L’ARAIGNEE DE VERRE (SSPP 35)
JEAN-PIERRE GAREN
CHAPITRE PREMIER
Une douleur vive, térébrante, torturait l'épaule gauche de Marc. Par instants sa vue se brouillait. Il serra les dents, secoua la tête. Il concentrait toute son attention sur la conduite de son trans, véhicule léger se déplaçant par antigravité, qui filait à vive allure dans l'avenue rectiligne où la circulation était rare à cette heure.
Dans le rétroviseur, l'image du trans qui le poursuivait, grossissait inexorablement. Marc ne comprenait pas pourquoi ces hommes voulaient le tuer. Moins d'un quart d'heure auparavant, alors qu'il s'installait dans son véhicule, il avait vu soudain le canon, d'un pistolaser pointé sur lui. Seul, un instinctif réflexe de plongée avait évité que le rayon ne le touchât au front. U avait démarré en catastrophe mais son adversaire, au deuxième tir, l'avait atteint à l'épaule.
Cette fuite à travers les rues de l'immense agglomération new-yorkaise avait quelque chose d'irréel. Marc avait d'abord espéré se réfugier dans un poste de la Sécurité Galactique mais il avait vite compris qu'il en était trop éloigné. Il avait alors viré pour se diriger vers l'immeuble de son amie Elsa Swenson. Il savait qu'elle était en voyage mais l'appartement de la femme la plus riche de la Galaxie était en permanence surveillé par plusieurs hommes armés. Marc était un familier des lieux et tous les gardes le connaissaient. Nul doute qu'ils l'aideraient.
Espoir vain ! Le trans arrivait à sa hauteur. La vision fugitive d'une arme braquée sur lui. Un freinage brutal, un coup de volant. Les éclairs rouges scintillèrent devant le pare-brise.
Emporté par son élan, le trans sauta sur le trottoir, heurta une borne d'éclairage, termina sa course contre la façade d'un immeuble. Sonné, Marc perdit plusieurs secondes avant de s'extirper de son véhicule. Déjà, ses poursuivants avaient effectué un demi-tour acrobatique, slalomant entre les voitures venant en sens inverse.
Soutenant son bras blessé, Marc courut vers l'entrée du building le plus proche. Trouver un vidéophone... Vite... Bien qu'il ne fût encore que huit heures du soir, le hall était entièrement désert. Il galopa vers les ascenseurs et s'engouffra dans une cabine. A l'instant d'appuyer sur une des touches, il remarqua une petite plaque en regard du dernier étage: Zamas club. Sport, danse, musculation. Exclusivement réservé à la clientèle féminine.
Un sourire apparut sur les lèvres crispées de Marc. La chance lui sourirait-elle ? Des images défilèrent à grande vitesse dans son esprit. Le camp des inadaptés... La recherche de son neveu, Oliver... Un groupe de femmes... Des amazones... Zamas...
Les portes de l'ascenseur s'ouvrirent sur le palier du dernier étage. Titubant, Marc franchit quelques mètres de couloir. Son index écrasa le bouton de sonnette. Dix secondes s'écoulèrent... Une fraction d'éternité...
Le battant pivota, dévoilant une solide virago à l'allure de catcheuse.
-Mitchka... Je suis blessé... Aidez-moi.
La brune s'écarta et tendit un bras au biceps saillant à l'instant où Marc allait s'effondrer. D'un coup de talon, elle referma la porte. Ils étaient dans une grande salle encombrée d'appareils de musculation les plus modernes. Deux femmes pénétrèrent dans la pièce. L'une était une grande blonde aux formes sculpturales, vêtue d'un pantalon serré et d'un polo. L'autre était rousse avec des cheveux courts.
-Capitaine Stone ! Que vous arrive-t-il ? demanda la blonde d'un ton surpris.
-Des inconnus me poursuivent... Je ne sais pourquoi ils veulent me tuer.
Des coups violents frappés à la porte d'entrée interrompirent Marc.
-Prenez garde, Magda, ils sont armés...
Un discret sourire étira les lèvres bien dessinées de la blonde qui dit d'une voix calme à la rouquine :
-Debbie, emmène le capitaine dans une chambre. Aide-le à s'allonger et examine sa blessure.
Marc émit une faible protestation.
-Ne prenez aucun risque... Appelez la police.
-Laissez-vous soigner, capitaine, je m'occupe de tout.
A peine la rousse et Marc avaient-ils quitté la salle que la porte d'entrée vola en éclats. Trois hommes firent irruption. Ils portaient des combinaisons noires en similicuir. Deux tenaient à la main un pistolaser. Le troisième, le plus grand, très brun, paraissait être le chef. Ses yeux noirs et brillants examinèrent la pièce.
-Où est le type qui a pénétré ici ?
-L'accès de ce club est strictement interdit aux hommes, dit Magda d'un ton sec.
-Pas d'histoires ! Il n'a pu aller ailleurs. Vite ! J'exige une réponse. Si je m'énerve, cela sera très désagréable pour vous.
Devant le mutisme de ses interlocutrices, il lança à celui qui se tenait à sa droite, un type trapu, mal rasé, au front bas :
-Dave, occupe-toi de la grosse.
Puis il ordonna à son autre acolyte :
-Karl, attrape la blonde, il faut qu'elle parle.
Le nommé Karl, solidement charpenté, émit un bref ricanement, découvrant des dents jaunes.
-Elle n'est pas mal fichue, j'ai bien envie de me la taper.
-D'accord, mais quand nous aurons rempli notre contrat.
Dave s'était approché de Mitchka. Il lança son bras en avant pour frapper du canon de son arme le creux épigastrique. Un coup douloureux qui paralyse l'adversaire. Il ne comprit jamais ce qui arriva. Son poignet fut happé par un étau et tordu. Soudain, un vertige le saisit. Il s'envola dans les airs, bascula. Le retour à la terre fut des plus désagréables. Il retomba de tout son poids, le bras en extension, sur le genou malicieusement avancé par son adversaire. Son épaule se disloqua avec un craquement sinistre tandis qu'un hurlement de douleur jaillissait de sa gorge.
Le cri détourna une seconde l'attention de Karl. Un choc sur l’avant-bras écarta le pistolaser. Il eut la vision fugitive d'une main levée. Le tranchant heurta son cou avec une force phénoménale, lui faisant immédiatement perdre connaissance.
Le chef se crut victime d'une hallucination. Il connaissait ses acolytes, les avait choisis pour leur force et leur absence totale de scrupule. Tandis que le corps de Karl glissait lentement sur le sol, la blonde effectua une curieuse pirouette. Son pied droit décrivit une arabesque élégante et soudain frappa l'homme à l'estomac avec la puissance d'une ruade de cheval sauvage.
Le souffle coupé, il recula de deux pas, plongea la main dans sa poche à la recherche de son arme. La rage envahissait son esprit. Il voulait liquider cette damnée femelle. Il allait sortir le pistolaser quand une force immense le ceintura, collant ses bras le long du corps. Deux avant-bras noueux se croisèrent sur son torse tandis qu'une voix ironique résonnait à ses oreilles:
-Je ne suis pas grosse mais musclée !
Il tenta de se débattre, voulut plonger en avant, Autant tenter de déraciner un chêne centenaire. La pression s'accentua. Un claquement, un second, traduisirent la fracture de deux côtes. Il aurait hurlé sa douleur s'il avait eu encore un peu d'air dans les poumons. Un nouveau craquement ajouta à sa souffrance. Ses oreilles bourdonnèrent tandis qu'un voile rouge couvrait sa vue.
-Laisse-le un peu respirer, Mitchka, si nous voulons qu'il puisse parler.
Pendant ce temps, Dave rampait sur le sol en dépit de la douleur qui lui déchirait l'épaule. Son but était de saisir le pistolaser tombé à deux pas. Il allongea son bras valide. Ses doigts n'étaient plus qu'à quelques centimètres de la crosse quand une paire de bottes rouges entra dans son champ de vision. Il releva la tête pour découvrir le visage souriant d'une jolie rousse.
-Vous cherchez quelque chose ? susurra-t-elle d'une voix mélodieuse.
-Le pistolet... Donne-le-moi... Vite.
-Mais naturellement.
Il eut à peine le temps de s'étonner de ne plus voir qu'une botte. Un talon percuta sa main avec violence. La douleur entraînée par la fracture de trois métacarpiens fut telle qu'il perdit connaissance.
-Comment va 3e capitaine ? demanda. Magda toujours aussi calme.
-Je l'ai allongé sur mon lit. Sa blessure ne m'a pas paru trop grave mais je crois prudent de le conduire à l'hôpital.
-Descendez dans le parking et installe-le dans notre trans. Tu nous retrouveras devant l'immeuble. Nous devons achever le ménage.
La blonde se tourna vers l'homme toujours immobilisé par Mitchka.
-Pourquoi vouliez-vous tuer notre ami le capitaine Stone ?
-Je n'ai rien à dire ! Vous devez me livrer aux flics. C'est tout ce que vous pouvez faire. C'est la loi !
-Je crois que tu commets une regrettable erreur, dit Magda d'une voix douce... trop douce.
Elle cligna de l'oeil en direction de Mitchka. Aussitôt, l'étreinte se resserra, ajoutant une nouvelle fracture de côte.
-Arrêtez. Vous n'avez pas le droit...
-Nous avons le même droit que toi quand tu as tiré sur Se capitaine, le coupa la blonde. J'attends une réponse.
L'homme s'affola. Il avait tué, souvent torturé mais il n'avait jamais imaginé qu'il serait un jour du côté des victimes. Déjà, l'étau se resserrait déclenchant des douleurs fulgurantes. Ses nerfs lâchèrent brusquement.
-Attendez, sanglota-t-il. Je ne faisais qu'obéir aux ordres du patron.
-Qui est-ce ?
-Je ne peux pas le dire... Il est terrible... !
Une nouvelle pression sur son thorax endolori lui fit ajouter dans un souffle :
-Andersen... Kurt Andersen... Il habite au 3839... 347ème rue.
Magda hocha la tête avec un sourire ironique.
-Tu vois, ce n'était pas difficile.
L'étreinte se relâcha et il glissa sur les genoux.
-Laissez-moi partir, murmura-t-il. J'ai mal...
Une lourde manchette sur la nuque l'expédia dans un miséricordieux néant.
-Ils font désordre dans notre salle, dit Magda. Mieux vaut les remettre dans la rue.
Sans effort apparent, Mitchka saisit un corps sous chaque bras tandis que la blonde juchait le dernier sur son épaule.
Au rez-de-chaussée, le hall était toujours désert. Devant l'immeuble, non loin du véhicule accidenté de Marc, stationnait un grand trans aux vitres fumées. Les jeunes femmes installèrent les corps à l'intérieur. Magda appuya sur un contact et le moteur ronronna doucement.
Après un dernier regard pour s'assurer de l'absence de véhicule en sens inverse, Mitchka laissa retomber sur l'accélérateur le pied du corps installé au volant puis se rejeta en arrière. Le trans démarra en trombe, parcourut une centaine de mètres avant de terminer sa course folle contre la façade d'un immeuble où il s'écrasa.
Les deux femmes gagnèrent d'un pas tranquille l'entrée de leur parking. Le trans conduit par Debbie ne tarda pas à apparaître. Marc avait été allongé à l'arrière. Magda s'installa près de lui tandis que Mitchka prenait place à l'avant.
-Où sont mes poursuivants ? s'inquiéta Marc.
-Nous les avons envoyés jouer ailleurs. Ils ne vous causeront plus aucun souci.
Avec un rire ironique, elle ajouta :
-Les hommes ne nous ont jamais terriblement impressionnées.
-Merci, sans vous, j'étais perdu.
-C'est un plaisir de pouvoir vous rendre service. Nous n'oublions pas que c'est grâce à votre action que le camp des inadaptés fut fermé et que nous avons été remises en liberté. De plus, vous avez aidé à notre réinsertion dans cette ville.
Dès l'arrivée à l'hôpital, Marc fut conduit au service des urgences. Un jeune médecin l'examina rapidement.
-Jolie blessure, murmura-t-il. Nous allons procéder à un examen par scanner pour vérifier l'absence de lésions internes graves.
Avec un sourire rassurant, il ajouta :
-Je pense que vous vous en tirez bien. Toutefois, étant donné qu'il s'agit d'une blessure par pistolaser vous comprendrez qu'il me soit impossible de ne pas avertir la police.
-C'est naturel, docteur. Je vous demande de prévenir de préférence la Sécurité Galactique. Je suis assez honorablement connu de cet organisme.
Le médecin haussa les épaules. Un service ou un autre, peu lui importait du moment que le règlement était respecté. Déjà, un brancardier poussait Marc vers la salie de radio.
Sur le perron de l'hôpital, Magda regarda ses amies.
