Je ne découvre rien de plus. Pat a été enlevé, car mort, son cadavre serait ici. « Ils » devaient vouloir lui faire cracher des informations. J'espère qu'il est résistant, car c'est son assurance longévité à présent.
Je m'installe à nouveau dans mon trans et m'offre une rasade de remontant alcoolisé. Peu de pistes s'offrent à moi. A cette heure-ci, je ne peux pas louer d'hélijet pour aller visiter la mine de mon cher ami Glaive, seul Malcom peut me guider.
Il parlera ou bien il mourra de manière très déplaisante.
CHAPITRE XII
Je branche mon terminal de poche sur l'annuaire de la ville. Une minute plus tard, il me recrache l'adresse de Malcom. Il habite près de l'océan, assez loin des autres habitations. Parfait ! Comme je doute qu'il me fournisse des informations de bon gré, j'aurais besoin de tranquillité pour le rendre plus loquace. Aucune raison de prendre des gants avec ces individus.
Je mets plus d'une heure avant d'arriver devant sa luxueuse villa. Je m'arrête cent mètres plus loin, et reviens à pied en examinant les alentours. Devant la grille, ô surprise, un hélijet dernier modèle. Décidément, le crime paye toujours aussi bien. Ce salaud a tout de même du goût. La maison, de style rétro- colonial, est cinquante mètres en retrait. Une piscine grand format occupe une bonne partie du jardin. Sur le toit de la maison, j'aperçois un radar de surveillance, un mince filet de fumée s'en échappe. Quelqu'un est déjà passé, pour le rendre inutilisable !
« Prudence, j'arrive peut-être au mauvais moment. »Je contourne la villa et vérifie que la grille n'est plus électrifiée. Ce type est du genre paranoïaque. Je jette un morceau de ferraille... Rien. J'escalade alors sans difficulté la clôture. Je m'arrête un instant dans l'ombre, mais rien ne bouge. Tout le devant de la maison est plongé dans l'obscurité. J'avance silencieusement, longe la piscine et m'approche à pas de loup de l'hélijet. J'ai bien fait de me méfier, il y a quelqu'un aux commandes. Je saisis mon fusil et arrive près de la portière avant gauche. L'abruti surveille la villa et ne m'entend pas venir. Sur une planète primitive, il faut souvent savoir se déplacer silencieusement et je sais être très silencieux.
J'ouvre brusquement la portière, l'autre se retourne avec un sursaut, mais c'est pour recevoir la crosse de mon arme sur le crâne. Je le tire un peu dehors pour lui refiler un second coup tout à mon aise. Il se tasse sur son siège sans histoire. Il se passera au moins une demi-heure avant qu'il ne s'intéresse à nouveau au monde extérieur.
Je me dirige ensuite vers la porte de la cuisine qui se trouve derrière la maison. Aucune lumière ne s'est allumée depuis.
Juste devant la porte se découpe la silhouette de ma future victime. Ils sont prudents et ont même fait garder l'arrière de la maison. Le type fait les cent pas le long du mur. Toujours dans le plus grand silence, je profite qu'il me tourne le dos pour m'approcher, et lui serre le cou avec mon avant-bras. Cette pourriture est souple comme une anguille et se retourne juste assez pour m'empêcher d'assurer ma prise. Je perds une seconde en voulant à toute force maintenir mon bras sur sa gorge pour l'empêcher de gueuler.
J'encaisse aussitôt un coup bas qui me donne l'impression de me coltiner avec une douzaine de crocodiles de Procyon. Risquant le tout, je le lâche, recule d'un pas et lui balance la pointe de ma botte dans l'estomac. Il se plie en deux à la recherche de son souffle et reçoit mes deux mains réunies sur sa nuque offerte. Cette superbe manchette met fin au combat et probablement à ses jours, si j'en juge par le craquement sourd que j'ai entendu. Une nausée m'envahit...
Quelques secondes après, je colle mon oreille sur le panneau en imitation bois, rendu humide par la pluie. Aucun bruit. Je tourne doucement la poignée, la porte est fermée à clef par un verrou magnétique. Je sors mon couteau et fais jaillir le fil laser. Il entame la cloison sans difficulté. Trente secondes plus tard, la serrure tombe de la porte sans trop de bruit.
La cuisine est vide. Elle donne sur un long couloir obscur. Sur la droite, un rai de lumière révèle l'existence d'une porte que je n'avais pas remarquée. Une voix sèche, énergique dit :
-Jack, t'en veux encore ou tu te décides à dire où tu as planqué le reste ?
-J'ignore de quoi vous parlez, répond une autre voix en chevrotant, celle de Jack probablement.
-Et ça, qu'est-ce que c'est ? Du cristal de roche peut-être ?
-Connais pas. Première fois que je vois de ça chez moi.
-Arrête de nous prendre pour des imbéciles. T'as vu tes yeux. Tu étais en train de fixer un Lapis Oniris quand on s'est amené. Tout le monde savait que tu te shootais. Mais le patron t'avait interdit d'en piquer dans sa réserve.
-Dick, on arrivera à rien comme ça, laisse-moi utiliser mon matériel. Une drogue est quelquefois plus utile que les coups.
-D'accord.
Je m'approche de la porte pour apercevoir un gros type s'écarter du siège où se tasse Malcom. Il laisse sa place à un grand brun anguleux qui s'approche avec un injecteur.
La présence de ces deux types brouille toutes mes notions. Je suis tombé sur un trafic de lapis oniris et c'est vraiment du sérieux ! Ces cristaux ont la particularité de provoquer sur les humains qui les fixent l'apparition de rêves très agréables, à nette tendance érotique. Malheureusement, ils entraînent également des phénomènes d'accoutumance et d'asservissement comparables à ceux d'une drogue dure. De plus, certaines vibrations émises par les cristaux détériorent les neurones cérébraux. Leur importation sur toutes les planètes du l'Union Terrienne est formellement interdite.
Mais, depuis quelques mois, Terre I a du mal à juguler l'importation illicite de ce cristal. Les Solaniens, insensibles aux effets de cette drogue, sont même suspectés de fournir certains contrebandiers.
J'hésite à intervenir immédiatement, mais je crains de ne plus pouvoir l'interroger à ma guise après l'intervention du spécialiste. J'entre, mon fusil dans une main et mon pistolaser dans l'autre. Comme la plupart des agents du service action, je suis un peu ambidextre. Ce détail permettait de s'adapter plus facilement aux appareils primitifs, qui n'étaient parfois pas conçus pour des droitiers.
-Personne ne bouge !
Un troisième type, maigre, au nez busqué et aux lèvres minces se retourne immédiatement et fait feu. Le rayon rouge, tiré au jugé passe à quelques centimètres de ma figure.
Je riposte aussitôt et lui transforme une bonne moitié de son anatomie en lumière et chaleur. Le bruit strident du pistolaser se confondant presque avec la détonation sèche et puissante de ma cartouche de plasma. L'arme en engage automatiquement une nouvelle dans la chambre de combustion.
Le gros lard qui doit s'appeler Dick s'est retourné pendant ce temps, mais avant qu'il n'ait pu saisir son arme, il s'effondre, un gros trou noir à la racine du nez.
Le grand anguleux n'est pas armé et recule pas à pas, les mains levées. Malcom s'est redressé et me regarde l'air ahuri.
-Bon Dieu ! Qui que vous soyez, je vous récompenserai grassement pour cela !
-Assis ! Et pas un mouvement ! Combien étaient- ils ?
-Quatre, je crois, l'un d'eux est monté fouiller les chambres du premier.
-Allons bon, il en manque un !
J'ai à peine le temps de me retourner que le salaud s'amène, et avec la grosse artillerie. Je m'aplatis sur le sol, pendant qu'une rafale électronique ravage le salon. Les jets de foudre font éclater les meubles au fond de la pièce, tandis qu'une fumée âcre se répand. Le salon était luxueusement aménagé car les meubles sont tous en bois véritable. La grande glace dans mon dos se désintègre littéralement et une multitude de petits fragments jaillissent dans toute la salle. Ma joue me brûle.
Je roule sur le tapis jusqu'à ce que je heurte une petite table. Je la balance aussitôt vers mon tireur. Le meuble éclate sous l'effet du jet d'électrons condensés. Debout, les jambes écartées, sa lourde mitrailleuse à la main, le salopard arrose consciencieusement la pièce. Encore abasourdi d'avoir été épargné par les rafales, je tire au jugé mes trois dernières cartouches de plasma.
La moitié du mur disparaît comme emboutie par un gigantesque bélier. La fusillade cesse brutalement. Je me relève avec peine. Je commence à sentir du sang dans mon cou. J'aperçois du coin de l'oeil le grand brun, le torse calciné, un horrible rictus sur les lèvres, qui est allongé à deux pas de moi. Je me retourne.
-Malcom, vous êtes intact ?
Il aura du mal à m'être utile dans son état. Trop exposé dans son fauteuil, il a écopé de plusieurs rafales. Son visage est à peine reconnaissable. Le reste du corps ne l'est guère plus.
Quel gâchis ! C'est fichu pour mes renseignements, et il faut que je me tire en vitesse avant d'être bloqué pour la nuit par les flics locaux. J'ai du mal à aligner deux idées de suite et la tête me tourne. Rassemblant mes forces, je reviens dans la cuisine, moins enfumée. Une glace me renvoie l'image d'une tête qui ferait peur à un gorille d'Arcturus.
La coupure de ma joue est peu profonde mais saigne abondamment. Je m'asperge d'eau et colle un torchon propre contre la plaie.
Je ne peux plus attendre, il faut que je sorte de là au plus vite. Je n'ai qu'une idée en tête : fuir le plus loin possible de cette boucherie, m'enfoncer dans un bois, me perdre. Je me précipite dans le jardin, évite de justesse de tomber dans la piscine et me heurte presque à l'hélijet.
Je commence à me ressaisir. Un compartiment de l'hélijet est ouvert et je me botte les fesses (mentalement, c'est plus facile) de ne pas l'avoir fouillé tout à l'heure. Le dernier malfrat, en entendant la fusillade est retourné ici chercher sa mitrailleuse.
Je rejoins mon trans et m'effondre au volant. Après une rasade de stem, je ferme les yeux et essaie de remettre en ordre mes idées. Je parviens à me calmer et à me reconcentrer sur l'affaire. Je tourne et retourne l'affaire dans tous les sens sans trouver de fil conducteur.
Une vague de désespoir m'envahit. Toutes les pistes que j'ai suivies jusqu'à présent se sont terminées en impasses.
Cory qui s'accuse, Pat enlevé chez Cory, Malcom mort, impliqué dans une affaire de lapis oniris. Pat est peut-être même déjà mort.
Tout à coup, un détail que j'ai laissé passer dix fois me revient en mémoire. Petit à petit, l'histoire devient plus claire, puis lumineuse comme une Novae.
Enfer, comment n'y ai-je pas pensé plus tôt ? L'ours en peluche sur le lit défait ! La vérité était là, devant mes yeux. Les enfants adorent leurs vieux jouets. Même au cours d'un départ hâtif, elle ne l'aurait jamais oublié !
L'histoire était encore plus ignoble que j'avais pu l'imaginer. Shirley a été emmenée de force, réellement kidnappée. La bande a tenu à s'assurer le silence de Cory et n'a pas hésité à enlever sa soeur. Sa vie contre sa liberté. C'est un chantage à faire vomir... le suis bien décidé à la retrouver par tous les moyens. Je crois même avoir mis un nom sur l'ignoble ordure qui a ourdi cette machination.
L'hélijet est toujours dans le jardin de Malcom...
« Après tout, je n'ai plus que cela à faire. J'espère seulement qu'il est encore temps pour Pat et Shirley. »
CHAPITRE XIII
L'hélijet vole à dix mètres de la cime des arbres à plus de Mach 0,95 vers le Nord. Heureusement, Sa région est complètement déserte et l'ordinateur d'assistance au pilotage est du tout dernier modèle.
Avant de partir, j'ai renvoyé mon trans en mode automatique vers l'appartement de Laura. J'espère qu'elle trouvera le message que j'ai laissé sur mon communicateur personnel. Je lui indique ma destination, lui résume les événements des dernières heures et lui dit de joindre Stone au plus vite pour l'avertir. Il devrait avoir assez d'éléments pour faire réviser le procès Vickers. A présent je n'ai plus aucun doute sur son innocence.
La propriété de Glaive est encore à deux heures, et comme je suis hors de portée des radars de la ville, j'acquiers de l'altitude et rebascule le pilotage automatique.
-Je prends les commandes, me répond l'ordinateur de bord d'une voix féminine extrêmement suave.
-Il faut absolument que je transfère le module vocal sur mon trans, dis-je rêveur.
J'étends mes jambes. L'effet de l'anesthésiant commence à se dissiper et la douleur revient, lancinante. J’avale deux autres cachets de stimulants et ferme les yeux en essayant de détendre mes muscles crispés.
***
La sonnerie aiguë de la centrale de navigation me tire de mon état semi-comateux. Je l'avais programmé pour stabiliser l'appareil à cinquante kilomètres environ du ranch.
-Objectif atteint et appareil en stationnaire, me répète inlassablement l'ordinateur de sa voix merveilleuse.
Le scanner de l'appareil, quoique rudimentaire, détecte sans problème les bâtiments principaux et l'abattoir. J'agrandis le champ et en tâtonnant un peu, je finis par dénicher un petit baraquement à trois kilomètres à l'ouest de la maison.
C'est surtout la mine qui attire mon attention. Avant de foncer tête baissée, je tiens à vérifier ma première hypothèse. Si elle s'avère bonne, un appel à la sécurité locale, preuve à l'appui, me permettra de mieux couvrir mes arrières.
Je focalise mes instruments sur l'entrée de l'exploitation. Elle est située au beau milieu d'une imposante falaise, à cinquante mètres de hauteur environ. Un petit funiculaire mû par antigravité relie l'entrée à un autre bâtiment préfabriqué que je n'avais pas encore repéré. Le rail est doublé d'une sorte de tunnel qui doit permettre d'évacuer 1e minerai. Le ranch est loin, à plusieurs kilomètres en contrebas.
Je dirige mon hélijet à faible vitesse vers la falaise, et le pose au milieu d'une petite clairière. L'exercice de pilotage est assez périlleux, mais je m'en tire plutôt bien car les béquilles télescopiques prennent contact doucement avec le sol recouvert d'herbe. Je prends mes armes et saute hors du cockpit. L'air est frais, et me rappelle les innombrables fois où je suis sorti de mon module de liaison, sur une planète primitive, respirant à pleins poumons le parfum doux d'une forêt.
La lune de Terrania XXXVI s'est levée et fournit suffisamment de lumière pour me diriger. La boussole intégrée à mon chronographe m'indique la direction de la mine. Je n'ai pu trouver aucun endroit pour me poser plus près et je suis tout de même à cinq ou six kilomètres, soit une bonne demi-heure au pas de course. Par malheur, l'équipement de l'hélijet ne comprend pas de réacteur dorsal.
Le rythme n'est pas trop difficile à prendre, mais malgré mon analgésique, la douleur dans ma jambe se fait à chaque pas plus vive. Je sais que je ne dois pas ralentir, et essaie de fixer mes pensées sur ma respiration. Inspirer, souffler, inspirer...
