LA FLEUR POURPRE (SSPP 04) (corrigé 12/02/2010)

JEAN-PIERRE GAREN

CHAPITRE PREMIER

Marc Stone sauta du trottoir roulant juste devant l'immense building d'acier et de plastique qui abritait le Service de Surveillance des Planètes Primitives.

Marc était âgé d'une trentaine d'années, assez grand, solidement musclé, avec un visage aux traits creusés, surmonté d'une chevelure brune.

Il glissa sa carte d'identité magnétique dans la fente d'un des robots de surveillance qui émit aussitôt :

-Vous pouvez passer.

Marc traversa le vaste hall pour gagner les ascenseurs. La plate-forme antigravité le propulsa à vive allure jusqu'au dernier étage où se trouvait le bureau du général Khov qui dirigeait le S.S.P.P. d'une main de fer.

Une blonde et très accorte secrétaire que Marc ne connaissait pas, trônait derrière une table encombrée de papiers.

-Ma toute belle, dit-il avec un large sourire, je suis le capitaine Stone et je désire voir le général. Ensuite je ne serais pas hostile à l'idée de vous offrir un verre après votre service.

La fille, après avoir dévisagé un instant son interlocuteur, répondit d'une voix polaire :

-J'ai horreur de ce genre de familiarité ! De plus, le général ne veut recevoir personne. Donc prenez immédiatement la porte et allez débiter vos insanités à une gourde de serveuse qui sera peut-être impressionnée par vos airs de don Juan de pacotille.

Marc prit un air désespéré.

-Vous me brisez le coeur, chérie, mais soyons sérieux. Le général Khov m'a personnellement appelé il y a deux heures pour m'ordonner de venir ici. Vous savez comme moi qu'il n'aime guère ne pas être obéi. Aussi vous devriez vous servir de votre jolie tête et m'annoncer rapidement !

-Je répète que le général a annulé tous ses rendez-vous et vous n'êtes même pas inscrit sur la liste. Maintenant, puisque vous ne semblez pas comprendre, je vais vous faire expulser.

D'un geste vif, elle appuya sur un bouton déclenchant une sonnerie aigrelette. Moins de dix secondes plus tard, un garde bien sanglé dans son uniforme, se présenta. Il mesurait près de deux mètres et devait peser son quintal.

-Sergent Mac Pherson, cet individu m'importune. Veuillez le reconduire dans le hall où les robots de surveillance n'auraient jamais dû le laisser entrer.

Le sergent jaugea d'un rapide coup d'oeil son adversaire puis dit :

-Désolé, capitaine ! Je vous demande de me suivre sans plus insister, sinon je devrai faire usage de la force.

Marc étouffa un juron.

-Ecoutez-moi enfin! J'étais en compagnie des plus agréables quand un appel de Khov m'a enjoint de tout plaquer pour venir ici.

Le garde secoua sa grosse tête.

-Cela ne me regarde pas ! Venez-vous ?

Marc haussa les épaules.

-Entendu ! Je n'insiste pas mais je veux qu'il soit consigné par écrit que je me suis bien présenté ici !

-Miss Stempton s'en chargera, acquiesça le sergent.

-Comme elle est très capable de l'oublier, je préfère que vous soyez obligé de rédiger un rapport. Or pour cela le seul moyen est de déclencher une bagarre. Moi aussi je connais les règlements !

Le sergent un peu inquiet se dandina doucement tandis que Marc poursuivit :

-Vous devez peser une vingtaine de kilos de plus que moi mais je pense être assez rapide. Commençons-nous ?

Mac Pherson hésita. Ancien dans la maison, il savait, pour avoir vu à l'entraînement les membres du Service Action, qu'ils étaient rompus à toutes les techniques de combat à mains nues et à l'arme blanche.

La secrétaire intervint d'un ton impatient :

-Dépêchez-vous, sergent, je pense que nous avons beaucoup trop perdu de temps.

Réprimant un soupir, le garde avança d'un pas. Avec vivacité, il lança son gauche en avant, visant le menton de Marc. Si le direct avait atteint son objectif, nul doute qu'il aurait mis aussitôt fin au combat. Toutefois, il ne rencontra que le vide ! Stone avait esquivé d'un bond de côté et il riposta d'une manchette sur la nuque qui précipita le sergent à terre.

La voix du général, jaillissant de l'interphone, immobilisa les combattants.

-Le capitaine Stone n'est-il pas encore arrivé ?

-Il s'est présenté mais comme il n'avait pas rendez-vous, je l'ai fait renvoyer, affirma la secrétaire.

Le qualificatif dont la gratifia Khov ne peut être répété ici.

Mac Pherson qui s'était à demi relevé plongea dans les jambes de Marc. Heureusement le capitaine le surveillait du coin de l'oeil. D'un saut, Marc évita la charge du colosse qui, une fois de plus, se retrouva sur la moquette et reçut sur les reins les deux talons de son adversaire, ce qui lui arracha un grognement de douleur.

Marc s'écria avant que le général ne coupe la communication :

-Je suis encore là, mon général, et si votre personnel veut bien cesser ses facéties, nous pourrions parler.

Aussitôt, la porte du bureau s'ouvrit à la volée livrant passage à Khov. C'était un gaillard de près de deux mètres avec un corps massif, une tête ronde, un crâne complètement lisse et des yeux bridés, souvenir de ses lointains ancêtres mongols.

D'un regard glacé, il contempla la scène tandis que la secrétaire expliquait précipitamment :

-J'ai informé le capitaine Stone que vous aviez annulé tous vos rendez-vous. Il s'est alors montré très grossier et j'ai cru de mon devoir d'appeler le sergent Mac Pherson pour qu'il le reconduise. C'est alors que cet individu l'a frappé !

Sans laisser à Marc la possibilité de rétablir la vérité, le général dit d'une voix glaciale :

-Vous pouvez disposer, sergent.

Mac Pherson se releva péniblement tandis que le général poursuivait :

-Vous êtes sans doute trop occupée, miss Stempton, pour lire jusqu'au bout mes consignes. Nous remédierons à cela ! Stone, venez avec moi.

Marc suivit le général dans le bureau et s'installa dans le fauteuil qu'il lui désigna. Khov s'assit derrière sa table de travail, puisa dans un coffret un énorme cigare qu'il décapita d'un coup de dents rageur.

Marc sentit l'inquiétude le gagner. Comme tous les membres du Service, il savait que le général ne fumait pratiquement jamais sauf lorsqu'il était d'humeur exécrable !

Khov attaqua aussitôt :

-J'ai besoin d'un volontaire pour une mission difficile et il faut que vous soyez ce volontaire !

Avant que Marc ait pu ouvrir la bouche, il ajouta d'un ton rogue :

-Je sais que vous avez encore trois semaines de permission mais je les supprime ! Je n'ignore également pas que j'interromps fâcheusement votre idylle avec la charmante présidente de la planète Marala, en visite officielle sur notre planète. Mais même si cela risque d'entraîner un incident diplomatique, j'ai besoin de vous !

Stone haussa philosophiquement les épaules.

-Je suis à vos ordres, mon général.

Khov se détendit légèrement :

-Voilà, je vais vous expliquer...

Pour la première fois de sa carrière, Marc devina que le général était mal à l'aise. D'un geste nerveux,

Khov écrasa son cigare dont il n'avait tiré que quelques bouffées.

-Depuis un an, le S.S.P.P. est l'objet de très vives critiques dans les sphères gouvernementales et jusque dans l'entourage du Président. Nous coûtons très cher et ne rapportons rien! Pire, nous empêchons l'exploitation commerciale d'un certain nombre de planètes fort riches en minerais divers. Le sénateur Cartney de la commission des finances a pris la tête du lobby anti-S.S.P.P. et épluche notre budget avec une minutie exaspérante. J'espérais que la situation s'améliorerait car le sénateur a un unique neveu, Paul Norton, lieutenant astronaute qui, malgré l'avis de son oncle, est entré dans notre Service. Je dois reconnaître que le jeune homme a brillamment réussi son concours et est sorti dans les premiers de sa promotion, après s'être spécialisé dans les civilisations les plus primitives. Le hasard a voulu que la première mission à effectuer fût la surveillance de la planète Korz.

Devant le haussement des sourcils de Marc, traduisant une ignorance manifeste, Khov précisa :

-Cette planète tourne autour d'un soleil de référence galactique BZ 06 64 60, à 70 années-lumière de la Terre. Korz, découverte il y a seulement un demi-siècle, est peuplée d'humanoïdes très primitifs, genre néolithique terrien. Naturellement Norton s'est porté volontaire pour cette mission qui relevait exactement de sa spécialité. J'ai d'abord refusé car je sais que ces planètes primitives sont les plus dangereuses. De plus, ce n'était que la deuxième mission qui y était effectuée et j'aurais préféré pour ce débutant un endroit mieux connu.

Marc intervint avec un demi-sourire :

-En mission nous avons une ceinture protectrice.

Cet engin était une merveille de la technologie terrienne et induisait autour du corps de celui qui le portait un champ protecteur mettant à l'abri des projectiles classiques et même nucléaires. Il fallait une énergie supérieure à celle du générateur dissimulé dans la boucle pour pouvoir la percer.

Khov émit un ricanement triste.

-Croyez-vous que j'ignore que pour ne pas attirer l'attention des indigènes, vous réduisez le plus possible l'intensité du champ protecteur? Compte tenu de son élasticité, vous percevez nettement les chocs. Vous-même, si je dois en croire les comptes rendus de l'ordinateur sanitaire, vous avez failli avoir le crâne fracassé par un coup de hache, et une autre fois, vous avez été gravement brûlé par un fer rouge. Enfin je ne parlerai pas des divers hématomes, contusions et ecchymoses qui strient votre peau à chaque retour de mission.

-Heureux de vous l'entendre dire, mon général, ironisa Marc.

Le poing de Khov frappa brusquement la table qui tressauta.

-Croyez-vous que j'aie passé ma vie derrière ce bureau? Moi aussi j'ai accompli de nombreuses missions et j'en connais les risques. C'est moi qui, malgré le prix, ai imposé que vous soyez toujours accompagné d'un androïde perfectionné.

Il se renversa sur son fauteuil qui gémit sous le poids du général et il murmura :

-Malgré tous les risques, je préférerais encore partir en mission plutôt que de me morfondre ici à soutenir des discussions interminables avec des technocrates qui n'ont jamais mis les pieds hors de la ville !

Khov secoua sa tête massive.

-Je ne vous ai pas fait venir en catastrophe pour vous raconter mes états d'âme. Revenons à Norton. Donc je ne voulais pas qu'il soit envoyé sur Korz. Il a naturellement protesté et a fait intervenir son oncle. Ce dernier a eu beau jeu de clamer que je me vengeais bassement sur son neveu, que c'était un scandale supplémentaire et il a même obtenu un blocage immédiat de tous les crédits du Service.

« Pour la première fois de ma vie, j'ai été obligé de capituler et Norton est parti en mission il y a un peu plus de trois mois ! Depuis lors nous sommes sans nouvelles de lui ! »

-Son aviso a pu être emporté par un maelström. Ces phénomènes magnétiques du subespace sont encore mal connus et causent parfois la perte de vaisseaux.

-Non, car nos techniciens ont réussi à entrer en contact avec l'appareil qui semble toujours en orbite autour de Korz. Norton doit donc toujours être sur la planète. Vivant ou mort, voilà la question ?

-En cas d'accident, remarqua Marc, son androïde aurait au moins ramené le corps. Pourquoi ne l'a-t-il pas fait ?

-Une mécanique, aussi perfectionnée soit-elle, peut tomber en panne ou avoir un accident. La probabilité est faible mais non nulle d'après les experts. Aussi le sénateur est persuadé que son neveu est abandonné seul et sans ressources sur Korz. Depuis une semaine, il se démène et exige même du Président une intervention de l'armée !

-C'est contraire à la loi. de non-immixtion !

-Ses partisans perdent de jour en jour plus de terrain, d'autant plus que la puissante Compagnie d'Exploitation Minière soutient Cartney. L'intervention d'une unité de l'armée sur Korz est l'occasion idéale pour faire modifier la loi. Les planètes très primitives ne pourraient plus en bénéficier et leurs habitants seraient assimilés aux animaux! Dix planètes déjà répertoriées pourraient être rapidement exploitées, d'où l'intérêt de la C.E.M. !

« Nous avons eu ce matin une dernière conférence avec le Président et, à grand-peine, je n'ai pu obtenir qu'un sursis. Il a été décidé que notre Service enverrait une équipe sur Korz à la recherche de Norton. Toutefois, en cas d'échec, l'armée débarquera en force et nous pourrons dire adieu à la loi de non-immixtion. »

Marc hocha la tête et soupira :

Retrouver un homme seul sur une planète probablement couverte de forêts, c'est plus difficile qu'une aiguille dans une meule de foin.

-Pourtant, il faudra que vous le fassiez !

-Pourquoi moi? grimaça Marc. Je suis spécialiste des civilisations médiévales et non de l'âge de pierre !

Un sourire ironique déforma les lèvres du général.

-Pour se rallier à ma solution, le sénateur Cartney a exigé de choisir l'agent. Comme depuis un an il étudie notre budget, il connaît fort bien tous les dossiers du personnel. Or vous avez eu le tort de faire beaucoup parler de vous ces derniers temps en sauvant sur Ryg la présidente de Marala. Votre nom lui est donc venu immédiatement à l'esprit. Le grand amiral Neuman, responsable de la Sécurité Galactique, a aussitôt surenchéri en expliquant que vous aviez l'année dernière permis la suppression du trafic de S.I.T. .Voilà pourquoi vous êtes un volontaire désigné d'office !

Les traits du visage de Khov se firent graves.

-Mes agents ont toujours été volontaires pour leurs missions. Même aujourd'hui il n'en sera pas autrement. Je vous ai exposé le problème. Il ne s'agit pas seulement de sauver Norton mais tout le Service et surtout d'éviter à des dizaines de races humanoïdes primitives d'être honteusement spoliées. Acceptez-vous?

Marc grimaça un sourire.

-En me convoquant, je crois que vous étiez déjà certain de la réponse. Quand dois-je partir?

-Merci, murmura Khov.

Du doigt, il appuya sur l'interphone qui resta muet.

-Cette gourde de secrétaire n'est jamais là quand j'ai besoin d'elle. Tant pis ! Venez, le sénateur Cartney doit nous attendre dans le bureau qui lui a été affecté pour ses vérifications.

Marc suivit le général dans un dédale de couloirs pour enfin arriver dans une vaste pièce largement éclairée par une grande baie vitrée qui laissait voir l'immense agglomération qu'était devenue la métropole new-yorkaise dont Washington n'était plus qu'un faubourg.