-Ne croyez-vous pas qu'une visite s'impose ?
CHAPITRE II
Le trans s'immobilisa à peu de distance du numéro 3839. C'était un petit immeuble délabré. La rue était déserte, mal éclairée par des réverbères dont la moitié était hors d'usage. Cet endroit, à la limite du quartier réservé n'était ni fréquenté ni fréquentable.
Les jeunes femmes avaient revêtu des pantalons et des blousons de toile marron foncé. Seule Debbie portait autour du cou un long collier de perles fantaisie brillantes.
Arrivées devant le bâtiment qui les intéressaient, elles hésitèrent un instant. Une seule lumière brillait à une fenêtre du premier étage. Une voix nasillarde retentit soudain.
-C'est gentil, les filles, de venir nous distraire. On a besoin de compagnie.
Trois silhouettes se profilèrent, jusque là dissimulées par l'ombre du porche de l'immeuble. La voix nasillarde reprit :
-Al, débarrasse-nous de celle-là. Elle est trop moche ! Les deux autres suffiront.
Les voyous étaient vêtus de similicuir noir comme ceux qui avaient fait irruption au club.
-Ces mâles manquent totalement d'imagination, songea Magda.
Déjà, le plus véloce lançait la main en avant pour saisir l'épaule de la rouquine. Celle-ci évita la prise d'une torsion de buste et riposta d'un coup de pied net et précis sur la rotule. Sous le choc, le petit os se déboîta. Fou de douleur et de colère, l'homme sortit un long couteau à cran d'arrêt. La lame jaillit du manche, brilla un instant à la faible lueur du réverbère.
Debbie recula d'un pas et détacha son collier qui mesurait près d'un mètre de long. Le tenant par une extrémité, elle le fit tournoyer.
-Je vais te crever, siffla l'homme d'une voix rauque.
A cet instant, l'extrémité du collier frappa la main et l'arme s'envola. Les fausses perles étaient en réalité des billes d'acier ! Le malfrat n'eut pas le temps de crier. D'un geste sec, Debbie leva le bras, le collier siffla et toucha l'homme à la tête, au niveau de la tempe. Assommé net, il s'effondra.
Pendant ce temps, le nommé Al avait frappé Mitchka d'un puissant direct du droit à l'estomac. Nul doute que son poing allait s'enfoncer jusqu'au coude dans cette masse gélatineuse ! Les phalanges heurtèrent une cuirasse de muscles plus dure qu'un mur ! Il n'eut pas le temps de revenir de sa surprise. Il fut ceinturé par deux bras puissants, ses reins se creusèrent. Un instant de tension insupportable, un craquement, une douleur fulgurante et il s'effondra, la colonne vertébrale brisée.
Magda, en deux coups de pied, s'était également débarrassée de son adversaire qui gisait sur le sol, le visage ensanglanté.
-Que de temps perdu avec ces mâles ridicules, murmura-t-elle.
Elle pénétra dans l'immeuble qui sentait la crasse et la poussière. Un escalier jonché de détritus menait au premier étage. Un rai de lumière brillait au bas d'une porte. Magda fit un signe du menton. Aussitôt, Mitchka enfonça le battant d'un solide coup d'épaule.
Un grand type blond, solide, âgé d'une quarantaine d'années, était assis dans un fauteuil, regardant sur un écran tri-di un spectacle égrillard à en juger par la tenue légère des acteurs. Un lit, une table basse complétaient le mobilier.
L'intrusion brutale le fit se lever d'un bond. Déjà, sa main se portait à sa ceinture où était glissé un pistolaser. Il ne put achever son geste. L'extrémité de la chaîne, animée par Debbie le toucha au coude. Dans la seconde suivante, le poing de Mitchka l'atteignit au ventre avec une puissance suffisante pour le renvoyer dans son fauteuil. La rouquine, avec une habileté diabolique, enroula le collier autour du cou musclé de l'homme, étouffant tout cri.
-Kurt Andersen ? demanda la blonde.
Incapable de parler, l'homme battit des paupières à plusieurs reprises. Mitchka approcha, déboucla la ceinture et, d'un geste sec déchira le haut du pantalon, dénudant le bas-ventre. Son énorme main entoura le scrotum.
-Autrefois, ricana-t-elle, dans le camp des inadaptés où je me trouvais, j'avais commencé une collection de ces bijoux de famille. J'ai envie de la compléter aujourd'hui.
Entre le pouce et l'index, elle saisit un testicule qu'elle pressa, arrachant un gémissement à l'homme. La tension de la chaîne se relâcha un instant. D'une voix enrouée, il s'écria :
-Arrêtez ! Vous êtes folles... Que voulez-vous ?
Magda se pencha vers lui, indifférente en apparence.
-Une question... Une seule réponse... Sinon tu perdras tes petites choses ridicules. Pourquoi voulais-tu assassiner le capitaine Stone ?
-J'ignore de quoi vous parlez... Laissez-moi, sinon... Ah !
Une douleur irradia dans son bas-ventre, stoppant sa phrase.
-Attention ! Dans quelques secondes, il sera trop tard.
Une peur folle, irraisonnée, envahit l'esprit d'Andersen.
-J'exécutais un contrat, souffla-t-il. On m'a donné cinquante mille dols.
-Qui ?
-Une femme... J'ignore son nom...
Devant la mine crispée de la blonde, il s'empressa d'ajouter :
-En réalité, c'était un androïde à morphologie féminine. Un très joli modèle... Une grande brune... Elle a payé en plaques de mille dols.
-Tu obéis à la première inconnue de passage ?
-Les temps sont durs et cinquante mille dols constituent une grosse somme. Je ne pouvais refuser une telle aubaine. Elle m'a dit être envoyée par Yvan Boulkof. Un ancien ami et un sacré dur. Malheureusement, il s'est fait piquer par les flics l'année dernière.
Magda lui jeta un regard. Le même que celui du dîneur qui trouve une limace baveuse dans son sandwich-salade.
-J'espère pour toi que tu n'as pas menti. Dans le cas contraire, nous reviendrons et tu pourras dire adieu à ta petite panoplie ! La même chose, si une nouvelle tentative était effectuée pour tuer le capitaine Stone. Nous te présenterons directement la facture. Prie pour qu'il ne lui arrive rien ! Bonne nuit !
Aussitôt, Mitchka l'assomma d'une solide tape sur le front.
CHAPITRE III
Marc émergea lentement de son sommeil. Par habitude, il appela télépathiquement Ray, son androïde, son ami. C'était un des rares modèles pourvus d'un émetteur-récepteur psychique. La série avait été rapidement abandonnée car trop rares étaient les humains capables de l'utiliser.
Déjà doué naturellement, Marc avait eu la chance de rencontrer sur une lointaine planète une merveilleuse entité végétale dotée d'une extraordinaire puissance psychique. Pour le remercier de son aide, elle avait décuplé les capacités de l'esprit de Marc, lui permettant de communiquer sur de très longues distances.
N'obtenant pas de réponse, il se souvint que Ray était à l'usine de la Cosmos Jet Corporation pour recevoir un programme concernant un nouveau propulseur d'astronef. S'il en avait été autrement, Marc n'aurait pas été blessé hier. L'androïde aurait su le protéger.
La chambre de l'hôpital était froide et impersonnelle. Marc se leva avec précaution. Son épaule gauche, entourée d'un pansement, ne le faisait pas souffrir. Il ébaucha quelques timides mouvements mais, par prudence, décida d'attendre le passage du médecin.
Ce dernier ne tarda pas à apparaître. Il était encore jeune mais ses traits tirés trahissaient sa fatigue. Marc te reconnut. C'était le même chirurgien qui l'avait opéré deux ans auparavant quand il avait été blessé avec son amie Elsa par des sbires de la Grande Compagnie, émanation de l'antique Maffia.
-Voyons votre plaie, dit le médecin.
Avec des gestes mesurés et précis, il défit le bandage puis palpa l'épaule. Un sourire discret étira ses lèvres.
-Tout cela paraît parfait.
Il pulvérisa un liquide puis posa un pansement adhésif.
-J'aimerais bien comprendre, soupira-t-il, pourquoi vous cicatrisez avec autant de rapidité. En une nuit, les progrès sont étonnants.
Marc resta impassible. Il ne pouvait parler de la présidente de Maralla, planète de l'Union Terrienne. Cette charmante femme paraissait à peine la trentaine mais en réalité était âgée de deux siècles. Il lui avait sauvé la vie et elle avait fait bénéficier Marc des progrès insoupçonnés en biologie de sa race. Depuis, ses tissus se régénéraient dix fois plus rapidement que la normale.
-Je mène une vie saine, sans excès, réussit-il à dire très sérieusement.
Le médecin hocha la tête, non entièrement convaincu.
-Comme je devine que vous ne souhaitez pas subir une nouvelle série d'examens, je ne m'oppose pas à votre sortie. Je vous conseille seulement une semaine de repos.
-Entendu, docteur. Je ne bougerai pas jusqu'à ma guérison complète.
-Prenez garde ! Cela fait deux fois que vous êtes hospitalisé pour blessure. Vous n'aurez peut-être pas la même chance à la troisième.
Dès que le médecin eut refermé la porte, Marc s'habilla rapidement. Dans le hall de l'hôpital, il eut la surprise de voir Magda qui, visiblement, l'attendait.
-Je suis heureuse de vous retrouver en bonne forme, capitaine.
-Le mérite vous en revient autant qu'au médecin.
-Venez, Debbie nous attend dans un trans devant l'hôpital.
Voyant que Marc se déplaçait avec précaution, elle passa le bras autour de sa taille.
-Ne craignez pas de vous appuyer sur moi.
Ainsi enlacés, ils traversèrent le parking. La souriante rouquine ouvrit la porte du trans pour permettre à Marc et à Magda de s'installer sur la banquette arrière. Tandis que Debbie prenait place au volant, Mitchka arriva au pas de course et casa sa volumineuse carcasse à côté de la conductrice.
-Rien à signaler, dit-elle tandis que le trans démarrait en trombe, effectuant un brusque demi-tour.
-Aucun véhicule suspect à l'horizon.
Marc esquissa un sourire.
-De vraies professionnelles ! N'exagérez-vous pas les risques ?
-Lorsque j'assume une mission, dit Magda, je préfère prendre les précautions nécessaires. Ceux qui vous ont attaqué étaient de vrais professionnels.
-Que sont-ils devenus ?
-En sortant de notre immeuble, je crains qu’ils n'aient eu un regrettable accident de circulation. Les hommes, de nos jours, conduisent beaucoup trop vite.
Toujours très calme, elle ajouta :
-C'est un nommé Kurt Andersen qui a lancé les tueurs à vos trousses. Il ne faisait qu'exécuter un contrat. Le commanditaire reste inconnu car il a agi par l'intermédiaire d'un androïde.
Marc lança un regard à travers le plastex transparent. Debbie conduisait vite, changeant souvent de direction pour dérouter un éventuel poursuivant.
-Où allons-nous ?
-Le plus simple est de vous ramener chez vous, capitaine. Toutefois, si vous le permettez, nous vous tiendrons compagnie jusqu'à l'arrivée de Ray. Il sort à cinq heures de l'usine. Je m'en suis assurée, en téléphonant à la Cosmos Jet.
-Je suis confus de vous faire perdre tout ce temps.
-Il m'est très agréable de vous rendre service.
Arrivé à l'appartement, Marc fut installé dans un profond fauteuil dont les coussins se moulèrent automatiquement sur les formes de son corps. Très à l'aise, Magda approcha du bar et emplit des verres d'un vieux scotch.
-A votre rétablissement, capitaine. Pendant que vous boirez en paix, Debbie convaincra le distributeur d'améliorer ses plats tout préparés.
En fin d'après-midi, Ray arriva. Il ressemblait à Marc, en plus trapu, avec la même chevelure brune. Son regard se fixa aussitôt sur son ami. Il lança d'un ton bougon :
-Il suffit que je m'absente deux jours pour que tu fasses des fantaisies. Quand seras-tu enfin raisonnable ?
Marc esquissa un sourire. Il devinait que derrière ces paroles se dissimulaient l'angoisse et la peine ressenties par son ami. Les savants ingénieurs affirment qu'un robot ne peut ressentir de sentiments humains. Ils réagissent seulement en fonction des programmes qui leur ont été fournis. Marc savait que c'était inexact. Depuis le temps qu'il vivait avec Ray, il s'était créé une curieuse symbiose entre eux. A plusieurs reprises, pour lui venir en aide, l'androïde avait pris des initiatives non prévues par les constructeurs. De même, Marc n'avait pas hésité à courir les plus grands dangers pour traîner son ami privé d'énergie.
-Inutile de protester, je suis toujours en vie... grâce à nos amies.