L'immense paroi rocheuse apparaît brutalement devant moi. Je n'ai pas trop mal gardé mon cap car l'entrée de la grotte est à peine à cent mètres sur ma droite.
Si je ne veux pas avertir quelqu'un en déclenchant les anti-grav du funiculaire, il me faut grimper jusque là par mes propres moyens. Sans être lisse, la paroi à première vue calcaire, ne présente pas beaucoup d'aspérités. Je repère une longue faille qui part dans la bonne direction. Je cale mon fusil dans mon dos et commence à m'élever.
L'escalade faisait partie de mes loisirs favoris en permission, mais mes bottes de ville ne sont pas très sécurisantes. Il me faut pratiquement grimper à la force des bras, coinçant le bout de mes pieds dans la fissure. Ce n'est pas très agréable, mais cela a le mérite de tenir.
Après vingt mètres d'ascension, la faille s'arrête au niveau d'une petite vire. Une dalle très verticale de plusieurs mètres de haut me coupe le passage. Je repère quelques petites fissures, suffisamment grandes pour glisser une phalange. Je laisse pendre mes bras afin de les irriguer un peu et me hisse à l'aide d'un petit baquet. J'essaie de monter mes pieds le plus possible, mais ils glissent, et le manque de confiance dans ces appuis me paralyse un peu, m'obligeant à fournir plus d'efforts avec les bras. La nuit ne facilite pas le repérage des aspérités, mais je progresse quand même, de prise en prise.
Je monte une nouvelle fois avec prudence mon pied gauche sur une marche en forme de goutte d'eau en m'appuyant sur une grosse réglette avec la main droite, je m'élève encore de cinquante centimètres.
Je sens mon pied qui glisse d'un coup. La prise en dé vers de ma main gauche ne m'est d'aucun secours et je me retrouve la figure plaquée à la paroi, suspendu aux trois phalanges de ma main droite. Je sens mes doigts glisser et je réprime le réflexe suicidaire de gratter la roche avec mes bottes. J'essaie désespérément de repérer une prise pour un pied. Là ! J'enfonce avec vigueur mes orteils dans une petite fissure horizontale, et soulage ainsi mon bras sur le point de lâcher.
« Sauvé, pour 5e moment... »
J'essuie à l'aide de ma main la prise de pied un peu humide qui m'a fait dévisser, et je recommence. Cette fois, la prise tient, me laissant le temps d'agripper, très haut, un baquet qui me paraît gigantesque. Je m'y agrippe comme à une bouée de sauvetage. La dalle est passée ! Une longue faille remonte en pente plus douce vers la grosse vire où a été ancrée la baraque du funiculaire. Je me sens plus en confiance et les vingt derniers mètres sont un jeu d'enfant.
Après un rétablissement, je me retrouve à l'entrée de la mine. J'allume le petit projecteur que j'avais pris dans l'hélijet et m'avance prudemment. La galerie, creusée au laser, n'a pas eu besoin d'étalement. L'air est humide et la température baisse au fur et à mesure que je m'y enfonce. Je règle le thermostat de ce qui reste de ma combinaison. Plusieurs embranchements s'offrent à moi, et pour ne pas me perdre, je décide de toujours tourner à droite. J'arrive au fond d'une galerie quand un petit reflet brillant attire mon attention.
Mon coeur manque de s'arrêter ! J'avais raison ! Je veux bien être jeté aux Tsers de Terrania XXÏ1I si cette mine a un jour sorti un seul lingot de titane. J'ai devant moi une faille brillante et irisée. Je suis tombé sur une énorme veine de lapis oniris ! II y en a pour des millions de dols ! Je détourne les yeux car le cristal commence déjà à agir. Avec ma torche, j'essaie d'arracher un fragment de roche.
-Sans cela, jamais le flic de permanence vidéo- phonique ne voudra me croire, grommelle-je.
J'ai à peine réussi à détacher une petite arête, qu'un bruit de chenille me fait sursauter. Un des robots de forage s'est mis en mouvement. Son canon à électrons commence à crépiter et comme c'est vers moi qu'il se dirige, j'ai peu de mal à deviner que ses intentions ne sont pas pacifiques. Je me plaque contre la paroi et fait feu de mon pistolaser, plus rapide à saisir. Le robot est renforcé de titane, mais au bout du sixième tir, je finis par atteindre un organe vital, et il s'immobilise à quelques mètres de moi. J'extirpe vivement mon fusil à plasma de mon dos et m'attends au pire.
Le cliquetis de plusieurs chenilles se fait entendre. Un jet d'électrons concentré me rate de vingt centimètres à peine. Ce satané tas de boulons a tiré de loin. Je riposte sans attendre et si mon jet de plasma est moins précis, il est beaucoup plus meurtrier. Tablant sur le fait que ces machines ne sont pas faites pour tirer mais pour forer, je me lance dans une course éperdue vers la sortie, en espérant que ces tas de ferrailles seront un peu lents à cadrer une cible mobile. Je tire sans ralentir un nouveau coup vers une chenille qui se pointe au loin. Je m'arrête net à l'endroit de l'embranchement. Je jette un oeil le plus furtivement possible, juste le temps d'apercevoir une armada de foreuses. Jouant mon va-tout, je tire mes deux dernières cartouches dans l'alignement du tunnel. Les machines sont volatilisées d'un coup dans une explosion qui me projette par son souffle cinq mètres plus loin. Plusieurs blocs de pierres me frôlent la peau. La décharge a dû toucher une poche d'eau et c'est sa vaporisation brutale qui a provoqué l'éboulement.
« Pour une petite enquête discrète, c'est raté. Je n'ai plus qu'à filer sans demander mon reste. »
Tout en courant, j'essaie de recharger le fusil. Mais arrivé près de la sortie, un type massif me bloque le passage. Il se tient debout au milieu de la galerie, les jambes légèrement écartées. Lâchant mon fusil, je saisis mon pistolaser et fait feu sans plus de réflexion. A ma grande surprise, les jets rouges s'arrêtèrent à un mètre du colosse avec un grésillement ridicule.
Ce salopard a un champ protecteur. Mon arme est aussi inefficace contre lui qu'une lampe-torche. Même un jet de plasma n'en viendrait pas à bout. Comme il ne semble pas réagir, je fonce quand même, comptant sur l'élasticité du champ pour le déstabiliser un peu. Malgré mes quatre-vingt-dix kilos, j'ai l'impression de me heurter à un mur en plasto-titane.
Je pare plus instinctivement que réellement consciemment un coup du poing. En fait de parer, mon bras droit me refuse soudainement tout mouvement. Un coup fouetté des jambes parvient quand même à le déséquilibrer une seconde. Je me projette vers la sortie. Je crois avoir réussi en voyant la voûte étoilée au bout de la grotte, mais un choc immense sur le dos fait basculer mon horizon, puis, plus rien...
CHAPITRE XIV
Une taverne enfumée et bruyante. Les clients, des voyageurs mélangés à des fermiers ou des artisans du village manifestent bruyamment en levant leurs pichets remplis.
-Mes analyses sont OK, Randal, tu peux manger, me dit Joe, mon androïde.
Je commence à entamer à belles dents une énorme cuisse d'une sorte de canard, cuite à point. Un véritable délice ! J'ai toujours estimé que la Terre et ses colonies avaient des leçons à apprendre des planètes primitives en matière de gastronomie.
Soudain, des bruits de sabots ferrés se font entendre dans la cour, immédiatement suivis de hurlements de peur. Je vois par la fenêtre à ma gauche débouler un cavalier, lancé au galop qui renverse un étal. Il descend d'un bond et de son épée à deux mains, tranche la tête du marchand. Avec un rire sadique, il regarde la fillette terrorisée qui n'a pas pu fuir.
Je veux me lever, mais mes jambes me refusent tout mouvement. Un carcan douloureux les paralyse.
-Joe, ton rayon digital ! L'aorte, comme d'habitude, et discrètement.
Joe ne me répond pas, il n'est plus en face de moi.-Joe, où es-tu ?
Le cavalier, dans son armure de cuir entraîne la fillette qui se débat à présent vers le fond de la cour. Une dizaine d'autres arrivent. Les clients de l'auberge se précipitent vers la porte de sortie, mais déjà, les soldats du roi entrent dans la pièce.
-Joe, il faut partir, Joe...
Je suis seul, je suis paralysé. Mon bras soudain très douloureux refuse de saisir mon épée, adossée au banc.
Le soldat se dirige vers moi en courant, une solide rapière à la main. L'épée se lève et s'abat sur mon crâne. Elle se lève encore et s'abat sur mon estomac. Puis sur ma joue...
-C'est bon, il se réveille. Je vous l'avais dit. Il avait besoin d'une petite cajolerie...
***
Une nausée m'envahit et j'ai l'impression que je vais rendre tripes et boyaux. Après deux bonnes minutes, je finis par relever la tête. Une espèce de gorille moustachu se tient devant moi, armé d'une matraque. J'essaye de bouger, mais j'ai les mains attachées dans te dos par des sangles magnétiques. Le gorille me repousse dans un fauteuil.
-Ton nom, et qu'est-ce que tu es venu chercher ici ?
-Nogoti Marc, je suis biologiste. J'étais sur la piste d'un antropodus chimedia pour le nouveau zoo de Terrania XXXVI. Cet animal est en fait une sorte de chimpanzé. D'ailleurs vous lui ressemblez beaucoup, avec toutefois dans le regard, 3a lueur d'intelligence en moins.
-Astucieux avec ça, marmonne un jeune type sur ma droite que je n'avais pas repéré.
Et le gorille me balance un direct à la mâchoire. Je pars à la renverse et si l'autre n'avait pas rattrapé le fauteuil, je m'allongeais sur le sol.
A ce moment, la porte s'ouvre et un gros brun, le front bas, les cheveux ras et le teint foncé entre. Il est adipeux et la graisse semble ressortir par tous les pores de sa peau sale et luisante. Il me fixe de ses yeux noirs, qui brillent de satisfaction.
Il me saisit par les cheveux, tire un bon coup me rejetant la tête en arrière.
-Mais c'est Gardner, les gars, bonne prise. Alors monsieur Gardner, toujours désireux de mettre son nez là où il ne faut pas ?
Je ne réponds pas, mais le regarde, l'oeil mauvais.
Il sourit. Le petit demande :
-On lui passe une raclée, monsieur Poulos ?
-Non, le grand patron veut le voir. Il va bientôt arriver. Si je vous laisse faire, vous l'abîmerez trop et il sera incapable de fournir un renseignement. En trois coups de poing vous l'avez déjà sonné. D'habitude, je préfère utiliser des drogues, mais le spécialiste est en ce moment à New Cork pour affaire. Il va lui falloir un véritable passage à tabac. Justement, le grand patron s'amène avec des artistes de la discipline.
L'évocation du spectacle à venir le fait jubiler ; un vrai sadique, ce mec-là. Il me regarde avec un sourire méchant.
-Reposez-vous, Gardner, vous en aurez besoin. J'espère que vous serez aussi résistant que l'avocat. Quand les gens parlent trop vite, ils me privent de mon plaisir.
Un filet de sueur me glace le dos. Machinalement je passe la main sur mon avant-bras gauche. Je retiens de justesse un grognement de satisfaction. Les imbéciles ! Ils ont oublié de me fouiller. Le contact, sous la manche de ma combinaison, de mon arme me semble plus doux que la peau de la plus belle des Arcturiennes. Les sangles magnétiques semblent solides mais en deux minutes je devrais réussir à en venir à bout. Seulement voilà, il me faudrait un peu plus d'intimité. Avec ces deux gorilles, pas question de faire la moindre tentative...
Poulos s'apprête à quitter la pièce, puis se ravise.
-Vous deux, restez ici. S'il essaye de se débiner, tuez-le !
-Vous pouvez compter sur nous, monsieur.
Et pour confirmer ses dires, le plus jeune sort un pistolaser. Je masque mon dépit et me laisse tomber sur le fauteuil. Mon hypothèse se confirme ; Pat est bien ici, et il ne s'est pas encore mis à table. Je pousse un soupir de soulagement, il est vivant ! Reste à savoir où ils ont planqué Shirley. Sans elle, lapis oniris ou pas, Cory est perdue.
Le moustachu qui n'arrête pas de jouer avec sa matraque lance :
-Dis donc, ce grand patron, tu l'as déjà vu toi ? Depuis le temps qu'on travaille à l'organisation, il aurait pu se faire connaître, pas vrai ?
L'autre lui répond aussitôt :
-Boucle-la, tu sais qu'on est payé pour se taire. Poulos commande dans l'exploitation et c'est tout. Ne rien savoir est encore le meilleur moyen d'éviter des histoires.
Je fais semblant de somnoler et les yeux mi-clos, j'inspecte la cellule : quatre murs rugueux et pas de fenêtre. La seule aération provient de la porte au sommet de l'escalier. L'éclairage est fourni par un spot, fixé dans un coin de la pièce. Après tous les événements des dernières quarante-huit heures, je me sens plus mort que vif. Il ne faut absolument pas que je me laisse aller.
Une demi-heure après, la porte s'ouvre enfin et deux hommes en franchissent le seuil, devançant Poulos.
Dès le premier coup d'oeil, je m'apprête à passer un très mauvais moment. Le premier est monstrueux, volumineux, mais tout en muscle, la figure marquée par de nombreux combats. Il tient une éléctro-matraque qui dans son énorme main ressemble à un cure-dents. Le second est le plus effrayant. Sa peau bleuâtre et sa mâchoire très volumineuse trahissent un métissage Albiréen. Ils avancent l'air hilare !
-Tu vois, Dan, qu'il fait moins le malin maintenant...
-Le patron veut savoir ce que tu as balancé à la Sécurité Galactique, grogne le second.
-Ne te presse pas trop pour répondre, surtout. Nous, on est là pour te mettre en condition. Ne fais pas comme notre dernier client ; il a trouvé spirituel de claquer en moins d'une heure... Mais toi, tu as l'air solide.
Je le savais, encore un sadique... J'ai le trouillomètre bien en dessous de zéro mais je ne veux pas leur donner le plaisir de leur montrer que je crève de peur.
Tout en riant à gorge déployée, il me soulève à bout de bras sans effort apparent, et me regarde d'un oeil curieux. Il me rassoit sur le fauteuil, les bras ramenés derrière le dossier, et m'y maintient de tout son poids, les mains sur mes épaules.
Son acolyte enroule soigneusement une serviette sur son poing. Il contemple son ouvrage de ses yeux jaunes fendus, et apparemment satisfait, s'avance.
Aucun doute... Il connaît parfaitement son métier. Il frappe par coups secs, répétés, visant les endroits sensibles. En quelques minutes, j'ai le nez en sang, la pommette droite éclatée et une arcade sourcilière fendue. Je nage dans un état voisin de l'hébétude, mais sans être évanoui ; je sens à peine les coups. Le salaud s'en aperçoit car il s'arrête ; la serviette est maintenant rouge.
-Tu peux le lâcher : cinq minutes d'entracte !
Et, raffinement de cruauté, il prend une autre serviette, la mouille, et me la pose sur la tête.