Le sénateur Cartney était trapu, massif, avec une tête plutôt carrée surmontée de cheveux grisonnants. Sans perdre un instant, il déclara :

-Je suis enchanté de vous voir, mon garçon. Je pense que le général vous a expliqué le but de votre mission. Vous devez sauver mon neveu. Pour ce faire, vous avez carte blanche. Tout le matériel que vous désirez est à votre disposition et même si vous mettez cette damnée planète à feu et à sang, vous serez automatiquement couvert. Vous avez ma parole !

Après un instant de réflexion, Marc lança d'une voix sèche :

-Je désire éviter tout malentendu. Pour récupérer Paul Norton, je ferai tout ce qui est humainement possible et même encore plus, mais dans le respect de la loi de non-immixtion. Si vous voulez voir une bande d'énergumènes s'abattre sur Korz et massacrer au hasard, envoyez des mercenaires mais je doute qu'avec de telles méthodes, ils obtiennent le moindre résultat !

Sans paraître remarquer le visage de Cartney qui avait pris une couleur aubergine inquiétante, Marc poursuivit :

Vous qui épluchez les comptes, vous devez savoir que ce ne sont pas les retraites versées aux membres du Service Action qui grèvent le budget, car rares sont ceux qui vivent assez vieux pour en bénéficier. En s'engageant dans notre organisation, Paul Norton le savait et connaissait parfaitement les risques qu'il courait, mais il avait foi en ce qu'il entreprenait. Qu'il soit vivant ou mort, cela serait lui faire injure que de ne pas respecter son idéal !Un lourd silence suivit la déclaration de Marc puis, à la grande surprise de Khov, un discret sourire apparut sur le visage du sénateur.

-Vous avez une rude franchise, capitaine, mais je préfère cela aux déclarations mielleuses d'un hypocrite qui promet tout ce qu'on veut pour ne rien faire ensuite. Je dois reconnaître même que vous me redonnez espoir. Je n'ignore pas que Paul est probablement mort mais j'ai promis à ma soeur de tout mettre en oeuvre pour avoir au moins une certitude ! Agissez comme vous l'entendez, je vous fais confiance. Quand pouvez-vous partir?

Ce fut Khov qui répondit aussitôt :

-Dans deux heures ! J'ai déjà donné des ordres pour que son aviso soit préparé et un hélibulle attend sur le toit du building pour conduire Stone à l'astroport.

Etonné, le sénateur remarqua :

-N'est-ce pas précipité? Ce garçon a sûrement quelques dispositions à prendre auparavant.

Marc rétorqua ironiquement :

-Nous sommes habitués à ces départs impromptus.

Cartney hocha doucement la tête.

-Au lieu de m'obnubiler sur des colonnes de chiffres, je crois qu'il eût été préférable de faire d'abord connaissance avec les hommes. J'espère, général, que vous lui avez au moins fourni le modèle d'androïde le plus perfectionné.

Subitement inquiet, Marc répondit précipitamment :

-Je préfère conserver Ray, l'androïde avec lequel j'ai accompli nombre de missions.

Une lueur ironique éclaira le regard pâle du général qui n'ignorait rien des liens étranges qui s'étaient tissés au fil des missions entre l'homme et sa machine. Les ingénieurs cybernéticiens affirmaient que les androïdes n'étaient que des mécaniques dénuées de sensibilité et que leurs initiatives étaient programmées, mais Khov avait à plusieurs reprises noté des cas troublants de symbiose entre le robot et son maître.

Intrigué, le sénateur demanda :

-N'avez-vous pas confiance en ces nouvelles machines pourtant extrêmement onéreuses ?

Au grand soulagement du général qui voyait son budget encore rogné, Marc répondit avec diplomatie :

-Tout pilote est désireux de prendre les commandes du dernier appareil sorti. Cependant, si un quart d'heure avant de partir en mission de combat vous lui proposez de changer, il préférera conserver son vieil intercepteur, car il en connaît les qualités, les défauts et les limites. C'est la même chose pour un androïde, tout changement demande une adaptation souvent longue.

-Vous aurez le temps voulu pendant les huit jours du voyage, s'étonna Cartney.

-Hélas, non ! Je dois passer plus de la moitié du temps sous l'inducteur psychique pour apprendre la langue et les coutumes des indigènes. C'est une habitude du Service pour perdre le moins de temps possible et accroître le rendement des agents qui peuvent ainsi effectuer un plus grand nombre de missions par an !

Heureusement, le sénateur n'insista pas.

-Finalement tout ceci est votre problème. Je ne veux pas vous retenir plus longtemps. Si d'ici votre départ vous rencontrez un obstacle quelconque, n'hésitez pas à m'appeler et je m'en chargerai !

CHAPITRE II

Khov accompagna Marc jusqu'au toit terrasse où l'hélibulle attendait.

-Etant certain de votre choix, Ray a été activé ce matin et doit terminer les préparatifs de votre aviso.

-Merci, mon général.

Le capitaine monta dans la sphère plastique mue par un moteur antigravité. Le pilote, un long type au visage étroit mit aussitôt le contact.

-En route, mon vieux, sourit Marc, et ne traînez pas en route, j'ai un astronef à prendre !

Aussitôt l'appareil s'élança dans le ciel. Lorsqu'il eut atteint l'altitude souhaitée, le pilote enfonça une série de touches enclenchant les commandes automatiques.

Un quart d'heure s'écoula en silence. Marc regardait avec une certaine nostalgie le bon vieux Soleil de la Terre qui s'enfonçait lentement sur l'horizon. Etait-ce la dernière fois qu'il le voyait ?

Pour secouer cette nostalgie propre à chaque départ en mission, il s'intéressa au paysage survolé. Soudain un détail attira son attention. Un rapide coup d'oeil sur les instruments de bord le conforta dans son opinion. Il interpella aussitôt le pilote :

-Tu te trompes de cap. L'astroport se trouve plus au nord.

Le pilote réagit aussitôt. Un pistolaser apparut dans sa main et il menaça Marc.

-Nous effectuons un léger détour. Tu as rendez-vous dans une propriété un peu isolée avec un type très important. J'ai ordre de t'amener vivant mais j'ai compris que ton cadavre ferait aussi bien l'affaire. Alors si tu esquisses le moindre geste, je n'hésiterai pas à tirer.

Marc sembla se résigner. Il allongea les jambes et ferma les yeux, concentrant son esprit. Une longue minute s'écoula et il commençait à désespérer lorsqu'il entra enfin en contact avec Ray. Pour leur mission, les androïdes étaient équipés d'un émetteur psychique leur permettant de recevoir des ordres et de donner des réponses à grande vitesse sans qu'ils puissent être captés par des curieux.

-Bonjour, Marc, émit Ray qui semblait joyeux. J'espérais bien que tu me contacterais dès ton départ.

-J'ai un sérieux ennui ! Sors un module de liaison de l'aviso et rejoins-moi le plus vite possible.

Sentant l'inquiétude de son ami, Ray répondit aussitôt :

-J'arrive ! Utilise ton émetteur laryngé pour que je puisse plus facilement te localiser.

Afin de permettre des communications à très grande distance avec les androïdes, les agents du Service Action subissaient une greffe bionique d'un petit émetteur radio au niveau du larynx et d'un récepteur dans l'oreille droite.

Marc se tourna vers le pilote qui n'avait pas lâche son arme.

-Où me conduis-tu ?

-Tu le verras bien ! Nous arriverons dans dix minutes.

-Je pense que le général Khov n'appréciera guère le détour que tu m'obliges à effectuer. Si tu me ramènes à l'astroport immédiatement, je te promets d'oublier l'incident.

-Pas question, ricana le pilote. Je me fiche du général. Dans six heures, je partirai loin de la Terre, avec plus d'argent en poche que je n'en ai gagné de toute ma vie ! Pour moi, c'est une occasion unique qu'il n'est pas question de louper !

-Même si tu te caches à l'autre bout de la Galaxie, il te retrouvera.

-Cela m'étonnerait beaucoup. Dans deux à trois mois au plus, il sera viré du S.S.P.P. et il n'empoisonnera plus personne !

Marc ressentit un appel psychique de Ray.

-Je suis en route. Je pense t'avoir repéré. Continue à parler à intervalles réguliers.

L'hélibulle arrivait en vue d'une élégante propriété dont le parc était entouré d'une forêt. Le pilote brancha sa radio.

-Allô Cobra I, ici Cobra II, je demande l'autorisation de me poser. Le colis est avec moi.

-Bien reçu ! Allez-y !

-Qui se dissimule derrière ce pseudonyme fort évocateur ? interrogea Marc.

-Tu le sauras en arrivant. Maintenant je dois prendre les commandes manuelles mais je ne lâcherai pas mon pistolaser. Si tu tentes quoi que ce soit, ou tu reçois une décharge, ou nous nous écrasons tous les deux !

-Je ne bougerai pas, promit Marc qui poursuivit à l'intention de Ray :

-Je suis trop curieux de voir le propriétaire de cette villa blanche à deux étages avec deux grandes colonnes à l'antique sur le devant et un toit terrasse qui semble encombré d'antennes et d'engins de détection.

-Ça, tu peux le dire, ricana le pilote. Cette baraque est mieux surveillée que celle du Président lui-même.

L'hélibulle se posa en douceur sur une petite pelouse juste devant un porche sous lequel se tenaient deux hommes de carrure athlétique, un pistolaser à la main.

Ils se précipitèrent vers l'appareil. Tandis que le plus grand intimait à Marc l'ordre de descendre, l'autre dit au pilote :

-Pas d'ennuis avec le colis ?

-Aucun ! Il a été très sage. Les gars du Service Action ne sont courageux qu'avec les primitifs!

Parfait, le patron nous attend.

Escorté par les gorilles et le pilote, Marc gravit une volée de marches et pénétra dans un vaste hall où débouchait un escalier monumental. Du canon de son arme, un gorille indiqua une porte sur la droite.

-Ainsi, dit Marc, nous n'allons pas au premier mais dans cette pièce du rez-de-chaussée.

C'était une belle bibliothèque aux murs couverts de livres anciens. Deux portes-fenêtres donnaient sur une pelouse. Derrière une vaste table de travail, se tenait un homme grand, d'allure sportive, blond, le visage dur.

Marc vit avec surprise, installée dans un fauteuil, miss Stempton, un verre à la main.

-Entrez, monsieur Stone, dit le blond avec un sourire, et installez-vous dans ce fauteuil. Désirez-vous boire quelque chose? Je vous recommande mon authentique et vénérable scotch William Lawson's.

-Non, merci. Je préfère savoir pourquoi vous avez organisé mon enlèvement.

Le blond afficha un petit sourire.

-J'aurais effectivement pu ordonner à Martin de vous abattre et de laisser votre cadavre dans les débris de son hélibulle, mais je suis un homme de dialogue, au début tout au moins!

-Que voulez-vous ? s'impatienta Marc.

Son interlocuteur tira d'un tiroir de son bureau une pile impressionnante de plaquettes de 10000 dols.

-Voici 10 millions de dols, deux fois plus que vous ne gagnerez en toute une vie de travail à la S.S.P.P. Ils sont à vous si vous acceptez de partir cette nuit pour Vénusia en compagnie de miss Stempton. Vos places sont retenues sur un astronef qui décolle dans trois heures.

Vénusia était une planète vierge découverte le siècle dernier. Elle bénéficiait d'un climat idyllique et avait été aménagée en base de loisirs pour les gens très fortunés de l'Union Terrienne. Là-bas, ils pouvaient bénéficier de toutes les distractions imaginables et même encore plus !

-Votre compagne se prêtera à toutes vos fantaisies et si elle ne vous suffit pas, vous trouverez sur Vénusia ce qu'il vous plaira. Avec l'argent dont vous disposerez, vous pourrez tout acheter !

-Ces six mois passés, que deviendrai-je ?

-Si vous avez envie de retravailler, la Compagnie d'Exploitation Minière vous engagera très volontiers. A ce moment, elle aura de nouvelles planètes à mettre en production et votre expérience des planètes primitives sera précieuse. Je vous vois très bien directeur général d'une des planètes.

Marc essaya de contacter Ray mais il n'obtint aucune réponse. La secrétaire ajoutait tandis qu'un sourire charmant éclairait son visage :

-Ne vous fiez pas à notre premier contact. J'agissais sur ordre, espérant vous éloigner pour retarder votre entrevue avec le général. Lorsque je le veux, je puis être une compagne très agréable, vous verrez.

Espérant gagner du temps, Marc demanda :

-Qu'arrivera-t-il si je refuse votre généreuse proposition ?

Le blond qui jouait machinalement avec les plaques de 10000 dols soupira :

-Dans ce cas, nous reviendrons à la première hypothèse. Demain matin la Sécurité retrouvera votre cadavre près de la carcasse de l'hélibulle. Martin légèrement blessé expliquera que pour une cause inconnue, le moteur s'est brutalement arrêté !

Un appel psychique de Ray frappa à ce moment les neurones de Marc.

-Je suis dans le jardin, prêt à intervenir.

-Fais attention aux détecteurs.

-Je les ai neutralisés. C'est pour cela que je n'ai pu répondre à ton précédent appel.

Un soupir de soulagement échappa au capitaine qui dit avec un demi-sourire :

-Il pourrait y avoir une troisième solution. Vous me laissez repartir tranquillement et j'oublie cet incident!

Il n'en est pas question, rétorqua le blond. Mes associés et moi ne souhaitons pas que vous vous rendiez sur Korz. Lorsqu'il constatera votre défection, le sénateur Cartney perdra toute confiance en Khov et exigera l'envoi de vaisseaux de guerre. Cela sera une excellente occasion d'obtenir la modification de la loi de non-immixtion.

-Il existe des dizaines de planètes inhabitées regorgeant de minerais !

-Elles ont des conditions climatiques impossibles qui multiplient par dix les frais d'extraction ! Maintenant j'ai assez perdu de temps. Que choisissez-vous ?

Marc secoua doucement la tête.

-Je préfère ma solution. Moi aussi j'ai une mission à accomplir !

-Imbécile ! laissa tomber le blond avec une moue dégoûtée.

D'un geste de la main, il fit signe à ses deux gorilles d'emmener Marc. A cet instant, la porte vitrée de la bibliothèque vola en éclats et Ray apparut.

Aussitôt les deux sbires se retournèrent et firent feu. L'androïde qui avait pris la précaution d'enclencher une ceinture protectrice, ne broncha pas et continua sa progression.

Le pilote, médusé, était resté immobile et il se trouva sur le chemin de Ray qui l'écarta d'un simple revers du bras qui fit voltiger l'homme à travers la pièce et heurter durement la cloison. Assommé, il glissa lentement sur le tapis.

