protecteur. Les suivants ont pulvérisé l'astronef.

Le pirate serra les poings de colère tandis que Marc poursuivait :

-Je n'ai pu éviter les torpilles qu'il m'avait envoyées. La dernière a explosé très près de la coque. Une secousse épouvantable. Le vaisseau se disloquait. Je n'ai eu que le temps de gagner un canot de survie mais j'ai sacrifié mon androïde. Il a dû ouvrir manuellement le sas d'éjection. Moins de cinq secondes après ma sortie, l'astronef explosait.

-Quel robot vous accompagnait ? demanda le vautour.

Marc lui lança un regard rapide. Ainsi, c'était l'informaticien qui avait partagé la cellule d'Yvan Boulkof.

-Ray, mon androïde habituel, répondit-il.

Mac Nab frappa sèchement le sol du talon.

-Impossible, il était parasité !

-Exact ! Mais dès les premières manifestations de votre virus, il a débranché tous ses circuits. Ensuite, à l'usine, les ingénieurs l'ont retapé. Trois jours plus tard, il reprenait son service.

Une grimace déforma les traits de Mac Nab.

-Je ne puis le croire, ce virus était très sophistiqué.

Marc s'offrit un sourire, seul luxe qu'il pouvait se permettre dans sa situation.

-Dans votre spécialité, vous n'êtes pas mauvais mais la Cosmos Jet a les moyens financiers de s'offrir les meilleurs ingénieurs informaticiens. Grâce à eux tout est rapidement rentré dans l'ordre.

Nuk-So émit un bref ricanement devant la mine renfrognée de son acolyte.

-Où as-tu posé ton module ?

-Dans la grotte voisine de celle où vous m'avez trouvé.

-Que cherchais-tu ?

-De l'eau, tout simplement. Cette planète est totalement déserte, sans créatures animales ni végétales. Un monde pétrifié. J'espérais découvrir une zone de ruissellement.

-As-tu lancé un appel de détresse ?

-Je n'en ai pas eu le temps dans mon astronef et le canot de survie n'est pas équipé d'un émetteur hyperspatial.

Mac Nab hocha la tête.

-Cela semble exact. Le service d'écoute n'a pas capté d'émissions radio.

Nuk-So se planta devant le fauteuil de Marc, les poings sur les hanches.

-Qui t'a envoyé ici ?

-Personne, je devais tester les nouveaux propulseurs.

En un fulgurant revers, la main du pirate s'écrasa sur la joue du Terrien. Le goût fade et métallique du sang lui emplit la bouche.

-J'ai horreur qu'on se moque de moi ! La probabilité pour que tu arrives par hasard dans ce coin perdu est quasi nulle.

Marc réfléchit rapidement. Avant tout, il lui fallait gagner du temps. Pour cela, il devait lâcher du lest. A l'instant où Nuk-So levait à nouveau la main, il lança :

-C'est l'amiral Neuman qui a demandé cette mission.

-Sur quels critères ? dit Mac Nab.

-Je l'ignore, il n'a guère été prodigue d'explications. D'après ce que j'ai compris, son service avait entrepris l'exploration de plusieurs planètes désertes.

-Pourquoi pas celle-ci ?

-Elle est trop proche des frontières de l'Empire Dénébien. IS ne voulait pas risquer un incident diplomatique en envoyant un appareil militaire. Il a pensé qu'un astronef civil était préférable.

-Bien raisonné, ricana Nuk-So. C'est dommage pour toi. Que devais-tu faire exactement ?

-Seulement prendre des clichés de la surface du globe et rechercher des foyers d'infrarouges trahissant la présence d'une source d'énergie. Naturellement, je n'ai pas eu le temps d'effectuer les relevés.

-Une expédition au sol était-elle prévue ?

-En aucun cas !

Le vautour hocha la tête en disant :

-Je pense que la situation n'est pas compromise.

Nuk-So protesta d'un ton rogue :

-En ne voyant pas revenir Stone, la Sécurité Galactique enverra un autre astronef.

-Il ne trouvera rien car il se contentera d'explorer brièvement la surface de la planète. Il ne peut se permettre de rester longtemps dans ce coin en raison des Dénébiens et notre camouflage est parfait.

-Comment expliquer la disparition de Stone ? objecta encore Nuk-So.

Un petit rire grinçant sortit de la gorge de Mac Nab.

-Les propulseurs ne sont pas encore au point. Notre contact trouvera une excellente raison technique qui retardera encore leur mise en fabrication. Avec un peu de chance, nous gagnerons une année supplémentaire.

-Espérons-le, soupira le pirate. Je veux que les moteurs modifiés équipent nos astronefs dans moins de trois mois. Marc ne put s'empêcher de lancer :

-Je pense que vous perdrez votre pari. Les données volées par Dodd ont regagné les coffres de la Cosmos Jet et mon astronef est détruit. Le pirate éclata d'un rire énorme, puissant. -Nous avons laissé Dodd agir au grand jour mais nos arrières étaient assurés. Dans moins de quarante-huit heures, deux astronefs arriveront pour apporter les dernières machines dont nous avons besoin et la copie des plans des propulseurs. Je tiendrai ma promesse comme je m'y suis engagé auprès de mes associés. Pendant de nombreux mois, nos appareils seront les plus rapides et nargueront vos amis de la Sécurité Galactique et même les militaires. Ainsi, nous perturberons les liaisons interplanétaires à un point tel que votre Président sera contraint de traiter avec nous. Sinon, de nombreuses planètes abandonneront l'Union Terrienne pour réclamer notre protection. Mac Nab intervint d'un ton sec : -Je ne crois pas qu'il soit utile d'associer le capitaine à nos projets. En aucun cas, il ne doit quitter vivant la base. Amusez-vous avec lui, si vous le souhaitez mais gardez-le en vie encore quelques jours. Qui sait s'il ne pourra pas nous être utile, surtout s'il ne nous a pas dit toute la vérité ?

Il s'éloigna, non sans préciser :

-Je retourne au centre des transmissions. Je indésirables dans le secteur et je veux connaître les dernières nouvelles de la Terre.

Nuk-So se tourna vers Boris placidement adossé au mur, les bras croisés.

-Regarde ce type ! Depuis deux ans, je voulais le tenir à ma merci et maintenant que mon rêve se réalise, je ne sais comment débuter.

-Il n'y a qu'à le liquider, remarqua le cosmatelot en haussant ses robustes épaules.

-Ce serait trop simple. Avant, je veux qu'il souffre comme un damné pour qu'il expie ses fautes.

Marc ne put s'empêcher de demander :

-Qu'avez-vous à me reprocher ? Je ne pense pas que nous nous soyons jamais rencontrés.

Le visage de Nuk-So se crispa de colère.

-Te souviens-tu du commandant Ar-Kun ? C'était mon plus vieil ami et mon associé.

Après un instant de réflexion, Marc répondit lentement :

-C'était un pirate qui avait organisé une base secrète sur une planète primitive. La Sécurité Galactique l'a découverte et l'a démantelée, détruisant également plusieurs astronefs.

-Tu es trop modeste. Les flics n'auraient jamais pu intervenir sans ton aide. Tu es le premier responsable de cette catastrophe qui m'a coûté un camarade et... beaucoup d'argent car Ar-Kun a disparu avant de pouvoir me verser la part qui me revenait.

-Désolé, ironisa Marc, il fallait en informer la

Sécurité Galactique, elle se serait fait un plaisir de vous verser une commission.

De colère, Nuk-So gifla à toute volée le Terrien.

-Je n'aime pas ton humour, gronda-t-il.

-Alors, patron, que dois-je en faire ? demanda Boris qui commençait à s'ennuyer.

-Boucle-le dans une réserve au fond de l'usine en attendant que j'élabore le programme des réjouissances. Tu as entendu Mac Nab, il peut en avoir besoin pendant encore un jour ou deux.

-Ensuite, vous pourriez le livrer à ces affreuses tortues des sables. Je vous assure qu'elles se chargeront de vous en débarrasser.

Un rictus étira les grosses lèvres du commandant.

-L'idée n'est pas mauvaise pour en terminer mais auparavant je tiens à m'amuser avec lui. Emmène-le ! Naturellement, interdiction de lui donner à boire ou à manger.

Le cosmatelot saisit Marc par le col de sa combinaison et le souleva du fauteuil.

-En route et ne t'avise pas de tenter de t'échapper. Le patron ne protestera pas si je te casse un os ou deux.

Propulsé par une violente bourrade dans le dos, Stone atteignit la porte. Un couloir éclairé par une rampe lumineuse les mena vingt mètres plus loin à une vaste salle. En son centre se dressait un astronef.

Le cratère de l'ancien volcan avait été astucieusement aménagé. La cheminée centrale, agrandie, pouvait permettre l'entrée et la sortie d'un astronef, à la seule condition qu'il fut piloté avec précision. Enfin, une coupole mobile masquait le ciel, rendant l'ensemble indétectable pour un observateur extérieur.

Un grand tunnel avait été foré. Il était encombré d'une série de machines, silencieuses pour l'instant, autour desquelles une dizaine d'hommes s'affairait. Devant les regards intéressés de Marc, Boris ricana :

-Tout est prêt pour lancer la production. Dès que nos amis apporteront les dernières données, il suffira de les introduire dans les ordinateurs et les machines tourneront. Moins d'une semaine plus tard, les surpropulseurs seront proposés à ceux qui voudront et surtout pourront les acheter. Croyez-moi, ils ne seront pas donnés. Le commandant a beaucoup investi dans cette affaire et il n'a rien d'un philanthrope.

-Voilà au moins un point sur lequel nous serons d'accord.

Son gardien, plus détendu en l'absence de son patron, esquissa un sourire. Il approcha d'une porte métallique qu'il déverrouilla.

-Entre là-dedans. Ce n'est pas confortable mais je n'ai rien de mieux à t'offrir. Il n'y a pas de distributeur alimentaire ni bloc sanitaire mais tu as entendu les ordres du commandant. Tu es au régime ! Une excellente chose pour perdre les kilos

La porte claqua derrière Marc qui inspecta son nouveau domaine. Une pièce carrée de cinq mètres de côté, taillée dans la roche au désintégrateur. La chaleur avait vitrifié les parois, empêchant ainsi l'humidité de filtrer à travers la pierre. Aucun espoir de récupérer la moindre goutte d'eau ! Le local avait servi d'entrepôt car il traînait encore des emballages de machines. La plupart portaient des mentions indiquant leur origine solanienne.

Marc essuya son front humide de sueur. Il régnait une atmosphère lourde, chaude et renfermée. Il n'existait aucun système d'aération. Toutefois, dans un angle du plafond, se trouvait une caméra de surveillance. Ses geôliers pouvaient épier ses mouvements. Par gaminerie, il grimaça en face de l'objectif puis s'assit sur le sol de pierre dépourvu de tout revêtement protecteur. Il s'adossa au mur, les jambes allongées et feignit de s'endormir.

CHAPITRE XIII

-Non, mademoiselle Swenson, nous n'avons toujours pas de nouvelles du Mercure.

Peter Warwick arborait une mine soucieuse.

-Appelez encore, ordonna Elsa.

-Nous n'avons jamais cessé de le faire. Toutes les demi-heures, nous lançons un message mais il reste sans réponse. Nous ne savons même pas si l'astronef est arrivé dans ce lointain système solaire. J'avais bien fait remarquer qu'un tel bond dans le subespace était déraisonnable dans l'état actuel de nos connaissances des propulseurs. Pourquoi n'a-t-il pas pris pour destination une planète colonisée plus proche ? En cas de nécessité, il aurait trouvé à se poser.