-Comme ça, il récupérera plus vite, explique-t-il au gorille.
Puis, tranquillement, il va s'asseoir sur le lit.
La fraîcheur de la serviette me fait un bien fou. Je récupère un peu et mes idées se coordonnent. Quand cela va-t-il finir ? Est-ce qu'ils me laisseront ne serait- ce que deux minutes ? Est-ce que je serai seulement en état de me libérer ?
La serviette est brutalement arrachée :
-Tu vois, il se sent mieux, on va pouvoir continuer.
Cette fois, il tient à la main sa matraque.
Le premier coup m'atteint sur l'épaule gauche. Au moment de l'impact, la décharge électrique me contracte tous les muscles, rendant la sensation encore plus douloureuse. Le deuxième m'arrache un grognement de douleur. Les coups se succèdent rapidement, tous précis et de plus en plus douloureux. Dans un brouillard rouge, j'entends la voix marquée de Poulos :
-C'est bon les gars, arrêtez, vous allez me l'abîmer. D'ailleurs le patron vient d'arriver.
Mes oreilles bourdonnent et j'essaie de récupérer un peu de vision. Le menton baissé, encore sonné, j'entends les pas du type qui vient de franchir le seuil de la porte. De son identité dépendent toutes mes hypothèses et toutes les pistes que j'ai laissées à Laura. L'essentiel est de gagner du temps afin qu'elle puisse trouver mon trans.
Sans relever la tête, je murmure.
-Bonsoir, monsieur le procureur. J'espère que vous avez fait bon voyage.
CHAPITRE XV
Jenkins pousse une exclamation, le relève la tête, sans me soucier de la douleur qui suit immédiatement ce geste. J'ai gagné ! L'honorable procureur de New Cork se tient devant moi. Je voudrais ébaucher un sourire, mais mes lèvres fendues s'y refusent. D'ailleurs, un vertige me prend, le simple mouvement a suffi à ranimer toutes mes douleurs. Je hoquette et retombe dans une demi-inconscience. Au loin une voix ordonne :
-Ed, va chercher du liquide revitalisant, s'il n'en reste plus, prends du stem dans ma réserve. Ces deux abrutis l'ont complètement rétamé, je ne vais rien pouvoir en tirer. Ils sont incapables de travailler correctement.
Quelques secondes après, tout au moins j'en ai l'impression, des mains brutales m'introduisent le goulot d'une bouteille dans la bouche. La première gorgée me fait tousser, et je recrache le tout. Comme le type insiste, je tète avec conviction ce biberon d'un genre nouveau. J'ai bien dû vider le quart du flacon quand on me le retire. Après quelques instants, je peux ouvrir les yeux sans trop de dommage.
Les deux gorilles, pros du tabassage, ont disparu.
Mais à côté du procureur, se tient Poulos et légèrement en retrait, le dénommé Ed. De teint pâle, impassible, il est appuyé contre le mur, l'air très indifférent, une sorte de garde du corps, je présume. Maintenant que j'y pense, son visage me dit quelque chose. Oui ! C'est lui qui me barrait le passage de la mine. Je n'arrive pas à détacher mon regard. Ses traits sont trop figés, ses yeux ne clignent pas. Je hoquette de surprise : Ed est en fait un androïde ! Le procureur a vu mon manège et ironise.
-Ah ! Vous avez compris qui est réellement Ed. C'est mon plus fidèle serviteur, c'est aussi celui qui m'a coûté le plus cher. Une véritable fortune et je ne compte pas tous les fonctionnaires à qui j'ai dû graisser la patte. Il n'est pas aussi perfectionné que vos androïdes au S.S.P.P. mais tout aussi efficace. Il le sera encore plus lorsqu'on lui installera laser et désintégrateur.
Ce vieux crabe doit avoir des amis très haut placés car la production de ce type de machine est très surveillée. La voix du procureur se fait plus dure.
-Monsieur Gardner, je suis très mécontent de vous. D'abord vous refusez de vous laisser convaincre, malgré toute la patience dont j'ai fait preuve. Vous poussez la désobligeance jusqu'à éliminer les braves garçons que j'avais mis à vos trousses. Enfin vous détruisez la moitié de ma mine. Il faudra des mois avant de la rendre de nouveau fonctionnelle. Maintenant, vous allez gentiment répondre à mes questions sinon...
-Si c'est pour me faire accepter vos dix mille dols, inutile, je les ai déjà empochés.
Il frappe du pied.
-Il suffit ! Je veux savoir tout ce que vous avez recueilli. D'abord, comment avez-vous su mon nom ? Personne ne le connaissait.
-Pour cela, il suffisait de faire marcher ses cellules grises.
-Inutile de vous entêter. Vous parlerez d'une façon ou d'une autre. Cela prendra toute la nuit mais quand on en aura fini avec vous, vous ne vous arrêterez plus de parler. Soyez raisonnable.
Poulos intervient :
-Monsieur, c'est un dur, on va perdre beaucoup de temps et il risque de claquer avant d'avoir parlé. Mais si on se servait de la môme, il ne resterait peut- être pas insensible. Comme de toute façon elle est destinée à disparaître, autant qu'elle serve à quelque chose.
Le procureur hésite une seconde, juste une seconde. Le visage dur, il ordonne :
-C'est une bonne idée. Vous avez entendu Gardner, qu'en pensez-vous ?
-La môme, c'est Shirley, que vous avez kidnappée pour obliger Mme Vickers à reconnaître le meurtre de Stracchino.
-Oui, vous savez beaucoup de choses, alors ?
-Il va vous falloir du temps pour la trouver.
Il sourit avec condescendance.
-Peut-être pas tellement, vous semblez ignorer qu'elle dort au deuxième étage de cette maison.
Je passe quelques secondes atroces, essayant de réfléchir à toute vitesse. Finalement je me décide, priant le ciel pour que ma voix ne tremble pas.
-Je n'en ai rien à foutre de cette gosse. Je ne la connais pas et ce n'est pas pour les beaux yeux de sa soeur que je me suis donné tant de mal.
-C'est probable, mais pourquoi alors vous mêler à ce procès ?
-Pour moi, uniquement pour moi.
-Expliquez-vous.
-Vous avez dû apprendre qu'autrefois j'étais membre du S.S.P.P. au Service Action.
-Exact, je l'ai su cet après-midi.
-Après ma blessure et mon divorce, j'ai été suspendu par la commission. Ecoeuré, j'ai cherché un emploi idiot, le plus loin possible de Terre I. J'ai ainsi végété pendant une année. Puis j'ai été choisi comme juré, et Pat Yung, l'avocat, m'a proposé quinze mille dols et un emploi de détective privé pour que j'acquitte sa cliente. Eh oui, il n'y a pas que vous qui utilisez ce genre de méthode ! Une victoire lui aurait fait une formidable publicité.
Le procureur tourne en rond, hors de lui.
-Pour qui se prend ce petit avocaillon ? Je vais lui apprendre à me mettre des bâtons dans le turboréacteur.
Il se retourne.
-Ed, amène l'avocat ici, avec une autre chaise. Il m'a caché beaucoup de choses. Je suis sûr qu'une confrontation avec Gardner pourrait être intéressante.
II me regarde, l'air mauvais.
-Votre histoire me semble correcte. Avant de faire revenir mes deux spécialistes, je vous propose un marché. Vingt mille dols en plaques non identifiables sa vous me racontez tout ce que vous savez et si vous quittez cette planète par le prochain cargonef. Avec cet argent, vous pourrez vous établir où vous voudrez.
Je me paie le luxe d'un sourire.
-Me prenez-vous pour un imbécile ? Je sais parfaitement que vous ne courrez jamais le risque de laisser filer un témoin aussi dangereux que moi. Soyez sérieux. Ma seule planche de salut est mon silence.
Je récupère assez vite, le stem absorbé me semble un médicament miracle, et je sens mes muscles recouvrer une certaine énergie. Mais j'ai besoin de gagner du temps, encore quelques minutes et je pourrai agir.
-Je peux cependant vous donner quelques tuyaux gratuitement. Par exemple, Malcom est mort.
-Je le savais. C'est moi qui ai ordonné son exécution. Cet imbécile se droguait et avait piqué des lapis oniris dans la mine. Pour ne pas attirer l'attention de la Sécurité Galactique, j'avais ordonné que la production soit réservée à l'exportation.
-Vous ignorez peut-être que les gars chargés de l'abattre sont morts également.
-Quoi ?
Cette fois j'ai marqué un point. II s'approche de moi, la figure tendue.
-Que savez-vous à ce sujet ? Je croyais que leur coup fait, ils s'étaient dissimulés dans les environs. Ils ne m'ont pas donné de nouvelles.
-Erreur. En ce moment, ils sont réunis à la morgue.
-Comment ? Qui les a descendus ?
-Oh ! Vous savez, ils n'ont pas eu de chance. J'avais envie de voir Malcom et de lui soutirer quelques informations. Malheureusement, vos tueurs se sont amenés et nous avons eu une petite explication.
-Vous étiez seul ?
-Oui, intéressante conversation, même qu'un de vos hommes avait apporté, pour pimenter la discussion une mitraillette thermique.
-Maintenant, comment as-tu su mon nom ?
-L'avocat me l'a donné.
-Tu mens, Yung n'a pu te prévenir. Ed m'a dit qu'il avait interrompu la conversation à temps. Il n'a d'ailleurs pas eu de chance. A quelques minutes près... J'avais justement envoyé Ed vérifier que tout était en ordre. Qui d'autre que toi et l'avocat sont au courant ?
-Je l'ignore, mais si je l'ai trouvé, la Sécurité Galactique fera le même raisonnement et va s'accrocher à vos traces comme un missile thermonucléaire suit un astronef.
A ce moment, la porte s'ouvre et Pat est violemment projeté sur le sol de la pièce. Il gémit et ne parvient pas à se relever. Bon Dieu, il est vraiment dans un sale état. Son oeil gauche a triplé de volume et une longue plaie zèbre son front. Elle a dû beaucoup saigner car les lambeaux de sa combinaison sont teintés de rouge. Ed l'installe pantelant sur un fauteuil à quelques mètres de moi.
Le regard du procureur brille dangereusement.
-Regarde Gardner, ce qui t'attend si tu continues à t'entêter.
Il s'approche de Pat.
-Alors l'avocat, vous avez essayé de me griller sur ce procès. Mais je suis bien meilleur que vous à ce jeu.
Pat relève péniblement la tête.
-Vous êtes une ordure, la honte de la profession. Mon seul regret sera de ne pas être là quand vos atomes s'éparpilleront aux quatre coins de la chambre de désintégration.
La colère défigure les traits du procureur. Il gifle Pat à toute volée.
-Vous êtes un mauvais perdant, Yung.
Il se calme un peu.
-Vous avez tort de croire que je ne suis pas un bon procureur. Je suis très consciencieux dans mon travail. Peu de criminels m'ont échappé. D'ailleurs, beaucoup travaillaient pour la concurrence. Stracchino et Malcom m'ont obligé à prendre des mesures radicales et je déteste cela. C'est très mauvais pour les affaires. Tant qu'on ne fourre pas son nez dans mon petit trafic, je respecte scrupuleusement la loi. Et tous les deux, vous avez été des gêneurs de première. Surtout vous Gardner ! A cause de vous, la moitié de la mine s'est effondrée et je n'ai pratiquement plus de matériel d'extraction. Une importante commande devait partir cette nuit et je vais avoir toutes les peines du monde à expliquer demain au commandant Ar-Zoz que je ne peux l'honorer totalement.
Il regarde son chronographe.
-Je suis bien triste de devoir vous laisser. J'aurais aimé voir mes deux spécialistes vous faire hurler de douleur, mais je dois être au dernier acte du procès de Mme Vickers. Ne vous inquiétez pas pour moi, il me reste encore quelques heures pour trouver une explication à votre absence.
Son rire sadique me fait froid dans le dos. Il se tourne vers son androïde.
-Ed, on remonte. Pendant mon absence, c'est toi qui dirigeras les travaux de reconstruction de la mine. Quant au commandant Ar-Zoz, dis-lui d'atterrir à l'endroit habituel et fais-le patienter jusqu'à mon retour. Et pour ces deux là, cette fois, il faut les tabasser jusqu'au bout. Ils parlent et ils crèvent. Demain, je ne veux plus les voir.
Sitôt la porte refermée, je me mets au travail, je n'ai pas plus de trois minutes pour me libérer. A côté de moi, Pat souffle bruyamment. Son regard asiatique exprime une colère contenue. Moi aussi, je suis en rogne. En me contorsionnant, j'arrive à atteindre mon couteau sur mon avant-bras. Je suis couvert de sueur, les liens trop serrés ont gêné la circulation du sang et mes doigts sont malhabiles. Je manque de laisser tomber le poignard. Je l'enfonce profondément dans le siège et le fil laser commence à attaquer les sangles magnétiques.
Pat s'aperçoit de mon manège. Il veut parler mais se ravise, préférant sans doute me laisser travailler. Son visage retrouve son masque habituel. La lame mord sans trop de difficulté et le laser court-circuite le champ de force. Encore une minute...
La porte s'ouvre à ce moment. J'ai laissé échapper ma chance. J'arrache l'arme, pousse le commutateur et la glisse sous mes fesses pour qu'on ne la repère pas immédiatement. Mes deux tortionnaires descendent l'escalier l'air encore plus réjoui que tout à l'heure.
-C'est bien gentil de n'avoir pas voulu parler, on va pouvoir continuer.
Avec une lenteur calculée, ils disposent leur attirail.
-Regardez, continue le métis Albiréen, on vous a amené une surprise !
Bon sang ! Il sort de sa poche un inducteur de douleur. Ce tube d'une dizaine de centimètres insuffle un degré de souffrance programmé directement dans le système nerveux, ça va faire très mal. Même Pat perd son beau self-control.
-Je mets la puissance minimale pour commencer. Dan, tiens-le pendant que j'opère.
Les grosses pattes de son acolyte m'écrasent les épaules. L'Albiréen avance et ouvre ma combinaison. Il pose délicatement l'extrémité du tube sur ma poitrine. Je hurle en essayant en vain d'échapper à l'atroce douleur. Il s'arrête un instant et recule d'un pas. Pat à ce moment se démène sur sa chaise.
-Bande de salauds, bande de salauds...
Le métisse bleuté rigole. Il est juste devant moi, les jambes écartées... Brusquement, je lance mon pied droit en avant aussi fort que possible, et le touche au bon endroit. Il pousse un hurlement inhumain, devient jaunâtre, se plie en deux, recule et s'effondre.
Le gorille qui me tenait m'envoie un coup violent à la base du crâne qui me fait perdre connaissance. Lorsque je reviens à la surface, j'entends un ruisseau couler. En examinant de plus près la situation, il s'agit de mon nez qui s'est remis à saigner. J'ai l'impression que ma tête a triplé de volume. Il me faut encore quelques secondes pour pouvoir enfin ouvrir les yeux, le droit seulement, la paupière du gauche reste obstinément close.
Mes deux tortionnaires sont près du lit de camp.
L'Albiréen est allongé et son compagnon lui passe une serviette mouillée sur la figure.
-Dis, réponds-moi, ça va aller mieux. Ce n'est pas un petit coup de pied qui va abîmer un type de ta classe.
