CHAPITRE XI
Dès l'aube, le bruit des armes envahit le palais et les rues d'Athei. Au milieu des cris et des pleurs, chacun se préparait pour le combat qui déciderait de l'avenir de la cité.
Marc et Ray allèrent quérir les dieux qui se morfondaient dans le temple. Ils durent un peu bousculer Zeus, qui proposait de rester sur les remparts pour assister au spectacle.
-Je ne vous le conseille pas, riposta Marc. Si les femmes voient périr les leurs, elles sont capables de vous déchiqueter de leurs ongles et de leurs dents.
Cette perspective inquiéta le dieu, qui suivit les Terriens sans protester. Devant le palais, ils retrouvèrent le roi entouré de plusieurs officiers.
-O Zeus, nous avons fidèlement exécuté tes ordres. Mon fils est à son poste, et voici les guerriers qui accompagneront Marc. Ce sont les plus braves !
Zeus ignorant tout de ce qu'avait décidé Marc, se contenta de hocher gravement la tête.
Marc reconnut l'officier qui venait le saluer. C'était celui qui dirigeait les combats dans l'arène. Il était suivi de Caïos et d'autres soldats à la carrure tout aussi imposante.
-Nous sommes à tes ordres, Marc, déclara le militaire. Quelle sera notre tâche?
-Pour l'instant, suivez-moi !
L'armée sortit de la ville, Gérox et Zeus marchant en tête. Aphrodite saisit le bras de Marc en murmurant :
-Crois-tu que cette maigre troupe sera victorieuse ?
-Chaque homme est prêt à mourir pour ses dieux. Ne les découragez pas en montrant votre peur!
Gérox s'arrêta sur un tertre d'où il pouvait observer la plaine et fit aligner sa troupe une cinquantaine de mètres devant lui. Le soleil levant permettait de voir les hommes de Sparkos déjà rangés en ordre de bataille. Juste derrière eux se tenaient Héra, Héphaïstos et Arès, bien reconnaissables grâce à leur tenue blanche. Ils étaient en compagnie d'un guerrier dont le casque s'ornait d'une crinière rouge.
-Attaquons-nous, Zeus? demanda Gérox.
Le malheureux dieu tourna un regard inquiet vers Marc.
-Non, il faut les laisser avancer pour qu'ils dévoilent leur plan.
L'attente ne dura guère. Une sonnerie retentit, et un frémissement secoua les lignes adverses qui se mirent en mouvement.
-Préparez-vous, cria Gérox à ses hommes. Vous luttez pour la liberté de votre patrie !
L'officier qui se tenait à côté de Marc ricana :
-Vois, ils ne sont même pas capables de marcher en rangs. Le centre avance plus vite que les ailes.
Effectivement, l'armée adverse paraissait se disposer en un triangle dont le sommet pointait vers le milieu de la ligne d'Athei. Cela réveilla aussitôt des souvenirs dans la mémoire de Marc. Il se précipita vers Gérox.
-Sire, Zeus me fait savoir le plan de nos ennemis. Ils veulent percer le centre de notre dispositif puis encercler une aile tandis que l'autre sera contenue par le côté du triangle.
-Je n'ai jamais vu combattre de cette manière ! Que faire pour les arrêter?
-Avec mes hommes, nous allons nous porter en avant afin de briser la pointe et vous donner le temps de manoeuvrer. Séparez vos troupes en deux parties et ordonnez aux extrémités de la ligne de se diriger aussi vite que possible vers l'opposant. Envoyez des messagers au prince Ulcis, qu'il déclenche son attaque sur l'arrière.
Heureusement, le souverain était féru de mathématiques et avait l'esprit vif. Il comprit aussitôt la manoeuvre. Evaluant les distances, il constata :
-Il faudrait que vous teniez un quart d'heure. Ce sera nécessaire aux extrémités pour arriver au contact. Cela sera très dur!
-N'ai-je pas les meilleurs guerriers d'Athei ? Faites vite cependant !
Marc entraîna au pas de course ses soldats. Après avoir traversé les lignes d'Athei, ils parcoururent une centaine de mètres. L'officier, qui avait suivi sans réclamer d'explications, grogna:
-Douze hommes contre des centaines, la partie n'est pas égale.
-Nous devons freiner leur progression. Disposons-nous également en triangle. Lorsque nous serons devant eux, il faudra nous écarter et veiller à ne pas nous laisser déborder par les côtés. Ensuite, nous reculerons pas à pas.
Marc n'eut pas le temps de prolonger ses explications: l'ennemi arrivait. Intrigué par ce petit groupe qui s'était imprudemment avancé, l'officier qui marchait en tête ordonna de lancer les javelots. Plus de trente projectiles frappèrent mais Marc et se compagnons, bien protégés par leurs bouchers, les évitèrent. Aussitôt après, le corps à corps débuta, acharné, féroce, sanglant. Ray, le premier, abattit eux adversaires. Marc se trouva face à un colosse qui frappa avec force. Il n'eut pas la possibilité de récidiver, car le Terrien riposta d'un furieux coup de pointe qui l'atteignit au ventre, juste sous la cuirasse. Marc ne put savourer son triomphe. Déjà, un autre combattant se dressait devant lui. Il para en tierce une attaque au flanc et riposta d'un coup fouetté qui ouvrit la gorge du soldat.
Frapper, parer, riposter... Pour Marc, le temps avait perdu toute signification. Parfois, un coup violent ébranlait son écran, lui arrachant un cri de douleur. Malgré sa hargne, sa volonté, il devait céder du terrain devant la poussée impérieuse de l'ennemi. Dès que l'un tombait, un autre prenait sa place. Un brouillard rouge couvrait la vue de Marc. Son bouclier tordu par la rudesse des chocs le couvrait moins bien. Ses doigts crispés sur la poignée de son glaive devenaient gourds et les muscles de son avant-bras se tétanisaient.
Un nouveau coup au thorax lui coupa la respiration. Deux hommes le pressaient, l'enserraient. Un troisième leva haut sa lame. Marc la vit venir sans parade possible. Elle n'atteignit pas son objectif. Le soldat s'effondra, assommé par un Ray déchaîné. La pression qui s'exerçait sur Marc se relâcha et il put souffler un instant. Sa vue s'éclaircit. Il perçut la pensée inquiète de l'androïde :
-Recule, Marc. Le générateur de ta ceinture s'épuise rapidement.
À grands coups d'épée, l'androïde avait créé un vide autour de lui, protégeant son ami. Marc constata qu'il lui restait seulement six hommes et qu'il avait été contraint de reculer d'une cinquantaine de mètres. Mais l'élan des assaillants avait été brisé. Ils hésitaient à avancer, craignant d'affronter Ray. Toutefois, le répit ne fut que de brève durée. Entraînés par un officier, ils repartirent à l'attaque.
Le combat reprit, toujours plus cruel, plus épuisant. La respiration courte, le souffle rauque, le coeur battant à se rompre, Marc frappait encore et toujours. Son épée et son bras étaient couverts de sang. Une fois encore, la poussée sembla diminuer.
Très opportunément, Gérox avait envoyé un détachement soutenir les Terriens. Des clameurs s'élevaient, dominant te fracas des armes et les hurlements des blessés.
Deux soldats d'Athei arrivèrent à la hauteur de Marc et lui crièrent :
-Le roi Gérox te demande de le rejoindre.
Sans regret, Marc abandonna les lieux, suivi de Ray. Il ne lui fallut que trois minutes pour rejoindre le groupe. Le visage du souverain brillait de satisfaction.
-Grâce à Zeus et à ta vaillance, nous tenons la victoire.
Effectivement, l'armée de Sparkos était encerclée. L'arrivée d'Ulcis et de son groupe avait déconcerté l'adversaire et créé un début de panique.
Paraissant s'incliner devant les dieux, Marc murmura d'un ton sec:
-Suivez-moi! Il nous faut rejoindre vos compatriotes et les empêcher de porter assistance à ceux de Sparkos.
Obligés qu'ils étaient de contourner la plaine où se déroulait la bataille, il leur fallut une vingtaine de minutes pour atteindre le tertre où se trouvait Héra. Heureusement, l'attention des dieux et du général de Sparkos était concentrée sur le lieu du combat. Point n'était besoin d'être un grand stratège pour constater que les guerriers d'Athei avaient pris un avantage décisif.
Héra découvrit la première le groupe qui approchait. Elle poussa un cri et fouilla dans son sac de peau qu'elle tenait à la main. Elle en sortit deux boules grisâtres qu'elle lança vers Marc. Elles explosèrent bruyamment en touchant le sol.
-Simples grenades offensives, émit aussitôt Ray. Beaucoup de bruit, une petite onde de choc. Aucun danger réel.
Le seul résultat concret du geste d'Héra fut la fuite du militaire. Il avait reconnu Zeus et ne souhaitait pas se mêler aux explications entre dieux.
Devant le peu d'effet des simili-foudres, Arès et Héphaïstos avancèrent vers les Terriens. Arès lança à Marc :
-Notre dernier combat !
Il porta une première attaque. Marc leva son bouclier et vit avec surprise la lame le trancher comme s'il était en papier.
-Les armes des dieux sont magiques, sourit Arès.
-Prends garde, intervint psychiquement Ray, le tranchant de la lame est doublé d'un laser. Je suis inquiet pour ton écran. Ton générateur ne dispose plus que du quart de sa puissance. Quelques coups de cette arme achèveront de l'épuiser.
-Merci! Occupe-toi d'Héphaïstos et surtout d'Héra. Je me charge d'Arès.
Le dieu souriait, très droit dans sa tunique blanche ornée de son médaillon. Il lança à Marc, après une brève hésitation :
-Tu es brave, je te fais grâce de la vie. Fuis pendant qu'il en est encore temps.
-Je ne puis abandonner mes compagnons ! rétorqua Marc en se débarrassant des débris de son bouclier.
Il se mit en garde, l'épée demi-haute. Arès avança d'un pas et abattit son glaive dans le but manifeste de trancher la lame de son adversaire. Marc évita le contact par un dégagement d'escrimeur du XVIIe siècle et se fendit. Surpris par cette feinte, Arès ne put éviter la pointe qui zébra sa poitrine, arrachant le médaillon. Le hasard fit qu'il roula aux pieds de Ray, lequel s'empressa de l'écraser d'un vigoureux coup de talon.
La perte de son bijou détourna une seconde l'attention d'Arès. Une seconde de trop! Il ne vit pas venir le coup que Marc lui assena à la pointe du menton et s'effondra, inconscient.
De son côté, Ray avait été aussi expéditif. Furieux de la destruction du médaillon, Héphaïstos avait levé son glaive avec l'intention manifeste de fendre le bouclier et la tête de son opposant. L'androïde avait évité le coup d'un léger saut et l'arme avait creusé un sillon dans le sol rocheux. Le dieu n'avait pas eu le temps de la relever. Ray avait riposté d'un furieux coup du plat de la lame sur le casque. Le choc avait été d'une telle violence qu'Héphaïstos avait aussitôt perdu connaissance.
Héra avait assisté aux combats, médusée. Voyant le sort de ses amis, elle plongea la main dans son sac. Le précieux bagage lui fut arraché avec brusquerie. Elle voulut lutter mais fut repoussée sans galanterie excessive, si violemment qu'elle tomba à la renverse.
Ray fit l'inventaire de sa prise. Il tendit le cube noir à Marc, exhuma deux autres grenades et les liens magnétiques.
-Attache-leur les mains, ordonna Marc en désignant les dieux allongés à terre.
Zeus, fort content de la déconfiture de ses compatriotes, voulut s'emparer du cube noir.
-Donne-le-moi, je sais le faire fonctionner.
Marc secoua la tête d'un air goguenard.
-Je préfère le garder !
Zeus hésita mais n'osa pas insister. Marc avait un aspect effrayant. Ses bras et son armure étaient constellés de taches de sang. La sueur qui ruisselait sur son visage creusait des sillons dans la poussière recouvrant ses joues.
Dans la plaine, la bataille se poursuivait, toujours acharnée et sanglante. Bien qu'encerclés, les guerriers de Sparkos luttaient avec l'énergie du désespoir.
-Laissons-les achever de vider leur querelle, décida Marc. Il nous faut disparaître rapidement. Ray, ramasse Arès et Héphaïstos.