Le blond comprit le premier qui était leur adversaire. D'un geste vif, il plongea la main dans un tiroir pour saisir un pistolaser qu'il pointa sur Marc.

-Immobilisez cet androïde sur-le-champ ou je vous tue.

-Je me rends, annonça aussitôt Ray en stoppant sa marche. Lentement il leva les bras.

Revenus de leur stupeur, les deux gorilles s'élançaient déjà pour couper les contacts.

-Le mécanisme de commande se trouve en général sur le thorax, précisa le blond qui toutefois ne prit pas garde au léger pivotement de Ray. Quand son avant-bras gauche fut à l'horizontale, il en jaillit un éclair mauve traduisant une décharge d'un puissant désintégrateur. Aussitôt la table, le blond et même une portion notable du mur situé derrière lui disparurent comme effacés par une gomme gigantesque, tandis que l'air chaud et parfumé de la nuit pénétrait par l'ouverture béante du mur.

Dans la fraction de seconde qui suivit, les deux gorilles reçurent un coup sur la tête qui leur fit perdre connaissance. Miss Stempton était restée dans son fauteuil, le visage horrifié.

Les yeux incrédules, elle regarda alternativement le trou dans le mur et Ray.

-C'est... c'est impossible, bégaya-t-elle. Tous les androïdes sont conditionnés pour ne jamais tuer un Terrien !

Marc ne pouvait lui expliquer que le cas de Ray était très particulier. Leur entente était telle que si Marc était en danger de mort, de curieux frémissements envahissaient les neurones électroniques de l'androïde, modifiant les programmations, pour ne laisser place qu'à une dangereuse efficacité. Une fois, même, Ray avait désobéi à Marc pour l'empêcher de se précipiter vers une mort certaine ! Aussi le capitaine se contenta de répliquer ironiquement :

-C'est exact! Vous aurez beaucoup de mal à expliquer à la police les événements de ce soir. A propos, qui était ce généreux mécène qui tenait tant à me faire partager votre lit ?

La secrétaire, toute volonté brisée, répondit d'un ton morne :

-Nilson... Stuart Nilson. C'était le patron de la Compagnie d'Exploitation Minière.

-Ne vous inquiétez pas, ricana Marc, le conseil d'administration lui trouvera rapidement un successeur ! Maintenant, chérie, je pense que nous avons assez flirté, le devoir m'appelle.

Suivi de Ray, Marc enjamba les débris de la porte-fenêtre.

-Inutile de nous fatiguer, émit Ray, j'appelle le module de liaison.

-Attention aux systèmes de surveillance. Il y a peut-être d'autres gardes dans la villa.

Ray haussa les épaules en une mimique très humaine.

-En arrivant j'ai réglé le problème. Les alarmes étaient très complexes et j'étais pressé car je te sentais en danger. J'ai donc pensé que le plus simple était de détruire le système à son origine.

En se retournant, Marc vit avec stupéfaction que tout le toit terrasse s'était volatilisé.

-Il y avait sans doute un opérateur de garde, s'inquiéta Marc.

-Dans ce cas, il a été transformé en lumière et en chaleur, rétorqua Ray avec une logique impitoyable.

La sphère plastique pilotée avec précision par l'androïde se posa sur la pelouse.

-Retournons en vitesse à l'astroport avant que le général ne déclenche une opération pour nous récupérer !

Une demi-heure plus tard, la porte de la soute de l'astronef se referma derrière le module. Marc s'éjecta de l'engin et gagna au pas de course le poste de pilotage. Tandis que Ray allumait les réacteurs de décollage, le capitaine brancha le vidéophone.

-Allô, tour de contrôle. Astronef Neptune du S.S.P.P. Demandons autorisation de décollage.

-Vous êtes en retard, grogna l'opérateur, un gros type au visage rond barré par une moustache tombante. Le général Khov a au moins appelé une dizaine de fois. Je vous le passe.

La figure sévère du général remplaça sur l'écran celle de l'opérateur.

-Que vous est-il arrivé, Stone? demanda sèchement le général.

Marc réfléchit rapidement, sachant que la conversation serait certainement enregistrée.

-Votre pilote a tenu absolument à me faire visiter une très belle villa à 300 km, nord, nord-est de votre building. Comme il avait en main un argument très convaincant, je n'ai pas cru devoir refuser. Là-bas, j'ai rencontré un homme charmant, la quarantaine, blond, qui m'a proposé dix millions de dols pour accompagner votre secrétaire sur Vénusia.

Les traits du visage de Khov restaient impassibles mais ses yeux brillaient, traduisant son intérêt.

-Alors?

-Vous savez, mon général, que je suis très timide avec les femmes et j'ai préféré refuser, railla Marc.

-Et on vous a laissé repartir ?

-Après une discussion très cordiale, on a reconnu la valeur de mes arguments. Comme votre pilote ressentait un léger malaise, j'ai demandé à Ray de venir me chercher pour ne pas perdre de temps.

Un vague sourire étira les lèvres minces de Khov.

-Je comprends parfaitement votre retard.

-Il n'est que d'une demi-heure. Puis-je décoller?

Le général acquiesça.

-Je m'occupe de régler les derniers détails. J'espère que vous n'avez pas laissé trop de désordre derrière vous.

-Je suis d'une discrétion exemplaire  ! répondit Marc ironiquement. Puis-je vous demander de présenter également mes excuses à la présidente de Marala, pour mon départ précipité ?

-Cela sera fait ! Bon voyage.

CHAPITRE III

Marc pénétra dans le poste de pilotage et se laissa tomber sur le siège du copilote. Ray était installé aux commandes surveillant les nombreux écrans de contrôle.

-Bonjour, Marc, dit-il de sa voix légèrement métallique. J'espère que tu as bien dormi ?

-Peut-on appeler sommeil l'espèce de coma où tu me plonges avant l'arrivée en vue de notre objectif? Toutefois, je dois reconnaître que j'ai mieux supporté l'inducteur psychique que lors des voyages précédents. Il faut reconnaître que le langage des Korziens est des plus primitifs et qu'ils n'ont pas encore découvert les subtilités de l'imparfait du subjonctif !

-Parfait ! Je craignais que la fatigue ne t'oblige à espacer tes missions. Or, moi, j'aime bien être avec toi.

Marc ne s'étonna pas de l'étrangeté de la phrase. Il tapota l'épaule de l'androïde.

-Merci, vieux frère. La trajectoire a-t-elle été correcte ?

-Nous avons émergé dans le système solaire répertorié dans l'annuaire galactique sous le numéro BZ 06 64 60. Korz est la troisième planète d'un système qui en comporte sept. Elle seule est habitable. Les deux plus proches du soleil sont des fournaises et les quatre autres, volumineuses et éloignées, sont des blocs d'hydrogène et d'ammoniaque congelés.

Marc contempla sur l'écran tridimensionnel la sphère bleutée vers laquelle le Neptune fonçait à grande vitesse.

-Masse de la planète ?

-0,80 de la Terre. Tu te sentiras donc plus léger et tu pourras sauter plus haut et courir plus vite. Cela ne te sera pas inutile car certains habitants ont pour habitude de considérer comme du gibier tout ce qui passe à leur portée.

-Répartition des océans ?

-Ils occupent les sept dixièmes du globe. Il n'existe pas de grands continents mais plutôt une multitude d'îles dont deux au moins ont la taille de l'Australie. La civilisation semble n'être apparue que sur l'une des deux, celle qui affleure l'équateur.

-Conditions climatiques ?

-Fort agréables, quoiqu'un peu chaudes et humides, ce qui explique la végétation luxuriante de type tropical. Seule consolation ; tu ne risques pas de t'enrhumer !

-Atmosphère ?

-Très voisine de la Terre, à peine un peu plus riche en oxygène et en gaz carbonique en raison de l'importance de la végétation.

L'androïde compulsa les données qui sortaient rapidement de l'ordinateur.

-Korz possède de très importants gisements de narum. Le fait n'est pas nettement mentionné dans les observations de la première mission.

Marc poussa un petit sifflement.

-Je commence à comprendre l'intérêt de la Compagnie d'Exploitation Minière pour cette planète !

Le narum était un métal très lourd, classé dans les transuraniens. Dans certaines conditions il n'était pas radioactif mais émettait de très puissantes ondes électromagnétiques et il était indispensable pour la fabrication des émetteurs par ondes accélérées, permettant une transmission quasi instantanée à des centaines d'années-lumière.

-Nous chargerons l'ordinateur, reprit Marc, de faire des relevés précis des gisements pendant que l'astronef sera en orbite autour de Korz.

Il concentra son attention sur l'écran central où Korz apparaissait nettement. A cette distance les continents semblaient tous recouverts de forêts denses.

Comme s'il avait deviné sa pensée, Ray murmura :

-Comment espères-tu retrouver Norton dans ce fouillis végétal ?

-Je l'ignore, soupira Marc. Pour commencer, son astronef est-il toujours en orbite ?

-Les détecteurs viennent de le repérer. Je manoeuvre pour me placer sur la même trajectoire. Boucle ta ceinture magnétique car nous allons décélérer.

Guidé avec précision par l'androïde, le Neptune se retrouva une demi-heure plus tard à côté de l'aviso de Norton.

-Le bâtiment semble intact, constata Ray. Veux-tu que nous l'explorions ?

-Certainement! Peut-être Norton a-t-il laissé des indications.

Tandis que Ray manoeuvrait pour amener les deux vaisseaux bord à bord, Marc descendit dans la soute pour enfiler un lourd scaphandre spatial puis il gagna le sas d'éjection où l'androïde le rejoignit bientôt.

La décompression effectuée, la porte extérieure s'ouvrit et Marc activa ses réacteurs dorsaux pour gagner l'aviso distant d'une cinquantaine de mètres.

Voir ainsi Ray avec son visage humain flotter dans l'espace avait toujours quelque chose d'hallucinant.

Rapidement les deux compères pénétrèrent dans l'astronef de Norton. Tandis que Ray fouillait le navire, Marc s'installa au poste de pilotage.

-Le module de liaison est dans la soute et il n'y a aucune trace de l'androïde, annonça Ray.

Marc réfléchissait les yeux mi-clos.

-Voyons, murmura-t-il, Norton effectuait sa première mission. Il a donc respecté scrupuleusement les consignes. D'abord il a examiné l'ensemble de la planète.

Ray brancha les enregistreurs et aussitôt l'image de Korz défila sur l'écran.

-Tu noteras, dit Ray, qu'il a eu la même réaction que toi. Il a soigneusement repéré les gisements de narum. Il en existe plusieurs et le plus important se situe sur le seul continent habité.

Le Terrien hocha la tête. Maintenant des vues rapprochées du continent principal s'imprimaient sur l'écran. Ray commenta :

-Il a comparé ses observations avec celles effectuées il y a une cinquantaine d'années. Apparemment il n'existe aucune différence. Regarde, les villages ne sont qu'une accumulation de huttes de branchages. Malheureusement il en existe des centaines éparpillées sur tout le continent! Four les explorer tous à la recherche de Norton, il faudrait plus d'un an. Quant à ratisser la jungle, cela nécessiterait des dizaines d'hommes pendant un siècle !

-Attends, soupira Marc. Norton savait que dans le temps imparti pour une mission, un agent ne peut visiter que trois ou quatre endroits. Il a donc dû les sélectionner. En bonne logique il a choisi parmi ceux qui avaient déjà été reconnus pour pouvoir effectuer une comparaison valable.

Les images se succédaient et Ray constata :

-Ils se ressemblent tous et le tri peut aussi bien s'effectuer au hasard !

-Reviens en arrière, ordonna soudain Marc.

Les vues à un fort grossissement défilèrent à nouveau.

-Norton a étudié beaucoup plus longuement trois villages dans le même secteur. Deux sont proches de la côte ouest et le dernier est situé entre l'océan et une colline très riche en narum.

-C'est exact, reconnut Ray. Seul celui situé au nord-ouest a été étudié à la première exploration. Commençons-nous par visiter celui-là ?

Marc secoua la tête :

-Je préfère celui plus au sud, près du bord de mer. C'est par celui-ci que Norton a terminé son enregistrement et il me semble qu'il est plus détaillé. Retournons au Neptune pour nous préparer.

CHAPITRE IV

Dans le poste de pilotage du Neptune, Marc établit une liaison avec la Terre. A sa demande de joindre Khov, l'opérateur répondit :

-Je n'ai pas de circuit disponible. Enregistrez votre message et rappelez dans quelques heures.

Un peu étonné, Marc débuta en donnant son indicatif de mission. Aussitôt le visage de l'opérateur disparut de l'écran et fut remplacé par une phrase tapée par la machine de l'ordinateur. Il lut :

« Veuillez patienter, nous recherchons le général Khov. »

Trente secondes plus tard, le visage de ce dernier apparut sur l'écran.

-Je pense qu'il me faudra effectuer une grande épuration parmi le personnel. Heureusement à l'insu de tous, j'avais programmé l'ordinateur du centre de télécommunications pour qu'il dévie directement vos appels sur ma ligne personnelle. Vous pouvez parler librement, elle est codée.

Son rapport terminé, Marc ajouta :

-Voici donc les coordonnées des trois premiers villages que je compte explorer. Ensuite j'agirai en fonction des éléments recueillis sur place.

-Parfait ! Pour me joindre, conservez le même indicatif. Je vous signale que l'enquête sur la disparition de Nilson est classée. La police n'a enregistré aucune plainte et l'état psychique de miss Stempton a inspiré une telle inquiétude à son médecin qu'il a conseillé une hospitalisation immédiate dans une maison spécialisée. Maintenant à vous de jouer et surtout de gagner !

Marc resta un moment immobile, contemplant l'écran éteint puis il se leva en soupirant :

-En route, Ray !

Dans la soute, il se déshabilla entièrement. L'androïde s'approcha alors, une bombe aérosol à la main, et en vaporisa le contenu sur Marc qui s'écria aussitôt :

-Quelle est cette puanteur ?

-C'est une mixture que je t'ai confectionnée durant le voyage. Elle contient un colorant pour foncer ton épiderme et te faire ressembler aux naturels de Korz. L'odeur est également la leur ! Les primitifs ignorent les bienfaits des blocs sanitaires mais ont un odorat très développé. Sentir ton eau de toilette les alerterait aussitôt. Enfin j'ai ajouté une substance répulsive pour les insectes qui sont nombreux dans la forêt et qui te piqueraient dès que tu couperais ton champ protecteur. Or plusieurs dizaines d'espèces sont venimeuses !

-Tu es une mère pour moi, ricana Marc.

Ray lui fixa autour de la taille la ceinture qui était camouflée en une bande de faux cuir, puis un pagne en simili cuir grossièrement cousu. Une paire de sandales faites d'une semelle et de deux lanières complétait l'habillement.