L'autre n'a pas l'air de cet avis, car il ne dit rien et respire avec difficulté. C'est le moment ou jamais de finir de me libérer. Le nommé Dan, tout à ses soins, ne pense pas à me surveiller. Je récupère mon poignard, j'arrive à le coincer dans la même rainure et je passe les courroies magnétiques sur le fil laser. J'ai un mal fou à faire céder le bloc de contrôle. Je crois que ces minutes d'angoisse marqueront à jamais mon existence... Si je survis.
Là-bas le métis doit reprendre connaissance car je l'entends gémir.
-Le fumier, je vais le faire hurler pour ça. On va l'empêcher pour toujours de faire le joli coeur auprès des filles.
Ce gorille de Dan trépigne d'enthousiasme, comme un gamin devant un nouveau jouet. Il sort un flacon de verre qu'il débouche. Bon sang ! A la fumée qui se dégage, je parierais que c'est un puissant acide. De sa main gauche, il attrape l'inducteur de douleur et pousse du doigt le curseur au niveau maximum. Il s'approche de moi d'un pas mesuré. Non ! Le bloc est sur le point de céder, il me faut encore quelques secondes. Je panique maintenant franchement. C'en est fini, passer si près du but, enfer, c'est trop c...
Le gorille ricane devant moi, alors que je me débats comme un damné. Brusquement, une masse énorme se précipite sur lui et le projette d'un coup d'épaule sur le mur. C'est Pat ! Je n'aurais jamais cru qu'avec toute cette graisse, il puisse se déplacer aussi vite. Le coup aurait assommé tout être normalement constitué mais ce macaque doit être une force de la nature car il se relève sur un genou. Il pare le coup de pied que Pat destinait à sa mâchoire et riposte d'un coup sec à l'estomac. Pat encaisse mais ne peut rien contre le crochet qui l'atteint au visage. Il s'effondre comme une masse. A ce moment, les derniers millimètres de plasto-titane cèdent brusquement. J'attrape mon couteau et plonge sur Dan. Mon bras se détend, la lame brille un instant puis s'enfonce entièrement. Il pousse un petit cri ridicule, tout de suite stoppé, fait un pas en arrière, son visage exprime la stupeur la plus complète.
J'ai immédiatement retiré mon arme pour frapper une seconde fois mais c'est inutile car il tombe aussitôt, une mousse sanglante aux lèvres, quelques convulsions, puis il se raidit définitivement.
Les murs se mettent à tourner autour de moi. Je distingue dans cette valse l'Albiréen stupéfait, et vois sa main disparaître dans sa combinaison.
Enfer ! Attention, il va tirer.
Machinalement, j'aspire profondément, balance ma lame et ferme les yeux. Un jet strident de laser retentit, je reste quelques secondes debout, luttant contre le vertige. Enfin la ronde infernale s'arrête.
Le métisse bleuté est de nouveau allongé sur le lit, un pistolaser à la main, et l'autre crispé sur le manche de mon poignard. Joli coup du reste, au creux de l'estomac. Je remercie mentalement tous mes instructeurs du S.S.P.P.. Une dernière crispation du doigt sur la détente l'a fait tirer, mais il était déjà en route pour le royaume de Lucifer.
Je récupère l'arme, un viperlaser D-11. Le chargeur est à moitié plein, une dizaine de tirs, c'est peu, et comble de malchance, Dan ne possède pas d'arme. Je retire mon couteau, éteins le fil laser et j'essuie soigneusement la lame sur sa combinaison puis la glisse dans son étui.
Je récupère la bouteille de stem, une serviette humide et m'approche de Pat. Le coup l'ajuste sonné et le contact frais lui fait reprendre conscience. Il accepte sans trop de difficulté de boire une bonne rasade. Un peu de rouge colore de nouveau ses joues. Il récupère sacrément vite pour un avocat.
-Randal, je suis bien content de voir que vous avez finalement réussi à vous libérer. Vous en avez mis un temps, à un moment j'ai cru que vous le faisiez exprès.
Je me paie le luxe d'un sourire.
-Ce n'était pas facile. Sans ton intervention, je n'aurais jamais réussi.
Il sourit et tente de se relever. Les courroies magnétiques le gênent. Je sors mon couteau et l'appuie sur les liens. Le travail avance nettement plus vite car là, je vois ce que je suis en train de faire. Moins d'une minute plus tard, Pat est libre et se masse les poignets. Ses yeux brillent dangereusement.
-Maintenant, Randal, ils vont nous le payer. Que faisons-nous, nous fonçons dans le tas ?
-A peu près, mais il faut réussir à libérer Shirley avant de se tirer de là.
-Shirley est ici ?
-Oui, au deuxième étage. Reste bien derrière moi, nous n'avons qu'une arme pour l'instant.
Je monte l'escalier de la cave. J'avance avec difficulté, pris de vertige. La poigne solide de Pat m'aide à tenir debout, mais c'est la haine qui me donne la force d'avancer. Je souffle bruyamment. Je me sens toujours aussi vaseux mais je tiens debout seul. Je pousse la porte et me trouve nez à nez avec le gros moustachu qui accompagnait Poulos. Il est encore plus surpris que moi. Il balbutie :
-Mais... Mais... Qu'est-ce qui...
Il plonge sa main dans sa poche.
Je ne lui laisse pas l'ombre de la moitié d'une chance et tire le premier. La puissance du laser lui emporte la moitié du front et il s'effondre.
-Salaud, tu vas y passer.
Surpris par ce cri, je plonge aussitôt à côté du cadavre. Pat s'aplatit contre le mur, seul un bout de sa bedaine dépasse par l'embrasure de la porte.
Heureusement, car une rafale de mitrailleuse thermique pulvérise la porte derrière moi. Je roule sur le tapis, hurlant comme un damné, encadré de trop près par les jets de lumière. Si le corps du moustachu n'avait pas été là, on pouvait tirer le rideau. Sa carcasse explose littéralement sous les impacts. Le jeune est agenouillé derrière un fauteuil renversé, bien en face de moi. Sa tête émerge au-dessus du dossier pour se rendre compte des résultats de son tir. Mortelle erreur, car aussitôt trois traits lumineux sortent de mon arme et lui arrachent la tête. Sans perdre une seconde, je jette l'arme du moustachu à Pat, me rue sur la mitrailleuse et m'allonge.
Il était temps. A ce moment, la porte du salon s'ouvre en grand et le canon d'un fusil à plasma apparaît. La première décharge fait un trou béant sur le mur d'en face. La seconde désintègre le fauteuil derrière lequel j'étais quelques secondes auparavant, une douleur fulgurante me traverse l'épaule gauche. Un éclat de bois m'a labouré les chairs. Par un véritable miracle, j'échappe aux deux décharges suivantes qui forment des cratères béants sur le sol.
Sitôt l'orage passé, je riposte en même temps que Pat, visant l'encadrure de la porte. Mais le mur est trop épais et le salaud est bien protégé. J'entends la voix de Poulos.
-Je vais chercher la môme, couvre-moi pendant ce temps. Ils n'oseront pas tirer sur elle.
Le museau d'un fusil apparaît dans le déluge de feu que Pat et moi avons déclenché. Brusquement l'arme explose, le souffle pulvérise la cloison renforcée et double la taille du seuil de la porte. Un de nos coups a dû atteindre une cartouche de plasma. Le silence se fait écrasant, insolite. Prudemment, je me relève, et mitrailleuse en avant, doigt sur la gâchette, avance vers le salon.
-Pat, surveille la porte.
Aucune riposte. Je me découvre franchement, mais il semble que le combat ait cessé... faute de combattants. L'explosion du fusil à plasma a causé de gros dégâts. A deux mètres de moi le cadavre d'un homme aux bras arrachés. Epuisé, haletant, la mitrailleuse thermique me glisse des mains. Mon bras fatigué ne peut plus en supporter le poids. Une nausée me tord l'estomac et pour un peu je m'écroulerais sur la moquette. Il n'y a pas un muscle, une articulation, un os qui ne me fasse souffrir.
-Monsieur, vous me faites mal.
Mes sens engourdis perçoivent cet appel, un cri d'enfant. Shirley !
Cela suffit à rendre à ma carcasse un semblant d'énergie. Je traverse le hall en trombe et grimpe l'escalier en quatrième vitesse. J'atterris enfin sur le palier, dans un couloir obscur. Des pleurs viennent d'une chambre au fond ; je me précipite. La porte vole en éclats sous l'effet d'un coup de pied violent.
Près du lit, Poulos a maîtrisé une petite fille blonde et lui appuie le canon de son fusil à plasma sur la tempe. Le regard de Shirley est dilaté par la peur et de grosses larmes coulent sur ses joues pâles. A mon entrée, Poulos se retourne. Ses yeux roulent dans leurs orbites et ses lèvres tremblent.
-Gardner... Gardner... Arrêtez-vous.
J'avance raidi, les mains en avant...
-Lâchez cette gosse immédiatement.
Il dirige l'arme vers moi, beaucoup trop lentement... Je suis déjà sur lui, je saisis le fusil et le retourne contre lui. La déflagration lui arrache l'estomac. Un trou énorme apparaît dans son corps... et sur le mur. Je suis couvert de sang. Décidément, on a bien fait d'interdire ces armes, elles sont beaucoup trop salissantes !
Hébété, je me retourne vers la petite fille qui, blottie contre le lit, pleure à gros sanglots. D'une voix aussi douce que possible, je murmure :
-C'est fini, Shirley, tous les méchants ont été punis... Nous allons partir pour retrouver Cory.
Mes paroles semblent l'apaiser et elle demande d'une voix enrouée par les larmes :
-C'est vrai on s'en va... Je veux revoir ma soeur... Rentrer à la maison...
Puis, après une seconde de réflexion...
-Mais toi, qui es-tu ?
Je souris franchement pour la première fois depuis une année.
-Pour toi, je suis une sorte d'ange gardien.
Je la prends par la main et ensemble, nous descendons l'escalier.
CHAPITRE XVI
-Bon Dieu, Gardner, comment va-t-elle ?
Les traits asiatiques de l'avocat s'illuminent d'un sourire en voyant Shirley s'avancer au bout de ma main.
-Moi, ça ira Pat, merci de t'en préoccuper.
La fillette a un mouvement de recul devant la grosse carcasse déguenillée. Son regard se fige en voyant les restes sanguinolents des autres malfrats. Ses yeux se détournent et j'ai peur qu'elle ne nous fasse une crise de nerfs. Je rive mon visage au sien.
-Shirley, les méchants ont été punis. Je suis là pour te ramener chez toi.
Pat nous interrompt.
-Filons d'ici en vitesse, il y a un bâtiment où logent les employés de l'exploitation à moins de trois kilomètres. Avec le boucan qu'on a fait, ils ne vont pas tarder à rappliquer.
-L'androïde, surtout, va s'amener et il est de loin le plus dangereux, grogné-je en vérifiant l'arme à plasma de Poulos. C'est un modèle un peu plus récent que celui que m'avait vendu Tex, et le volumineux chargeur vertical contient encore six gros cylindres.-Il nous faut trouver un moyen de rejoindre la ville.
-Rassure-toi, je ne suis pas venu à pied. Mon hélijet est à quelques kilomètres de la mine. Je devrais pouvoir le retrouver sans trop de difficultés. En route, il va falloir courir maintenant.
La porte d'entrée est peut-être la dernière encore en état de la maison, mais elle aussi explose littéralement, découvrant une forme athlétique.
M... l'androïde. Si près du but ! J'en tomberais presque à genoux. Sûr de son champ protecteur, le colosse avance dans l'entrée. Un faisceau lumineux balaye le passage et s'arrête presque immédiatement sur nous. Dans sa main, le canon de son pistolaser émet des reflets argentés. Sa voix métallique résonne dans la pièce.
-Rendez-vous. Toute résistance est inutile. Je vous promets qu'il ne vous sera fait aucun mal.
La machine débite son texte sans se rendre compte de l'absurdité de ses paroles. Une seule chose est vraie : nous n'avons aucune chance de nous en sortir, Si nous nous rendons, la mort n'en sera que plus lente et si nous fuyons, ce radiateur sur pattes est capable de nous couper les jambes au laser. Tous les événements des dernières heures pèsent subitement sur mes épaules et je me sens m'enfoncer doucement dans un brouillard cotonneux. Pourquoi ne pas en finir maintenant ? Un instant j'ai envie d'abandonner, un instant seulement.
Une pression sur ma main et une petite voix transpercent la brume rouge.
-Monsieur, monsieur !
La petite voix affolée me fait l'effet d'un électrochoc. Même si je dois mourir ce soir, je ferai tout pour que mes deux compagnons aient une chance de s'en sortir. Mon regard croise celui de Pat, pas besoin de mots, nous nous comprenons à merveille et ma main se referme sur la crosse du fusil à plasma. Il faut bien calculer notre coup car nous n'aurons pas une seconde chance. J'entends les antigrav malmenés d'un trans au dehors : les renforts ne vont pas tarder. Il faut agir maintenant.
-C'est bon, Ed, je me rends, crié-je.
L'amas de ferraille sur pieds entre dans la pièce et focalise son attention sur moi. Soudain, quatre jets laser sortent de l'arme de Pat, et s'arrêtent à quelques centimètres du visage de l'androïde. Aussitôt son bras pivote et vise Pat. Il n'a pas le temps de faire feu, je suis plus rapide. Le tas de ferraille disparaît dans un trou béant. Je n'ai pas visé le robot mais le plancher sous ses pieds. II faut faire vite car il ne va pas tarder à réapparaître. Mon deuxième tir percute le mur. Deux cloisons et un mur porteur ont été défoncés par le bélier invisible, et la nuit encore noire apparaît à moins de dix mètres.
-Cours !
Pat prend la petite à bras le corps et s'engouffre dans le trou béant. Vu la masse déplacée et je ne sais plus trop quelle loi de la dynamique, il va falloir du courage à quiconque se placera devant lui.
Déjà, à la porte d'entrée, deux ombres apparaissent. Je tire dans leur direction et m'élance derrière Pat et Shirley dans une course éperdue. Ils ripostent mais leurs tirs manquent de précision. Les jets laser passent loin au-dessus de moi.
A une dizaine de mètres de la maison, je me retourne et fais feu aux angles de la grande bâtisse. Ce genre de maison préfabriquée tient debout surtout grâce à quatre gros piliers aux angles, qui supportent les étages. Privés de trois de ses soutiens, toute la toiture s'effondre dans un fracas épouvantable, enterrant les imprudents qui m'ont poursuivi et je l'espère, l'androïde.
Je rejoins Pat qui court toujours au niveau des premiers arbres. A peine avons-nous eu le temps de disparaître derrière le feuillage qu'un autre trans déboule en direction des ruines.
Nous courons encore quelques minutes, puis jugeant que nous nous sommes assez éloignés, je nous accorde une halte. Pat, hors d'haleine, dépose Shirley et s'appuie contre un arbre pour reprendre son souffle.
La fillette tremble et se laisse glisser sans réaction à terre, dans une attitude de prostration, les jambes pliées entourées par ses bras. Pat essaie de la réconforter, son bras autour de ses épaules, et elle se calme un peu.