Sans effort apparent, l'androïde cala un corps sous chacun de ses bras et se mit en route. Marc saisit les poignets entravés d'Héra et l'entraîna.
-Suivez-nous, lança-t-il à Zeus et Aphrodite.
En moins d'une demi-heure d'une marche rapide, le groupe atteignit l'orée de la forêt. Aphrodite, qui espérait se reposer à l'ombre des grands arbres, dut déchanter. Imperturbable, Marc poursuivait son avance. Il ne s'arrêta qu'une minute, le temps pour Ray de remettre sur pied Arès et Héphaïstos qui avaient repris connaissance. Sourd aux suppliques, il se remit en route, tirant vigoureusement Héra.
CHAPITRE XII
Les dieux souffraient épouvantablement. Ils avançaient comme des somnambules, n'ayant plus qu'une idée en tête : poser un pied devant l'autre!
Enfin, Marc mit un terme à leur supplice lorsque le soleil disparut derrière la cime des arbres. Il ordonna une halte dans une petite clairière où coulait un ruisseau. Epuisés, vidés de toute force, ses compagnons se laissèrent tomber sur le sol, n'ayant même pas le courage d'aller jusqu'au cours d'eau pour étancher la soif qui les dévorait. Ray ôta le casque bosselé d'Héphaïstos et alla l'y remplir. Ainsi, chacun put boire. Héra retrouva la première une certaine agressivité.
-Je refuse désormais de faire un pas de plus, lança-t-elle à Marc. Jamais je ne serai ton esclave ! Il faudra nous tuer ici même.
Elle regarda le soleil qui s'éteignait, puis ses compagnons affalés, et ajouta :
-Belle allégorie du crépuscule des dieux ! Alors, par qui commenceras-tu?
-Si j'avais voulu votre mort, rétorqua Marc, il m'aurait suffi de vous laisser là-bas. Nul doute qu'il se serait trouvé un guerrier zélé pour plonger son glaive dans votre poitrine. C'est au contraire pour vous sauver que je vous ai entraînés jusqu'ici. Nous sommes assez éloignés d'Athei, et je ne pense pas que le roi envoie des patrouilles à notre recherche. Il doit être tout à la joie de sa victoire.
-Pourquoi nous sauver? demanda Héra, intriguée.
-Ce n'est pas pour vous que j'ai fait cela mais pour ces gens. Pendant des siècles, ils vous ont adorés. Voir en un jour s'écrouler toute croyance est une difficile épreuve que j'ai préféré leur épargner. Le temps agira, et quand leur foi en Zeus et Héra s'éteindra, une nouvelle religion sera prête à prendre la place de l'ancienne. Quelle sera-t-elle? Je l'ignore. Mais ils l'auront choisie, et c'est leur affaire! Pour l'instant, je souhaite que vous regagniez votre base. Pouvez-vous appeler votre engin volant?
-Impossible, lança Arès avec rancoeur. Vous avez détruit notre seule télécommande !
-C'est bien ce que je pensais, il va falloir vous aider.
Héra secoua la tête tandis qu'un sourire triste se peignait sur son visage, adoucissant ses traits.
-Tu ne le peux, Marc. Il y a plus de mille kilomètres à parcourir, et il faudrait franchir une chaîne de montagnes couverte de neiges éternelles. Il était dit que notre destinée devait s'achever dans cette clairière, au bord de ce ruisseau chantant.
Marc ne sembla pas entendre et rétorqua :
-Si je vous permets de regagner votre camp, me promettez-vous de ne rien tenter contre Ray et moi ?
L'espoir ragaillardit Arès qui répondit :
-C'est évident! J'avoue qu'après avoir frôlé la mort, j'ai beaucoup moins envie de disparaître. Quelle garantie souhaites-tu ?
-La parole d'Héra me suffit !
La déesse haussa les sourcils de surprise.
-Je te la donne, Marc.
-Dans ce cas, il est inutile que vous restiez entravés plus longtemps.
Ray s'empressa de libérer les prisonniers, qui se frottèrent les poignets.
-Maintenant, Marc, quel est ton plan interrogea Héra. Venant de Mycos, connaîtrais-tu des passages dans la montagne? Le chemin sera très long, de toute manière.
-Il existe un moyen beaucoup plus simple, sourit Marc.
Le chuintement du module qui descendait lentement pétrifia les dieux de surprise.
-Ce... ce n'est pas possible, bégaya Aphrodite, je rêve.
Les yeux ronds, elle fixa l'appareil qui se posait en douceur.
-En voiture, ironisa Marc afin de secouer les autres. Ma navette est moins vaste que la vôtre, mais elle est assez puissante pour nous emporter tous.
Grimpant le dernier dans la carlingue, il s'installa sur le siège du copilote. Tandis que Ray décollait, il allongea les jambes avec un soupir d'aise. Il se sentait épuisé. Les événements de la journée avaient durement malmené ses muscles. Il n'y avait pas un endroit de son corps qui ne le faisait souffrir, comme s'il était tombé par mégarde dans un broyeur-concasseur géant. Son esprit percevait cependant la voix d'Héra qui s'exprimait dans sa langue. Revenue la première de sa surprise, elle interpellait ses compatriotes :
-Un merveilleux primitif... un être que la civilisation n'a pas corrompu... un instinct profond... Que ne m'avez-vous raconté ? Il s'est bien moqué de nous. Qui sait où il nous mène?
-À la base, comme il l'a dit, répondit Arès. Je distingue parfaitement la chaîne de montagnes. Quant à l'avenir, que t'importe puisque tu étais la plus acharnée à vouloir mourir !
L'atterrissage interrompit leur dialogue. Ils se retrouvèrent très vite dans la grande salle de séjour. Très à l'aise et souriant, Marc annonça :
-Je promets de satisfaire votre curiosité si ensuite vous répondez à mes questions. Auparavant, je souhaiterais user de votre bloc sanitaire. L'odeur du sang et de la sueur qui collent à la peau me soulève le coeur.
Dégrafant sa cuirasse, il apparut dans sa tunique maculée et froissée. Aphrodite se leva, mais Héra la devança :
-Je préfère l'accompagner, lui lança-t-elle. À ton regard, Aphrodite, je devine que tu trouverais le moyen de prolonger le tête-à-tête.
Elle le guida jusqu'au bloc qu'il connaissait déjà.
-Pourriez-vous me prêter une tenue plus adaptée à un astronef? Celle que je porte mérite un sérieux nettoyage.
-Effectivement, sourit Héra.
Elle revint quelques minutes plus tard alors que Marc achevait de se dévêtir. Elle poussa un cri, effrayée non par la nudité de l'homme mais par les multiples ecchymoses qui marbraient son corps.
-Vous êtes blessé ! Voulez-vous que notre ordinateur médical vous examine ?
-Ce ne sera pas nécessaire. Ce sont les inconvénients du métier que j'exerce. Ne vous inquiétez donc pas.
CHAPITRE XIII
Détendu et fleurant bon l'eau de toilette, Marc rejoignit les dieux. Ces derniers avaient également profité de l'attente pour se laver et se changer. Aphrodite, radieuse, était vêtue d'une robe rouge si légère qu'elle mettait en valeur plus qu'elle ne cachait ses charmes. Elle tendit un verre empli d'un liquide ambré à Marc. Ray quitta la pièce en expliquant :
-J'ai aussi besoin d'un sérieux nettoyage.
Marc avala la boisson fraîche, légère, parfumée.
-Nous direz-vous maintenant qui vous êtes? s'impatienta Héra.
-Je vous donnerai un gage de ma bonne volonté en vous parlant le premier de ma civilisation. Je suis Marc Stone, capitaine au Service de Surveillance des Planètes Primitives, organisme créé par l'Union Terrienne.
Pendant vingt minutes, il récita un discours mis au point par le ministère des Affaires Galactiques pour les prises de contact avec des civilisations extra-terrestres évoluées. Il donna une juste idée de l'Union Terrienne mais se limita à de vagues généralités afin de ne pas fournir d'indications précises: au cas où les interlocuteurs ne seraient pas animés des meilleures intentions.
Les dieux écoutèrent avec une attention soutenue. Lorsqu'il eut terminé, Zeus murmura, rêveur:
-La Terre... la Terre... N'est-ce pas une planète bleutée avec une civilisation balbutiante qui s'est développée autour d'une mer intérieure?
Penses-tu à ce monde que nous avons visité lors de notre premier voyage ? interrogea Héra. C'est impossible, c'est trop récent!
-Quatre à cinq mille de nos années, intercala Marc.
Héra effectua un rapide calcul mental, puis admis :
-Exact ! Ce devait être à cette époque !
Ce fut au tour de Marc de rester bouche bée.
-C'est inimaginable, vous...
La déesse leva une longue main fine.
-Nous vous expliquerons plus tard ! Ainsi, vous seriez un descendant de ces primitifs. Comment avez-vous pu parvenir jusqu'ici? Cela suppose un voyage de plusieurs dizaines d'années-lumière et vous ne paraissez pas très âgé.
-Depuis votre venue, des centaines et des centaines de générations se sont succédé. Si la sagesse ne nous est pas toujours venue, nous avons fait de gros progrès techniques. Toutefois, nous ne vous avons pas totalement oubliés. À l'époque, vous deviez être beaucoup plus nombreux. D'après mes souvenirs, l'Olympe comptait près de cent dieux ou demi- dieux.
-Nous étions seulement douze, sourit Zeus, l'imagination de tes ancêtres a créé les autres.
Avec une mimique ironique, Marc poursuivit:
-Vous avez laissé le souvenir d'un sacré cavaleur, et Héra celui d'une légitime austère et un peu acariâtre.
-Les légendes contiennent toujours un fond de vérité, ironisa Aphrodite.
-Vous avez aussi fabriqué un bon nombre de bâtards, reprit le Terrien. On ne comptait plus vos enfants illégitimes.
Zeus secoua la tête avec un soupçon de tristesse.
-Nos organismes sont trop différents, la fusion de nos chromosomes avec les vôtres est impossible. Je suppose que certaines filles ont trouvé astucieux de me faire endosser la paternité de leur bambin. C'était pratique et glorieux !
Agacée par cette diversion, Héra intervint :
-Cela ne nous explique pas ce que vous faites sur Hedon, ni comment vous y êtes arrivé.
Marc exposa le fonctionnement du S.S.P.P. et les enquêtes qu'il faisait mener deux fois par siècle.
-La Terre fait preuve de plus de sagesse que nous, remarqua Héra, en refusant d'intervenir dans leur développement. Mais nous ne pensions pas qu'il pouvait être aussi rapide. Nous imaginions que votre planète était encore au stade médiéval. C'est pourquoi nous n'avons jamais eu l'idée d'y retourner. Où avez- vous posé votre astronef?
-Pour ne pas risquer d'être vus par les indigènes, nous préférons le laisser en orbite autour de la planète. Un atterrissage avec le module est plus discret.
Héphaïstos suivait la conversation avec attention.
-Je ne comprends toujours pas, lança-t-il, comment vous effectuez le voyage de la Terre à Hedon. Utilisez-vous une forme d'hibernation artificielle?
-Il y a fort longtemps que nous y avons renoncé. Exactement depuis que nous utilisons les propriétés du subespace. Le voyage m'a pris exactement quatre jours.
L'affirmation stupéfia Héphaïstos. D'une voix enrouée par l'émotion, il s'exclama :
-Vous dites possible de franchir une distance de cent années-lumière en une semaine ?
-Un peu moins, si nous sommes pressés !
-C'est en contradiction formelle avec la loi qui affirme qu'on ne peut dépasser la vitesse de la lumière.
-Nous avions la même hypothèse, reconnut Marc. Mais les mathématiciens ont démontré qu'elle ne s'appliquait pas dans certaines conditions. Je ne suis pas assez savant pour vous le prouver, mais je vous promets le résultat !
Un lourd silence s'abattit sur le petit groupe. Il fut rompu par le rire ironique d'Aphrodite.
-Nous qui prétendions être le peuple le plus intelligent de l'Univers! Il paraît que les élèves ont dépassé les maîtres !
Devançant de nouvelles questions, Marc reprit la parole :
-J'ai répondu à vos interrogations avec franchise. Maintenant, à votre tour de vous expliquer.