-Comme arme, je t'ai confectionné un poignard.

Il semble taillé dans du silex mais en réalité il est en plasto-titane. Normalement les indigènes se servent de sagaies grossières, de massues de bois et quelquefois de haches de pierre.

Ray tendit à Marc une lance assez courte.

-Elle est également en plasto-titane. Comme tu es spécialiste médiéval, j'ai pensé que tu pourrais utiliser ainsi tes connaissances de l'escrime au bâton.

L'androïde qui avait adopté la même tenue que Stone, se dirigea vers le module de liaison. Marc sourit à l'idée du choc que ressentirait tout spectateur non averti en voyant deux hommes de la préhistoire s'installer aux commandes d'un engin aussi sophistiqué !

Une minute plus tard, l'engin se propulsa hors de l'astronef. Marc regarda le Neptune qui semblait s'éloigner à bonne vitesse. C'était toujours un instant angoissant cette rupture avec la civilisation, pour plonger vers un monde inconnu !

Pour masquer son inquiétude, il demanda à Ray :

-Où nous poserons-nous ?

-Environ dix kilomètres à l'ouest du village que tu souhaites explorer en premier. Il existe dans la forêt une clairière. Nous y serons juste avant l'aube.

Piloté avec précision par l'androïde, le module pénétra dans l'atmosphère. Un long moment, il fut secoué par un orage mais Ray maintint fermement sa direction.

Le module prit contact en douceur avec le sol et Marc sauta à terre. D'ordinaire il aimait respirer l'air pur des planètes primitives. Mais aujourd'hui il ne sentait que l'horrible odeur de crasse, de transpiration et de pourriture dont Ray l'avait gratifié.

En silence, l'engin s'éleva vivement dans le ciel noir où il disparut aussitôt. Cette fois, le dernier lien avec la civilisation était bien coupé !

-Nous allons attendre le jour, dit Ray. Cependant, branche ton écran protecteur à forte puissance car j'ignore s'il n'existe pas des carnassiers nocturnes que ton odeur pourrait attirer. La faune locale n'a été que très imparfaitement répertoriée.

Une heure plus tard, le ciel s'éclaircit et presque aussitôt le soleil se leva. Il paraissait beaucoup plus gros que l'astre de la Terre et Marc n'aima pas sa couleur rouge sang qui lui sembla d'un mauvais présage.

-Le village est dans cette direction, annonça Ray, en tendant la main vers l'ouest. Marche devant, ainsi je pourrai mieux te surveiller.

Marc s'enfonça dans la forêt, la main crispée sur sa lance, tous les sens en éveil. Si certains arbres ressemblaient à des chênes ou des sapins terrestres, d'autres étaient immenses avec des formes tourmentées et des feuilles garnies de piquants acérés.

Le sous-bois n'était pas trop dense, barré toutefois par endroits par des fougères gigantesques ou des buissons épineux de couleur mauve, garnis de fleurs orangées.

Le Terrien et l'androïde marchèrent une heure. La chaleur était intense et Marc commençait à transpirer sérieusement.

-Avec tous ces buissons qui nous obligent à de nombreux détours, je suis certain que nous n'avons pas dû parcourir plus de deux kilomètres en ligne droite, pesta Marc.

-Exact !

-Pourquoi donc me fais-tu toujours débuter mes missions par d'interminables marathons ?

Sans se soucier de la mauvaise humeur de son ami, Ray répondit :

-Tu sais que ce sont les ordres. L'atterrissage sur une planète primitive doit toujours être effectué de nuit et à bonne distance d'un lieu habité pour ne pas être vu des autochtones.

Soudain un cri de douleur déchira l'air.

-Quelqu'un semble avoir des difficultés, nota Ray avec calme.

Marc s'élançait déjà en avant lorsqu'un autre hurlement retentit. Ray rattrapa son compagnon et émit :

-Mieux vaut nous approcher en silence. Qui sait ce que nous allons trouver ?

CHAPITRE V

Marc et Ray ne tardèrent pas à avoir la réponse à leur interrogation. Dissimulés derrière d'épaisses fougères, ils observèrent la scène qui se déroulait dans une petite clairière.

Deux hommes trapus, les cheveux en broussaille et le visage mangé par une courte barbe, avaient attaché une femme par les poignets à une basse branche d'un arbre. La malheureuse agitait désespérément les jambes mais ses pieds ne touchaient plus le sol.

Elle était vêtue d'un simple pagne de cuir. Elle paraissait jeune comme en témoignaient ses seins ronds et fermes.

-Elle n'est pas mal, ironisa Ray.

-Je la trouve un peu massive, grimaça Marc.

Le plus grand des primitifs ramassa une longue badine et cingla à plusieurs reprises le torse de la femme qui gémit tandis que des marques brunâtres striaient son épiderme.

-Tu sais le sort réservé aux esclaves qui tentent de s'échapper, gronda l'homme.

La jeune femme malgré sa position peu enviable redressa la tête et hurla, les yeux brillants de haine :

-Je ne suis pas une esclave ! Je suis Tara, fille du chef Kioz ! Tu m'as capturée par traîtrise mais je suis née libre !

-Tu étais mon esclave et tu m'as désobéi ! Rilos ne laisse jamais une offense impunie !

La femme cracha au visage de l'homme en criant :

-Rilos est un lâche qui ne sait que combattre les femmes mais il tremble devant un vrai guerrier.

L'homme s'essuya lentement le visage d'un revers de l'avant-bras. Ses petits yeux luisaient de colère.

-Nous verrons ton courage, ricana-t-il.

Il recula de quelques pas et d'un coup sec de sa badine, sectionna la tige d'une grosse fleur pourpre ressemblant à un tournesol. Brisant sa baguette par le milieu, il se servit des deux morceaux pour ramasser la fleur tombée à terre.

-Je vais passer ce sloti sur ton corps, dit-il avec un sourire cruel, puis je retournerai au village et ramènerai tous les esclaves pour qu'ils voient ce que les pterks ont laissé de ton cadavre.

Marc ne comprenait pas exactement la menace mais elle devait être terrible car la fille malgré son courage indéniable avait pris un teint livide.

-Tu es ignoble ! Pitié, sanglota-t-elle.

L'homme secoua la tête :

-C'est la punition de ceux qui osent me désobéir.

Marc fit signe à Ray :

-Je pense qu'il est temps d'intervenir, murmura-t-il.

Il avança de quelques pas et interpella les deux hommes.

-Je te défie, chef Rilos, cria-t-il.

Le primitif se retourna vivement, lâcha sa fleur et courut ramasser une lourde massue de bois qu'il avait posée sur l'herbe. Il la balança d'une seule main comme s'il s'agissait d'une baguette.

-Qui es-tu pour venir ainsi sur mon territoire ?

-Je suis un chasseur libre qui ne pense pas que les femelles soient faites pour être ainsi maltraitées.

Dans-le précédent rapport, il était mentionné qu'en dehors de la vie tribale, il existait quelques errants. Ces derniers se regroupaient parfois pour fonder une nouvelle tribu. L'explication dut paraître plausible à Rilos, car il répondit :

-Ici tu es sur mon domaine. Les errants ne peuvent y avoir accès. Tu dois devenir mon esclave ou mourir.

Marc secoua la tête.

-Je ne cherche pas à me battre mais je resterai un homme libre.

-Tu mourras donc !

Rilos avança rapidement tandis que Marc, saisissant sa lance à deux mains, attendait l'assaut. Le primitif abattit sa massue à toute volée avec un cri sourd. D'un saut rapide, Marc esquiva et contra aussitôt d'un coup au visage qui atteignit le menton de son adversaire. Ce dernier ne parut même pas ébranlé et souleva à nouveau sa masse en un puissant revers que Marc évita de justesse. Sans laisser à Rilos le temps de retrouver son équilibre, Marc frappa de la pointe, zébrant d'un long sillon rouge le torse de l'indigène.

Cette fois, Rilos grogna de douleur et regarda incrédule le sang qui coulait de la profonde estafilade. Rendu prudent, il effectua quelques bonds latéraux pour faire pivoter son adversaire. La manoeuvre était grossière. Il était évident qu'il voulait obliger Marc à tourner le dos au deuxième homme resté immobile jusqu'alors, ce qui lui aurait permis d'attaquer brusquement par-derrière. Toutefois, Ray se plaça aussitôt entre Marc et l'autre primitif qui prudemment recula d'une dizaine de pas.

Dépité de voir sa ruse éventée. Rilos repartit brutalement à l'assaut. Marc l'évita un peu à la manière d'un matador esquivant la charge du taureau et frappa d'un coup appuyé au niveau des reins. Rilos, sous la douleur, se redressa et reçut aussitôt le manche de la lance sur l'arrière du crâne.

Assommé, Rilos glissa sur le sol. Devant l'issue brutale du combat, l'autre primitif, loin de chercher à porter secours à son chef, s'enfuit à toutes jambes.

Tandis que Marc s'essuyait le front couvert de sueur, Ray sectionnait les liens de la fille. Sans un mot de remerciement, elle se frictionna les poignets où les lanières avaient laissé de larges sillons violacés, puis elle s'approcha du corps de Rilos. Pour s'assurer qu'il était toujours inconscient, elle lui décocha un vigoureux coup de pied à la base du thorax. Satisfaite de l'immobilité de l'homme, elle alla ramasser l'étrange fleur pourpre qui était restée sur le sol. La tenant avec précaution entre deux baguettes, elle la déposa sur le dos de Rilos puis l'écrasa de quelques coups secs avec les branchages. Aussitôt s'éleva une odeur parfumée, agréable, mélange de rose, de menthe, de citron vert.

La fille laissa tomber ses baguettes près du corps de l'homme puis se recula vivement d'une trentaine de pas faisant signe aux terriens de l'imiter.

-Les pterks prendront ainsi Rilos pour un lantis, ricana-t-elle le visage tordu par la haine.

Marc interrogea Ray du regard, mais celui-ci émit psychiquement :

-Ces mots ne sont pas encore répertoriés dans ma mémoire.

Dans le ciel tournoyaient trois ou quatre oiseaux d'assez belle envergure. Avec une vitesse phénoménale, ils piquèrent soudain vers le sol aussitôt imités par une dizaine de congénères sortis on ne savait d'où ! Les volatiles s'abattirent sur le corps de Rilos. Ils avaient de grandes ailes membraneuses comme celles des chauves-souris, des pattes longues terminées par des serres puissantes. Surtout ils présentaient une grosse tête carrée, avec un bec large, recourbé à son extrémité en un crochet aigu. Lorsqu'il s'ouvrait, le bec laissait voir plusieurs rangées de dents petites mais très aiguës.

Les oiseaux, maintenant au nombre d'une vingtaine, déchiquetaient à coups de bec et de serres le corps du malheureux Rilos. La peau avait déjà disparu et les masses musculaires étaient arrachées en larges lambeaux qui disparaissaient aussitôt dans les gosiers voraces.

Moins de dix minutes plus tard, les pterks s'envolèrent brusquement, tous ensemble, ne laissant que des os éparpillés nettoyés jusqu'à la plus petite fibre tendineuse.

Horrifié, Marc avait assisté immobile à l'affreux spectacle. Le corps secoué par un léger tremblement, il demanda à Ray :

-As-tu enregistré toute la scène ?

-Naturellement ! Nul doute que cette séquence sera payée fort cher, plus que celle de ton combat avec le primitif !

Ce n'était un secret pour personne que le S.S.P.P., pour augmenter ses ressources, revendait aux télévisions de l'Union Terrienne des extraits d'enregistrements effectués par les androïdes. Comme les spectateurs étaient friands de ce genre d'aventures souvent horribles, les directeurs n'hésitaient pas à verser de grosses sommes d'argent pour s'en assurer l'exclusivité.

-Si Norton a rencontré ces volatiles, il est peu probable que nous le retrouvions un jour.

La fille, qui avait assisté à la fin de Rilos avec un sourire satisfait, devint brusquement fébrile.

-Nous devons fuir rapidement avant le retour de tous les guerriers du village.

Contrarié, Marc songea qu'il lui était maintenant impossible d'enquêter comme il le souhaitait dans cette tribu.

-Depuis quand étais-tu prisonnière là-bas ?

-Il y a trois lunes.

Ray précisa aussitôt à l'intention de Marc :

-Korz possède une lune moitié plus petite que celle de la Terre. Elle effectue sa rotation en 34 jours. Donc lorsque Norton est arrivé, la fille était déjà là-bas.

Cette dernière poursuivait :

-Nous chassions à la limite de notre territoire lorsque Rilos et son clan nous ont attaqués par surprise. Plusieurs de nos guerriers sont tombés sous ses coups et il m'a capturée.

-Pendant ton séjour là-bas, deux chasseurs comme nous ne sont-ils pas venus dans le village? Ce sont des parents que je voudrais retrouver.

La jeune femme secoua la tête.

-Depuis des lunes et des lunes, vous êtes les premiers étrangers à avoir osé pénétrer sur les terres de Rilos !

Comme la fille se mettait en marche, Marc la suivit.

-Où comptes-tu aller?

-Je veux retrouver ma tribu ! Elle se trouve dans cette direction à plusieurs jours de marche.

Ray émit alors :

-C'est sans doute le deuxième village que tu voulais visiter, à environ soixante kilomètres. Une jolie trotte en perspective ! Ne serait-il pas préférable d'abandonner la fille cette nuit et d'appeler le module?

Marc réfléchit un moment.

-Cette histoire nous a fait gagner du temps puisque nous savons que Norton n'a pas été dans la tribu de Rilos. Il est probable que nous ne serons guère mieux accueillis dans l'autre village sauf si nous sommes présentés par un de ses membres. Cela mérite d'être essayé  !

CHAPITRE VI

Depuis six heures, Marc marchait derrière la jeune femme qui semblait inaccessible à la fatigue. Il sentait des ruisseaux de sueur couler sur ses joues, son cou et sur tout le corps. Il ne pouvait s'empêcher d'admirer et d'envier sa foulée régulière et la manière souple qu'elle avait pour se glisser entre les buissons, évitant ainsi de trop dévier de son trajet. Heureusement pour Marc, Ray lui avait discrètement glissé dans la bouche deux tablettes nutritives, mais malgré cela, ses muscles devenaient douloureux.

La progression se poursuivit, interminable. Enfin le soleil atteignit la cime des arbres. Depuis un bon moment, la jeune femme humait l'air et tournait la tête en tous sens comme si elle cherchait quelque chose. Soudain elle poussa un cri joyeux et se précipita vers un buisson chargé de grosses baies violettes de la taille d'une petite pomme.

Avec vivacité, elle cueillit une dizaine de fruits puis alla s'installer au pied d'un grand arbre. Voyant que Marc était resté immobile, elle lui tendit un fruit en disant :

-Ce sont des patkis. N'as-tu pas soif?