-Je les en remercie. Maintenant, il est temps de te reposer.
Magda se dirigea vers la porte.
-Ray dit vrai. Je vous souhaite une rapide convalescence. Si vous avez besoin d'aide, n'hésitez pas à nous appeler.
Mitchka serra amicalement l'androïde dans ses bras.
-Lors de notre première rencontre, dans le camp des inadaptés, tu t'es bien moqué de moi en faisant croire que tu étais un humain.
-Tu aurais dû le deviner. Aucun pugiliste ne peut être aussi fort que toi.
-Vil flatteur, dit-elle avec un petit rire.
Ray l'embrassa sur les deux joues.
-En dehors de la lutte, j'ai beaucoup d'autres qualités. Il ne tient qu'à toi de les découvrir.
Le sourire de Mitchka s'accentua quand elle secoua la tête.
-Tu sais que nous n'aimons pas les hommes. Si un jour, je change d'avis, je te promets que tu seras le premier informé.
CHAPITRE IV
Marc effectua une série d'exercices d'assouplissement. Comme il l'espérait, sa plaie avait cicatrisé en vingt-quatre heures. Sous l'oeil soupçonneux de Ray, il enfila une combinaison d'astronaute.
-Ne fais pas cette tête. Je me sens en pleine forme. N'oublie pas que nous avons rendez-vous à onze heures à la Cosmos Jet Corporation pour participer à d'importants essais.
-Je ne peux l'ignorer puisque c'est pour cela que j'ai passé une nuit à l'usine mais j'aurais préféré que cette séance fût repoussée de quelques jours.
-Cela ferait perdre beaucoup de temps et d'argent. As-tu fait réparer mon trans ?
-Je m'en suis occupé pendant que tu dormais. Il est dans un état de délabrement tel qu'une réparation coûtera deux fois plus cher que l'achat d'un engin neuf. J'ai loué un véhicule en attendant que tu choisisses un nouveau modèle.
Marc acheva de boucler les attaches magnétiques de sa combinaison.
-Nous pouvons partir.
-Un instant !
L'androïde tendit à son ami un verre d'un liquide opalescent.
-Bois! C'est tonique et revitalisant. J'ai mis une double dose car ton organisme a besoin de reconstituer ses réserves d'énergie.
Le trajet jusqu'à l'aéroport demanda une petite heure. Là, sur l'emplacement réservé à la Cosmos Jet, un hélijet les attendait. Le pilote, un jeune rouquin au visage souriant, sauta à terre.
-Vous pouvez vous installer, capitaine. Le décollage est prévu dans dix minutes.
A l'heure dite, l'engin s'arracha du sol et prit un cap au sud-ouest. Un long moment, il survola l'immense agglomération new-yorkaise qui s'était démesurément étendue au fil des siècles au point que Washington en était devenu un faubourg.
Bientôt, l'astroport privé de la Cosmos Jet Corporation fut en vue. Plusieurs astronefs se dressaient sur le terrain. L'hélijet amorça un large virage pour se poser devant un grand bâtiment d'une centaine d'étages.
Dans le grand hall d'entrée, une dizaine de personnes entouraient une jeune femme brune, âgée d'une trentaine d'années, à la silhouette élancée et harmonieuse. Dans son visage aux traits réguliers, aux pommettes saillantes, ses yeux verts brillaient d'un éclat extraordinaire. En sus de sa beauté, Elsa Swenson avait la particularité d'être la femme la plus riche de la Galaxie. Elle dirigeait la Cosmos Jet avec compétence et autorité.
Apercevant les arrivants, elle se dirigea vers eux d'un pas pressé. Marc ne pouvait s'empêcher d'admirer sa démarche gracieuse. Il y a plusieurs années déjà, il avait rencontré la jeune femme dans des circonstances dramatiques et il lui avait sauvé la vie. Depuis, ils entretenaient de tendres relations mais par pudeur, ils avaient tenu à garder leur liaison secrète.
-Marc, je rentre juste de voyage pour assister aux essais. En arrivant ici, j'ai appris que tu avais été blessé.
-Une simple égratignure. La seule victime est mon trans qui est bon pour la ferraille. Ne t'inquiète pas, je suis prêt pour le départ.
A voix basse, il ajouta :
-Dès mon retour, je te prouverai que je n'ai rien perdu de mes qualités.
-J'y compte bien, murmura-t-elle dans un sourire.
Les autres membres de l'état-major approchant, elle reprit d'une voix neutre :
-Nous allons donc procéder à l'essai de notre nouveau propulseur.
Warwick, un long type aux cheveux gris, le directeur adjoint de la Cosmos Jet, prit la parole d'un ton emphatique.
-Ce jour marquera une étape capitale dans le développement de notre société. Après des années de travail intensif, notre bureau d'études a mis au point avec plusieurs mois d'avance sur le plan prévu, un système simple, révolutionnaire, qui doit accroître de cinquante pour cent le rendement des propulseurs des astronefs. Il prit une ample respiration pour ajouter : -En raison de la rapidité avec laquelle nos travaux ont progressé, nous avons décidé de monter ce nouveau moteur sur l'astronef personnel de monsieur Stone, le Mercure, car c'est le seul à disposer d'anti-G performants.
Désignant un homme d'une quarantaine d'années, blond, le visage affable, la silhouette athlétique, il poursuivit :
-James Dodd, le directeur de ce projet, participera à ce premier essai en vol. Messieurs, veuillez gagner l'astronef.
Dix minutes plus tard, Marc s'installait dans le poste de pilotage tandis que Dodd prenait place sur le siège du copilote. Ray resta devant l'ordinateur de vol.
La voix puissante de Warwick résonna dans le haut-parleur.
-Ici, tour de contrôle. Autorisation de décoller dans six minutes. Je vous rappelle les instructions. Accélération progressive jusqu'à la puissance maximale qui sera atteinte en sept minutes. Cent vingt secondes plus tard, vous atteindrez la vitesse nécessaire pour plonger dans le subespace. Comme il ne s'agit que d'un premier vol d'essai, vous programmerez l'ordinateur pour le système de Véga et vous reviendrez. Nous resterons en contact permanent. Bonne chance.
Marc alluma les propulseurs qui ronronnèrent doucement.
-Attachez vos ceintures magnétiques et serrez-les bien. Nous serons durement secoués, dit Dodd.
Le sifflement des moteurs se fit plus aigu.
-Décollage dans cinq secondes... Trois... Deux... Une...
A l'instant prévu, le Mercure s'élança vers le ciel. Pour les spectateurs, il ne fut bientôt qu'un minuscule point lumineux.
En dépit des anti-G perfectionnés fonctionnant à pleine puissance, un poids énorme écrasait Marc rendant tout mouvement impossible. Le visage de Dodd, déformé par un rictus, trahissait la même souffrance. Les minutes s'écoulèrent, terriblement longues. La perte de connaissance, traduisant la bascule dans le subespace, fut ressentie comme un véritable soulagement.
Marc émergea lentement de son inconscience. Il se redressa pour saisir d'une main agitée d'un léger tremblement, le gobelet de liquide revitalisant que Ray lui tendait avec une sollicitude maternelle.
Une série de soupirs traduisit le retour à la vie de Dodd. Quelques minutes plus tard, ce dernier examina les données sorties de l'ordinateur.
-Excellent, sourit-il. Cela dépasse même nos prévisions les plus optimistes.
Secouant ses membres encore endoloris par l'accélération, Marc grimaça :
-Si vous installez ce moteur sur un astronef de croisière, je pense que les passagers débarqueront à la première escale.
-Sans aucun doute mais les militaires, eux, apprécieront un surcroît d'accélération. Il ne nous restera plus qu'à leur vendre de nouveaux anti-G. Double bénéfice pour la société.
Marc éclata de rire.
-J'avoue ne pas avoir envisagé le problème sous cet angle. J'ai toujours été un piètre financier. Venez, maintenant que nous sommes au calme, nous avons mérité un verre de vieux scotch.
Dans la cabine-salon qui jouxtait le poste de pilotage, Marc ouvrit le bar. Il grogna en sortant une bouteille pratiquement vide.
-Il semble que les techniciens qui se sont occupés du Mercure ont été torturés par la soif. Espérons qu'ils n'auront pas trouvé notre réserve.
-Je vais m'en assurer, dit Ray de fort méchante humeur. Je n'aime pas partir en mission sans avoir vérifié les provisions.
Marc versa le fond de la bouteille dans deux verres.
-En attendant le ravitaillement, portons un premier toast à la Cosmos Jet.
Dodd consulta discrètement sa montre. Un curieux sourire flotta sur ses lèvres.
-A la réussite de ma mission !
Les deux hommes burent la petite quantité d'alcool. Soudain, la pensée de Ray infiltra les neurones de Marc. Elle était chargée d'angoisse.
-Un gros pépin ! Un virus informatique envahit mes circuits. Il détruit nombre de connections.
Un instant de silence.
-Il atteint maintenant le circuit primaire. Je suis obligé de m'inactiver pour protéger mes cristaux mémoriels... Prends garde à toi... C'est sûrement un piège...
La communication fut brusquement interrompue. Marc ne put s'empêcher de hurler :
-Ray... Ray... Réponds !
Il voulut sortir de la cabine pour rejoindre son ami mais Dodd lui barra le passage. Un pistolaser apparut dans sa main.
-Ne bougez pas, Stone. Vous venez d'apprendre la nouvelle. Votre androïde est hors d'usage.
En dépit de l'arme braquée sur son ventre, Marc avança d'un pas.
-Stop ! Sinon, je me ferais un plaisir de vous sectionner les pieds.
-Vous êtes fou ! Que voulez-vous ?
-Vous n'allez pas tarder à le savoir. Passez dans le poste de pilotage. Attention ! Au moindre geste suspect, je n'hésiterai pas à tirer.
Marc, la rage au coeur, obéit, non sans lancer un regard venimeux sur l'ingénieur. Ce dernier se tenait derrière lui, à plus de deux mètres. Impossible de tenter de le surprendre.
-Bien ! Allongez-vous sur le siège du copilote. Parfait ! Bouclez les sangles magnétiques et serrez-les.
Quand ce fut fait, Dodd vérifia avec minutie les attaches puis alla s'adosser à l'ordinateur de vol.
-Comme vous le voyez, je prends possession de votre astronef.
-Pourquoi ? Que pouvez-vous espérer ?
-La fortune, tout simplement, ricana l'ingénieur.
D'un ton hargneux, il reprit :
-Le premier, j'ai eu l'idée de ce système de propulsion. Pendant des années, j'ai travaillé comme un forcené à sa réalisation. Maintenant que mon invention est au point, qu'ai-je obtenu ? Une prime ridicule ! Et Warwick m'a généreusement laissé espérer une hypothétique promotion. Une aumône ! Pendant ce temps, la Cosmos Jet encaissera de fabuleux bénéfices qui seront distribués aux actionnaires, c'est à dire à vous et à mademoiselle Swenson.
-Sans les laboratoires et le financement de la Cosmos Jet, vos recherches n'auraient jamais pu aboutir, objecta Marc.
-Une autre société m'aurait accueilli, les bras ouverts.
Dodd approcha de l'ordinateur pilote.
-Il est temps de modifier notre trajectoire. J'ai rendez-vous avec des amis dans un système solaire isolé.
Il commença à pianoter sur le clavier. Marc ferma les yeux, le visage crispé.
-Voilà, s'exclama l'ingénieur, dans moins de huit heures, grâce à mes merveilleux propulseurs, je serai très riche.
-Combien vous a-t-on promis ?
-Cinq cents millions de dols !
-Qui sont les généreux mécènes ?
-Un groupe de pirates fort désireux d'être les premiers à bénéficier du progrès. Cela leur donnera un immense avantage sur les appareils militaires.
-Il ne sera que de très courte durée.
Avec un petit rire ironique, Dodd tapota une poche de sa combinaison.
-Il sera beaucoup plus long que vous ne le pensez. Avant de partir, j'ai dérobé toutes les mémoires d'ordinateur. La Cosmos Jet devra recommencer les recherches depuis leur origine. Sans moi, cela demandera au moins deux ans.
-Dès votre trahison connue, la Sécurité Galactique vous pourchassera. Vous n'aurez aucun répit.
-Croyez bien que j'ai envisagé cette hypothèse. Tout est prévu pour assurer ma disparition. Je saurai profiter de ma fortune mal acquise.
-A votre place, j'aurais quelques doutes. J'ai souvent combattu des pirates et je crois bien les connaître. Ils ne tiendront jamais parole. Comment pouvez-vous imaginer qu'ils réuniront cinq cents millions de dols en liquide ? Dès que vous leur aurez donné ce qu'ils désirent, ils vous liquideront sans hésiter.