-Randal, croyez-vous qu'ils peuvent nous retrouver ?
-Je ne le pense pas. La forêt est dense, ils auront beaucoup de mal à nous repérer. Nous pouvons faire une pause. J'avoue que cette fois, c'était très tangent.
Pat soupire.
-A qui le dites-vous, à quelques millièmes de seconde près, je pouvais tirer ma révérence.
-Le risque était calculé, l'androïde nous voulait vivant, il ne t'aurait pas tué, juste blessé.
-Je préfère ne pas avoir à vérifier cette supposition. Mais vous tirez remarquablement bien, je croyais que le Far West n'était pas votre spécialité ?
Je souris.
-Justement, de nos jours avec un pistolaser ou un fusil à plasma, c'est beaucoup trop facile. Alors que sur une planète à l'âge de la Renaissance, les premières armes à feu ont juste fait leur apparition. Elles sont lourdes, peu précises et ne tirent qu'une fois. Quand on n'a le droit qu'à une seule chance, crois- moi, on ne la rate pas souvent.
Une petite voix me coupe dans mon élan didactique :
-Monsieur, quand vais-je revoir ma soeur ?
Je me retourne et lui prends la main.
-Ne t'inquiète pas Shirley, maintenant nous sommes presque en sécurité. Dans quelques heures, tu pourras la retrouver. Normalement nous arriverons juste avant le début du procès.
Pat se lève et s'étire.
-Allez, il ne faut pas trop s'attarder car je ne sais si j'aurai la force de repartir.
Plus lentement cette fois, notre petite colonne se met en marche.
CHAPITRE XVII
L'air frais et parfumé me donne l'impression de revivre à chaque pas. Ma tête désenfle peu à peu et le vilain diable qui y tambourinait s'est calmé. Du point de vue esthétique, ni Pat ni moi ne pourrions passer inaperçus.
Les combinaisons déchirées, maculées de sang séché s'harmonisent sûrement très bien avec les diverses plaies et brûlures sur nos visages.
Bien qu'ayant le coeur solidement accroché comme elle l'a montré chez Jenkins, Shirley a une petite grimace de dégoût lorsqu'elle nous regarde en face.
-Ne t'en fais pas, ma puce, il y a un petit bloc sanitaire dans l'hélijet. Tu verras que nous pouvons être très séduisants en temps normal.
Pat ne semble pas avoir trop de mai à suivre mon rythme et nous avançons de cinq bons kilomètres en un peu plus d'une heure. La forêt nous oblige à effectuer de nombreux détours, mais grâce au chronographe, je peux me repérer sans trop de problèmes.
-On ne devrait plus être très loin de la clairière maintenant, dis-je à mes compagnons.
-Pas trop tôt, souffle Pat. Ah ! Par là, les arbres s'espacent un peu.-Je reconnais l'endroit, l'appareil est à moins de deux cents mètres.
Nous prenons le petit sentier d'animaux que j'avais repéré à l'aller. Bientôt le confort du cockpit et je vais pouvoir enfin dormir. Le calme de la forêt me berce et les derniers mètres sont presque agréables. La clairière apparaît brusquement, au détour d'un buisson. Je m'immobilise alors.
-Qu'y a-t-il ? demande Pat.
-Il n'y a pas un bruit. C'est assez étrange pour...
Je suis interrompu par une volée d'oiseaux ressemblant à de gros perdreaux terriens.
-Quittons le sentier, vite ! ordonné-je en poussant Pat sur la gauche.
Je ne remercierai jamais assez ces bestioles à plumes. Mon réflexe nous sauve la vie car une série de traits lumineux traversent l'air à l'endroit où nous nous tenions un instant auparavant. Les stridulations ne nous parviennent que quelques secondes plus tard.
J'ai pris Shirley dans mes bras et nous nous lançons dans un sprint éperdu à travers les buissons, évitant de justesse les branches et les troncs que le jour naissant nous permettent de distinguer. Quelques centaines de mètres plus loin, je suis certain d'avoir écrasé en vitesse pure les plus performants clones athlétiques. Je ralentis un peu, laissant Pat me rattraper.
-Vous croyez... qu'on... les a semés ? halète-t-il.
-Peu probable. Pour avoir tiré de si loin, ils devaient avoir des détecteurs biologiques. Ils ont dû s'affoler en entendant les oiseaux et ont tiré au jugé. Par les spectres de Procyon ! Ces salauds nous attendaient. Ils ont dû repérer l'hélijet au détecteur de métaux.
Nous continuons encore quelques centaines de mètres, puis, à bout de souffle, nous nous laissons glisser à terre.
-Une minute de pause, dis-je entre deux goulées d'air. Avec leur trans pour quadriller la forêt, ils ne vont pas mettre longtemps à nous détecter.
Je sais pour en avoir longtemps utilisé en mission que les détecteurs biologiques sont encore peu précis. Ils mettront sans doute du temps à nous distinguer des familles d'animaux qui traînent dans le coin.
La petite, qui sanglotait doucement, se calme peu à peu dans mes bras.
-On ne peut pas rentrer, dites, monsieur.
-Si, nous allons rentrer, je te le promets. On mettra juste un peu plus de temps.
-C'est un euphémisme, grogne Pat, on est à deux mille kilomètres de New Cork.
-Pas de défaitisme, j'ai repéré d'en haut une rivière qui coule dans la bonne direction. Si on y arrive et qu'on peut la descendre, on a une chance de tomber sur une exploitation ou un relais.
La région est vaste, mais de nombreux colons, attirés par la solitude et les grands espaces y ont créé de petites exploitations de zelacs. La rivière étant un endroit pratique pour abreuver ces bestioles.
-Et Cory, quand est-ce que je reverrai Cory ?
Pat regarde Shirley dans les yeux.
-Je te promets que tu la reverras bientôt et que vous pourrez repartir librement.
J'espère que le mensonge n'est pas trop gros. Même si on parvient à retourner à New Cork, il risque fort d'être trop tard. Le procès commence dans moins de deux heures maintenant, et Jenkins a dû trouver un autre avocat à commettre d'office. Celui-là, même très bon, et s'il n'est pas à la solde de Jenkins, ne pourra reporter le procès de beaucoup plus de 24 heures.
Notre répit est de courte durée car trois trans passent au-dessus de nous. Ils stationnent à une centaine de mètres sur la gauche, beaucoup trop près à mon goût. Je fais signe à mes compagnons de se coller au sol. La forêt est beaucoup moins dense dans cette zone, heureusement notre buisson nous masque.
J'aperçois Ed sur un des trans. Je jure de plonger moi- même ce robot de malheur dans un bain d'acide sulfurique. Vu la richesse de la faune environnante, ils doivent avoir une bonne cinquantaine d'échos au détecteur biologique. L'analyse des signatures n'est sûrement pas terminée, car le groupe se disperse et chaque trans prend une direction différente.
Les véhicules s'éloignent peu à peu. Visiblement, il doit y avoir une petite famille de bestioles dans le coin. C'est notre chance ! Dans quelques minutes, l'appareil aura fait le tri sur les signatures bio et il aura un vecteur de poursuite. Avec des trans en l'air, ils pourront nous cadrer facilement.
-Allez, on s'en va ! Le seul moyen de semer ces fichus appareils est de trouver la rivière.
J'espère seulement qu'ils ne nous rejoindront pas avant.
Je me retourne vers Shirley, c'est à mon tour de la prendre sur le dos. Soudain une ondulation dans l'herbe attire mon attention. D'une voix aussi douce que possible je murmure :
-Attention, ma puce, ne bouge surtout pas.
Elle me regarde, étonnée, mais heureusement ne fait aucun geste.
Une grosse tête triangulaire émerge alors près de sa jambe droite. Un aspis agonis ! En arrivant sur Terrania XXXVI, plus par habitude que par réelle curiosité, je me suis renseigné sur la faune locale. Sa morsure n'est normalement pas mortelle, mais n'en est pas moins très douloureuse. Shirley en découvrant le serpent a un léger mouvement de recul, ses pupilles sont dilatées par la peur et sa lèvre inférieure n'arrête pas de trembler. C'est incroyable de voir que de nos jours les gamins sont terrifiés par ces petits animaux, alors que des humains éventrés au fusil à plasma ne leur font qu'un effet très limité.
Déjà Pat lève son pistolaser. Je le retiens juste à temps.
-Ne tire surtout pas ! Le moindre jet laser et nos poursuivants pourront nous localiser dans la seconde. De toute façon, la morsure n'est pas mortelle.
-Et avec les cris de douleur d'une petite fille, vous croyez pas qu'ils nous repéreront aussi vite.
-Laissez-moi faire, je vais nous en débarrasser.
Pat a l'air dubitatif mais baisse quand même son arme. Je m'approche lentement, les mains jointes paumes vers le sol. Un court instant je repense à la merveilleuse charmeuse de serpent de la planète Psor, mais ceci est une autre histoire.
A genoux devant l'aspi je lui présente mes mains, lentement celle de gauche part sur le côté. L'animal semble prêt à bondir, mais la suit sagement du regard. D'un geste vif, je lance ma main droite et lui attrape le cou. La sale bête se débat comme elle peut, crache son venin, mais ma prise est solide, elle ne réussira pas à mordre.
Pat se précipite et prend Shirley dans ses bras pour la réconforter.
-Joli tour d'adresse, mais il me semblait très risqué.
-Pas si risqué que cela. L'aspi a la particularité d'avoir un très mauvais champ de vision, il ne voit que devant lui. Il suffisait de détourner son attention.
Le ronronnement d'un moteur antigrav... J'impose le silence à mes compagnons et les pousse dans le buisson le plus proche. Je lève la tête et aperçois la plate-forme d'un trans qui se dirige vers nous. Comme les arbres sont assez espacés, ils volent à moins de trois mètres du sol. Deux hommes seulement sont à bord, armés de fusils thermiques.
-C'est ici, j'ai quatre échos sur mon détecteur biologique.
-Quatre ? Mais on doit rattraper trois personnes, on est encore sur une fausse piste.
Pour un peu, j'embrasserai la tête couverte d'écailles de mon nouvel ami. Je regarde Pat. Ses yeux brillent d'espoir. Il doit penser à la même chose que moi. On tient notre chance.
L'appareil approche lentement. Je me dresse sur un genou et lance avec une précision diabolique l'aspi agonis dans le trans. L'animal, déjà malmené par sa précédente aventure, est fort mécontent de se trouver dans ce lieu inconnu et c'est sans les sommations d'usage qu'il passe à l'attaque et se précipite sur le conducteur.
-Ah, un serpent, il m'a mordu !
Le blessé rejette l'animal sur le plancher du trans. Presque immédiatement son voisin fait feu. Un jet thermique fait exploser la tête de l'aspi et ébranle un peu le blindage de l'appareil. La plate-forme, privée de conducteur se stabilise à son altitude d'origine.
-Tsi-Han, ça va ? Réponds-moi, dis quelque chose.
-J'ai... j'ai mal... je vais m... mourir.
Les deux hommes paralysés font des cibles idéales. J'abaisse le bras et Pat et moi tirons en même temps. Deux jets lasers les envoient dans le néant. Je jette mon pistolet encore fumant et bondis sur le trans. J'attrape de justesse le bord d'une des portières de l'appareil, ensuite une simple traction des avant-bras, un rétablissement et je suis le nouveau maître des lieux. Du bout de ma botte, j'envoie les deux cadavres au sol.
Les commandes en mains, je descends suffisamment bas pour permettre à Pat et Shirley de monter.
-Dépêchez-vous, notre abordage n'est sûrement pas passé inaperçu. Nous n'allons pas tarder à avoir un ciel noir de trans.
A peine sont-ils à bord que j'appuie avec ferveur sur la pédale de vitesse. Le trans bondit à plus de cent kilomètres par heure. Je n'ose prendre de l'altitude car nous risquons d'être trop visibles. Aussi, je suis obligé d'effectuer un véritable slalom entre la cime des arbres. Pat parvient péniblement à installer Shirley sur un siège avec une ceinture magnétique. Tout deux sont verts de peur, car les arbres défilent à une vitesse effrayante.
-Randal, vous ne pouvez pas ralentir un peu ? Sinon nous n'arriverons jamais vivants, où que ce soit.
-Attends encore quelques minutes, nous allons bientôt atteindre la rivière.
-A force de titiller la dame à la faux, elle risque de s'apercevoir qu'on est toujours bien vivant et je n'aimerais pas qu'elle y remédiât.
Brusquement les arbres disparaissent et la rivière apparaît. Je ralentis un peu et effectue un virage serré. Pat, qui n'avait pas mis sa ceinture magnétique est projeté sur la portière. Il se redresse en grommelant.
-Vous ne ferez jamais fortune en tant que chauffeur de taxi, vous conduisez beaucoup trop mai.
-Pat, cesse de râler, nous les avons sans doute semés. Ils doivent encore nous rechercher au détecteur biologique. Regarde de ton côté et préviens-moi si tu vois quelque chose. Nous allons sûrement trouver une habitation.
-Pourquoi ? Maintenant que nous avons un trans, nous pouvons rejoindre New Cork.
-Dans des hypno-rêves peut-être, mais ces trans sans coupoles ne dépassent pas les deux cents à l'heure. Nous n'arriverons jamais à temps pour la fin du procès. De toute façon, la réserve énergétique du trans est presque vide. Nous n'avons même pas cent kilomètres d'autonomie. Notre seule chance est de vidéophoner à une entreprise de taxi-hélijet.
-C'est bon, ça va, j'ai compris, je vais m'abîmer les yeux à vous trouver un abri.
CHAPITRE XVIII
La journée est radieuse. Le soleil s'est levé depuis une heure et la rivière serpente à une vitesse affolante sous nos yeux. Le sillage aérodynamique soulève une gerbe d'eau derrière le petit traîneau. Les commandes sont relativement simples et je n'ai pas trop de mal à suivre les courbes du fleuve. Pourtant, j'angoisse de plus en plus.
Depuis dix minutes, l'écran en face de moi affiche une icône clignotante entre un compteur de vitesse poussé au maximum et une rangée de contrôles divers.
-Pat, dans deux minutes je me pose et il va falloir continuer à pied.
Un gémissement me répond. J'aurais presque de la peine pour lui. Il est ramassé sur son siège, le visage tuméfié scrutant désespérément les rives.
-Encore un peu, Randal, j'ai cru voir une antenne entre deux arbres.
-OK, on continue, mais tu ne te plaindras pas si tu prends un bain forcé.
De toute manière, les rives sont encombrées d'un véritable mur de verdure et l'effet antigrav des trans étant limité à dix mètres d'altitude environ, j'aurais du mal à me faufiler.
Si il y a un relais dans le coin, autant aller le plus loin possible.
Par contre, l'état de Shirley m'inquiète de plus en plus. Les épreuves des dernières heures ont marqué ses traits et elle n'arrête pas de pleurer, recroquevillée sur son siège. Pat a bien essayé de la réconforter, mais il ne semble pas très doué.
-Là ! J'en suis sûr, c'est une parabole hyper-spatiale.
Je la vois aussi. En enfilade de la rivière, hissée sur un immense poteau, se profile l'image tant attendue.