Le Terrien saisit une baie, hésitant à mordre dedans comme le faisait la fille qui en avait déjà absorbé trois. Heureusement Ray vint à son secours. Avec rapidité, il avait cueilli un fruit et tout en paraissant le manger, il en avait fait l'étude chimique.

-Aucune substance toxique connue, émit-il. Eau, saccharose, sels minéraux, acide citrique et traces de substances aromatiques sans danger.

Rassuré, Marc goûta le fruit. La chair était onctueuse, fondante, très rafraîchissante, avec un arrière-goût de pêche. Avec un soupir de soulagement, il s'assit près de la femme et s'adossa au tronc.

Pendant un long moment, ils mangèrent en silence, Ray renouvelant les patkis à mesure qu'ils disparaissaient dans l'estomac des deux humains.

Enfin repue, la jeune femme se tourna vers son compagnon.

-Je m'appelle Tara, fille du chef Kioz. Et toi, qui es-tu ?

-Marc et voici Ray mon ami !

La fille répéta plusieurs fois les noms comme pour les graver dans sa mémoire puis elle demanda :

-Où est ta tribu ?

Marc fit un geste de la main désignant le nord.

-Très loin, à de nombreuses lunes de marche.

-Pourquoi l'as-tu quittée?

-Notre chef était un mauvais homme. Il voulait toutes les femmes pour lui seul et surtout il gardait pour lui et ses amis la plus grande part des animaux abattus. Il s'empiffrait tandis que nous mourions presque de faim.

-Il était comme Rilos, soupira Tara. Pourquoi n'as-tu pas défié ton chef?

-Je l'ai fait mais il n'acceptait pas de combat singulier et il luttait toujours assisté de cinq ou six guerriers. Ainsi Ray et moi avons-nous été contraints de fuir.

La jeune femme réfléchit un instant.

-Si tu le souhaites et si nous parvenons à rejoindre ma tribu, mon père t'accordera l'hospitalité. C'est un chef juste et il voudra te remercier de l'aide que tu m'as apportée.

Tara regarda le ciel où le soleil avait disparu.

-Si tu as des pierres à feu, il est temps de nous organiser pour la nuit.

-C'est mon ami qui les porte, répliqua précipitamment Marc.

Tandis que Marc aidait la fille à ramasser du bois mort, Ray fit semblant de s'activer autour de brindilles sèches. Rapidement une flamme jaillit. Evidemment Tara ne pouvait imaginer qu'elle résultait d'un faisceau laser sorti de l'index de l'androïde.

Bientôt le feu ronfla agréablement. Tara huma l'air, regarda le ciel maintenant sombre et sourit.

-Nous avons de la chance. Le vent souffle dans la bonne direction et ne portera pas l'odeur du feu à nos ennemis. S'ils ne nous ont pas rattrapés demain, ils abandonneront certainement la poursuite car la mort du chef va stimuler les ambitions des autres guerriers. Il faudra au moins une demi-lune pour qu'un autre chef impose son autorité.

Marc s'allongea à même le sol. Malgré son entraînement sportif sérieux, ses muscles des jambes lui faisaient mal. La sueur séchée collait à sa peau et il aurait souhaité un bon passage au bloc sanitaire. C'est quand on en est privé qu'on reconnaît les agréments de la civilisation.

Déjà il fermait les yeux quand il perçut le mouvement de Tara qui s'allongeait contre lui. Avec insistance, elle frottait son épiderme contre le sien.

-Marc est un grand guerrier, murmura-t-elle. Il est digne de Tara !

Le Terrien réprima une grimace. Il se sentait las et il exhalait du corps de la fille une odeur désagréable tout à fait comparable à celle que Ray lui avait vaporisée et fort peu poétique. Toutefois, le manège de Tara éveilla rapidement le désir.

Leur étreinte fut brève, presque brutale, atteignant rapidement un sommet éblouissant. Marc sourit en songeant que s'ils devaient cohabiter ainsi quelques jours, il pourrait lui enseigner plus de subtilités. Rapidement ils s'endormirent dans les bras l'un de l'autre sous la garde rassurante de Ray qui, habitué aux débordements amoureux de son compagnon, avait prudemment débranché ses enregistreurs. Il savait que les technocrates qui étudiaient les films des missions n'aimaient pas que les agents batifolent avec les indigènes. Jugeant le calme revenu, il activa à nouveau ses détecteurs.

CHAPITRE VII

Les premières lueurs de l'aube éveillèrent Marc qui s'étira doucement. Tara déjà levée renouvelait sa provision de patkis en compagnie de Ray. Elle vint s'agenouiller près du Terrien et lui présenta un fruit en souriant. Elle semblait avoir oublié ses fatigues de la veille.

-Mange vite, car il est temps de partir, dit-elle.

Le frugal déjeuner avalé, la marche recommença, monotone, seulement troublée par le bourdonnement des insectes qui tournoyaient autour des humains. Vers onze heures, Tara désigna du doigt une sorte de grosse antilope qui paissait paisiblement.

-Un lantis, murmura-t-elle. Dommage que nous n'ayons pas le temps de chasser. Nous aurions eu de la viande pour le voyage.

-Je n'ai pas vu de ces fleurs pourpres, dit Marc un peu plus tard.

-Le sloti est assez rare, heureusement! Les lantis en sont très gourmands mais dès qu'ils mâchent les bulbes, les pterks sont attirés par l'odeur et ils dévorent aussitôt l'animal.

Les fuyards ne s'accordèrent qu'une courte halte vers midi. Malheureusement, il n'y avait pas de fruits et ils durent se contenter de boire l'eau croupie d'une mare grouillante de vermine.

Ils marchaient à nouveau depuis une heure environ lorsque Ray émit soudain :

-Attention Marc ! Augmente la puissance de ton écran, je détecte un animal de grande taille.

Une seconde plus tard, Tara poussa un cri de frayeur et fit un saut en arrière.

Marc découvrit aussitôt la raison de sa panique. Un étrange animal s'avançait lentement. Il ressemblait à un crapaud gigantesque de la taille d'un boeuf, avec un corps couvert de boursouflures. Une grosse tête aplatie, des yeux globuleux et une large bouche fendant la face d'une oreille à l'autre.

Il avait de courtes pattes torses et son ventre traînait presque sur le sol. Tara tenta de fuir en courant. Soudain la gueule s'ouvrit et il en jaillit une langue mince mais extrêmement longue qui ceintura à une vitesse stupéfiante la fille qui se trouvait pourtant à dix mètres du monstre.

Ray réagit avec sa promptitude électronique. D'un saut, il se plaça entre la gueule de l'animal et Tara qui se débattait en vain contre le lasso de chair qui l'attirait irrésistiblement. D'un geste vif, Ray abattit son bras armé du poignard de faux silex. En réalité, il sectionna la langue avec son laser digital.

Pendant ce temps, Marc lançait sa sagaie avec violence. Un peu par chance, l'arme pénétra dans l'oeil droit du monstre. Toutefois, le Terrien ne sut jamais si cette blessure avait été mortelle car, prudemment, Ray compléta l'action de la lance par un jet laser atteignant le même oeil mais brûlant le cerveau. L'animal poussa un cri rauque, fut secoué de vigoureuses convulsions qui déracinèrent deux arbres puis il s'affaissa sur le sol. Quelques spasmes l'agitèrent encore et il se raidit définitivement.

Marc aida Tara, qui tremblait comme une feuille sous un vent d'orage, à se débarrasser du segment de langue qui lui enserrait la taille. Il formait une sorte de câble gluant de la grosseur d'un bras. Avec peine, Marc le décolla des hanches de la jeune femme où s'était imprimé un gros sillon violacé. Dans les bras du Terrien, Tara retrouva un peu de calme.

-Merci, souffla-t-elle. Sans toi, ce kelam m'aurait dévorée. On ne se méfie jamais assez de son immense langue !

Ray émit à l'intention de Marc :

-Animal non encore répertorié sur Korz. Il paraît avoir certaine ressemblance avec les caméléons terriens qui capturent ainsi leurs proies à très grande distance. Du travail en perspective pour les experts en xénozoologie !

Tara qui avait retrouvé son sang-froid, remarqua :

-Cette fois nous aurons une énorme provision de nourriture.

L'estomac de Marc se contracta douloureusement à l'idée de goûter à cette bestiole. Toutefois, il domina son premier réflexe et tendit son poignard à la fille en disant d'une voix sèche :

-Choisis les morceaux qui te plaisent. Si tu veux manger, il faudra me montrer de quoi tu es capable.

Ce rappel de l'autorité du mâle ne parut pas choquer Tara qui saisit le poignard et s'élança vers le cadavre du kelam. D'un geste vif, elle entailla la peau du dos.

Ravie du tranchant du faux silex, elle poussa un grognement satisfait et travailla rapidement. Elle découpa dans les masses musculaires lombaires de longs morceaux de viande rouge puis à l'aide de lianes tressa vivement des paniers.

Marc admira pendant une heure ses mouvements vifs et précis. Elle revint portant péniblement trois sacs contenant chacun au moins dix kilos de viande.

-Nous ne pourrons en porter plus, soupira-t-elle. Quel dommage de devoir abandonner autant de nourriture ! Maintenant nous devrions partir rapidement avant que tous les fauves de la forêt, attirés par l'odeur, nous assaillent !

Tandis qu'elle tentait d'arrimer une charge sur ses épaules, Ray saisit d'une main les trois filets.

-Je m'en occupe. Lorsque je serai fatigué, vous les porterez à votre tour.

Le groupe marcha tout l'après-midi, guidé par Tara. A deux reprises, elle proposa à Ray de l'aider mais l'androïde lui fit signe de continuer à avancer.

Au coucher de soleil, ils s'arrêtèrent près d'un petit ruisseau qui serpentait doucement entre les arbres. Après s'être longuement désaltéré, le trio s'attaqua à la confection du dîner. Tandis que Ray s'occupait de ramasser le bois et d'allumer un feu, Tara avait taillé une longue branche et avait enfilé un beau morceau de viande qu'elle présenta au-dessus de la braise.

Patiemment, elle tournait lentement pour rôtir également toutes les faces. Marc qui jusqu'alors s'était contenté de jouer les spectateurs, alla ramasser deux branches terminées par une fourche et les ficha en terre de part et d'autre du foyer. Puis il saisit la broche improvisée et l'installa sur les deux fourches.

-Ainsi, expliqua-t-il, tu n'auras qu'à tourner.

La jeune femme comprit aussitôt. Profitant de ce qu'elle avait les mains libres, elle ramassa vivement des herbes qu'elle jeta dans le feu. Il s'éleva aussitôt une odeur agréable rappelant le thym et le romarin.

Lorsqu'elle jugea la cuisson satisfaisante, Tara souleva la broche et la porta à Ray et à Marc qui s'étaient assis contre un arbre. Le Terrien un peu embarrassé saisit le rôti à pleines mains et se tailla une tranche épaisse. Pour ne pas attirer l'attention de la jeune femme, Ray l'imita. Ses constructeurs l'avaient doté d'une bouche et d'une arrière-cavité où ce qu'il avalait était analysé si besoin puis désintégré. L'énergie, même minime, servait à recharger son générateur atomique.

Marc goûta prudemment son étrange bifteck. La viande était un peu brûlée à l'extérieur, crue au centre, mais relativement tendre. Comme il n'avait rien pris depuis le matin, il fut content d'absorber une nourriture consistante, s'efforçant d'oublier qu'elle provenait d'une affreuse bestiole. Remarquant que Tara restait immobile, il demanda :

-Pourquoi ne manges-tu pas ? N'as-tu pas faim ?

-La coutume veut que les chasseurs mangent d'abord, répondit-elle avec une certaine acrimonie dans la voix.

Marc songea avec amusement à toutes les ligues féminines de l'Union Terrienne qui, lassées d'une trop grande égalité, combattaient pour reconquérir leurs anciens privilèges ! Nul doute qu'elles obtiendraient la censure de cet enregistrement !

Le Terrien saisit le rôti et lui tendit :

-Prends, tu as participé à la chasse en servant d'appât !

Après un instant d'hésitation, Tara saisit le morceau de viande et mordit dedans à pleines dents.

Rassasié, Marc contemplait avec effarement Tara qui continuait de mastiquer jusqu'à la dernière fibre musculaire.

-Depuis quand jeûnais-tu ?

-Ces dernières semaines, les chasses ont été mauvaises. Rilos et ses guerriers pouvaient à peine se nourrir et ne laissaient aux femmes et aux enfants que des os avec très peu de viande !

Après un instant de silence, elle reprit :

-Tu es un grand chasseur ! Je ne comprends pas encore comment, à vous deux, vous avez réussi à tuer un kelam.

-Tu nous as bien aidés, ironisa Marc. Une fois sa langue tranchée, il est moins dangereux. Toutefois, je crois que nous avons eu beaucoup de chance ! Ton village est-il encore loin ?

Tara eut un geste d'ignorance.

-Deux, trois jours, peut-être plus...

CHAPITRE VIII

Marc se laissa tomber au pied d'un arbre avec un soupir de soulagement. Le soleil était au zénith et bien que tamisé par les branches des arbres, il chauffait durement.

Cela faisait maintenant quatre jours que le Terrien avait débarqué sur Korz et il regrettait presque de ne pas avoir suivi le conseil de Ray d'appeler le module.

Les provisions de viande étaient presque épuisées, Tara ayant matin et soir fait preuve du même appétit. Marc sourit en songeant que chaque nuit, elle recherchait aussi sa compagnie et que sur ce chapitre, elle commençait à profiter des leçons.

La jeune femme lui apporta une tranche de viande cuite le matin même.

-Bientôt il faudra chasser, dit-elle. Nous ne sommes plus pressés car nos poursuivants ont été obligés d'abandonner.

-Qui le sait ?

-Ils sont trop loin de leur village et n'oseraient se risquer sur le territoire de mon père, surtout depuis que Rilos est mort.

-Espérons-le, soupira Marc, qui aurait volontiers effectué une petite sieste pour effacer les fatigues de la marche et... de la nuit précédente !

Après s'être soigneusement léché les doigts, Tara se releva.

-Il est temps de partir, dit-elle.

Marc réprima une grimace.

-Es-tu certaine au moins que nous sommes toujours dans la bonne direction?

-Mon village ne peut guère être éloigné, maintenant.

Ray émit alors, rassurant :

-La fille marche comme si elle avait une boussole dans la tête ! Sois tranquille.

-Dans ce cas, en route, soupira Marc.

La forêt était moins dense et le sol légèrement en pente comme en témoignaient des ruisseaux coulant doucement.

Vers le milieu de l'après-midi, Tara poussa un cri de joie :

-La rivière ! La rivière !