Elsa ne put que secouer la tête, ne voulant pas parler des soupçons de l'amiral Neuman. Après une brève hésitation, Warwick reprit :

-Nous avons un moteur au banc d'essai qui fonctionne dans les mêmes conditions que ceux du Mercure.

Warwick s'interrompit, baissa les yeux, très mal à l'aise.

-Alors ? s'impatienta Elsa.

-Quelques anomalies ont été signalées. Rien de grave, s'empressa-t-il d'ajouter, mais il est légitime de nous demander si Dodd n'a pas péché par optimisme dans ses conclusions.

La jeune femme serra les dents avant de grommeler :

-Tenez-moi au courant de la poursuite de vos essais, heure par heure s'il le faut, lança-t-elle sèchement avant de raccrocher.

D'une main nerveuse, Elsa composa le numéro de la Sécurité Galactique sur le vidéophone. Après un inévitable ballet d'intermédiaires plus ou moins gracieux, elle obtint en ligne le colonel Still, l'adjoint de Neuman. Still était petit, grassouillet, avec un visage rond et de bonnes joues rouges. Tout le contraire de son long et austère patron. Toutefois, la vivacité et l'acuité de son regard bleu démentaient son apparente bonhomie. A la question de son interlocutrice, il répondit :

-Je suis navré mais aucune de nos stations d'écoute n'a capté de message du capitaine Stone.

-Croyez-vous qu'un accident soit survenu ?

-Rien ne nous autorise à le penser. Dans ce genre de mission, la plus grande discrétion est de rigueur. Ne vous inquiétez pas... pas encore. Dès que nous recevrons une nouvelle, bonne ou mauvaise, je promets de vous appeler.

Elsa resta plusieurs minutes à contempler l'écran redevenu noir. Avec un soupir, elle se leva pour marcher de long en large dans la pièce richement meublée. Insensible au décor, elle envisagea nombre d'hypothèses. A vrai dire, aucune n'était agréable ! Elle remarqua alors une enveloppe brune posée sur son bureau par l'androïde de service. Machinalement, elle la décacheta pour en sortir une photographie qui représentait Marc tenant par la taille une très jolie blonde. Au dos, tracée d'une écriture grossière, une inscription précisait : Si vous voulez connaître les occupations de Stone quand vous êtes absente, venez seule au 1632, Î18ème rue, ce soir à 10 heures. N'oubliez pas d'apporter 10 000 dols.

Un éclair de jalousie mordit l'esprit de la jeune femme qui, en un mouvement de colère, déchira la photographie. Un des fragments retomba sur la table. Il représentait le visage de la blonde. Machinalement, Elsa examina celle qu'on lui présentait comme une rivale et qu'elle n'avait fait qu'entrevoir. Les traits ne lui semblaient pas inconnus.

Soudain, la mémoire lui revint et un discret sourire étira ses lèvres. Pensive, elle se dirigea vers le vidéophone.

***

Mademoiselle Swenson arrêta son trans le long du trottoir, en face du 1632. Un mauvais éclairage de la rue permettait à peine de distinguer le numéro de l'immeuble. C'était une bâtisse abandonnée, promise prochainement aux équipes de démolition.

Elsa approcha d'une petite porte métallique rouillée qui était entrouverte, laissant filtrer un rai de lumière. Elle poussa le battant qui grinça horriblement, malmenant les nerfs qu'elle avait à vif. Elle était dans un grand hangar où s'accumulaient encore des caisses et des machines recouvertes d'une abondante poussière. Une seule ampoule suspendue à un fil distribuait un maigre éclairage.

Après un instant d'hésitation, Elsa avança de quelques pas, scrutant les nombreuses zones d'ombre.

-Par ici, mademoiselle.

La voix grasseyante la fit sursauter. Deux silhouettes émergeaient de l'obscurité. Les hommes étaient trapus, solidement charpentés. Celui qui venait de parler tenait un pistolaser à la main. Il se tourna vers son acolyte en ricanant.

-Je t'avais bien dit qu'elle viendrait, Sergui. La jalousie est une très belle qualité qui fait commettre les pires folies, même aux gens qui se croient très intelligents.

-Tu avais raison. Et maintenant ?

-Tu connais les consignes : la faire disparaître sans qu'on puisse jamais la retrouver.

-Aucun problème ! La tombe est prête et, dès demain, les démolisseurs combleront ce coin. Avant, on pourrait s'amuser un peu. Elle est bien roulée et cela fait un bout de temps qu'on n'a pas eu l'occasion de rigoler. Moi, j'aime lorsqu'elles crient et se débattent. Cela augmente ma jouissance.

Le malfrat qui tenait l'arme hésita une seconde.

-D'accord mais tout doit être terminé avant l'aube. Qui commence ?

Déjà, Sergui avançait vers Elsa restée immobile. Soudain, des projecteurs puissants s'allumèrent, éblouissant les deux hommes.

-Personne ne bouge ! Police !

La surprise paralysa les bandits, puis Sergui, résigné, leva les bras. Son complice voulut se servir de son arme, visant un projecteur. Avant même qu'il ne pressât sur la détente, un jet laser l'atteignit à la main. Sous la douleur, les doigts lâchèrent la crosse et le pistolet tomba à terre.

Aussitôt, plusieurs hommes de la Sécurité Galactique, reconnaissables à leur uniforme noir, entourèrent les malfrats. Le colonel Still avança vers le blessé.

-J'ai besoin d'un renseignement et je souhaite ne pas perdre de temps, dit-il d'une voix calme.

Le blessé cracha sur le sol, à quelques centimètres des bottes luisantes de l'officier.

-Je n'ai rien à dire, gros père ! Nous n'avons commis aucun délit. Vous ne pouvez que nous traduire devant l'ordinateur judiciaire qui constatera que la môme est venue ici de son plein gré, juste pour passer un bon moment avec nous.

Le colonel ne perdit pas son calme. Seul, son regard bleu parut encore plus pâle. Il reprit d'un ton doux :

-Je crois que tu commets une légère erreur. Puisque tu ne veux pas parler, tu seras soumis à un sondeur psychique ainsi que ton camarade. Pressés, nous utiliserons le mode accéléré, ce qui sera très désagréable et risquera de léser le morceau de chewing-gum qui te sert de cervelle.

Une fine sueur apparut sur le front du blessé.

-Vous n'avez pas le droit, protesta-t-il d'une voix mal assurée.

-Erreur ! En cas d'urgence, je suis habilité à prendre cette décision.

Tourné vers les policiers, le colonel ajouta :

-Embarquez-les ! Je veux les résultats des sondeurs dans une heure.

A l'instant où des mains nerveuses le saisissaient, le malfrat lança :

-Attendez ! On peut discuter. Que voulez-vous savoir ?

-Qui t'a demandé d'attaquer mademoiselle Swenson ?

-Une femme. Plus exactement, un androïde qui ressemblait à une fille. Elle promettait cinquante mille dols pour le travail.

-La méthode et les honoraires ne changent pas, grommela Still. Que devais-tu faire ?

L'homme hésita mais le regard glacé du colonel le dissuada de mentir.

-Nous devions la descendre et faire disparaître son cadavre.

-Comment ?

-Dans le sous-sol, il existe un vieux puits pour les eaux usées. Nous y aurions mis le corps avec quelques sacs de ciment par-dessus. L'équipe des démolisseurs qui vient demain aurait complété le camouflage.

Un sourire ironique flotta sur les lèvres du colonel.

-Très bien ! Tes aveux ont été enregistrés. Comme tu le souhaitais, tu seras traduit devant l'ordinateur judiciaire car je pense que mademoiselle Swenson maintiendra sa plainte pour tentative de meurtre.

Elsa, très calme avait suivi avec attention la conversation. Elle acquiesça aussitôt.

-J'espère que votre service trouvera quelques autres peccadilles à leur reprocher. Je n'aime pas qu'on veuille me tuer et il me serait agréable de savoir que ces individus resteront un long moment derrière des barreaux.

Tandis que les malfrats étaient traînés à l'extérieur par les policiers, Still dit à Elsa :

-Je vais pouvoir rassurer l'amiral. Il était très inquiet à l'idée que vous serviez d'appât.

-Vous présent, je ne risquais rien, colonel.

-En nous voyant apparaître, ces vermines auraient pu avoir le réflexe de tirer sur vous. Je l'ai craint un instant quand il a levé son arme.

Elsa ne put retenir un petit rire.

-Je dois vous faire un aveu, colonel. Je porte une ceinture protectrice.

-Elles sont réservées aux forces spéciales et il est impossible de s'en procurer une sur Terre, ne put s'empêcher d'objecter Still.

-C'est exact à un détail près. Je suis propriétaire de l'usine qui les fabrique et il est normal que le P.D.G. puisse tester la qualité de sa production.

-Hum... ce n'est pas très réglementaire. Je pense que j'oublierai cette partie de notre conversation. Venez, deux hommes vous escorteront jusqu'à votre domicile.

Une heure plus tard, le colonel achevait son rapport à l'amiral.

-Il est heureux que mademoiselle Swenson ne soit pas tombée dans le piège de la jalousie et vous ait appelé.

-Elle avait reconnu la blonde. C'est celle qui dirige le "Zamas club" et vous vous souviendrez que ces amazones n'apprécient aucunement les hommes. Une idylle avec le capitaine Stone était peu vraisemblable. Mais cela, nos bandits l'ignoraient. Donc, il ne pouvait s'agir que d'un traquenard. Malheureusement, la capture de ces deux exécutants ne nous est guère utile. Cet androïde femelle est un écran parfait qui nous empêche de remonter à la tête du complot.

L'amiral pianota un instant sur son bureau.

-Faites faire une description détaillée de l'androïde puis contactez les usines de fabrication de robots. Il ne doit pas en exister plus d'une vingtaine dans l'Union. Mettez sur cette affaire autant d'agents qu'il le faudra mais je veux un résultat rapide.

Le regard de Neuman se durcit.

-Cette attaque contre mademoiselle Swenson m'intrigue. Elle ne possède qu'un quart des actions de la Cosmos Jet.

-Mais elle la dirige.

-Je le sais ! Pour qu'on ait voulu l'éliminer, cela laisse supposer que Stone, l'actionnaire majoritaire, a été aussi mis hors circuit. Ainsi la société sera paralysée pendant des mois sinon des années avant que le conseil d'administration retrouve une majorité stable.

-Cette perspective est très désagréable.

-Nous ne pouvons rester dans l'incertitude.

Ordonnez au croiseur du colonel Parker de gagner le système que devait explorer Stone. Que Parker agisse avec discrétion. Il se dissimulera près d'une planète périphérique pour éviter une éventuelle observation dénébienne mais je veux une surveillance constante de la région.

CHAPITRE XIV

Plusieurs heures s'étaient écoulées depuis que Marc avait été enfermé dans ce réduit surchauffé. Des rigoles de sueur coulaient sur son dos. Il passa la langue sur ses lèvres desséchées. La soif le torturait mais il s'efforçait de rester immobile sachant que c'était la seule manière de lutter contre la chaleur.

Une fois de plus, il tenta de contacter psychiquement Ray car jusqu'à présent ses appels étaient restés sans réponse. Sans doute la masse du volcan faisait-elle obstacle à une communication, surtout si l'androïde était retourné sur le Mercure.