-C'est trop loin ! Nous n'y arriverons jamais ! Le relais est au moins à dix kilomètres.
Tant pis, il faut continuer. Mes compagnons ne sont pas en état de marcher. Ce fichu trans nous amènera bien jusque là.
Les minutes s'écoulent dans un silence uniquement troublé par le sifflement entêtant de l'air. J'abaisse sensiblement la vitesse et l'altitude pour nous donner un peu plus d'autonomie et de sécurité. C'est fini, la réserve est à plat. Mon écran m'avertit maintenant de la coupure imminente. Finalement, j'aurais peut-être dû forcer un passage vers un espace libre au sol.
C'est la chute vers l'eau. Les systèmes de sécurité nous entourent d'une bulle anti-grav lors de la chute, annulant l'effet de choc. Par contre, rien pour nous empêcher de couler. Pat a libéré la petite qui hurlait dans ses sangles magnétiques et se débat dans les remous boueux.
Je n'ai pas trop de mal à me maintenir à flot, mais l'eau est digne de diluer un antique pastis. Elle est littéralement glacée.
Mes bottes et mes lambeaux de combinaison veulent m'entraîner vers le fond. Le froid m'a saisi et réveillé d'un coup. Je commence à me débattre et à claquer violemment des dents. Pat semble plus à l'aise. Sa couche de graisse le protège, lui ! Il nage comme un poisson vers la rive malgré Shirley qui le gêne un peu.
La berge se rapproche... Plus qu'un mètre... J'ai réussi à rester près de mes amis. L'enchevêtrement de racines nous offre des prises faciles. Décérébration ! Je viens de réaliser que j'ai perdu mes armes dans l'accident.
-Pat, comment va la petite ?
-Secouée, mais pas choquée, elle s'agrippe à moi. L'eau est froide, pas vrai ?
-Comme le coeur d'un inspecteur du trésor fédéral. Le plus dur est d'y entrer mais après, elle est supportable. Je pense qu'il sera plus rapide de continuer dans l'eau.
-Pourquoi pas à pied ? Nous n'en avons pour guère plus d'une heure.
-Regarde la végétation. Cela ressemble à des mangroves terriennes. Tout le terrain est marécageux. Il vaut mieux rester dans le courant. Attends, j'ai une idée !
J'ai remarqué sur la gauche un gros tronc coincé dans des racines.
-Une minute et le carrosse de ces messieurs- dames sera avancé.
Je me démène comme un beau diable pour dégager ce maudit bout de bois. J'exerce des tractions progressives sans grand résultat et Pat est obligé de venir m'aider. Après cinq bonnes minutes, il cède d'un coup.
-En voiture !
Pat hisse Shirley grelottante sur le tronc et la rassure avec des paroles très douces. La mioche a le regard perdu dans le vague. Heureusement, le bain lui a un peu fait oublier le carnage du ranch et une fois réchauffée par les thermistances de sa combinaison, elle devient réceptive aux paroles de Pat qui nage au bord du tronc.
-Tu vois, petite, je n'en ai peut-être plus l'air, mais j'ai gagné lors de ma deuxième année d'université le championnat de natation inter-magistrats de Terrania III. J'ai gardé depuis une forme assez acceptable, mais il est agréable de manger convenablement. Ce que je préfère, c'est de mélanger deux rations glucidiques glacées avec une sauce au goût chocolat.
Le regard de la petite s'illumine alors un peu.
-Une vieille recette de ma grand-mère consistait à faire gonfler une pâte spéciale et à y injecter la crème vanillée. Après, elle mettait la sauce dessus et je pouvais en manger pendant des heures.
J'espère que toutes les recettes de sa grand-mère ne vont pas y passer. Je comprends, maintenant, comment il se porte aussi bien, le Pat.
Le courant n'est pas très puissant mais nous entraîne doucement vers ma parabole préférée. Une petite ferme de zelacs probablement, où nous pourrons enfin nous faire tirer de là en vitesse et me faire évacuer vers de gentilles petites infirmières. Laura pourrait même me materner un peu.
Sans encombre, nous arrivons vers un petit port sur la berge droite du fleuve. Pat empoigne Shirley et nous sortons épuisés de l'eau. La ferme se situe à une centaine de mètres et nous nous y précipitons.
C'est un bâtiment rectangulaire de deux étages, préfabriqué, bien sûr, dans les usines de Terre I. La taille est ordinaire pour une exploitation, de quoi loger et faire vivre tranquillement deux ou trois familles. Les colons fuient la civilisation, mais gardent l'instinct grégaire.
Nous entrons dans un jardin mal entretenu. Devant, sur une petite terrasse, les mauvaises herbes apparaissent entre les interstices des dalles préfabriquées. La maison est trop silencieuse à plus de huit heures du matin. Normalement l'élevage demande beaucoup de travail.
-Avec notre veine habituelle, grogne Pat d'un air désespéré, la ferme doit être abandonnée. J'espère seulement que le générateur pourra encore fonctionner pour envoyer...
Un fracas de bois brisé coupe l'avocat. Depuis deux jours, les portes n'arrêtent pas de partir en éclats, et comble de malchance, il y a toujours un grand type menaçant derrière.
Le pire, c'est qu'il s'agit du tas de boulons sadique.
-Le problème des humains, c'est qu'ils sont beaucoup trop prévisibles.
Quel bande d'abrutis i Nous ne nous sommes pas méfiés. C'était trop beau pour être honnête. Je n'ai même plus la force de réagir. A ma droite, Pat pousse un gémissement. Tous les malheurs du cosmos dans un seul souffle. Ed tient un gros pistolaser à la main et s'avance sur la terrasse, il va nous découper comme sur un stand de vidéo-tir. Machinalement, je cache Shirley derrière moi. Elle s'agrippe à mon bras et pleure toutes les larmes de son corps. Tiens, je ne comprends pas pourquoi nous sommes encore vivants. Finalement les robots eux aussi peuvent être sadiques... Comme dans un psycho-rêve, le bras de l'androïde se lève lentement. Ses yeux cybernétiques nous regardent sans l'ombre d'un sentiment...
Un éclair de lumière m'aveugle, une douce chaleur m'enveloppe. Soudain un souffle violent me jette à terre et je m'enfonce lentement dans un trou sans fond...
***
Un liquide froid sur mon visage me fait reprendre partiellement conscience. Ma tête est dans une sorte de brouillard cotonneux. J'essaye tant bien que mal d'ouvrir les yeux. Curieusement, je n'ai plus mal nulle part.
Une ombre est au-dessus de moi. Par les spectres de Procyon !
-Alors vieux frère, heureux de me revoir ?
-Marc ? C'est toi ? Alors je dois sûrement être au purgatoire. Jamais on ne t'aurait laissé entrer au paradis avec la vie de débauche que tu mènes.
-Eh non ! Tu es encore dans le royaume des vivants. Tu as même réussi à nous faire peur. Ray se demande encore si tu ne nous as pas fait un arrêt cardiaque. Nous avons dû t'amener de toute urgence au bloc médical du Mercure.
J'essaye de me retourner.
-Pat, Shirley, comment vont-ils ?
-Ils se remettent peu à peu. Shirley, la gamine je suppose, est dans une cabine. Elle avait une côte cassée et quelques traumatismes. Un passage chez le robot-médecin l'a entièrement remise sur pied, mais par sécurité la console médicale lui effectue un traitement neuro-traumatologique, elle doit dormir comme un loir maintenant. Quand à Pat, il est dans le salon- cabine et se remet de ses émotions en vidant consciencieusement mes bouteilles d'authentique whisky. Le pire, c'est qu'il le mélange avec de l'eau ! Quelle horreur !
Machinalement, je regarde mon chronographe.
-Dix-sept heures ! Il faut que tu nous ramènes à New Cork ! Le procès de Cory doit être révisé.
Marc sourit toujours.
-Du calme, vieux ! Pat a déjà appelé le palais de justice. Rassure-toi, il s'est fait passer pour un journaliste, Jenkins ne sait pas encore que vous êtes vivants. Le robot-juge avait grillé un microprocesseur en constatant l'absence de l'avocat et d'un juré. En vertu de je ne sais plus quels précédents, il a fait reporter le procès jusqu'à demain neuf heures. La justice dans les nouvelles colonies se dégrade d'année en année, semble-t-il.
Un peu soulagé, je repose la tête sur l'oreiller. Encore douze heures, et Jenkins va avoir une sacrée surprise. Je jure de lui faire mariner les entrailles à petit feu. J'imagine la scène et cette évocation me fait sourire.
-Que s'est-il passé ? Je ne me souviens que d'une calculette ambulante et d'une très forte lumière.
-Avant que l'androïde ne tire, Ray a actionné son désintégrateur. Seulement, la réserve énergétique du robot a atteint son point critique et a explosé. Tu étais le plus près et tu as pratiquement tout encaissé.
-Des radiations ?
-On a tout nettoyé et vous êtes passés au sas de décontamination.
-Et la petite ?
-Heureusement, elle était derrière toi et a pu s'en sortir presque intacte. Quant à l'avocat, il possède une armure naturelle pratiquement aussi efficace qu'un blindage en plasto-titane. Il faut le voir pour le croire, même l'ordinateur médical ne lui a trouvé que des blessures bénignes, pourtant l'explosion était sacré- ment puissante.
-Cela fait plaisir de te revoir, Marc, mais par quel miracle...
Il me regarde et sourit.
-Tu le sais, j'effectuais les essais d'un nouveau propulseur. Ton appel m'a intrigué et comme je n'avais rien de plus urgent à faire, j'ai immédiatement mis le cap sur Terrania XXXVI. Je voulais seulement te rendre une visite de politesse mais, à peine avais-je émergé dans l'espace normal que je reçois un appel paniqué de Laura qui venait de réceptionner ton trans. Tu es toujours aussi doué avec les ordinateurs car il s'est encastré dans la porte de son immeuble. Le temps de me mettre au courant et j'ai demandé à Ray de te localiser.
-Mais comment ?
-Tous les agents du service action du S.S.RP. sont équipés d'un émetteur laryngé et d'un récepteur dans l'oreille pour pouvoir communiquer discrètement avec leur androïde. Ta mise à pied a été si rapide que les scribouillards de la commission ont oublié de t'enlever ton équipement. A partir de là, cela n'a pas été très difficile de te trouver. Je dois bien l'avouer, c'était in extremis. Deux secondes plus tard et l'androïde vous aurait transformés en de magnifiques puzzles. Même Ray aurait eu du mal à rassembler les morceaux.
Ma tête bourdonne, je vois flou. Marc me tend un gobelet en plastique et un comprimé.
-Prends ça, tu te sentiras mieux dans quelques minutes, tu me rejoindras ensuite au poste de pilotage, il paraît qu'on va avoir de la visite selon l'avocat.
Ar-Zoz ! Je l'avais presque oublié celui-là. D'après Jenkins, il doit arriver aujourd'hui récupérer sa damnée cargaison.
-Marc, as-tu appelé la Sécurité Galactique ?
-Oui, j'ai personnellement prévenu l'amiral Neuman, mais aucun croiseur n'est à moins de deux jours de subespace d'ici. Il n'a pas voulu contacter son représentant sur Terrania XXXVI à cause des indiscrétions toujours possibles. De toute façon, l'astroport ne possède qu'une batterie de missiles, ce qui serait tout à fait insuffisant face à un vaisseau bien armé. Il m'a chargé de défendre ce secteur contre toute intrusion. Il faudra tenir jusqu'à l'arrivée des renforts. Aucun lapis oniris ne doit quitter cette planète et personne ne doit savoir qu'il existe un filon. L'information est classée Secret-Défense.
CHAPITRE XIX
J'avais presque oublié la sensation fabuleuse que l'on ressent aux commandes d'un aviso. Et quel aviso ! Extérieurement, il ressemble à un modèle Discovery classique de forme ovoïde un peu aplatie. Cent trois mètres de long, trente de large et une dizaine de haut, propulsé par quatre accélérateurs ioniques dernier modèle. Ces petits avisos d'exploration sont maniables, rapides et habituellement peu armés.
Le Mercure fait exception avec ses deux lasers rapprochés et douze missiles thermonucléaires, soit la puissance de feu d'un petit croiseur. Je ne sais comment Marc a réussi à se procurer cette merveille !
La console en demi-cercle en face de moi est illuminée par trois écrans. Un manche de contrôle surmonté de boutons dans la main droite, les curseurs de puissance dans la main gauche, je fais corps avec la machine.
Par une vieille habitude, j'ai poussé les compensateurs anti-grav de mon fauteuil au minimum pour ressentir les plus infimes variations d'accélération.
Marc est assis à la place du copilote à ma droite. Sa console est similaire à la mienne et il a les doubles commandes en main. Le cockpit en visio-titane nous montre l'espace piqueté d'étoiles et devant, la petite lune de Terrania XXXVI vers laquelle nous nous dirigeons sur une trajectoire hyperbolique.
De chacune des deux consoles, toutes les fonctions subspatiales d'attaque et de défense pouvaient être transmises à l'ordinateur de bord.
-Tes propulseurs sont vraiment révolutionnaires Marc, tu dois bien gagner trois stermanns en accélération.
Ray, assis sur le siège derrière moi, contrôle le panneau des fonctions vitales du Mercure et répond :
-Trois points vingt-deux, plus exactement. Et nous pouvons basculer dans le subespace en moins de dix minutes.
-J'espère bien vendre les propulseurs à l'armée et en tirer un bon prix, reprend Marc.
-J'oubliais que c'est toi qui possèdes maintenant la Cosmos Jet Corporation. Qu'attends-tu pour te retirer dans ta luxueuse île du Pacifique et laisser l'espace aux jeunes premiers comme moi ?
-Avec de tels inconscients aux commandes d'un aviso, il n'y aurait plus qu'à Libreterre que l'on pourrait voyager en sécurité, répond Marc en riant.
Libreterre était une planète lointaine, ou plutôt un énorme astéroïde, perdu aux confins de la nébuleuse d'Orion, où la navigation spatiale était des plus périlleuse. Seuls les vieux routiers de l'espace suffisamment renseignés sur les astéroïdes et les vents ionisants pouvaient y émerger sans dommages.
L'endroit avait été aménagé et était, paraît-il, agréable à vivre. Il servait de base de ravitaillement et d'échange pour les pirates et les contrebandiers. Il était également fort bien défendu. Ni les Terriens, ni les Solaniens, ni même les Dénébiens, n'avaient jamais pu ou voulu assainir le coin.
Nous sommes à présent satellisés autour de la petite lune, en embuscade. L'ordinateur de bord m'assiste un peu pour la manoeuvre, qui demande des facultés d'observation très supérieures aux miennes. Je dégrafe les attaches magnétiques de mon fauteuil.
-OK, Ray, je te rends ta place.
J'hésite à descendre dans la cabine-salon prendre un rafraîchissement avec Pat. Non, je veux être là quand l'aviso-pirate émergera. Je préfère m'installer dans le siège que Ray vient de quitter.
-Je baisse les écrans de camouflage, annonce Marc. Seuls les détecteurs optiques peuvent nous coincer maintenant.
-Il est probable que la transaction se fera rapidement, sur une petite île aux antipodes de New Cork, dis-je.