Elle courut, se plongea dans l'eau. Marc eut un instant d'hésitation.

-Tu peux l'imiter, dit Ray. Ton bronzage artificiel et l'odeur qui y est incorporée résisteront. De plus, il n'y a pas d'animaux hostiles. De toute façon, je te surveille.

Satisfait, Marc rejoignit aussitôt Tara qui s'ébrouait comme un jeune chien dans l'eau. Il éprouva aussitôt une merveilleuse sensation de fraîcheur et se frictionna vigoureusement pour se débarrasser de la sueur et de la poussière accumulée ces jours derniers.

Après avoir joué un long moment avec la jeune femme, ils allaient sortir de l'eau lorsqu'ils furent soudain entourés par une dizaine de guerriers brandissant des sagaies.

Paralysée un instant par la surprise, Tara sortit de l'eau en agitant les bras.

-Non, non, ce sont des amis? Ils m'ont délivrée de Rilos !

Un guerrier au torse puissant et à la chevelure grisonnante, s'avança lentement. Aussitôt Tara s'élança vers lui.

-Père ! Père !

Les effusions terminées, le colosse s'avança vers Marc resté immobile au bord de la rivière.

-Je suis le chef Kioz. Soyez les bienvenus dans ma tribu.

Marc remercia brièvement et la troupe se mit en route vers le village, bien grand mot pour désigner une accumulation d'une douzaine de huttes de branchages.

La nouvelle du retour de Tara s'était répandue à vive allure car femmes et enfants sortirent des abris pour l'entourer avec de grands cris de joie.

-Ils ne sont qu'une centaine, enfants compris, émit Ray qui enregistrait tous les détails.

Le chef Kioz conduisit Marc devant sa cabane et leur fit signe de s'asseoir.

-Tara m'a conté comment vous l'avez sauvée de la vengeance de Rilos et de la gueule d'un kelam. Jamais je n'aurais cru cela possible.

Une femme âgée aux seins tombants apporta des jattes creusées dans du bois, emplies d'un liquide blanchâtre. Rapidement elle en tendit une à chaque homme.

Le chef donna l'exemple en vidant d'un trait le breuvage.

-Ce n'est que de l'eau dans laquelle on a fait macérer des herbes, émit aussitôt Ray.

Le rituel de l'accueil terminé, Kioz questionna Marc qui affirma venir d'un lointain village du nord.

-Si vous souhaitez rester parmi nous, je vous offre ma protection.

-Nous sommes très honorés et nous te remercions, répondit Marc. Nous souhaitons effectivement nous reposer quelques jours pour commencer.

-Dans ce cas, vous pourriez coucher dans ma demeure.

Ayant senti l'odeur épouvantable qui se dégageait de la hutte, Marc suggéra :

-Si tu nous l'autorises, grand chef, nous préférons construire à côté une petite case pour nous abriter.

-Agis comme tu l'entends, ami !

Regardant le soleil encore haut, Marc annonça :

-Dans ce cas, nous allons nous mettre immédiatement au travail !

Ils s'éloignèrent en forêt d'une centaine de mètres pour être à l'abri des regards indiscrets et Ray sectionna vivement au laser des branches tandis que Marc cueillait de larges feuilles dont les indigènes se servaient pour confectionner les toits. Puis ils retournèrent au village.

Aidés de Tara, ils dressèrent les pieux puis des branchages et enfin posèrent les feuilles. Marc espéra fortement qu'il n'y aurait dans la contrée ni orage ni vent violent.

La nuit tombée, le Terrien rejoignit Kioz qui se tenait devant un feu, entouré d'une douzaine de guerriers. Le chef le fit asseoir à sa droite en disant :

-Ce soir, notre repas sera triste car depuis deux jours la chasse a été mauvaise, espérons que demain sera un jour meilleur.

Tara et la femme âgée apportèrent au chef un cuissot de taille respectable mais qui exhalait une forte odeur de faisandé. Avec un poignard de silex, il tailla d'épaisses tranches. Marc et Ray furent servis les premiers puis Kioz poursuivit sa distribution selon un rite qui semblait solidement établi.

En mordant dans sa part, Marc sentit son estomac se convulser tant l'odeur de pourri était forte.

Le chef qui mangeait d'un solide appétit, expliqua :

-La viande est un peu ancienne mais les vers sont tout jeunes  !

Profitant de ce que l'attention de chacun était concentrée sur sa nourriture, Marc glissa sa part à Ray qui l'engloutit vivement. Le repas terminé, le Terrien remarqua un vieil homme maigre, les cheveux tout blancs, qui se tenait à la gauche de Kioz.

-Homme-sage, souhaite te poser des questions, dit le chef.

Marc acquiesça de la tête.

-Dans ton lointain village, honore-t-on aussi un dieu?

Heureusement Ray vint au secours de Marc en émettant psychiquement :

-La précédente exploration mentionne que dans les villages étudiés, les habitants semblaient monothéistes.

La réponse de Marc parut satisfaire le sorcier qui marmonna cependant :

-Notre Dieu n'aime guère les chasseurs isolés. Toutefois, si tu respectes nos coutumes, tu n'auras rien à craindre de sa colère !

Comme le Terrien étouffait un bâillement discret, Kioz lui dit :

-Tu as mérité de te reposer. Dors sans crainte, des guerriers veillent en permanence autour du feu ! Demain à l'aube, nous partirons chasser.

Marc, escorté de Ray, se retira sous sa hutte de branchages. Il s'allongea sur le sol dur en grognant :

-Demain, fais-moi penser à ramasser des feuilles pour me confectionner une petite litière.

Avant de s'endormir, il murmura encore :

-As-tu essayé de contacter par radio l'androïde de Norton ?

-Merci de la suggestion, ironisa Ray, mais depuis notre arrivée sur Korz, j'émets un message toutes les deux heures, sans jamais obtenir de réponse !

CHAPITRE IX

Marc fut réveillé aux premières heures de l'aube. Il se leva et s'étira longuement pour dissiper les courbatures qu'il ressentait. Il n'était pas encore réhabitué à dormir à même le sol. Au centre du village, les chasseurs étaient déjà rassemblés, entourés des enfants qui, silencieusement, les regardaient. Les plus grands attendaient avec impatience le moment où ils seraient admis à participer aux battues, ce qui signifiait qu'ils auraient une plus grande part des bêtes tuées.

-Tu noteras, émit Ray, qu'ils souffrent tous de sous-alimentation chronique. Certains même avec leur gros ventre présentent des signes marqués de carence alimentaire.

D'un geste autoritaire, Kioz donna le signal du départ. Les guerriers marchèrent en file une quinzaine de minutes puis le chef expliqua :

-Nous allons nous diviser en deux groupes et encercler une portion de la rivière ; souvent des lantis viennent s'y désaltérer.

Marc suivit Kioz tandis qu'un guerrier aux traits massifs et à la chevelure hirsute, prenait le commandement du second groupe.

Ils marchèrent ainsi deux heures puis Kioz divisa sa troupe.

-Nous allons nous déployer et marcherons dans cette direction à cinquante mètres d'intervalle.

Montrant à Ray et Marc leur poste, il précisa :

-Vous avancerez lorsque vous m'entendrez crier.

Les Terriens patientèrent une bonne demi-heure puis au signal se mirent en route. Peu après Ray rejoignit Marc.

-Inutile de nous presser, dit-il. En utilisant mes antigrav, je me suis hissé au sommet d'un arbre. Mes détecteurs n'ont repéré aucun animal jusqu'à la rivière !

Ils marchèrent côte à côte lorsque Marc repéra dans le sol d'une vingtaine de centimètres.

-Ce sont des terriers qui abritent des animaux ressemblant à de gros lapins mais dont les poils seraient remplacés par des écailles.

Marc réfléchit rapidement.

-Procure-moi un morceau de bois et une liane mince et solide.

Ray obéit aussitôt. Sur les indications de Marc, il planta le piquet dans le sol tandis que ce dernier avec la liane faisait un noeud coulant qu'il disposa à l'orifice du terrier.

-Espérons que le collet fonctionnera correctement. Note bien l'emplacement, nous reviendrons ce soir. Maintenant rejoignons nos amis.

En pressant le pas, ils arrivèrent pratiquement en même temps que les autres chasseurs qui se regroupaient autour de Kioz qui marmonna :

-Mauvaise journée ! Les lantis ne viennent plus par ici ! Ce soir les enfants auront encore faim !Soudain un chasseur resté à l'écart poussa un hurlement de douleur et ficha brutalement sa lance dans le sol. Puis il fit quelques pas et s'écroula.

Tous coururent vers lui. Sa peau avait pris une teinte cyanosée, violette, marbrée par endroits de traces livides.

Avec répugnance, Marc vit que la sagaie avait transpercé une énorme araignée de couleur orange, ressemblant à une mygale dont le corps mesurait une bonne cinquantaine de centimètres.

-Raxul, murmura Kioz. Sa piqûre est toujours mortelle. Eloignons-nous, car ces immondes bêtes vivent en groupes et il y en a sûrement d'autres à l'affût dans les buissons. Il ne leur faut que quelques heures pour dévorer leur victime. Je comprends maintenant pourquoi les lantis ont fui cet endroit !

Deux guerriers ramassèrent le corps de leur camarade tandis que les autres avançaient avec précaution la lance levée. Ray se rapprocha de Marc pour le précéder, tous ses détecteurs en éveil. Par deux fois sa lance cloua au sol un raxul, ce qui lui valut un regard admiratif de Kioz. Peu après le chef dit, en s'épongeant le front :

-Je pense que nous sommes sortis de la zone dangereuse. Il nous faut maintenant conduire Kotz à la caverne du grand repos.

Sans un mot, les chasseurs se remirent en marche, d'un pas lent, se relayant pour porter le mort. Une bonne heure plus tard, ils atteignirent une vaste clairière où quelques rochers étaient accumulés. Ils déposèrent le corps sur un petit talus herbeux et tandis que le chef marmonnait des paroles incompréhensibles, ils se mirent à pousser un volumineux roc de forme ronde et de la hauteur d'un homme.

La pierre roula découvrant l'orifice circulaire d'un puits.

Kioz ayant terminé ce qui devait être une prière, deux chasseurs saisirent le cadavre et le laissèrent tomber dans le puits. Ce dernier devait être profond, car il fallut plusieurs secondes avant d'entendre un bruit sourd. Rapidement, les guerriers roulèrent le rocher qui reprit sa place primitive.

-Retournons au village, dit Kioz, et demandons à Homme-sage d'implorer pour nous la clémence du dieu.

Marc hésita un instant mais l'idée de devoir encore une fois sentir l'odeur de la viande grouillante de vers le décida.

-Avec ta permission, chef Kioz, je voudrais retourner vers la rivière. Peut-être aurai-je la chance de trouver du gibier.

Le chef hocha sa tête massive et répondit en désignant le soleil au zénith.

-C'est peu probable. A cette heure les lantis sont bien cachés dans les fourrés. Enfin, agis comme tu l'entends.

Fort de la permission accordée, Marc s'éloigna rapidement. Lorsqu'il eut atteint la rivière, il se baigna avec satisfaction puis dit à Ray :

-Remonte doucement le courant. Il doit bien exister quelques poissons !

-Exact ! J'ai repéré des animaux qui ressemblent aux saumons de la terre.

-Débrouille-toi comme tu le veux mais pêche m'en une bonne quantité. Je t'attends à l'ombre de cet arbre.

-D'accord mais fais-moi le plaisir d'augmenter la puissance de ton écran. Je ne voudrais pas te retrouver dans la gueule d'un de ces monstres qui semblent peupler cette planète !

-Tu es une vraie mère poule, ricana Marc qui cependant suivit le conseil.

Ray s'éloigna lentement, marchant dans l'eau peu profonde sur les bords. Il ne tarda pas à repérer une petite chute. Là, les saumons semblaient s'amuser à sauter les rochers pour se laisser ensuite glisser dans le courant

S'étant assuré de l'absence de tout regard indiscret, l'androïde s'approcha doucement. Dès qu'un poisson sortit de l'eau, un éclair jaillit du front de Ray, électrocutant l'animal qu'il ramassa ensuite d'un geste vif.

Patiemment, il renouvela sa manoeuvre une douzaine de fois. C'est chargé d'une bonne centaine de kilos de saumon qu'il rejoignit Marc. Ce dernier avait coupé des joncs longs et fins et avait entrepris de confectionner une nasse rudimentaire.

-Que penses-tu de mon oeuvre ? dit-il fièrement.

-Heureusement, bougonna Ray, que j'ai interrompu mes enregistrements avant d'avoir commencé à pêcher. Tu tiens vraiment à avoir des ennuis avec la commission de non-immixtion ! En aucun cas tu ne dois introduire sur une planète des techniques nouvelles !

-Je ne le sais que trop, soupira Marc, mais cette communauté misérable me fait réellement pitié. Ce n'est pas quelques morceaux de joncs tressés qui modifieront leur évolution.

-Qui sait si leur évolution naturelle n'est justement pas de disparaître pour laisser place à une autre forme d'intelligence qui, elle, aura mieux su s'adapter?

-Tu m'embêtes avec ta logique, grimaça Marc. Allons essayer mon engin.

Il choisit un endroit où le courant n'était pas trop fort et cala la nasse avec de grosses pierres.

-Nous reviendrons demain. Pour l'instant retournons au village. Enfile le produit de ta pêche sur une branche pour faire croire que nous avons péché à la sagaie. Sur le chemin du retour nous ramasserons notre collet.

Avec satisfaction, Marc vit une curieuse sorte de lapin à écailles qui s'était étranglé en voulant sortir de son terrier. Il le ramassa et les deux Terriens poursuivirent leur marche.

Ils atteignirent le village à la nuit tombante. Toute la population était rassemblée à une extrémité devant un pieu de bois massif de trois mètres de haut, très grossièrement sculpté, sorte de totem de la tribu.

Homme-sage psalmodiait des bribes de phrases, agenouillé devant le totem tandis que le reste des habitants se tenait à distance respectueuse. L'arrivée des deux Terriens paraissant porter péniblement leur monceau de provisions, causa un vif remue-ménage qui perturba l'office.

Marc et Ray déposèrent sans un mot le produit de leur pêche aux pieds de Kioz. Le chef inclina gravement la tête et fit signe aux femmes de commencer à préparer le repas. Avec une fébrilité mélangée à des cris joyeux, elles grattèrent les poissons, les vidèrent et les enfilèrent sur des branches qu'elles présentèrent au-dessus des flammes, tandis que les enfants les saupoudraient d'herbes aromatiques. Rapidement, il s'éleva au-dessus du foyer une puissante odeur de poisson grillé qui, comparée à celle de la viande pourrie, chatouilla agréablement les narines de Marc.