-Je ne suis pas aussi naïf que vous le pensez. La possession de votre aviso ne leur suffira pas. Il faut en plus les cristaux mémoriels des ordinateurs. Moi seul possède les différents codes d'accès.
-Vos complices le savent très certainement. Soyez persuadé qu'ils ont déjà réfléchi au problème. Ils sauront vous obliger à les servir sans que cela leur coûte un dol !
La colère déforma les traits de Dodd qui leva son pistolaser visant Marc au visage. Un instant de tension extrême. Lentement, l'ingénieur laissa retomber son bras.
-Vous n'arriverez pas à me mettre en colère. Dans le schéma initial, il était prévu de vous éliminer pour que j'effectue seul l'essai avec un androïde qui m'obéirait. L'échec des tueurs nous a obligés à modifier nos plans. J'avais proposé de vous liquider en même temps que votre androïde mais un commanditaire a promis une prime supplémentaire si je vous amenais vivant. Il semble très désireux de vous interroger. Vous lui auriez causé de sérieux soucis, il y a quelques années, et il désire se venger. D'après ce que j'ai compris, votre sort ne sera guère enviable.
-Il ne sera pas pire que le vôtre. Voulez-vous parier ?
-Vous tentez de m'intimider mais je ne tomberai pas dans votre piège.
-Qu'est-il arrivé à Ray ?
-Très sincèrement, je l'ignore. On m'a seulement assuré qu'il serait neutralisé une heure après le décollage. Je suppose qu'un virus informatique lui a été inoculé pendant son séjour à l’usine.
CHAPITRE V
Peter Warwick avait les yeux rivés sur les divers écrans cathodiques qui affichaient les paramètres de vol du Mercure. Après un long moment d'un silence tendu, il se tourna vers Elsa Swenson, assise à côté de lui.
-Nos meilleurs prévisions se réalisent. Pour la première fois un astronef est parvenu à plonger dans le subespace en moins de dix minutes. Il suit sa route vers Véga qu'il atteindra en moitié moins de temps que d'ordinaire.
Elsa, très crispée, se détendit légèrement.
-Quand le Mercure sera-t-il de retour ?
-Pas avant six heures... S'il ne survient pas d'incident, reconnut Warwick. Vous pouvez aller vous reposer, mademoiselle. Je resterai en contact permanent avec vous.
-Je préfère attendre ici.
De nombreuses minutes s'écoulèrent, marquées par le ronronnement monotone des imprimantes. Soudain, plusieurs écrans s'éteignirent.
-Que se passe-t-il ? cria Warwick.
Un technicien, assis devant une imposante console, manipula une série de touches mais sans obtenir le résultat escompté.
-Alors ? s'impatienta le directeur.
-Nous avons perdu tout contact avec le Mercure. Il est impossible de rétablir la liaison.
-Est-ce une panne de vos appareils ? intervint Elsa, très pâle.
-Les vérifications sont en cours mais, très sincèrement, je ne le pense pas, dit le technicien.
-Vos conclusions ?
Warwick qui épluchait les données des ordinateurs, répondit avec lenteur.
-A ces vitesses, jusque-là inégalées dans le subespace, il est possible que les transmissions soient brouillées. Leur émetteur a pu aussi subir une avarie. Sinon... il nous faudrait envisager une hypothèse très désagréable... comme la perte du Mercure.
Un écran s'éclaira sur une console latérale montrant le visage affolé d'une femme d'une cinquantaine d'années.
-Monsieur Warwick... une catastrophe...
-Qu'arrive-t-il encore, madame Strenton ?
-Tous les ordinateurs du Service Recherche sont pris de folie... des données aberrantes... Il semble qu'un virus se répand à très grande vitesse, détruisant toutes les mémoires. J'ai été contrainte d'ordonner un arrêt immédiat de toutes les machines. Je crains des dégâts irrémédiables.
La femme détourna un instant le regard pour lire une note qu'on lui tendait. Ses yeux s'arrondirent tandis que de fines gouttes de sueur apparaissaient sur son front. Elle reprit d'une voix tremblante d'émotion :
-J'avais demandé à mon assistant de chercher dans le coffre le double des cristaux mémoriels.
Sa gorge se serra au point d'interdire toute parole. Finalement, elle arriva à articuler :
-Tous les documents concernant le nouveau propulseur ont disparu.
Warwick ne put contenir un juron.
-Ne bougez pas, j'arrive !
Il sortit en courant, laissant Elsa perplexe. Elle réfléchit un moment. Ses yeux avaient pris une couleur sombre. Derrière le beau visage, une froide machine à calculer s'était mise en mouvement. Elle se leva pour gagner le vidéophone le plus proche. Les mâchoires crispées, elle composa le numéro de la Sécurité Galactique.
***
Un lourd silence régnait dans le poste de pilotage du Mercure. Marc, toujours attaché, surveillait du coin de l'oeil l'horloge universelle fixée au-dessus du cerveau-pilote. Dodd examinait les données de l'ordinateur. Il se retourna, un large sourire aux lèvres.
-Ces propulseurs sont de vrais petits bijoux. Pas la moindre anicroche depuis le départ.
Il alla au distributeur se servir un gobelet de jus de fruit synthétique.
-Plus que quatre heures de patience.
-Comment se déroulera l'échange ?
-Deux astronefs pirates nous attendent. Dès qu'ils me verront émerger dans ce système désert, ils se porteront à notre rencontre. Un équipage prendra possession du Mercure. L'un des astronefs et le vôtre partiront pour une destination que j'avoue ignorer. Les pirates ont leurs secrets que je ne tiens aucunement à partager. L'autre astronef me déposera sur Solan.
Solan était une planète éloignée qui avait adhéré à l'Union Terrienne mais n'en respectait guère les règles. Sa situation très excentrique lui conférait un caractère particulier. Le gouvernement local accordait les autorisations d'atterrir selon de mystérieux critères. Il encaissait les taxes sans jamais poser de questions sur l'origine de l'argent ou des marchandises pour la plus grande joie des écumeurs de l'espace.
-Une fois là-bas, poursuivit Dodd, je toucherai le solde de mon argent et une nouvelle identité me sera fourme. J'ai déjà des idées très précises sur la manière dont je dépenserai ma fortune.
-Je crois que ce beau rêve ne se réalisera pas, dit Marc en fermant les yeux.
Soudain, Dodd porta la main à son front et s'écroula sur le revêtement de sol.
Marc émergea de l'inconscience provoquée par le retour dans l'espace normal. Une pensée impérieuse traversa son esprit. Vite ! Retrouver sa mobilité avant Dodd ! D'une main tremblante, il dégrafa les sangles magnétiques. Se redresser... il le fallait... Un gémissement sortit de sa gorge quand il mit un pied à terre.
Il serra les dents. A deux mètres de lui, Dodd esquissait quelques mouvements. D'abord récupérer le pistolaser ! Marc s'affola en ne le voyant pas. Finalement, il découvrit que l'arme avait glissé contre le pied de l'ordinateur-pilote. A genoux, Marc franchit la courte distance qui, cependant, lui parut démesurée. En saisissant la crosse, tout son être eut un frémissement joyeux.
S'appuyant sur la console, il parvint à se lever. C'est seulement à cet instant qu'il réalisa qu'il était couvert de sueur. Il défit complètement une sangle du siège du pilote et approcha de l'ingénieur qui reprenait conscience. Sans douceur, il lui ramena les bras en arrière et lui attacha les poignets.
-Qu'est... Qu'est-il arrivé ? bredouilla Dodd.
Marc le saisit aux épaules et d'une puissante traction l'allongea sur le siège du copilote dont il boucla les attaches. Satisfait de son oeuvre, il alla au distributeur se servir un verre puis il s'installa aux commandes.
Dodd sortait enfin de son brouillard.
-Je ne comprends pas, nous ne devions émerger que dans quatre heures.
Devant le mutisme de Marc, il ajouta :
-De toutes les manières, vous êtes perdu, Stone.
Seul, vous ne pourrez lutter contre deux astronefs. Ils ont déjà dû nous repérer et foncent vers nous. Si je ne réponds pas, ils ouvriront le feu.
-Vous commettez une erreur, Dodd, nous ne sommes pas dans votre système perdu. Vos amis vous attendront en vain. Regardez l'écran de visibilité extérieur ! Ne reconnaissez-vous pas cette grosse planète avec ses anneaux ?
-Saturne! Il est impossible que nous soyons dans le système solaire. J'ai moi-même programmé l'ordinateur de vol !
Marc émit un rire joyeux, puissant.
-Vous n'avez pas bien étudié le Mercure. Il m'a été donné par des créatures extra-terrestres qui souhaitaient me voir accomplir une mission pour elles. Ils ont copié un appareil du S.S.P.P. mais y ont apporté un certain nombre de modifications. C'est ainsi que, soucieuses de mon confort, elles ont amélioré les anti-G. Vous avez surtout omis un autre détail. A votre décharge, Ray et moi sommes seuls à le connaître. Mes amis ont installé des commandes psychiques pour qu'en toutes circonstances, je puisse intervenir.
-Ces trucs psychiques ne marchent jamais. Il y a longtemps qu'on les a abandonnés.
-Il suffit d'être doué et d'avoir beaucoup voyagé. J'ai pu ainsi, sans attirer votre attention, modifier les coordonnées de plongée.
Marc se leva et fouilla la combinaison de Dodd. Il tira d'une poche deux boîtes plates.
-Il est normal que la Cosmos Jet récupère son bien.
Après une nouvelle vérification de la trajectoire, Marc s'installa devant la vidéo-radio. Rapidement, le visage d'un opérateur apparut.
-Capitaine Stone ! Notre liaison était interrompue.
Une main impérieuse poussa le malheureux technicien dont l'image fut remplacée par celle d'Elsa.
-Marc, qu'est-il arrivé ? J'étais morte d'inquiétude.
-Un incident désagréable mais tout est rentré dans l'ordre. L'essai est modifié et je rentre. Je serai à l'astroport dans moins d'une heure. Avertis la Sécurité Galactique, j'aurai besoin d'elle.
-Elle est déjà sur place car un vol important a été commis dans les bureaux.
-Ne t'affole pas, je ramène vos documents et le voleur.
Devançant la question d'Elsa, il ajouta :
-Mets-moi en communication avec Steeman à l'usine des androïdes. Ray a un gros problème.
Dans les moments importants, mademoiselle Swenson savait être d'une remarquable efficacité. Moins de trois minutes plus tard, Steeman était en ligne. Marc et lui s'étaient rencontrés lors d'un safari qui avait failli se terminer tragiquement.
-Qu'arrive-t-il à Ray ?
-Je l'ignore, il a juste pu me dire qu'un virus envahissait ses circuits. Il les a tous débranchés pour préserver ses cristaux mémoriels. Depuis, tout contact est rompu.
-ÎI a eu le bon réflexe. N'avez-vous aucune indication sur ce parasite informatique ?
Elsa se manifesta aussitôt.
-C'est sans doute le même qui ravage Ses ordinateurs de la société. Tous nos informaticiens sont mobilisés mais sans succès jusqu'à maintenant.
-Si vous avez du nouveau, vous me le direz quand j'arriverai à l'astroport. Surtout, Marc, ne réactivez pas Ray. Dès que vous serez posé, nous viendrons le prendre avec un brancard anti-gravi-té.
-Merci !
Marc regagna la place du pilote pour programmer les paramètres de descente. Comme il ne voulait pas perdre de temps, il choisit un freinage tardif mais nécessairement plus brutal.
Sur l'écran de visibilité extérieure, la sphère bleue grossissait à grande vitesse. Bientôt, elle emplit tout l'écran.
-Vous êtes fou, Stone, nous allons être pulvérisés ! Ah !
Les rétrofusées étaient entrées en action à pleine puissance. L'intense décélération le cloua sur son siège. Un méchant diable lui arrachait les yeux, écrasait son estomac. Le temps avait perdu toute signification. Il n'était plus qu'une immense douleur. La voix ironique de Marc parvint enfin à ses oreilles.
-Nous sommes posés. La Sécurité Galactique arrive. Elle vous détachera et vous pourrez enfin remuer les bras.
CHAPITRE VI
Le jour déclinait. Allongé sur un fauteuil-relax, Marc regardait Elsa, vêtue d'une élégante tunique d'intérieur. La jeune femme emplit deux verres et approcha de Marc qui ne se lassait pas d'admirer sa silhouette.
-Ton whisky préféré.
-Merci !
La veille, Elsa l'avait invité, prétextant qu'il serait plus en sécurité chez elle. Naturellement, la soirée s'était terminée de la plus agréable manière.
Le lendemain matin, Marc avait vidéophoné à Steeman pour obtenir des nouvelles de Ray. Les recherches se poursuivaient. Il avait seulement réussi à sauver les cristaux mémoriels, c'est à dire tout ce qui faisait leur amicale complicité.