Il sentit soudain la pensée de son ami s'infiltrer dans ses neurones. Le contact était net bien que faible.

-Désolé ne pas avoir pu répondre à tes appels plus tôt mais j'ai passé un long moment sous terre. Toutefois, je percevais tes pensées et je savais que ta situation n'était pas trop mauvaise.

-As-tu prévenu Neuman ?

Une réticence certaine fut perceptible dans l'esprit de l'androïde.

-Pas encore !

-Pourquoi ?

-J'ai réfléchi longuement au problème. Il est très probable que les pirates ont une écoute permanente. S'ils perçoivent un message, même codé, ils devineront aussitôt qu'un astronef s'est posé sur cette planète. Ils lanceront alors des explorations systématiques. Bien que le Mercure soit en état de défense automatique, ils n'auront guère de peine pour le repérer et le détruire, ce qui n'arrangera en rien nos affaires.

-Les unités de la Sécurité Galactique interviendront dès la réception du message.

-Et ils arroseront de missiles thermonucléaires la région sans se soucier ni de toi ni des Arliks dont ils ignorent l'existence. La première urgence est de préparer ton évasion.

-C'est bien compromis ! Je suis bouclé dans une cellule hermétique au fond d'une excavation. Ils sont une bonne vingtaine dans cette base et ils ne m'ont pas paru être des enfants de choeur. Enfin, ils disposent d'au moins un robot de combat.

-Je le sais ! Nous avons localisé avec précision l'endroit où tu es détenu. Notre ami Ko-Tak m'a fait entrer en contact avec les Nilcos. Ce sont ces grosses chenilles qui se chargeront de te libérer. Nous avons bien travaillé mais il nous faut encore quelques heures. Tente de dormir pendant ce temps.

-Si je parviens à m'évader, Nuk-So lancera ses hommes à mes trousses et ils massacreront nos amies les araignées.

-Ko-Tak a envisagé cette éventualité. Depuis la tombée de la nuit, les Arliks évacuent leurs cavernes pour gagner le fond de la vallée. Si besoin, la nuit prochaine, ils franchiront la montagne.

Repose-toi, je t'avertirai quand nous serons prêts.

***

Mac Nab éteignit le transmetteur hyperspatial. Il se tourna vers Nuk-So, un discret sourire aux lèvres.

-D'après les dernières nouvelles reçues, notre affaire se présente sous un jour favorable. Les deux astronefs arriveront dans vingt-quatre heures environ.

-La fille est-elle liquidée ?

-Des instructions ont été données à deux spécialistes. A cette heure, ils devraient avoir effectué le travail.

-Est-ce confirmé ?

-Pas encore, mais cela ne devrait pas tarder. Avec la disparition des deux actionnaires majoritaires, la Cosmos Jet sera paralysée. Il faudra plus d'une année avant qu'elle retrouve un semblant d'équilibre. Nos amis auront l'occasion d'acheter un gros paquet d'actions à bas prix.

-C'est le travail des financiers. Moi, je souhaite vendre le plus vite possible mes propulseurs. D'ici deux ans, les bénéfices me permettront de me retirer fortune faite.

Le vautour émit un curieux gloussement.

-je vous imagine mal dans la peau d'un retraité inactif. Vous vous ennuierez à mourir.

-Ne vous inquiétez pas pour moi. Je vois très bien ce que sera ma retraite. Une succession de fêtes avec un essaim de jolies filles qui se battront pour partager mon lit !

Apostrophant le technicien assis devant une batterie d'écrans, il ajouta :

-Poursuis ta surveillance. Je vais me coucher mais au moindre signe anormal, tu m'appelles.

Ce dernier, maigre, le visage étroit, désigna l'image où Marc apparaissait.

-Il est mal en point. A transpirer comme il le fait, il sera déshydraté avant demain.

-Il est plus solide que tu ne le penses. Je veux qu'il ait un avant goût de l'enfer où il ne tardera pas à rôtir.

***

Un appel psychique tira Marc du sommeil cauchemardesque où il se trouvait plongé. Machinalement, il consulta sa montre. Quatre heures ! Le soleil n'allait plus tarder à se lever.

-Nous sommes prêts.

L'onde était nettement perceptible.

-Adosse-toi à la porte de ta cellule. Un Nilcos achève de percer la roche.

Marc se demanda un instant si !a soif ne provoquait pas une hallucination. Le mur devant lui se gondolait, s'effritait. La tête rouge d'un Nilcos apparut. Il s'immobilisa un instant tandis que ses yeux noirs fixaient le Terrien. Satisfait de son examen, il reprit sa progression. Son corps ondulant émergea de l'excavation. Bientôt, il atteignit le mur opposé tant la cellule était petite.

Une fois sortie de son trou, la chenille fit demi-tour.

-Marc, émit Ray, allonge-toi sur son dos et cramponne-toi bien. Il va te ramener vers nous.

Stone se hissa sur le cylindre, à sa partie moyenne. La peau, si on pouvait utiliser cette expression, avait une consistance granuleuse, ferme mais élastique et une curieuse tiédeur.

-Attention, baisse la tête car le boyau est étroit.

Déjà le Nilcos était entré dans la galerie où régnait une totale obscurité. Il progressait par ondulations rapides. Marc se cramponnait comme il le pouvait avec l'impression de chevaucher une monture rétive. Par instants son dos raclait la roche.

-Courage, lança Ray, dans dix minutes tu nous auras rejoints. Comment te sens-tu ?

-J'ai l'impression d'être plongé dans un sauna déréglé. Il fait une chaleur épouvantable. De plus, il faut avoir l'estomac solidement accroché. Je suis aussi secoué qu'un pépin de citron dans un shaker.

Soudain, le Nilcos s'immobilisa. Une bouffée d'air brûlant envahissait la galerie. Marc haletait, les poumons en feu. Percevant l'inquiétude de son ami, Ray émit :

-Ne t'affole pas, notre ami rebouche la galerie derrière lui.

De fait, la queue de la chenille raclait les parois, produisant un son aigu, à la limite du tolérable pour un tympan humain.

-Pour le cas où on te poursuivrait, nous avons ménagé une surprise à un éventuel curieux.

Le Nilcos achevait son travail de sapeur, ce qui avait pour effet de soulever une poussière irritante pour les bronches. Une quinte de toux douloureuse secoua Marc. A son grand soulagement, la chenille reprit sa progression oscillante.

Une lueur fut bientôt perceptible. L'étrange monture et son cavalier peu fringant firent leur entrée dans une caverne. La lumière provenait du projecteur de Ray. Ce dernier saisit son ami à bras le corps et le déposa quelques mètres plus loin. Il lui tendit une outre en plastique.

-Bois vite ! Ce n'est pas fameux mais tu as un besoin urgent de te réhydrater après la suée que tu as prise.

Marc absorba avidement le liquide peu frais, à l'arrière goût salé.

-Doucement, recommanda Ray. Avale par petites gorgées. Le chlorure de sodium contenu dans l'eau compensera tes importantes pertes de sel provoquées par la transpiration.

La pensée de Ko-Tak atteignit Marc.

-Je suis heureux de te savoir sauf. Ton geste généreux a épargné la vie de mes compatriotes.

-Je crains malheureusement que ce ne soit qu'un sursis. Mon évasion rendra enragés mes geôliers.

-C'est certain mais les Nilcos et ton ami leur ont préparé un piège.

CHAPITRE XV

Vi-To bâilla bruyamment. Il n'avait dormi que quatre heures avant de relever le technicien de garde.

-J'espère, grommela-t-il, que le patron n'oubliera pas d'augmenter ma prime.

Un instant, il imagina la façon dont il dépenserait son fric. Il connaissait sur Solan une rouquine à la poitrine proéminente qui faisait profiter de ses charmes ceux qui payaient comptant. Il avait passé une nuit avec elle et il en avait gardé un excellent souvenir.

Il revoyait les seins gonflés, arrogants, aussi durs que la pierre. Qu'il aimerait en ce moment les tenir dans les mains, les caresser !

En soupirant, il se dirigea vers le distributeur de boissons et se servit un gobelet. Après trois gorgées, il le balança dans une poubelle. Toujours cet infâme jus de fruit synthétique qui soulevait le coeur !

Après s'être assuré qu'il était bien seul, il tira de sa poche un flacon et but au goulot une sérieuse rasade. Satisfait, il s'essuya la bouche d'un revers de main. C'était un vieux cognac qu'il avait subtilisé dans la soute d'un cargonef intercepté par Nuk-So l'année précédente.

Il jeta un regard blasé sur les différents écrans. Le prisonnier était toujours immobile, le visage ruisselant de sueur. Vi-To se laissa tomber sur un fauteuil et fouilla un tiroir. Tout au fond, dissimulé par une liasse de rapports, il dénicha une mini-cassette qu'il glissa dans la fente d'un magnétoscope. Un écran s'éclaira, montrant un hercule et deux nymphettes aux formes rebondies s'ébattant sur une plage de sable blanc. Un combat sans cesse renouvelé qui semblait fort satisfaire les participants à en croire leurs exclamations ravies. Que n'aurait pas donné le pirate pour participer à leurs jeux bien qu'il les trouvât un peu trop sages ! Lui aurait fait preuve de plus d'imagination.

Les protagonistes éprouvant le besoin de récupérer quelques forces, Vi-To lança un coup d'oeil machinal sur les autres écrans cathodiques. Il poussa soudain un hurlement et se rua sur l'interphone.

-Commandant, vite! Une énorme chenille... elle emporte le prisonnier.

Réveillé en sursaut, Nuk-So éructa une bordée de jurons.

-J'arrive mais si c'est une plaisanterie d'ivrogne, je t'aplatis la figure. Même ta mère ne te reconnaîtra plus !

D'un pas furieux, le commandant pénétra dans la chambre des transmissions.

-Ah ! Plus fort... Plus fort...

Une nymphette manifestait son contentement. D'un doigt tremblant, Vi-To éteignit l'appareil avant de faire face à son chef. Mac Nab, également tiré de son sommeil, les rejoignit à cet instant.

-Qu'arrive-t-il ?

Vi-To désigna un écran.

-Regardez, la cellule est vide. Il n'y a plus que ce trou dans le mur.

-Impossible ! Que s'est-il passé ? tempêta le comandant ?

Mac Nab, en quelques gestes précis, programma la caméra enregistreuse. Bientôt, les images se dessinèrent. Le prisonnier assis sur le sol, la tête dans les mains puis l'apparition d'une sphère rouge.

-Quelle est cette saleté ? hurla Nuk-So.

-Apparemment, elle nous débarrasse du prisonnier, hasarda Vi-To.

-Rien ne dit qu'elle veuille le tuer ! Activez le robot de combat. Je veux qu'il le retrouve, mort ou vif.

Mac Nab enfonça une série de touches sur un clavier un peu à l'écart. Moins de cinq minutes plus tard, l'ovoïde déverrouilla la porte de la cellule.

-Qu'il allume son projecteur et retransmette les images, grogna Nuk-So.

Un faisceau lumineux jaillit de l'extrémité supérieure du robot qui approcha de l'orifice circulaire. Un tentacule frôla les bords de la cavité.

-Aucune trace de radioactivité, commenta Mac Nab qui lisait les données affichées sur un écran au-dessus de lui. Ce n'est pas un désintégrateur qui a foré ce trou. Il semble que cette créature a utilisé des ultra-sons. Le tunnel s'enfonce profondément et l'extrémité n'est pas visible.