-C'est juste, acquiesça Zeus. Je regrette que nous n'ayons pas pu avoir cette conversation la première fois que nous nous sommes rencontrés. Cela aurait évité beaucoup de malentendus.
-Je suis tenu à une grande discrétion. Ce sont les circonstances qui m'ont obligé à me dévoiler. En temps normal, j'aurais dû demander l'autorisation de mes supérieurs. Même ainsi, je risque d'avoir des problèmes.
-Si tu le veux, dit Héra avec spontanéité, nous témoignerons en ta faveur.
-Ne vous inquiétez pas, j'ai l'habitude, sourit Marc. Poursuivez, je meurs de curiosité !
-Nous sommes originaires d'une planète que nous nommons Olympe. Elle tourne autour d'un soleil distant de quatre-vingt-cinq années-lumière. Notre race existe depuis près d'un million de vos années. Notre évolution a été semblable à la vôtre, mais plus lente. Il y a seulement trois cent mille ans que nous avons atteint notre stade technologique actuel. C'est sans doute en raison de notre métabolisme particulier. En effet, nos organismes se régénèrent constamment; en l'absence d'accident ou de maladie, notre durée moyenne de vie était de huit mille ans. Nos progrès en biologie ont supprimé les maladies, et nous aidons encore à la régénération cellulaire. Ainsi, actuellement, notre espérance de vie est de douze mille ans.
-Les découvertes technologiques nous ont libérés des travaux nécessaires à la vie quotidienne et nous nous sommes trouvés désoeuvrés, dit Zeus. L'ennui a gagné nombre d'entre nous.
-Pourquoi ne pas vous être lancés dans l'exploration de la Galaxie?
-Les Olympiens n'y étaient guère favorables. Plus l'espérance de vie augmente, plus vous craignez la mort! Dans ma jeunesse, j'ai constitué un petit groupe désireux de changer de mode de vie. Non sans mal, nous avons convaincu notre gouvernement de nous laisser construire un astronef et partir à l'aventure. La première planète que nous avons explorée semble avoir été la tienne !
-Le trajet prend très longtemps, dans l'espace normal.
-Pour nous, cinquante ou cent ans ne comptent guère, expliqua Zeus. Lorsque nous nous sommes lassés de jouer les dieux, nous sommes repartis vers Olympe. Mais nous avions gardé la nostalgie des voyages. C'est ainsi que nous avons monté trois autres expéditions. Malheureusement, les mondes explorés étaient encore plus primitifs que le tien et notre plaisir a été médiocre. Mes compagnons se sont alors lassés et nous sommes restés sur Olympe. Toutefois, désireux de repartir vers des terres nouvelles, j'ai insisté auprès de mes amis pour les décider à tenter encore une fois l'aventure. Huit se sont laissés convaincre.
Comme Marc s'étonnait, il précisa:
-Posséidon, Athéna et Artémis nous accompagnaient. Après avoir exploré des dizaines de systèmes solaires sans planètes terramorphes, nous avons découvert Hedon. C'est alors que la catastrophe s'est produite.
Zeus s'interrompit. Un voile de tristesse couvrit son visage.
-Nous avons croisé une pluie de météores d'une densité inhabituelle qui a gravement endommagé notre astronef. Poséidon et Artémis ont été tués, Héphaïstos gravement blessé.
-C'est la raison pour laquelle il porte une prothèse de main et de jambe?
-Vous l'aviez remarqué? s'étonna Héphaïstos.
-Peu de choses échappent à mon ami Ray, répondit Marc.
Zeus continua son récit d'une voix sourde. Le souvenir de l'accident lui était pénible.
-Je ne sais comment nous avons réussi à nous poser sur ce plateau, entre deux chaînes de montagnes. Un véritable miracle dû à l'adresse d'Arès et au courage d'Héphaïstos qui, malgré ses blessures, n'a pas voulu abandonner son poste. Le bilan des avaries s'est révélé catastrophique. Les propulseurs étaient hors d'usage et la totalité de l'appareillage radio détruite. Nous étions définitivement bloqués sur Hedon, sans moyens de communication, sans possibilité d'évasion. Le choc a été trop violent pour Athéna qui n'a pu supporter longtemps la situation. Il y a une centaine d'années, elle a mis fin à ses jours. Nous nous étions organisés pour survivre. Afin de nous distraire, nous avons joué aux dieux, mais sans en retirer le plaisir que nous éprouvions autrefois. Un mal profond nous rongeait et nous a fait nous dresser les uns contre les autres. L'expression d'Héra était juste: un crépuscule des dieux. Par défi, par lâcheté, pour ne pas regarder la situation en face, j'ai accentué ce que tu appelles mon côté cavaleur. Aphrodite s'est étourdie avec des mâles de rencontre qui ne lui apportaient qu'un maigre plaisir.
La déesse rougit violemment quand Zeus ajouta:
-Je ne parle pas pour toi, qui sembles l'avoir réconciliée avec la gent masculine ! Les autres, minés par leur chagrin, ont imaginé cette révolte qui devait se terminer en apocalypse. Mais tu as modifié la situation...
Marc réfléchit à ce qu'il venait d'apprendre. Ceux qu'il appelait encore les dieux paraissaient sincères. Ray se manifesta alors:
-Tout ce que j'ai observé concorde avec leurs dires.
-Si je comprends bien, dit Marc à haute voix, rien ne vous retient ici et vous souhaitez regagner votre planète.
Ils répondirent par un oui unanime, franc et massif, emplis d'un espoir fou.
-Pourrais-tu nous aider? demanda Héra.
-Mon astronef peut vous transporter mais je crains qu'il ne soit pas aussi confortable que le vôtre.
-Quand pourrions-nous partir?
-Avant d'envisager un voyage, il reste deux problèmes à résoudre.
Le sourire qui naissait sur les visages se figea.
-Lesquels? s'inquiéta Zeus.
-Il me faut d'abord obtenir l'autorisation de mes supérieurs. D'après mes explications, vous avez compris que je ne suis qu'un minuscule rouage d'une vaste organisation, et je ne peux agir sans ordre. Toutefois, je pense obtenir sans trop de difficultés la permission de vous emmener sur Olympe. Il existe une règle qui impose de toujours porter assistance aux naufragés de l'espace. Il est évident que vous entrez dans cette catégorie. De plus, notre Président sera enchanté de nouer des relations avec un nouveau monde.
Le soupir que poussa Zeus fut nettement perceptible.
-Quel est donc le deuxième problème? s'enquit Héra.
-Il convient de traduire au cerveau-pilote de mon vaisseau les coordonnées de votre système solaire ! Comme nous n'avons pas les mêmes normes de référence, cela risque d'être laborieux. Qui s'occupait de la navigation chez vous?
-C'était moi, dit Héphaïstos. Je crains qu'il ne s'écoule beaucoup de temps avant que nous trouvions une solution satisfaisante...
L'affirmation pessimiste rembrunit les fronts des dieux. Un espoir naquit lorsque Marc reprit:
-Cela pourrait être rapide si vous avez conservé les coordonnées de la Terre et celles de Hedon ! Si vous n'êtes pas trop fatigué, vous devriez vous mettre au travail avec Ray.
Héphaïstos sauta sur ses pieds et entraîna l'androïde vers le sas de l'astronef.
-Crois-tu qu'ils réussiront? murmura Aphrodite qui se tordait nerveusement les doigts.
-J'en suis persuadé, mon ami Ray est très astucieux.
Marc étouffa un bâillement.
-Pour l'instant, nous ne pouvons que les laisser travailler, ajouta-t-il.
En femme pratique, Héra emplit plusieurs assiettes au distributeur et les disposa sur une table.
-Je pense que vous devez avoir faim, sourit-elle.
Ils mangèrent vite, en silence. Lorsque les estomacs furent lestés, Arès marmonna:
-Je ne comprends toujours pas comment le roi d'Athei a deviné notre plan d'attaque et a réagi aussi rapidement. En bonne logique, les troupes de Sparkos auraient dû transpercer la ligne adverse. C'était la première fois qu'une telle disposition en triangle était utilisée ici.
-Je l'ai un peu conseillé, ironisa Marc. Je me suis souvenu que certains guerriers grecs attaquaient ainsi. Je n'ai eu qu'à imaginer une parade.
Héra émit un rire léger.
-Tu ne pouvais savoir, Arès, que tu avais en face de toi un stratège cultivé. Il fallait faire preuve de plus d'imagination !
Le dieu haussa les épaules et soupira :
-Nous manquons de pratique. Quelle que soit la technique utilisée, je pense que notre jeune ami l'aurait devinée !
-Hélas! Mes ancêtres n'ont pas eu la sagesse de rester en paix, et les guerres n'ont cessé durant plus de mille ans !
-Désires-tu autre chose, Marc? fit Héra.
L'idée de retrouver son univers familier adoucissait son caractère et la rendait aimable.
-J'avoue qu'un peu de repos me serait agréable. La journée a été particulièrement éprouvante et fertile en émotions.
Arès approuva de la tête.
-Sans avoir combattu comme toi, je reconnais que la seule marche m'a épuisé. Je me demande comment tu peux encore tenir debout.
-Entre deux missions, le Service nous impose de longues séances d'entraînement. Je ne compte plus le nombre de kilomètres que j'ai parcourus ni les combats livrés contre des robots instructeurs.
-Je te conduis à ta chambre, proposa Aphrodite.
Sur le seuil de la cabine, elle hésita, tandis qu'un peu de rouge colorait ses joues.
-Pardonne-moi, Marc, de te laisser seul. Tu nous as donné l'espoir de regagner notre monde et je dois me réhabituer à nos coutumes. Sur Olympe, j'étais la compagne d'Héphaïstos. C'est donc près de lui que je dois vivre, s'il me pardonne mes frasques.
D'un mouvement vif, elle effleura les lèvres du Terrien puis s'enfuit en courant.
CHAPITRE XIV
Un appel de Ray éveilla Marc qui se redressa lentement. Un coup d'oeil sur le chronodateur qui se trouvait à la tête de son lit lui apprit qu'il avait dormi quatorze heures.
-Nous avons pratiquement terminé, annonça l'androïde. Cela n'est pas allé sans difficulté et j'ai dû amener Héphaïstos sur le Neptune pour qu'il puisse consulter l'ordinateur de bord. Il ne nous reste plus qu'à effectuer les dernières vérifications.
Après un rapide passage par le bloc sanitaire, Marc se rendit dans la grande salle où tous les Olympiens, à l'exception d'Héphaïstos, étaient réunis. L'inquiétude assombrissait les visages. Zeus marchait de long en large tandis qu'Aphrodite ne pouvait empêcher ses doigts de se crisper sur l'accoudoir de son fauteuil. Héra émit un rire nerveux.
-Nous étions condamnés à vivre des milliers d'années prisonniers de cette planète. Puis nous avons voulu mourir. Maintenant qu'est apparu un espoir, nous devenons impatients et fébriles comme des créatures n'ayant que quelques années d'espérance de vie !
Héphaïstos apparut alors et tous les regards convergèrent vers lui. Il n'avait pas fière allure. Des cernes profonds indiquaient qu'il n'avait pas dormi de la nuit et ses joues avaient pris une curieuse teinte grisâtre. Mais ses yeux brillaient d'excitation et un tremblement agitait ses mains.
-Nous... nous avons réussi, bégaya-t-il d'une voix enrouée par l'émotion. Ray a été extraordinaire ! Les Terriens sont très astucieux et possèdent une grande avance sur nous dans de nombreux domaines. Grâce à cela, l'ordinateur a pu établir une corrélation entre nos deux systèmes de référence.
Les compagnons demeurèrent un instant pétrifiés par cette annonce. Même Héra, la plus maîtresse d'elle-même ne put retenir une larme qui glissa lentement sur sa joue. L'arrivée de Ray les fit émerger de leur stupeur.
-Tout est paré, annonça-t-il. Nous pouvons gagner le Neptune.
A l'intention des deux femmes, il ajouta:
-N'emportez pas trop de bagages ! Nous aurons beau faire plusieurs voyages, le module ne peut emporter qu'une charge limitée.
-Pourquoi ne posez-vous pas votre astronef? s'étonna Zeus.
-C'est contraire à notre code de non- immixtion et, surtout, les manoeuvres d'atterrissage et de décollage consomment beaucoup d'énergie. Le détour par Olympe n'ayant pas été prévu, je préfère ne pas la gaspiller.