Marc passa le bras autour de la taille d'Elsa qui se laissa aller contre son torse. Leurs multiples occupations faisaient qu'ils ne pouvaient que trop rarement se rencontrer. La tendre atmosphère qui s'installait fut brisée par la voix du gardien de l'immeuble.
-Mademoiselle Swenson, je suis désolé de vous déranger ce soir mais deux officiers de la Sécurité Galactique montent chez vous. Ils n'ont pas voulu que je les annonce.
-Merci, Piet. Continuez à faire bonne garde. N'oubliez pas que j'exige une surveillance renforcée jour et nuit.
La sonnerie de la porte d'entrée retentit à ce moment.
-Un instant, dit Elsa à Marc. Mieux vaut être prudent. Prends ceci.
Elle lui tendit un pistolaser ultraplat. Leurs craintes furent vaines. Marc revint précédant l'amiral Neuman, le tout-puissant patron de la Sécurité Galactique. Il était long, mince avec un visage austère surmonté de cheveux gris. Un officier à la carrure athlétique, bien sanglé dans son uniforme noir, l'escortait.
-Je suis toujours heureuse de vous rencontrer, amiral, dit Elsa. Souhaitez-vous un rafraîchissement ? Mon whisky est excellent.
-Je vous remercie mais nous avons à discuter. Je vous avoue que cette affaire ne va pas sans m'inquiéter.
Se tournant vers Marc, il ajouta :
-Lorsque l'hôpital a signalé votre blessure, l'information est remontée jusqu'à mon bureau. Par chance, mon adjoint, le colonel Still, était de permanence. Il sait l'intérêt que je vous porte.
Un froid sourire étira les lèvres minces de l'amiral.
-Ce n'est pas seulement en raison des services que vous nous avez rendus mais il se trouve qu'en dehors de vos fonctions au S.S.P.P., vous êtes l'actionnaire majoritaire de la Cosmos Jet. La Société qui fabrique la moitié des astronefs de l'Union Terrienne et la quasi-totalité des vaisseaux de guerre, ne peut qu'être sous notre surveillance. Donc, le colonel n'a pas tardé à faire la relation entre votre agression et un trans accidenté à cent mètres de distance. Les victimes, des repris de justice dangereux, étaient fichées dans notre service. Il n'a pas été difficile de savoir que ces malfaiteurs étaient généralement employés par un certain Kurt Andersen. Il a alors décidé d'envoyer une patrouille l'interroger. Cette dernière a trouvé près de son repaire trois voyous passablement amochés. Andersen n'a fait aucune difficulté pour parler. La venue antérieure de trois mégères semblait l'avoir passablement choqué. Il n'a pu en faire qu'une description très approximative, rendant toute identification impossible.
Le visage de l'amiral restait impassible mais il ne pouvait masquer l'ironie de son regard. Il était évident qu'il connaissait les trois femmes mais qu'il jugeait inutile d'engager des poursuites. Tout aussi sérieux, Marc approuva de la tête tandis que Neuman reprenait :
-Nous savons que votre mort avait pour but de vous empêcher de participer à l'essai des propulseurs mais était-ce le seul ? J'ai besoin de savoir, en cas de décès, à qui reviendrait votre fortune.
-J'ai rédigé l'année dernière un testament remis à Maître Whitcomb. Mes avoirs sont partagés entre mademoiselle Swenson et mon neveu, Oliver Standman.
-Donc, dit l'amiral, le commanditaire n'avait aucune chance de racheter les actions de la Cosmos Jet.
-Qui a voulu tuer Marc et voler nos découvertes ? s'impatienta Elsa.
-C'est ce que nous cherchons à déterminer, soupira Neuman. Andersen, simple exécutant, nous a livré un indice, le nom d'Yvan Boulkof. Il est détenu sur un satellite-bagne. Une vérification a montré qu'il avait partagé sa cellule avec un certain Mac Nab.
-Qui est-ce ?
-Un excellent informaticien qui a commis l'erreur d'utiliser ses talents pour détourner des fonds de la société où il travaillait. Il a été condamné à huit ans de réclusion mais, je ne sais encore comment, il a bénéficié d'une remise de peine et a été libéré il y a quatre mois. Depuis, il a disparu de la circulation.
-Serait-il responsable du virus ? dit Elsa.
-Il en a les capacités inventives. Il aura ensuite remis son travail à Dodd qui aura introduit les données dans le programme de Ray et dans les ordinateurs de la Cosmos Jet.
-Qu'a donné l'interrogatoire de Dodd ?
-Guère plus que ce qu'il vous a spontanément livré. Il n'a eu de contact qu'avec cette jolie androïde brune.
-Vous n'avez donc aucune piste valable, grogna Marc.
-Ce n'est pas entièrement exact. Ce type d'androïde perfectionné, capable de se débrouiller seul dans une ville, est rare et surtout très onéreux ce qui élimine les petits délinquants. Agir par l'intermédiaire d'un androïde est pratique. Si jamais nous le capturons, les cristaux mémoriels s'autodétruisent, supprimant toute preuve. Cette manière de procéder est caractéristique de la "Grande Compagnie". Je suppose que vous vous souvenez de cette organisation criminelle.
-Il serait difficile de l'oublier! Elsa et moi avons failli périr quand ces fripouilles avaient tenté d'accaparer l'empire Swenson. Grâce à Ray, vos services ont effectué un gigantesque coup de filet.
-Un merveilleux succès policier, admit l'amiral, le regard rêveur. Trop beau, peut-être ? Les rares membres de la Grande Compagnie qui ont échappé aux arrestations ont dû s'éloigner de la Terre. Ils se sont reconvertis dans la seule branche que nous ne pouvons contrôler, le piratage. Depuis un an, les écumeurs de l'espace, d'ordinaire loups solitaires, semblent s'être regroupés. Il est exact que la possession exclusive de super-propulseurs leur donnerait un grand avantage sur mes unités.
-Avoir des plans est une chose, intervint Elsa, mais les faire réaliser à l'échelon industriel en est une autre. Il faut une infrastructure solide. Même Solan n'oserait pas copier un modèle de la Cosmos Jet. Les dirigeants s'exposeraient à des rétorsions commerciales comme l'arrêt de la fourniture de pièces de rechange pour leurs astronefs.
-Je ne pense pas que Solan soit en cause, murmura l'amiral.
Il regarda un moment ses ongles avant de reprendre :
-Ce que je vais dire est strictement confidentiel. Des informations recueillies de diverses sources laissent penser que des pirates établissent une base secrète sur une planète déserte. Là, ils pourront fabriquer et monter sur les astronefs de passage les propulseurs. D'après ce que les techniciens m'ont expliqué, il s'agit d'une simple adjonction aux moteurs existants qui ne demande pas une énorme usine.
-C'est exact, reconnut Elsa. Cette seule modification n'exige pas un matériel considérable. Toutefois, le problème ne devrait plus se poser puisque Marc a ramené le Mercure, les plans et Dodd qui ne pourra plus conseiller vos pirates.
Une ride soucieuse barra le front de Neuman.
-Pour obtenir une promesse d'achat, Dodd a livré une partie des travaux. C'est ce qui ressort de l'étude du sondeur psychique. Or il n'est pas impossible que la Grande Compagnie possède des ingénieurs capables de les terminer, à moins qu'elle ne réussisse à copier plus discrètement vos modèles. Enfin, même en cas d'échec, cette installation d'une base secrète est inquiétante.
-Connaissez-vous les coordonnées de la planète ? demanda Marc.
-Nous avons une forte présomption, à défaut d'une certitude.
-Dans ce cas, puisqu'elle est déserte, rien ne vous empêche d'envoyer des croiseurs pour l'explorer.
L'amiral secoua lentement la tête.
-C'est là que la Grande Compagnie a été très astucieuse. Elle a choisi une planète à la limite de notre zone d'influence et de celle de l'Empire Dénébien. L'arrivée d'un bâtiment de guerre déclencherait immédiatement un grave incident diplomatique avec le risque d'un conflit généralisé que nous ne pouvons prendre.
-Quelle solution avez-vous imaginée ? demanda Marc subitement méfiant.
L'amiral feignit d'examiner le plafond.
-Nécessairement, vous devrez faire un autre essai avec le Mercure puisque le premier a été écourté. Je me demande si vous ne pourriez effectuer une petite reconnaissance autour de la planète qui nous intéresse. Un astronef civil peut circuler librement dans la Galaxie et les Dénébiens ne pourront pas se plaindre.
Avant qu'Elsa émette une protestation, Neuman ajouta :
-Il ne saurait être question de livrer bataille. Je ne demande qu'une simple mission d'observation. Si des pirates sont réellement installés là-bas, deux croiseurs interviendront. Ils seront placés en attente dans le système solaire voisin, prêts à répondre à votre premier appel.
-Et les Dénébiens ?
-Le traité prévoit que nous pouvons donner la chasse aux pirates jusqu'à l'extrême limite de notre espace. Encore faut-il qu'il y ait des pirates.
Marc resta un long moment silencieux, les sourcils froncés, avant de décider :
-Je n'aime pas du tout qu'on veuille me tuer. Je ne vais pas rester les bras croisés à attendre qu'ils récidivent. Mieux vaut donc frapper à la tête. J'accepte votre mission, amiral, mais je vous demande, en mon absence, d'assurer la protection de mademoiselle Swenson. Elle risque aussi d'être visée.
Neuman esquissa un sourire.
-Je n'ai pas attendu votre demande. En ce moment même des policiers veillent sur vous. Quand pensez-vous pouvoir partir ?
-Dès que la réparation de Ray sera achevée. Cela demandera deux ou trois jours. Ce virus informatique paraît particulièrement coriace.
-Parfait, dit l'amiral. Il faut le temps que mes croiseurs prennent position puisqu'ils sont moins rapides que votre astronef.
CHAPITRE VII
Allongé sur le siège du copilote, Marc somnolait. Ray lui tendit un gobelet.
-Nous émergerons du subespace dans une heure. Tu as juste le temps d'absorber une petite ration de ton whisky préféré.
Tandis que Marc goûtait l'acre saveur de l'alcool, il ajouta :
-Ces nouveaux propulseurs font gagner beaucoup de temps.
-Rassure-toi, le Service n'allongera pas mes permissions pour autant. Comment te sens-tu ?
-En pleine forme ! La mécanique est bien huilée et nombre de circuits sont neufs.
-Tu pourras remercier Steeman et les informaticiens de la Cosmos Jet qui ont trouvé le moyen d'éliminer ton virus.
-C'était une expérience très désagréable. Je comprends maintenant ce que ressentent les humains victimes d'une maladie infectieuse. Cet envahissement de l'organisme par des parasites est très déprimant.
Les réparations de Ray avaient demandé trois jours. Pendant ce temps, sous la surveillance scrupuleuse de Warwick, les ingénieurs avaient étudié les données de l'ordinateur du Mercure qui avaient confirmé la qualité et la fiabilité des moteurs. Ceux-ci avaient été soigneusement vérifiés et les réserves d'énergie complétées.
-J'ai horreur de ce genre de mission, grogna Ray. Nous risquons de tomber sur un nid de pirates. Souviens-toi de nos ennuis sur Sylwa.
-L'amiral a prévu des renforts.
-Lorsqu'ils arriveront, nous serons depuis longtemps en enfer !
-Pas de défaitisme ! Les renseignements de Neuman étaient très vagues. Il est probable que nous ne trouverons rien et, après une petite balade, nous regagnerons la Terre.
-Puisses-tu dire vrai ! Allonge-toi, nous émergeons bientôt.
Le malaise dissipé, Marc se redressa tandis que Ray annonçait :
-Nous sommes bien dans le système de référence ME 79-08-64-60. Soleil de magnitude F autour duquel gravitent six planètes. Les trois plus proches du soleil, petites, sont de véritables fournaises. Les deux excentriques sont volumineuses et de vrais congélateurs ambulants. Seule la quatrième possède des conditions acceptables.
-Centre les détecteurs sur elle.
-C'est déjà fait ! Les premières données ne vont pas tarder à s'afficher. Volume 0,9 de la Terre.
Rotation sur elle-même en trente heures et autour du soleil en 285 jours.
Sur l'écran de visibilité extérieure apparaissait un globe ocre au relief tourmenté.
-Curieux, murmura Marc, il existé une atmosphère d'azote et d'oxygène mais pas de gaz carbonique et seulement de faibles quantité de vapeur d'eau. Aucun océan et pas de traces d'A.D.N., ce qui élimine toute chance de trouver des êtres vivants.
-Dommage, ricana Ray. J'aurais aimé tester mes nouveaux circuits avec une jolie petite indigène.
-Toujours aussi égrillard ! Je ne pense pas que tu trouveras à assouvir tes bas instincts. Cette planète est réellement déserte.