-Je le pense aussi, confirme Ray. Les nouvelles colonies n'ayant que très peu de défense aérienne, il a peu de chances d'être détecté.
-Émerger si près d'une planète est extrêmement dangereux, remarque Marc, ces pirates sont sacré- ment gonflés.
-Ou alors, propose Ray, il émergera plus loin et fera un micro-saut dans le subespace. Cela lui permettra de recadrer les coordonnées de navigation.
-De toute manière, d'où nous nous trouvons, on peut l'intercepter à l'aller ou...
-Trois torpilles au 230-180 à 20 000km ! annonce l'androïde avec un calme bien caractéristique. Elles viennent de contourner la lune. Ordinateur de bord en mode combat.
-Ce bâtard saturnien nous observait depuis le début, juré-je.
-Il a dû s'inquiéter de voir un aviso en embuscade et a préféré faire place nette, observe Marc.
-Contact dans trente secondes, précise Ray. Ce sont des AS-200, même l'armée n'est pas encore équipée de ce modèle.
Je boucle les sangles magnétiques du fauteuil antigrav et bascule l'interrupteur de communications internes.
-Pat, hurlé-je, accroche ta ceinture magnétique, nous allons être secoués.
Marc a déjà lancé les moteurs à pleine puissance et le Mercure bondit en avant. Les missiles sont malheureusement déjà sur nous, sans doute guidés par laser optique.
-Torpilles à 5 000km, toujours en accélération. Contact dans cinq secondes.
-Ray, un Cisée, commande Marc en tirant le manche vers lui tout en enfonçant le curseur d'accélération bien au-delà de la limite de sécurité.
-Lancé, répond Ray presque immédiatement.
En dépit des anti-g fonctionnant à pleine puissance, je suis littéralement écrasé sur mon siège. Un poids immense m'écrase la poitrine et m'enfonce les yeux dans les orbites. J'enrage de jouer les spectateurs impuissants, mais Ray est incontestablement meilleur pilote que moi.
-Le Cisée a fonctionné, annonce Ray. Torpilles leurrées, en réacquisition...
Les engins de mort se sont précipités sur l'image fictive de notre aviso induite par la petite boule bourrée d'électronique. Nous avons eu le temps de prendre un peu de vitesse. Les missiles sont quand même passés à moins de cinq cents mètres de la coque. L'effet de leurre n'a pas duré longtemps et ils pointent à nouveau vers nous. Un nouveau Cisée ne fonctionnerait pas sur les cerveaux électroniques des torpilles car elles en ont maintenant enregistré la signature.
-Torpilles à 8 000km, dit Ray. Contact dans cent cinq secondes. En réaccélération. Elles semblent réglées en binaire, prévues pour exploser ensemble au contact de la coque. Notre générateur ne résistera pas à la surcharge. La troisième va nous achever.
Cette astuce qui ne pouvait jusqu'à présent n'être programmée que par l'officier torpilleur, avait été intégrée dans les nouveaux modèles. Ces engins sont prévus pour attaquer à deux ou même à trois. J'ai l'impression que nous allons être victimes du progrès.
-Pas le temps de basculer, grogne Marc. Ray, le laser de défense rapprochée.
-En tension !
Les deux tourelles pivotent de part et d'autre de la coque cylindrique.
La manoeuvre est classique mais presque désespérée avec un aviso normal. Elle est inspirée des lointains combats navals et consiste à tirer sur une des torpilles avant qu'elle n'atteigne la coque. Avec de la chance, elle devrait ainsi faire exploser les autres.
Malheureusement, pour faire feu, Ray doit abaisser les écrans protecteurs pendant quelques millièmes de secondes. De plus, le laser n'a une portée efficace que de quelques centaines de mètres. Plus loin, le blindage réfléchissant des torpilles résisterait au rayonnement. Dans tous les cas, l'explosion se produira beaucoup trop près à mon goût !
Je sens de petites gouttes de sueur me couler le long des tempes. Pour couronner le tout, l'ennemi est toujours invisible.
Pendant que mes compagnons s'occupent des missiles, je lance les algorithmes de recherche sur ma console.
Pour nous avoir repérés, l'aviso-pirate doit être à moins d'une unité astronomique de nous, et pour avoir échappé aux détecteurs du Mercure, il est probablement protégé par une planète.
Je rentre ces données sans trop trembler et valide le lancement. L'estimation du temps de recherche est tout de même de plus de cinq minutes. D'ici là, nous serons peut-être morts, mais si ce n'est pas le cas, je veux la peau de ce damné Ar-Zoz.
Les secondes s'égrènent lentement, ponctuées par les mauvaises nouvelles.
-Torpilles à 2 000km. Contact dans vingt secondes.
-Allez, Ray, on compte sur toi, dit Marc soudain très calme.
-Il y a une composante aléatoire que je ne peux pas garantir, tu le sais.
Pas de panique, s'il y a un androïde dans la galaxie qui peut se débarrasser de trois torpilles thermonucléaires, c'est bien Ray. Lui et Marc voyagent ensemble depuis maintenant dix ans sur les mêmes vaisseaux, et le Mercure est une véritable merveille, équipé par je ne sais qui de commandes télépathiques.
J'essaie de garder un peu de calme, malgré l'image sinistre des engins de mort sur un de mes écrans.
-Contact dans trois secondes... deux... une...
Un choc épouvantable me projette dans mes sangles magnétiques. Ray n'a touché aucune commande, mais a actionné les lasers par la pensée. Il n'a heureusement pas raté les cibles, mais les charges ont néanmoins explosé à trois cents mètres de la coque en plasto-titane. Aucune fuite d'air pour l'instant, c'est l'essentiel. Je gonfle mes poumons instinctivement, comme pour retenir le maximum d'oxygène.
Non, rien, nous sommes sauvés ! Je vais finir par croire en ma bonne étoile. Oh ! oh ! j'ai parlé trop vite. L'écran de contrôle vital fait défiler la liste des dommages, plus longue que le règlement du S.S.P.R, mais rien en rouge clignotant qui nous obligerait à mettre en panne.
Ray annonce les résultats.
-Deux torpilles détruites au laser, la troisième a heurté l'écran protecteur.
-Des dégâts ? s'enquiert Marc.
-Désolé, dit Ray penaud, une projection de plasma est passée pendant deux millièmes de secondes. Plusieurs modules externes détruits, dont une tourelle laser. La coque est un peu endommagée, mais pas de fuite d'air.
-C'est honorable, soupire le propriétaire.
-Attends, c'étaient les bonnes nouvelles. Pour les mauvaises, il y a des dégâts importants sur les réacteurs deux et trois. Il faut réparer immédiatement, ou faire des shunts manuellement.
-Par les spectres de Procyon, juré-je. Avec deux réacteurs seulement, nous ne résisterons pas à une nouvelle attaque.
-Vas-y Ray, ordonne Marc. Randal, remplace-le. Je me charge du pilotage et toi des missiles et de l'ordinateur de bord.
Je suis ravi de me rendre un peu plus utile. En dégrafant mes sangles magnétiques, je songe à Shirley. Bien protégée par les compensateurs du centre médical, elle n'a pas dû trop souffrir du choc. Je regarde l'avancement de la recherche. Rien encore, mais une icône clignote furieusement.
A peine ai-je eu le temps de m'asseoir sur mon siège que l'écran de communication interne s'allume et le visage angoissé de Pat apparaît.
-Bon sang ! Qu'est-ce qui se passe ici ? On bouge autant qu'une pucelle violée par un Arcturien.
Pat a un visage réellement paniqué. Même quand nous étions face à nos tortionnaires, il n'avait pas cette tête-là. Je suis presque heureux de voir que lui aussi peut perdre son self-control. L'espace ne peut pas réussir à tout le monde.
-Pat, on a des problèmes, on est accroché par un pirate de l'espace.
-Quoi ! ? Je veux desc...
-Missiles par le travers, crie Marc. Deux plus un, comme tout à l'heure. Contact dans douze minutes.
Je déconnecte le système de communication et me replonge dans l'étude de ma console.
Marc maintient les torpilles par le travers, les obligeant à compenser en une trajectoire courbe.
-Enfer et décérébration ! jure Marc. D'où tire ce salopard ?
-Trouvé ! L'ordinateur a extrapolé la position du pirate. Il file vers la quatrième planète. Nous avons juste le temps de basculer dans le subespace.
-Attends...
Notre accélération nous a pas mal éloignés de Terrania et la toute petite masse ronde de la Quatrième est visible dans l'angle gauche du cockpit. En face, la Cinquième, gazeuse et très volumineuse se rapproche à toute vitesse.
-Randal, pointe l'ordinateur sur cette planète. Qu'il ingère toutes les données nécessaires à un contournement gravitationnel.
-Nous n'arriverons pas à les semer ainsi, dis-je tout en pianotant furieusement.
-Ouais, mais cela nous permettra de prendre un peu plus de vitesse et nous ramènera vers lui avec ses propres engins. De là où il est, il nous tire comme des Aliens dans les jeux vidéo. Randal, il faut l'avoir avant que notre générateur ne saute.
-Je suis d'accord, dis-je serein. Nous ne pouvons pas abandonner Terrania.
Un de mes écrans suit la frégate de combat pirate, tandis qu'un autre m'informe sur les missiles.
-Ray m'annonce qu'il a coupé les deux réacteurs endommagés, m'informe Marc. En cas de besoin, il peut donner une poussée pendant un peu moins d'une minute.
Une idée germe soudain dans ma petite tête. Il y a longtemps, l'ami Tex nous avait joué un très vilain tour lorsque mon croiseur le poursuivait.
Marc se concentre sur le contournement de la cinquième planète, un peu aidé par l'ordinateur pour prendre la trajectoire optimale. Les missiles sont encore loin, mais accrochés à la traînée de nos réacteurs, ils ne sont pas près de nous lâcher.
Une minute plus tard, nous sommes déjà à près de 30 000 km par seconde. Il faut atteindre les 200 000 pour pouvoir enclencher le convertisseur subspatial.
Marc dirige l'aviso droit sur la quatrième planète. La frégate-pirate est derrière la sphère et doit vouloir la contourner, tout en s'en servant comme écran. Une estimation rapide de l'ordinateur me donne sa position dans sept minutes.
-Marc, si nous plongions dans le subespace pendant 50 000km, pour réémerger derrière la quatrième ? Nous bénéficierions de l'effet de surprise ! Ar-Zoz ne pourra pas riposter. En plus cela nous débarrassera des missiles derrière nous.
Traverser des planètes par la dimension subspatiale n'est pas un problème en soi. Le danger vient des transitions, qui ont lieu dans un secteur difficilement prévisible à une vitesse proche de celle de la lumière.
-J'ai toujours su qu'il aurait fallu t'enfermer dans un asile au lieu de te donner un commandement, mais je suis parvenu à la même conclusion que toi ; c'est notre seule chance d'anéantir ces pirates.
Mes doigts courent sur les écrans tactiles, dessinant une trajectoire assistée par la console. Ignorant l'icône d'alarme qui s'illumine à la programmation de la durée du saut, je valide la séquence. Je m'occupe ensuite du module d'armement.
-J'ai six missiles qui vont partir sitôt revenus en espace normal. Deux, plus deux, plus deux. Si cela ne suffit pas, il va falloir se réveiller vite pour réagir à leur riposte.
Les sauts subspatiaux provoquent systématiquement des pertes de connaissance et le curieux malaise qui s'en suit persiste quelques minutes. Les scientifiques pensent qu'il s'agit de la réorganisation des molécules à l'intérieur des vaisseaux après une transition inter-dimensionnelle. L'effet de compression- décompression consécutif à l'immersion et l'émergence risque d'être terrible à surmonter.
Tex nous avait joué le même tour et seul notre écran renforcé nous avait sauvé la vie. Il avait récupéré sacrément vite car il a rebasculé immédiatement dans le subespace et nous ne l'avons plus jamais croisé.
-Nous aurons besoin des quatre moteurs pour la plongée, dit Marc. J'espère que le bricolage de Ray tiendra.
-Il tiendra ! Il le faut.
Je ne suis pas si confiant. Si jamais ce satané pirate s'en sort, il récupérera ses lapis oniris et disparaîtra.
-Je te parie une bouteille de vieux cognac, dis-je, que je me réveille avant toi !
-Tenu !
La quatrième planète se rapproche à une vitesse vertigineuse. Le compte à rebours subspatial s'est mis en route. Dix... neuf...
-Je suis la trajectoire prévue, dit Marc. Si jamais ça ne marche pas, je te fais repeindre le Mercure avec un de ces antiques pinceaux du XXIe siècle...
-Trois... deux...
Je distingue les nuages ocres de la planète, les vieux volcans, perçois ou imagine percevoir la secousse due à la traversée de sa ceinture de Van Allen et puis plus rien. Le voile noir familier couvre mes yeux.
***
-Secoue-toi, fainéant !
J'ai un ruisseau de sang qui me coule du nez et des oreilles. Mes tempes battent la chamade. La voix de Marc résonne comme projetée d'un mégaphone.
-Tu es bâti en plasto-titane, ce n'est pas possible ! soupiré-je.
Nous avons bien traversé la petite planète, car Terrania XXXVI est en face, et nous sommes en décélération maximale.
-Où est ce bâtard saturnien ? juré-je.
L'écran de ma console me montre la frégate-pirate entourée d'une grosse sphère bleutée protectrice... Les flashes ne tardent pas... Un, deux, trois...
Les missiles n'étaient pas conçus pour fonctionner en binaire, eux, et mon réglage était loin d'égaler la précision de celui de Ray. Néanmoins, six explosions de forte puissance ont lieu.
-Sa réserve énergétique doit être renforcée, grogne Marc. Jamais la mienne n'aurait résisté à tous ces impacts.
-Je programme une autre rafale de six.
-Attends, regarde le jet de vapeur à mi-coque ! On voit bien que tu n'as jamais payé tes missiles !
Le dernier projectile a dû l'endommager sérieusement. Une longue fissure s'agrandit à toute vitesse et la frégate-pirate se scinde en deux dans une explosion d'air sous pression.
Deux gros soupirs de soulagement résonnent dans le poste de pilotage, sitôt suivi d'un éclat de rire.
Je remarque tout juste le voyant rouge de l'appel interne. Pat, sans doute. J'abaisse le communicateur et un flot d'injures sature le haut-parleur.
-Assassins ! Chauffards ! Décérébrés du manche à balais ! Lobotomisés des réacteurs ! Jamais plus je ne remettrai les pieds sur cet astronef ! Qu'est-ce que vous avez foutu là-haut ? Tenté de nous tuer tous ? Descendez-moi immédiatement ! Dès que je me serai détaché, je vais mettre ce vaisseau en pièces. Il n'y a même plus une bouteille de whisky intacte !
Je coupe la communication avec un rire nerveux et me dessangle d'une main.
-Je vais avoir du mal à le calmer et...
-Randal, reprend Marc d'un ton sérieux, j'ai un message de l'opérateur de Terrania XXXVI.
L'écran s'allume et un visage inquiet apparaît.
-Astronef, que s'est-il passé, j'ai enregistré plusieurs explosions thermonucléaires sur mon écran.