A l'instant où Héra allait quitter la pièce, Marc rappela :
-Vous devriez enclencher le système d'auto-destruction de votre vaisseau. Si dans quelques années où siècles, des indigènes parviennent ici, il est inutile qu'ils soient intrigués et perturbés par la découverte d'un tel engin.
-Tu as raison, approuva Héra.
Soudain, elle tressaillit et son visage se figea.
-Comment connais-tu l'existence de ce dispositif?
-Tu l'as mentionné devant moi !
-Tu parles notre langue ! s'exclama-t-elle.
-Disons que je la comprends, sourit Marc. Ray dispose d'un traducteur universel et m'a inculqué les rudiments, j'espère mettre à profit le temps du voyage pour perfectionner mes connaissances.
Les joues écarlates, Aphrodite s'indigna:
-Ainsi, tu as surpris toutes les réflexions que nous avons faites.
-Lorsqu'il le faut, je sais être discret, ironisa Marc. Maintenant, je crois qu'il serait préférable de vous préparer.
Héra éclata de rire en regardant Aphrodite.
-Ainsi, tu connais toutes les qualités qu'elle t'attribuait !
***
Arrivé à bord du Neptune, Marc laissa Ray installer les passagers dans les minuscules cabines et se dirigea vers le poste de pilotage. Il s'installa devant la vidéoradio. Cinq secondes plus tard, le visage grincheux d'un opérateur apparut sur l'écran.
-Capitaine Stone, en mission sur Hedon, annonça Marc. Je désire être mis en communication avec le général Khov. Priorité A 1.
L'homme secoua la tête.
-Vous auriez dû consulter votre ordinateur. Il est neuf heures du soir à New York, le général a quitté son bureau. Et il n'aime guère être dérangé à son domicile.
-Je maintiens ma demande !
-À votre guise, mais ne vous plaignez pas si vous vous retrouvez mute sur un obscur satellite.
-J'en assume le risque !
L'autre haussa philosophiquement les épaules. Ce fut l'image de la femme de Khov qui envahit bientôt l'écran. C'était une très jolie blonde qui paraissait âgée d'une quarantaine d'années. Seules de minuscules rides autour des paupières pouvaient rappeler qu'elle en avait dix de plus.
-Capitaine Stone ! s'exclama-t-elle. Je suis très heureuse de vous voir. Je n'oublie pas que vous avez miraculeusement sauvé mon mari perdu sur une planète primitive.
Elle cligna malicieusement de l'oeil et poursuivit:
-Depuis, je m'efforce de lui faire oublier les tourments qu'il a endurés là-bas...
Khov remplaça enfin son épouse.
-Vous êtes en progrès, Stone, railla-t-il. Pour une fois, vous ne me réveillez pas.
Un malencontreux hasard avait voulu que Marc appelât en urgence de nuit lors de plusieurs missions.
-Je peux donc espérer, continua Khov, que dans quelques années, vous appellerez aux heures de bureau comme les autres agents.
Toutefois, l'oeil amusé du général démentait l'acidité du propos.
-Qu'avez-vous d'important à me dire?
Marc fit un résumé de ses tribulations depuis son arrivée sur Hedon. Khov, impassible, l'écouta en silence.
-En conclusion, je demande l'autorisation de ramener ces extra-terrestres sur Olympe.
Son supérieur s'ébroua comme un boxeur venant d'encaisser un crochet.
-Quelle histoire invraisemblable! Zeus, Héra et les autres ! J'expédierais tout autre que vous consulter d'urgence un psychiatre! Comme votre androïde a enregistré les scènes, je suis bien obligé de vous croire. Dites à Ray d'envoyer son rapport en accéléré. Je dois en référer à la Sécurité Galactique et au Président. En attendant les ordres, vous pouvez vous reposer, vous! Vous ne m'avez pas réveillé, mais je ne dormirai guère cette nuit.
L'écran s'assombrit et l'opérateur réapparut.
-On dirait que vous vous en êtes bien tiré, constata-t-il. Prêt pour l'enregistrement.
Ray arriva à cet instant et brancha l'émetteur sur ses cristaux mémoriels. Cinq minutes suffirent pour transmettre toutes les données. Quand il eut terminé, il se tourna vers Marc.
-j'ai montré les cabines à nos hôtes. Ils se sont regroupés dans la salle de repos. Il ne nous reste plus qu'à attendre.
Marc réfléchit rapidement, les sourcils froncés. Après une dernière hésitation, il prit sa décision.
-Le Président ne peut qu'accepter, donc nous gagnerons du temps en partant maintenant. Cap sur Olympe.
-Je me doutais que tu agirais ainsi. J'ai déjà programmé l'ordinateur de vol, annonça Ray.
Il allongea le bras et pressa une touche, déclenchant le ronronnement des propulseurs. Marc rejoignit ses passagers qui examinaient les lieux avec curiosité.
-Vous avez pu constater que nous serons à l'étroit. Il faudra vous en accommoder. Il n'existe qu'un bloc sanitaire dont vous vous partagerez l'usage. Ici se trouve le distributeur de repas. Je crains que le fabricant se soit plus inspiré des brouets spartiates que de la table des dieux! Sa seule excuse est que nous n'avons jamais su avec précision ce que vous mangiez. Très astucieusement, les prêtres ne vous offraient que les entrailles des animaux sacrifiés, conservant la viande.
-Ne t'inquiète pas, Marc, sourit Héra. Pour retrouver notre patrie, nous serions prêts à jeûner toute une semaine.
Ouvrant un placard, Marc ajouta :
-Voici le bar. Ma réserve personnelle est à votre disposition.
-Quelle a été la réponse de ton chef? s'inquiéta Zeus.
-Celle de tout fonctionnaire: attendez, j'en réfère aux autorités!
-Cependant, ton astronef s'éloigne de Hedon, s'étonna Héra.
Un large sourire étira les lèvres du Terrien.
-C'est une petite assurance que je m'offre. Si, comme je le pense, la réponse est positive, nous aurons gagné un jour. Dans le cas contraire, le fait d'être déjà en route me fournira un argument pour faire appel. Maintenant, regagnez vos cabines et allongez-vous. Le passage dans le subespace, surtout lorsqu'on n'y est pas habitué, entraîne des sensations désagréables et une perte de connaissance. Elle est brève et sans gravité, aussi ne vous inquiétez pas!
CHAPITRE XV
Marc sortit de sa cabine, reposé et détendu, physiquement tout au moins. Vingt-quatre heures s'étaient écoulées depuis qu'il avait regagné le Neptune. Une sourde irritation envahissait son esprit. Il n'avait toujours pas reçu de réponse du général.
Dans le salon, il retrouva Héra qui absorbait en solitaire une ration-repas.
-Tu as été méchant pour tes compatriotes, remarqua-t-elle. Sans être excellente, cette nourriture est fort correcte. Elle ressemble tout à fait à celle de notre astronef.
Tandis que Marc se servait, elle resta muette, les yeux obstinément fixés sur son assiette. Elle rompit enfin le silence en murmurant :
-Je veux te faire des excuses ! Nous avons été avec toi d'une cruauté indigne !
Avant que Marc puisse protester, elle enchaîna :
-Nous étions fous et désespérés. Notre haine, polarisée sur Zeus et Aphrodite qui semblaient moins souffrir que nous de l'exil, obscurcissait notre jugement. Dans notre désir de les voir mourir, nous n'avons pas hésité à torturer des innocents.
Marc secoua lentement la tête, amusé.
-Ne dramatisez pas, Héra. Dans votre subconscient, vous ne souhaitiez la mort de personne. Si vous aviez réellement voulu tuer vos compagnons, vous l'auriez fait sur l'astronef, sans recourir à une tortueuse machination.
-Nous n'avions pas le courage d'agir nous- mêmes. Nous espérions que la nature hostile se chargerait de la besogne à notre place.
-Vous le pensiez sans doute, mais pour être logique, il fallait abandonner Zeus et Aphrodite seuls. Si vous leur avez adjoint ceux que vous preniez pour des indigènes, c'était dans l'espoir qu'ils les protégeraient. Votre inquiétude était telle que vous ne pouviez vous empêcher de nous rendre visite tous les jours. C'est pour être mieux renseignés que vous m'avez remis un fouet contenant un émetteur.
-Tu avais deviné ?
-Naturellement. Quand le calmar géant nous a attaqués, vous êtes immédiatement accourue. Si nous avions été en grande difficulté, je suis persuadé que vous auriez trouvé une excuse pour nous sauver.
Héra leva les yeux sur Marc, une larme au bord des paupières.
-Le crois-tu réellement ?
-Je vous le promets! Tuer de sang-froid n'entre pas dans votre caractère. J'ai côtoyé beaucoup d'individus de toutes races, tout milieu, toutes civilisations et religions, et je sais reconnaître un tueur.
Elle posa la main sur I'avant-bras du Terrien avec douceur.
-Merci, souffla-t-elle, tu me libères d'un insupportable remords !
Pour détendre l'atmosphère, Marc reprit:
-Expliquez-moi comment vous influenciez les grands prêtres?
-Ce n'était guère difficile. Nous utilisions une simple projection holographique à partir du module. Naturellement, cela ne pouvait s'effectuer que la nuit !
-Et pour effacer les souvenirs de vos serviteurs?
-Zeus pratiquait une forme d'hypnose qui refoulait dans le subconscient les événements récents.
L'arrivée d'Arès interrompit la conversation. Il paraissait d'excellente humeur en s'asseyant en face de Marc. Il caressa un instant son menton où s'étalait une magnifique ecchymose.
-Un détail m'intrigue, dit-il. Nous avons fait assaut dans notre astronef. Le combat a été long mais j'ai fini par gagner. Hier, je possédais une épée laser et malgré cela, tu m'as battu en trois minutes. Comment est-ce possible?
-Notre premier duel n'avait aucun enjeu et j'ai pensé qu'il était maladroit de contrarier un dieu dont j'ignorais la puissance. Hier, il fallait que je vainque ! Je n'ai guère eu de mérite car l'art de l'escrime a fait de gros progrès depuis l'ère hellénique. Si vous le voulez, nous pourrons nous entraîner pour nous distraire.
-Ne lui donnez pas trop de conseils, sourit Héra, sinon d'ici un siècle ou deux, il voudra s'engager dans ton service !
Ares protesta, la mine horrifiée.
-Non, merci ! Maintenant, je n'aspire plus qu'à rester chez moi !
La voix de Ray résonna dans l'interphone :
-Un appel de Khov.
Marc gagna le poste de pilotage pour apercevoir sur l'écran le visage du général, qui arborait un sourire railleur.
-Je suis heureux de constater que vous avez une mine reposée tandis que vos supérieurs s'épuisent en longues discussions. À l'avenir je décompterai les jours de voyage de votre temps de permission.
Il ne laissa pas à Marc le loisir de protester, enchaînant:
-Vous vous doutez que votre rapport a suscité un intérêt certain. Tous les experts ont été mobilisés par le Président. Voici donc vos ordres. Il vous est demandé de conduire ces naufragés sur leur planète. Là-bas, vous remettrez au chef du gouvernement un message du Président que Ray va enregistrer. En aucun cas vous ne devrez vous immiscer dans les affaires intérieures de ce peuple. Vous adresserez votre rapport et l'éventuelle réponse des Olympiens au ministère des Affaires Galactiques qui sera seul habilité à mener les discussions ultérieures. Pour la durée de cette mission, vous êtes nommé à titre exceptionnel et provisoire ambassadeur de l'Union Terrienne. J'ai répondu de votre conduite. Ne transformez pas cette phase diplomatique en un sanglant épisode guerrier comme cela vous est arrivé auparavant !
Après un instant de silence, il ajouta :
-Encore un détail! Je ne veux pas d'histoire sentimentale. Si j'entends la moindre plainte, je vous expédie sur un satellite où de mémoire d'ordinateur il n'a jamais été enregistré un seul passage féminin !
Prenant un air choqué et pincé, Marc répliqua:
-J'ai toujours agi dans le seul intérêt du Service!
-Très bien! Poursuivez donc dans cette voie. Je constate toutefois que vous avez déjà plongé dans le subespace.
-Je ne faisais qu'obéir à votre dernière note de service stipulant que les agents doivent limiter le plus possible les pertes de temps.