-Attention ! Nous venons d'être effleurés par une onde radar. Elle semble provenir d'une zone près de l'équateur, là où les détecteurs infrarouges montrent la possibilité d'un foyer d'énergie.
Une sonnerie stridente l'interrompit. La voix grinçante de l'ordinateur annonça :
-Un astronef au 220, il se dirige vers nous.
Sur un écran, se profila la silhouette d'un bâtiment volumineux mais effilé, taillé pour la vitesse.
-Un pirate, soupira Marc. Il ne porte aucune marque sur sa coque. Il était dissimulé par l'ombre de la cinquième planète. Il nous coupe toute retraite. Si nous voulons fuir, nous serons obligés de passer à proximité de la quatrième planète.
-Où je parie que des lance-missiles nous attendent, grogna Ray.
Le témoin de la vidéo-radio clignota. D'un mouvement de l'index, Marc établit le contact. Un visage apparut, rond, avec des traits grossiers, un nez proéminent, d'épais sourcils surmontant des yeux d'un jaune malsain. La peau ardoisée traduisait un mélange de races très variées.
-Nous vous attendions, capitaine Stone. C'est très aimable à vous de nous amener ce vaisseau que cet imbécile de Dodd a été incapable de nous livrer.
Marc s'efforça de rester impassible. D'un ton négligent, il rétorqua :
-Le malheureux n'a pas eu de chance. C'était un naïf, un poète. Il imaginait que vous alliez lui verser des millions de dols.
-Ces savants sont toujours des rêveurs, ricana le pirate.
Psychiquement, Marc ordonna k Ray :
-Nous allons avoir à livrer combat. Prépare quatre missiles selon notre technique divergente.
-Il me là ut un peu de temps. Essaie de le distraire.
L'échange mental n'avait demandé qu'une seconde. Marc reprit d'une voix très mondaine :
-Je ne pense pas que nous ayons été présentés.
Le pirate éclata d'un rire forcé.
-Je croyais avoir une certaine réputation chez les astronautes. Vous ne devez guère consulter les annales galactiques. Je suis le commandant So-Ghun.
Marc pianota la donnée sur le clavier de l'ordinateur qui rendit aussitôt son verdict. La liste des méfaits du pirate paraissait interminable.
-Je vois que vous êtes réputé pour attaquer des proies sans défense et pour fuir dès que se présente un vrai adversaire.
-Cela ne sera pas le cas aujourd'hui, railla So-Ghun dont le visage s'était crispé de colère. Voici mes ordres : Coupez vos propulseurs puis vous gagnerez un canot de survie. Vous vous dirigerez alors vers mon vaisseau. Auparavant, vous aurez inactivé votre androïde. Il paraît que c'est une excellente machine et j'ai toujours rêvé d'en avoir une pareille à mes ordres.
-Et si je refuse ?
-Je vous y contraindrai ! Je connais très exactement la puissance de votre générateur et le nombre de missiles qu'il faut pour saturer votre écran protecteur. Une fois mon prisonnier, vous aurez tout le temps de regretter votre désobéissance.
Les deux astronefs filaient à grande vitesse à la rencontre l'un de l'autre. Les détails de la coque du pirate étaient nettement visibles.
-Maintenant, émit Marc. Feu !
Quatre missiles jaillirent des flancs du Mercure. So-Ghun haussa un sourcil puis un sourire étira ses grosses lèvres.
-Votre réputation est surfaite, capitaine Stone.
J'attendais mieux de votre part. Une seule fusée m'atteindra, les autres divergent. Puisque vous voulez jouer au guerrier, je vais vous montrer ce qu'est un tir correct.
Six torpilles se détachèrent du bâtiment pirate. Bien groupées, elles progressaient à grande vitesse, donnant une impression de puissance malsaine.
-Que fait-on? demanda Ray d'une voix anxieuse.
-Expulse un Cisée et vire de trente degrés.
C'était un leurre perfectionné donnant une image volumique, magnétique et thermique exacte du Mercure. L'ordinateur des têtes chercheuses des missiles se fixait sur lui, tandis que l'aviso changeait de cap.
-Resserre tes sangles, grogna Ray tu seras méchamment secoué.
-Je sais ! N'oublie pas de riposter dès que tu seras revenu en ligne. Deux plus deux selon notre bonne vieille technique.
En dépit des anti-G, Marc eut l'impression qu'une main gigantesque lui arrachait les yeux et lui broyait l'estomac. Un gémissement filtra à travers ses mâchoires serrées et il perdit connaissance.
***
So-Ghun poussa un juron de dépit en voyant ses missiles s'écarter du Mercure qui avait modifié sa trajectoire.
-Ce Stone doit être bâti en ciment armé pour encaisser autant de G ! Voyons s'il saura éviter les suivants.
Il programma avec soin six nouveaux missiles. Un éclair lumineux zébra l'écran de visibilité extérieure. Comme prévu, son champ protecteur avait fait exploser la seule torpille qui s'était dirigée vers l'astronef.
A l'instant où So-Ghun allait couper son bouclier, l'ordinateur annonça :
-Trois missiles à proximité. Impact dans vingt et une secondes.
Effaré, le pirate consulta les écrans cathodiques. Après avoir décrit un arc de cercle, les engins se ruaient maintenant vers son bâtiment. Trop tard pour utiliser un Cisée !
L'attente fut brève. Merveilleusement réglés par Ray, les trois missiles explosèrent simultanément au contact du champ. La dépense d'énergie fut considérable. Les lumières du poste de pilotage s'éteignirent une seconde avant que l'éclairage de secours ne se mît en marche.
De nombreuses lampes rouges clignotèrent. Un élément du générateur était en court-circuit. Instinctivement, So-Ghun réagit, ses réflexes étant rodés par des années de piraterie. Ses gros doigts coururent sur une série de touches, isolant l'élément défectueux pour permettre au générateur de poursuivre son travail. Le calme revint ainsi que la lumière habituelle.
-Impossible, souffla-t-il. Une telle précision est impossible.
Il voulut lancer ses missiles mais l'ordinateur émit de sa voix métallique et indifférente :
-Ne pas interrompre le champ protecteur. Deux nouvelles torpilles arrivent vers nous.
Le pirate hésita un instant. Un rapide calcul lui montra que, même endommagé, son générateur disposait d'une réserve d'énergie largement suffisante pour supporter le choc.
Les missiles percutèrent le bouclier avec toujours la même simultanéité. So-Ghun hurla de rage en constatant la mise hors d'usage d'un autre élément du générateur. Il s'essuya le front soudain couvert de sueur. Cette fois son générateur avait perdu beaucoup de sa puissance. C'était folie de vouloir poursuivre le combat dans ces conditions. Lançant une série de jurons inarticulés, il saisit les commandes manuelles et relança les propulseurs. Malheureusement pour lui, la nécessité de garder l'écran branché fît que l'énergie fournie aux moteurs fut minime, bien insuffisante pour modifier radicalement le cap.
Deux autres missiles apparurent, effilés, avec une ogive rouge. So-Ghun réalisa soudain qu'ils étaient très proches, trop proches, traduisant le peu de portée de son bouclier. Il tendit la main pour stopper les propulseurs et envoyer toute la puissance disponible vers le champ protecteur. Il n'eut pas le temps d'achever son geste.
Diaboliques, les deux projectiles explosèrent à la même fraction de seconde. Le vaisseau fut secoué comme une feuille d'arbre un jour de tempête. Les attaches magnétiques qui maintenaient le pirate sur son siège se rompirent. Il fut projeté en avant et donna de la tête contre la console de l'ordinateur-pilote. Toutes les lumières s'éteignirent, même celles de l'éclairage de secours.
Dans l'obscurité, So-Ghun tenta de se relever. Une violente douleur enserrait son crâne et un liquide chaud et visqueux ruisselait sur son visage. S'aidant des mains, il parvint à se mettre sur ses jambes. Trop tard !
Un appel d'air glacé, une sensation d'étouffement, la vision brutale d'un soleil terriblement froid et So-Ghun sombra dans le néant.
CHAPITRE VIII
Reprenant conscience, Marc sentit la pensée inquiète de Ray s'infiltrer dans ses neurones.
-Tout va bien, le rassura Marc en se redressant. Où en est la situation ?
-Le Cisée a leurré tous les missiles sauf le dernier un peu décalé. Notre écran l'a bien encaissé. J'ai riposté selon tes indications. Ainsi, il n'a pu tirer une nouvelle salve. Il tente de virer mais trop tard pour éviter les deux derniers qui arrivent sur lui.
Un éclair brillant illumina un écran. Le flash dissipé, le bâtiment pirate apparut, toujours intact.
-Vite, Ray, une autre salve avant qu'il ne songe à riposter.
-C'est prévu !
Les doigts de l'androïde frôlèrent plusieurs contacteurs mais ils s'immobilisèrent.
-Cela ne sera pas utile. Regarde le mince filet de vapeur qui s'échappe de la coque. Elle est fissurée.
Cinq secondes plus tard, l'astronef se transforma en un gigantesque nuage irisé qui se dissipa lentement dans l'éther. Marc ne put retenir un soupir de soulagement.
-Une belle fripouille en moins, commenta Ray en guise d'oraison funèbre. Veux-tu appeler la Sécurité Galactique ?
Après un instant de réflexion, Marc marmonna :
-C'est prématuré. Nous avons éliminé un pirate mais rien ne prouve qu'il s'en trouve d'autres sur la planète. Toutefois, par prudence, enclenche les défenses automatiques, ce qui nous rendra, temporairement du moins, indétectables. Plonge directement vers la quatrième planète que nous devons explorer.
-Resterons-nous en orbite ?
-Il n'en est pas question. Un observateur attentif ne tarderait pas à repérer le Mercure. Il faut nous poser. Trouve un endroit où nous pourrons nous dissimuler.
-Ce n'est pas évident.
L'astronef se rapprochait de la planète dont l'image occupait, maintenant, tout l'écran de visibilité extérieure. Un globe ocre avec par endroits des zones plus foncées. Un relief tourmenté, de larges vallées bordées de collines puis de montagnes dont certains pics culminaient à cinq ou six mille mètres. Ray tendit l'index vers l'écran.
-Là ! Au pied de cette falaise rouge. Les monticules qui l'entourent nous protégeront des ondes radar.
-Parfait mais fais vite. Les défenses automatiques ne peuvent nous soustraire longtemps à une observation sérieuse.
-Resserre ta ceinture ! Tu seras secoué.
Marc eut brusquement la sensation que son estomac se coinçait entre ses amygdales. Le Mercure plongeait directement vers la planète en décélération maximale, sans prendre le temps de se freiner sur les hautes couches de l'atmosphère, ce qui aurait obligé à effectuer plusieurs révolutions autour du globe.
***
Nuk-So était un colosse de deux mètres de haut, pesant cent vingt kilos. A chaque inspiration, sa combinaison d'astronaute se tendait comme si elle était trop petite pour contenir une telle masse de muscles. Il avait un visage buriné, ridé et la peau d'une curieuse couleur olivâtre, témoin du mélange d'un grand nombre de gènes. Ses yeux noirs fusillaient l'opérateur qui scrutait un grand écran cathodique.
-Alors, Vi-To ?
-Un appareil vient de disparaître de l'image.
Nuk-So lança une bordée de jurons.
-L'imbécile! J'avais dit que je voulais l'astronef intact.
-Commandant, je... je ne sais pas, balbutia le malheureux technicien qui transpirait d'abondance.
-Tu ne sais pas quoi ? grogna le pirate.
-Qui est le survivant! Avec cet appareillage rudimentaire il est impossible d'identifier les bâtiments.
Nuk-So étouffa un ricanement.
-Imagines-tu que So-Ghun se serait laissé avoir par un amateur du S.S.P.P. ?
-Certainement pas, s'empressa d'acquiescer l'opérateur... mais d'après les positions... il se pourrait... Pourquoi n'appelle-t-il pas pour annoncer sa victoire ?
-J'exige un silence radio absolu!
Vi-To poussa une exclamation qui fit relever la tête au pirate.
-Qu'arrive-t-il encore ?
-Le deuxième astronef... il a disparu.
Le technicien manipula fébrilement plusieurs manettes.
-J'ai perdu tout contact...
Un mouvement d'impatience échappa à Nuk-So.
-C'est impossible, tes appareils sont déréglés!
-Non, commandant. Ils fonctionnent parfaitement. Je viens de le vérifier. Il faut se rendre à l'évidence. Les deux vaisseaux sont perdus !
Les mâchoires crispées, Nuk-So marmonna : -Continue ta surveillance! Un canot de survie a pu s'éjecter sans que tu le repères.
-C'est peu vraisemblable mais non impossible. Je vous avais signalé que le matériel n'était pas assez performant.