-Ordonnez au robot de pénétrer là-dedans. J'exige qu'on retrouve Stone.

Une grimace déforma le visage du vautour.

-Le diamètre est juste suffisant pour le laisser passer. Si le tunnel se rétrécit, il sera coincé.

-Il utilisera son désintégrateur si nécessaire. Allez, nous perdons du temps, ragea Nuk-So.

Stimulé, le robot s'inclina à l'horizontale, soutenu par ses antigrav et s'enfonça dans le boyau, ses tentacules en avant, pour parer à toute éventualité. Frottant par instants les parois, il ne pouvait que progresser lentement. Trop lentement, au goût du commandant qui trépignait d'impatience.

Plus de mille mètres furent ainsi franchis en ligne droite, sans trouver trace des fuyards.

-Attention, il y a un changement de direction, nota Mac Nab.

Effectivement, le tunnel obliquait pratiquement à angle droit, ce qui posa un problème au robot. Pour poursuivre son avance, il dut utiliser son désintégrateur à deux reprises. Il progressa encore de cinq cents mètres. Sur le front de Mac Nab, plusieurs rides soucieuses se creusèrent.

-Curieux, marmonna-t-il. D'après sa direction, ce tunnel ne mène pas à l'extérieur mais se rapproche du centre du volcan.

Un voyant rouge se mit à clignoter, ce qui amena une ride supplémentaire sur le visage de l'ingénieur.

-La température atteint maintenant cent degrés centigrade. Si votre type est passé par là, il doit être plus cuit qu'un homard dans son court-bouillon.

-Cru ou cuit, je veux le voir ! Ordonnez au robot de continuer.

-La chaleur augmente rapidement et risque d'endommager les composants des circuits. Ils ne sont pas faits pour supporter une telle température.

Tandis que Nuk-So hésitait, le robot parvint dans une excavation sphérique de trois mètres environ de diamètre.

-Bon Dieu, c'est vide ! Nos oiseaux ont disparu.

-Peut-être sont-ils calcinés, hasarda timidement Vi-To.

Le regard furieux de son supérieur le dissuada de poursuivre. A cet instant, trois petites explosions survinrent, dégageant des flammes rouge-orangé.

-Des grenades incendiaires, jura Nuk-So.

Le robot réagit en une fraction de-seconde à cette attaque brutale. Le haut pouvoir calorifique de ces engins en atmosphère confinée, risquait d'augmenter dangereusement la température. Il pointa le tentacule porteur du désintégrateur.

-Non ! hurla Mac Nab.

Trop tard ! Un éclair mauve jaillit, faisant disparaître les foyers lumineux et une bonne trentaine de mètres de roche derrière eux. Le désintégrateur avait été utilisé à sa puissance maximale.

-Maintenant la chaleur est infernale, il faut le rappeler d'urgence, dit Mac Nab.

Le commandant acquiesça de la tête mais à l'instant où le technicien lançait l'ordre, un grondement sourd retentit. Le fond de l'excavation creusée par le désintégrateur se fissurait. Brusquement, un jet de gaz fusa, projetant une multitude de pierres sur le robot. Une nuée incandescente envahit l'excavation. L'écran s'éteignit soudain, tous les circuits du robot ayant fondu.

Livide, Mac Nab souffla :

-Le faisceau du désintégrateur a fragilisé un conduit du cône d'éjection du volcan. Espérons que la chaleur fera fondre la roche du tunnel avant que les gaz ne se répandent dans la base.

-Commandant, cria le malheureux Vi-To... Là !

Tremblant, il désigna la cellule où Stone avait été emprisonné. Un nuage jaune jaillissait du tunnel, soulevant les débris des emballages qui s'enflammaient. L'image s'effaça, la caméra n'ayant pas supporté la très haute température.

Mac Nab se ressaisit le premier.

-Il faut évacuer d'urgence la base. Les gaz ne vont pas tarder à s'infiltrer partout et ils sont en général hautement toxiques. Venez vite !

Nuk-So approuva aussitôt.

-Vi-To, déclenche le signal d'alerte rouge.

Au pas de course, les pirates enfilèrent le couloir qui menait au centre du cratère. A bout de souffle, ils arrivèrent au pied de l'échelle donnant accès au sas de l'astronef.

Déjà le nuage jaune sortait d'un des tunnels. Quelques hommes couraient vers le vaisseau mais ils s'effondraient le visage violacé par l'asphyxie. Un seul parvint à atteindre l'échelle. Trop tard ! Le sas s'était refermé et les barreaux disparaissaient dans la coque.

Installé aux commandes, Nuk-So lançait les propulseurs.

-Mac Nab, ordonnez l'ouverture de la coupole.

L'ingénieur pianota, sur l'ordinateur en murmurant :

-Espérons que le mécanisme acceptera encore de fonctionner.

La chance leur sourit. Après dix secondes d'angoisse, la coupole commença à basculer. Une minute plus tard, l'astronef s'éleva lentement dans le ciel au milieu de fumerolles jaunâtres.

CHAPITRE XVI

Un grondement retentit, grave, profond, se répercutant sur les parois de la caverne. L'araignée de verre qui conversait avec Marc s'immobilisa.

-Les Nilcos m'informent que le système imaginé par votre ami a parfaitement fonctionné. Les gaz se répandent en ce moment dans le cratère du volcan.

Devant le regard interrogateur de Marc, Ray expliqua :

-Les Nilcos avaient affirmé qu'il leur serait facile de percer une galerie pour atteindre ta cellule qu'ils avaient localisée. Toutefois, je me doutais que les pirates enverraient leur robot de combat à ta poursuite. Aussi, les chenilles ont creusé une dérivation qui menait vers le centre du volcan. Ils supportent des températures plus élevées que les humains mais aux environs de cent degrés, ils sont obligés de s'arrêter. C'est alors que j'ai eu une idée que, sans fausse modestie, je pourrais qualifier de géniale. Une nette bouffée d'orgueil ! Ray n'avait plus grand-chose à envier aux humains !

-J'ai introduit dans la roche trois grenades incendiaires à détonateur programmé après avoir estimé le temps nécessaire au robot pour arriver jusque là. Tu sais que ces casseroles ambulantes sont puissantes mais dénuées d'intelligence. En voyant les explosions, il ne pouvait que réagir en utilisant son désintégrateur, ce qui a complété le percement de la galerie jusqu'à la poche de gaz sous pression.

-Ne risque-t-il pas d'envahir également les galeries où vivent les Nilcos ? s'inquiéta Marc.

-Ils sont aussi habiles à les reboucher qu'à les creuser. Ils ont colmaté tous les accès.

Ko-Tak intervint, rassurant :

-Les Nilcos connaissent bien leur volcan. Ils savaient qu'une poche de gaz s'accumulait et ils craignaient qu'une explosion survienne dans les prochaines années. Ils sont enchantés de cette manoeuvre qui a créé une valve de sécurité et a dirigé les gaz dans la cheminée principale. Ils en avaient eu l'idée mais n'avaient jamais pu la réaliser en raison de la chaleur trop intense.

Un nouveau grondement fut perceptible. Marc approcha du seuil de la caverne. L'aube pointait, éclairant d'une discrète lueur la masse du volcan. Soudain, apparut la silhouette d'un astronef émergeant lentement du cratère. Il progressa dans le ciel puis accéléra brusquement pour disparaître quelques secondes plus tard. Marc ne put retenir un juron de dépit.

-Cette canaille de Nuk-So est parvenue à s'enfuir.

-Console-toi, la Sécurité Galactique le rattrapera un jour. L'essentiel est que sa base soit détruite.

-L'est-elle entièrement ?

-Je le pense. Vois, il sort du cratère des morceaux de ferrailles rougies à blanc. Tout leur beau matériel sophistiqué s'envole en fumée.

De fait, certains débris commençaient à retomber dans la plaine, soulevant par endroits de petits geysers de sable.

-Il est heureux que rien ne puisse s'enflammer, dit Marc.

-Nous avons intérêt à rester à l'abri tant que cet orage de métal n'aura pas cessé.

Ko-Tak reprit contact avec Marc.

-Nous sommes heureux que ces hôtes indésirables aient quitté notre planète. Espérons qu'ils ne reviendront pas.

-Certainement pas ! Un pirate ne retourne jamais dans une cache répertoriée par la police.

-Toi, ami, tu seras toujours le bienvenu parmi nous.

-Je te remercie, Ko-Tak, mais ne veux-tu pas nouer des relations avec l'Union Terrienne ?

Un sentiment de doute fut perceptible.

-C'est une grave décision qui demande beaucoup de réflexion. Nous devrons longtemps en discuter. Pour l'heure et pour préserver la sérénité de notre peuple, je pense qu'il est plus prudent de nous abstenir.

-Il sera fait selon ton désir. Nous veillerons à ce qu'aucun étranger ne vienne troubler votre existence.

-Merci, Marc. Je sens une grande lassitude dans ton esprit. Repose-toi. Nous te préviendrons lorsque le volcan sera apaisé.

Ray tendit un gobelet à son ami.

-Bois encore ceci. J'ai ajouté une tablette nutritive. Ton organisme a besoin de récupérer un peu d'énergie.

Marc s'allongea sur le sol caillouteux, regrettant de ne pas disposer d'un matelas antigravité comme sur son astronef. A cet instant, la pensée de Ko-An s'infiltra dans ses neurones, douce, nostalgique.

-Je sais que tu repartiras bientôt et je suis triste à cette idée. Il est dommage que nos organismes soient aussi dissemblables. J'aurais aimé rester longtemps auprès de toi.

***

L'astronef pirate émergea de la stratosphère et inclina sa trajectoire pour se satelliser autour de la planète. Nuk-So, après une dernière vérification des paramètres de vol, se leva de son siège de pilote. Un long moment, il contempla l'écran de visibilité extérieure puis il modifia le réglage du télescope optique. La zone du volcan apparut en gros plan. Une vapeur jaune s'échappait toujours du cratère.

Mac Nab, installé à la place du copilote, murmura :

-Notre base est entièrement détruite. Nous aurions dû mieux étudier l'endroit et procéder à des sondages. Les réveils des volcans sont souvent imprévisibles.

-Celui-ci a été singulièrement aidé, rétorqua le commandant.

-Pourquoi ne programmez-vous pas un retour vers Solan ? Nous ne pouvons plus rien espérer de cet endroit.

Le volumineux poing de Nuk-So s'abattit sur le dossier du fauteuil qu'il venait de quitter.

-D'abord, nous devons attendre les deux astronefs qui apportent plans et matériel. Je n'ai aucune envie de lancer un message radio qui sera capté par la Sécurité Galactique. Il y a surtout une autre raison.

-Laquelle? s'étonna Mac Nab.

Le regard du pirate se durcit quand il articula :

-Les grenades incendiaires ! Elles n'ont pas été fabriquées sur cette maudite planète. Celui qui les a placées et fait exploser avait prévu que le robot utiliserait son désintégrateur. Ce ne peut être une invention de la grosse chenille. Stone avait donc un complice dont il nous a caché l'existence. J'aurais dû suivre ma première idée et le torturer jusqu'à ce qu'il parle.

-De toutes les manières, il est mort maintenant.

-Qu'en savez-vous ? Je suis au contraire persuadé qu'il est bien vivant et se moque de nous en ce moment. Toutefois, il lui faudra un jour regagner la Terre.