-Inutile de poursuivre, soupira Khov, vous voudrez toujours avoir le dernier mot! N'oubliez pas d'envoyer votre rapport dans les plus brefs délais.
Marc regagna le salon en souriant.
-Tout est arrangé, annonça-t-il. Il ne reste qu'à nous organiser pour passer agréablement le temps du voyage. Je possède un petit stock de films traditionnels qui vous donneront un aperçu des progrès de la civilisation terrienne depuis votre départ.
CHAPITRE XVI
-C'est bien notre soleil, annonça Héphaïstos en compulsant les données sorties des analyseurs.
Sa voix tremblait d'émotion ! Les yeux emplis de larmes, Aphrodite se jeta à son cou et l'embrassa à pleine bouche.
Dès l'émersion du subespace, Ray avait branché les détecteurs sur le gros soleil un peu pâle qui éclairait ce coin de la Galaxie. Prudent, il avait programmé une arrivée à la périphérie du système pour avoir la possibilité de l'examiner en courant le moins de risques possible.
Héra, le visage rayonnant de bonheur, se tourna vers Marc.
-Merci, ami, souffla-t-elle. Jamais je n'aurais cru possible d'éprouver une telle joie :
L'intervention de Ray interrompit les congratulations.
-Attention ! Je localise un astronef au 220.
Marc se redressa avec vivacité et ses doigts effleurèrent une série de touches. L'écran central s'illumina, montrant un vaisseau qui se dirigeait à grande vitesse vers le Neptune.
-Il n'a aucune marque d'identification, nota Ray.
Le Terrien se tourna vers Héphaïstos pour demander:
-Ressemble-t-il à un appareil olympien ?
-Non, Marc. Lorsque nous sommes partis, il n'y en avait aucun en fabrication. Le nôtre était le seul exemplaire, et nous avons eu beaucoup de peine à obtenir l'autorisation de le construire. Mes compatriotes sont très sédentaires et même en quelques siècles, je ne pense pas que leur mentalité ait évolué suffisamment pour qu'ils se soient lancés à la conquête de l'espace.
L'image du bâtiment inconnu emplissait maintenant tout l'écran.
-Mauvais, grogna Ray. Il a les caractéristiques d'un engin solanien. Pour se trouver aussi loin de sa base, cela signifie que c'est un vaisseau pirate.
En réponse à une question de Zeus, Marc expliqua:
-L'Union Terrienne constitue une fédération de quatre-vingt-cinq planètes. Certaines, vierges à l'origine, ont été colonisées par des Terriens. Elles sont naturellement très attachées au pouvoir central. D'autres, déjà peuplées d'humanoïdes évolués, ont souhaité se fédérer avec la Terre pour faciliter l'influence terrienne. Quelques-unes enfin ne se sont jointes à l'Union que par opportunisme.
Elles restent très jalouses de leur autonomie et, bien souvent, n'appliquent pas les règlements de la fédération avec la rigueur souhaitable. C'est le cas de Solan. Sa situation très excentrée par rapport aux autres mondes civilisés lui a conféré un caractère marginal. Ses gouvernements successifs ont toujours refusé de l'ouvrir aux Terriens. Les représentants officiels sont parqués dans les ambassades et ne peuvent guère en sortir. Les autorisations d'atterrissage sont accordées aux astronefs selon d'étranges critères, et il faut reconnaître que l'astroport de Solan est devenu un repaire de pirates et de contrebandiers. Ces derniers peuvent ainsi se ravitailler et vendre leurs marchandises à des commerçants locaux qui exportent ensuite le fruit des rapines en laissant croire que les objets ont été fabriqués sur Solan.
-Votre gouvernement tolère cet état de fait? s'étonna Zeus.
-La Sécurité Spatiale est impuissante. Elle peut seulement tenter d'intercepter les bandits avant qu'ils n'atteignent ce refuge diplomatique.
La sonnerie de la vidéoradio interrompit les explications. Marc bascula l'interrupteur et un visage rond au teint ardoisé s'imprima sur l'écran.
-C'est bien un Solanien, émit Ray.
L'homme, le regard dur, articula:
-Je suis le commandant Ker-Lo. Vous avez pénétré mon domaine ! Je vous somme de vous rendre.
L'androïde qui avait pianoté sur l'ordinateur, signala à Marc:
-Dans les instructions nautiques récentes, il est fiché comme pirate dangereux. Sa condamnation à mort est déjà programmée dans l'ordinateur judiciaire. Il est recherché activement par la Sécurité Galactique.
-Dommage qu'elle ne l'ait pas trouvé avant nous, soupira Marc, en branchant son émetteur.
À l'adresse du brigand, il déclara:
-Désolé, mais je suis en mission pour le ministère des Affaires Galactiques et je bénéficie de l'immunité diplomatique.
-Elle n'est d'aucunes utilité contre un missile, railla l'autre. Je vous laisse une minute pour capituler ! Passé ce délai, je vous expédie dans le néant.
Marc se composa un visage effrayé tout en ordonnant psychiquement à Ray:
-Programme nos missiles. Deux plus deux, selon notre technique habituelle.
À haute voix, il répondit à Ker-Lo.
-Mes soutes ne contiennent aucune marchandise. Ma mission est seulement diplomatique !
Un sourire cruel se peignit sur le visage du pirate.
-C'est pourquoi je me contenterai de votre astronef. Les affaires prospèrent, j'ai besoin d'augmenter ma flotte. Si vous me livrez votre bâtiment intact, je vous accorde la vie sauve. Il existe dans ce système une planète terramorphe que vous pourrez gagner dans des canots de survie.
Marc feignit d'être intéressé par la proposition car il désirait gagner du temps.
-Quelle garantie proposez-vous?
-Ma parole, dit le bandit avec un grand sérieux.
Ray intervint mentalement :
-Missiles parés ! Nous sommes à portée de tir.
Marc éclata d'un rire grinçant :
-Elle n'a aucune valeur! Il n'y pas un astronaute de la Galaxie qui risquerait un clou sur elle !
Les traits de son interlocuteur se convulsèrent de colère.
-Vous paierez très cher cette insolence. Je…
Sans lui laisser terminer sa phrase, Marc ordonna psychiquement :
-Feu!
Aussitôt, deux torpilles jaillirent des flancs du Neptune, vite suivies de deux autres. Surpris par la réaction d'un adversaire qu'il croyait à sa merci, le brigand perdit de précieuses secondes. Il riposta avec retard et expédia seulement un missile avant d'être contraint de brancher son écran protecteur à pleine puissance.
Fascinés, les Olympiens contemplaient les différents écrans tandis que Ray maugréait :
-Les deux voyages ont sérieusement entamé notre réserve d'énergie. Notre écran ne résistera pas à quatre impacts.
-Aussi faut-il le ménager, répondit Marc. Lâche un cisée et change de cap.
Le virage brusque fit trébucher les passagers.
Arès se redressa le premier.
-Si le missile est pourvu d'une tête chercheuse, pourquoi ne vire-t-il pas?
-Le cisée est un leurre perfectionné qui donne une image volumique, thermique et magnétique très exacte du vaisseau. Ne trouvant pas son objectif, l'engin poursuivra sa route jusqu'à épuisement de son carburant.
Marc surveillait l'écran de visibilité extérieure. Les deux premières torpilles arrivaient sur le navire pirate. Merveilleusement réglées par Ray, elles explosèrent simultanément au contact de l'écran, amenant le générateur à la limite de la saturation.
-Ray, une nouvelle salve, ordonna Marc. Il faut profiter de notre avantage initial ! Espérons que ce maudit bandit n'a pas fait installer un générateur renforcé !
Les missiles trois et quatre arrivèrent sur leur objectif. Au grand dépit de Marc, ils ne semblèrent causer aucune gêne à l'astronef adverse.
-Torpilles cinq et six larguées! annonça Ray. L'autre modifie son allure.
Effectivement, le bâtiment ennemi ralentissait ; profitant de l'espacement entre les deux salves, il débrancha son écran, le temps d'expédier une gerbe de missiles.
-Trois... cinq... six... huit, compta Ray. Notre réserve d'énergie sera insuffisante pour contrer ces impacts. Il va falloir jouer serré.
Les traits durcis, Marc ordonna aux Olympiens :
-Allez-vous allonger sur les sièges- couchettes et bouclez les sangles magnétiques. Nous allons être secoués.
Ray lança les propulseurs à pleine puissance. L'accélération cloua les passagers sur les sièges malgré le système anti-g. Marc suivit avec inquiétude sur l'écran central la marche des engins. Ils étaient remarquablement groupés, ce qui en cas d'impact augmentait leur capacité.
-Il faut arriver à les diviser, déclara Ray: un cisée ne pourra les leurrer tous.
-Non! Nous n'y parviendrons pas. Prépare une torpille pour qu'elle explose une minute après son lancement.
-Qu'as-tu encore inventé ?
-Laisse-moi les commandes, dit Marc sans répondre à la question.
D'un geste vif, il fit baisser le régime des propulseurs ce qui diminua la vitesse.
-Missiles à 30.000 mètres, annonça la voix impersonnelle de l'ordinateur... 20.000 mètres...
Les mains crispées sur les commandes, Marc suivait l'avance des torpilles qui gagnaient rapidement sur le Neptune. Elles donnaient une impression de puissance glacée et cruelle.
-10.000mètres... 7.000.... 5.000....
La voix de l'ordinateur devenait saccadée, précipitée:
-3.000... 1.000... 500 mètres.
Marc changea brusquement de direction, en même temps qu'il ordonnait à Ray :
-Lance un cisée !
La brutalité du virage fut telle que le Terrien crut que ses yeux allaient jaillir de leurs orbites. Emportés par leur élan, les missiles dépassèrent le Neptune. La partie n'était pas gagnée pour autant: seuls les deux premiers poursuivirent le cisée, les autres amorçaient un demi- tour.
Marc modifia la trajectoire pour remettre le Neptune dans l'axe des engins.
-Feu ! hurla-t-il.
Le missile, bien dirigé, s'élança à la poursuite de ses congénères tandis que Marc égrenait les secondes. Une vive lueur naquit sur l'écran. L'ogive nucléaire avait explosé. L'intense rayonnement neutronique dérégla les ordinateurs des autres bombes qui se dissipèrent dans toutes les directions, suivant des trajectoires erratiques.
Marc essuya d'un revers de la main son front couvert de sueur tandis que Ray commentait avec flegme :
-Manoeuvre astucieuse mais peu classique.
-Je l'ai vu effectuer par un vieux pirate lorsque j'étais aspirant à la troisième escadre galactique. Elle lui avait servi à filer sous le nez de ses poursuivants, dont je faisais partie, mais je n'avais jamais eu l'occasion de l'utiliser.
Il reporta son attention sur le vaisseau ennemi.
Apparemment, son écran avait absorbé les dernières explosions mais sa vitesse avait considérablement chuté.
-Il ne faut lui laisser ni le temps de récupérer ni celui de nous envoyer une autre gerbe de torpilles.
Ray enfonça deux touches en soupirant :
-Maintenant, il ne nous reste qu'un missile !
Marc suivit avec inquiétude l'avance rapide de ses projectiles. Les manoeuvres brutales, malgré les anti-g, avaient déclenché une hémorragie nasale et un filet de sang coulait de ses narines. Il s'essuya avec un mouchoir en papier, ce qui eut pour effet de barbouiller de rouge son menton.
-Impact dans dix secondes, annonça Ray.
Marc croisa les doigts et se surprit à murmurer une courte prière. Si le tir n'achevait pas le navire adverse, le Neptune devait fuir immédiatement pour se réfugier dans le subespace en attendant la venue d'un croiseur de la Sécurité Galactique. Beaucoup de temps perdu et une nouvelle colère pour Khov.
Les engins, légèrement décalés, atteignirent leur but et explosèrent. Marc eut l'horrible sensation d'avoir échoué. L'astronef le narguait en poursuivant sa route.
-Vite, Ray relance les propulseurs. Il nous faut plonger dans le subespace avant que le pirate songe à riposter.
L'androïde allongea le bras pour atteindre les commandes mais il interrompit son geste.
-Regarde, jeta-t-il, avec une jubilation très humaine.
Un jet de vapeur irisé s'échappait du bâtiment ennemi. D'abord ténu, il augmentait rapidement d'importance.