Peu de temps après, les chasseurs s'installèrent autour du feu selon la même hiérarchie que la veille. La première, Tara présenta un saumon à son père qui préleva habilement un filet avec son poignard de silex, puis il ordonna de servir Marc.

La jeune fille avec un sourire et les yeux brillants s'agenouilla devant le Terrien qui se servit en imitant Kioz tandis qu'elle murmurait :

-Cette nuit... je viendrai...

Rapidement, grâce à la diligence des femmes, chaque guerrier fut servi. L'abondance était telle que pour une fois chacun, enfants compris, put manger à sa faim.

Avec un clin d'oeil complice, Marc désigna à Ray un gamin de cinq à six ans, assis par terre suçant une énorme tête de poisson comme s'il s'agissait d'une inestimable friandise. Son visage rayonnant de joie était si poignant que Marc murmura :

-Ce sourire d'enfant, à lui seul, justifie une petite entorse à ta loi de non-immixtion.

Lorsque les estomacs furent bien lestés, Homme-sage murmura le visage soucieux :

-Comment avez-vous pu tuer tant de poissons alors qu'un bon chasseur peut passer tout un jour avant d'en harponner un seul ?

-Mon ami est très habile avec sa sagaie, n'a-t-il pas piqué deux raxuls?

-C'est exact, approuva aussitôt Kioz. Je n'ai jamais vu un guerrier réagir aussi vite !

A demi satisfait, Homme-sage reprit :

-Le virls, lui, ne portait aucune blessure.

Marc comprit que le sorcier faisait allusion au pseudo-lapin. Il détacha le collet de son avant-bras droit autour duquel il l'avait enroulé.

-Là, j'ai agi par ruse.

Avec minutie, il expliqua comment le piège fonctionnait.

-Très ingénieux, murmura le chef qui avait suivi les explications, le visage crispé par l'effort d'attention.

-Malheureusement, soupira Homme-sage, je ne pense pas que cette innovation soit appréciée par notre dieu.

-Il y a des lunes et des lunes que j'agis ainsi, affirma Marc avec aplomb.

-Tu as peut-être eu beaucoup de chance. Il se pourrait que bientôt tu rencontres un envoyé du dieu qui te fera payer de ta vie ton audace. Espérons que sa colère ne tombera que sur toi et épargnera le village !

Marc aurait voulu poursuivre la discussion avec le sorcier mais le chef après une éructation sonore déclara :

-Maintenant que nos estomacs sont pleins, il est temps d'aller dormir si nous voulons pouvoir chasser demain.

A regret, le Terrien gagna sa hutte, tandis qu'Homme-sage allait s'agenouiller devant le totem. Marc s'allongea en grognant :

-Avec tout cela, j'ai oublié de me confectionner une litière.

Il allait s'endormir quand, dans l'obscurité, il sentit un corps se glisser contre le sien.

-J'ai dû attendre, chuchota Tara, qu'ils soient tous endormis. Hier cela m'a été impossible, mais ce soir, après le festin que nous te devons, cela a été beaucoup plus rapide.

Rapidement, Tara parvint à ses fins et ronronna de plaisir tandis que Ray, philosophe, avait depuis longtemps débranché ses enregistreurs.

CHAPITRE X

Kioz avait conduit le groupe des chasseurs vers la rivière mais très nettement en amont. Une fois encore le sort ne leur avait pas été favorable et personne n'avait vu de lantis.

Accablé par cet échec, Kioz marchait silencieux, la tête basse, en compagnie de Marc.

-Les lantis semblent avoir migré très loin. La peur des raxuls peut en être la raison. J'espérais qu'ils avaient seulement remonté la rivière mais ce n'est pas le cas. Ces hardes ont très bien pu aller chercher un autre cours d'eau.

-Pourquoi n'envoies-tu pas des éclaireurs dans toutes les directions, à la recherche du gibier? Si les lantis sont installés ailleurs, il suffit de reconstruire le village là où la nourriture est abondante.

Kioz secoua vivement la tête, l'air effrayé.

-Cela ne se peut ! Dieu a fixé l'emplacement de nos villages et nous ne pouvons les quitter sans encourir sa colère.

Ils traversaient une petite clairière lorsque des cris éclatèrent suivis d'un fracas de branches brisées. Un animal impressionnant sortit de la forêt, déracinant au passage un arbre qui s'abattit avec fracas. Il avait la morphologie d'un éléphant terrestre mais avec une trompe courte, de très longues défenses acérées et un corps couvert de larges écailles qui crissaient curieusement quand il avançait.

-Un touk! s'exclama Kioz en brandissant sa lance. C'est notre dernière chance de survie.

Il allait s'élancer quand Marc le saisit par le bras.

-Jamais tu ne pourras affronter seul un tel mastodonte !

-Je sais qu'il faut l'atteindre à l'oeil !

-C'est de la folie, tu vas te faire tuer.

Le chef émit un rire triste.

-Mieux vaut mourir au combat que de crever misérablement de faim !

Se dégageant d'un geste vif, il s'élança vers sa proie. Le touk s'était arrêté, humant l'air de sa courte trompe. Lorsqu'il eut repéré le chasseur qui avançait vers lui, il chargea.

Kioz s'immobilisa. Lorsque l'animal ne fut plus qu'à quelques mètres de lui, il fit un saut de côté et lança sa sagaie de toutes ses forces. Malheureusement la pointe de silex frappa la joue où elle ne causa qu'une minime entaille. Le corps massif bouscula Kioz qui boula sur l'herbe. Le choc avait dû être rude car il resta immobile.

Le touk rendu furieux par la dérobade de son adversaire, s'arrêta une dizaine de mètres plus loin et amorça un demi-tour.

Marc réalisant que Kioz toujours inconscient allait être piétiné et écrasé, lança :

-Ray attaquons chacun d'un côté !

Sûr d'être obéi, le Terrien s'avança en hurlant. Le touk voyant soudain deux adversaires, s'immobilisa en lançant un barrissement de colère.

Marc arriva sur la gauche de l'animal et visa l'oeil, minuscule cible pour un si grand corps. La lance manqua son but de quelques centimètres, éraillant seulement la paupière.

Heureusement Ray était intervenu sur la droite. Projetée avec force et avec une précision électronique, la lance pénétra profondément dans l'oeil, atteignant le cerveau.

Le touk poussa un hurlement déchirant, se dressa sur ses pattes arrière et tomba comme une masse. Marc avait reculé précipitamment, ce qui lui évita d'être écrasé par le corps du mastodonte.

Quelques convulsions agitèrent encore les pattes puis le touk s'immobilisa. Tandis que Ray méticuleux récupérait calmement sa lance et celle de son ami, Marc se précipita vers Kioz qui se relevait péniblement. Il l'aida à se redresser.

Apparemment le chef était étourdi mais ne présentait pas de blessures sérieuses. S'appuyant sur l'épaule du Terrien, il effectua quelques pas chancelants, contemplant incrédule le corps monstrueux du touk.

A ce moment, tous les autres chasseurs accoururent, poussant des cris de joie. S'étant assurés de la mort du mastodonte, ils entreprirent aussitôt de le dépecer.

Kioz soutenu par Marc alla s'asseoir au pied d'un arbre.

-Merci, murmura-t-il, grâce à vous, nous allons avoir de la viande pour plusieurs semaines.

Le Terrien contempla l'immense carcasse et demanda :

-Comment allez-vous la transporter au village ?

-Nous découperons la viande et la fumerons sur place, puis nous ramènerons les morceaux, aidés par les femmes et les enfants.

Déjà un guerrier était parti au pas de course avertir le village de cette provende inespérée, tandis que trois autres allumaient un feu gigantesque.

Marc les regarda un long moment puis demanda à Kioz :

-Ils en ont pour des heures. Ne veux-tu venir avec nous à la rivière? Je voudrais te montrer quelque chose.

Le chef acquiesça et ils se mirent en route. Suivant Ray, ils atteignirent rapidement le cours d'eau à l'endroit où Marc avait laissé sa nasse. Un beau saumon argenté était prisonnier du piège. Marc expliqua longuement comment l'animal pouvait pénétrer mais était incapable de ressortir.

Kioz, intéressé, écouta les sourcils froncés par la réflexion.

-Vous pourriez en confectionner un bon nombre, ce qui assurerait au village un minimum de ravitaillement les jours où la chasse est mauvaise.

-C'est très efficace, murmura-t-il, mais nous ne pouvons agir ainsi. Dieu ne le permettrait pas.

Devançant la protestation de Marc, il ajouta :

-Lorsque j'étais très jeune, mon père avait imaginé un piège un peu semblable.

-Et alors ?

-L'envoyé du dieu est venu et l'a frappé. Quand nous l'avons porté à la caverne du grand repos, son visage était ridé et ses cheveux étaient blancs.

Marc resta un long moment songeur, interrogeant mentalement Ray.

-La précédente exploration n'a pas signalé ce genre de croyance. Toutefois, elle a été très superficielle et il est possible que les contacts aient été trop brefs pour que les primitifs en fassent état.

Tout en réfléchissant, Marc montra le saumon.

-Crois-tu donc qu'il faille le relâcher ?

Kioz hésita. Son expression traduisait le dilemme qui envahissait son esprit. A plusieurs reprises, il passa la langue sur ses grosses lèvres, regarda le soleil haut dans le ciel et inspecta les environs comme si des dizaines de paires d'yeux l'épiaient.

-Ce n'est peut-être pas indispensable, articula-t-il. Nous n'en parlerons pas à Homme-sage ! J'avoue que depuis plusieurs semaines mon estomac crie famine et j'ai conservé un excellent souvenir du festin d'hier.

-Nous en ferons un autre ce soir, remarqua Marc.

-Certainement, mais le jour n'en est encore qu'à sa moitié.

Sur un signe, Ray s'empara du saumon qu'il gratta tandis que Marc et Kioz préparaient un feu. Le Terrien admira la dextérité avec laquelle le primitif maniait les silex pour en faire jaillir les étincelles qui enfin embrasèrent la mousse très sèche.

Rapidement les flammes s'élevèrent et léchèrent le poisson que Ray avait embroché et suspendu au-dessus du feu.

Lorsqu'il ne resta plus que l'arête centrale, Kioz s'empara de la tête qu'il éplucha jusqu'à la moindre miette.

Avec un demi-sourire, Marc dit :

-Je laisse la nasse dans l'eau. Lorsque vous désirerez un poisson, vous pourrez toujours venir le prendre. Si j'ai commis une faute, qu'elle retombe sur moi seul !

Repu et souriant, Kioz s'allongea à demi et tapota son ventre d'un air satisfait. A dire vrai, il avait avalé à lui seul les trois quarts du poisson, Marc n'ayant prélevé qu'un filet et Ray pour donner le change avait surtout absorbé les arêtes latérales et les nageoires.

-J'ai une meilleure idée, murmura Kioz. Aujourd'hui Ray et toi avez prouvé que vous êtes de grands chasseurs. Pourquoi ne vous intégreriez-vous pas à la tribu? Chacun sera fier de vous accepter.

Il ajouta d'un ton légèrement ironique :

-J'ai cru comprendre que Tara ne répugnerait pas à l'idée de vivre avec toi. Très facilement, dans peu d'années, tu pourrais me succéder. La charge des responsabilités pèse lourdement sur mes épaules et je serais heureux de te les confier. Avec toi à sa tête, la tribu pourrait prospérer, mais il faut promettre d'abandonner toutes tes inventions qui ne peuvent qu'attirer la colère du dieu.

-Qui sait si l'avis du dieu n'a pas changé? Depuis le départ de ma tribu, j'utilise nasses, collets et d'autres pièges pour me nourrir et je suis toujours vivant !

Kioz, craintivement, regarda le ciel et chuchota :

-Peut-être as-tu eu beaucoup de chance? Je sais que l'envoyé de dieu n'est certainement pas loin d'ici !

Comme le chef retombait dans un mutisme farouche, Marc reprit :

-Ta proposition de me joindre à la tribu m'honore grandement, mais pour l'instant je ne me sens pas en droit d'accepter. Lorsque j'ai quitté mon village, j'étais accompagné de deux amis en plus de

Ray. Un jour, un violent orage nous a séparés. Depuis je les cherche.

Kioz sursauta violemment.

-Il est inutile que tu poursuives ta quête, marmonna-t-il.

Au comble de l'exaspération, Marc hurla :

-Pourquoi? Au nom de notre amitié, je te conjure de parler !

Le chef hésita un long moment avant de déclarer :

-Il y a deux lunes environ, nous chassions dans la direction du soleil levant, non loin de la colline maudite. Le gibier était rare et fuyant. Toutefois, nous avons blessé un lantis. Nous suivions sa trace marquée par des gouttes de sang lorsque nous avons découvert deux cadavres. L'un ressemblait beaucoup à Ray.

-C'était son frère, grimaça Marc et l'autre ?

-Le second avait certainement rencontré un envoyé du dieu. Il ressemblait à mon père après sa mort, avec les cheveux blancs, le visage sillonné de rides et le corps tassé !

-Les avez-vous laissés là-bas ?

Kioz secoua la tête.

-Comme nous avions récupéré le lantis, nous les avons portés dans la caverne du grand repos pour éviter qu'ils ne soient la proie de fauves !

Marc perplexe garda un long silence que Kioz respecta. Puis il se leva.

-Il est temps de rejoindre les chasseurs, soupira-t-il.

Autour du touk régnait une vive agitation. Les hommes avaient terminé d'écorcher la bête et d'énormes morceaux de viande étaient suspendus au-dessus de trois feux. Régulièrement des enfants jetaient sur le brasier des poignées d'herbes odorantes qui dégageaient une épaisse fumée.

Dès qu'un homme jugeait la viande suffisamment fumée, elle était mise dans un filet de lianes que deux femmes emportaient. A bonne distance, des guerriers faisaient cercle, lance au poing, pour écarter des charognards attirés par l'odeur du sang.

A l'arrivée du trio, une dizaine de fauves ressemblant à des hyènes mais au pelage presque noir, grondant et gueule ouverte, pressaient vivement trois chasseurs qui devaient lentement reculer.

Ray intervint avec son efficacité coutumière. D'un mouvement vif, il transperça deux bêtes et saisissant les corps par la queue, il les expédia à la limite de la forêt. Aussitôt leurs congénères peu regardants se disputèrent pour les déchiqueter.

Laissant Ray et Marc en sentinelles, les chasseurs ainsi libérés, purent aider ceux qui achevaient de découper le touk. La besogne progressait rapidement au milieu des exclamations joyeuses, chacun pensant à l'immense festin du soir.

Le soleil avait déjà dépassé la cime des arbres quand Kioz, satisfait, donna le signal du départ, chaque homme ployant sous une lourde charge.