-Vous pensez qu'un astronef viendra le récupérer ?

-C'est fort probable. J'aimerais être présent à ce moment. Nous allons donc nous dissimuler dans l'ombre de cette lune anémique qui tourne autour de la planète.

-Pendant combien de temps? s'inquiéta Mac Nab ?

-Jusqu'au jugement dernier s'il le faut mais je ne laisserai pas Stone et son complice retourner paisiblement sur Terre après ce qu'ils ont fait.

-Je souhaite regagner Solan au plus vite. Je pourrais prendre place sur un des cargonefs.

Nuk-So fusilla son complice du regard.

-Croyez-vous que vous serez accueilli à bras ouverts ? Nos associés ont investi beaucoup d'argent dans cette affaire qui vient d'échouer par la faute de Stone. Ils ont horreur des perdants et nous feront payer cher notre échec.

-Nous avons toujours les plans du propulseur. Il suffira de monter une autre usine sur une planète plus sympathique. Les mondes déserts ne manquent pas dans la Galaxie. Trois mois suffiront. Comme la Cosmos Jet sera paralysée, nous garderons notre avance.

-Avec quels capitaux ?

Un rire ironique sortit de la gorge de Mac Nab.

-S'ils veulent rentrer dans leurs frais, nos commanditaires seront contraints de les apporter. Nous leur présenterons l'affaire comme une simple augmentation de capital.

-Croyez bien qu'ils se rembourseront sur notre part.

-C'est probable mais si le gâteau est assez gros, nous serons encore gagnants.

Le pirate hésita un long moment, l'esprit agité de sentiments contradictoires. L'appât du gain le disputait à la haine qu'il éprouvait pour Stone.

-Pour l'instant, attendons les astronefs, je déciderai ensuite.

CHAPITRE XVII

La nuit glissait lentement sur le désert. Après avoir lancé un coup d'oeil à l'extérieur, Ray annonça :

-Nous pouvons partir, les retombées métalliques ont cessé. Le module est à environ une demi-heure de marche.

La pensée de Ko-Tak atteignit Marc.

-Au revoir, ami. A cette heure, les Tyrkas ne sont plus dangereux.

-Ne voulez-vous pas une aide pour les combattre ?

-Certainement pas ! Nous tenons à maintenir un équilibre qui dure depuis de nombreux siècles. La civilisation que je devine dans ton esprit est passionnante mais nous terrorise et ne correspond pas à notre mode de pensée.

-Je comprends et respecte ta décision. Si les Terriens sont venus ici, c'est pour chasser des individus malfaisants. Maintenant que nous connaissons votre existence, nous nous efforcerons de protéger votre planète de toute influence extérieure.

-Remercie ton gouvernement au nom de tous les miens.

-Ce sera fait.

A l'instant où il quittait la caverne, Marc perçut un appel de Ko-An, empreint d'une grande tristesse.

-Adieu, je ne t'oublierai jamais.

Les Terriens regagnèrent le module sans mauvaise rencontre. Chaque fois qu'il posait le pied sur le sable, Marc ne pouvait s'empêcher de penser qu'il marchait peut-être sur un Tyrkas qui, dès le lever du soleil, redeviendrait terriblement dangereux.

Ce fut avec un soupir de soulagement que Marc s'installa dans le module. Tout compte fait, sa mission ne se terminait pas trop mal, même si Nuk-So s'était échappé.

Installé aux commandes, Ray lança le moteur puis sortit lentement de la caverne. A altitude raisonnable, cette fois, il ne fallut pas plus d'un quart d'heure pour regagner le Mercure.

Dès qu'il eut pénétré dans l'astronef, Marc se précipita vers le distributeur de boisson et avala coup sur coup deux verres d'un jus de fruit synthétique dont il avait pourtant horreur.

-Après la suée piquée dans le boyau sur le dos du Nilcos, je crois qu'il me faudra des semaines pour me réhydrater.

-Veux-tu manger ?

-Pour l'instant, mon premier objectif est le bloc sanitaire. J'ai besoin d'un bain prolongé pour chasser l'odeur de la transpiration.

Lavé, rasé, vêtu d'une combinaison propre et fleurant bon l'eau de toilette, Marc pénétra dans le poste de pilotage. Ray achevait les vérifications de divers circuits.

-Je programme un retour direct vers la Terre ?

Marc hésita à répondre. L'androïde remarqua le froncement des sourcils de son ami.

-Un détail te tracasse-t-il ?

-Je me demande si Nuk-So a totalement abandonné la partie.

-Il ne peut plus rien espérer de cette planète. Sa base est entièrement détruite.

-Mais sa haine contre moi est intacte.

-Il te croit mort.

-Ce n'est pas certain.

-Appelle la Sécurité Galactique !

-Que lui dire ? Qu'un pirate rode peut-être dans ce système ? Sur un simple soupçon, elle ne peut prendre le risque d'envoyer un navire de guerre dans une zone démilitarisée. Nous allons décoller mais, auparavant, vérifie l'approvisionnement des lance-missiles.

-C'est déjà fait ! Tu sais que je n'aime pas être pris au dépourvu. Toutefois, je te signale que le précédent combat a entamé nos réserves. Nous risquons d'être à court, surtout si ton pirate possède un générateur renforcé.

Un soupir échappa à Marc.

-Je ne l'ignore pas ! Décolle, et à la grâce de

Dieu.

-Espérons qu'il n'est pas occupé ailleurs, bougonna Ray.

Le bruit des moteurs devint plus aigu et le Mercure s'arracha du sol tandis qu'un poids immense clouait Marc sur son siège. Sur l'écran de visibilité arrière, la planète rétrécissait rapidement. Un ballon... une balle... un point minuscule. Marc eut une pensée pour les étranges créatures pleines de sagesse et tellement différentes des humains.

Une sonnerie stridente retentit dans le poste de pilotage.

-Contact au 220, dit Ray

Un rapide réglage fit apparaître sur l'écran la silhouette d'un astronef qui se dirigeait à grande vitesse vers le Mercure.

-C'est cette canaille de Nuk-So. Il est plus tenace qu'un morpion accroché à son poil, grimaça Marc qui prit rapidement sa décision.

-Ray, deux plus deux selon ta technique habituelle !

Les doigts de l'androïde coururent sur une série de touches à une rapidité telle qu'un oeil humain avait peine à suivre les mouvements. Un chuintement soyeux caractéristique marqua le départ des missiles.

-Ï1 riposte déjà et il dispose d'une cadence de tir supérieure à la nôtre. Six torpilles foncent vers nous. Elles sont bien groupées et très véloces. Les derniers modèles sortis des arsenaux terriens !

Il répugnait à Marc d'abandonner un combat et de laisser filer une crapule mais la lutte était inégale.

-Ejecte un Cisée et vire de trente degrés. Ensuite, fais donner au super-propulseur toute sa puissance. Nous devons plonger dans le subespace avant qu'une deuxième vague nous atteigne.

-Cela sera tangent !

-Nous n'avons pas d'autre solution.

Marc brancha la vidéo-radio, cherchant fébrilement à accrocher un poste de la Sécurité Galactique. Enfin, le visage d'un opérateur apparut. Sans lui laisser le temps de le questionner, Marc lança :

-Astronef Mercure, capitaine Stone, en mission dans le système ME 79-08-64-60. Demande assistance immédiate contre pirate.

Impassible, le policier répondit laconiquement :

-Message enregistré, je le transmets.

L'écran s'éteignit à l'instant où un voile noir couvrit la vue de Marc. Le Mercure changeait de cap.

Quand la vision de Marc s'éclaircit, Ray annonça :

-J'ai été contraint d'utiliser deux Cisée pour leurrer nos poursuivants. Nos missiles ont secoué Nuk-So car il n'a pas encore repris son tir. Notre vitesse augmente rapidement et nous basculerons dans le subespace dans deux minutes et quarante-sept secondes.

Son pronostic optimiste fut immédiatement démenti par l'apparition soudaine de deux vaisseaux émergeant du subespace.

-Encore des pirates. Ils nous barrent la route, cria Ray.

-Vite! Un missile sur chacun d'eux pour les obliger à brancher leur écran à pleine puissance et les empêcher de tirer. Puis, oblique légèrement. Avant qu'ils soient de nouveau en position de lancement des missiles, nous serons loin.

-Espérons-le, soupira l'androïde qui enfonça la commande de tir.

La manoeuvre parut réussir. Les deux astronefs pirates, surpris au plus mauvais moment, l'émergence du subespace, eurent juste le temps d'enclencher leur écran. Les torpilles explosèrent cependant à proximité des coques qui furent rudement secouées.

Les éclairs intenses arrachèrent un sourire à Marc.

-Nous leur avons occasionné un joli tremblement. J'espère qu'ils mettront plusieurs minutes à se remettre de leur frayeur.

Pendant ce temps, Nuk-So s'était lancé à la poursuite du Mercure mais en raison de ses propulseurs moins performants, il avait perdu du terrain et était trop loin pour lancer une nouvelle salve.

Le moral de Marc remontait en flèche. Brusquement son coeur manqua un battement. Un nouvel astronef, jusque-là dissimulé dans l'ombre volumineuse de la cinquième planète, apparut sur l'écran.

-Cette fois nous sommes coincés, souffla-t-il.

-Non, rétorqua aussitôt Ray. C'est un croiseur de la Sécurité Galactique. On distingue les marques sur la coque.

Le témoin de la vidéo-radio clignota aussitôt. Du bout de l'index, Marc établit le contact. Le visage sévère du colonel Parker se dessina sur l'écran. Marc et lui s'étaient rencontrés à de nombreuses reprises. Ils avaient effectué ensemble plusieurs missions et ils s'étaient mutuellement sauvé la vie en plusieurs occasions. Seul le rigorisme de Parker empêchait tout laisser-aller et leurs relations demeuraient empreintes d'une courtoisie glacée.

-Heureux de vous voir, mon colonel. J'ai un gros problème sur le dos. Les deux astronefs proches sont des cargos pirates qui amènent du matériel et les plans des propulseurs. Il faut absolument les intercepter. Le troisième est celui du commandant Nuk-So qui a monté la combine.

-Je me charge de tout. Restez à l'abri autour de cette planète !

Tout aussitôt, le croiseur lança deux bordées de six missiles sur les cargonefs. Parker voulait en finir vite et ne ménageait pas ses munitions. Le bâtiment accéléra brutalement pour se lancer à la poursuite de Nuk-So, non sans tirer une nouvelle salve.

A bord du Mercure, Marc poussa, un énorme soupir de soulagement tandis que Ray décélérait.

-Contourne la planète, dit Marc, je tiens à voir comment Parker se débrouille.

-Dans ce genre de combat, je préfère que nous soyons spectateurs plutôt qu'acteurs. Au demeurant, il ne nous reste que deux missiles.

Le Mercure inclina sa trajectoire et six minutes plus tord acheva son tour du globe. Sur l'écran de visibilité extérieure apparurent deux nuages irisés qui s'effilochaient lentement dans l'éther. C'était tout ce qui restait des cargonefs pirates ! Déjà à bonne distance, le croiseur filait vers le bâtiment de Nuk-So.

CHAPITRE XVIII

Nuk-So somnolait sur le siège du pilote qu'il n'avait pas voulu abandonner depuis le décollage en catastrophe. Plus raisonnable, Mac Nab avait gagné sa cabine. Une sonnerie tira le pirate de sa torpeur. Il se redressa en se frottant les yeux tandis que la voix synthétique de l'ordinateur annonçait :

-Un astronef quitte la planète. Grande accélération. Axe 85 degrés et 12 degrés.