-Une fissure dans la coque, murmura Marc.
Soudain, le vaisseau disparut, transformé en un gigantesque nuage rouge.
-C'était tangent, nota Ray qui avait retrouvé son calme.
Le soupir de soulagement poussé par Marc ressembla à un typhon dans la mer des Caraïbes. Il quitta son siège en annonçant:
-Je vais rassurer nos passagers !
CHAPITRE XVII
Dans la cabine-salon, les regards des Olympiens se tournèrent vers Marc. Le teint de Zeus avait viré au gris, de grosses gouttes de sueur perlaient sur le front d'Arès et d'Héphaïstos, et Aphrodite reprenait à peine connaissance. Seule Héra semblait moins affectée que ses amis.
-Il n'y a plus aucun danger, annonça Marc avec un sourire rassurant.
Il prit plusieurs gobelets au distributeur, les offrit à ses hôtes.
-Tu es blessé, Marc, s'inquiéta Héra.
-Un simple effet de l'accélération.
Le premier, Arès parvint à se redresser.
-Je constate, ami, que tu es aussi habile dans les combats d'astronefs que dans les duels. J'aurais souhaité y assister.
-Vous reverrez les séquences enregistrées par l'ordinateur. Je puis affirmer avoir eu terriblement peur.
-Seuls les inconscients n'éprouvent pas ce sentiment, dit Héra. Le vrai courage est de savoir le dominer. En quelques jours, tu nous auras beaucoup appris.
Se tournant vers Héphaïstos qui aidait avec douceur Aphrodite à se redresser, Marc reprit :
-Nous approchons d'Olympe. Auriez- vous une possibilité de contacter vos compatriotes? En voyant apparaître le Neptune, ils pourraient croire à une attaque et déclencher un tir de missiles. J'en ai assez fait pour aujourd'hui. Rejoignez-moi dans le poste de pilotage dès que vous serez remis de vos émotions.
De retour auprès de Ray, il alluma la téléradio.
-Il convient d'envoyer un rapport à Khov, sinon dans quelques heures les Solaniens sont capables d'affirmer que nous avons détruit un paisible cargo !
L'opérateur de garde reconnut Marc et lança ironiquement :
-Vous n'avez pas de chance, capitaine Stone. Il est deux heures du matin à New York. Je vous branche sur le domicile du général ?
-Inutile, répondit Marc avec précipitation. Ma communication n'a pas un caractère d'urgence. Il suffit qu'elle se trouve demain matin sur le bureau de Khov.
Très déçu, l'autre dit seulement:
-Prêt pour l'enregistrement.
Héphaïstos arriva peu après la fin de la communication.
-Nous utilisons également les ondes radio- électriques pour communiquer, mais en modulant différemment les fréquences.
-Donnez les caractéristiques, intervint Ray, je modifierai notre émetteur.
Tandis qu'ils travaillaient avec acharnement, Héra passa la tête par l'entrebâillement de la porte. Sur l'écran de visibilité extérieure, Olympe se dessinait comme un gros globe bleu- vert.
-Ma patrie, murmura Héra, en proie à une vive émotion.
Les données des analyseurs sortaient à vitesse accélérée.
-Masse: 1,12 de celle de Terre. Rotation sur elle-même: trente-cinq heures, vingt-trois minutes. Parcours de l'ellipse en 2.167 jours. Atmosphère: azote, 21 % d'oxygène, 1 % de CO 2, traces de gaz rares. Les océans occupent 67 % du globe. Pôles couverts de glace. La faible inclinaison de l'axe Nord-Sud fait que les saisons sont peu marquées.
Les renseignements s'accumulaient, mais Marc ne les écoutait que d'une oreille distraite. Au fort grossissement, la planète apparaissait comme un merveilleux jardin d'agrément piqueté par endroits de montagnes aux sommets brillants.
-Je ne me souviens pas qu'elle était aussi belle, murmura Héra.
En réponse à une interrogation de Marc, elle répondit :
-Les Olympiens ont eu la sagesse de limiter la population depuis des millénaires. Compte tenu de notre longévité, une reproduction incontrôlée aurait abouti à une catastrophe. Depuis des temps immémoriaux, la population est maintenue à un million d'habitants.
-Curieux, remarqua Ray, je ne perçois aucune source d'énergie.
-Toutes les usines sont profondément enfouies dans le sol où elles fonctionnent automatiquement. Elles se ravitaillent en énergie en puisant directement dans le magna qui est très chaud.
Après beaucoup de tâtonnements, Héphaïstos et Ray finirent par obtenir un contact. Un visage sévère surmonté de cheveux grisonnants apparut sur l'écran. Si l'image était de médiocre qualité, le son était presque correct.
-Héphaïstos! Je ne voulais pas le croire lorsqu'on m'a informé de ton appel. Nous vous avons cru morts car vous n'aviez jamais répondu à nos messages.
-Nous avons eu de nombreux ennuis, Cronos. C'est à un hasard extraordinaire que nous devons d'être de retour.
Héra murmura à l'oreille de Marc:
-Cronos est le président du Conseil de dix sages qui gouverne notre planète.
Le président avait le front barré par une ride soucieuse quand il enchaîna :
-Tu nous conteras de vive voix tes aventures. En ce moment, nous avons sur Olympe de petites difficultés qui, nous l'espérons, ne seront que très passagères. Toutefois, il serait préférable que tu poses ton astronef dans l'hémisphère sud. Ensuite, venez tous me voir au palais. Je vous attends avec impatience.
Héphaïstos voulut annoncer l'existence des Terriens mais il n'en eut pas le temps: la communication fut brutalement interrompue.
-Curieux, remarqua Héra. D'ordinaire, Cronos est plus affable. Il doit avoir de graves préoccupations. Serait-ce en rapport avec ce vaisseau qui nous a attaqués?
-C'est possible, acquiesça Marc. Les pirates ont toutes les audaces.
Héphaïstos désigna une zone sur le continent sud.
-Il existe là un ancien aéroport qui pourra supporter ton bâtiment.
-Je préfère ne pas me poser pour économiser mes réserves d'énergie. Nous utiliserons le module.
-Ne crains-tu pas de laisser ainsi ton astronef à l'abandon? Si des bandits revenaient, ils s'en empareraient sans coup férir.
-Je ne le pense pas, sourit Marc. En état de défense automatique, il est très difficile à localiser!
-Vous pouvez vous préparer, annonça Ray. Dans dix-huit minutes, nous serons en orbite autour d'Olympe.
Arrivé le premier dans la soute, Marc y retrouva l'androïde qui lui tendit sa ceinture protectrice.
-Le générateur est rechargé. Prends aussi un pistolaser. Je n'ai pas aimé la tête que faisait Cronos.
-Les Olympiens pourraient ne pas aimer cet attirail guerrier.
-Mieux vaut une blessure d'amour propre qu'une plaie par laser !
L'argument convainquit Marc, qui acheva de se préparer tandis que Ray chargeait une caisse dans le module.
-J'emporte un émetteur hyperspatial, expliqua-t-il. Nous en aurons besoin pour communiquer avec le ministère des Affaires Galactiques si le président d'Olympe souhaite nouer des relations diplomatiques.
Les ex-dieux arrivèrent à leur tour, joyeux, se bousculant comme des collégiens. Pour eux, une longue période douloureuse se terminait. Le dernier, Ray grimpa dans l'appareil.
-Prêt pour l'éjection, annonça-t-il.
L'engin plongea vers les hautes couches de l'atmosphère. L'action des réacteurs de freinage secoua durement les passagers.
-Je préfère ne pas m'attarder en orbite, émit Ray, tant que nous ne saurons pas ce qui nous attend en bas.
La navette traversa rapidement les nuages et survola un océan d'un bleu resplendissant.
-Sur quel continent habitez-vous? demanda Marc à Zeus. Avec le module, nous n'avons pas besoin de nous poser sur un astroport.
-C'est vrai, nous l'avions oublié! Notre capitale se trouve au niveau du 45ème parallèle Nord sur une très grande île.
Ray suivit les indications de Zeus et, bientôt, ils franchirent une côte bordée par une immense plage de sable blanc.
-Vous pouvez ralentir, prévint Zeus. La ville n'est qu'à deux cents kilomètres.
-Je ne distingue que des bois !
-Grâce à la faiblesse de notre population, nous ne sommes pas contraints de nous entasser dans des cités étroites et de construire d'immenses buildings. Nous préférons les résidences individuelles, que nous dissimulons dans des parcs pour ne pas altérer la beauté de notre planète.
Se tournant vers ses compatriotes, il demanda :
-Quel endroit choisissons-nous?
Ce fut Héphaïstos qui répondit le premier :
-Ma maison possède un parc dégagé.
Le module survola à vitesse réduite une succession de villas toutes plus élégantes les unes que les autres. Des routes sinuaient entre des bosquets.
-C'est joli mais guère pratique pour se déplacer rapidement, commenta Marc.
-Pour les voyages à longue distance, protesta Héra, nous disposons d'un réseau souterrain où des capsules se déplacent à une vitesse supersonique !
-Il n'y a guère d'animation, s'étonna Zeus. Avant notre départ, de nombreux hélijets sillonnaient le ciel. Nos compatriotes auraient- ils changé de mode de vie ?
La maison d'Héphaïstos était très élégante, nettement inspirée de l'art grec avec des atlantes supportant une terrasse. Ils pénétrèrent dans un vaste salon éclairé par de grandes baies vitrées que les rayons du soleil couchant traversaient à flots.
Amusé, Marc regardait Aphrodite et Héphaïstos faire les honneurs de leur demeure comme s'ils venaient de rentrer d'une brève absence. Les voyageurs tinrent un rapide conciliabule. Zeus déclara alors :
-Repose-toi, Marc. Nous devons rendre compte de notre odyssée au président Cronos et l'informer de ton arrivée. Il te recevra sans nul doute demain, avec les honneurs dus à l'ambassadeur extraordinaire que tu es. Nous reviendrons t'informer dès que possible.
Aphrodite lui montra une chambre, l'emplacement du bloc sanitaire et des distributeurs de repas et de boissons. Resté seul, Marc mangea sans grand appétit une nourriture aussi insipide que celle de son astronef. Apparemment, le progrès technique s'effectuait toujours aux dépens de la gastronomie.
Il étouffa un bâillement.
-J'aurais aimé me promener en ville, grogna-t-il, mais mieux vaut ne pas risquer un incident diplomatique dès le premier jour. Il ne me reste plus qu'à me coucher. Préviens-moi quand nos amis seront de retour.
CHAPITRE XVIII
Un appel angoissé obligea Marc à émerger de son sommeil. Il se redressa, maudissant l'importun qui l'arrachait à des rêves fort agréables.
-Que se passe-t-il? grogna-t-il en se frottant les yeux.
Zeus se tenait devant lui, en proie à une vive agitation. De grosses gouttes de sueur coulaient sur ses joues. Un splendide hématome ornait sa paupière supérieure droite qui avait triplé de volume.
-Héra... Héra..., bafouilla-t-il. Elle... elle a été enlevée.
Marc le secoua pour l'obliger à retrouver un peu de calme.
-Expliquez-vous! Commencez par le début!
Le ton sec, autoritaire, agit comme une douche froide.
-Lorsque nous sommes arrivés au palais présidentiel, un des conseillers nous a dit que Cronos était en conférence avec des visiteurs inattendus. Nous avons donc patienté dans l'antichambre. Après plus d'une demi-heure, nous avons vu sortir trois individus.
Gêné, Zeus détourna le regard.
-Ils ressemblaient à des Terriens. Enfin... presque... Leur peau était ardoisée, comme celle des pirates qui ont attaqué ton vaisseau.
-Des Solaniens ! gronda Marc. Que font- ils ici?
Très énervé, Zeus poursuivit:
-Au moment où ils passaient devant nous, l'un d'eux a regardé Héra. Il a dit quelque chose dans une langue que nous ne comprenons pas, et ils ont éclaté de rire. Soudain, ils se sont précipités sur Héra, l'ont attrapée par les bras et entraînée. J'ai tenté de m'interposer en protestant et j'ai été frappé au visage. Je crois avoir perdu connaissance quelques secondes. Quand je suis revenu à moi, ils avaient disparu. Nous nous sommes précipités dans le bureau du président. La nouvelle a vivement peiné Cronos, qui nous a expliqué la situation.