-Pour quelques mois encore, il faudra t'en contenter jusqu'à ce que notre usine de propulseurs soit fonctionnelle. Ensuite, nous disposerons de toutes les ressources imaginables. Nos amis paieront des fortunes pour disposer de moteurs plus puissants que ceux de la Sécurité Galactique.
Après un instant de réflexion Nuk-So ajouta :
-Surveille également les alentours de la base. Je n'aimerais pas avoir une mauvaise surprise.
-Aucun danger ! Cette planète est déserte !
-Je te paie pour exécuter mes ordres pas pour les discuter. Regarde tes damnés engins et boucle-la !
***
Le Mercure était posé sur un sol sablonneux, ocre-jaune, à quelques mètres d'une haute falaise de roche rouge. Le module, cylindre dont la moitié supérieure était en plastex transparent, sortit lentement de la soute.
Ray se tenait aux commandes, Marc assis à son côté. A petite vitesse le module s'éloigna de l'astronef.
-Défenses automatiques ? demanda Marc.
-Elles s'enclencheront dans dix secondes. Par où commençons-nous notre exploration ?
-Par la zone où tu as localisé l'onde radar.
-Vu ! C'est à environ mille kilomètres à l'ouest.
-Reste au ras du sol, en suivant les vallées, pour le cas où des radars indiscrets seraient pointés vers le ciel.
-C'est dangereux !
-Pas de modestie, tu es un spécialiste du surf au-dessus des obstacles. Tu t'en tires toujours très bien.
-A force de tenter le diable, on se retrouve en enfer, grogna l'androïde.
-Nous ne sommes pas pressés. Inutile d'aller trop vite, cela me permettra d'admirer le paysage.
Le module descendit la vallée qui s'étendait sur plusieurs centaines de kilomètres vers l'ouest. Un paysage monotone, du sable jaune parsemé de blocs de rochers rouges. Par endroits, s'élevaient de curieux monticules verdâtres, donnant l'impression de cyprès. Il y en avait de toute taille, les plus grands mesurent vingt mètres de haut.
-Nous sommes obligés d'abandonner cette vallée qui se dirige vers le sud. Il nous faut franchir cette chaîne de montagne.
Marc désigna une série de sommets semblables à la mâchoire d'un fauve.
-Passe entre deux pics et replonge dans l'autre vallée.
A petite vitesse, le module prit de l'altitude. Les montagnes étaient d'un bel ocre rouge avec des points sombres presque noirs.
-Ce pourraient être des entrées de cavernes, nota Marc.
-Possible, concéda Ray, mais il est difficile de nous en assurer. Il faudrait nous approcher avec le risque que le module heurte la montagne. Dans cette atmosphère, il existe le long des parois d’importants courants ascendants qui compliquent le pilotage.
L'engin passa entre deux sommets et redescendit lentement dans une vallée identique à la précédente.
-Excellent, dit l'androïde. Elle est orientée plein ouest. Elle nous mènera à la zone qui nous intéresse.
Moins d'une heure plus tard, Ray désigna une montagne à l'allure d'un ancien volcan.
-D'après mes enregistrements, l'onde radar semblait provenir de là. Veux-tu que nous explorions les flancs de ce gros monticule ?
-Ce n'est guère prudent en plein jour. Trouve d'abord un endroit pour dissimuler le module. Cette haute colline, à moins de deux kilomètres devrait pouvoir convenir.
L'androïde infléchit la course du véhicule qui progressait à vitesse très réduite à quelques mètres du sol, serpentant entre les pyramides vertes. Une zone sombre, au pied de la colline attira l'attention de Marc.
-Il semble exister une caverne.
De fait, une excavation haute de trois mètres paraissait s'enfoncer profondément sous la colline. Ray y engagea le module qui fut ainsi masqué. Marc esquissa un geste vers le système d'ouverture.
-Attends que les analyses soient achevées. Qui sait si le hasard ne nous a pas amenés dans une zone toxique.
Deux minutes plus tard, les instruments de mesures confirmèrent la qualité de l'atmosphère. Marc sauta à terre, respirant à pleins poumons un air chaud, très sec mais sans aucun parfum.
-Allume les projecteurs du module.
La grotte allait sur au moins cent mètres en se rétrécissant.
-Si nous avons le temps nous l'explorerons. Pour l'instant concentre tes détecteurs sur l'ancien volcan. S'il existe des pirates dans le secteur, ils se manifesteront bien à un moment où un autre.
Le soleil au zénith chauffait la plaine. Par instants, une faible risée soulevait une poussière très fine. Le plus impressionnant était le silence, complet, total.
-Un lieu idéal pour une cure de repos, murmura Marc.
-Sur une planète inconnue, il ne faut jamais se fier aux apparences, grogna Ray. Tant que nous ne serons pas familiarisés avec ces lieux, active ta ceinture protectrice.
C'était une merveille de la technologie terrienne réservée aux agents du Service Action. Elle induisait autour du corps un champ protecteur. Pour le percer, il fallait une énergie supérieure à celle du petit générateur atomique dissimulé dans la boucle. C'est dire que la ceinture mettait à l'abri des projectiles classiques et même des jets laser.
Comme Marc faisait mine de protester, l'androïde ajouta :
-Inutile de discuter, c'est dans le règlement de tout agent en mission.
Avec une grimace fataliste, Marc s'assit sur un rocher à l'entrée de la caverne, prenant soin de rester à l'ombre. Plusieurs heures s'écoulèrent, horriblement monotones. Il se laissa aller à une douce somnolence.
CHAPITRE IX
-Marc, quelque chose bouge !
Stone se redressa en sursaut.
-Là-bas ! A une dizaine de pas de cette grande pyramide verte.
Effectivement, le sable ondulait, se soulevait. Une sphère émergea, d'environ un mètre de diamètre, de couleur rouge avec deux gros points noirs. Trois minutes passèrent dans une immobilité totale. Puis le mouvement reprit. La sphère s'éleva, posée sur un cylindre long de quatre mètres. Lentement, le corps s'allongea sur le sol et progressa, animé par un mouvement de reptation sinusoïdale.
-Cela ressemble à une énorme chenille, souffla Marc.
La... chose approchait de la pyramide verte. Sous les deux billes noires qui évoquaient des yeux, un orifice apparut, circulaire avec de nombreuses aspérités. Cette curieuse bouche se colla sur la pyramide verte.
Par instants, la sphère reculait, laissant voir les vides creusés dans la substance verte.
-On dirait que cette créature déjeune. Que disent tes analyseurs, Ray ?
-Etrange... très étrange. Cette chose est constituée d'hydrogène, d'azote, peu d'oxygène, aucun atome de carbone qui semblent remplacés par du silicium.
-Des créatures minérales vivantes ! s'exclama Marc. Enregistre la scène. Les exobiologistes exigeront toutes les données possibles.
-Nous pourrions en amener un spécimen sur Terre.
-Non, merci ! Je n'ai aucune envie de voyager avec ce genre de chenille et je ne crois pas que le distributeur alimentaire du Mercure pourra la nourrir correctement.
-Elle semble douée d'un robuste appétit, ironisa Ray. Elle a déjà avalé un quart de cette curieuse roche.
Le festin se poursuivit encore un moment.
-Voilà qui risque de perturber son repas, dit l'androïde. Regarde ce qui sort de cette caverne.
A moins de cent mètres de l'endroit où étaient dissimulés les Terriens, une créature émergea de l'ombre. Un corps rond et aplati de deux mètres de diamètre d'où partaient huit pattes longues, articulées, terminées par de petites griffes. L'ensemble était constitué d'une matière translucide, à peine rosée. La créature avança lentement, d'une démarche légère, gracieuse, silencieuse.
-Une araignée de verre, murmura Marc.
-Espérons qu'elle ne sera pas aussi agressive que celle que nous avons rencontrée sur la planète Elsa, soupira Ray. J'en ai gardé un très mauvais souvenir.
-Nous n'allons pas tarder à être fixés. Elle approche de la chenille.
Cette dernière tourna la tête vers l'arrivante puis reprit paisiblement son repas. Une fois près de la pyramide verte, l'araignée s'immobilisa un instant avant de se coller contre la roche. De fines mandibules, à peine distinctes dans les rayons du soleil, entrèrent en action, prélevant des fragments du minéral qui disparaissaient dans ce qui devait servir de tube digestif mais qui n'était pas visible.
-Il semble régner une bonne entente, nota Ray.
-Voyons si cela dure.
De part et d'autre de la pyramide, le sable fut soudain agité. Ce qui paraissait être deux rochers émergèrent à leur tour. Ils étaient plats, de couleur jaune strictement semblable à celle du sable. Au-dessous, on distinguait six pattes, courtes, larges et garnies de deux griffes. Une tête triangulaire terminée par une sorte de bec complétait la ressemblance avec une tortue géante.
-Pour une planète déserte, l'endroit semble bien mal fréquenté, ironisa Marc.
A moins de deux cents mètres des Terriens, la situation évolua brusquement. Comme avertie d'un danger, la chenille interrompit son repas, remua la tête puis, d'un mouvement rapide regagna son trou où elle disparut, prenant soin de le reboucher par des mouvements de sa queue.
La position de l'araignée devenait difficile. Elle avait aussi tenté de fuir mais une des tortues, beaucoup plus véloce que son aspect massif le laissait croire, lui barra le chemin tandis que l'autre attaquait par l'arrière. Par instants, leur bouche crachait un jet d'un liquide qui devait être fort caustique car il laissait sur le sable une trace noire d'où s'élevait une fumée rousse.
Avec agilité, l'araignée esquivait, feintait d'un côté pour courir de l'autre mais à chaque fois, les tortues bloquaient la tentative. Il était évident que l'issue du combat ne tarderait pas.
Soudain, une onde psychique effleura les neurones de Marc. Quelques secondes furent nécessaires pour s'accorder sur cette pensée étrangère, comme le lui avait appris son amie l'entité végétale. Il perçut alors avec netteté :
-Peur... Aide... Secours...
Poussé par une vive curiosité, Marc n'hésita guère.
-Ray, utilise ton laser digital. Vise la tête des tortues.
-Je ne sais si cela sera très efficace et ça risque d'attirer l'attention sur nous. Qu'as-tu besoin de te mêler d'une querelle locale? bougonna l'androïde.
Toutefois, il obéit avec promptitude et précision. Un faisceau rouge atteignit le monstre le plus proche de l'araignée. Un instant de très désagréable incertitude. Le rayonnement sembla d'abord sans effet sur la créature puis, soudain, elle s'immobilisa, ses pattes s'affaissèrent et elle resta immobile.
La seconde tortue subit un sort analogue moins de cinq secondes plus tard. L'araignée hésita, comme si elle craignait un piège de ses adversaires puis esquissa un mouvement latéral. L'immobilité des tortues la rassura. Elle avança en direction des Terriens tout en émettant :
-Qui êtes-vous ? Comment avez-vous pu intervenir ?
La pensée était plus nette, plus structurée. De sa démarche légère, l'araignée approchait de la caverne dissimulant le module.
-Vérifie le niveau de ton écran, grogna Ray. Qui sait si pour te remercier, elle ne te mettra pas à son menu ?
-Espérons que non ! Filme la scène. Le Service pourra toujours la revendre aux télévisions.
Il était connu que pour arrondir son budget, le S.S.P.P. vendait à des producteurs certaines scènes enregistrées sur les planètes primitives, séquences qu'ils inséraient dans des films d'aventure ou d'horreur.
L'araignée s'immobilisa à une dizaine de mètres de la caverne.
-Ne voulez-vous pas sortir ?
-Pour l'instant nous prêterons rester dans l'ombre.
-C'est curieux, vous ressemblez aux étrangers qui se sont installés l'année dernière dans l'ancien volcan mais nous n'avons jamais pu entrer en contact avec eux.
-Très rares sont les humains télépathes. Je suis une exception.
-Ton esprit semble ouvert et sincère alors que dans celui des autres, nous n'avons senti que cruauté et malhonnêteté.
-Ce sont des hors-la-loi.
-Pendant plusieurs semaines, ils ont creusé à la base de l'ancien volcan puis s'y sont terrés. Parfois un curieux engin volant vient déposer des machines. Maintenant, ils pénètrent par le cratère. Comme les créatures ne sortent plus et restent cantonnées dans cette partie de la montagne, nous avons évité de nous montrer.
-Ce fut très heureux pour vous, sinon ils vous auraient détruits. Ils possèdent des armes terrifiantes.
L'araignée agita ses pattes, hésitant à avancer.
-Je suis encore très jeune, j'aimerais que vous rencontriez mes congénères.
Devant l'hésitation de Marc, elle ajouta :
-Si vous craignez les rayons du soleil, nous pouvons les rejoindre en utilisant les galeries.