-Astronef Mercure, en provenance de Terre I, je viens passer quelques jours sur Terrania pour affaires. J'ai été agressé par des pirates de l'espace dès ma sortie subespace. Ne vous inquiétez pas, ils n'attaqueront pas votre belle planète, ni personne d'autre d'ailleurs...
-Mercure, merci de votre intervention, sans vous, la ville risquait un pillage de plus. Je vous passe les coordonnées de la balise d'atterrissage, si vous voulez toujours venir chez nous ?
-Plus que jamais, j'amorce ma descente. Prévenez le capitaine responsable de la sécurité, je souhaiterais le recevoir à mon bord dès mon arrivée.
La tête de l'opérateur affiche soudainement un sourire incrédule.
-Je ne sais pas qui vous êtes ou pour qui vous vous prenez, mais si vous consultez votre ordinateur de bord, il vous informera qu'il est trois heures du matin à New Cork. Le capitaine Cartling est depuis longtemps chez lui et dans son lit. Vous irez le voir demain matin.
Le visage de Marc se fait plus dur.
-Je connais parfaitement l'heure locale et je maintiens ma demande. Je veux voir cette personne à mon bord sitôt mon arrivée, c'est-à-dire dans environ cinquante minutes. J'ai des informations concernant directement la sécurité de la planète à lui remettre.
-Désolé, je ne peux pas le faire réveiller sans en savoir plus. C'est la consigne. Je vous le répète, vous irez le voir demain à son bureau.
Il commence à m'énerver le jeunot avec son règlement. Marc aussi se crispe peu à peu.
-Ecoute gamin. Tu vas gentiment prévenir ton capitaine et je te garantis qu'il a intérêt à être là. Si jamais le message n'était pas transmis, il se pourrait que le combat ait suffisamment déréglé mon ordinateur de tir pour qu'un de mes missiles se perde sur la tour de contrôle avant de raser cette fichue ville !
Marc coupe alors la communication d'un geste rageur.
-Je te reconnais bien là, pouffé-je. Tu as toujours su parler aux fonctionnaires !
CHAPITRE XX
Après une descente trop rapide à mon goût, les béquilles télescopiques touchent, avec violence, le sol. Je ne me sens pas très bien et devant moi, Marc a aussi un teint légèrement verdâtre. J'ai rendu la place de copilote à Ray et, sans doute contrarié d'avoir raté la fin du combat, il nous a réservé un atterrissage corsé. Cet androïde est beaucoup trop susceptible. Je crois même qu'il a tous les défauts d'un être humain. De peur de vraiment le vexer, je n'ose émettre une protestation sur sa façon de piloter. Marc doit être de mon avis car il déboucle sa ceinture magnétique sans râler, puis il indique l'écran externe.
-Mon message a dû être transmis, regarde, un trans blindé de la sécurité vient à notre rencontre.
L'écran de communication externe s'allume et le visage fatigué du capitaine Cartling apparaît.
-Astronef Mercure, je demande la permission de monter à bord.
-Permission accordée, répond Marc, je vous attends à la cabine-salon, nous pourrons discuter plus agréablement.
Je me lève et gagne la coursive. Pat a retrouvé tout son flegme, mais si son visage est de nouveau impénétrable, ses yeux brillent d'une étrange lueur. Il semble avoir parfaitement supporté le voyage.
Marc regarde avec désespoir ses bouteilles vides.
-Ray, dit-il, va chercher un autre whisky dans la réserve de la soute, j'ai bien besoin d'un petit remontant.
Quelques minutes plus tard, le capitaine Cartling nous rejoint. Il manque de s'étouffer en voyant Pat et moi, un verre à la main, tranquillement assis sur le canapé relaxant.
-Gardner... Yung... mais que faites-vous là ? !
-Entrez, Capitaine et mettez-vous à l'aise, dit Marc en lui tendant un verre.
-Flagrant délit de collusion avocat-juré, je suppose que vous avez une bonne explication, Maître.
Pat, dont la verve naturelle était déjà imposante, devient volubile avec l'alcool absorbé. Il se lance dans un résumé détaillé de nos aventures, omettant seulement notre première entrevue et la découverte du gisement de lapis oniris.
Tout en écoutant avec intérêt les explications de l'avocat, le chef de la police sirote son breuvage. Il doit beaucoup apprécier le whisky de Marc car son verre est rapidement vide. Il attrape prestement la bouteille et grimace en constatant qu'elle est vide. Pat ne semble plus pouvoir s'arrêter de parler. Alors Cartling, tout en hochant la tête, échange discrètement son verre avec celui plein du narrateur. Il se cale confortablement sur son siège et peut enfin concentrer toute son attention sur l'histoire.
Pat achève son récit, au grand soulagement de Cartling.
-C'est incroyable ! Mais comment avez-vous su que Jenkins était derrière tout cela ?
-C'était évident lorsque nous avons compris que Shirley avait été kidnappée ! Pour protéger sa soeur, Cory a été obligée d'avouer un meurtre qu'elle n'avait pas commis. Or Jenkins est la seule personne qui pouvait lui rappeler tous les jours qu'elle devait s'incliner. Il fallait donc qu'il soit au moins complice.
Le gosier asséché par tant de paroles, Pat regarde avec désespoir son verre puis la bouteille vide. Marc, grand seigneur, lui tend un autre verre que Pat descend d'un trait et... il manque de s'étouffer en constatant qu'il était rempli d'eau. Tout en feignant d'ignorer le regard noir dardé sur lui, Marc se tourne vers Cartling.
-Capitaine, je pense que vous savez ce qui vous reste à faire.
-Ne nous emballons pas, ce sont vos deux témoignages contre la parole d'un procureur. J'ai besoin de preuves tangibles.
-Vous les aurez en temps voulu, mais il faut absolument empêcher Jenkins de filer. Je prends l'entière responsabilité de cette décision. Mon copilote, Ray, va vous fournir un enregistrement où l'amiral Neuman m'a personnellement chargé de la sécurité de Terrania XXXVI. Ainsi, jusqu'à l'arrivée, dans deux jours, du croiseur de combat de la Sécurité Galactique, je suis votre supérieur hiérarchique direct et je vous demande de procéder à l'arrestation du procureur général.
-Alors, pour rester dans la légalité, je vais devoir vidéophoner au robot-juge. Il doit être présent lors de l'interpellation. Nous n'avons pas un instant à perdre.
***
Jenkins est logé dans une assez jolie villa, un peu à l'écart de la ville. Il fait jour depuis une petite heure et le procureur de New Cork ne devrait pas tarder à partir travailler. La ville est toujours endormie. Seuls quelques rares véhicules circulent. Le trans blindé de la police, dans lequel Pat et moi sommes installés, se gare de l'autre côté de la rue. La voix métallique du robot-juge résonne dans l'habitacle.
-Au vu des informations que vous et le capitaine Stone m'avez fournies, j'ai donné mon approbation légale pour l'arrestation de monsieur le procureur. La police locale s'en charge et je vous demande de ne pas intervenir. Vous n'êtes ici qu'à titre de spectateurs. Il est hors de question que je laisse des règlements de compte s'opérer dans les colonies.
-Bien, répondis-je, je vous remercie de nous avoir laissés venir.
Quatre policiers se dispersent et encerclent la maison, tandis que deux inspecteurs, dans leur combinaison noire, se dirigent vers la porte et y sonnent. Le battant pivote. Jenkins ne paraît pas trop surpris. Les mêmes inspecteurs doivent souvent venir le réveiller pour faire signer des mandats.
Un des inspecteurs lui tend l'acte et le visage de Jenkins se décompose. Il est plus vif qu'un serpent et sort un pistolaser de sa combinaison. Il fait feu à plusieurs reprises et les deux hommes s'écroulent presque simultanément. Aussitôt, il se lance dans un sprint effréné, encadré par des traits lumineux.
-Je vous l'avais dit, clame Pat, il est dangereux !
Il s'éjecte de l'habitacle d'un bond, je le suis de près.
Le procureur continue sa course, tout en tirant derrière lui, un peu au hasard. Il se dirige vers nous, mais ne nous a pas encore remarqués, car nous sommes cachés par la rangée de trans en stationnement.
Le fugitif arrive à portée. Pat qui est le plus près, se jette sur lui de toute sa masse. Le choc est épouvantable et le pistolaser est projeté à plusieurs mètres.
Je n'avais encore jamais vu un avocat frapper un procureur et le spectacle est assez insolite. Immobilisant Jenkins de tout son poids, il lui assène coups droits et revers magistraux, en hurlant tous les jurons qu'il connaît.
Tous les reptiles de Terre I y passent et les flics locaux les séparent avant qu'il ne passe aux noms d'oiseaux.
-C'est une honte, grommelle Hardwick. Jamais ces colonies ne seront civilisées. Heureusement, Jenkins sera extradé et jugé sur Terre I sinon il m'aurait fallu deux semaines de procès. Je crois que je vais demander à être remplacé par un modèle plus récent...
Au moment où l'ex-procureur entre, menottes magnétiques aux poignets, dans un véhicule de patrouille, le trans blindé du chef de la police s'arrête devant nous. La portière s'ouvre sur le capitaine Cartling qui sort en vitupérant.
-Bande d'abrutis, je vous avais demandé de m'attendre avant de donner l'assaut.
Il se précipite sur un lieutenant, aboyant menaces et réprimandes. Il donne vraiment l'impression d'un bouledogue à qui on a fauché son os préféré.
Derrière lui, Marc s'extrait du véhicule.
-J'ai obtenu la libération de Cory. Elle vient de retrouver Shirley au poste. Maintenant que tout est fini, si nous allions prendre un solide petit déjeuner dans mon bar, cela fait longtemps que nous n'avons rien avalé de consistant. J'ai demandé à Ray d'escorter Cory et Shirley qui nous rejoindront là-bas.
Je me sens tout à coup très mal à l'aise.
-Laura ne t'a pas prévenu ? Le bar...
-Quoi ! Qu'as-tu fait à mon établissement ?
-J'ai eu quelques petits problèmes, mais rien d'irréparable...
Le visage inquiet, Marc s'installe dans le trans de Cartling qu'il vient juste de réquisitionner. A peine avons-nous eu le temps d'embarquer qu'il démarre en trombe.
***
Quelques minutes plus tard, nous sommes devant L'Emeraude.
Laura a déjà repris le travail et tente de mettre un peu d'ordre dans la pièce. L'explosion de la grenade et les tirs de plasma sont malgré tout difficiles à rendre discrets. Marc, imperturbable, fait le tour des lieux puis se tourne vers moi.
-Bien, Randal ! Tu n'as pas perdu tes vieilles habitudes. Je me souviens encore de l'état de la chambre que nous partagions à l'école d'astronautique. Je vois que tu as encore amélioré tes capacités de rangement.
-Rassure-toi, j'ai bien payé les traites de l'assurance tous risques. D'accord mes cotisations risquent d'augmenter, mais normalement, tu devrais être entièrement remboursé. Laisse-moi trente secondes, je sais où trouver une table encore valide et quelques sièges. Laura, tu peux nous apporter un petit en-cas.
Moins d'une demi-heure plus tard, Ray, Shirley et Cory nous rejoignent. J'avoue éprouver une certaine fierté à les voir détendues et libres. Cory lève les yeux et me sourit. Elle a vraiment un visage à faire se damner tous les saints du paradis. Je la prends à part, car j'ai besoin d'avoir avec elle une discussion sérieuse. Quelques minutes plus tard, nous retournons voir le reste du groupe.
-Avec la réouverture du bar, dis-je, j'ai pensé engager une nouvelle serveuse et Cory m'a fait la joie d'accepter ce poste.
La nouvelle est accueillie par des applaudissements. Très vite, Cory souhaite partir coucher Shirley : la pauvre gosse a passé une bonne partie de la nuit debout et a du mal à garder les yeux ouverts. Tendrement, la petite fille nous embrasse pour nous dire au revoir et prend la main de sa soeur. Pat s'est immédiatement proposé pour les raccompagner chez elles.
-N'oubliez pas, Randal, me dit-il en partant, j'ai du travail pour vous. Lundi à mon bureau, sans faute !
Ray les suit de près, il lui reste encore énormément de réparations à effectuer sur le Mercure.
Marc, l'instinct très sûr, se dirige vers le comptoir et sort du bar une bouteille de stem encore intacte.
-Je sais qu'il est un peu tôt pour boire, mais il faut quand même fêter notre victoire.
-Et quelle victoire ! Mais réparer les dégâts sur ton aviso et remplacer les missiles thermonucléaires utilisés demandera une petite fortune.
-Ne t'inquiète pas, l'important est que nous soyons encore vivants. D'ailleurs, cela ne va rien me coûter du tout : l'amiral Neuman a promis de prendre tous les frais à sa charge. Nous avons quand même effectué le travail de la Sécurité Galactique et il est normal qu'elle règle la facture. Pour le bar, tu l'as dit, les assurances couvriront les frais.
-Je me disais aussi qu'on ne devient pas riche par hasard.
Il me regarde, l'air ennuyé.
-Randal, il faut que je te dise. La commission de non-immixtion ne veut pas revenir sur sa décision. Tu ne pourras plus jamais travailler pour le S.S.P.P., je suis sincèrement désolé.
La nouvelle me cause un plus grand choc que je ne l'aurais cru, mais je me ressaisis rapidement.
-Ce n'est pas si grave, je crois que je vais me faire à cette nouvelle vie et qui sait, peut-être un jour...
-Félicitations, je suis heureux de voir que tu as remonté la pente. Alors, tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes.
Soudain son visage s'assombrit.
-A quoi penses-tu Marc ?
-Je viens de me rappeler que tu es assuré dans une compagnie dont je suis actionnaire. La réparation du bar va me coûter horriblement cher.
Nos regards se croisent. Aussitôt, deux éclats de rire résonnent dans la pièce. Nous sommes restés un moment à parler de choses et d'autres, puis Marc est parti rejoindre Ray à l'astroport.
La porte refermée, je remarque le visage décomposé de Laura.
-Qu'y a-t-il ? Tout est fini maintenant !
-J'ai bien compris, tu as embauché la fille pour la garder près de toi ! Nous n'avons pas vraiment besoin d'une autre serveuse ! Ne t'en fais pas, je ne vous gênerai pas.
Je m'offre le luxe d'un sourire.
-Non, Laura, tout ce que j'ai voulu, c'est lui offrir un travail tranquille pour recommencer son existence. Tu te trompes, ton bar aura besoin d'une autre serveuse.
-Mon bar ?
-Eh oui, j'ai décidé de te laisser le bar. De toute manière, tu t'en occupais déjà entièrement.
-Et toi, que vas-tu faire ?
-J'en parlais tout à l'heure avec Pat. Je vais ouvrir une agence de détective spécialisé. Il a de nombreux confrères qui ont besoin de mener des enquêtes efficaces. Les nouvelles colonies sont encore des mondes sauvages et un détective, ancien agent du S.S.P.P., doit pouvoir y être utile. Cela ne m'empêchera pas de te rendre souvent visite.
Je passe le bras autour de sa taille. Elle se raidit un instant puis se colle contre moi. Un sourire éclaire son visage tout proche.
-Si nous allions dans ta chambre, murmure-t-elle. Je crois me souvenir que le lit est resté intact.
FIN