Le malheureux Olympien s'interrompit un instant pour tenter de clarifier ses idées. Il croisait et décroisait ses doigts, qu'il ne pouvait empêcher de trembler...
-Il y a environ une de nos années, un astronef s'est posé sur Olympe. Il était piloté par des Terriens qui se sont montrés très menaçants. Ils ont exigé que nous leur livrions un certain nombre de cristaux qui, heureusement, se trouvent en abondance sur notre planète.
-Quel genre de cristaux?
-Je crois que dans votre langue, ils s'appellent diamant, rubis et émeraude.
Marc poussa un petit sifflement admiratif tandis que Zeus reprenait :
-Depuis, ils reviennent régulièrement chercher de nouveaux chargements. Pour assurer leur sécurité et stimuler notre zèle, ils ont laissé sur Olympe une petite garnison qui occupe une villa un peu à l'écart, sur une colline.
-Et votre président tolère ces bandits! s'exclama Marc.
-Il le faut bien! Nous ne possédons ni armée ni police !
-Il aurait pu organiser une milice entre deux raids.
Zeus secoua la tête, navré.
-Il n'y aurait guère eu de volontaires! Dans sa sagesse profonde, Cronos a estimé qu'il était inutile de risquer des vies pour un désagrément très temporaire. Il pense que dans vingt ou trente ans, ces gens disparaîtront. À notre échelle, cela ne représente qu'un bref délai. Il s'oppose donc à ce que nous tentions une action contre ces brigands.
-Si tout le monde est satisfait, pourquoi m'avoir réveillé ? grinça Marc.
Zeus détourna la tête, fixant un coin de la chambre. Son embarras était manifeste et il n'osait formuler sa pensée. Il murmura enfin, les joues très rouges :
-J'ai peur... pour Héra. Si les pirates l'ont emmenée, ce ne peut être que pour lui faire subir de terribles violences. Elle est capable de vouloir se défendre... Qui sait s'ils ne la tueront pas ! Cette idée m'est insupportable. Je ne lui ai pas été très fidèle, mais... je l'aime.
D'une voix hésitante, il ajouta:
-J'ai pensé que... enfin, tu n'es pas tenu de suivre les conseils de Cronos. Voudrais-tu m'aider?
-Je peux essayer, répondit Marc après un instant de réflexion. Où sont Arès et Héphaïstos?
-Ils sont restés au palais pour conter nos aventures et annoncer ton existence. Je suis revenu seul.
Ray se manifesta psychiquement:
-Je sens que tu vas encore jouer les preux chevaliers, pour une gente dame qui t'a fait passer de très désagréables moments. N'oublie pas ton pistolaser !
-Allons-y, dit Marc à Zeus. Avez-vous un moyen de transport?
Devant le perron de la villa se trouvait un véhicule de forme oblongue.
-Il se déplace par anti-gravité, expliqua Zeus, mais il n'est guère rapide. Pourquoi ne pas utiliser votre module?
-Nos adversaires sont nécessairement sur leurs gardes. En voyant un appareil terrien, ils comprendront qu'ils sont attaqués. Or, je ne veux pas qu'ils se servent d'Héra comme d'un bouclier.
Ils s'installèrent dans l'appareil et Zeus démarra. Il conduisait lentement, sur une route qui serpentait entre de ravissants bosquets éclairés par des projecteurs fort bien dissimulés ; la lumière mettait en valeur les couleurs des feuilles et des fleurs.
-Ne pouvez-vous pas accélérer? grogna Marc.
-La vitesse est strictement limitée pour éviter les risques d'accident.
-Avez-vous une idée du nombre de nos adversaires?
-Aucune ! Il change à chaque passage de l'astronef.
Le silence retomba, pesant, chacun étant perdu dans ses pensées.
-Voilà la villa, annonça enfin Zeus en désignant une construction blanche à un étage, distante d'environ cinq cents mètres.
-Arrêtez-vous, ordonna Marc. Nous ferons le reste du chemin à pied.
Comme Zeus esquissait un geste pour descendre, il poursuivit:
-Restez ici ! Si nous ne sommes pas revenus à l'aube, cela signifiera que nous avons échoué. Dans ce cas, regagnez la maison d'Héphaïstos. Dans le module se trouve un émetteur hyperspatial. Il est réglé sur la fréquence de mon Service. Le contact obtenu, vous ferez un rapport détaillé.
-Mais je ne parle pas votre langue.
-Aucune importance! Utilisez la vôtre. Les traducteurs universels la décrypteront rapidement si le message est assez long !
Suivi de Ray, Marc avança vers la maison, prenant soin de rester à l'abri des arbres. Elle se dressait au milieu d'un espace découvert.
-Il y a plus de cent mètres à franchir sans moyen de se dissimuler, constata Ray.
Marc examina avec soin la pelouse. Son regard fut attiré par une zone brune, terreuse.
-Autrefois, murmura-t-il, il devait exister un bosquet à cet endroit. On voit encore les troncs des arbres sectionnés au ras du sol. Ce ne peut être sans motif.
Ray désigna du doigt le toit-terrasse.
-Mes détecteurs perçoivent une onde radar!
Utilisant ses antigrav, l'androïde s'éleva jusqu'à la cime d'un arbre ressemblant à un chêne plus que centenaire. Son étude fut rapide car moins de cinq minutes plus tard, il se reposait en douceur à côté de Marc.
-Il existe un radar rotatif qui balaie la pelouse sur un rayon de cent mètres. Il est couplé à un canon laser capable de détruire tout ce qui pénètre dans le champ des ondes.
-Il nous faut trouver une solution pour pénétrer dans cette baraque.
-L'onde radar repasse au même endroit toutes les dix secondes.
Marc apprécia la distance du regard.
-Cent mètres en dix secondes sur une planète où la gravité est légèrement supérieure à celle de la Terre... Je n'ai pas assez d'entraînement pour réussir.
-Moi, je le peux, en utilisant mes antigrav ! Je te porterai.
Ray saisit Marc et le souleva.
-Prêt?
Il s'élança brusquement, progressant par bonds allongés tandis que Marc comptait les secondes.
Deux... trois... cinq.... six...
A neuf, il se retrouva plaqué contre le mur de la villa tandis que Ray émettait :
-Ici, nous sommes à l'abri !
Une fois de plus, Marc remercia les ingénieurs qui avaient conçu une mécanique aussi perfectionnée! Ray s'approcha d'une large baie vitrée qu'il examina avec soin.
-Mauvais, soupira-t-il, il y a un système d'alarme. Voyons s'il en est de même au premier étage. Accroche-toi !
Les fenêtres étaient là aussi défendues par un mécanisme électronique. Le robot déposa Marc sur le toit-terrasse au centre duquel se trouve le radar, fixé au sommet d'un pylône métallique.
-Reste allongé pour ne pas couper le faisceau, recommanda-t-il.
Il rampa en silence jusqu'au pied de la poutrelle et émit:
-Un escalier intérieur mène au toit. Malheureusement, il est aussi sous surveillance.
Il se déplaça lentement, collant son oreille au revêtement orné d'une mosaïque.
-La pièce qui se trouve en dessous paraît vide. Avec mon laser digital, je devrai pouvoir percer le plafond.
Il se mit aussitôt au travail. Il agissait lentement, empilant en douceur à côté de lui les fragments que son laser découpait. Marc admirait la vue qui s'étendait en dessous de lui. Seul le palais gouvernemental, illuminé, était visible. Les autres constructions se fondaient harmonieusement dans la verdure que des projecteurs bien dissimulés éclairaient par endroits. Quelques minutes plus tard, Ray annonça que le trou avait un diamètre suffisant pour les laisser passer.
Les Terriens se retrouvèrent dans une pièce obscure, une chambre sans doute comme en témoignait la présence d'un lit. Avec précaution, Ray ouvrit la porte qui donnait sur un long couloir. Il la referma aussitôt.
-Un gros pépin, Marc. Il y a un robot de combat sur le palier. Toutefois, il ne semble pas en activité car il aurait détecté le mouvement du battant.
-C'est donc le moment d'en profiter.
-Branche ton écran protecteur à la plus forte intensité. Approcher de ces casseroles ambulantes est aussi amusant que tirer les moustaches d'un tigre affamé, grogna Ray.
Ils avancèrent dans le corridor sans déclencher de réaction. Le robot était un gros ovoïde de deux mètres de haut, se déplaçant par antigravité. Il était porteur de six tentacules pouvant devenir autant d'armes mortelles. Laser, désintégrateur, petits missiles nucléaires tactiques, projectiles explosifs classiques chargés de gaz anesthésique, rien ne manquait à sa panoplie.
-C'est un engin de la Sécurité Galactique, émit Marc. Je me demande comment les Solaniens ont réussi à se le procurer.
-Tu poseras la question à l'amiral Newman, rit intérieurement Ray.
Évitant tout mouvement brusque, il contourna la mécanique. Avec précaution il souleva une petite plaque à la base de l'ovoïde.
-Il est effectivement inactivé, soupira-t-il. Le contact peut être rétabli par télécommande.
Un rayon laser jaillit de son index.
-J'ai détruit les fusibles du générateur. Maintenant, il faut agir vite: ces cochonneries sont munies d'un système d'autoréparation.
À l'aide de son laser, il sectionna un à un les tentacules à la base. L'opération demanda du temps en raison de la solidité du métal. Dès qu'un «membre» était tranché, Ray introduisait dans le moignon une petite grenade incendiaire munie d'un détonateur à retardement.
***
Héra regardait avec inquiétude les trois hommes. Pour l'heure, ils étaient installés autour d'une table et jouaient aux cartes.
Ils l'avaient traînée jusqu'à cette villa et jetée sur un fauteuil en lui interdisant de bouger. Cette pièce avait dû être un élégant living-room. À présent, elle était sale, avec des murs maculés de taches. Des gobelets vides traînaient sur le carrelage.
Les Solaniens avaient mangé. Bâfré, serait l'expression plus exacte. Maintenant, ils buvaient beaucoup et échangeaient des invectives en jouant. L'un d'eux, un colosse roux, les joues écarlates, vêtu d'une combinaison de spationaute crasseuse abattit ses cartes. Eclatant d'un rire tonitruant, il s'exclama !
-J'ai gagné! Je serai donc le premier à m'occuper de la fille.
Les deux autres acquiescèrent à regret. L'un était petit, brun, le front bas avec de gros sourcils. Le second, les cheveux châtains trop longs ramenés en arrière par un filet, grogna:
-On veut profiter du spectacle ! Ensuite, ce sera notre tour.
Le géant approcha d'Héra qui se recroquevilla sur son siège.
-Assez flirté, ricana-t-il. Déshabille-toi!
La gorge serrée, tremblante, la jeune femme secoua la tête. Le Solanien étendit sa grosse main et saisit sa combinaison.
-Je vais donc avoir le plaisir de m'en charger. Cela me rappellera le temps de ma jeunesse où je dépouillais les lapins.
D'un geste sec, il fit sauter les agrafes métalliques, dénudant le torse de sa victime, faisant jaillir deux seins qui n'avaient nullement besoin de soutien-gorge.
Il contempla le spectacle avec satisfaction.
-Je sens qu'on ne va pas s'embêter, gloussa-t-il. J'aime les pouliches rétives. Plus elles se défendent, plus je suis content.
-Lâchez-moi, hurla Héra. Mes amis ne tarderont pas à venir me chercher!
Un gros rire secoua la bedaine du pirate.
-Tous des veaux ! De vrais paillassons sur lesquels il n'est même pas amusant de s'essuyer les semelles. Dès la première apparition de Ker-Lo, ils se sont couchés. Ils ont fourni tout ce que nous avons demandé. À son retour, le commandant exigera encore plus de pierres précieuses. Ensuite, il fera aménager une base permanente que nous louerons aux autres pirates pourchassés par la Sécurité Galactique.
D'un geste vif, il acheva de dévêtir Héra. Tandis qu'elle tentait maladroitement de dissimuler sa nudité de ses bras, il ricana :
-Si tu es compréhensive, nous te laisserons repartir dans quelques jours ou... quelques semaines. Rassure-toi, tu n'es pas la première à venir ici. Toutes n'en sont pas sorties trop désolées. Apparemment les hommes du coin ne sont pas plus mâles que guerriers! Avec nous, tu pourras en profiter !