Marc émit un petit rire.
-Ce n’est pas la lumière qui me gêne mais les regards indiscrets. Je ne souhaite pas être vu des occupants abusifs du volcan.
-Venez, je vous guide.
L'araignée avança vers Marc qui dut faire un rude effort pour rester impassible. Au niveau de ce qu'il supposait être la tête, au-dessus des mandibules, se trouvaient deux gros points noirs. Une lueur y brilla un bref instant.
-Ne craignez rien. Nous n'avons pas de crochets venimeux et nous ne nous nourrissons pas de proies vivantes.
La créature avait perçu les pensées que Marc n'avait pu dissimuler. Elle sembla s'en amuser. Le Terrien prit le parti d'en rire.
-Excusez-moi, sur ma planète, il existe des petites créatures qui ont votre morphologie mais qui ne sont pas très amicales.
-Je vous comprends d'autant mieux que j'ai, un instant, éprouvé la même sensation. Les quelques spécimens de votre race ne nous ont pas paru agréables à fréquenter.
Elle avait maintenant atteint le seuil de la caverne. Elle examina un court moment le module qui obstruait le passage, ne laissant qu'un mince couloir sur le côté.
-Voulez-vous que nous le déplacions ? demanda Marc.
-Inutile !
L'araignée approcha de la paroi latérale et grimpa sur la roche. Ses mouvements étaient précis et élégants. Elle dépassa le module puis reprit une position horizontale.
-Suivez-moi de près car il n'y a pas de lumière. Je me guide uniquement par l'odorat.
-Ne vous inquiétez pas pour ce détail. Ray fit jaillir de la base de son cou un faisceau lumineux qui intrigua la créature. L'absence de danger la rassura et elle reprit sa progression.
CHAPITRE X
Vi-To étouffa un bâillement et se frotta les yeux rougis par la contemplation des écrans radar. Cela faisait vingt heures qu'il n'avait pas bougé de la pièce, attendant stoïquement que Nuk-So l'autorise à se reposer.
Ce dernier arriva, massif, pesant, la mine renfrognée.
-Quoi de neuf ?
-Rien, commandant. Aucun des deux vaisseaux ne s'est manifesté. Il faut admettre qu'ils ont explosé dans l'espace.
Le pirate serra ses énormes poings. Un soupir aussi discret qu'un typhon en mer de chine, fusa de son imposante cage thoracique.
-So-Ghun était un vieux camarade. Nous avions navigué sur le même vaisseau pendant deux ans avant que je ne m'établisse à mon compte. Il m'avait beaucoup appris.
Brisant l'évocation de son noir passé, il jura :
-J'aurais souhaité découper personnellement en morceaux ce Stone. Mourir dans l'espace est un sort trop doux pour lui. Rien d'autre ?
-Non, commandant... enfin, je ne pense pas...
Nuk-So fronça ses épais sourcils.
-Que veux-tu dire ?
Le malheureux opérateur sentit son front se couvrir de sueur quand il balbutia :
-Sur l'écran de proximité... il m'a semblé obtenir un contact juste au-dessus de ces collines. Cela a été très bref. Il a cessé aussitôt et je n'ai pu avoir aucune confirmation.
-Un astronef ?
-Certainement pas ! Tout au plus un canot de survie mais je penche plutôt pour un artefact sinon il se serait dirigé vers la base et j'aurais eu une image nette.
Le pirate resta un moment silencieux avant se s'exclamer :
-Un vol en rase motte... Pour franchir la montagne, il lui a fallu prendre de l'altitude puis il est redescendu au ras du sol. Dès l'aube, j'enverrai une patrouille ratisser la région.
Avec un sourire féroce, il ajouta :
-Si jamais ce maudit Stone a mis les pieds sur cette planète, il regrettera amèrement d'être venu !
Hésitant, Vi-To murmura :
-Commandant, je souhaite dormir quelques heures.
La voix sèche de Nuk-So l'interrompit.
-C'est hors de question ! Tu surveilles les abords de la base. A la moindre anomalie, même si tu crois à une erreur, tu m'appelles sinon je t'expédie aux enfers.
La caverne était vaste avec des gradins réalisant un grand amphithéâtre. De petites sources lumineuses collées aux parois distribuaient une maigre lueur. Plus d'une vingtaine d'araignées se pressaient sur les gradins.
-Une belle séquence d'horreur pour les télévisions, murmura Ray.
Une des créatures avança vers Marc. Elle était d'un volume impressionnant avec des pattes longues, translucides. Ses yeux noirs brillaient étrangement. Ses impulsions psychiques étaient claires et puissantes.
-Bonjours, ami. Je suis Ko-Tak, le plus ancien de la communauté des Arliks. Je te remercie d'avoir sauvé Ko-An des Tyrkas.
L'image d'une tortue s'imprima dans l'esprit de Marc.
-La gourmandise fait commettre des erreurs à ta jeunesse.
Sentant une question poindre chez le Terrien, il précisa :
-Ces pyramides vertes fournissent l'essentiel de notre alimentation. Il en est de même pour les Nilcos, ces gigantesques chenilles qui se déplacent sous terre. Ce sont des créatures simples, avenantes avec lesquelles nous nous entendons fort bien. Ce n'est pas le cas pour les Tyrkas. Ils sont agressifs et dangereux. Ils ne songent qu’à nous détruire.
-Pour manger ?
-Même pas ! Ils se nourrissent également aux pyramides vertes qui abondent. Ils tuent pour le simple plaisir de la chasse. Nous n'avons jamais pu conclure ni paix ni trêve.
-Comment pouvez-vous les éviter ?
-Il nous faut attendre la tombée du jour. En effet, les rayons solaires sont indispensables à leur métabolisme. Dès qu'ils disparaissent, ils sont paralysés. C'est pourquoi ils ne peuvent pénétrer dans nos cavernes. Ainsi, dès le coucher du soleil, nous pouvons circuler dans la vallée et nous nourrir.
-Pourquoi ne pas en profiter pour vous débarrasser de vos adversaires ? s'étonna Marc.
Il perçut dans l'esprit de son interlocuteur une nette réprobation.
-Nous ne désirons éliminer aucune créature vivante. Même si l'idée nous en était venue, les Tyrkas, à l'approche de la nuit, s'enfoncent dans le sable, ce qui les rend invisibles. Depuis des siècles, nous conservons un équilibre immuable. A eux le jour, à nous la nuit. Chacun trouve son compte.
-Vous êtes des êtres raisonnables, soupira Marc. Ma race n'aurait pas votre sagesse. Que sont ces pyramides vertes ?
-Elles sont source de toute vie. Elles possèdent des racines qui plongent profondément dans le sol où circulent des ruisseaux souterrains. Par capillarité, elles remontent l'eau. Sous l'action des rayons solaires, elles fixent également l'azote de l'air pour former cette substance verte en l'incorporant au silicium du sable.
-Je constate que vous avez de bonnes connaissances en chimie.
-L'étude est une grande distraction pour nous mais nous préférons la littérature et la philosophie aux créations matérielles. La nature assurant notre nourriture, nous n'avons nul besoin de fabriquer des objets qui ne nous seraient guère utiles. J'avoue cependant que votre venue et surtout celle de vos congénères pose un grave problème. Qui êtes-vous et d'où venez-vous ?
Marc, après un instant de réflexion, répondit :
-Mon ami va vous donner un aperçu de notre monde.
Depuis longtemps, les divers services terriens avaient mis au point une présentation brève et imagée de l'Union Terrienne, sans trahir aucun secret stratégique.
Pendant une demi-heure, les araignées perçurent le message psychique de Ray.
-Ton monde est merveilleux mais terrifiant. Pourquoi les humains ne sont-ils pas tous comme toi ?
-Beaucoup le sont. Seuls quelques uns dévient du bon chemin. C'est le rôle de notre police de les éliminer. N'y a-t-il rien de comparable chez vous ?
-Nous vivons en harmonie et nous n'avons donc aucune raison de nous jalouser.
-Un rêve, soupira Marc.
-Ami, la nuit tombe et vient l'heure de notre repas. Malheureusement, il ne peut convenir à ton organisme et je ne vois pas ce que nous pourrions t'offrir.
-Je n'ai besoin de rien pour l'instant, si ce n'est d'un peu d'eau.
-Il existe une fontaine au fond de la grotte. Que souhaites-tu d'autre pour mener à bien ta mission ?
-Des renseignements sur la disposition de leur base me seraient utiles mais je doute que vous puissiez y accéder.
-Nos amis les Nilcos connaissent bien ce volcan. Ils sont beaucoup moins sensibles que nous à la chaleur. Je les questionnerai. Prends patience en nous attendant.
Les araignées, de leur démarche aérienne, gagnèrent la sortie. Marc murmura à Ray :
-Ces créatures sont charmantes mais il est difficile de s'habituer à leur aspect. Voyons où se trouve le bar.
Après avoir escaladé les gradins, les Terriens découvrirent un filet d'eau qui sourdait de la roche pour s'accumuler dans une petite vasque de pierre. Le trop plein se déversait dans une cavité et était réabsorbé par la montagne.
-Il n'y a pas de quoi installer une salle de bain, ricana Ray en effectuant un prélèvement du liquide.
Le verdict ne tarda pas à tomber accompagné d'une éloquente grimace.
-Pas fameux ! Trop de sels minéraux, surtout des silicates de calcium. De plus, elle n'est guère fraîche. En dehors de cela, elle ne semble pas contenir d'agents pathogènes.
Marc trempa les mains dans la vasque et absorba quelques gorgées d'eau.
-Ce n'est pas un régal mais c'est mieux que de périr de soif.
L'androïde hocha la tête en lui tendant une tablette nutritive.
-Suce-la. C'est tout ce que tu auras comme dîner. Je doute que leurs tortues soient comestibles !
Il était plus de minuit quand les araignées réintégrèrent leur repère, s'installant sur les gradins. Elles échangeaient des impressions qui concernaient Marc car, à plusieurs reprises, il perçut son image dans les bribes de pensée qu'il parvenait à saisir.
Ko-Tak se manifesta alors.
-Je me suis entendu avec les Nilcos. Ils vont pratiquer des explorations du volcan. Eux non plus n'apprécient pas la venue de ces étrangers. L'arrivée et le départ des astronefs engendrent des vibrations qui se propagent loin sous terre et menacent de faire ébouler leurs nombreuses galeries. Ils ne demandent qu'à t'aider à les chasser. Nous devons nous revoir lors du repas avant le lever du soleil. Ils te donneront les premiers renseignements.
-Qu'ils prennent garde ! Nos ennemis disposent d'armes encore plus terribles que vous ne pouvez l'imaginer. Ils sont sans pitié et n'hésiteront pas à s'en servir.
-Repose-toi, ami. Nous en saurons plus bientôt.
Marc s'allongea sur un sable qui lui parut bien inconfortable. A l'instant de perdre conscience, une pensée l'atteignit, douce, presque tendre.
-Je ne t'ai pas remercié pour m'avoir arrachée aux Tyrkas. J'ai été imprudente mais la présence du Nilcos me rassurait. D'ordinaire, ils sentent de loin nos ennemis.
-Comment obtenez-vous cette luminescence des parois ?
-Nous mélangeons diverses roches. La réaction produite donne cette phosphorescence. Maintenant, je te souhaite un bon repos.
-Merci, Ko-An. Je suis heureux d'avoir pu t'aider.
CHAPITRE XI
Nuk-So regarda les trois cosmatelots qui lui faisaient face.
-Votre mission est d'explorer les collines d'ici jusqu'à la montagne.
-Nous n'avons pas de trans, protesta un jeune homme brun à la figure ronde.
Le chef pirate le fusilla du regard.
-Il ne vous serait d'aucune utilité car vous devrez visiter une à une toutes les cavernes. Un peu d'exercice vous fera le plus grand bien. Souvenez-vous que vous n'êtes pas payés uniquement pour boire et vous goberger mais pour effectuer parfois un travail. Jusqu'à présent, votre rôle d'agent de la sécurité n'a guère été fatigant. L'occasion se présente enfin de mériter votre fric.
Le cosmatelot eut l'intelligence de ne plus contrarier son supérieur.
-Que devons-nous chercher ?
-Un canot de survie. Je suis certain qu'il a franchi la montagne hier. Comme il n'est pas visible, il n'a pu que se dissimuler dans une grotte.
Je veux que vous le retrouviez et que vous me rameniez le pilote vivant. J'insiste sur ce point. Si c'est comme je le pense le capitaine Stone, il aura beaucoup à expier avant de crever.
Un autre cosmatelot intervint. Il était grand, blond, l'air placide mais ne pouvait dissimuler une gêne certaine.
-Nous ne nous sommes jamais risqués en dehors de la base. N'existe-t-il pas des dangers cachés ?