L'écran ne tarda pas à montrer la silhouette du Mercure qui avait déjà dépassé l'ionosphère.

-Ce Stone est rusé comme une tribu de renards mais je suis plus malin que lui. Il va enfin payer ses forfaits.

D'une pression du doigt, Nuk-So activa les propulseurs qui firent frémir la coque, comme un pur-sang sur la ligne de départ. Les yeux rivés sur les scopes, le pirate calculait la trajectoire idéale pour intercepter le Mercure. A l'instant choisi, il poussa les moteurs.

L'accélération brutale fit trébucher Mac Nab qui venait aux nouvelles. A grand-peine, il parvint à s'asseoir sur le siège du copilote.

-Stone a été imprudent de quitter aussi rapidement sa cachette, ricana-t-il.

Le visage tendu, Nuk-So programmait ses missiles quand Mac Nab s'écria :

-Attention, il ouvre le feu ! Pour un yacht civil, il est bien armé.

-Cet astronef ressemble à un aviso du S.S.P.P., sinon comment aurait-il lutté contre So-Ghun ?

-Pourquoi ne branchez-vous pas le bouclier protecteur ?

-Nous avons encore un peu de temps. Stone a tenté une manoeuvre d'intimidation pour m'empêcher de tirer. Voilà, ma programmation est achevée.

Ses gros doigts pressèrent plusieurs contacteurs et les missiles jaillirent de leur tube. Les traits de Mac Nab s'étaient crispés et de fines gouttes de sueur perlaient à son front. C'était le premier combat auquel il participait. Jusqu'alors, il n'avait assisté qu'à l'arraisonnement de pacifiques cargos... et au massacre des équipages.

Les quatre missiles adverses approchaient à grande vitesse.

-Lancerez-vous un Cisée puisque vous en disposez comme les militaires ?

Un sourire rusé étira les grosses lèvres de Nuk-So.

-C'est ce qu'espère Stone. Si j'utilise un leurre, je devrai dévier de ma route et trois minutes seront nécessaires pour revenir en position de tir.

-Quelle importance, il vient à peine de décoller.

-Vous oubliez que son astronef est équipé des nouveaux propulseurs. Il lui faudra peu de temps pour atteindre la vitesse de plongée dans le subespace. Ainsi, il risque de nous filer sous le nez, hypothèse que je me refuse à envisager.

-L'impact des quatre missiles ne causera-t-il pas une importante dépense d'énergie ? s'inquiéta l'informaticien.

-Une broutille ! Je possède un générateur renforcé.

Sur l'écran, les torpilles étaient nettement visibles, avec leurs têtes rouges. Les deux premières percutèrent le champ et disparurent dans un éclair gigantesque. Moins de dix secondes plus tard, la seconde vague arriva.

Les lumières du poste de pilotage vacillèrent un instant. Plusieurs lampes témoins se mirent à clignoter. Nuk-So émit une bordée de jurons dont certains étaient inconnus de Mac Nab.

-Incroyable ! A chaque fois, les deux missiles ont explosé simultanément. Une telle précision des réglages tient de la sorcellerie.

-Ou de l'informatique. C'est son robot qui doit les programmer.

La voix métallique de l'ordinateur reprit :

-Surchauffe de l'élément trois du générateur. Les régulateurs automatiques fonctionnent correctement. Réparation achevée dans une minute et trente-huit secondes.

Les différents clignotants s'éteignirent bien vite. Nuk-So put reporter son attention sur le détecteur longue distance. Il grimaça de dépit en constatant que le Mercure avait évité ses missiles et s'éloignait. Il était maintenant hors de portée de tir.

D'un geste rageur, le pirate coupa le champ protecteur pour envoyer toute l'énergie disponible vers les propulseurs. L'accélération le cloua sur son siège mais il ne quittait pas l'écran des yeux. Un instant, il pensa vraiment pouvoir approcher du Mercure. Espoir vain ! La distance séparant les deux astronefs augmentait inexorablement.

-Au diable, ces nouveaux propulseurs !

Nuk-So poussa soudain une exclamation joyeuse qui surprit Mac Nab.

-Les nôtres ! Ils arrivent. Ils viennent d'émerger du subespace, coupant la route de Stone. Il est coincé !

Fébrilement, le pirate manipula la vidéo-radio. Dès qu'un visage apparut sur l'écran, il lança :

-Interceptez l'appareil qui se dirige vers vous ! C'est un mouchard. Il ne doit pas s'enfuir.

-Message reçu, commandant, nous...

Une sonnerie d'alarme coupa la phrase.

-Il envoie un missile. Je suis dans l'obligation de brancher mon écran. Je ne peux riposter... un autre appareil apparaît... c'est un croiseur de la Sécurité Galactique... il ouvre le feu...

Vert de rage, Nuk-So assista à la destruction des deux cargonefs.

-Il faut filer avant que le croiseur ne nous prenne en chasse, hurla Mac Nab d'une voix aiguë, tremblante, annonciatrice d'une crise de nerfs.

Nuk-So approuva de la tête. Il modifia la trajectoire de l'astronef non sans marmonner :

-Je jure de retrouver Stone et de lui faire payer tous mes ennuis. Je lui arracherai la peau, centimètre par centimètre pour que cela soit plus douloureux.

-Le croiseur se lance à notre poursuite, souffla Mac Nab. Ne pouvez-vous accélérer ?

Des rides soucieuses barrèrent le front du commandant qui consulta l'ordinateur.

-L'élément numéro trois du générateur est toujours inutilisable. Il manque vingt pour cent de la puissance. En dépit de cela nous plongerons dans le subespace dans trois minutes et vingt secondes.

Un lourd silence s'abattit sur le poste de pilotage. Les yeux rivés sur les écrans, Mac Nab comptait les secondes. Inexorablement, le croiseur se rapprochait. Six missiles se détachèrent de la coque.

-Il ouvre le feu, gémit l'informaticien.

Les traits crispés par l'angoisse, Nuk-So regardait les témoins de vol. Encore deux minutes...

-Les torpilles gagnent sur nous, branchez le bouclier !

Le commandant secoua la tête, faisant voleter plusieurs gouttes de sueur.

-Notre vitesse chuterait. Notre seule chance est de plonger dans le subespace avant qu'elles ne nous atteignent. Cela serait déjà fait sans ce maudit Stone dont le tir a endommagé le générateur. Encore une chose qu'il devra me payer !

Les yeux exorbités, Mac Nab regardait sur l'écran arrière les six cylindres noirs qui grossissaient rapidement. L'inéluctable destin en marche ! Plus loin, une nouvelle vague de projectiles apparaissait. Parker ne lésinait pas sur la dépense !

Une minute trente-cinq secondes,., trente-quatre, affichait le pilote automatique, comptant le temps séparant de la plongée.

-Collision dans quarante secondes, annonça la voix indifférente de l'ordinateur.

-Non... Non, se rebella Nuk-So. Un Cisée, Vite.

Ses doigts enfoncèrent plusieurs touches. Un voyant rouge s'alluma tandis que la voix métallique reprenait :

-Changement de direction impossible. Vitesse trop élevée. Les G seraient insupportables pour un humain.

Un cri rauque sortit de la gorge du pirate. Affolé, il brancha le bouclier à forte puissance, privant d'énergie les moteurs. La vitesse décrut aussitôt. Des éclairs lumineux zébrèrent l'écran, traduisant l'explosion des missiles au contact du champ protecteur. Les lumières du poste de pilotage s'éteignirent, vite remplacées par les maigres spots de l'éclairage de secours. Une violente secousse ébranla l'astronef qui se mit à vibrer.

Des témoins d'avaries clignotèrent, de plus en plus nombreux tandis que la voix impersonnelle égrenait :

-Elément deux du générateur en panne... Début d'incendie propulseur numéro un... Baisse de pression dans la soute C...

Livide, Mac Nab hurla :

-Qu'arrive-t-il ? Il faut nous rendre...

Il n'obtint pas de réponse. Une explosion retentit, secouant le vaisseau avec violence. Le choc projeta l'informaticien sur la console de l'ordinateur, la tête en avant, lui faisant perdre conscience.

Nuk-So avait subi le même sort mais, plus résistant, il se releva vite. Sans un regard pour son complice, il marmonna :

-Le canot de survie. Ma seule chance... Je dois pouvoir l'atteindre.

Trois pas mal assurés l'amenèrent sur le seuil du poste de pilotage. Ce fut à cet instant que la deuxième vague de missiles arriva. Une énorme explosion. Nuk-So, en une fraction de seconde, ressentit une brûlure intense, un froid atroce. Même pas la possibilité de lancer un dernier cri ! La décompression brutale avait fait éclater ses poumons. Une dernière et fugitive pensée. Il mourait avant d'avoir pu se venger...

***

Sur le Mercure, en voyant exploser l'astronef, Ray émit à titre d'éloge funèbre :

-Une belle fripouille en moins. Nuk-So rejoint dans les enfers son ami Ar-Kun. Tu n'as plus de soucis à te faire.

-Espérons qu'il n'avait pas d'autres associés, soupira Marc.

L'écran de la vidéo-radio ne tarda pas à s'allumer. Le colonel Parker arborait un discret sourire, signe de satisfaction assez inhabituel chez lui.

-Je ne suis pas mécontent de cette affaire. Trois pirates éliminés en quelques minutes constituent un joli tableau de chasse.

-Quatre, dit Marc. Vous pouvez rayer de la mémoire de vos ordinateurs le commandant So-Ghun. Nous avons eu une explication orageuse lors de mon émergence dans ce système solaire.

-Excellent ! Il était recherché par nos services et condamné deux fois à mort par l'ordinateur judiciaire, par contumace, malheureusement.

-Votre arrivée fut la bienvenue, colonel. Sans vous, Nuk-So s'échappait. Comment avez-vous pu vous manifester alors que je venais à peine de lancer un appel ?

-Inquiet de ne pas avoir de vos nouvelles, l'amiral Neuman m'a envoyé en reconnaissance avec mission de me camoufler.

-Excellente initiative ! Je ne pouvais que disparaître dans le subespace et les pirates auraient emporté matériel et secrets. Il me faut maintenant faire mon rapport à l'amiral.

Le visage de Parker se figea.

-Rien ne presse, capitaine. Avez-vous besoin de matériel ?

-Je souhaite reconstituer mon stock de missiles.

-Dans ce cas, approchez de mon vaisseau. Pendant que Ray effectuera le chargement, venez discuter à bord.

Un quart d'heure plus tard, Marc pénétra dans le poste de pilotage du croiseur. Parker lui tendit la main, geste simple, anodin, mais qui traduisait toute l'amitié qui liait les deux hommes.

-Vous allez pouvoir appeler l'amiral.

Avec un clin d'oeil, Parker ajouta :

-Mieux vaut que ce soit de mon vaisseau, nos messages sont automatiquement codés et vous serez à l'abri des oreilles inopportunes. Cette affaire mérite beaucoup de discrétion.

Un cosmatelot annonça à cet instant :

-L'amiral est en ligne, mon colonel.

Tandis que Marc s'installait devant la vidéo-radio, Neuman esquissa un sourire, fait rarissime dans les annales du Service.

-Heureux de vous voir, mon garçon. Nous étions sans nouvelle de vous et je commençais à m'inquiéter.