Il emprisonna sa proie entre ses bras puissants et l'étreignit. La jeune femme détourna la tête pour éviter que deux grosses lèvres ne se posent sur les siennes.
Le colosse la souleva puis l'allongea sur le sol. Elle frissonna au contact du carrelage froid. Aussitôt, un poids énorme l'écrasa. Elle secoua la tête en une ultime protestation et cria:
-Non ! Non ! Vous n'avez pas le droit !
Sa plainte ridicule n'entraîna aucun écho. Elle étouffait sous la pression de son agresseur. Elle tenta de se débattre, de griffer, de mordre. Ses ongles se cassèrent sur la combinaison d'astronaute, ses bras furent immobilisés par des mains trop puissantes. Un voile noir couvrait sa vue. Elle ne perçut ni le claquement de la porte, ni la voix qui ordonnait:
-Les mains en l'air, vite !
Tout au spectacle, les Solaniens n'avaient pas remarqué le mouvement du battant. Le petit brun réagit le premier. Plongeant la main dans la poche de sa tenue d'astronaute, il en tira son pistolaser. Il leva son arme mais interrompit son geste et s'immobilisa une fraction de seconde. Un trou noir était apparu à la racine de son nez. Ray avait actionné son laser digital.
Le corps du bandit oscilla un instant puis s'abattit brusquement.
Le second pirate s'élança vers Ray en poussant un hurlement de colère. Il le croyait Olympien et espérait le terrasser rapidement. L'androïde esquiva la charge et contra d'un gauche puissant à l'estomac. Son adversaire se plia en deux, hurlant de douleur. D'une solide manchette sur la nuque, Ray mit fin au combat et aux jours du brigand dont les vertèbres éclatèrent sous le choc.
Ce double combat n'avait duré que quelques secondes, qui avaient cependant permis au colosse de se relever, serrant Héra devant lui.
-Si vous avancez, je la tue, cria-t-il en appuyant le canon de son pistolaser sur la tempe de la jeune femme.
Marc et Ray s'immobilisèrent tandis que le géant lançait d'une vois retentissante: A X Z, ici, vite!
Affectant un calme qu'il était loin de ressentir, Marc déclara avec ironie:
-Si vous appelez la grosse marmite qui se trouve au premier étage, vous perdez votre temps !
Plusieurs détonations sourdes retentirent, traduisant l'explosion des grenades incendiaires.
-Elle achève de se consumer, ajouta Marc.
Le regard furieux, le Solanien lança:
-Vous n'auriez jamais dû nous attaquer.
Lorsqu'il reviendra, le commandant Ker-Lo détruira votre ville.
-Je ne le crois pas, répliqua Marc avec un sourire glacé. En ce moment, votre patron grille en enfer, et il est peu probable que Lucifer lui accorde une permission.
A cette annonce, le colosse blêmit. Il dévisagea Marc de ses yeux bleus trop pâles.
-Vous êtes des Terriens, siffla-t-il entre ses dents serrées.
-Exact! Vous êtes en état d'arrestation! Rendez-vous !
La brute resserra l'étreinte de son bras autour d'Héra.
-Jamais ! Si vous avancez, je la descends.
-Vous perdrez votre dernière chance.
-Je ne risque rien, railla l'autre. Ici, ils ignorent même ce que peut être la peine de mort.
-Vous serez extradé !
-La belle affaire ! Vous ne pouvez que me livrer à l'ordinateur judiciaire. C'est la loi ! Or, j'ai déjà été jugé et reconnu fou. Je ne risque qu'un séjour de quelques années en hôpital psychiatrique. Si vous voulez sauver cette poulette, il vous faut négocier, et mon prix sera élevé. Je veux un astronef!
Marc réfléchissait rapidement. Le pirate était sûr de lui et disait certainement la vérité. Il se tourna vers Ray en levant les yeux au ciel, ce qui signifiait qu'il désirait que les scènes suivantes ne soient pas enregistrées.
-Vous commettez une erreur, dit-il d'une voix polaire. Je ne suis pas un policier mais un agent du S.S.P.P. Je ne suis donc nullement tenu de vous arrêter. En tant que simple citoyen, je dois seulement porter assistance à une personne en danger.
Il leva son pistolaser.
-Si vous la blessez, voilà ce qui arrivera : Ray et moi tirerons aussitôt. Nous vous couperons bras et jambes, et surtout votre virilité dont vous êtes si fier. Ensuite, en bon citoyen que je suis, je vous remettrai aux autorités judiciaires. J'espère que vous ne serez pas condamné à mort. Ainsi, vous aurez de longues années pour regretter ce que vous aurez perdu !
-Vous n'oseriez pas faire une chose pareille! protesta le colosse d'une voix beaucoup moins rassurée. Vous n'en avez pas le droit ! Vous devez respecter la loi !
-Quelle loi? Sur Olympe, il n'existe aucune jurisprudence. Si besoin, je m'expliquerai avec les autorités. Comme vous, je ne risque pas grand-chose.
Le bandit fixa Marc dont les yeux avaient pris un éclat métallique féroce.
-Vous seriez capable de le faire, lança-t-il avec rage, mais vous avez négligé un détail. Moi aussi je suis armé !
Allongeant le bras, il tira sur Marc à deux reprises. Au contact de l'écran protecteur, les rayons laser ne produisirent qu'un grésillement ridicule. Le brigand ne comprit son erreur qu'en enfer ! Marc avait voulu le pousser à bout pour qu'un instant il cessât de menacer son otage et Ray était intervenu avec sa précision coutumière.
Terrorisée, Héra se jeta en sanglotant dans les bras de Marc.
-Calmez-vous, supplia-t-il, c'est fini. Vous ne risquez plus rien.
Ray ramassa les lambeaux de la combinaison et aida Héra à se couvrir.
-Venez, reprit Marc, Zeus nous attend dehors. Il était très inquiet pour vous et il est venu nous chercher.
-Un instant, intervint l'androïde. Il me faut débrancher le radar du toit !
Il s'éclipsa tandis que Héra se cramponnait toujours à Marc, il reparut moins de cinq minutes plus tard.
-La route est libre !
Zeus se morfondait dans son véhicule. Il sursauta en voyant apparaître le trio.
-Héra ! s'exclama-t-il. Tu n'as rien?
-Marc est arrivé juste à temps, sourit-elle en caressant doucement la main de Zeus.
Parvenu devant la villa d'Héphaïstos, Marc descendit:
-Je vais reprendre mon somme interrompu. Je vous charge d'informer Cronos que les pirates ont été éliminés jusqu'au dernier.
CHAPITRE XIX
Le président hocha doucement sa tête grisonnante. En ce milieu de matinée, Zeus avait conduit Marc et Ray au palais du gouvernement. Les représentants de l'Union Terrienne avaient été reçus et ils avaient délivré le message de leur président.
-Capitaine Stone, commença Cronos, je vous remercie, vous et vos dirigeants, d'avoir permis à mes compatriotes de regagner Olympe. Nos premiers contacts, l'année précédente, avec ces Solaniens ont été fort désagréables. Aussi j'avoue avoir été très inquiet lorsque Héphaïstos m'a révélé hier votre venue. Je suis heureux de constater que mes craintes étaient vaines. Grâce à votre courage, tant dans l'espace qu'ici même, vous avez rétabli une situation difficile, épargnant à mon peuple des souffrances. Vous avez prouvé les qualités de coeur des Terriens.
Un discret sourire éclaira son visage austère.
-Je devine que vous êtes pressé de regagner votre patrie. Je soumettrai la proposition de l'Union Terrienne à notre conseil et vous donnerai demain un message pour votre président. Je n'omettrai pas de mentionner vos brillantes qualités. Comme vous le souhaitez, les négociations ultérieures seront menées avec votre ministère des Affaires Galactiques grâce à la vidéo-radio que vous avez apportée. En attendant, vos amis se feront un plaisir de vous faire les honneurs de notre planète. Dès maintenant, je veux que vous sachiez que vous serez toujours le bienvenu sur Olympe.
Marc s'inclina et sortit rejoindre Arès, qui l'attendait dans l'antichambre en compagnie de nombreux Olympiens curieux de connaître les Terriens. La journée s'écoula en excursions, réceptions, fêtes joyeuses.
Ce fut avec satisfaction que, le soir venu, Marc regagna sa chambre. Il but un dernier verre, mélange de jus de fruits au goût délicat. Un grattement à la porte le fit relever la tête. Le battant pivota et Héra avança d'un pas. Elle était vêtue d'une longue tunique de couleur émeraude, légèrement décolletée, s'harmonisant avec le noir de sa chevelure. Elle resta un instant silencieuse, visiblement intimidée.
-Marc, je voulais te remercier pour ton intervention d'hier. Après les épreuves que je t'ai fait endurer sur Hedon, tu n'avais aucune raison de venir à mon secours.
Avec un sourire, Marc répondit :
-Souviens-toi de ce que j'ai dit lorsque tu voulais fouetter Aphrodite. Je n'aime pas voir souffrir les femmes ! C'était vrai.
Héra fit encore un pas. Elle était toute proche de Marc. Sa lèvre inférieure était animée d'un léger tremblement.
-Tu as risqué ta vie !
-N'exagérons pas! Le manque de résistance de tes compatriotes avait endormi la méfiance des pirates et émoussé leurs réflexes.
-Je voulais encore te demander...
Soudain, elle se plaqua contre lui et l'embrassa. Instinctivement, il passa les bras autour de sa taille souple.
-Pourquoi? murmura-t-il.
-Je le désire, Marc. Il y a si longtemps...
-Mais Zeus...
Elle appliqua son index sur les lèvres de Marc.
-Il est le seul à ne rien pouvoir me reprocher ! Je crois que je serai plus indulgente avec lui si, moi aussi, j'ai quelque chose à me faire pardonner.
D'un mouvement vif, elle dégrafa sa tunique, qui glissa sur le sol. Elle émergea du vêtement, nue, belle... comme une déesse. Elle tendit les bras, le regard brillant d'une lueur que Marc ne lui avait jamais vue. Pour résister à une telle invitation, il eût fallu être un saint. Or, Marc n'en était pas un !
En se laissant entraîner dans un joyeux tourbillon, il songea que la notion de sainteté n'était apparue qu'après la disparition des dieux d'Olympe !
***
Une main énergique mais douce secoua l'épaule de Marc. Il ouvrit les yeux avec peine, son tête-à-tête avec Héra ayant été particulièrement houleux. Aphrodite, souriante, se tenait au chevet du lit.
-Réveille-toi, dit-elle. Cronos t'attend à onze heures. Ensuite, je sais que tu partiras. Bois vite ceci.
Elle lui tendit un verre empli d'un liquide rose. C'était frais, onctueux, parfumé, très agréable.
Lorsqu'il eut achevé, Marc s'enquit de la nature du breuvage.
-C'est de l'ambroisie!
Avec un sourire ironique, Aphrodite ajouta :
-Mes compatriotes souhaitent adhérer à votre Union Terrienne, et il est probable qu'ils enverront une ambassade sur la Terre. Toutefois, comme les Olympiens sont toujours lents à réagir, il se peut qu'elle ne s'effectue que dans vingt ou trente ans. Je participerai à ce premier voyage et je souhaite te retrouver en pleine forme. L'ambroisie ralentit le vieillissement.
Marc sursauta et une sourde inquiétude envahit son esprit.
-Ne crains rien, le rassura Aphrodite, nous l'avons déjà testée sur des Terriens lors de notre séjour sur le mont Olympe.
Tirant de sa poche un petit paquet, elle conclut :
-Mes camarades et moi souhaitons t'offrir ce cadeau pour te remercier de nous avoir sauvés.
Marc défit l'emballage et resta médusé.
-Je ne puis accepter, murmura-t-il.
-Nous t'en prions! Sur Olympe, ces pierres ne sont qu'une curiosité cristallographique sans valeur réelle. Maintenant, presse- toi, sinon tu seras en retard à ton rendez-vous!
Elle effleura les lèvres de Marc d'un rapide baiser et s'enfuit, le laissant perplexe. Il tenait à la main un cristal de la taille d'un oeuf. Le plus gros diamant qu'il n'eût jamais contemplé !
FIN