En grande cérémonie, Ray avait reçu la trompe et les défenses de l'animal.

-A celui qui a triomphé, doivent revenir les honneurs, avait déclaré Kioz.

Encouragé par Marc, Ray avait remercié et la troupe s'était mise en route.

Marc peinait sous les trente kilos qui pesaient sur ses épaules et il ne tarda pas à être le dernier de la colonne. Heureusement pour lui, Ray le soulagea alors de son fardeau.

CHAPITRE XI

La nuit était fort avancée quand Marc se glissa hors de sa hutte. Autour du feu, quatre guerriers gorgés de nourriture somnolaient. Suivi de Ray, il gagna rapidement l'ombre de la forêt.

Le repas du soir avait paru interminable à Marc. D'abord il avait fallu attendre qu'Homme-sage, agenouillé au pied du totem, remerciât longuement le dieu de sa générosité. Puis les agapes avaient commencé. Au début, Marc avait avalé avec plaisir des morceaux fort bien grillés jusqu'à ce qu'il comprenne que c'étaient les reins et le foie de l'animal.

Ces organes ne pouvant se conserver devaient être consommés immédiatement. Par la suite, le Terrien avait eu beaucoup de mal à refuser les parts que Tara attentionnée lui apportait avec fréquence et régularité.

Enfin Kioz, dodelinant, la panse gonflée, gagna sa case. Marc pensa que, repu, chacun allait s'endormir rapidement. C'était compter sans Tara qui s'amena avec une idée fort précise en tête. Pour ne pas attirer l'attention, Marc lui fit l'amour, alternant fougue et douceur.

Lorsqu’enfin comblée, elle allait s'endormir dans les bras de son amant, Marc la poussa doucement dehors. A regret, elle consentit à partir pour ne pas réveiller les soupçons déjà très vifs de sa famille.

Lorsqu'il eut marché près d'un kilomètre, Marc constata en regardant la lune :

-Nous n'aurons jamais le temps de faire l'aller et retour d'ici le lever du jour. De plus, je suis fort fatigué !

-A qui la faute, rétorqua Ray ironiquement. Pourquoi faut-il que tu gaspilles bêtement ton énergie auprès des jeunes femmes ?

-Ce n'est pas le problème, répondit aussitôt Marc avec une évidente mauvaise foi. Tu sais bien que c'est souvent la meilleure façon d'obtenir des renseignements importants !

-Je sais, je sais, soupira Ray. Veux-tu que j'utilise mes antigrav?

Devant l'acquiescement de son compagnon, l'androïde saisit Marc dans ses bras et s'éleva doucement à travers les branchages.

-Vole au ras des arbres, recommanda Marc. Ainsi, même s'il y a un indigène insomniaque, il ne pourra nous voir dans cette obscurité.

-Entendu, mais augmente un peu la puissance de ton écran pour te protéger du vent.

Vingt minutes plus tard, Ray se posa en douceur près de l'amoncellement de rochers. Une fois de plus, Marc ne put qu'admirer le merveilleux travail des ingénieurs qui avaient conçu l'androïde.

Dans l'obscure clarté qui tombait du ciel, le Terrien repéra le roc dissimulant le puits.

-Laisse-moi faire, dit Ray.

Il s'arc-bouta contre la roche, assurant bien ses pieds au sol, mobilisa son énergie et poussa. Le monolithe que six chasseurs avaient peine à mouvoir, roula doucement comme s'il ne pesait pas plus de dix kilos, dégageant un orifice circulaire de trois mètres de diamètre. Marc se pencha et reçut aussitôt une bouffée d'air pestilentiel.

Compatissant, Ray lui tendit deux petits filtres, utilisés d'ordinaire pour combattre les gaz toxiques.

-Glisse-les dans tes narines !

Le Terrien s'empressa de suivre le conseil puis maugréa :

-Il nous faut de la lumière.

Aussitôt un puissant rayon lumineux jaillit de la base du cou de l'androïde. Le puits s'enfonçait verticalement dans le sol. Ses parois paraissaient lisses et brillantes.

-Quelle profondeur a-t-il ? demanda Marc.

-Trente-deux mètres, répondit aussitôt Ray avec sa précision coutumière.

-Une fois de plus, tes antigrav vont nous être précieux. Allons-y !

L'androïde saisit Marc et se laissa tomber doucement dans le puits. Il prit contact avec le sol dans un bruit de craquements épouvantable. Le fond du puits était constitué par un amoncellement de squelettes humains.

-J'ai l'impression de violer une tombe, prononça Marc d'une voix légèrement chevrotante. Ce sont les restes des générations qui se sont succédé dans le village.

Ray qui n'était sensible ni au décor, ni à l'atmosphère, se mit au travail. Tout de suite il repéra le corps du malheureux Kotz qui avait été précipité là la veille. Il le repoussa sans ménagements excessifs.

Cinq secondes plus tard, il poussait une exclamation. La lueur de son projecteur éclaira un corps qui paraissait intact.

-C'est l'androïde de Norton! Son maître ne devrait pas être loin !

Le faisceau lumineux se déplaça légèrement et se posa sur un cadavre en état de décomposition avancée.

-Voilà Norton !

Marc qui sentait son estomac se contracter douloureusement hoqueta :

-Comment peux-tu en être certain ?

-Il porte encore sa ceinture protectrice sous son pagne.

Ray se pencha et du doigt il fouilla dans les chairs décomposées du cou pour en retirer un petit morceau de plastique hérissé de fils métalliques.

-C'est son émetteur laryngé qui a été greffé comme sur toi pour permettre de correspondre à distance avec son androïde.

Cette confirmation acheva de rendre à Marc sa lucidité.

-A-t-il également son récepteur auriculaire ?

-Effectivement ! Le veux-tu ?

-C'est inutile mais garde précieusement l'émetteur laryngé. Il porte un numéro d'ordre et il fournira la preuve que nous avons bien effectué notre mission. Maintenant, malgré l'état du corps, peux-tu savoir la cause de sa mort ?

Ray travailla longuement sous le regard impatient de Marc. Il effectua un examen complet en vision à rayons X puis pratiqua plusieurs prélèvements de tissus. Il agissait méthodiquement, apparemment sans hâte, mais Marc savait qu'en ces minutes une multitude de circuits travaillaient simultanément. Un long moment s'écoula. Comme s'il n'était pas satisfait de ses résultats, Ray recommença de nouveaux prélèvements, fouillant profondément le corps du malheureux Norton.

-Alors ? s'impatienta Marc.

Ray répondit laconiquement :

-Mes analyses ne sont pas terminées.

Abandonnant soudain le cadavre du Terrien, il se dirigea vers l'androïde qu'il retourna. Avec peine sembla-t-il à Marc, il fit jouer les mécanismes d'ouverture des plaques qui donnaient accès aux différents circuits, au générateur d'énergie, et aux cristaux mémoriels. Là encore Ray pratiqua des examens minutieux.

Marc avait l'impression qu'il était dans ce puits depuis une éternité.

Gêné par les filtres de ses narines, il respirait mal. Il n'osait bouger, sachant qu'à chacun de ses pas, il réduisait en poudre des dizaines d'os. Tenaillé par une crampe dans la jambe droite, il remua le pied. Son geste malencontreux eut pour effet de heurter un crâne qui roula pour s'arrêter contre celui de l'androïde.

-Quelles sont tes conclusions, Ray ?

Pour la première fois, Marc sentit une certaine gêne dans la voix de Ray.

-Je sais que c'est impossible, pourtant toutes les analyses sont concordantes : Norton est mort de vieillesse !

CHAPITRE XII

Marc songea qu'il était devenu fou ou que brusquement les mécanismes délicats de l'androïde s'étaient détériorés. Devant l'incrédulité du Terrien, Ray précisa :

-Le squelette présente des lésions d'arthrose dégénérative très évoluées et toutes les artères importantes sont bourrées de plaques d'athérome calcifié.

Pour éviter une nouvelle protestation de Marc, il ajouta précipitamment :

-L'androïde de Norton a subi le même sort. Son générateur d'énergie est totalement épuisé comme s'il avait fonctionné sans interruption pendant un siècle ! C'est la durée calculée à partir des éléments constitutifs du réacteur dont la radioactivité a totalement disparu.

-Il a pu y avoir une fuite d'énergie.

Ray secoua la tête.

-Ce n'est pas tout! Les circuits ont subi un vieillissement comparable et sont pratiquement hors d'usage comme les rouages mécaniques qui témoignent d'une usure intense!

L'esprit en déroute, Marc soupira :

-Sortons d'ici. J'ai besoin de respirer de l'air frais !

Ray s'immobilisa soudain.

-Curieux, murmura-t-il. Il existe une circulation d'air dans ce puits.

Lentement, il balaya les parois de son faisceau lumineux. Bientôt il découvrit derrière un amoncellement de squelettes l'amorce d'une vaste excavation.

Sans respect pour les dépouilles, il bouscula l'empilement d'os et suivi de Marc pénétra dans une sorte de galerie horizontale rectiligne d'environ 5 mètres de large sur 4 mètres de hauteur. Ils marchèrent une centaine de mètres mais furent arrêtés par un éboulement qui obstruait totalement la galerie.

-C'est bizarre, nota Ray, en palpant les parois. On dirait que la roche est vitrifiée comme si elle avait subi l'effet d'un désintégrateur.

-Je crois avoir fait la même remarque, renchérit Marc, sur les parois du puits vertical. De toute façon nous ne pouvons aller plus loin. J'ai hâte de retrouver la surface.

Le retour s'effectua sans difficulté et Ray repoussa le rocher pour masquer l'orifice du puits.

-Il nous reste moins d'une heure de nuit, nota le Terrien en constatant que la lune avait complètement disparu. Nous avons juste le temps de regagner le village.

Sans perdre une minute, Ray saisit Marc et actionna ses antigrav.

En moins d'une demi-heure, il atteignit la périphérie du village. Les hommes de garde autour du feu somnolaient toujours et les deux compères purent regagner leur hutte sans être remarqués. Marc s'allongea sur le sol avec un soupir.

-J'espère pouvoir dormir quelques heures sans être dérangé.

Le soleil était déjà bien haut sur l'horizon lorsque Marc ouvrit un oeil. Il ne se sentait guère en forme car son sommeil avait été haché de cauchemars.

Ray lui tendit une calebasse pleine d'eau.

-Bois vite, j'ai fait dissoudre deux tablettes nutritives et reconstituantes.

-Merci.

Le village présentait une allure de lendemain de fête. Quelques femmes vaquaient à des besognes ménagères et les enfants couraient autour du feu, se disputant quelques os auxquels adhérait encore un peu de viande.

-Quand repartons-nous? demanda Ray. Notre mission est terminée puisque nous avons la preuve de la mort de Norton.

Marc soupira bruyamment.

-Je crains au contraire qu'elle ne fasse que commencer. Me vois-tu expliquer au sénateur Cartney que son neveu est mort de vieillesse? A juste titre il hurlera au fou! Fort de tes analyses, il conclura que le cadavre que nous avons trouvé ne peut être celui de Norton malgré la radio laryngée et il décidera le Président à envoyer toute une armée sur Korz et cela sera la catastrophe !

-Pour les habitants ?

-Oui, mais aussi pour les militaires qui risquent de subir le même sort. Nous devons impérativement trouver l'explication de ce mystère avant de faire notre rapport au général.

-Nous ne disposons que de peu de temps ! Nous sommes déjà sur Korz depuis une semaine ! Comment comptes-tu procéder ?

Le Terrien s'assit la tête entre les mains et réfléchit à voix haute.

-Norton n'a apparemment visité aucun village. Il a été retrouvé entre ici et la colline où nous savons qu'il n'y a pas d'habitations. On peut penser que Norton a désiré explorer l'agglomération où nous sommes en premier. Par excès de prudence, il a posé son module assez loin à l'est. C'est peu après son atterrissage que lui serait arrivé son accident.

-L'hypothèse est plausible, reconnut Ray. Alors, partons-nous vers cette colline dite maudite?

-Attends ! Nous négligeons un détail essentiel : l'envoyé du dieu !

-Superstition ou légende, rétorqua Ray d'un ton méprisant.

-Toute légende comporte un fond de vérité. Kioz a été formel : Norton présentait le même aspect que son père.

-Qu'en conclus-tu ?

-Ou le phénomène de vieillissement accéléré a une cause naturelle et il nous faudra explorer la colline, ou il y a une intervention humaine et il conviendrait d'obliger notre adversaire à se démasquer.

-Comment comptes-tu procéder?

Marc grimaça un sourire.

-D'après ce que j'ai cru comprendre, ce dieu mystérieux est fort conservateur et n'apprécie guère les innovations. Je sens que je vais inventer quelque chose de sensationnel.

Ce fut au tour de Ray de s'alarmer.

-Attention de ne pas transgresser la loi de non-immixtion !

Le Terrien se leva en éclatant de rire.

-Je saurai rester raisonnable ! De toute façon, le sénateur Cartney m'a donné carte blanche !

Sur la place du village, le chef, radieux, discutait avec Homme-sage. Ce dernier paraissait soucieux et hochait négativement la tête. Kioz héla Marc et Ray.

-J'ai fait part à Homme-sage de mon projet de vous accorder définitivement l'hospitalité. Pour l'instant il n'est guère enchanté mais il accepte que vous restiez jusqu'à ce que nous ayons mangé le touk. Il est normal que vous en profitiez puisque c'est vous qui l'avez tué.

-Je vous remercie tous deux de ce délai. Moi aussi je dois réfléchir avant de prendre une décision définitive. Pour l'instant j'aimerais faire un tour en forêt. Qui sait si je ne trouverai pas un autre gibier?

Kioz éclata d'un gros rire.

-J'espère que cela ne sera pas un autre touk. Nous aurions alors tellement à manger que nos ventres deviendraient énormes et nous ne pourrions plus chasser !

Marc marcha une bonne demi-heure, examinant attentivement la végétation. Finalement il trouva une herbe haute, résistante, semblable à celle dont se servaient les femmes du village pour assembler les morceaux de peau.

Il sectionna à la base plusieurs tiges et entreprit de les tresser.

-Ray, trouve-moi une branche d'environ deux mètres, résistante et élastique de deux doigts de large.

-Pourquoi ne me dis-tu pas simplement de confectionner un arc et des flèches, ironisa l'androïde. J'oeuvrerais beaucoup plus vite que toi.

Marc éclata de rire.

-Mets-toi donc au travail pendant que je m'accorde une petite sieste !

Deux heures plus tard, l'androïde réveilla Marc et lui présenta fièrement son ouvrage. L'arc mesurait environ un mètre cinquante et il était accompagné d'une dizaine de flèches à pointe de silex et avec des plumes à l'arrière.