Marc entreprit de narrer ses aventures depuis l'attaque de So-Ghun jusqu'à l'intervention de

Parker. Durant tout le récit, l'amiral resta imperturbable. Lorsque Marc se tut, il laissa seulement fuser un discret soupir.

-Il n'y a qu'à vous qu'une telle histoire pouvait arriver. Des araignées de verre et des chenilles minérales pensantes qui vous ont spontanément aidé. La base pirate est-elle détruite ?

-De fond en comble ! Elle ne pourra plus être utilisée tant que le volcan sera en activité.

Parker qui scrutait le télescope optique confirma :

-Il s'échappe toujours des jets de vapeur du cratère.

-Voilà une excellente chose. Vous avez accompli une rude besogne mais le résultat en valait la peine. Dès que votre ravitaillement sera terminé, regagnez la Terre. Vous aussi, Parker. Il est inutile de rester dans cette zone au risque d'irriter les Dénébiens.

-N'oubliez pas, Amiral, que j'ai promis notre protection aux créatures de cette planète.

-C'est noté. Elle sera interdite à tout atterrissage. Cela sera d'autant plus prudent que, si je vous ai compris, certaines tortues se chargent, le jour, de la chasse aux intrus. Toutefois, j'enverrai une copie des enregistrements de Ray au Muséum. Ces créatures intéresseront certainement les exobiologistes.

Après une infime hésitation, l'amiral ajouta :

-Signalez-moi l'heure de votre arrivée sur l'aérodrome de la Cosmos Jet. J'aimerais vous accueillir pour vous féliciter.

L'écran éteint, Parker remarqua :

-L'amiral est d'excellente humeur. Il est rare qu'il réserve un tel honneur à un de ses agents.

-C'est probablement parce que je n'en suis pas un. Vous oubliez qu'officiellement, je suis en permission. Dans dix jours, je dois retourner pointer au S.S.P.P.. Ne croyez pas que mon chef, le général Khov, décomptera ces jours de mon congé.

-Pourquoi ne regagnez-vous pas la Sécurité Galactique ? Je sais que l'amiral vous apprécie et, en quelques mois, vous serez colonel.

Marc secoua la tête, amusé à cette idée.

-Merci, Parker. Je préfère rester au S.S.P.P.. M'intégrer à des populations primitives, courir sur des montures diverses des chemins de terre ou mal pavés, donner et surtout recevoir force horions, connaître des gens divers, souvent attachants et passionnants, tel est mon travail et je ne veux pas en changer.

Parker approuva de la tête.

-Même si je ne partage pas votre intérêt pour les sauvages, je peux au moins vous comprendre. Bonne chance, capitaine.

De retour sur le Mercure, Marc interrogea Ray.

-Tout est en ordre. Je programme le retour ?

-Le plus directement possible. J'ai hâte de passer quelques jours de détente avec Elsa.

CHAPITRE XIX

Le Mercure prit contact en douceur avec le revêtement d'acier et de plastex de l'astroport. Les réacteurs éteints, l'échelle d'accès se déplia. Aussitôt un trans luxueux vint s'immobiliser à quelques mètres. Elsa en sortit tandis que Marc dévalait les degrés de l'échelle.

Un bref instant, ils s'étreignirent profitant du fait que la masse du Mercure les dissimulait à la tour de contrôle.

-Marc, j'étais folle d'inquiétude. Pourquoi n'as-tu pas donné régulièrement de tes nouvelles ?

-Désolé, Elsa, mais j'ai eu une série d'empêchements. Je te donnerai les détails ce soir.

-Je l'espère bien ! J'ai prévu une soirée en tête à tête, alors il est inutile d'accepter une autre invitation. Maintenant, viens vite, les autorités de l'usine attendent que tu fasses un rapport détaillé sur les propulseurs.

Dans la salle de conférence, une dizaine d'ingénieurs étaient réunis autour de Warwick. Ce dernier montrait une mine soucieuse.

-Capitaine Stone, nous sommes tous très heureux de votre retour. Toutefois, nous déplorons les interruptions de liaison qui ne nous ont pas permis d'obtenir des renseignements valables sur les propulseurs.

-Les enregistreurs de bord ont parfaitement fonctionné. Les bandes vous donneront tous les détails utiles. Je vous confirme la parfaite qualité des propulseurs. Vous pouvez, dès maintenant, envisager leur production en série.

Les ingénieurs qui avaient participé à l'élaboration du projet manifestèrent leur approbation par de discrets applaudissements mais Warwick secoua la tête.

-Je ne partage pas votre optimisme. Avant de lancer un produit qui engage la réputation de la Cosmos Jet, j'exige une nouvelle série de tests menés par des techniciens responsables et non par... excusez-moi... un amateur.

-Cela prendra beaucoup de temps, objecta Elsa.

-Mieux vaut perdre du temps que notre réputation. Un échec serait catastrophique.

-Qui dit que des pirates ne profiteront pas de ce répit pour équiper leurs vaisseaux de ces nouveaux moteurs ? lança Marc.

-Comment le pourraient-ils, puisque vous avez neutralisé Dodd qui avait trahi notre confiance ?

Pendant la discussion, l'amiral Neuman était entré discrètement dans la salle. Il était accompagné du colonel Still et de deux agents de la Sécurité Galactique. Il intervint d'une voix sèche :

-Il se pourrait que Dodd n'ait pas agi seul.

L'annonce fit peser un lourd silence sur la petite assemblée.

-Que voulez-vous insinuer ? prononça enfin Warwick.

-Nous savons que les pirates ont reçu des renseignements après la mise hors d'état de nuire de Dodd.

-Je ne puis le croire ! Je réponds de l'intégrité de mon personnel. Possédez-vous des preuves ?

-Oui ! Et en quantité suffisante pour procéder à une arrestation. Monsieur Warwick, veuillez nous suivre. Vous serez déféré devant l'ordinateur judiciaire pour espionnage industriel, vol de documents et complicité de piraterie.

L'annonce plongea les auditeurs dans une profonde stupéfaction. Warwick réagit le premier. Il plongea la main dans sa poche pour saisir son pistolaser. Démasqué, il voulait au moins terminer sa besogne en abattant Stone et la femme. Sa seule chance pour que la Grande Compagnie lui vienne en aide !

Il levait déjà son arme quand une secousse violente détourna son bras. Aussitôt après, son estomac encaissa une ruade de cheval sauvage ! La souffrance l'obligea à se plier en deux, exhalant un soupir douloureux. Un dernier choc au menton le fit plonger dans un merveilleux néant.

Marc était intervenu avec rapidité, hargne et... efficacité. Tandis que les deux agents de la

Sécurité Galactique emportaient le corps inanimé du directeur, Elsa entraîna l'amiral et Marc dans son bureau.

-Je vous dois des excuses pour ne pas vous avoir prévenus, dit Neuman, mais je tenais à bénéficier de l'effet de surprise. Je n'avais pas imaginé qu'il oserait porter une arme sur lui. Heureusement, Stone a réglé rapidement le problème.

-Comment avez-vous démasqué Warwick ? demanda Elsa. Il a toujours eu une conduite exemplaire, travaillait beaucoup et prenait très à coeur les intérêts de la société.

-En étudiant le rapport du capitaine Stone, il était évident que Dodd n'était pas le seul traître. En effet, So-Ghun avait aimablement précisé qu'il attendait la venue du Mercure et il connaissait les caractéristiques du bâtiment ainsi que la puissance du générateur. Enfin, les deux cargonefs apportaient les derniers plans.

-Pourquoi avoir soupçonné Warwick plutôt que d'autres ingénieurs qui avaient accès aux documents ?

-Le mérite en revient au colonel Still et... à la routine policière. Il est heureux qu'il n'y ait pas beaucoup de fabriques d'androïdes perfectionnés. Nous avons été intéressés de savoir que Warwick s'en était procuré un, il y a six mois, sur Terrania XIX. Nous avons alors discrètement enquêté sur lui.

-Je ne comprends pas pourquoi il nous a trahis.

Il est célibataire et il touche un très important salaire.

-Cependant encore insuffisant pour ses besoins. Nous avons appris qu'il effectuait de fréquents séjours sur Vénusia. Vous savez que là-bas, les distractions sont fort onéreuses.

Vénusia était une planète au climat idyllique. La rareté des ressources minières l'avait fait abandonner comme terre de colonisation. Un consortium financier l'avait acquise pour installer un centre de repos et de loisirs destiné à une très riche clientèle. A dire vrai, au fil des années, Vénusia était devenue un gigantesque tripot et un somptueux bordel !

-Je croyais, objecta Marc, que les autorités de Vénusia veillaient jalousement sur l'anonymat de leurs clients.

L'amiral cligna malicieusement de l'oeil.

-Depuis votre dernière mission sur Vénusia, le nouveau chef de la police locale accepte, si je le lui demande personnellement, de me fournir des renseignements confidentiels. Donc, Warwick a dépensé là-bas d'énormes sommes. La Grande Compagnie n'a eu aucune peine pour le recruter. Un passage sous le sondeur psychique nous révélera tous les détails.

L'amiral se dirigea vers la porte mais se retourna avant de la franchir.

-Maintenant que leur plan a échoué, vous devriez être tranquille, mademoiselle Swenson. Toutefois, je vous conseille de renforcer les mesures de sécurité autour de votre usine.

-Qu'est devenu l'androïde ? questionna Marc.

-Nous le recherchons activement. Warwick nous donnera des précisions à son sujet. Encore merci, capitaine. Le Président était enchanté de la destruction de cette base clandestine. Il vous l'écrira officiellement ainsi qu'au général Khov. Cela devrait au moins vous valoir... quelques jours supplémentaires de permission.

-Connaissant Khov, je n'y compte guère, dit Marc en éclatant de rire.

CHAPITRE XX

-Mes amis, je vous propose de porter un toast à la santé de l'amiral Neuman, dit Elsa en levant son verre.

Trois jours s'étaient écoulés depuis le retour de Marc. Warwick, soumis au sondeur psychique, avait confirmé la thèse de Neuman et dénoncé ses complices qui avaient été aussitôt arrêtés. La Grande Compagnie avait non seulement subi un échec mais aussi perdu plusieurs membres importants.

Pour fêter l'événement, Elsa avait organisé une soirée intime à laquelle l'amiral et le colonel Still avaient accepté de participer. Elle avait aussi invité la blonde Magda et ses deux amies ainsi que plusieurs ingénieurs de la Cosmos Jet. Les enregistrements du Mercure s'étaient révélés excellents et il avait été décidé de passer sans retard à la phase industrielle du projet.

Magda, très élégante dans un fourreau noir, discutait avec l'amiral, Marc et Elsa. Cette dernière ironisa :

-Il est heureux que je vous aie reconnu sur la photographie que les bandits m'avaient envoyée pour attiser ma curiosité.

-Ils l'avaient prise à la sortie de l'hôpital. Je n'étais guère brillant et le soutien de Magda était le bienvenu. De toutes les manières, la jalousie est un très vilain défaut auquel une femme ne devrait jamais succomber.

Magda lança à Marc un regard amusé.

-Voilà une réflexion typiquement masculine. Auriez-vous fait une conquête lors de votre dernière mission ?

-Conquête serait un bien grand mot mais une délicieuse créature s'est intéressée à moi. Elle a beaucoup de Charme et m'était reconnaissante de lui avoir sauvé la vie.

-Et elle a tenu à vous donner des preuves tangibles de son affection, ironisa Magda.

-Peut-être pas dans le sens que vous sous-entendez.

Voyant le regard d'Elsa s'assombrir, il ajouta :

-Voulez-vous voir mon amie Ko-An ?

Il sortit de la poche de sa combinaison une photographie tri-di qu'il tendit aux jeunes femmes.

-Quelle horreur ! s'exclamèrent-elles en choeur en découvrant la grande araignée de verre.

-Ne vous fiez pas aux apparences ! Elle se déplace avec grâce et sa conversation est amusante.

Magda laissa fuser un petit rire, découvrant ses dents très blanches.

-En dépit de toutes ses qualités, je n'aurais aucun plaisir à la voir se glisser dans mon lit.

L'amiral approuva de la tête.

-Je pense partager votre opinion. Toutefois, les exobiologistes du muséum ont été passionnés par les documents de Stone. Ils souhaitent avoir une longue conversation avec lui car ils veulent obtenir tous les détails. Cette forme de vie où le silicium remplace le carbone est la seule qu'ils connaissent.

Un douloureux soupir échappa à Marc.

-C'est entendu, amiral. Je les contacterai. Encore une journée à répondre à des questions. J'espère qu'ils n'exigeront pas une nouvelle expédition là-bas.

_ -Soyez rassuré, le Président a pris note de leur désir de rester à l'écart de notre civilisation. Il n'autorisera jamais une telle mission.

-Voilà au moins une bonne nouvelle ! Qui sait si un des savants n'aurait pas tenté de séduire mon amie Ko-An !

Un craquement sourd retentit soudain. La porte d'entrée vola en éclats pour livrer passage à deux hommes solidement charpentés, genre lutteurs professionnels. Ils portaient un pantalon et un blouson noirs. Plus inquiétant était le pistolaser qu'ils tenaient à la main. Derrière eux avançait une grande fille brune, à la silhouette harmonieuse. Seuls les traits figés de son visage trahissait sa nature androïde.

-Les mains en l'air, reculez jusqu'au fond de la salle, ordonna un des arrivants en agitant son arme de dangereuse manière.

Il y eut dans l'assistance un mouvement indécis. Ray avança aussitôt, annonçant d'une voix calme, indifférente.

-Vous avez pénétré par effraction dans une propriété privée. Vous violez la loi.

-La ferme ! Recule ou je te descends, cria un des agresseurs, le visage rubicond.

-Que voulez-vous ? demanda Ray, toujours calme et paisible.

-Qui est le capitaine Stone? Qu'il se désigne immédiatement ou je liquide un par un tous ceux qui sont ici, en commençant par les femmes.

Avant que Marc esquisse un geste, Ray avança de deux pas, se campant devant les deux malfaiteurs.

-Dois-je comprendre que vous feriez usage de vos armes ? En regard des lois qui nous régissent, je suis en droit de nous considérer en état de légitime défense.

Enervé par ce verbiage, l'un deux hurla :

-Crève, espèce d'abruti !

Il appuya sur la détente, visant le front de son contradicteur. Au contact de l'écran protecteur, le jet laser ne produisit qu'un grésillement minime. La riposte fut immédiate. Activant son laser digital, Ray toucha la main armée. Sous la douleur, l'homme poussa un cri et lâcha le pistolet qui tomba sur le sol. Dans la fraction de seconde qui suivit, le second malfrat fut désarmé de la même manière.

Ce dernier poussa un hurlement de rage et, de sa main gauche, sortit un couteau de sa poche. La lame jaillit du manche avec un déclic sinistre. Avant que Ray réagisse, l'homme se rua sur Elsa en lançant :

-Je vais la piquer...

Malheureusement pour lui, il rencontra Magda sur sa trajectoire. Son poignet fut saisi par une pince plus dure que l'acier et, aussitôt, une douleur épouvantable explosa dans son coude. D'un fulgurant coup porté avec le tranchant de la main, la jolie blonde venait de lui briser l'extrémité inférieure de l'humérus. Il n'eut pas le temps d'exhaler sa souffrance car un choc sur la nuque le fit plonger dans un miséricordieux néant.

-Ces mâles sont ridicules, ne trouvez-vous pas ? dit Magda d'une voix calme, très mondaine, comme s'il s'agissait d'une simple maladresse.

Elsa ne put répondre. La grande brune qui avait assisté à l'élimination de ses séides, réagit avec promptitude. Elle tira de sa ceinture une arme tandis que sa vision panoramique étudiait le visage des hommes. Trois secondes furent suffisantes pour identifier le capitaine Stone dont son maître lui avait montré le portrait avec ordre de l'éliminer par tous les moyens. Déjà, elle levait son arme. Une silhouette s'interposa entre elle et sa cible.

La brune effectua deux pas rapides sur le côté pour se retrouver en position de tir.

La corpulente Mitchka, plus proche, avait vu la manoeuvre. Elle se lança en avant, bousculant un invité. Le malheureux crut être heurté par un char d'assaut et valsa trois mètres plus loin. A l'instant où le doigt de l'androïde se crispait sur la détente, Mitchka releva le canon de l'arme et le jet laser ne fit qu'écorner le plafond.

D'une puissante torsion, Mitchka arracha le pistolet de la main de la brune qui riposta aussitôt d'un puissant gauche à l'estomac. Tout être normal se serait effondré, K.O. pour le compte. Toutefois, Mitchka resta debout. Comprenant que son adversaire était plus rapide et possédait une puissance de frappe supérieure à la sienne, il lui fallait tenter de l'immobiliser.

La brune, persuadée d'avoir éliminé son adversaire, cherchait du regard son arme. Avec un rugissement rauque, Mitchka se rua sur elle, l'étreignant de toute sa force. L'androïde réagit dans la seconde qui suivit. Ses bras entourèrent le torse de cette ennemie coriace. Une minute s'écoula dans un silence pesant. Le visage de Mitchka virait au pourpre et ses traits étaient crispés en un rictus douloureux. La brune était plus forte qu'elle. Insensiblement, elle sentait ses reins se creuser. Ses muscles se tétanisaient. Elle mobilisa toute son énergie, puisant dans ses ultimes ressources. Elle ne voulait pas céder... elle refusait la défaite ! A cet instant, une voix ironique résonna à ses oreilles:

-Si tu as épuisé les charmes de cette étreinte, peut-être accepterais-tu un peu d'aide ?

Ray avait assommé d'une solide tape sur le crâne le malandrin qui avait tiré sur lui. S'étant assuré que le second avait été mis hors d'état de nuire par Magda, il s'était tourné vers la brune androïde. Une panique secoua ses neurones électroniques quand il vit le pistolaser se pointer sur Marc. Il ne pouvait tirer car deux invités se trouvaient sur la trajectoire. Il allait tenter un plongeon désespéré quand Mitchka intervint.

La peur avait été d'une telle intensité que plusieurs secondes furent nécessaires pour que ses circuits retrouvent un fonctionnement normal. Il découvrit alors que Mitchka faiblissait. Il se porta à son secours. Attaquant par derrière l'androïde, il lui saisit les bras qu'il écarta d'un mouvement puissant. La brune était terriblement forte mais le générateur de Ray avait une puissance supérieure. Lentement, il ramena les bras dans le dos.

Enfin libérée, Mitchka, à bout de souffle, la figure écarlate, ruisselante de sueur, se laissa tomber sur les genoux tandis que la brune tentait de se débarrasser de ce nouvel adversaire. Elle rua, donna des coups de tête mais en vain.

-Sage, fillette, murmura Ray à son oreille, sinon je t'arrache les épaules.

Il émit alors :

-Marc, il faut l'inactiver. La commande se trouve sous le sein gauche.

Stone saisit le devant de la combinaison et la déchira d'un mouvement sec, dénudant une poitrine des plus agréables à contempler. D'un pas de côté, il évita le coup de genou que la belle lui décocha. Sa main ouvrit une trappe et, de l'index, il bascula un interrupteur.

Privé d'énergie, l'androïde s'immobilisa. Ray le laissa tomber sur le tapis en bougonnant :

-Comment a-t-elle pu arriver jusqu'ici ?

A cet instant, une voix forte retentit.

-Police ! Que personne ne bouge !

Deux agents de la Sécurité Galactique surgissaient, brandissant des pistolaser s d'un calibre impressionnant. L'amiral se manifesta alors. La crispation de son visage n'augurait rien de bon.

-C'est seulement maintenant que vous intervenez ? lança-t-il d'une voix glaciale qui fit se recroqueviller les deux agents.

-Nous étions en surveillance devant 3'entrée de l'immeuble... Nul n'a pénétré... Toutefois, nous avons constaté l'absence du gardien qui se tient habituellement dans le hall. Nous l'avons retrouvé, inconscient, près des ascenseurs qui montent du parking... C'est probablement par cette voie qu'ils...

Neuman les interrompit sèchement.

-Vous rédigerez un rapport. Appelez du renfort ! Embarquez ces individus et l'androïde. Qu'on examine ses cristaux mémoriels et soumettez les prisonniers au sondeur psychique. Vite !

Les policiers, peu farauds, traînèrent les corps toujours inanimés tandis que d'autres agents de la Sécurité apparaissaient pour saisir l'androïde.

Rapidement, le calme revint. L'amiral s'inclina devant Elsa, la mine sévère.

-Je vous présente mes excuses pour ce regrettable incident. Bien que je pense que tout danger est écarté, nous maintiendrons autour de vous une surveillance que j'espère plus efficace qu'aujourd'hui.

Pendant ce temps, Ray s'occupait de Mitchka, toujours agenouillée. Une rapide inspection en vision X confirma l'absence de graves lésions mais son visage restait violacé et elle respirait avec difficulté.

Ray la saisit dans ses bras et la souleva, ignorant son poids respectable. Elsa conseilla alors :

-Porte-la dans la chambre du fond. Elle y sera au calme pour se reposer.

Tandis qu'il s'éloignait avec son fardeau, Elsa reprenait :

-Chers amis, cet incident met fin à nos ennuis. Je pense que nous avons tous mérité de prendre un verre.

La proposition fut accueillie avec joie et rapidement l'alcool dissipa les dernières frayeurs. Une heure plus tard, les invités commencèrent à prendre congé. Magda dit alors à Marc :

-Nous allons également nous éclipser si Mitchka est remise de ses émotions. Allons prendre de ses nouvelles.

Devant la porte de la chambre, elle s'immobilisa. Des soupirs étaient perceptibles, entrecoupés de gémissements qui ne devaient rien à la douleur.

-Oh ! Ray !... Ray !

Magda regarda d'un air intrigué et réprobateur Marc qui esquissa un sourire.

-Ray utilise parfois des méthodes de réanimation peu orthodoxes mais il obtient d'excellents résultats.

Interloquée, la blonde amorça un demi-tour.

-Laissons-le terminer ses... soins, soupira-t-elle. Je crois que j'ai besoin de boire un autre verre.

Elle terminait son whisky quand Mitchka reparut. Ses joues étaient rouges et ses yeux brillaient. Devant le regard curieux et ironique de Magda, elle lança :

-Je devine ce que tu penses mais je ne crois pas avoir trahi les Zamas car Ray n'est pas un homme mais un androïde.

Les deux amies éclatèrent de rire en même temps puis Mitchka ajouta dans un soupir :

-Si les hommes étaient comme lui, je crois qu'il me faudrait réviser mon jugement sur la gent masculine !

FIN